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La dhimmitude pour les nuls

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Se demander dans quelle mesure la notion discutée de “dhimmitude” (statut social du dhimmi, en terre d’islam) deviendrait aujourd’hui en Occident un comportement pré-adapté avant même d’être un statut est une question très provocatrice, mais qui ne peut plus totalement être balayée. Analyse.


Le terme de dhimmitude a été popularisé il y a trente ans par Gisèle Littman dans un livre intitulé La chrétienté d’Orient entre djihad et dhimmitude. C’est peu dire qu’il a été critiqué, provenant d’une historienne non académique publiant parmi des spécialistes de l’islam qui, à cette époque où la Shoah s’imposait dans la mémoire de l’Occident, soulignaient en général que l’islam par contraste avait laissé une place à ses minorités et pour qui l’Andalousie du Moyen Âge était l’exemple continuellement cité d’un glorieux «vivre ensemble», une image que les historiens d’aujourd’hui ont beaucoup nuancée.

Gisèle Littman, qui avait pris le surnom de Bat Ye’or, la fille du Nil, était née en Égypte, en avait été chassée comme la totalité de la communauté juive de ce pays et suspectait que l’argument de lutte contre le sionisme, appliqué à une communauté entière, cachait en réalité une hostilité plus diffuse à l’égard du judaïsme.

Si dhimmitude sent le soufre, le terme de dhimmi est bien connu

Si Bat Ye’or forgea le mot et le concept de dhimmitude, le terme dhimmi était déjà largement employé. Il est celui dont le statut relève de la dhimma, un pacte d’alliance. Ce mot apparaît dans la neuvième sourate, dite Tawba, une des toutes dernières, à une époque où Mahomet avait assuré son pouvoir. Il est écrit dans le Coran lui-même que les dernières révélations peuvent corriger des révélations plus anciennes. C’est dire l’importance de la sourate Tawba, le repentir, techouva en hébreu. Mais, contrairement à ce qu’on en dit, le mot de dhimma n’y vise ni les juifs, ni les chrétiens, mais les «hypocrites» ces soi-disant alliés de Mahomet qui ne l’ayant pas soutenu lors d’une expédition contre les byzantins, avaient brisé le pacte qui les liait à lui.

C’est plus loin dans la même sourate, mais sans le mot dhimma, qu’apparait l’obligation pour les «gens du Livre» de verser un impôt spécifique, la jaziya, attestant le caractère dominant de l’islam sur les autres monothéismes, une mesure plus douce que l’alternative réservée aux polythéistes, la conversion ou la mort. Un siècle plus tard un calife peu connu mais s’appelant Omar et hostile aux chrétiens et aux juifs, donna le nom de dhimma à cette obligation spécifique aux non-musulmans vivant en terre d’islam, accompagnée de diverses interdictions. Il fut prétendu que c’était là un pacte de protection.

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La dhimma a été appliquée avec une rigueur variable suivant les lieux et les époques dans l’immense espace islamique. Beaucoup d’historiens soulignent que la jaziya a été souvent légère, que la protection des minorités a été réelle, notamment dans l’empire ottoman où ces communautés s’administraient elles-mêmes sur le plan civil, et que, au fond, l’impôt de la dhimma remplaçait une obligation de combattre qui n’incombait qu’aux musulmans. ll y a en fait beaucoup à dire sur cette vision irénique de la domination de l’islam, comme en témoignent les conversions forcées, les restrictions religieuses, les persécutions des Almohades ou celles des Safavides d’Iran. Bat Ye’or, qui a utilisé des sources peu exploitées avant elle, a montré une situation des minorités en terre d’islam loin d’être idyllique.

Au cours du XIXe siècle, dans une série de réformes juridiques et administratives qu’on appelle les Tanzimats, les sultans ont aboli la pratique de la dhimma dans l’empire turc, une mesure qui a théoriquement transformé les non-musulmans en citoyens comme les autres. Théoriquement….

Comme on le sait, il n’y a aujourd’hui presque plus de juifs en terres musulmanes et les représailles exercées contre les juifs iraniens à la suite de la guerre des Douze jours montrent comme leur situation est fragile. Des minorités chrétiennes ont fait et font  aujourd’hui encore l’objet de persécutions dans plusieurs pays  musulmans, dans un silence général. La revendication de la supériorité intrinsèque de l’islam sur les autres religions, est indiscutablement un des moteurs les plus faciles à activer dans l’extension de ces violences.

Dans la neuvième sourate, il est précisé que lorsque les monothéistes paieront leur impôt, ils devront le faire en état d’humiliation. Le terme utilisé est ṣāghirūn. Beaucoup de ce que représente la dhimma provient de l’interprétation de ce mot. L’adjectif saghir, très courant, renvoie au champ sémantique de la petitesse. La plupart des exégètes musulmans d’aujourd’hui, y compris Qaradawi ou la mosquée el-Azhar écrivent que la dhimma, originellement liée à la rupture du pacte d’alliance par les hypocrites, fait référence à une situation de guerre qui était celle de l’islam des origines et n’a plus lieu d’être aujourd’hui. 

Ambiguïté

Mais il y a une ambiguïté à ce sujet: ce qui fut la dhimma dans l’histoire provient d’une situation différente, celle de domination qui fut pendant de nombreux siècles celle de l’islam par rapport à ses minorités, qui l’est encore dans certains endroits du monde et que certains islamistes rêvent de rétablir. Une telle situation laisse des traces dans les mentalités. Après la disparition officielle de la dhimma dans l’empire turc, il y eut beaucoup de réactions de mécontentement qui furent reprises et amplifiées par les réformateurs religieux du XXe siècle tels Rashid Rida puis son disciple Hassan el-Banna, créateur des Frères Musulmans.

La mise en cause d’un sentiment de supériorité considéré comme naturel et légitime est très difficile à accepter et est souvent vécue elle-même comme une humiliation, alors que dans le livre sacré, c’est le privilège du musulman que d’infliger une humiliation à autrui. Quand s’y ajoutent le succès de celui qui devrait être un inférieur et plus encore la défaite au combat face à lui, le ressentiment devient très fort. 

Ces réactions émotionnelles, qui ne se limitent d’ailleurs nullement à l’islam, laissent peu de traces dans les archives. Elles jouent un grand rôle dans l’histoire des hommes.

Quant à la dhimmitude, état de résignation devant une situation qu’on ne pouvait pas modifier, ce fut longtemps le lot des populations juives en terre chrétienne comme en terre d’islam. Cette résignation était une stratégie de survie efficace mais elle se payait par l’humiliation intériorisée. Le sionisme fut en quelque sorte une révolte contre la dhimmitude en milieu chrétien. Cette révolte fut réussie et rares sont les juifs qui voudraient revenir à l’état antérieur. Quant à l’attitude de soumission résignée que l’on peut voir ici et là dans un monde d’origine chrétienne essayant de ne pas voir la guerre qui lui est menée, je ne suis pas surpris que le terme de dhimmitude lui soit souvent attribué, même si les explications en sont évidemment bien plus complexes…

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Au temps de l’abondance agricole

L’exécutif français a une fâcheuse tendance à mettre sur le dos de la crise environnementale les difficultés de nos agriculteurs… Opportuniste! Démonstration.


En juin, à la Conférence sur l’océan, à Nice, Emmanuel Macron déclarait : « On est au pire moment ! On a une crise qui est cinq crises en même temps : biodiversité, eau, alimentation, santé, changement climatique ». Le président reprenait ainsi le refrain de la crise environnementale.

Pourtant, si crise il y avait vraiment, nos conditions d’existence et, en particulier, nos ressources alimentaires devraient déjà se détériorer. Or, selon les données les plus récentes du Département de l’Agriculture des États-Unis (USDA), l’année 2025 devrait être une année de records pour les récoltes mondiales. Le maïs et le blé connaissent une hausse spectaculaire, le soja atteint également un niveau inédit, tandis que le riz se maintient à son maximum historique. Même les rendements, c’est-à-dire les quantités produites par hectare cultivé, grimpent eux aussi à des sommets pour ces grandes cultures. Autrement dit : nous produisons toujours plus, avec relativement moins de terres. D’autres productions suivent la même tendance : colza, huile de palme ou café sont aussi promis à des récoltes record. Bien sûr, certains produits connaissent des fluctuations annuelles, comme le coton ou le sucre. Et certaines cultures négligées, telles que le sorgho et le millet, stagnent.

Mais l’image d’ensemble est claire : malgré le réchauffement climatique, malgré la baisse de la biodiversité, malgré la prétendue détérioration de la qualité des sols, la production agricole mondiale continue de croître. Cette bonne nouvelle ne signifie pas qu’il n’y ait aucune raison de s’inquiéter. En particulier, le changement climatique représente une menace sérieuse pour l’agriculture. Mais comme cette production agricole en témoigne, il est faux d’affirmer que la crise est déjà là. Certes, les agriculteurs français peuvent être confrontés à des difficultés. Mais, au regard des bons résultats de la production mondiale, les responsables politiques ont beau jeu d’en attribuer la responsabilité à la situation environnementale plutôt qu’aux contraintes qu’eux-mêmes leur imposent.

Internet, nouveau bouc émissaire d’Emmanuel Macron

Dans l’affaire du cyberharcèlement de Brigitte Macron, de trois à douze mois de prison avec sursis ont été requis contre les accusés. Pendant ce temps, son président de mari réunissait 200 experts des réseaux sociaux pour mener la contre-offensive. Lors d’une conférence consacrée à « la démocratie à l’épreuve des réseaux », il leur a adressé: « J’ai besoin de vous », estimant que « ce qui se joue avec les algorithmes, c’est l’émergence d’un nouveau pouvoir, à côté de l’exécutif, du législatif et du judiciaire, qui lui n’a pas encore de contrepouvoirs… »


La rumeur sur Brigitte Macron incite son mari à s’en prendre aux réseaux sociaux. Or le président commet une erreur d’analyse : il est lui-même, par sa parole démonétisée, la cause première de la cabale. Hier, le procureur de la République a requis, devant le tribunal correctionnel de Paris, des peines de prison avec sursis contre dix cyberharceleurs poursuivis pour avoir mis en doute le sexe de l’épouse du chef de l’État. Le même jour, Emmanuel Macron a lancé un débat sur l’impact des réseaux sociaux et d’internet sur la démocratie. Au prétexte de « créer les conditions d’un débat éclairé et apaisé », l’Élysée poursuit son idée fixe visant à mettre sous surveillance ce lieu indomptable et impertinent qu’est devenu le numérique et ses forums. La simultanéité des deux événements fait comprendre que le président cherche à instrumentaliser la fake news, relayée sur Twitter, qui assure que la « première dame » serait un homme ayant effectué une transition de genre. Ce faisant, Macron aggrave la défiance publique vis-à vis du discours officiel. Le pouvoir, en se retranchant derrière son récit émaillé de propagandes et de dénis, alimente les suspicions sur les vérités officielles. La crise sanitaire, qui a conduit l’État à imposer des slogans inexacts sur les vaccins (« Tous vaccinés, tous protégés ») a accentué la défiance entre le pouvoir et la société civile. Les aveuglements sur l’immigration de masse et l’insécurité produisent les mêmes doutes sur la bonne foi du pouvoir. L’obsession de Macron à réguler l’internet s’intensifie à mesure que son règne est contesté. La dérive liberticide du régime explique les outrages vengeurs que subit Brigitte Macron, à qui est reproché également une relation ambiguë avec l’élève de 15 ans, son futur époux, alors qu’elle en avait 39.

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La fable urbaine d’une substitution d’identité entre Jean-Michel Trogneux et Brigitte Macron aurait dû rester dans le répertoire des libelles ou des blagues bêtes et méchantes. Hier, Tiphaine Auzière est venue dire devant le tribunal combien sa mère souffrait de cette malveillance. Ce poison a trouvé de surcroit un accélérateur aux États-Unis à cause de l’influenceuse Candace Owens, irrationnellement déchaînée dans son obsession à nuire à l’épouse du président français. Cependant, s’il est une question que devrait se poser Macron, c’est de savoir pourquoi il projette sur son entourage intime autant de malveillances, qui trouvent un écho auprès d’une partie de l’opinion.

« L’ affaire Trogneux » doit être comprise comme le symptôme d’une opinion qui, à force de s’être laissée abusée par trop de mensonges d’État, ne croit plus ce qu’on lui dit. Au point de prendre les démentis officiels pour des aveux. Dans Génie du christianisme, Chateaubriand a écrit : «  Un gouvernement pervers introduit le vice chez les peuples, comme un gouvernement sage fait fructifier la vertu ». C’est cette corruption des esprits qui s’observe, au détriment d’une femme profondément meurtrie par ses harceleurs. Mais le vrai coupable est à l’Élysée.

Gérald Darmanin à l’École des sorciers…

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Gérald Darmanin était face à des élèves de l’École nationale de la magistrature ce vendredi. Les magistrats doivent davantage ressembler au peuple français et surtout faire leur aggiornamento, sinon cela finira mal pour « l’État de droit », a prévenu le garde des Sceaux.


Le garde des Sceaux s’est rendu à Bordeaux pour rencontrer les élèves magistrats de l’École nationale de la magistrature et leur annoncer les changements qu’il envisageait. Il a également dialogué avec une soixantaine d’enseignants et confirmé dans ses fonctions de directrice Nathalie Roret.

Il faut que jeunesse se passe…

La promotion « État de droit » était mobilisée. Mais, sur les 468 auditeurs de justice, seuls 250 étaient présents dans l’amphithéâtre.

Est-il permis de s’étonner du choix d’« État de droit » comme dénomination, alors que sa contestation, dans le climat actuel, n’est pas illégitime et qu’il aurait été plus fort, symboliquement, d’arbitrer en faveur d’une incarnation exemplaire, ou même d’une victime à laquelle on aurait rendu hommage ?

Avant d’en venir à la teneur des propos du ministre, j’avoue ma surprise devant la manière infantilisante dont ont été prévues et programmées les questions adressées à Gérald Darmanin. Comme si l’on n’avait pas pu, tout simplement, laisser les auditeurs formuler librement leurs interrogations – en espérant, pour toutes, une forme maîtrisée.

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Le comble du ridicule a été atteint avec « un petit happening » au cours duquel deux auditrices et un auditeur ont proféré trois banalités vaguement contestataires, évidemment applaudies à tout rompre.

Le garde des Sceaux envisage pour l’ENM – il a rappelé que tous les futurs candidats à l’élection présidentielle souhaitaient sa disparition – « une réforme en profondeur du concours et du recrutement, l’introduction de modules d’enseignement consacrés au monde économique et financier, à la connaissance des rouages administratifs et étatiques, des cours de management, mais aussi l’obligation de mobilité des magistrats ».

Ce n’est pas sur ce plan que je discuterai le propos, au demeurant revigorant, de Gérald Darmanin : on garde l’ENM, mais on la réforme. Je suggérerais volontiers que la culture générale – classique et contemporaine – ne fût pas oubliée !

En revanche, si j’admets que « si l’on ne change pas quelque chose, cela va mal se passer avec une population qui ne se sent pas représentée », je suis beaucoup plus réservé, non sur « l’ouverture méritocratique », mais sur l’idée « d’une magistrature qui doit changer et ressembler à ceux qu’elle juge, pour retrouver la confiance des justiciables ».

La justice et les démagogues

Je crains que cette aspiration, destinée à plaire immédiatement à une majorité de citoyens, ne soit un zeste démagogique. Car la difficulté réside dans le fait que rêver d’une magistrature plus conforme à la composition sociologique de notre pays est une chose, mais vouloir « qu’elle ressemble à ceux qu’elle juge » en est une autre.

En effet, je crois que la magistrature a trop souvent cultivé, dans ses apparences, dans ses pratiques, dans ses rapports avec autrui et dans sa volonté de mimétisme social, politique et syndical, l’obsession de se rapprocher des comportements ordinaires, pour qu’on puisse, sans danger, pousser encore plus loin la dilution de la Justice dans le commun.

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Que la diversification du corps s’amplifie et s’enrichisse, soit ; mais rien ne serait pire que l’abolition de la distance, de la tenue, de cette légitimité et de cette autorité qui, dans les temps de crise que nous vivons, constituent le moyen le plus radical de perdre l’estime des citoyens et le respect des politiques. Profondément, la magistrature peut avoir des origines multiples, mais pour rien au monde le magistrat ne doit être comme tout le monde : sinon, il perd tout crédit pour juger. Cet écart nécessaire, c’est sa force et son honneur. Le faire « ressembler à ceux qu’il juge », ce serait aggraver gravement son déclin. Et ce serait la banalisation d’une institution qui ne se remet pas d’avoir été, et de ne plus être, ou médiocrement.

Alors que rien n’est irréversible et que tout est ouvert pour 2027.

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Le général de Gaulle à Damas

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Pendant la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle proclamait l’indépendance de la Syrie. Même si l’influence française est encore perceptible dans la Syrie d’aujourd’hui, Emmanuel Macron ne doit pas brûler les étapes avec Ahmed al-Charaa, le nouvel homme fort de Damas.


Alors que la Syrie vit aujourd’hui sous le régime d’Abou Mohammed Al-Julani, après la chute des Assad en 2024, la question de sa souveraineté reste posée. Le régime Assad, soumis depuis 1979 à l’influence iranienne, était devenu un relais de Téhéran, dépendance accentuée après 2011. Celui d’Al-Julani s’appuie désormais sur les puissances sunnites, dont l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar et la Turquie, déplaçant la tutelle étrangère de l’axe chiite vers l’axe sunnite.

Voyage oublié

Dans ce jeu de dépendances régionales, la France ne peut rester spectatrice. Un siècle plus tôt, elle façonna la Syrie moderne et négocia son indépendance sous Léon Blum, restée sans effet faute de ratification. En 1941, le général de Gaulle proclama cette indépendance à Damas après la victoire des Forces françaises libres sur les troupes vichystes et nazies. Le départ du dernier soldat français en 1946 scella cette transition, consacrant la Syrie comme un État souverain et démocratique, paradoxe face à la réalité actuelle. Ce voyage de De Gaulle, souvent oublié, fut une tentative de conjuguer puissance et liberté sur le Levant.

À la suite de la libération de la Syrie et du Liban, intervenue en juin-juillet 1941 à l’issue de l’offensive des forces franco-britanniques contre les autorités vichystes, soutenues par l’Allemagne nazie, le général de Gaulle se rendit à Damas afin d’y affirmer la légitimité de la France libre. Cette opération fut conduite avec l’appui de contingents issus de l’Empire britannique — notamment indiens, canadiens et australiens — ainsi que de combattants judéo-arabes engagés aux côtés des Alliés.

Winston Churchill déclara : « We must not lose Syria. »

À cette époque, la Syrie et le Liban étaient tombés sous le contrôle des autorités vichystes, alliées objectives de l’Allemagne nazie. La France était occupée, et l’Empire britannique faisait face à de vives difficultés au Proche-Orient. En Iran, le chah Reza Pahlavi manifestait des sympathies à l’égard du régime hitlérien ; en Irak, le coup d’État de Rachid Ali al-Gillani avait renversé la monarchie hachémite pour établir un gouvernement favorable à l’Axe ; et en Égypte, le roi Farouk était soupçonné de maintenir des communications discrètes avec l’Italie fasciste de Mussolini.

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La Palestine mandataire demeura fidèle aux Alliés durant la Seconde Guerre mondiale, devenant ainsi un point d’appui stratégique pour le lancement des opérations de libération de la Syrie et du Liban. Toutefois, l’élite arabe du Proche-Orient était profondément divisée. Certaines figures influentes, telles que Moustafa el-Nahhas, Badia Masabni ou Taj al-Din al-Hassani, apportèrent un soutien clair aux puissances alliées. D’autres, en revanche, s’alignèrent ouvertement ou de manière plus discrète sur les forces de l’Axe, à l’image de Reza Pahlavi en Iran, du mufti de Jérusalem Amine al-Husseini, ou encore de Rachid Ali al-Gillani en Irak.

Enfin, la Syrie est libérée. Le général de Gaulle y fait son entrée et proclame l’indépendance du pays, mettant ainsi fin à ce que l’on appelait autrefois « la Syrie française » — territoire du mandat, également désigné sous les appellations de Syrie mandataire ou République syrienne sous mandat.

La France entra en Syrie en 1920, à la suite de la bataille de Mayssaloun, qui opposa les troupes du ministre de la Guerre Youssef al-Azma aux forces françaises métropolitaines, sénégalaises et marocaines, placées sous le commandement du général Henri Gouraud. En Syrie, depuis l’entrée de Lawrence d’Arabie à Damas en 1918, le prince Fayçal s’était proclamé roi du royaume arabe de Syrie. Toutefois, le gouvernement français, dirigé par Raymond Poincaré, refusa de reconnaître cette monarchie naissante lors de la Conférence de la paix à Paris.

Le président Raymond Poincaré avait donné des assurances au chef de l’Église maronite, Élias Pierre Hoyek, en faveur de la création d’un Grand Liban. Par la suite, le général Henri Gouraud, nommé premier haut-commissaire de la République française au Levant, procéda à la fondation de l’État du Grand Liban en 1920. Dans une logique de division administrative du territoire syrien sous mandat, il établit également d’autres entités politiques : l’État d’Alep, l’État de Damas, l’État des Druzes et l’État des Alaouites.

La France établit ensuite l’Union syrienne, en regroupant l’État d’Alep, l’État de Damas, l’État des Alaouites et l’État des Druzes sous une entité administrative unifiée. Sobhi Barakat en fut nommé président, et la ville d’Alep fut choisie comme capitale de cette union. Les territoires de la Syrie actuelle correspondent, dans leur grande majorité, à ceux qui composaient l’Union syrienne établie sous mandat français.

Le passage chaotique du général Sarrail

Des tensions ont existé entre les autorités françaises et les populations syriennes et libanaises ; cependant, plusieurs hauts responsables militaires s’efforcèrent d’établir de bonnes relations avec la société civile ainsi qu’avec les autorités religieuses, tant chrétiennes que musulmanes, ce qui permit d’atténuer en partie les conflits. Cette relative accalmie fut toutefois remise en question avec la nomination du général Maurice Sarrail au poste de haut-commissaire de la République française. Ce dernier, connu pour ses positions ultra-laïques et son attachement au jacobinisme républicain, heurta les sensibilités locales et raviva les tensions.

Le général Maurice Sarrail laissa derrière lui un passage chaotique, marqué par de graves tensions et des conséquences tragiques. Abordant les réalités religieuses locales avec le prisme d’un laïcisme rigide hérité du contexte français, il heurta profondément les sensibilités des autorités spirituelles, tant musulmanes que chrétiennes. La révolte éclata d’abord dans le Jebel druze, avant de s’étendre au-delà du sud et d’embraser une partie du territoire syrien. Damas fut durement touchée, subissant des bombardements qui provoquèrent l’émoi au Levant comme en métropole. Les tensions et polémiques parvinrent jusqu’à Paris, où certains responsables politiques allèrent jusqu’à réclamer le retrait immédiat de l’armée française. Le gouvernement du président Gaston Doumergue refusa cependant d’abandonner la Syrie et le Liban au chaos. Il prit néanmoins la décision de limoger le général Sarrail, afin de calmer les esprits et de restaurer une forme de stabilité dans la région.

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La France décida de fonder la République syrienne en collaborant avec plusieurs intellectuels et notables syriens. Des figures politiques et culturelles issues de diverses confessions, telles que Saïd Ghazzi (musulman sunnite), Fares Khoury (chrétien orthodoxe) et Ibrahim Hanano (d’origine kurde), furent chargées de rédiger la première Constitution de la République syrienne. Ce texte remarquable, d’une qualité juridique et démocratique largement supérieure à celles imposées plus tard sous les régimes des Assad et de Jolani, affirmait avec force les principes de souveraineté, de pluralisme et d’indépendance nationale.

Le haut-commissaire français, Henri de Jouvenel, tenta toutefois d’y insérer une clause conférant au poste de haut-commissaire une autorité supra-constitutionnelle. Cette exigence fut catégoriquement rejetée par les représentants syriens. En réaction, et afin de contourner ce refus, Henri de Jouvenel fit adopter la Constitution par décret.

Une influence française encore perceptible aujourd’hui

Léon Blum accède au pouvoir en 1936 et engage les négociations en vue de l’indépendance de la Syrie. Une délégation syrienne se rend à Paris pour entamer un long processus diplomatique qui durera six mois. Un accord est finalement trouvé, mais le gouvernement du Front populaire ne parvient pas à le faire ratifier par le Parlement français. Le texte demeure ainsi lettre morte, relégué aux archives. Ce sera finalement la légitimité révolutionnaire de la France libre et de la Résistance qui permettra au général de Gaulle de proclamer l’indépendance de la Syrie.

De 1941 à 1946, la France demeura présente en Syrie, bien que dans une position affaiblie, ne conservant son influence que grâce au soutien britannique, notamment celui de Winston Churchill. Finalement, elle se résolut à retirer ses troupes et quitta définitivement la Syrie et le Liban en 1946.

Pourtant, l’influence française demeure perceptible jusqu’à aujourd’hui. De nombreux mots français ont été intégrés au dialecte syro-libanais, tels que bougie, toutou, marmiton, avance, en arrière, vase, etc. Par ailleurs, la France a longtemps constitué un refuge pour les intellectuels syriens fuyant les dictatures baasistes et nasséristes. Les diplômés des universités françaises ont figuré parmi les cadres les plus éminents de l’enseignement supérieur syrien. Leur formation, reconnue pour sa rigueur et sa qualité académique, tranchait nettement avec celle de certaines vagues de professeurs formés dans les pays du bloc soviétique, où l’encadrement pédagogique se révélait souvent insuffisant.

Plus de quatre-vingts ans après que le général de Gaulle proclama l’indépendance de la Syrie, la France semble avoir perdu le fil de son rôle au Levant. Héritière d’une influence ancienne, elle pourrait pourtant redevenir une puissance d’équilibre, fidèle à l’esprit des Lumières et à l’idéal d’émancipation qui guida jadis son action. Encore faut-il qu’elle dépasse les ambiguïtés d’une diplomatie hésitante, illustrées par l’accueil précipité d’Emmanuel Macron à Abou Mohammed Al-Julani en mai 2025, suivi d’une rencontre à New York en septembre, peu après son arrivée au pouvoir et les massacres perpétrés sur la côte syrienne.

Une telle hâte tranche avec la prudence de Pompidou, Giscard d’Estaing et Mitterrand, qui avaient attendu avant de tendre la main à Hafez Al-Assad, notamment après les massacres de Hama. Pour la France, meurtrie par le terrorisme islamiste mais toujours porteuse d’un idéal universel, renouer avec la Syrie ne peut se limiter à un symbole : il s’agit de retrouver le sens d’une politique orientale fidèle à son histoire et à sa vocation.

Vérité en deçà du Rhin, erreur au-delà

En affirmant que les migrants demeurent « un problème dans le paysage urbain », le chancelier allemand Friedrich Merz provoque un tollé.


Je ne croyais pas prononcer cette phrase un jour mais oui quelle chance d’être Allemand ! Je ne dis pas ça par goût immodéré des saucisses, des BMW ou des marécages philosophiques, mais parce que le chancelier Merz manifeste une liberté de pensée et de parole inconnue chez nos dirigeants.

Le 14 octobre, interrogé sur les migrants, il parle d’un problème non résolu dans le paysage urbain. Derrière cette traduction littérale donnée par la presse française, il vise à l’évidence la délinquance et l’insécurité de rue. Une semaine plus tard, alors qu’on lui demande de s’expliquer, il met les pieds dans le plat: « Demandez à vos filles, elles vous diront qui leur cause des problèmes le soir ». Tollé, les belles âmes manifestent devant le siège de la CDU, hurlent à l’afdisation des esprits, la gauche du parti se bouche le nez. Merz précise qu’il parlait seulement des migrants délinquants en situation irrégulière. De toute façon les Allemands l’ont compris. 64% l’approuvent.

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Pourquoi suis-je jalouse ? Si Sébastien Lecornu prononçait cette phrase, il serait immédiatement traîné devant les tribunaux. Nos dirigeants et nos élus rivalisent dans la soumission au politiquement correct et dans le déni. Pas seulement par peur du bad buzz ou par envie d’être félicité par Le Monde, mais parce qu’une grande partie de nos élites pense vraiment que s’inquiéter de l’immigration ou la refuser est un signe d’étroitesse d’esprit voire de racisme.

Donc, contrairement à Merz, nos gouvernants ne voient toujours pas ce qu’ils voient :

  • Que l’islamisme qui a tué en janvier et en novembre 2015 se déploie encore sur tout le territoire depuis 10 ans ;
  • Que les émeutes de 2005, dont on célèbre les 20 ans, n’ont pas été engendrées par la relégation sociale mais par le séparatisme ethnico-religieux. Ils expliquent d’ailleurs encore que le problème ce sont les subventions trop modestes dans les banlieues ;
  • Que l’antisémitisme et la délinquance sont très largement nourris par l’immigration et par une partie de sa descendance ;
  • Que la majorité des agressions sexuelles de voie publique sont commises par des jeunes hommes venus de cultures qui enferment, bâchent ou voilent les femmes et qui considèrent donc qu’une femme libre est à prendre. Non, nos belles âmes préfèrent parler du « patriarcat ».

Alors oui, que toutes ces grandes consciences demandent à leurs filles de quoi et de qui elles ont peur le soir. Mais, beaucoup sont tellement aveuglées par leurs bons sentiments et leurs ambitions politiques qu’elles n’entendent déjà pas leurs électeurs. Je ne suis pas sûre qu’elles écoutent leurs enfants.

Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez notre directrice de la rédaction dans la matinale.

«Cent tribalistes auront toujours raison de mille individualistes»

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Avec les 20 ans des émeutes urbaines déclenchées par la mort de Zyed et Bouna, on reparle des fameux « territoires perdus ». La France n’est plus minée seulement par l’islamisme, mais par le tribalisme solidaire – cette loyauté clanique, héritée des sociétés sans État, qui structure désormais nombre de quartiers, estime cette tribune. Sous couvert de paix sociale et de discours antiracistes, le pouvoir s’y soumet comme un dhimmi payant la djiziah à ses émirs locaux… Le résultat ? Un «Républi-clanisme», où la loi du groupe remplace celle de la République. Une analyse de David Duquesne, auteur de Ne fais pas ton Français (Grasset).


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Le tribalisme solidaire : la force obscure des sociétés sans État

Dans Ne fais pas ton Français, j’évoque ce que j’ai appelé l’ivresse du tribalisme solidaire. Cette fraternité communautaire viscérale lie les membres d’un même clan au détriment du droit, de la vérité et de la justice. Un vieux proverbe arabe en résume la logique :
« Moi contre mon frère, mon frère et moi contre mon cousin, mon cousin, mon frère et moi contre l’étranger. »

Ce réflexe n’est pas un vestige anthropologique : il structure encore la sociologie de certains territoires français.

Je l’ai vu de mes yeux à Sallaumines, dans le bassin minier du Pas-de-Calais, à la fin des années 1980.

Un homme ivre, sans défense, fut lynché par une dizaine de jeunes, tous d’origine maghrébine, sous le regard passif de la foule.

L’un d’eux me lança fièrement : « C’est ça, la solidarité musulmane. » Cette phrase m’a vacciné contre la naïveté. J’avais sous les yeux le cœur du problème : une solidarité de clan, capable du meilleur – l’entraide, la chaleur, la loyauté – mais aussi du pire : la justification de la violence collective, la négation du juste.

Des tribus du Maghreb aux quartiers perdus de la République

Ce que j’ai observé à Sallaumines n’était pas un hasard, mais la réactivation d’un vieux schéma culturel importé des sociétés maghrébines.

Là-bas, la structure clanique – la hamula – repose sur un principe de solidarité absolue : l’agression d’un membre est vécue comme une attaque contre tout le groupe.

Ce système fit la force des conquérants arabes et berbères d’Al-Andalus, mais aussi la cause de leurs divisions internes.

Or, dans une société d’État centralisé comme la France, ce modèle devient explosif : il fragmente l’espace civique et substitue à la loi républicaine la loi du groupe.

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Partout où l’État recule, le clan avance.

Là où la police ne va plus, les caïds deviennent les chefs de guerre, s’appuyant sur le même mécanisme de loyauté tribale : ne jamais livrer un membre de la communauté à une autorité extérieure.

C’est ce ciment invisible qui explique la puissance des caïds, des islamistes et des indigénistes : ils exploitent la solidarité primaire d’un groupe refermé sur lui-même.

De la solidarité à la domination : le caïd comme figure centrale

Dans la culture arabo-musulmane, le caïd n’est pas un voyou au sens français, mais un meneur d’hommes, un chef respecté, capable d’assurer la sécurité et la prospérité du clan par la force. Son autorité repose sur la domination, non sur le droit. Battre un policier, humilier un professeur ou insulter un représentant de l’État n’est pas vu comme un crime, mais comme une victoire symbolique sur la puissance étrangère. Ainsi se maintient une hiérarchie parallèle : celle du pouvoir clanique, fondé sur la peur et la fierté, qui se substitue au pouvoir légitime de l’État.

Cette logique s’étend désormais aux territoires perdus de la République, où règnent des équilibres tacites, des « pactes de non-agression » entre élus locaux et chefs de quartiers. On achète la paix sociale avec des subventions, comme les dhimmis d’autrefois payaient la djiziah, l’impôt de capitation, aux émirs andalous pour ne pas être massacrés.

La soumission a simplement changé de forme : elle est devenue budgétaire, clientéliste et idéologique.

L’aveuglement des élites : l’éléphant dans la pièce

Le tribalisme solidaire est l’angle mort des sciences sociales françaises. On parle de pauvreté, de chômage, de racisme systémique, mais jamais du facteur culturel, car il heurte la doxa universaliste et met en péril la narration victimaire.

Résultat : la gauche postcoloniale, les universitaires indigénistes et une partie de la droite technocratique s’accordent sur un même mensonge confortable : celui d’un État oppresseur face à des victimes structurelles. Ce déni n’est pas seulement moral, il est mortel pour la nation. Car tant que la République refusera de nommer le tribalisme, elle nourrira le monstre – un monstre qui ne se bat pas pour des idées, mais pour le butin, le territoire et l’honneur du clan.

Al Françalus, ou la République en trompe-l’œil

La France a désormais son Al Françalus : un territoire de coexistence illusoire, un califat Potemkine bâti sur le déni et la culpabilité. Les façades restent républicaines, les institutions fonctionnent encore, les discours sont truffés de références à la fraternité, à la laïcité, à l’égalité. Mais derrière ce décor, la réalité se délite. Les mêmes mots recouvrent d’autres sens : la fraternité devient communautarisme, la tolérance devient capitulation, et la laïcité devient neutralisation de la France elle-même.

Le Républi-clanisme, c’est cela : une République vidée de sa substance, infiltrée par les logiques tribales qu’elle ne comprend plus et qu’elle n’ose plus combattre.

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Les élus locaux pactisent avec les seigneurs du quartier, les associations communautaires se substituent aux institutions, et la peur s’installe dans le quotidien des citoyens ordinaires, devenus étrangers chez eux.

On assiste à un phénomène paradoxal : la France n’est plus coloniale, elle est recolonisée. Non par la force d’une armée, mais par l’idéologie, la démographie et la lâcheté. Les anciens colonisés ont importé leurs structures claniques, leurs réflexes d’allégeance, leur vision hiérarchisée du monde. Et l’État, rongé par la culpabilité postcoloniale, s’interdit d’y opposer sa propre verticalité. Il abdique son rôle de souverain, se réduit à une ONG qui distribue la paix sociale à crédit. Cette démission ouvre un espace où prospèrent les caïds, les islamistes et les militants indigénistes, qui jouent chacun leur partition dans la même symphonie : celle du tribalisme triomphant. Les uns dominent par la violence, les autres par la foi, les derniers par le discours victimaire. Le résultat est identique : la République s’efface, le clan règne.

La France, en somme, n’est plus un État-nation : elle devient une mosaïque de tribus, où la force du groupe l’emporte sur la loi commune. Une Al Françalus à visage démocratique, où les dhimmis d’aujourd’hui s’appellent contribuables, fonctionnaires, professeurs, policiers. Ils paient la djiziah moderne : impôts, subventions, silences et excuses. Tout cela pour ne pas être massacrés symboliquement, pour éviter d’être traités de racistes, d’islamophobes ou d’extrémistes.

Revenir au réel, ou Seinesaintdeniser tout le pays

Le choc viendra si la France ose regarder le réel en face, si elle se rappelle qu’elle n’est pas une idée mais une civilisation.

La chute, en revanche, se produira si elle continue de se raconter qu’il suffit de “vivre-ensemble” pour que la guerre des clans s’éteigne d’elle-même.

Mais si l’on fait enfin le bon diagnostic, alors il faut en tirer des conséquences concrètes.

Il faut revoir la politique migratoire, non par haine mais par lucidité, pour ne pas reproduire sur le sol français les structures claniques des pays d’origine. Et il faut repenser la politique du logement, afin de rompre avec les logiques de concentration ethnico-culturelle qui servent d’incubateurs à ces normes socioculturelles. En continuant à regrouper, par “solidarité”, ceux qu’il faudrait mêler à la cité commune, on organise la sécession du pays réel. La France ne peut pas rester une mosaïque de “douars urbains” subventionnés, où le vivre-ensemble se transforme en vivre-à-part. Si nous persistons dans cette voie, nous Seinesaintdeniserons tout le pays — et ce mot-là dit bien ce qu’il veut dire : transformer la nation entière en un territoire morcelé, où la loi du clan se substitue à la loi commune.

Nous aurons alors cru la sauver par la tolérance pendant que nous l’étranglions par le mensonge. La chroniqueuse Sabrina Medjebeur l’a bien vu : il ne s’agit plus d’un problème de coexistence, mais de survie politique et morale. Il faudra une génération de Français décidés à reconstruire la cité, non sur la peur ou la repentance, mais sur la vérité nue du réel. Car comme le disait Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit. »

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Wilders: le syndrome du vilain petit canard

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Les Hollandais votent demain. Geert Wilders est favori du scrutin, mais…


Dans le pittoresque village de pêcheurs de Volendam, M. Geert Wilders a lancé, samedi, un avertissement solennel à ses partisans. « La démocratie néerlandaise mourra si notre parti est exclu du prochain gouvernement ! » a-t-il tonné, entouré de gardes du corps rendant tout contact avec le public difficile. Aussi, le chef du Parti pour la liberté (PVV) a dû hausser la voix pour se faire entendre lors de ce modeste meeting tenu en terrain conquis, à la veille des fameuses élections législatives anticipées du mercredi 29 octobre.

Celui qui n’a jamais été seul au moins une fois dans sa vie…

Tous les sondages le donnent encore gagnant. Le PVV pourrait décrocher une trentaine des 150 sièges de la Chambre basse. Mais cette victoire annoncée pourrait bien avoir un goût amer : la plupart des grands partis refusent désormais de s’allier une seconde fois à celui dont le goût du compromis n’a jamais été la principale vertu.

Ces derniers jours, l’écart entre le PVV et l’alliance de la gauche (GroenLinks/PvdA, union des écologistes et des travaillistes) s’est resserré. Tandis que le parti de M. Wilders perd un peu de terrain, les formations de gauche, les chrétiens-démocrates et les libéraux progressent légèrement. En début de campagne, M. Wilders semblait pourtant assuré d’égaler, voire d’améliorer, sa performance de novembre 2023, lorsque son parti avait remporté 37 sièges. Ce qui a changé en très peu de temps, selon des commentateurs, est la crainte réaliste de bien de ses partisans qu’un vote pour M. Wilders serait un vote perdu. Message martelé avec un certain succès par la gauche et la droite modérée, ou, selon M. Wilders, « molle ».

Menacé de mort

C’est que l’homme politique de 62 ans, qui vit sous des menaces de mort islamistes depuis deux décennies, est accusé d’avoir dynamité « sa » coalition gouvernementale sortie des urnes il y a près de deux ans. Qui avait suscité un immense espoir parmi le « peuple de droite ».

A relire, du même auteur: Les migrants, la fête au village et le parc d’attractions

L’été dernier, M. Wilders avait soudainement imposé à ses partenaires une liste de dix nouvelles mesures visant à durcir encore la politique migratoire. Face à leur refus, il avait brutalement retiré le PVV du gouvernement. Celui-ci, déjà fragilisé par des querelles incessantes et des résultats médiocres dans la lutte contre l’immigration extra-européenne, n’avait pas survécu. Le Premier ministre, M. Dick Schoof, sans étiquette, avait alors pris la poudre d’escampette, écœuré d’être en permanence la tête de Turc de M. Wilders, resté simple parlementaire.

Depuis, les anciens alliés du PVV — notamment les libéraux-conservateurs du VVD — ont fermé la porte à toute nouvelle coalition. Quant aux partis de gauche et aux chrétiens-démocrates, ils refusent catégoriquement de s’allier à celui qu’ils considèrent comme un « raciste », pourtant de « sang mêlé » néerlandais-indonésien.

JA21, le nouveau venu

Déçus, de nombreux électeurs du PVV semblent se tourner vers un autre parti de droite nationale, JA21, qui prône une ligne dure sur l’immigration mais souple dans sa volonté de former des coalitions. Nécessité absolue dans un pays où les 150 sièges du Parlement sont répartis entre une quinzaine de partis…

Ces derniers mois, les Pays-Bas ont connu une cinquantaine d’émeutes, parfois violentes, liées à l’accueil des demandeurs d’asile. D’après l’audiovisuel public, une trentaine de maires auraient cédé face aux manifestants. La fureur atteignit des sommets cet été après le meurtre d’une jeune Néerlandaise, Lisa, attribué à un demandeur d’asile africain déjà accusé de plusieurs agressions.

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Même GroenLinks/PvdA, dirigé par l’ex-commissaire européen Frans Timmermans, veut maintenant réduire considérablement l’afflux de réfugiés. Mais les dirigeants de gauche accusent M. Wilders de semer la haine avec de petites phrases provocatrices, telles que: « Les Néerlandais en ont assez de voir certains quartiers de Rotterdam ressembler à Marrakech » ou encore: « Les vieux partis ont transformé les Pays-Bas, en un demi-siècle, en un pays à moitié arabe. »

L’immigration n’est pas le seul sujet au cœur de la campagne. La crise du logement — pénurie, flambée des prix et listes d’attente interminables pour un logement social — y occupe également une place de choix. Beaucoup de Néerlandais reprochent aux politiques de réserver en priorité les logements sociaux aux réfugiés régularisés. Une frustration qui nourrit le ressentiment envers les immigrés. Le déclin de l’État-providence figure aussi parmi les thèmes phares. M. Wilders promet de le restaurer, finançant ses mesures grâce, dit-il, à la suppression de l’aide au développement et au renvoi des réfugiés syriens ainsi qu’à la fermeture des centres de demandeurs d’asile.

Une image à adoucir ?

Fait rare, en fin de campagne, M. Wilders a présenté des excuses pour le comportement de deux de ses députés, auteurs d’un photomontage réalisé à l’aide d’intelligence artificielle montrant M. Timmermans vidant la poche d’un Néerlandais pour donner l’argent à une femme voilée. Ce geste a été interprété comme un gage de modération envers de possibles alliés…. Le chef du PVV a juré qu’il serait cette fois un partenaire « loyal » si son parti sortait à nouveau vainqueur des urnes. Reste à savoir si quelqu’un le croira ?

Pierre Gentillet contre les zadistes

Des étudiants veulent virer l’avocat Pierre Gentillet de la Sorbonne, l’accusant d’être trop à droite pour eux.


Le pluralisme n’a jamais été la spécialité des amphithéâtres militants. De Sylviane Agacinski à Bordeaux à François Hollande à Lille, on se souvient que plusieurs conférences ont été annulées ces dernières années sous la pression de groupuscules d’extrême gauche. Leur méthode est rodée : empêcher de parler quiconque ne porte pas le tampon « antifasciste ». Mais depuis l’affaire Gentillet à Paris 1, la censure franchit un palier : il ne s’agit plus seulement d’interdire la parole des invités, mais aussi de chasser ceux qui enseignent.

À la Sorbonne, la chasse aux « profs réacs » est ouverte. Avocat, ancien chroniqueur de CNews, et professeur contractuel en droit depuis huit ans, Pierre Gentillet est accusé par Révolution Permanente d’être un « ex-candidat RN » et le « fondateur de la Cocarde Étudiante ». L’article, publié le 22 octobre, a déclenché l’habituelle curée numérique: relais syndical du groupe Alternative, appels au renvoi, injures, menaces. Bref, l’arsenal complet du lynchage moral. Le verdict militant est sans appel : « Qu’il dégage ! ».

https://twitter.com/SAParis1_/status/1981379911869747340

La faute ? Il est de droite !!

Que reproche-t-on à Pierre Gentillet ? D’avoir fondé, en 2015, un syndicat étudiant souverainiste, d’avoir pris position dans les années 2010 sur la Syrie et la Russie comme le faisaient à l’époque Jean-Pierre Chevènement ou Jean Lassalle, et d’avoir osé se présenter en 2024 sous l’étiquette du Rassemblement national dans le Cher, où il avait frôlé la victoire. Rien de plus. Aucun incident en cours, aucune plainte d’étudiant, aucune dérive pédagogique. Seulement un délit d’opinion, donc.

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L’avocat s’est fait connaître dans les médias durant la crise du Covid par ses critiques du passe vaccinal et du pouvoir excessif du Conseil constitutionnel. C’est d’ailleurs ce dernier point qui lui valut d’être cité dans une vidéo sans nuance de l’inquisiteur télévisuel Clément Viktorovitch (moraliste qui s’est fait connaitre, ironie du sort, lui aussi sur CNews) intitulée TUTO : comment reconnaître le FASCISME [1]. Le « détecteur de ficelles rhétoriques » y voyait en effet un « fasciste en cravate », l’élégance constituant sûrement une circonstance aggravante. La vidéo, d’une pauvreté confondante, aura mis près d’un an à être recyclée par Révolution Permanente

Depuis, la machine s’emballe : réseaux en feu, menace sur la reconduction de son contrat. « Je ne me fais pas d’illusions », confiait-il au Journal du Dimanche. « On m’écartera poliment, comme on éteint une lampe qu’on juge inutile. » Il se défend pourtant d’avoir confondu ses cours avec des meetings : « Jamais je n’ai mêlé mes convictions à mes cours, j’ai toujours respecté la diversité des opinions et encouragé la réflexion libre ».

Quand l’extrême gauche s’attaque aux précaires

Ironie du sort : l’extrême gauche, d’ordinaire si prompte à défendre les travailleurs précaires, s’en prend ici à l’un d’eux. Pierre Gentillet, simple contractuel, a dû demander la protection fonctionnelle prévue pour tout agent menacé dans l’exercice de ses fonctions. L’Université, prudente, se tait. Les « révolutionnaires inclusifs » triomphent : leur militantisme a trouvé une nouvelle cible, et cette fois dans la maison même du savoir.

Pourtant, les soutiens affluent. Anciens membres de la Cocarde, élus du RN, Marion Maréchal évidemment, mais aussi des voix inattendues : Jean-Éric Branaa, spécialiste des Etats-Unis peu suspect de sympathies trumpistes, et Patrick Weil, spécialiste reconnu de l’immigration, se sont indignés publiquement de cette cabale. Aucun communiqué syndical n’a d’ailleurs pu produire la moindre preuve de faute professionnelle lors des cours donnés par Gentillet.

https://twitter.com/BranaaJean/status/1982747202301689912
https://twitter.com/PatrickWeil1/status/1982712248851186143

De l’épuration à la fabrique du symbole

Au fond, Pierre Gentillet ne paie pas ses opinions, mais le droit d’en avoir. Sa mise au pilori illustre la dérive d’une université transformée en zone à défendre intellectuelle, où l’on trie les enseignants selon leur conformité idéologique. La fébrilité qui gagne désormais les rangs militants en dit long. Même certains journalistes du média ultra-spécialisé StreetPress parlent d’une « non-affaire[2] »…

Trop tard : la tentative d’épuration a déjà produit son effet paradoxal. En voulant chasser un professeur, les gardes rouges de la bien-pensance ont fabriqué un symbole. Et Pierre Gentillet, avocat, enseignant et citoyen engagé, incarne désormais un peu plus que sa propre cause : celle d’une liberté académique que l’on redécouvre, comme souvent, au moment où l’on tente de l’étouffer.


[1] https://www.youtube.com/watch?v=XVySCg0o84s

[2] https://x.com/joweisz/status/1982732580857262525

Danse: les chefs-d’œuvre de Martha Graham à Paris

Pour célébrer un siècle d’existence, la Martha Graham Dance Company revient enfin en France pour y démontrer la pérennité des grandes œuvres de la Parque américaine…


Jamais avant elle la danse ne s’était élevée au niveau de la tragédie antique.  Mais lorsque Martha Graham se pencha sur les grandes figures féminines de la mythologie grecque, Phèdre, Clytemnestre, Andromaque, Médée, Jocaste ou Cassandre, elle se rangea d’emblée à la hauteur d’Euripide et de Sophocle. Ou encore de Racine.

Des héroïnes antiques, la Parque américaine aura su l’art de dépeindre les passions les plus violentes, les douleurs les plus extrêmes, les plus déplorables destinées. Parfois encore leurs crimes les plus monstrueux, mais des crimes le plus souvent suscités par la brutalité, l’ambition, l’égoïsme des hommes.

Déjà cogne le drame

À l’instar des grands tragiques grecs, dès le lever du rideau, la chorégraphe propulse le spectateur sur une scène où déjà cogne le drame. La crise est à son paroxysme. Tout annonce un accomplissement fatal qu’elle dessinera avec une force, une éloquence inouïes.

Elle le fait avec une telle puissance, un tel sens du théâtre que durant des décennies quelques-unes des plus grandes actrices américaines viendront auprès d’elle s’enrichir de ce jeu dramatique pour instiller ainsi tout un expressionisme grahamien dans le cinéma de la grande époque d’Hollywood.

Aux États-Unis, on a pleine conscience de la grandeur de Martha Graham. Elle figure, selon les sondages d’opinion, parmi les icônes de la courte histoire du pays. Cela n’a pas empêché qu’à sa mort,  en 1991, aussi éclatante que soit sa réputation, sa compagnie ait manqué de sombrer, tant à cause du désintérêt des pouvoirs publics américains pour qui la culture ne sera jamais une priorité, que par la gestion maladive de celui qui s’était fait l’héritier de la chorégraphe. Même le légendaire studio de New York où furent conçus tant de chefs d’œuvre sera misérablement vendu pour qu’un immeuble de rapport soit bâti à son emplacement. Aux Etats-Unis, l’Histoire s’efface devant l’appât du gain.   

Il y a déjà tant d’occasion de souffrir…

Aujourd’hui cependant, par un singulier miracle, la compagnie perdure dans on ne sait quelles périlleuses conditions. Mais elle survit, un siècle après sa création en 1927, grâce à la foi, à la passion des interprètes de Martha Graham qui savent la valeur de cet héritage. Ce sont des femmes le plus souvent, magnifiques artistes qui se sont sacrifiées pour maintenir un répertoire qui devrait d’ailleurs être impérativement classé par l’Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’Humanité.

Lorsque Merce Cunningham, pour suivre sa propre voie et désavouer par là-même tout le travail de Martha Graham, quitta la compagnie de cette dernière où il avait été un extraordinaire danseur, ce fut pour elle un crime digne des Atrides. Et quand on lui demandait pourquoi elle n’allait jamais voir le travail du transfuge entretemps devenu célèbre, elle rétorquait qu’il y avait déjà tant d’occasions de souffrir dans l’existence qu’il était fou de s’en infliger de supplémentaires…

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Cependant, par une curieuse ironie du sort, c’est sa compagnie qui désormais occupe à Westbeth, dans le Village, les célèbres studios de la Merce Cunningham Dance Company désertés avec la dissolution de cette dernière et où venaient naguère en pèlerinage la plupart des acteurs de la danse contemporaine.

C’est donc à Westbeth, sous la conduite de Beverly Emmons, qu’on a répété les grandes pièces au programme de cette tournée que sont Cave of the Heart, Errand into the Maze, Diversion of Angels ou Chronicle.                 

On y a travaillé aussi des nouveautés commandées à des auteurs d’aujourd’hui pour ne pas figer la Martha Graham Dance Company dans une situation muséale et pour permettre aux danseurs de se confronter aux délices comme aux affres de la création.

Égorgé, décapité, émasculé, écrasé

Découvrir des chorégraphies d’Hofesh Shechter comme Cave ou de Jamar Roberts comme We the people,  exécutées par des interprètes qu’on espère aussi remarquables que le furent leurs prédécesseurs est une chose.

Redécouvrir des chefs d’œuvre de Martha Graham dont elle a également créé les costumes d’une rigueur qui les fait échapper à l’influence des modes, est toute autre chose. Et deux de ces chorégraphies appartiennent à ce cycle grec où elle fut, selon la formule consacrée, au sommet de son art.

Sur une partition de Samuel Barber, dans un décor d’Isamu Noguchi et sous les lumières de Jean Rosenthal, Cave of the Heart ( 1946) un titre qu’on pourrait traduire par Les profonds recoins du cœur, met en scène Médée violemment confrontée à l’amour naissant de son époux, Jason, l’Aeolide, pour Creüse, fille du roi de Corinthe. Dévorée par la jalousie et par l’indignation causées par la lâche trahison et l’ingratitude du héros à qui naguère elle avait tout sacrifié pour lui permettre de dérober la Toison d’Or, Médée y fait exploser sa fureur et son désespoir. Par l’horreur de ses crimes, la femme triomphe amèrement du mâle honni, ce qui fera dire à l’un de ces athlétiques danseurs qu’affectionnait la chorégraphe que durant toute sa carrière auprès d’elle, il ne se sera pas trouvé de spectacle où il n’ait été égorgé, décapité, émasculé ou écrasé avec la plus consciencieuse férocité.

Tout ce que j’ai fait est dans chaque femme

Sur une partition de Gian Carlo Menotti et toujours sous les éclairages de Rosenthal, Errand into the Maze (Errance dans le labyrinthe, 1947), se déploie dans une scénographie du même Noguchi pour qui les sinuosités d’une simple corde évoquent les méandres du dit labyrinthe, et de gigantesques ossements son entrée. Et ce n’est pas Thésée parti à la recherche du Minotaure qu’évoque ici la chorégraphie, mais bien Ariane demeurée en retrait du combat, en proie à une terreur et à une anxiété qu’elle parvient finalement à vaincre.  D’Ariane, Martha Graham a fait  la Femme ; de la corde, le cheminement de sa pensée dans le dédale de son subconscient ; du Minotaure ses terreurs ; de la victoire sur le monstre sa libération. Le tout dans des enchaînements magistraux qui, comme dans la tragédie classique, illustrent la crise parvenue à son dénouement. Et dans un vocabulaire d’une extrême densité, sobre malgré sa prolixité, en ce sens où rien ne soit essentiel de ce qui a été dessiné par la chorégraphe.

« Tout ce que j’ai fait est dans chaque femme, avancera Martha Graham. Chacune est Médée, Jocaste, Judith, Phèdre ou Clytemnestre ».

La force et la dignité d’une femme face à l’idéologie nazie

Diversion of Angels (1948) sur une partition de Norman Dello Joio, chante l’amour sous ses diverses formes au sein de trois couples, amour strictement hétérosexuel, puritanisme de l’époque oblige. 

Cependant que Chronicle (1936) permet d’entrevoir l’engagement politique dont fit preuve Graham. Alors que des athlètes du monde entier se précipitaient à Berlin sans trop d’états d’âme pour participer aux Jeux Olympiques de 1936 organisés par les nazis, Graham eut la dignité de refuser l’invitation que les répugnants maîtres de Berlin lui avaient faite de s’y produire avec sa compagnie. « Je trouverais indécent de danser en Allemagne à l’heure actuelle. Tant d’artistes que je respecte et que j’admire y ont été persécutés… que je considère impossible d’accepter l’invitation d’un régime qui a voulu de telles choses ».

Sans exposer de scènes de guerre comme ce sera le cas avec Deep Song et Tragedy en 1937, où Graham dénonçait la Guerre d’Espagne déclenchée contre la République par les forces fascistes, le très politique Chronicle « dépeint la dévastation de l’esprit que la guerre laisse dans son sillage ».      

Cave of the heart, Martha Graham Dance Company

Les acclamations enfin

Dans les années 1960, Martha Graham fut si mal accueillie à Paris qu’elle décida de n’y plus mettre les pieds. On y étouffait alors  sous les effets de ce néo-académisme dérisoire où stagnait encore le Ballet de l’Opéra. Et la critique française, comme le public, tout entichés de cette esthétique mièvre et hors d’âge, se révélèrent incapables de mesurer le génie de la muse des Amériques. Il y eut même un crétin solennel, dans un grand quotidien de droite, pour imaginer faire un bon mot en couinant que « Martha Graham prenait les Français pour des Iroquois ».

Il faudra attendre le début des années 1980, quand le Festival de Chateauvallon, sous la direction artistique de Patrick Bensard, convia la compagnie dans son théâtre à l’antique sur les hauteurs de Toulon, pour briser enfin cette stupide incompréhension. Les publics avaient considérablement évolué. Dès lors, à la Biennale de Lyon, au Festival d’Avignon, au Colisée de Roubaix, au Théâtre du Châtelet comme à l’Opéra de Paris, les Français rendirent enfin justice à l’une des plus grandes artistes de son siècle. Et elle fut bien vengée de l’imbécillité de ses contempteurs quand, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, tous les spectateurs se levèrent dans un immense élan de respect et d’enthousiasme pour acclamer follement la très fragile nonagénaire apparaissant sur scène soutenue, portée par son entourage.  


Martha Graham Dance Company.
Deux programmes en alternance.
Du 5 au 14 novembre 2025 au Théâtre du Châtelet.
01 40 28 28 40 ou https://billetterie.chatelet.com

La dhimmitude pour les nuls

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Image d'illustration.

Se demander dans quelle mesure la notion discutée de “dhimmitude” (statut social du dhimmi, en terre d’islam) deviendrait aujourd’hui en Occident un comportement pré-adapté avant même d’être un statut est une question très provocatrice, mais qui ne peut plus totalement être balayée. Analyse.


Le terme de dhimmitude a été popularisé il y a trente ans par Gisèle Littman dans un livre intitulé La chrétienté d’Orient entre djihad et dhimmitude. C’est peu dire qu’il a été critiqué, provenant d’une historienne non académique publiant parmi des spécialistes de l’islam qui, à cette époque où la Shoah s’imposait dans la mémoire de l’Occident, soulignaient en général que l’islam par contraste avait laissé une place à ses minorités et pour qui l’Andalousie du Moyen Âge était l’exemple continuellement cité d’un glorieux «vivre ensemble», une image que les historiens d’aujourd’hui ont beaucoup nuancée.

Gisèle Littman, qui avait pris le surnom de Bat Ye’or, la fille du Nil, était née en Égypte, en avait été chassée comme la totalité de la communauté juive de ce pays et suspectait que l’argument de lutte contre le sionisme, appliqué à une communauté entière, cachait en réalité une hostilité plus diffuse à l’égard du judaïsme.

Si dhimmitude sent le soufre, le terme de dhimmi est bien connu

Si Bat Ye’or forgea le mot et le concept de dhimmitude, le terme dhimmi était déjà largement employé. Il est celui dont le statut relève de la dhimma, un pacte d’alliance. Ce mot apparaît dans la neuvième sourate, dite Tawba, une des toutes dernières, à une époque où Mahomet avait assuré son pouvoir. Il est écrit dans le Coran lui-même que les dernières révélations peuvent corriger des révélations plus anciennes. C’est dire l’importance de la sourate Tawba, le repentir, techouva en hébreu. Mais, contrairement à ce qu’on en dit, le mot de dhimma n’y vise ni les juifs, ni les chrétiens, mais les «hypocrites» ces soi-disant alliés de Mahomet qui ne l’ayant pas soutenu lors d’une expédition contre les byzantins, avaient brisé le pacte qui les liait à lui.

C’est plus loin dans la même sourate, mais sans le mot dhimma, qu’apparait l’obligation pour les «gens du Livre» de verser un impôt spécifique, la jaziya, attestant le caractère dominant de l’islam sur les autres monothéismes, une mesure plus douce que l’alternative réservée aux polythéistes, la conversion ou la mort. Un siècle plus tard un calife peu connu mais s’appelant Omar et hostile aux chrétiens et aux juifs, donna le nom de dhimma à cette obligation spécifique aux non-musulmans vivant en terre d’islam, accompagnée de diverses interdictions. Il fut prétendu que c’était là un pacte de protection.

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La dhimma a été appliquée avec une rigueur variable suivant les lieux et les époques dans l’immense espace islamique. Beaucoup d’historiens soulignent que la jaziya a été souvent légère, que la protection des minorités a été réelle, notamment dans l’empire ottoman où ces communautés s’administraient elles-mêmes sur le plan civil, et que, au fond, l’impôt de la dhimma remplaçait une obligation de combattre qui n’incombait qu’aux musulmans. ll y a en fait beaucoup à dire sur cette vision irénique de la domination de l’islam, comme en témoignent les conversions forcées, les restrictions religieuses, les persécutions des Almohades ou celles des Safavides d’Iran. Bat Ye’or, qui a utilisé des sources peu exploitées avant elle, a montré une situation des minorités en terre d’islam loin d’être idyllique.

Au cours du XIXe siècle, dans une série de réformes juridiques et administratives qu’on appelle les Tanzimats, les sultans ont aboli la pratique de la dhimma dans l’empire turc, une mesure qui a théoriquement transformé les non-musulmans en citoyens comme les autres. Théoriquement….

Comme on le sait, il n’y a aujourd’hui presque plus de juifs en terres musulmanes et les représailles exercées contre les juifs iraniens à la suite de la guerre des Douze jours montrent comme leur situation est fragile. Des minorités chrétiennes ont fait et font  aujourd’hui encore l’objet de persécutions dans plusieurs pays  musulmans, dans un silence général. La revendication de la supériorité intrinsèque de l’islam sur les autres religions, est indiscutablement un des moteurs les plus faciles à activer dans l’extension de ces violences.

Dans la neuvième sourate, il est précisé que lorsque les monothéistes paieront leur impôt, ils devront le faire en état d’humiliation. Le terme utilisé est ṣāghirūn. Beaucoup de ce que représente la dhimma provient de l’interprétation de ce mot. L’adjectif saghir, très courant, renvoie au champ sémantique de la petitesse. La plupart des exégètes musulmans d’aujourd’hui, y compris Qaradawi ou la mosquée el-Azhar écrivent que la dhimma, originellement liée à la rupture du pacte d’alliance par les hypocrites, fait référence à une situation de guerre qui était celle de l’islam des origines et n’a plus lieu d’être aujourd’hui. 

Ambiguïté

Mais il y a une ambiguïté à ce sujet: ce qui fut la dhimma dans l’histoire provient d’une situation différente, celle de domination qui fut pendant de nombreux siècles celle de l’islam par rapport à ses minorités, qui l’est encore dans certains endroits du monde et que certains islamistes rêvent de rétablir. Une telle situation laisse des traces dans les mentalités. Après la disparition officielle de la dhimma dans l’empire turc, il y eut beaucoup de réactions de mécontentement qui furent reprises et amplifiées par les réformateurs religieux du XXe siècle tels Rashid Rida puis son disciple Hassan el-Banna, créateur des Frères Musulmans.

La mise en cause d’un sentiment de supériorité considéré comme naturel et légitime est très difficile à accepter et est souvent vécue elle-même comme une humiliation, alors que dans le livre sacré, c’est le privilège du musulman que d’infliger une humiliation à autrui. Quand s’y ajoutent le succès de celui qui devrait être un inférieur et plus encore la défaite au combat face à lui, le ressentiment devient très fort. 

Ces réactions émotionnelles, qui ne se limitent d’ailleurs nullement à l’islam, laissent peu de traces dans les archives. Elles jouent un grand rôle dans l’histoire des hommes.

Quant à la dhimmitude, état de résignation devant une situation qu’on ne pouvait pas modifier, ce fut longtemps le lot des populations juives en terre chrétienne comme en terre d’islam. Cette résignation était une stratégie de survie efficace mais elle se payait par l’humiliation intériorisée. Le sionisme fut en quelque sorte une révolte contre la dhimmitude en milieu chrétien. Cette révolte fut réussie et rares sont les juifs qui voudraient revenir à l’état antérieur. Quant à l’attitude de soumission résignée que l’on peut voir ici et là dans un monde d’origine chrétienne essayant de ne pas voir la guerre qui lui est menée, je ne suis pas surpris que le terme de dhimmitude lui soit souvent attribué, même si les explications en sont évidemment bien plus complexes…

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Au temps de l’abondance agricole

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Image d'illustration Unsplash.

L’exécutif français a une fâcheuse tendance à mettre sur le dos de la crise environnementale les difficultés de nos agriculteurs… Opportuniste! Démonstration.


En juin, à la Conférence sur l’océan, à Nice, Emmanuel Macron déclarait : « On est au pire moment ! On a une crise qui est cinq crises en même temps : biodiversité, eau, alimentation, santé, changement climatique ». Le président reprenait ainsi le refrain de la crise environnementale.

Pourtant, si crise il y avait vraiment, nos conditions d’existence et, en particulier, nos ressources alimentaires devraient déjà se détériorer. Or, selon les données les plus récentes du Département de l’Agriculture des États-Unis (USDA), l’année 2025 devrait être une année de records pour les récoltes mondiales. Le maïs et le blé connaissent une hausse spectaculaire, le soja atteint également un niveau inédit, tandis que le riz se maintient à son maximum historique. Même les rendements, c’est-à-dire les quantités produites par hectare cultivé, grimpent eux aussi à des sommets pour ces grandes cultures. Autrement dit : nous produisons toujours plus, avec relativement moins de terres. D’autres productions suivent la même tendance : colza, huile de palme ou café sont aussi promis à des récoltes record. Bien sûr, certains produits connaissent des fluctuations annuelles, comme le coton ou le sucre. Et certaines cultures négligées, telles que le sorgho et le millet, stagnent.

Mais l’image d’ensemble est claire : malgré le réchauffement climatique, malgré la baisse de la biodiversité, malgré la prétendue détérioration de la qualité des sols, la production agricole mondiale continue de croître. Cette bonne nouvelle ne signifie pas qu’il n’y ait aucune raison de s’inquiéter. En particulier, le changement climatique représente une menace sérieuse pour l’agriculture. Mais comme cette production agricole en témoigne, il est faux d’affirmer que la crise est déjà là. Certes, les agriculteurs français peuvent être confrontés à des difficultés. Mais, au regard des bons résultats de la production mondiale, les responsables politiques ont beau jeu d’en attribuer la responsabilité à la situation environnementale plutôt qu’aux contraintes qu’eux-mêmes leur imposent.

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Internet, nouveau bouc émissaire d’Emmanuel Macron

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© Stephane Lemouton/SIPA / OPEN AI

Dans l’affaire du cyberharcèlement de Brigitte Macron, de trois à douze mois de prison avec sursis ont été requis contre les accusés. Pendant ce temps, son président de mari réunissait 200 experts des réseaux sociaux pour mener la contre-offensive. Lors d’une conférence consacrée à « la démocratie à l’épreuve des réseaux », il leur a adressé: « J’ai besoin de vous », estimant que « ce qui se joue avec les algorithmes, c’est l’émergence d’un nouveau pouvoir, à côté de l’exécutif, du législatif et du judiciaire, qui lui n’a pas encore de contrepouvoirs… »


La rumeur sur Brigitte Macron incite son mari à s’en prendre aux réseaux sociaux. Or le président commet une erreur d’analyse : il est lui-même, par sa parole démonétisée, la cause première de la cabale. Hier, le procureur de la République a requis, devant le tribunal correctionnel de Paris, des peines de prison avec sursis contre dix cyberharceleurs poursuivis pour avoir mis en doute le sexe de l’épouse du chef de l’État. Le même jour, Emmanuel Macron a lancé un débat sur l’impact des réseaux sociaux et d’internet sur la démocratie. Au prétexte de « créer les conditions d’un débat éclairé et apaisé », l’Élysée poursuit son idée fixe visant à mettre sous surveillance ce lieu indomptable et impertinent qu’est devenu le numérique et ses forums. La simultanéité des deux événements fait comprendre que le président cherche à instrumentaliser la fake news, relayée sur Twitter, qui assure que la « première dame » serait un homme ayant effectué une transition de genre. Ce faisant, Macron aggrave la défiance publique vis-à vis du discours officiel. Le pouvoir, en se retranchant derrière son récit émaillé de propagandes et de dénis, alimente les suspicions sur les vérités officielles. La crise sanitaire, qui a conduit l’État à imposer des slogans inexacts sur les vaccins (« Tous vaccinés, tous protégés ») a accentué la défiance entre le pouvoir et la société civile. Les aveuglements sur l’immigration de masse et l’insécurité produisent les mêmes doutes sur la bonne foi du pouvoir. L’obsession de Macron à réguler l’internet s’intensifie à mesure que son règne est contesté. La dérive liberticide du régime explique les outrages vengeurs que subit Brigitte Macron, à qui est reproché également une relation ambiguë avec l’élève de 15 ans, son futur époux, alors qu’elle en avait 39.

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La fable urbaine d’une substitution d’identité entre Jean-Michel Trogneux et Brigitte Macron aurait dû rester dans le répertoire des libelles ou des blagues bêtes et méchantes. Hier, Tiphaine Auzière est venue dire devant le tribunal combien sa mère souffrait de cette malveillance. Ce poison a trouvé de surcroit un accélérateur aux États-Unis à cause de l’influenceuse Candace Owens, irrationnellement déchaînée dans son obsession à nuire à l’épouse du président français. Cependant, s’il est une question que devrait se poser Macron, c’est de savoir pourquoi il projette sur son entourage intime autant de malveillances, qui trouvent un écho auprès d’une partie de l’opinion.

« L’ affaire Trogneux » doit être comprise comme le symptôme d’une opinion qui, à force de s’être laissée abusée par trop de mensonges d’État, ne croit plus ce qu’on lui dit. Au point de prendre les démentis officiels pour des aveux. Dans Génie du christianisme, Chateaubriand a écrit : «  Un gouvernement pervers introduit le vice chez les peuples, comme un gouvernement sage fait fructifier la vertu ». C’est cette corruption des esprits qui s’observe, au détriment d’une femme profondément meurtrie par ses harceleurs. Mais le vrai coupable est à l’Élysée.

Gérald Darmanin à l’École des sorciers…

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Le ministre de la Justice Gérald Darmanin à Bordeaux, 24 octobre 2025 © UGO AMEZ/SIPA

Gérald Darmanin était face à des élèves de l’École nationale de la magistrature ce vendredi. Les magistrats doivent davantage ressembler au peuple français et surtout faire leur aggiornamento, sinon cela finira mal pour « l’État de droit », a prévenu le garde des Sceaux.


Le garde des Sceaux s’est rendu à Bordeaux pour rencontrer les élèves magistrats de l’École nationale de la magistrature et leur annoncer les changements qu’il envisageait. Il a également dialogué avec une soixantaine d’enseignants et confirmé dans ses fonctions de directrice Nathalie Roret.

Il faut que jeunesse se passe…

La promotion « État de droit » était mobilisée. Mais, sur les 468 auditeurs de justice, seuls 250 étaient présents dans l’amphithéâtre.

Est-il permis de s’étonner du choix d’« État de droit » comme dénomination, alors que sa contestation, dans le climat actuel, n’est pas illégitime et qu’il aurait été plus fort, symboliquement, d’arbitrer en faveur d’une incarnation exemplaire, ou même d’une victime à laquelle on aurait rendu hommage ?

Avant d’en venir à la teneur des propos du ministre, j’avoue ma surprise devant la manière infantilisante dont ont été prévues et programmées les questions adressées à Gérald Darmanin. Comme si l’on n’avait pas pu, tout simplement, laisser les auditeurs formuler librement leurs interrogations – en espérant, pour toutes, une forme maîtrisée.

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Le comble du ridicule a été atteint avec « un petit happening » au cours duquel deux auditrices et un auditeur ont proféré trois banalités vaguement contestataires, évidemment applaudies à tout rompre.

Le garde des Sceaux envisage pour l’ENM – il a rappelé que tous les futurs candidats à l’élection présidentielle souhaitaient sa disparition – « une réforme en profondeur du concours et du recrutement, l’introduction de modules d’enseignement consacrés au monde économique et financier, à la connaissance des rouages administratifs et étatiques, des cours de management, mais aussi l’obligation de mobilité des magistrats ».

Ce n’est pas sur ce plan que je discuterai le propos, au demeurant revigorant, de Gérald Darmanin : on garde l’ENM, mais on la réforme. Je suggérerais volontiers que la culture générale – classique et contemporaine – ne fût pas oubliée !

En revanche, si j’admets que « si l’on ne change pas quelque chose, cela va mal se passer avec une population qui ne se sent pas représentée », je suis beaucoup plus réservé, non sur « l’ouverture méritocratique », mais sur l’idée « d’une magistrature qui doit changer et ressembler à ceux qu’elle juge, pour retrouver la confiance des justiciables ».

La justice et les démagogues

Je crains que cette aspiration, destinée à plaire immédiatement à une majorité de citoyens, ne soit un zeste démagogique. Car la difficulté réside dans le fait que rêver d’une magistrature plus conforme à la composition sociologique de notre pays est une chose, mais vouloir « qu’elle ressemble à ceux qu’elle juge » en est une autre.

En effet, je crois que la magistrature a trop souvent cultivé, dans ses apparences, dans ses pratiques, dans ses rapports avec autrui et dans sa volonté de mimétisme social, politique et syndical, l’obsession de se rapprocher des comportements ordinaires, pour qu’on puisse, sans danger, pousser encore plus loin la dilution de la Justice dans le commun.

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Que la diversification du corps s’amplifie et s’enrichisse, soit ; mais rien ne serait pire que l’abolition de la distance, de la tenue, de cette légitimité et de cette autorité qui, dans les temps de crise que nous vivons, constituent le moyen le plus radical de perdre l’estime des citoyens et le respect des politiques. Profondément, la magistrature peut avoir des origines multiples, mais pour rien au monde le magistrat ne doit être comme tout le monde : sinon, il perd tout crédit pour juger. Cet écart nécessaire, c’est sa force et son honneur. Le faire « ressembler à ceux qu’il juge », ce serait aggraver gravement son déclin. Et ce serait la banalisation d’une institution qui ne se remet pas d’avoir été, et de ne plus être, ou médiocrement.

Alors que rien n’est irréversible et que tout est ouvert pour 2027.

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Le général de Gaulle à Damas

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Sur la place des Omeyyades, une foule en colère a renversé la statue de Hafez al-Assad, symbole de l’ancien régime désormais déchu, Damas, Syrie, le 15 décembre 2024 © Sadak Souici/ZUMA/SIPA

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle proclamait l’indépendance de la Syrie. Même si l’influence française est encore perceptible dans la Syrie d’aujourd’hui, Emmanuel Macron ne doit pas brûler les étapes avec Ahmed al-Charaa, le nouvel homme fort de Damas.


Alors que la Syrie vit aujourd’hui sous le régime d’Abou Mohammed Al-Julani, après la chute des Assad en 2024, la question de sa souveraineté reste posée. Le régime Assad, soumis depuis 1979 à l’influence iranienne, était devenu un relais de Téhéran, dépendance accentuée après 2011. Celui d’Al-Julani s’appuie désormais sur les puissances sunnites, dont l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar et la Turquie, déplaçant la tutelle étrangère de l’axe chiite vers l’axe sunnite.

Voyage oublié

Dans ce jeu de dépendances régionales, la France ne peut rester spectatrice. Un siècle plus tôt, elle façonna la Syrie moderne et négocia son indépendance sous Léon Blum, restée sans effet faute de ratification. En 1941, le général de Gaulle proclama cette indépendance à Damas après la victoire des Forces françaises libres sur les troupes vichystes et nazies. Le départ du dernier soldat français en 1946 scella cette transition, consacrant la Syrie comme un État souverain et démocratique, paradoxe face à la réalité actuelle. Ce voyage de De Gaulle, souvent oublié, fut une tentative de conjuguer puissance et liberté sur le Levant.

À la suite de la libération de la Syrie et du Liban, intervenue en juin-juillet 1941 à l’issue de l’offensive des forces franco-britanniques contre les autorités vichystes, soutenues par l’Allemagne nazie, le général de Gaulle se rendit à Damas afin d’y affirmer la légitimité de la France libre. Cette opération fut conduite avec l’appui de contingents issus de l’Empire britannique — notamment indiens, canadiens et australiens — ainsi que de combattants judéo-arabes engagés aux côtés des Alliés.

Winston Churchill déclara : « We must not lose Syria. »

À cette époque, la Syrie et le Liban étaient tombés sous le contrôle des autorités vichystes, alliées objectives de l’Allemagne nazie. La France était occupée, et l’Empire britannique faisait face à de vives difficultés au Proche-Orient. En Iran, le chah Reza Pahlavi manifestait des sympathies à l’égard du régime hitlérien ; en Irak, le coup d’État de Rachid Ali al-Gillani avait renversé la monarchie hachémite pour établir un gouvernement favorable à l’Axe ; et en Égypte, le roi Farouk était soupçonné de maintenir des communications discrètes avec l’Italie fasciste de Mussolini.

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La Palestine mandataire demeura fidèle aux Alliés durant la Seconde Guerre mondiale, devenant ainsi un point d’appui stratégique pour le lancement des opérations de libération de la Syrie et du Liban. Toutefois, l’élite arabe du Proche-Orient était profondément divisée. Certaines figures influentes, telles que Moustafa el-Nahhas, Badia Masabni ou Taj al-Din al-Hassani, apportèrent un soutien clair aux puissances alliées. D’autres, en revanche, s’alignèrent ouvertement ou de manière plus discrète sur les forces de l’Axe, à l’image de Reza Pahlavi en Iran, du mufti de Jérusalem Amine al-Husseini, ou encore de Rachid Ali al-Gillani en Irak.

Enfin, la Syrie est libérée. Le général de Gaulle y fait son entrée et proclame l’indépendance du pays, mettant ainsi fin à ce que l’on appelait autrefois « la Syrie française » — territoire du mandat, également désigné sous les appellations de Syrie mandataire ou République syrienne sous mandat.

La France entra en Syrie en 1920, à la suite de la bataille de Mayssaloun, qui opposa les troupes du ministre de la Guerre Youssef al-Azma aux forces françaises métropolitaines, sénégalaises et marocaines, placées sous le commandement du général Henri Gouraud. En Syrie, depuis l’entrée de Lawrence d’Arabie à Damas en 1918, le prince Fayçal s’était proclamé roi du royaume arabe de Syrie. Toutefois, le gouvernement français, dirigé par Raymond Poincaré, refusa de reconnaître cette monarchie naissante lors de la Conférence de la paix à Paris.

Le président Raymond Poincaré avait donné des assurances au chef de l’Église maronite, Élias Pierre Hoyek, en faveur de la création d’un Grand Liban. Par la suite, le général Henri Gouraud, nommé premier haut-commissaire de la République française au Levant, procéda à la fondation de l’État du Grand Liban en 1920. Dans une logique de division administrative du territoire syrien sous mandat, il établit également d’autres entités politiques : l’État d’Alep, l’État de Damas, l’État des Druzes et l’État des Alaouites.

La France établit ensuite l’Union syrienne, en regroupant l’État d’Alep, l’État de Damas, l’État des Alaouites et l’État des Druzes sous une entité administrative unifiée. Sobhi Barakat en fut nommé président, et la ville d’Alep fut choisie comme capitale de cette union. Les territoires de la Syrie actuelle correspondent, dans leur grande majorité, à ceux qui composaient l’Union syrienne établie sous mandat français.

Le passage chaotique du général Sarrail

Des tensions ont existé entre les autorités françaises et les populations syriennes et libanaises ; cependant, plusieurs hauts responsables militaires s’efforcèrent d’établir de bonnes relations avec la société civile ainsi qu’avec les autorités religieuses, tant chrétiennes que musulmanes, ce qui permit d’atténuer en partie les conflits. Cette relative accalmie fut toutefois remise en question avec la nomination du général Maurice Sarrail au poste de haut-commissaire de la République française. Ce dernier, connu pour ses positions ultra-laïques et son attachement au jacobinisme républicain, heurta les sensibilités locales et raviva les tensions.

Le général Maurice Sarrail laissa derrière lui un passage chaotique, marqué par de graves tensions et des conséquences tragiques. Abordant les réalités religieuses locales avec le prisme d’un laïcisme rigide hérité du contexte français, il heurta profondément les sensibilités des autorités spirituelles, tant musulmanes que chrétiennes. La révolte éclata d’abord dans le Jebel druze, avant de s’étendre au-delà du sud et d’embraser une partie du territoire syrien. Damas fut durement touchée, subissant des bombardements qui provoquèrent l’émoi au Levant comme en métropole. Les tensions et polémiques parvinrent jusqu’à Paris, où certains responsables politiques allèrent jusqu’à réclamer le retrait immédiat de l’armée française. Le gouvernement du président Gaston Doumergue refusa cependant d’abandonner la Syrie et le Liban au chaos. Il prit néanmoins la décision de limoger le général Sarrail, afin de calmer les esprits et de restaurer une forme de stabilité dans la région.

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La France décida de fonder la République syrienne en collaborant avec plusieurs intellectuels et notables syriens. Des figures politiques et culturelles issues de diverses confessions, telles que Saïd Ghazzi (musulman sunnite), Fares Khoury (chrétien orthodoxe) et Ibrahim Hanano (d’origine kurde), furent chargées de rédiger la première Constitution de la République syrienne. Ce texte remarquable, d’une qualité juridique et démocratique largement supérieure à celles imposées plus tard sous les régimes des Assad et de Jolani, affirmait avec force les principes de souveraineté, de pluralisme et d’indépendance nationale.

Le haut-commissaire français, Henri de Jouvenel, tenta toutefois d’y insérer une clause conférant au poste de haut-commissaire une autorité supra-constitutionnelle. Cette exigence fut catégoriquement rejetée par les représentants syriens. En réaction, et afin de contourner ce refus, Henri de Jouvenel fit adopter la Constitution par décret.

Une influence française encore perceptible aujourd’hui

Léon Blum accède au pouvoir en 1936 et engage les négociations en vue de l’indépendance de la Syrie. Une délégation syrienne se rend à Paris pour entamer un long processus diplomatique qui durera six mois. Un accord est finalement trouvé, mais le gouvernement du Front populaire ne parvient pas à le faire ratifier par le Parlement français. Le texte demeure ainsi lettre morte, relégué aux archives. Ce sera finalement la légitimité révolutionnaire de la France libre et de la Résistance qui permettra au général de Gaulle de proclamer l’indépendance de la Syrie.

De 1941 à 1946, la France demeura présente en Syrie, bien que dans une position affaiblie, ne conservant son influence que grâce au soutien britannique, notamment celui de Winston Churchill. Finalement, elle se résolut à retirer ses troupes et quitta définitivement la Syrie et le Liban en 1946.

Pourtant, l’influence française demeure perceptible jusqu’à aujourd’hui. De nombreux mots français ont été intégrés au dialecte syro-libanais, tels que bougie, toutou, marmiton, avance, en arrière, vase, etc. Par ailleurs, la France a longtemps constitué un refuge pour les intellectuels syriens fuyant les dictatures baasistes et nasséristes. Les diplômés des universités françaises ont figuré parmi les cadres les plus éminents de l’enseignement supérieur syrien. Leur formation, reconnue pour sa rigueur et sa qualité académique, tranchait nettement avec celle de certaines vagues de professeurs formés dans les pays du bloc soviétique, où l’encadrement pédagogique se révélait souvent insuffisant.

Plus de quatre-vingts ans après que le général de Gaulle proclama l’indépendance de la Syrie, la France semble avoir perdu le fil de son rôle au Levant. Héritière d’une influence ancienne, elle pourrait pourtant redevenir une puissance d’équilibre, fidèle à l’esprit des Lumières et à l’idéal d’émancipation qui guida jadis son action. Encore faut-il qu’elle dépasse les ambiguïtés d’une diplomatie hésitante, illustrées par l’accueil précipité d’Emmanuel Macron à Abou Mohammed Al-Julani en mai 2025, suivi d’une rencontre à New York en septembre, peu après son arrivée au pouvoir et les massacres perpétrés sur la côte syrienne.

Une telle hâte tranche avec la prudence de Pompidou, Giscard d’Estaing et Mitterrand, qui avaient attendu avant de tendre la main à Hafez Al-Assad, notamment après les massacres de Hama. Pour la France, meurtrie par le terrorisme islamiste mais toujours porteuse d’un idéal universel, renouer avec la Syrie ne peut se limiter à un symbole : il s’agit de retrouver le sens d’une politique orientale fidèle à son histoire et à sa vocation.

Vérité en deçà du Rhin, erreur au-delà

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Le chancelier allemand Merz photographié à Berlin le 29 octobre 2025 © Ebrahim Noroozi/AP/SIPA

En affirmant que les migrants demeurent « un problème dans le paysage urbain », le chancelier allemand Friedrich Merz provoque un tollé.


Je ne croyais pas prononcer cette phrase un jour mais oui quelle chance d’être Allemand ! Je ne dis pas ça par goût immodéré des saucisses, des BMW ou des marécages philosophiques, mais parce que le chancelier Merz manifeste une liberté de pensée et de parole inconnue chez nos dirigeants.

Le 14 octobre, interrogé sur les migrants, il parle d’un problème non résolu dans le paysage urbain. Derrière cette traduction littérale donnée par la presse française, il vise à l’évidence la délinquance et l’insécurité de rue. Une semaine plus tard, alors qu’on lui demande de s’expliquer, il met les pieds dans le plat: « Demandez à vos filles, elles vous diront qui leur cause des problèmes le soir ». Tollé, les belles âmes manifestent devant le siège de la CDU, hurlent à l’afdisation des esprits, la gauche du parti se bouche le nez. Merz précise qu’il parlait seulement des migrants délinquants en situation irrégulière. De toute façon les Allemands l’ont compris. 64% l’approuvent.

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Pourquoi suis-je jalouse ? Si Sébastien Lecornu prononçait cette phrase, il serait immédiatement traîné devant les tribunaux. Nos dirigeants et nos élus rivalisent dans la soumission au politiquement correct et dans le déni. Pas seulement par peur du bad buzz ou par envie d’être félicité par Le Monde, mais parce qu’une grande partie de nos élites pense vraiment que s’inquiéter de l’immigration ou la refuser est un signe d’étroitesse d’esprit voire de racisme.

Donc, contrairement à Merz, nos gouvernants ne voient toujours pas ce qu’ils voient :

  • Que l’islamisme qui a tué en janvier et en novembre 2015 se déploie encore sur tout le territoire depuis 10 ans ;
  • Que les émeutes de 2005, dont on célèbre les 20 ans, n’ont pas été engendrées par la relégation sociale mais par le séparatisme ethnico-religieux. Ils expliquent d’ailleurs encore que le problème ce sont les subventions trop modestes dans les banlieues ;
  • Que l’antisémitisme et la délinquance sont très largement nourris par l’immigration et par une partie de sa descendance ;
  • Que la majorité des agressions sexuelles de voie publique sont commises par des jeunes hommes venus de cultures qui enferment, bâchent ou voilent les femmes et qui considèrent donc qu’une femme libre est à prendre. Non, nos belles âmes préfèrent parler du « patriarcat ».

Alors oui, que toutes ces grandes consciences demandent à leurs filles de quoi et de qui elles ont peur le soir. Mais, beaucoup sont tellement aveuglées par leurs bons sentiments et leurs ambitions politiques qu’elles n’entendent déjà pas leurs électeurs. Je ne suis pas sûre qu’elles écoutent leurs enfants.

Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez notre directrice de la rédaction dans la matinale.

«Cent tribalistes auront toujours raison de mille individualistes»

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2015 © WITT/SIPA

Avec les 20 ans des émeutes urbaines déclenchées par la mort de Zyed et Bouna, on reparle des fameux « territoires perdus ». La France n’est plus minée seulement par l’islamisme, mais par le tribalisme solidaire – cette loyauté clanique, héritée des sociétés sans État, qui structure désormais nombre de quartiers, estime cette tribune. Sous couvert de paix sociale et de discours antiracistes, le pouvoir s’y soumet comme un dhimmi payant la djiziah à ses émirs locaux… Le résultat ? Un «Républi-clanisme», où la loi du groupe remplace celle de la République. Une analyse de David Duquesne, auteur de Ne fais pas ton Français (Grasset).


Ne fais pas ton Français !: Itinéraire d'un bâtard de la République

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Le tribalisme solidaire : la force obscure des sociétés sans État

Dans Ne fais pas ton Français, j’évoque ce que j’ai appelé l’ivresse du tribalisme solidaire. Cette fraternité communautaire viscérale lie les membres d’un même clan au détriment du droit, de la vérité et de la justice. Un vieux proverbe arabe en résume la logique :
« Moi contre mon frère, mon frère et moi contre mon cousin, mon cousin, mon frère et moi contre l’étranger. »

Ce réflexe n’est pas un vestige anthropologique : il structure encore la sociologie de certains territoires français.

Je l’ai vu de mes yeux à Sallaumines, dans le bassin minier du Pas-de-Calais, à la fin des années 1980.

Un homme ivre, sans défense, fut lynché par une dizaine de jeunes, tous d’origine maghrébine, sous le regard passif de la foule.

L’un d’eux me lança fièrement : « C’est ça, la solidarité musulmane. » Cette phrase m’a vacciné contre la naïveté. J’avais sous les yeux le cœur du problème : une solidarité de clan, capable du meilleur – l’entraide, la chaleur, la loyauté – mais aussi du pire : la justification de la violence collective, la négation du juste.

Des tribus du Maghreb aux quartiers perdus de la République

Ce que j’ai observé à Sallaumines n’était pas un hasard, mais la réactivation d’un vieux schéma culturel importé des sociétés maghrébines.

Là-bas, la structure clanique – la hamula – repose sur un principe de solidarité absolue : l’agression d’un membre est vécue comme une attaque contre tout le groupe.

Ce système fit la force des conquérants arabes et berbères d’Al-Andalus, mais aussi la cause de leurs divisions internes.

Or, dans une société d’État centralisé comme la France, ce modèle devient explosif : il fragmente l’espace civique et substitue à la loi républicaine la loi du groupe.

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Partout où l’État recule, le clan avance.

Là où la police ne va plus, les caïds deviennent les chefs de guerre, s’appuyant sur le même mécanisme de loyauté tribale : ne jamais livrer un membre de la communauté à une autorité extérieure.

C’est ce ciment invisible qui explique la puissance des caïds, des islamistes et des indigénistes : ils exploitent la solidarité primaire d’un groupe refermé sur lui-même.

De la solidarité à la domination : le caïd comme figure centrale

Dans la culture arabo-musulmane, le caïd n’est pas un voyou au sens français, mais un meneur d’hommes, un chef respecté, capable d’assurer la sécurité et la prospérité du clan par la force. Son autorité repose sur la domination, non sur le droit. Battre un policier, humilier un professeur ou insulter un représentant de l’État n’est pas vu comme un crime, mais comme une victoire symbolique sur la puissance étrangère. Ainsi se maintient une hiérarchie parallèle : celle du pouvoir clanique, fondé sur la peur et la fierté, qui se substitue au pouvoir légitime de l’État.

Cette logique s’étend désormais aux territoires perdus de la République, où règnent des équilibres tacites, des « pactes de non-agression » entre élus locaux et chefs de quartiers. On achète la paix sociale avec des subventions, comme les dhimmis d’autrefois payaient la djiziah, l’impôt de capitation, aux émirs andalous pour ne pas être massacrés.

La soumission a simplement changé de forme : elle est devenue budgétaire, clientéliste et idéologique.

L’aveuglement des élites : l’éléphant dans la pièce

Le tribalisme solidaire est l’angle mort des sciences sociales françaises. On parle de pauvreté, de chômage, de racisme systémique, mais jamais du facteur culturel, car il heurte la doxa universaliste et met en péril la narration victimaire.

Résultat : la gauche postcoloniale, les universitaires indigénistes et une partie de la droite technocratique s’accordent sur un même mensonge confortable : celui d’un État oppresseur face à des victimes structurelles. Ce déni n’est pas seulement moral, il est mortel pour la nation. Car tant que la République refusera de nommer le tribalisme, elle nourrira le monstre – un monstre qui ne se bat pas pour des idées, mais pour le butin, le territoire et l’honneur du clan.

Al Françalus, ou la République en trompe-l’œil

La France a désormais son Al Françalus : un territoire de coexistence illusoire, un califat Potemkine bâti sur le déni et la culpabilité. Les façades restent républicaines, les institutions fonctionnent encore, les discours sont truffés de références à la fraternité, à la laïcité, à l’égalité. Mais derrière ce décor, la réalité se délite. Les mêmes mots recouvrent d’autres sens : la fraternité devient communautarisme, la tolérance devient capitulation, et la laïcité devient neutralisation de la France elle-même.

Le Républi-clanisme, c’est cela : une République vidée de sa substance, infiltrée par les logiques tribales qu’elle ne comprend plus et qu’elle n’ose plus combattre.

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Les élus locaux pactisent avec les seigneurs du quartier, les associations communautaires se substituent aux institutions, et la peur s’installe dans le quotidien des citoyens ordinaires, devenus étrangers chez eux.

On assiste à un phénomène paradoxal : la France n’est plus coloniale, elle est recolonisée. Non par la force d’une armée, mais par l’idéologie, la démographie et la lâcheté. Les anciens colonisés ont importé leurs structures claniques, leurs réflexes d’allégeance, leur vision hiérarchisée du monde. Et l’État, rongé par la culpabilité postcoloniale, s’interdit d’y opposer sa propre verticalité. Il abdique son rôle de souverain, se réduit à une ONG qui distribue la paix sociale à crédit. Cette démission ouvre un espace où prospèrent les caïds, les islamistes et les militants indigénistes, qui jouent chacun leur partition dans la même symphonie : celle du tribalisme triomphant. Les uns dominent par la violence, les autres par la foi, les derniers par le discours victimaire. Le résultat est identique : la République s’efface, le clan règne.

La France, en somme, n’est plus un État-nation : elle devient une mosaïque de tribus, où la force du groupe l’emporte sur la loi commune. Une Al Françalus à visage démocratique, où les dhimmis d’aujourd’hui s’appellent contribuables, fonctionnaires, professeurs, policiers. Ils paient la djiziah moderne : impôts, subventions, silences et excuses. Tout cela pour ne pas être massacrés symboliquement, pour éviter d’être traités de racistes, d’islamophobes ou d’extrémistes.

Revenir au réel, ou Seinesaintdeniser tout le pays

Le choc viendra si la France ose regarder le réel en face, si elle se rappelle qu’elle n’est pas une idée mais une civilisation.

La chute, en revanche, se produira si elle continue de se raconter qu’il suffit de “vivre-ensemble” pour que la guerre des clans s’éteigne d’elle-même.

Mais si l’on fait enfin le bon diagnostic, alors il faut en tirer des conséquences concrètes.

Il faut revoir la politique migratoire, non par haine mais par lucidité, pour ne pas reproduire sur le sol français les structures claniques des pays d’origine. Et il faut repenser la politique du logement, afin de rompre avec les logiques de concentration ethnico-culturelle qui servent d’incubateurs à ces normes socioculturelles. En continuant à regrouper, par “solidarité”, ceux qu’il faudrait mêler à la cité commune, on organise la sécession du pays réel. La France ne peut pas rester une mosaïque de “douars urbains” subventionnés, où le vivre-ensemble se transforme en vivre-à-part. Si nous persistons dans cette voie, nous Seinesaintdeniserons tout le pays — et ce mot-là dit bien ce qu’il veut dire : transformer la nation entière en un territoire morcelé, où la loi du clan se substitue à la loi commune.

Nous aurons alors cru la sauver par la tolérance pendant que nous l’étranglions par le mensonge. La chroniqueuse Sabrina Medjebeur l’a bien vu : il ne s’agit plus d’un problème de coexistence, mais de survie politique et morale. Il faudra une génération de Français décidés à reconstruire la cité, non sur la peur ou la repentance, mais sur la vérité nue du réel. Car comme le disait Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit. »

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Wilders: le syndrome du vilain petit canard

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Geert Wilders se fait prendre en photo lors de la campagne électorale aux Pays-Bas, septembre 2025 © Robin Utrecht/action pres/SIPA

Les Hollandais votent demain. Geert Wilders est favori du scrutin, mais…


Dans le pittoresque village de pêcheurs de Volendam, M. Geert Wilders a lancé, samedi, un avertissement solennel à ses partisans. « La démocratie néerlandaise mourra si notre parti est exclu du prochain gouvernement ! » a-t-il tonné, entouré de gardes du corps rendant tout contact avec le public difficile. Aussi, le chef du Parti pour la liberté (PVV) a dû hausser la voix pour se faire entendre lors de ce modeste meeting tenu en terrain conquis, à la veille des fameuses élections législatives anticipées du mercredi 29 octobre.

Celui qui n’a jamais été seul au moins une fois dans sa vie…

Tous les sondages le donnent encore gagnant. Le PVV pourrait décrocher une trentaine des 150 sièges de la Chambre basse. Mais cette victoire annoncée pourrait bien avoir un goût amer : la plupart des grands partis refusent désormais de s’allier une seconde fois à celui dont le goût du compromis n’a jamais été la principale vertu.

Ces derniers jours, l’écart entre le PVV et l’alliance de la gauche (GroenLinks/PvdA, union des écologistes et des travaillistes) s’est resserré. Tandis que le parti de M. Wilders perd un peu de terrain, les formations de gauche, les chrétiens-démocrates et les libéraux progressent légèrement. En début de campagne, M. Wilders semblait pourtant assuré d’égaler, voire d’améliorer, sa performance de novembre 2023, lorsque son parti avait remporté 37 sièges. Ce qui a changé en très peu de temps, selon des commentateurs, est la crainte réaliste de bien de ses partisans qu’un vote pour M. Wilders serait un vote perdu. Message martelé avec un certain succès par la gauche et la droite modérée, ou, selon M. Wilders, « molle ».

Menacé de mort

C’est que l’homme politique de 62 ans, qui vit sous des menaces de mort islamistes depuis deux décennies, est accusé d’avoir dynamité « sa » coalition gouvernementale sortie des urnes il y a près de deux ans. Qui avait suscité un immense espoir parmi le « peuple de droite ».

A relire, du même auteur: Les migrants, la fête au village et le parc d’attractions

L’été dernier, M. Wilders avait soudainement imposé à ses partenaires une liste de dix nouvelles mesures visant à durcir encore la politique migratoire. Face à leur refus, il avait brutalement retiré le PVV du gouvernement. Celui-ci, déjà fragilisé par des querelles incessantes et des résultats médiocres dans la lutte contre l’immigration extra-européenne, n’avait pas survécu. Le Premier ministre, M. Dick Schoof, sans étiquette, avait alors pris la poudre d’escampette, écœuré d’être en permanence la tête de Turc de M. Wilders, resté simple parlementaire.

Depuis, les anciens alliés du PVV — notamment les libéraux-conservateurs du VVD — ont fermé la porte à toute nouvelle coalition. Quant aux partis de gauche et aux chrétiens-démocrates, ils refusent catégoriquement de s’allier à celui qu’ils considèrent comme un « raciste », pourtant de « sang mêlé » néerlandais-indonésien.

JA21, le nouveau venu

Déçus, de nombreux électeurs du PVV semblent se tourner vers un autre parti de droite nationale, JA21, qui prône une ligne dure sur l’immigration mais souple dans sa volonté de former des coalitions. Nécessité absolue dans un pays où les 150 sièges du Parlement sont répartis entre une quinzaine de partis…

Ces derniers mois, les Pays-Bas ont connu une cinquantaine d’émeutes, parfois violentes, liées à l’accueil des demandeurs d’asile. D’après l’audiovisuel public, une trentaine de maires auraient cédé face aux manifestants. La fureur atteignit des sommets cet été après le meurtre d’une jeune Néerlandaise, Lisa, attribué à un demandeur d’asile africain déjà accusé de plusieurs agressions.

A lire aussi, Catherine Santeff: Le 7-Octobre, une nouvelle fracture pour la société française?

Même GroenLinks/PvdA, dirigé par l’ex-commissaire européen Frans Timmermans, veut maintenant réduire considérablement l’afflux de réfugiés. Mais les dirigeants de gauche accusent M. Wilders de semer la haine avec de petites phrases provocatrices, telles que: « Les Néerlandais en ont assez de voir certains quartiers de Rotterdam ressembler à Marrakech » ou encore: « Les vieux partis ont transformé les Pays-Bas, en un demi-siècle, en un pays à moitié arabe. »

L’immigration n’est pas le seul sujet au cœur de la campagne. La crise du logement — pénurie, flambée des prix et listes d’attente interminables pour un logement social — y occupe également une place de choix. Beaucoup de Néerlandais reprochent aux politiques de réserver en priorité les logements sociaux aux réfugiés régularisés. Une frustration qui nourrit le ressentiment envers les immigrés. Le déclin de l’État-providence figure aussi parmi les thèmes phares. M. Wilders promet de le restaurer, finançant ses mesures grâce, dit-il, à la suppression de l’aide au développement et au renvoi des réfugiés syriens ainsi qu’à la fermeture des centres de demandeurs d’asile.

Une image à adoucir ?

Fait rare, en fin de campagne, M. Wilders a présenté des excuses pour le comportement de deux de ses députés, auteurs d’un photomontage réalisé à l’aide d’intelligence artificielle montrant M. Timmermans vidant la poche d’un Néerlandais pour donner l’argent à une femme voilée. Ce geste a été interprété comme un gage de modération envers de possibles alliés…. Le chef du PVV a juré qu’il serait cette fois un partenaire « loyal » si son parti sortait à nouveau vainqueur des urnes. Reste à savoir si quelqu’un le croira ?

Pierre Gentillet contre les zadistes

Pierre Gentillet. DR.

Des étudiants veulent virer l’avocat Pierre Gentillet de la Sorbonne, l’accusant d’être trop à droite pour eux.


Le pluralisme n’a jamais été la spécialité des amphithéâtres militants. De Sylviane Agacinski à Bordeaux à François Hollande à Lille, on se souvient que plusieurs conférences ont été annulées ces dernières années sous la pression de groupuscules d’extrême gauche. Leur méthode est rodée : empêcher de parler quiconque ne porte pas le tampon « antifasciste ». Mais depuis l’affaire Gentillet à Paris 1, la censure franchit un palier : il ne s’agit plus seulement d’interdire la parole des invités, mais aussi de chasser ceux qui enseignent.

À la Sorbonne, la chasse aux « profs réacs » est ouverte. Avocat, ancien chroniqueur de CNews, et professeur contractuel en droit depuis huit ans, Pierre Gentillet est accusé par Révolution Permanente d’être un « ex-candidat RN » et le « fondateur de la Cocarde Étudiante ». L’article, publié le 22 octobre, a déclenché l’habituelle curée numérique: relais syndical du groupe Alternative, appels au renvoi, injures, menaces. Bref, l’arsenal complet du lynchage moral. Le verdict militant est sans appel : « Qu’il dégage ! ».

https://twitter.com/SAParis1_/status/1981379911869747340

La faute ? Il est de droite !!

Que reproche-t-on à Pierre Gentillet ? D’avoir fondé, en 2015, un syndicat étudiant souverainiste, d’avoir pris position dans les années 2010 sur la Syrie et la Russie comme le faisaient à l’époque Jean-Pierre Chevènement ou Jean Lassalle, et d’avoir osé se présenter en 2024 sous l’étiquette du Rassemblement national dans le Cher, où il avait frôlé la victoire. Rien de plus. Aucun incident en cours, aucune plainte d’étudiant, aucune dérive pédagogique. Seulement un délit d’opinion, donc.

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L’avocat s’est fait connaître dans les médias durant la crise du Covid par ses critiques du passe vaccinal et du pouvoir excessif du Conseil constitutionnel. C’est d’ailleurs ce dernier point qui lui valut d’être cité dans une vidéo sans nuance de l’inquisiteur télévisuel Clément Viktorovitch (moraliste qui s’est fait connaitre, ironie du sort, lui aussi sur CNews) intitulée TUTO : comment reconnaître le FASCISME [1]. Le « détecteur de ficelles rhétoriques » y voyait en effet un « fasciste en cravate », l’élégance constituant sûrement une circonstance aggravante. La vidéo, d’une pauvreté confondante, aura mis près d’un an à être recyclée par Révolution Permanente

Depuis, la machine s’emballe : réseaux en feu, menace sur la reconduction de son contrat. « Je ne me fais pas d’illusions », confiait-il au Journal du Dimanche. « On m’écartera poliment, comme on éteint une lampe qu’on juge inutile. » Il se défend pourtant d’avoir confondu ses cours avec des meetings : « Jamais je n’ai mêlé mes convictions à mes cours, j’ai toujours respecté la diversité des opinions et encouragé la réflexion libre ».

Quand l’extrême gauche s’attaque aux précaires

Ironie du sort : l’extrême gauche, d’ordinaire si prompte à défendre les travailleurs précaires, s’en prend ici à l’un d’eux. Pierre Gentillet, simple contractuel, a dû demander la protection fonctionnelle prévue pour tout agent menacé dans l’exercice de ses fonctions. L’Université, prudente, se tait. Les « révolutionnaires inclusifs » triomphent : leur militantisme a trouvé une nouvelle cible, et cette fois dans la maison même du savoir.

Pourtant, les soutiens affluent. Anciens membres de la Cocarde, élus du RN, Marion Maréchal évidemment, mais aussi des voix inattendues : Jean-Éric Branaa, spécialiste des Etats-Unis peu suspect de sympathies trumpistes, et Patrick Weil, spécialiste reconnu de l’immigration, se sont indignés publiquement de cette cabale. Aucun communiqué syndical n’a d’ailleurs pu produire la moindre preuve de faute professionnelle lors des cours donnés par Gentillet.

https://twitter.com/BranaaJean/status/1982747202301689912
https://twitter.com/PatrickWeil1/status/1982712248851186143

De l’épuration à la fabrique du symbole

Au fond, Pierre Gentillet ne paie pas ses opinions, mais le droit d’en avoir. Sa mise au pilori illustre la dérive d’une université transformée en zone à défendre intellectuelle, où l’on trie les enseignants selon leur conformité idéologique. La fébrilité qui gagne désormais les rangs militants en dit long. Même certains journalistes du média ultra-spécialisé StreetPress parlent d’une « non-affaire[2] »…

Trop tard : la tentative d’épuration a déjà produit son effet paradoxal. En voulant chasser un professeur, les gardes rouges de la bien-pensance ont fabriqué un symbole. Et Pierre Gentillet, avocat, enseignant et citoyen engagé, incarne désormais un peu plus que sa propre cause : celle d’une liberté académique que l’on redécouvre, comme souvent, au moment où l’on tente de l’étouffer.


[1] https://www.youtube.com/watch?v=XVySCg0o84s

[2] https://x.com/joweisz/status/1982732580857262525

Danse: les chefs-d’œuvre de Martha Graham à Paris

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© HIBBARD NASH

Pour célébrer un siècle d’existence, la Martha Graham Dance Company revient enfin en France pour y démontrer la pérennité des grandes œuvres de la Parque américaine…


Jamais avant elle la danse ne s’était élevée au niveau de la tragédie antique.  Mais lorsque Martha Graham se pencha sur les grandes figures féminines de la mythologie grecque, Phèdre, Clytemnestre, Andromaque, Médée, Jocaste ou Cassandre, elle se rangea d’emblée à la hauteur d’Euripide et de Sophocle. Ou encore de Racine.

Des héroïnes antiques, la Parque américaine aura su l’art de dépeindre les passions les plus violentes, les douleurs les plus extrêmes, les plus déplorables destinées. Parfois encore leurs crimes les plus monstrueux, mais des crimes le plus souvent suscités par la brutalité, l’ambition, l’égoïsme des hommes.

Déjà cogne le drame

À l’instar des grands tragiques grecs, dès le lever du rideau, la chorégraphe propulse le spectateur sur une scène où déjà cogne le drame. La crise est à son paroxysme. Tout annonce un accomplissement fatal qu’elle dessinera avec une force, une éloquence inouïes.

Elle le fait avec une telle puissance, un tel sens du théâtre que durant des décennies quelques-unes des plus grandes actrices américaines viendront auprès d’elle s’enrichir de ce jeu dramatique pour instiller ainsi tout un expressionisme grahamien dans le cinéma de la grande époque d’Hollywood.

Aux États-Unis, on a pleine conscience de la grandeur de Martha Graham. Elle figure, selon les sondages d’opinion, parmi les icônes de la courte histoire du pays. Cela n’a pas empêché qu’à sa mort,  en 1991, aussi éclatante que soit sa réputation, sa compagnie ait manqué de sombrer, tant à cause du désintérêt des pouvoirs publics américains pour qui la culture ne sera jamais une priorité, que par la gestion maladive de celui qui s’était fait l’héritier de la chorégraphe. Même le légendaire studio de New York où furent conçus tant de chefs d’œuvre sera misérablement vendu pour qu’un immeuble de rapport soit bâti à son emplacement. Aux Etats-Unis, l’Histoire s’efface devant l’appât du gain.   

Il y a déjà tant d’occasion de souffrir…

Aujourd’hui cependant, par un singulier miracle, la compagnie perdure dans on ne sait quelles périlleuses conditions. Mais elle survit, un siècle après sa création en 1927, grâce à la foi, à la passion des interprètes de Martha Graham qui savent la valeur de cet héritage. Ce sont des femmes le plus souvent, magnifiques artistes qui se sont sacrifiées pour maintenir un répertoire qui devrait d’ailleurs être impérativement classé par l’Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’Humanité.

Lorsque Merce Cunningham, pour suivre sa propre voie et désavouer par là-même tout le travail de Martha Graham, quitta la compagnie de cette dernière où il avait été un extraordinaire danseur, ce fut pour elle un crime digne des Atrides. Et quand on lui demandait pourquoi elle n’allait jamais voir le travail du transfuge entretemps devenu célèbre, elle rétorquait qu’il y avait déjà tant d’occasions de souffrir dans l’existence qu’il était fou de s’en infliger de supplémentaires…

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Cependant, par une curieuse ironie du sort, c’est sa compagnie qui désormais occupe à Westbeth, dans le Village, les célèbres studios de la Merce Cunningham Dance Company désertés avec la dissolution de cette dernière et où venaient naguère en pèlerinage la plupart des acteurs de la danse contemporaine.

C’est donc à Westbeth, sous la conduite de Beverly Emmons, qu’on a répété les grandes pièces au programme de cette tournée que sont Cave of the Heart, Errand into the Maze, Diversion of Angels ou Chronicle.                 

On y a travaillé aussi des nouveautés commandées à des auteurs d’aujourd’hui pour ne pas figer la Martha Graham Dance Company dans une situation muséale et pour permettre aux danseurs de se confronter aux délices comme aux affres de la création.

Égorgé, décapité, émasculé, écrasé

Découvrir des chorégraphies d’Hofesh Shechter comme Cave ou de Jamar Roberts comme We the people,  exécutées par des interprètes qu’on espère aussi remarquables que le furent leurs prédécesseurs est une chose.

Redécouvrir des chefs d’œuvre de Martha Graham dont elle a également créé les costumes d’une rigueur qui les fait échapper à l’influence des modes, est toute autre chose. Et deux de ces chorégraphies appartiennent à ce cycle grec où elle fut, selon la formule consacrée, au sommet de son art.

Sur une partition de Samuel Barber, dans un décor d’Isamu Noguchi et sous les lumières de Jean Rosenthal, Cave of the Heart ( 1946) un titre qu’on pourrait traduire par Les profonds recoins du cœur, met en scène Médée violemment confrontée à l’amour naissant de son époux, Jason, l’Aeolide, pour Creüse, fille du roi de Corinthe. Dévorée par la jalousie et par l’indignation causées par la lâche trahison et l’ingratitude du héros à qui naguère elle avait tout sacrifié pour lui permettre de dérober la Toison d’Or, Médée y fait exploser sa fureur et son désespoir. Par l’horreur de ses crimes, la femme triomphe amèrement du mâle honni, ce qui fera dire à l’un de ces athlétiques danseurs qu’affectionnait la chorégraphe que durant toute sa carrière auprès d’elle, il ne se sera pas trouvé de spectacle où il n’ait été égorgé, décapité, émasculé ou écrasé avec la plus consciencieuse férocité.

Tout ce que j’ai fait est dans chaque femme

Sur une partition de Gian Carlo Menotti et toujours sous les éclairages de Rosenthal, Errand into the Maze (Errance dans le labyrinthe, 1947), se déploie dans une scénographie du même Noguchi pour qui les sinuosités d’une simple corde évoquent les méandres du dit labyrinthe, et de gigantesques ossements son entrée. Et ce n’est pas Thésée parti à la recherche du Minotaure qu’évoque ici la chorégraphie, mais bien Ariane demeurée en retrait du combat, en proie à une terreur et à une anxiété qu’elle parvient finalement à vaincre.  D’Ariane, Martha Graham a fait  la Femme ; de la corde, le cheminement de sa pensée dans le dédale de son subconscient ; du Minotaure ses terreurs ; de la victoire sur le monstre sa libération. Le tout dans des enchaînements magistraux qui, comme dans la tragédie classique, illustrent la crise parvenue à son dénouement. Et dans un vocabulaire d’une extrême densité, sobre malgré sa prolixité, en ce sens où rien ne soit essentiel de ce qui a été dessiné par la chorégraphe.

« Tout ce que j’ai fait est dans chaque femme, avancera Martha Graham. Chacune est Médée, Jocaste, Judith, Phèdre ou Clytemnestre ».

La force et la dignité d’une femme face à l’idéologie nazie

Diversion of Angels (1948) sur une partition de Norman Dello Joio, chante l’amour sous ses diverses formes au sein de trois couples, amour strictement hétérosexuel, puritanisme de l’époque oblige. 

Cependant que Chronicle (1936) permet d’entrevoir l’engagement politique dont fit preuve Graham. Alors que des athlètes du monde entier se précipitaient à Berlin sans trop d’états d’âme pour participer aux Jeux Olympiques de 1936 organisés par les nazis, Graham eut la dignité de refuser l’invitation que les répugnants maîtres de Berlin lui avaient faite de s’y produire avec sa compagnie. « Je trouverais indécent de danser en Allemagne à l’heure actuelle. Tant d’artistes que je respecte et que j’admire y ont été persécutés… que je considère impossible d’accepter l’invitation d’un régime qui a voulu de telles choses ».

Sans exposer de scènes de guerre comme ce sera le cas avec Deep Song et Tragedy en 1937, où Graham dénonçait la Guerre d’Espagne déclenchée contre la République par les forces fascistes, le très politique Chronicle « dépeint la dévastation de l’esprit que la guerre laisse dans son sillage ».      

Cave of the heart, Martha Graham Dance Company

Les acclamations enfin

Dans les années 1960, Martha Graham fut si mal accueillie à Paris qu’elle décida de n’y plus mettre les pieds. On y étouffait alors  sous les effets de ce néo-académisme dérisoire où stagnait encore le Ballet de l’Opéra. Et la critique française, comme le public, tout entichés de cette esthétique mièvre et hors d’âge, se révélèrent incapables de mesurer le génie de la muse des Amériques. Il y eut même un crétin solennel, dans un grand quotidien de droite, pour imaginer faire un bon mot en couinant que « Martha Graham prenait les Français pour des Iroquois ».

Il faudra attendre le début des années 1980, quand le Festival de Chateauvallon, sous la direction artistique de Patrick Bensard, convia la compagnie dans son théâtre à l’antique sur les hauteurs de Toulon, pour briser enfin cette stupide incompréhension. Les publics avaient considérablement évolué. Dès lors, à la Biennale de Lyon, au Festival d’Avignon, au Colisée de Roubaix, au Théâtre du Châtelet comme à l’Opéra de Paris, les Français rendirent enfin justice à l’une des plus grandes artistes de son siècle. Et elle fut bien vengée de l’imbécillité de ses contempteurs quand, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, tous les spectateurs se levèrent dans un immense élan de respect et d’enthousiasme pour acclamer follement la très fragile nonagénaire apparaissant sur scène soutenue, portée par son entourage.  


Martha Graham Dance Company.
Deux programmes en alternance.
Du 5 au 14 novembre 2025 au Théâtre du Châtelet.
01 40 28 28 40 ou https://billetterie.chatelet.com