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Justice: après le «maelström» Sarkozy

La chronique justice de Philippe Bilger


Justice: après le «maelström» Sarkozy
Philippe Bilger © Pierre Olivier

Notre chroniqueur a vu dans l’incarcération de Nicolas Sarkozy et les réactions politiques et médiatiques qui l’ont suivie une inégalité et un traitement de faveur envers les puissants, détournant le débat public du fond judiciaire du dossier, et, redoute-t-il, fragilisant la crédibilité démocratique de notre justice.


Nicolas Sarkozy a été incarcéré à la prison de la Santé hier, à l’isolement pour sa sauvegarde, dans un quartier spécial. Ses avocats ont interjeté appel de cette privation de liberté et la chambre des appels correctionnels devra statuer dans un délai maximal de deux mois.

J’espère que l’ancien président de la République sera libéré le plus vite possible car je n’ai pas éprouvé la moindre « joie mauvaise » devant cet enfermement. Au contraire, cette exécution provisoire inutile a complètement détourné l’attention de ce que la décision elle-même avait de pertinent et de solidement argumenté. Après que ce jugement a été frappé d’appel par le Parquet National Financier et la défense, c’est uniquement la polémique sur l’emprisonnement qui a occupé le débat public, éclipsant toute discussion de fond.

Mauvaise argumentation

Mon impression initiale, face à ceux qui contestent une décision en disant qu’elle n’aurait pas été aussi sévère envers des délinquants ordinaires, demeure : je crois qu’ils se trompent profondément. Ce n’est pas en comparant les puissants aux délinquants ordinaires, aux voyous qu’il faut juger ce type de condamnation.

Au contraire, il est normal que les personnes qui ont du pouvoir ou des privilèges soient punies plus sévèrement lorsqu’elles sont coupables, car elles ont moins d’excuses sociales et moins de circonstances atténuantes à faire valoir que les autres.

C’est en raison de cette conviction que je crains le pire, demain, sur le plan judiciaire, avec ce que j’ai nommé « le maelström Sarkozy ». Je suis à peu près persuadé que dans les prochains mois, les prévenus ou les accusés se serviront de ce bouleversement et de cette stupéfiante disparité dans l’équité pour en faire, grâce à leurs avocats, au moins une part de leur argumentation.

En effet, on constate que tout ce qui se déroule depuis le jugement du 25 septembre dépasse l’entendement, la critique judiciaire légitime et la mesure démocratique. Même une fois admis le caractère heureusement exceptionnel de la grave mise en cause d’un ancien président de la République, qui n’en était pas à son coup d’essai…

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En effet, l’expression paroxystique de cette incroyable inégalité judiciaire, politique et médiatique, au bénéfice exclusif de Nicolas Sarkozy, va probablement s’enkyster dans la tête des citoyens comme un malaise démocratique insurmontable et, pour les transgresseurs à venir, être exploitée telle une indécente opportunité.

Je n’ai pas fait le compte de tout ce qui a été dit et écrit sur la condamnation de Nicolas Sarkozy par ses soutiens, sur un mode totalement décalé et périphérique, sans le moindre lien avec le problème de justice essentiel. Pour ma part, et nous sommes nombreux à éprouver ce sentiment, je n’ai jamais douté du courage de Nicolas Sarkozy à Neuilly-sur-Seine, de son amour de la France, du fait qu’en certaines circonstances il a été un grand président, de l’affection de ses enfants pour lui, de l’amour et de l’admiration de son épouse à son égard, de sa personnalité hors du commun, pour le meilleur comme pour le pire. Mais ce ne sont pas les données prioritaires qui vont mobiliser demain la cour d’appel. Est-il coupable ou non des quatre infractions que le Parquet national financier lui a reprochées et dont trois sur quatre ont été écartées par les premiers juges ?

Le pire auquel je fais allusion n’est pas mince, car il se rapporte à un passé judiciaire conséquent.

On peut considérer que la différence absolue de traitement ayant favorisé Nicolas Sarkozy, sur divers points, est normale ou au contraire choquante sur le plan judiciaire comme dans le registre républicain. Faut-il admirer la constance dans l’amitié de Gérald Darmanin, qui lui rendra visite, et dont on peut admettre qu’en sa qualité de garde des Sceaux il soit attentif aux exigences de sécurité pour ce haut personnage détenu ?

D’étranges plaidoiries à venir

En revanche, je ne parviens pas à comprendre la bienveillance du président le recevant durant une heure et prenant la précaution de nous affirmer, comme si on allait le croire, que le fond du dossier n’avait pas été abordé… À quel titre donner une telle prime d’honorabilité à quelqu’un qui, coupable ou non coupable, aurait dû inspirer plutôt une forme de distance en cette période ? Ou faut-il admettre cette perversion française qui ne peut se défaire du respect pour les importants même s’ils ont failli ?

La manifestation de solidarité à l’initiative des enfants, le 21 octobre, a été inspirée par le cœur et qui pourrait la discuter ? Aux côtés des nombreux policiers et journalistes, une centaine de vrais fidèles…

Nous n’avons pas eu à proprement parler une justice de classe mais nous avons retrouvé une justice politique comme on croyait l’avoir perdue : traiter les politiques soupçonnés ou condamnés comme si la justice ne comptait pas mais que l’inégalité était tout.

La morale médiatique a été inexistante qui jamais n’a cherché à restaurer, dans ces outrances et ces apologies, un équilibre, une équité démocratique.

Après ce maelström, demain on entendra, j’en suis sûr, d’étranges plaidoiries provocatrices devant toutes les juridictions.




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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