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Gérald Darmanin à l’École des sorciers…

La magistrature doit-elle vraiment “ressembler à ceux qu’elle juge” ? Philippe Bilger n’est pas d’accord


Gérald Darmanin à l’École des sorciers…
Le ministre de la Justice Gérald Darmanin à Bordeaux, 24 octobre 2025 © UGO AMEZ/SIPA

Gérald Darmanin était face à des élèves de l’École nationale de la magistrature ce vendredi. Les magistrats doivent davantage ressembler au peuple français et surtout faire leur aggiornamento, sinon cela finira mal pour « l’État de droit », a prévenu le garde des Sceaux.


Le garde des Sceaux s’est rendu à Bordeaux pour rencontrer les élèves magistrats de l’École nationale de la magistrature et leur annoncer les changements qu’il envisageait. Il a également dialogué avec une soixantaine d’enseignants et confirmé dans ses fonctions de directrice Nathalie Roret.

Il faut que jeunesse se passe…

La promotion « État de droit » était mobilisée. Mais, sur les 468 auditeurs de justice, seuls 250 étaient présents dans l’amphithéâtre.

Est-il permis de s’étonner du choix d’« État de droit » comme dénomination, alors que sa contestation, dans le climat actuel, n’est pas illégitime et qu’il aurait été plus fort, symboliquement, d’arbitrer en faveur d’une incarnation exemplaire, ou même d’une victime à laquelle on aurait rendu hommage ?

Avant d’en venir à la teneur des propos du ministre, j’avoue ma surprise devant la manière infantilisante dont ont été prévues et programmées les questions adressées à Gérald Darmanin. Comme si l’on n’avait pas pu, tout simplement, laisser les auditeurs formuler librement leurs interrogations – en espérant, pour toutes, une forme maîtrisée.

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Le comble du ridicule a été atteint avec « un petit happening » au cours duquel deux auditrices et un auditeur ont proféré trois banalités vaguement contestataires, évidemment applaudies à tout rompre.

Le garde des Sceaux envisage pour l’ENM – il a rappelé que tous les futurs candidats à l’élection présidentielle souhaitaient sa disparition – « une réforme en profondeur du concours et du recrutement, l’introduction de modules d’enseignement consacrés au monde économique et financier, à la connaissance des rouages administratifs et étatiques, des cours de management, mais aussi l’obligation de mobilité des magistrats ».

Ce n’est pas sur ce plan que je discuterai le propos, au demeurant revigorant, de Gérald Darmanin : on garde l’ENM, mais on la réforme. Je suggérerais volontiers que la culture générale – classique et contemporaine – ne fût pas oubliée !

En revanche, si j’admets que « si l’on ne change pas quelque chose, cela va mal se passer avec une population qui ne se sent pas représentée », je suis beaucoup plus réservé, non sur « l’ouverture méritocratique », mais sur l’idée « d’une magistrature qui doit changer et ressembler à ceux qu’elle juge, pour retrouver la confiance des justiciables ».

La justice et les démagogues

Je crains que cette aspiration, destinée à plaire immédiatement à une majorité de citoyens, ne soit un zeste démagogique. Car la difficulté réside dans le fait que rêver d’une magistrature plus conforme à la composition sociologique de notre pays est une chose, mais vouloir « qu’elle ressemble à ceux qu’elle juge » en est une autre.

En effet, je crois que la magistrature a trop souvent cultivé, dans ses apparences, dans ses pratiques, dans ses rapports avec autrui et dans sa volonté de mimétisme social, politique et syndical, l’obsession de se rapprocher des comportements ordinaires, pour qu’on puisse, sans danger, pousser encore plus loin la dilution de la Justice dans le commun.

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Que la diversification du corps s’amplifie et s’enrichisse, soit ; mais rien ne serait pire que l’abolition de la distance, de la tenue, de cette légitimité et de cette autorité qui, dans les temps de crise que nous vivons, constituent le moyen le plus radical de perdre l’estime des citoyens et le respect des politiques. Profondément, la magistrature peut avoir des origines multiples, mais pour rien au monde le magistrat ne doit être comme tout le monde : sinon, il perd tout crédit pour juger. Cet écart nécessaire, c’est sa force et son honneur. Le faire « ressembler à ceux qu’il juge », ce serait aggraver gravement son déclin. Et ce serait la banalisation d’une institution qui ne se remet pas d’avoir été, et de ne plus être, ou médiocrement.

Alors que rien n’est irréversible et que tout est ouvert pour 2027.

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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