Accueil Site Page 2903

Nous sommes tous des Méditerranéens

66

L’affaire de la fausse alerte à la bombe (à eau miraculeuse ?) de Lourdes lève le voile sur la pratique parfaitement maîtrisée de la novlangue par le trop méconnu préfet des Hautes-Pyrénées. Celui-ci, un dénommé Bidal, s’est fendu d’une déclaration édifiante sur l’origine potentielle du poseur de lapin – à défaut de bombe. Il a précisé, selon les meilleurs journaux, que l’appel anonyme prévenant de la présence d’un engin explosif avait été passé par « un homme au fort accent méditerranéen […] » !

C’est une découverte pour les férus de géographie et de phonétique ne soupçonnant pas l’existence d’un accent méditerranéen unifié qui rassemble sous sa bannière consensuelle l’assent de Marseille, les roucoulements de Palerme ou les lamentations orientales.

C’est un casse-tête pour les policiers chargés de l’enquête : de quel côté de l’accent de la Méditerranée vont-ils orienter leurs recherches ?

C’est une victoire pour les chantres de l’indifférenciation dogmatique : les mots clivant s’évanouissent pour ne fâcher personne.

Mais c’est aussi une épreuve pour les tagueurs de mosquée : « sale Méditerranéen », c’est tout de suite moins efficace.

Happy hours en salles de shoot

49
Se droguer avec des médecins : non merci ! Enfin, ça dépend lesquels.

Je vous résume l’histoire, au cas où, ces derniers jours, vous étiez occupés à effectuer votre descente d’héroïne dans un squat à Palavas-les-Flots plutôt qu’à suivre l’actualité française.

Roselyne Bachelot, qui fait ministre de la Santé quand elle ne s’occupe pas de Rama Yade, annonce son intention d’ouvrir des « salles de consommation de drogues sous surveillance médicale ». Nadine Morano lui emboîte le pas en déclarant qu’elle trouve ça smart, bath ou in. Je ne me souviens plus de la teneur exacte de sa déclaration. Mais qu’est-ce qu’elles sont cool, les gonzesses gouvernementales ! Elles savent pas s’habiller, mais qu’est-ce qu’elles sont cool ! Et patatras, voilà le grand sinistre qui arrive. François Fillon recoiffe sa mèche et déclare : « Pas de ça chez nous ! » Le Premier ministre français a beaucoup fait pour encourager le nomadisme des Roms (les voyages, ça forme la jeunesse), il n’entend pas les camés se laisser sédentariser.

Fillon est un punk. S’il ne l’était pas, il ne se coifferait pas aussi atrocement. Chaque fois même qu’il paraît à la télévision, son regard n’est pas seulement celui d’un chien battu : il exprime simplement la même angoisse existentielle que chantaient les Sex Pistols. Il y a du Sid Vicious, chez cet homme-là.

Le No future subventionné n’a pas d’avenir

Justement, c’est dans un hôtel de Greenwich Village (un Méridien, si mes souvenirs sont bons) que Sid Vicious a été retrouvé mort, en février 1979. Pas dans une « salle consommation de drogues sous surveillance médicale ». Imaginez-vous la tête que ferait un gars comme Philippe Manoeuvre (juré à la « Nouvelle Star » dans la vraie vie et, accessoirement rédacteur en chef de Rock & Folk) si le leader des Sex Pistols avait trouvé la mort en pleine overdose de Subutex, prescrit sur ordonnance et remboursé par la Sécurité Sociale, la main tenue par Raymonde Bouchard, infirmière en chef de « salle de consommation de drogues sous surveillance médicale » à Melun, 55 ans, célibataire et toujours vierge. Faudrait peut-être qu’elle pense à se raser la moustache. Le No Future subventionné n’a pas d’avenir.

Je ne veux pas généraliser non plus. Michel Heinrich, député-maire UMP d’Epinal, a fait entendre une voix discordante. Lui, les salles de shoot, il est plutôt pour. On le comprend : vivre à Epinal, ça incite à se shooter. Mais, en plus, avec le temps pourri qu’il y fait de janvier à décembre, vaut mieux prendre sa dose à l’abri des intempéries : shooté oui, mais pas trempé. C’est sans compter aussi que, dans les Vosges, ils ont réintroduit, il y a quelques années, le loup, le lynx, le chihuahua ou je ne sais quel autre animal hargneux, si bien qu’il y est désormais impossible de se camer en plein air sous peine de se réveiller avec un membre en moins ou, pire, ligoté par des cordelettes dans un sac poubelle et plongé dans les eaux de la Vologne, des eaux si tristes que cette rivière n’a pas trouvé mieux comme destin que de se jeter dans la Moselle. Donc, d’accord, les « salles de consommation de drogues sous surveillance médicale », il ne faut pas les autoriser dans les Vosges, mais les rendre obligatoires. Et dès le plus jeune âge.

Mais ailleurs ? Ailleurs, les choses se passent plutôt naturellement depuis des années. Je me souviens (c’était à la fin des années 1980), à Saint-Tropez, de soirées passées chez des amis français, où l’herbe, la cocaïne et les buvards d’acide circulaient allégrement. À l’époque, un jeune freluquet qui ne se prétendait pas encore écrivain avalait des ecstasies comme des fraises Tagada tout en me suppliant de lui donner des cours particuliers d’allemand[1. Non, je ne ferai pas du name dropping. Mais chacun aura reconnu qu’il ne s’agit ni de Marcel Proust ni de sa petite sœur.]. Et nous étions heureux. Camés mais heureux. Le tout, évidemment, sous surveillance médicale. Il y avait, en règle générale, deux ou trois médecins psychiatres, quatre ou cinq dentistes, six ou sept ophtalmologues, un célèbre otho-rhino (ce serait rosse de dire son nom) et dix-huit ou dix-neuf chirurgiens esthétiques. En passant, je vous déconseille d’appeler « chirurgien esthétique » quiconque veut vous démonter le portrait après trois grammes de coke en hurlant qu’il est un réel bienfaiteur de l’humanité puisqu’il fait de la « chirurgie réparatrice ».

L’art discret de pratiquer la drogue en salle

C’est dire que les « salles de consommation de drogues sous surveillance médicale », je connais depuis longtemps. Il n’y a rien de pire au monde que de se faire un fix avec des représentants du corps médical. La journée, les mecs la passent à s’enfiler dose de morphine sur dose de morphine. Le soir, on ne les retient plus.

Même si j’ai arrêté de fréquenter les chemins qui ne mènent nulle part ailleurs que dans les paradis artificiels (c’est la grande thèse de mon livre que je n’ai pas encore écrit sur Heidegger cocaïnomane), même si je me contente désormais de ma ration régulière d’alcool pour tenir, je ne pourrais m’imaginer picoler dans une « salle de consommation de vodka sous surveillance médicale ». Une seule raison à cela : je connais très bien notre médecin de famille, le docteur Schweitzer (aucun rapport avec l’autre). Si je me retrouvais un jour avec lui dans une « salle de consommation de Bloody Mary sous surveillance médicale » (que sommairement nous appellerons un bistrot), je n’aurais pas fini mon verre qu’il aurait déjà bu le mien. Non pas ça, pas chez nous ! Et pas avec lui.

Nouvelles sous ecstasy

Price: 6,50 €

92 used & new available from 1,15 €

2012 : fin du monde ou renaissance ?

République

Et si, après vingt-neuf de néolibéralisme à la sauce Mitterrand-Chirac-Sarkozy, l’âne de Buridan français obtenait l’eau et l’avoine d’un seul coup ? Jusqu’ici, droite et gauche se sont succédé au pouvoir en inventant la divine formule de l’alternance unique. Un coup, le discours sécuritaire teinté de néolibéralisme immédiatement corrigé par le rejet de son rejeton libertaire. Un autre, un programme social mâtiné d’idéologie du Progrès, salmigondis mêlant idéaux socialistes et libertés subjectives rythmées par les besoins du marché.

Le Grand Journal, machine à nous dire quoi penser

À force de déception et de lassitude, le peuple rue dans les brancards à chaque élection, renvoyant dos à dos gauche sociétale et droite du fric. Dix ans après l’onde de choc de l’hydre Le Pen et le carnaval antifasciste qui a suivi, l’ombre populiste se profile à nouveau sur la France. Et tant mieux : les élites traîtresses s’inquiètent sérieusement du regain de popularité des slogans xénophobes surfant sur la désespérance d’un peuple oublié, martyrisé et honni. Sur les plateaux de télévision, les sociologues de salon nous expliquent que la révolte gronde en banlieue, chez ces exclus victimes du racisme ordinaire. Le grand Villepin opine du chef. Auréolé de son discours à l’ONU, il drague ouvertement le vote ethnique et dénonce publiquement le néocolonialisme du pays légal.

[access capability= »lire_inedits »]Au bal des prétendants, il n’est pas le dernier à se disputer les faveurs du Grand Journal de Canal +. Cette formidable machine à nous dire quoi penser, de qui se gausser et comment consommer en a fait un de ses chouchous, en lieu et place du turbulent Besancenot, devenu trop incontrôlable.

Avant de statuer s’impose un bref passage en revue des principaux protagonistes :

• Honneur au sortant : Nicolas Sarkozy met fin au faux suspense qui entoure sa candidature à un second et dernier mandat. Fort de son bilan de président-qui-agit-pendant-la-crise, l’hôte de l’Élysée réédite sa campagne de 2007 autour du triptyque République-Travail-Nation. Cinq après, le tandem magique Buisson-Guaino peine à réitérer l’exploit. Et pour cause, au-delà des casseroles de quelques ministres peu discrets, la barque s’avère chargée. Sauvetage des banques sans garantie ni prise de participation publique, arrimage désespéré à une zone euro subclaquante, défense effrénée d’un libre-échange destructeur d’emplois, chiffres du chômage en berne, moral des ménages au plus bas… Tous les indicateurs sont au rouge. La seule chance de s’en sortir : endosser les tabous idéologiques de la gauche qui forment autant de thématiques chères aux classes populaires. Que le peuple préfère les plats réchauffés à la cuisine sociale-libérale azotée : tel est le dernier espoir de l’habile Sarkozy.

« Un duel entre les héritières Le Pen et Delors, ça aurait de la gueule », murmure-t-on au PS

• En face, les duettistes du pacte de Marrakech mènent grand train. Au terme de primaires peu disputées, la patronne du PS l’a emporté haut la main. De sa prison dorée de Washington, DSK a exprimé son soutien officieux. En sous-main, quelques conseillers bien inspirés suggèrent à Martine Aubry de parler au petit peuple des pavillons ainsi qu’aux déclassés de province, trop longtemps négligés par les socialistes. Il faut dire que la société du care passionne peu au plateau de Millevaches et que l’antisarkozysme fiscal cache mal les convergences européennes entre UMP et PS. Comme dirait l’autre, tout reste néanmoins possible ; il s’agit moins de tabler sur l’adhésion au programme d’accompagnement du marché que de spéculer sur la faillite de Sarko. La tempérance du projet socialiste fait d’ailleurs les affaires de Mélenchon, promis au seuil des 6 % et trop vite réduit à ses talents de tribun.

• Marine Le Pen se tient en embuscade. La sémillante jeune femme à la crinière blonde capitalise jour après jour sur la désespérance des sans-grade. Non sans avoir épuré le FN de ses éléments les moins présentables, cathos intégristes, identitaires au racialisme étroit (pléonasme !) et autres « païens » obsédés par la pureté des origines. Le lumpenprolétariat fait le reste : quelques caïds disséminés ici ou là, des voitures qui brûlent, un ou deux drapeaux algériens hissés en banlieue : n’en jetez plus, la campagne de Marine est lancée ! Aidée par des médias hésitant entre l’ostracisme – cette fameuse stratégie du cordon sanitaire dont on mesura l’efficacité un certain 21 avril − et la connivence – au prix de quelques concessions frontistes sur l’IVG ou le divorce − la digne fille de son père vise le second tour. Après tout, murmure-t-on à Solferino, un duel entre les héritières Delors et Le Pen, cela aurait de la gueule…

• Quarante ans après Épinay, une décennie après la folle aventure du Pôle républicain, Jean-Pierre Chevènement entend remettre le couvert. Au grand dam de ceux qui l’avaient enterré trop vite, le sage de Belfort en a encore sous la pédale. Cet intellectuel lancé en politique égrène jour après jour les thèmes occultés par ses adversaires. Concurrence déloyale entre la France et l’Allemagne sur fond de déflation salariale, mainmise des marchés financiers sur la souveraineté des États, délitement de la nation en autant de communautarismes victimaires, nécessité de refonder le pacte national à nouveaux frais, dénonciation du mythe sécuritaire sarkozien, etc. Le mythe de l’homme providentiel a beau être éculé, certains se mettent à rêver d’un score honorable. Le gros de la crise aidant, le recours au brillant septuagénaire pourrait redonner du souffle à une gauche en mal d’idées. Certains socialistes républicains ne craignent-ils pas à une victoire à la Pyrrhus qui consacrerait la ruine du sarkozysme sans proposer de réelle alternative ?

Passée la cohorte des Nouveau centre-vieux Modem-Europe Ecologie-Anticapitalistes et autres trotskystes d’apparat, la liste des candidats devient un inventaire à la Prévert. Quels que soient ses résultats, l’élection présidentielle distribuera son lot de rires et de peines. Espoir pour les uns, crainte pour les autres, le balancier du suffrage universel ne pourra de toute façon enrayer la sombre perspective du déclin à lui seul. Certains perçoivent de la mélancolie là où d’autres annoncent la fin du roman national. Peu importe le flacon, reste l’ivresse de la chute. Car un même fatalisme ronge nos élites comme nos classes populaires.

En guise d’antidote, prônons un sens du tragique conjugué à un strict solidarisme. « Penser en pessimistes, agir en optimistes » : et si l’antienne socialiste de Benoît Malon était notre planche de salut ?[/access]

La France de petite vertu

Le sondage IFOP – Le Figaro indiquant que les Français, dans une imposante majorité, soutenaient les mesures sécuritaires annoncées par Nicolas Sarkozy dans son discours de Grenoble a jeté le trouble dans les élites politiques et médiatiques, y compris dans les plus hautes sphères de Causeur.

Une fois que les tentatives de mise en doute la validité méthodologique de ce sondage eurent fait pschitt, le vague à l’âme s’est emparé des profs de morale autoproclamés qui sévissent à la rédaction de France Culture et dans d’autres lieux de diffusion de la pensée vertueuse.

La démocratie, régime bancal

Ainsi, le peuple français ne serait pas installé pour l’éternité sur les sommets de la rectitude morale et il se ficherait de l’héritage de ses grands ancêtres révolutionnaires comme de cet an quarante du siècle dernier dont on vient de commémorer l’ombre et la lumière ! Il se complairait plutôt à se vautrer dans la fange des idées sécuritaires, racistes et xénophobes qui font horreur à toutes les belles âmes parlantes et écrivantes. O tempora ! O mores !

La fameuse formule de Brecht épinglant les potentats communistes de la RDA de 1953 : « J’apprends que le gouvernement estime que le peuple à ‘trahi la confiance du régime’ et ‘devra travailler dur pour regagner la confiance des autorités’. À ce stade, ne serait-il plus simple de dissoudre le peuple et d’en élire un autre?« , pourrait parfaitement s’appliquer au comportement des éditorialistes et auteurs de tribunes fustigeant Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux.

Peut-on reprocher aux détenteurs du pouvoir dans un régime démocratique, disposant aujourd’hui de méthodes fiables pour sonder les cœurs et les reins de leurs électeurs, de tenir des discours qui plaisent au plus grand nombre ? En démocratie, les hommes politiques, contrairement aux clercs, n’ont pas comme mission de rendre les hommes meilleurs, mais de les gouverner en conciliant au mieux l’intérêt général et l’exercice des libertés individuelles. C’est pourquoi, comme l’a brillamment démontré le sociologue Jean Baechler[1. Jean Baechler, Démocraties, éditions Calmann-Lévy] , la démocratie est, par essence, un régime qui marche mal. Heureusement, ce fonctionnement bancal, où se heurtent sans cesse la force des égoïsmes individuels et l’intérêt du plus grand nombre est compensé par une capacité à se réformer pour éviter le chaos.

Ceux qui exigent de la République française qu’elle soit une démocratie modèle d’où seraient bannis abus de pouvoir, corruption et autres vilenies dont se rendent coupables les élus, devraient se souvenir qu’en France on ne connut qu’une seule dictature réellement totalitaire, la Terreur, et qu’elle fut exercée par Robespierre et ses amis au nom de la Vertu.

Les préposés à l’édification du genre humain, les clercs, les vrais, religieux ou laïcs ayant considérablement failli et perdu, au moins pour quelque temps, toute crédibilité, la voie est libre pour que les moralistes amateurs, aventuriers de la pensée et charlatans de l’éthique essaient de nous fourguer des remèdes-miracles contre la propension humaine à préférer le mal au bien.

Le droit du sol n’est pas une loi

Voilà qui lève les derniers scrupules qui me retenaient jusque-là de mêler ma voix fluette à ce concert. Je ne trancherai pas la question de savoir qui du peuple ou de BHL a raison sur la question de savoir s’il est convenable ou non de retirer la nationalité française aux naturalisés polygames ou tueurs de flics. Ce sujet a déjà été traité de manière contradictoire dans ce salon, permettant à chacun de se faire une opinion. Cependant, les pourfendeurs du Sarkozy de Grenoble prétendent, pour lui faire honte, que le « droit du sol » qui régit depuis le milieu du XIXème siècle notre code de la nationalité est un héritage de la grande générosité des révolutionnaires de 1789 acceptant d’accueillir en France les victimes de la tyrannie et les amants de la liberté. Ce serait donc une composante éthique la version française de la démocratie. Le remettre en cause serait donc, selon eux, porter un coup mortel à un héritage sacré. Foutaises ! L’octroi de la citoyenneté de la République au baron prussien Jean-Baptiste, dit Anacharsis Cloots, « orateur du genre humain », en 1792 est un fait aussi remarquable qu’isolé. La France de la Révolution, puis de l’Empire était suffisamment peuplée pour que l’Etat puisse se fournir sur place en chair à canon, et si cela ne suffisait pas, on préférait embaucher des mercenaires que de créer des citoyens.

Napoléon 1er le fit passer à la trappe avec le calendrier républicain et le culte de l’Etre suprême. C’est dans une visée purement utilitariste que le Second Empire en 1859 et la IIIème République en 1889 réintroduisent et amplifient le jus soli dans notre Code civil : il s’agissait de compenser le déclin démographique français par l’inclusion dans la communauté nationale d’une nouvelle force de travail, puis de potentiels soldats, en vue de la revanche contre la Prusse.

Le peuple, dont la xénophobie plus ou moins virulente est une constante jamais démentie, accueillit chaque vague d’immigration avec une malveillance aujourd’hui bien documentée. Cette hostilité s’estompait à mesure que ces nouveaux Français se fondaient dans la masse par un phénomène aujourd’hui cloué au pilori : l’assimilation.

Panique morale

Son extension, aujourd’hui, à des populations dont une partie, au moins, se montre rétive à l’acceptation des coutumes majoritaires du pays d’accueil pose aujourd’hui problème et crée dans notre pays ce que le sociologue américain Stanley Cohen désigne sous le nom de panique morale. Celle-ci surgit quand « une condition, un événement, une personne ou un groupe de personnes est désigné comme une menace pour les valeurs et les intérêts d’une société ». Cohen propose également qu’on reconnaisse dans toute panique morale deux acteurs majeurs: les « patrons moraux » (« moral entrepreneurs« ), initiateurs de la dénonciation collective; et les « démons populaires » (« folk devils « ), personnes ou groupes désignés à la vindicte.

Cette théorie ne préjuge en rien de la réalité de la menace, mais analyse simplement les effets de son mode de présentation au public. La panique publique dont nous sommes saisis actuellement fonctionne dans une dénonciation à double-sens : celle des groupes humains en tant que tels (immigrés, Roms) et, inversement, celle de ceux qui se refusent au déni de réalité, qui sont les folk devils des nouveaux clercs (Alain Finkielkraut et Renaud Camus, par exemple sont la cible des néo-moralistes). Les « patrons moraux » de l’antiracisme postulent l’innocence ontologique de leurs protégés et démonisent ceux qui mettent en doute cet axiome.

Une panique, en général, ne produit pas beaucoup d’idées rationnelles permettant d’apporter des réponses concrètes à des situations concrètes. On pourrait, par exemple, envisager la suspension, voire la suppression du droit du sol. Cela mettrait fin à une production automatique de nouveaux Français et serait moralement supportable si elle était doublée d’un accueil fraternel et efficace pour ceux qui manifesteraient explicitement le désir de partager notre citoyenneté, ses droits et ses devoirs. Mais je crains que dans les conditions actuelles, une telle proposition n’accroisse cette panique morale plutôt qu’elle ne l’apaise.

De l’Etat et de ses dirigeants, les Français n’exigent plus seulement protection et sécurité. Ils le tiennent pour responsable du confort moral collectif d’une nation dont les performances éthiques individuelles de la majorité de ses citoyens sont loin d’être exceptionnelles. Certes le racisme et la xénophobie made in France se sont révélés moins barbares que dans d’autres nations européennes : en matière de pogroms et de génocides la France a joué plutôt grande gueule et petit bras. Cela n’autorise cependant pas ses dirigeants à se poser, comme cette andouille de Villepin, en donneurs de leçons universelles.

Contre la corruption, le balai nordique ?

On parle beaucoup ces dernier temps de l’éventuelle candidature d’Eva Joly à l’élection présidentielle de 2012. J’avais déjà exprimé ici, à la grande fureur de quelques commentateurs, le peu de considération que m’inspirait cette ex-juge hissée par Dany Cohn-Bendit vers les sommets de la politique française. Elle sera probablement la candidate « anti-corruption » proposée aux suffrages d’électeurs éprouvant un ras-le-bol bien compréhensible devant des « affaires » que les médias lui offrent en pâture. Contre la corruption, rien ne vaut le balai nordique pour nous élever jusqu’à l’ascèse vertueuse de la vie politique scandinave. Tel est le message qui sera délivré à un peuple qui n’a de cesse de pratiquer les combines, chacun à son échelle, pour ruser avec le fisc, travailler au noir ou promouvoir ses proches. Le niveau de corruption acceptable dans une démocratie n’est pas une constante universelle, ni même nationale : on n’a pas les mêmes critères pour le définir à Oslo et à Palerme, à Strasbourg et à Toulon.

Les lois, bien sûr, sont là, mais il y a la jurisprudence et les considérations « d’opportunité » qui les adaptent aux mœurs locales. La seule chose sensée que l’on peut affirmer en matière de corruption dans la vie publique est : qu’il y en ait le moins possible, en tenant compte du contexte anthropologique local. Les Monsieur ou Madame Propre, de gauche, de droite ou d’extrême droite, sont des démagogues comme les autres.

Le Tour de France, cette année, a été d’une propreté exemplaire, selon une rumeur publique relayée avec gourmandise par un Nicolas Sarkozy conscient de l’immense popularité de l’épreuve en dépit de des scandales de dopages à répétition. Le peuple ne veut pas de cyclistes vertueux, mais des champions qui mettent le turbo dans les cols. Et pour ça, faut ce qu’il faut. Nos lois sur le financement des partis politiques sont, paraît-il, le nec plus ultra de ce qui se fait dans le genre. Mais comme pour le dopage sportif, les tricheurs ont toujours un coup d’avance, comme l’a révélé la technique des « micros-partis » producteurs d’oseille. On ne se refait pas…

L’immense écrivain finlandais Arto Paasilinna a écrit un jour : «  Les Finlandais ne sont pas pires que les autres, mais suffisamment mauvais pour que j’aie de quoi écrire jusqu’à la fin de mes jours.  »
On souhaiterait qu’en France, la contemplation de nos vices produise plus de bonne littérature, et moins de sermons hypocrites.

Grand blanc sur fond noir

33

Il est grand et costaud, le lieut-co ! Avec cela, un parler direct : « J’m’en fous qu’tu sois d’la presse […] tu enlèves ma photo, tout de suite ! ». L’officier est français, le gars « d’la presse », togolais, ou au moins africain, ou peut-être seulement noir. Il dit « d’accord ! », mais n’obtempère pas. Le grand blanc -un irritable- se tourne vers un policier togolais, ou au moins africain, assurément noir, et, désignant le réfractaire, demande : « Il m’obéit ? ». La phrase est cocasse en ceci qu’elle est interrogative en apparence, alors qu’en réalité elle ordonne au policier d’agir auprès du contrevenant. Ils sont deux sur ce « il »-là, deux togolais, deux africains, deux noirs enfin. Deux secondes plus tard, le « il » policier exécute l’ordre: on entend le bruit mat que fait sa matraque sur le « il » « d’la presse »…

Après, la scène tourne aux palabres, on est en Afrique. La couleur du grand blanc, sous l’effet de la chaleur et de l’énervement, vire: du rose saumon elle passe au rouge tomate. Il n’est pas d’humeur à négocier, il n’a pas été formé pour cela. Pour lui, un rassemblement, cela se disloque, s’éparpille, se dissout, cela s’écrase, sous ces latitudes. Et il a les moyens de son ambition, le grand rougeaud d’élite, il en donne la preuve : « Tu sais qui je suis ? Je suis le conseiller du chef d’état-major de l’armée de terre !« . Cela se passait le 11 août : fin de la séquence.

La porte-parole adjointe du Quai d’Orsay, Christine Fages, a déclaré, le surlendemain: « Une sanction disciplinaire de dix jours d’arrêt a été notifiée hier au lieutenant-colonel Romuald Letondot, pour atteinte au renom de l’armée française ». En outre, le conseiller, qui a présenté ses excuses au journaliste mais a prétendu avoir été piégé, a été rappelé à Paris. Sera-t-il reçu par Bernard Kouchner, dont la rumeur prétend qu’il serait ministre des Affaires étrangères ? Ce dernier pourrait lui donner des conseils en matière de comportement et de négociation (surtout commerciale) avec les Africains[1. Pierre Péan, Le monde selon K, Fayard]…

De Gaulle, encore une fois

5

Charles de Gaulle

Jean Monnet est honorablement connu. On dit de lui et l’on va répétant qu’il est le « père de l’Europe ». Après la Seconde Guerre mondiale, il imagina un accord demeuré fameux, relatif au charbon et à l’acier, annoncé sous les ors du somptueux salon de l’Horloge, quai d’Orsay, le 9 mai 1950, par Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, modifié et signé le 18 avril 1951 (CECA, Communauté européenne du charbon et de l’acier). Nous lui en sommes reconnaissants.

Au physique, M. Monnet ressemblait à un personnage de la IIIe République parfaitement à son aise sous la IVe. Il n’avait pas de temps à perdre. Il voyait ce qu’il voyait, et n’ignorait rien de ce qu’il savait. L’art de la conversation, très peu pour lui ! Mais une négociation, un accord, une entente, ou bien même une facture de cognac (il en vendait), tout cela lui inspirait confiance. Relativement aux choses de la politique, il était prudent, c’est-à-dire réaliste ou, si l’on préfère, centriste. Un centriste est un praticien de la branche erratique des mathématiques, par quoi l’on démontre que la circonférence est quelque part et le centre partout ailleurs.[access capability= »lire_inedits »]

Jean Monnet était un homme de bonne volonté

Au vrai, il n’éprouva de sentiment négatif qu’à l’endroit d’une seule personne : Charles de Gaulle ; mais alors de la haine, n’est-ce pas ? Elle lui souffla cette note, datée du 6 mai 1943, longtemps secrète, à l’attention du secrétaire d’État américain, Harry Hopkins, qui avait l’oreille du président Roosevelt : « Il faut se résoudre à conclure que l’entente est impossible avec [de Gaulle] ; qu’il est un ennemi du peuple français et de ses libertés ; qu’il est un ennemi de la construction européenne [et] qu’en conséquence, il doit être détruit dans l’intérêt des Français, des Alliés et de la paix. »

On ne se méfie jamais des hommes de la mesure et de la réconciliation. Mais que pouvait donc entendre un commerçant affable à ce soldat solitaire, un représentant visitant sa clientèle à ce chef-d’œuvre énigmatique nommé Charles de Gaulle ?

L’ordre de la chevalerie et le sens de la grandeur

Politique absolu, doublé d’un artiste barrésien, féodal corrigé par l’esprit républicain, son ordre fut de chevalerie. Et comme il maniait le paradoxe aussi bien que le mot d’esprit, ce désespéré total, qui ne se plaisait que dans la crise et l’inconfort, accéléra la modernisation de la France et, ainsi, l’installa à la pointe de la technologie la plus sophistiquée. Alors, bien sûr, il était plutôt austère et son épouse, aimante, attentive, discrète, symbolisait des vertus ménagères très éloignées de l’esprit du temps. L’ambiance élyséenne était compassée, ennuyeuse, grise. On dit que « Tante Yvonne » éteignait les lampes inutilement allumées, le soir, à l’Élysée ; et le couple de Gaulle payait l’électricité de la partie privée du palais.

En revanche, lorsqu’il s’agissait de la France, le général ne regardait pas à la dépense : « Versailles, il fallait le faire ; ne marchandons pas la grandeur », dit-il à André Malraux. Ce fut dans la galerie des Glaces que la République reçut Nikita Khrouchtchev, John Fitzgerald Kennedy et sa ravissante femme, Hassan II du Maroc. Malraux accéléra les travaux de restauration du Grand Trianon ; dans l’aile gauche logeaient les Excellences, Trianon-sous-bois étant réservé au président français. Il n’était point dupe des dorures, des stucs, de tout le grandiose appareil de la représentation prestigieuse, mais rien, non plus, ne devait paraître inférieur à son projet de renaissance de notre pays, humilié par la défaite de 1940, souillé par la Collaboration, vaincu à Diên Biên Phu, frileusement replié sous le parapluie américain.

Européen, pas européiste

Lui aura-t-on assez reproché son ombrageux souci d’indépendance et ses propos méprisants à l’égard d’une Europe « supranationale » qu’appelaient de leurs vœux le bon M. Monnet et ses condisciples, tels l’ineffable M. Servan-Schreiber et les doctes chroniqueurs aux cheveux taillés en brosse de L’Express ? De Gaulle, européen exigeant, convaincu, souhaitait l’avènement d’une solidarité qui n’abolît pas les génies nationaux. À la déferlante cynique, d’inspiration exclusivement marchande, il opposa l’Europe des nations, c’est-à-dire une addition de forces, mais non pas « une machine à broyer les libertés nationales[1. De Gaulle et les Français libres, Éric Branca, préface de Max Gallo, de l’Académie française, Albin Michel. On lira avec empressement le Dictionnaire amoureux de De Gaulle, par Michel Tauriac.] ». Il redoutait la confrérie des experts et des technocrates, tous professionnels des lois et des décrets qui entravent le mouvement des peuples. Il discernait, dans la diatribe bruyante de ses contradicteurs, le ronronnement des économistes précautionneux, le ricanement des affairistes et des boursicoteurs. Il voyait s’avancer une cohorte d’individus sans vergogne, rassemblés par l’appât du gain, oublieux des patries. À ce propos, les joueurs de l’équipe de France de football, mercenaires des grands clubs qui, en Afrique du Sud, ont inauguré une action de jeu jusqu’alors inconnue des amateurs de ce sport (le refus d’entraînement suivi d’un repli boudeur dans un car luxueux), n’ont-ils pas donné une navrante interprétation de l’« européisme » et de sa doctrine de prédateur hanté par le profit maximum ?

De Monnet aux pédagogistes, une haine tenace

Une assemblée de « pédagogistes » a jugé récemment que de Gaulle n’était pas un écrivain. Nous ne reviendrons pas sur cette forme de bêtise contemporaine qui se veut sans doute audacieuse : nous nous contenterons d’augmenter les modèles littéraires du général (« Dante, Goethe, Chateaubriand […] n’auraient pas beaucoup servi s’ils avaient été des apatrides et s’ils avaient pensé, écrit en quelque esperanto ou volapük intégrés ») du nom de Jules César, chef de guerre, impérialiste et colonisateur par nécessité (alors que de Gaulle fut le contraire par raisonnement). On relira, pour s’en convaincre les pages de son De Bello Gallico.

On ne saurait mieux conclure (provisoirement) qu’en évoquant la scène d’anthologie, pourtant furtive et mal connue, dont Romain Gary fut le héros fugitif : alors que commençait la messe d’enterrement de Charles de Gaulle surgit, dans la petite église, l’auteur de l’Éducation européenne, les yeux rougis et gonflés par les larmes, revêtu de son vieil uniforme d’aviateur. Il fallait un grand vassal pour que ce rebelle définitif consentît à s’agenouiller devant lui, tel un suzerain médiéval. Dans l’homme du 18-Juin, avait-il identifié le fantôme errant de la chevalerie française, morte à Azincourt ?[/access]

Une fille pour l’été

9

Les jeunes filles, toujours les jeunes filles.

Que font-elles, sous le soleil des vacances, allongées sur leurs serviettes pleines de sable ?
Elles portent des lunettes noires, bronzent seins nus, remplissent des grilles de mots fléchés, laissent leur esprit dériver vers quelques envies inavouables – bel inconnu à embrasser, ivresse douce, nuit d’amour à la belle étoile.

Proposons leur un peu de son, des mélodies du monde d’avant à écouter sur leur Ipod ou autre Itruc: Sea sex and sun de Gainsbourg, J’aime regarder les filles de Patrick Coutin ou L’amour à la plage de Niagara.

Proposons leur aussi de découvrir l’art de la fessée tel que le raconte Jacques Serguine dans son roman coquin L’été des jeunes filles.

Parlons leur, surtout, de Roland Jaccard et de ce bijou qu’est Une fille pour l’été.

Sexe, sarcasmes et mélancolie

Homme des flirts en hiver, des escapades viennoises à la poursuite de Karl Kraus et du « rire du diable » quand le diable a la frange de Louise Brooks ou d’une lolycéenne du Soleil Levant, Jaccard fait sonner la langue avec la précision d’un sniper classieux : « Paris me pesait. Nous étions début juillet. Comme chaque année, je me demandais comment affronter le grand vide de l’été. » Pour éloigner, le temps d’une saison, son suicide programmé, Jaccard avance sa pièce maîtresse : « Une étudiante aux Beaux-Arts que je connaissais à peine, Shade, m’avait accompagné au cinéma Action Christine pour voir le film de Rokuro Mochikuzi : Onibi le démon. Nous avions distraitement échangé quelques baisers. Au moment de nous quitter, je lui avais dit : “Et si nous partions pour Tokyo ?” Pour seule réponse, j’avais senti sa langue frétiller dans ma bouche et ses doigts caresser mon sexe. ».

Direction Tokyo donc, où l’ombre érotique d’une certaine Asako est partout, où l’histoire d’amour ne commence pas. Chez Jaccard, l’amour est un échec et mat désabusé – « Je jouerai à être ton premier amour et toi à être mon dernier » – où les amants ne se retrouvent, bien plus tard à Paris, que pour voir Eyes wide shut de Stanley Kubrick. Le film ne plaît pas. La faute à Tom Cruise – Nicole Kidman fumant de l’herbe en caraco blanc est, quant à elle, d’une sensualité qu’elle n’offrira plus. La faute à Shade, qui oublie trop vite les mots de Pessoa tirés du Livre de l’intranquillité : « La vie m’écoeure comme un remède inutile. »

Incandescence triste

L’été s’en va, Shade aussi, laissant place à des « poupées frigides » et à des fantômes fragiles nommés Marie, Amélie, Mélanine ou Sylvia Plath qui écrivait : « J’ai besoin de ce qu’il y a de plus impossible, quelqu’un qui m’aime quand je me réveille la nuit. »

L’été s’en va, Jaccard croise ses vieux amis Louis Scutenaire, Charles Bukowski, Woody Allen et Ennio Flaiano, le scénariste de la Dolce vita et de Huit et demi.

L’été s’en va, il est l’heure, peut-être, du départ pour Vegas, ce voyage ultime qu’effectuait un Nicolas Cage ravagé, au plus près de l’incandescence lumineuse et triste d’Elisabeth Shue, dans le crépusculaire Leaving Las Vegas.

Pourquoi Las Vegas ? « Il y a des piscines, du soleil, de l’arnaque, de l’inanité, des jeux et ce grand jeu que nous jouons tous avec la mort. Vous le savez aussi bien que moi : la société a plus à voir avec une party de suicidaires à grande échelle qu’avec une organisation d’êtres rationnels. Ce désespoir tranquille qui nous bouffe ici, au moins dans le désert hystérico-orgiaque du Nevada nous y échapperons. »

Les jeunes filles, l’été, l’amour, la mort et, à la fin de l’envoi, Jaccard qui touche.

Une Fille pour l'été

Price: 2 000,00 €

1 used & new available from

Déni de réalité

16

C’est un document bizarre qui vient d’être rendu public par le FMI, une recherche classée « publication sélective » (selected issue paper) qui dit en substance que les Etats-Unis sont en faillite virtuelle! Selon le FMI, la résorption du déficit budgétaire et fiscal US nécessiterait ainsi un « réajustement fiscal permanent de l’ordre de 15% du P.I.B. Américain ». Autrement dit, comme l’Etat fédéral lève annuellement des impôts qui se montent à 14.7% de son P.I.B., il conviendrait de doubler la taxation, ce qui ne sera à l’évidence jamais mis en oeuvre.

Accessoirement, ces chiffres relativisent les débats quant au bien-fondé de l’adoption de mesures stimulatoires supplémentaires car ce pays ne peut tout simplement plus se payer le luxe de la moindre injection de liquidités! 

Vent d’Est sur Beaubourg

4
Ewa Partum, Self-Identification, 1980
Ewa Partum, Self-Identification, 1980.

Avouez-le : vous ne connaissez pas l’art de l’Europe de l’Est. Vous ne l’avez jamais connu, en fait. Vous ne sauriez citer un seul nom d’artiste venant de l’Est. Pas un seul.

Une « meilleure » et une « moins bonne » Europe

Eh bien, ce n’est pas grave. Détendez-vous. Ce n’était pas une question piège de « Qui veut gagner des millions ? » Nous sommes dans le salon de Causeur et non pas sur un vulgaire plateau de télé. Ne connaissant pas l’art des pays de l’ancien bloc soviétique, vous ne perdez rien, ni au sens propre ni au sens figuré. En revanche, vous confirmez l’opinion d’un Polonais prix Nobel de littérature (il y en avait quatre jusqu’à présent), qui soutenait que l’Europe se divisait depuis toujours en une meilleure et en une moins bonne partie. À vous de deviner laquelle était « meilleure » et laquelle « moins bonne ». Reste que, comme le précisait ce même lauréat polonais du prix Nobel de littérature, la partie « moins bonne » savait énormément, pour ne pas dire tout, sur la partie « meilleure », tandis que la partie « meilleure » ignorait tout de la partie « moins bonne ».[access capability= »lire_inedits »]

Quand bien même l’opinion d’un lauréat polonais du prix Nobel de littérature serait juste, elle passe sous silence un fait notable. C’est que la partie « moins bonne » de l’Europe s’ignorait elle-même. En tant que Polonaise, je ne saurais pas, tout comme vous, citer un seul nom d’artiste venant de l’Est. Pis, je ne savais même pas qu’il existait des artistes contemporains en Roumanie, en Hongrie, en Slovaquie ou en Croatie.

Une courageuse initiative du Centre Pompidou, à Paris, vise à prouver qu’il y avait et qu’il y a toujours, en Europe de l’Est, non seulement des artistes contemporains, mais aussi des groupes d’artistes, des courants, des styles, des théories. Une cinquantaine de noms à forte consonance exotique sont regroupés jusqu’au 19 juillet sous l’enseigne « Les Promesses du passé. Une histoire discontinue de l’art dans l’ex-Europe de l’Est ». Ils sont censés faire poids face à un Lucian Freud exposé dans le même bâtiment, quelques étages plus haut, tout comme à deux autres manifestations connaissant une forte affluence du public : « elles@centrepompidou » (1 million de visiteurs !) et « Dreamlands ».

L’art du rez-de-chaussée

Très métaphorique, cette disposition spatiale. Le Freud au sommet (niveau 6), les Picasso et Rothko plus bas (niveau 5), ensuite les Dora Maar et Louise Bourgeois (niveau 4), enfin, au rez-de-chaussée, séparés par un écran translucide de la très animée rue Aubry-le-Boucher, les Grigorescu, Krasinski, Szentjoby, Ivekovic, Abramovic, Stilinovic…. Comment pouvaient-ils, ces artistes du rez-de-chaussée, résister à la pression de l’Occident, à sa richesse et à sa diversité incommensurables, à cette avalanche de talents ? Bien évidemment, je ne vous demande pas de répondre. Vous savez qu’ils ne pouvaient et qu’ils n’ont pas résisté. Leur art reste avant tout mimétique.

Vous ne verrez au rez-de-chaussée du Centre Pompidou que des grossières copies des œuvres exposées aux étages supérieurs. De pâles imitations, des reproductions maladroites et presque touchantes par leur ambition inavouée de se mesurer à des originaux, sinon de leur faire de l’ombre, et qui, dans les meilleurs des cas, vous feront sourire. Vous ne retiendrez aucun nom, vous ne succomberez devant aucune pièce se présentant devant vos yeux, vous ne découvrirez rien de nouveau. Vous aurez envie de crier à l’imposture. L’entrée est à 12 euros tout de même ! Et pour voir quoi ? Un mec à poil en train de se barbouiller de papier mâché dans une vieille baignoire en zinc ? Bon Dieu, mais vous avez vu ça il y a trente ans à Londres, et en plus, c’était gratuit ! Et que l’œuvre s’intitule Cardinal, et que le prétendu artiste interroge, à travers sa performance, la culture catholique de la Pologne, et qu’il laisse perplexes les critiques de l’Ouest quant à son attitude face à l’Église ? Très bien tout ça, mais ça ne vaut pas 12 euros.

Vous allez avoir raison de vous insurger. Seulement, la véritable imposture réside ailleurs que dans les œuvres présentées. La véritable imposture se cache derrière l’idée même que vous puissiez être intéressés par « des artistes issus de scènes éloignées des grands centres du marché », comme l’exprime avec beaucoup d’élégance, dans le catalogue de l’exposition, le directeur de Beaubourg. Soyons sincères : vous n’iriez pas spontanément vers ces « scènes éloignées ». Vous ne prendriez pas le risque de vous aventurer dans les banlieues mal famées de Lodz ou de Bucarest à la recherche de jeunes artistes en devenir. Vous ne le feriez pas, puisque vous ne croyez pas, ou plus, pouvoir y trouver ce qui constituait, selon Gombrowicz, la seule force de toute forme de la créativité de l’Europe centrale et orientale : l’autodérision, l’immaturité, le provincialisme.

Et vous avez raison de ne pas ou de ne plus le croire.

Le rideau de fer de la conscience historique

Car vous vivez à l’ère de la mondialisation. EasyJet vous propose trois vols quotidiens vers Cracovie, sept jours sur sept. Les organisateurs de l’exposition « Promesses du passé » en sont conscients, puisqu’ils vous disent explicitement que l’approche contemporaine de l’art ne peut être que transnationale : « L’Europe est une, à défaut d’être totalement unie. » Se restreindre au choix de la production artistique d’une seule nation, comme en 1983 lors de « Présences polonaises », au même Centre Pompidou, leur semble désormais impertinent. Ils vous disent que, vingt ans après la chute du Mur, la limite entre « meilleure » et « moins bonne » partie de l’Europe est devenue caduque. Et moi, je vous dis que c’est du bullshit !

Tout d’abord, c’est du bullshit dans la mesure où le pouvoir de consécration d’un artiste venant des provinces orientales de cette Europe sans frontières demeure continûment en sa partie occidentale. À vous de décider s’il y a oui ou non des Damien Hirst à l’est de Berlin.

Ensuite, c’est du bullshit parce que, si les « Promesses du passé » se sont accomplies et qu’il est désormais envisageable, pour un artiste est-européen, d’abandonner complètement les préoccupations politiques ou idéologiques au profit d’une recherche purement esthétique, cette recherche passe obligatoirement par l’analyse des traditions et des styles propres à l’histoire de l’art de chaque pays de l’ancienne sphère communiste. Or, si la tentation de l’Occident est grande, la conscience historique lui fait front. Tel un réservoir de citations et de références, mais aussi de représentations mentales, elle brave l’ambivalence des nouveaux territoires sans frontières. L’obsession quasi palpable, dans les œuvres des artistes des Balkans, de défaire le nœud traumatique de la guerre n’en est qu’un exemple.

Un autre exemple, infiniment plus proche de ma sensibilité, est celui d’une jeune Israélienne dont la vidéo, Mur i Wieza (Le Mur et la tour, en polonais), a été incluse dans les « Promesses du passé » en vertu de l’idée de ses concepteurs selon laquelle, à l’ère de mondialisation, chaque artiste se tournant vers l’ex-Europe de l’Est ou y cherchant des repères culturels devrait être considéré comme un artiste est-européen. Yael Bartana, car tel est le nom de la vidéaste, a donné libre cours à son imagination en faisant construire un kibboutz polono-hébraïque en plein centre de Varsovie. Je ne vous demande pas de deviner pourquoi elle a choisi Varsovie et non pas Belgrade… Pas plus que je ne vous demande de vous tordre de rire en regardant la première séquence de son film montrant la figure caricaturale d’un activiste politique en train de hurler depuis un podium : « Que les trois millions de juifs reviennent en Pologne ! »

Bon, vous avez compris. Ce n’est que de l’art à l’ère de la mondialisation.[/access]

Des chiffres et des prêtres

387

C’est bien la première fois qu’une dépêche couplée Vatican-Pédophilie n’intéresse pas les médias. Début juillet, une nouvelle plainte est déposée contre le Vatican aux Etats-Unis. C’est une plainte, pas une condamnation. Mais ça intéresse. Toutes les rédactions. Ça intéresse Le Monde, Le Figaro, Le Point, Le Nouvel Observateur. Tiens, et la Libre Belgique. Mais là, mes amis, rien, non rien. De cette dépêche, vous ne saurez rien. Pas un média pour diffuser cette dépêche. Le choix du silence.

Dans ma recherche Google, elle est bien seulette, la pauvrette, elle se morfond, la dépêche. Pourtant, elle est pas bien méchante, la mignonnette de l’AFP : tenez, on en a même ôté toutes les réactions du Vatican – celle du Père Lombardi, celle de l’avocat du Vatican -, pour qu’elle ne fasse point trop peur. Ils ont pourtant des choses à dire. Mais dans notre dépêche à nous, seuls les avocats des victimes ont la parole. C’était digeste. Mais on ne l’aime pas, cette dépêche, dans les rédactions. Juste une reprise automatique par La Croix. Et puis… Radio Vatican. Sinon ? Sinon, juste rien. Vous ne saurez pas.

Trois plaintes contre le Vatican abandonnées

Pourtant, non, allez, debout, les gars de la marine ! Sonnez, trompettes et olifants ! Ce mardi, trois plaintes dirigées directement contre le Vatican ont été abandonnées, faute pour les plaignants de pouvoir remplir les conditions posées pour son implication. L’avocat voulait traduire le Vatican et pourquoi pas le Pape devant les tribunaux américains, il renonce. La responsabilité du Vatican ne sera pas mise en cause. Et chez les Saxons, en revanche, on en cause.

Oh, ça peut te sembler dérisoire, à toi l’athée. Mais nous, vois-tu, de notre côté, on s’en est juste pris plein la gueule pendant des semaines. On a encaissé, on a admis, on a assumé, on s’est excusé. Pour ce que l’on n’a pas commis. Par solidarité, par fraternité. Alors, ma foi, oui, un épisode de moins, ça soulage.
Et pourtant, c’était mal barré. Tiens, quand la Cour Suprême a refusé de se prononcer sur la possibilité de poursuivre le Vatican, ça ne faisait pas un pli. Au Monde, au Point, à L’Express, c’était écrit d’avance, gravé, définitif : ce refus ouvrait la voie aux poursuites. Le Vatican pouvait être tenu pour responsable… enfin.

Cela n’a pas été l’opinion de l’avocat des plaignants qui ont abandonné les poursuites, considérant que ce refus de la Cour Suprême de se prononcer confirmait un état du droit qui ne leur permettait pas de poursuivre le Vatican. En six ans de procédure, donc, et malgré les facilités ouvertes en droit américain, malgré la bonne volonté des médias en général et du New York Times en particulier, ils n’ont pu trouver les éléments de fait leur permettant de confirmer l’a priori qui servait de base à leur action. Malgré même le renfort d’Hans Küng, odieusement appliqué à citer à charge cette lettre De Delictis Gravioribus dans laquelle le Vatican annonçait sa décision de centraliser la gestion de ces cas, c’est qu’a contrario elle était décentralisée avant.

Non, ils n’ont pas d’éléments pour démontrer une prétendue politique concertée depuis le Vatican pour imposer le silence sur les cas d’abus.
Ils ont abandonné aussi devant l’ancienneté des faits. C’est qu’à l’image de la quasi-totalité des affaires qui ont fait la brûlante actualité des derniers mois, celle-ci est vieille de plusieurs dizaines d’années. McMurry, l’avocat des plaignants l’a lui-même déclaré : « comment donc allez-vous prouver qu’en 1928, un évêque savait que le prêtre qui a abusé d’un plaignant était un pédophile ? ». En effet, en effet. Que voilà une sage observation, mais qui souligne aussi chemin faisant qu’ils agissaient sans preuve. Voilà une question qu’il fallait se poser avant : avant de vouloir impliquer le Vatican, étaient-ils seulement en mesure de prouver qu’il y a près d’un siècle, avant la seconde guerre mondiale, avant la Grande Dépression, le Vatican était informé d’un cas intervenu dans le Kentucky ? C’est que la perspective était trop belle. Trop conforme à leurs préjugés.

Affaire de gros sous ou délire idéologique

Oh, il n’y a là rien de glorieux, bien sûr. On nage toujours dans la fange immonde. Et personne ne nie la souffrance du plaignant. Le Vatican ne nie pas les abus dont a été victime le plaignant, qui a d’ailleurs été indemnisé (si on peut l’être vraiment). Mais entraîner des victimes dans une longue aventure judiciaire impossible était soit affaire de gros sous pour les avocats soit délire idéologique. Soit les deux.
Idéologique, oui, le traitement réservé depuis l’origine à l’Eglise. Non, bien sûr, elle ne nie pas. Elle ne nie plus. Elle assume l’horreur et la trahison, et nous avec. Elle prend ses responsabilités. Mais elle est bien la seule à le faire.
Parce que « maintenant, nous avons une vraie preuve : la pédophilie n’est pas un « problème catholique »». Il en aura fallu du temps, au blog La Salette Journey, pour se faire entendre. Dès avril, il le disait : Thomas Plante, professeur à Santa Clara et à Stanford, a établi que « 2 à 5% des prêtres ont eu des rapports sexuels avec un mineur, ce qui est inférieur au taux concernant la population masculine générale, établi à environ 8% ».

Ainsi, comme le souligne William Oddie dans son article publié le 10 août dernier, au-delà même de ce qu’établissait Newsweek, à savoir que rien ne permettait de penser que les prêtres catholiques étaient plus concernés que d’autres, il apparaît qu’ils sont 1,6 à 4 fois moins concernés que la population mâle générale. Pas plus, pas autant : moins. Pourtant, on en a souillé, des prêtres, et des vocations, avec ce soupçon ignoble. On en a tiré, des conclusions, sur l’Eglise…

Bref, vos enfants sont statistiquement quatre fois plus en sécurité avec un prêtre catholique qu’avec vous. Votre père. Votre frère…
D’ailleurs, comme le souligne Oddie, « the penny is beginning to drop ». On commence à s’agiter. On commence à s’inquiéter. C’est que selon un rapport, près de 10% des élèves aux Etats-Unis rapportent des cas de relations sexuelles non sollicitées par leurs éducateurs. Alors, ce qui était divertissant tant qu’il s’agissait de s’en prendre à l’Eglise perd soudain de son attrait. On a si bien joué avec elle que l’on pourrait se voir appliquer les solutions qu’on a défendues contre elle. Jim Dwyer, dans le New York Times, pose la question : « la ville de New York pourrait-elle être poursuivie pour des faits d’abus sexuels intervenus il y a des dizaines d’années par les professeurs des écoles publiques ? Et qu’en est-il des médecins ou des personnels hospitaliers ? Des officiers de police ? Des travailleurs sociaux ?». On sourit moins, et les lobbyistes s’agitent. Sans rire, ils posent la question : « Comment pourrait-on revenir 40 ans en arrière et certifier ce qui est arrivé ? Les témoins, les autorités responsables et même le ou la responsable des faits pourraient être morts !». Oui, en effet. Que ce soit en 1970 ou en 1928.
Et chez nous, que pourrait-il donc arriver ?

Et l’Education nationale ?

Que pourrait-il arriver lorsqu’on lit par exemple que si elle a pris des mesures, dans le même temps que l’Eglise, l’Education Nationale se contentait il y a seulement 13 ans, de muter les professeurs pédophiles, sans que rien ne soit indiqué sur leur dossier : « si elle préférait tenir secrètes ses mauvaises histoires, l’Education nationale a-t-elle, au moins, lavé son linge sale en famille ? Même pas. Les enseignants « à problèmes » sont juste mutés. Sans transmission d’information: on appelle ça se refiler le mistigri. » Que pourrait-il arriver lorsque l’on devine, malgré le silence maintenu, que les cas sont bien plus nombreux qu’avec les prêtres?

Non, la pédophilie n’est pas un « problème catholique ». C’est un problème que l’Eglise partage avec l’ensemble de la société. Elle en est toutefois quantitativement moins affectée et elle le reconnaît davantage que d’autres. Sa mise en cause acharnée, et le silence maintenu sur les faits à décharge, révèlent toutefois l’ampleur du traitement de faveur qui lui est réservé.

Nous sommes tous des Méditerranéens

66

L’affaire de la fausse alerte à la bombe (à eau miraculeuse ?) de Lourdes lève le voile sur la pratique parfaitement maîtrisée de la novlangue par le trop méconnu préfet des Hautes-Pyrénées. Celui-ci, un dénommé Bidal, s’est fendu d’une déclaration édifiante sur l’origine potentielle du poseur de lapin – à défaut de bombe. Il a précisé, selon les meilleurs journaux, que l’appel anonyme prévenant de la présence d’un engin explosif avait été passé par « un homme au fort accent méditerranéen […] » !

C’est une découverte pour les férus de géographie et de phonétique ne soupçonnant pas l’existence d’un accent méditerranéen unifié qui rassemble sous sa bannière consensuelle l’assent de Marseille, les roucoulements de Palerme ou les lamentations orientales.

C’est un casse-tête pour les policiers chargés de l’enquête : de quel côté de l’accent de la Méditerranée vont-ils orienter leurs recherches ?

C’est une victoire pour les chantres de l’indifférenciation dogmatique : les mots clivant s’évanouissent pour ne fâcher personne.

Mais c’est aussi une épreuve pour les tagueurs de mosquée : « sale Méditerranéen », c’est tout de suite moins efficace.

Happy hours en salles de shoot

49
Se droguer avec des médecins : non merci ! Enfin, ça dépend lesquels.
Se droguer avec des médecins : non merci ! Enfin, ça dépend lesquels.

Je vous résume l’histoire, au cas où, ces derniers jours, vous étiez occupés à effectuer votre descente d’héroïne dans un squat à Palavas-les-Flots plutôt qu’à suivre l’actualité française.

Roselyne Bachelot, qui fait ministre de la Santé quand elle ne s’occupe pas de Rama Yade, annonce son intention d’ouvrir des « salles de consommation de drogues sous surveillance médicale ». Nadine Morano lui emboîte le pas en déclarant qu’elle trouve ça smart, bath ou in. Je ne me souviens plus de la teneur exacte de sa déclaration. Mais qu’est-ce qu’elles sont cool, les gonzesses gouvernementales ! Elles savent pas s’habiller, mais qu’est-ce qu’elles sont cool ! Et patatras, voilà le grand sinistre qui arrive. François Fillon recoiffe sa mèche et déclare : « Pas de ça chez nous ! » Le Premier ministre français a beaucoup fait pour encourager le nomadisme des Roms (les voyages, ça forme la jeunesse), il n’entend pas les camés se laisser sédentariser.

Fillon est un punk. S’il ne l’était pas, il ne se coifferait pas aussi atrocement. Chaque fois même qu’il paraît à la télévision, son regard n’est pas seulement celui d’un chien battu : il exprime simplement la même angoisse existentielle que chantaient les Sex Pistols. Il y a du Sid Vicious, chez cet homme-là.

Le No future subventionné n’a pas d’avenir

Justement, c’est dans un hôtel de Greenwich Village (un Méridien, si mes souvenirs sont bons) que Sid Vicious a été retrouvé mort, en février 1979. Pas dans une « salle consommation de drogues sous surveillance médicale ». Imaginez-vous la tête que ferait un gars comme Philippe Manoeuvre (juré à la « Nouvelle Star » dans la vraie vie et, accessoirement rédacteur en chef de Rock & Folk) si le leader des Sex Pistols avait trouvé la mort en pleine overdose de Subutex, prescrit sur ordonnance et remboursé par la Sécurité Sociale, la main tenue par Raymonde Bouchard, infirmière en chef de « salle de consommation de drogues sous surveillance médicale » à Melun, 55 ans, célibataire et toujours vierge. Faudrait peut-être qu’elle pense à se raser la moustache. Le No Future subventionné n’a pas d’avenir.

Je ne veux pas généraliser non plus. Michel Heinrich, député-maire UMP d’Epinal, a fait entendre une voix discordante. Lui, les salles de shoot, il est plutôt pour. On le comprend : vivre à Epinal, ça incite à se shooter. Mais, en plus, avec le temps pourri qu’il y fait de janvier à décembre, vaut mieux prendre sa dose à l’abri des intempéries : shooté oui, mais pas trempé. C’est sans compter aussi que, dans les Vosges, ils ont réintroduit, il y a quelques années, le loup, le lynx, le chihuahua ou je ne sais quel autre animal hargneux, si bien qu’il y est désormais impossible de se camer en plein air sous peine de se réveiller avec un membre en moins ou, pire, ligoté par des cordelettes dans un sac poubelle et plongé dans les eaux de la Vologne, des eaux si tristes que cette rivière n’a pas trouvé mieux comme destin que de se jeter dans la Moselle. Donc, d’accord, les « salles de consommation de drogues sous surveillance médicale », il ne faut pas les autoriser dans les Vosges, mais les rendre obligatoires. Et dès le plus jeune âge.

Mais ailleurs ? Ailleurs, les choses se passent plutôt naturellement depuis des années. Je me souviens (c’était à la fin des années 1980), à Saint-Tropez, de soirées passées chez des amis français, où l’herbe, la cocaïne et les buvards d’acide circulaient allégrement. À l’époque, un jeune freluquet qui ne se prétendait pas encore écrivain avalait des ecstasies comme des fraises Tagada tout en me suppliant de lui donner des cours particuliers d’allemand[1. Non, je ne ferai pas du name dropping. Mais chacun aura reconnu qu’il ne s’agit ni de Marcel Proust ni de sa petite sœur.]. Et nous étions heureux. Camés mais heureux. Le tout, évidemment, sous surveillance médicale. Il y avait, en règle générale, deux ou trois médecins psychiatres, quatre ou cinq dentistes, six ou sept ophtalmologues, un célèbre otho-rhino (ce serait rosse de dire son nom) et dix-huit ou dix-neuf chirurgiens esthétiques. En passant, je vous déconseille d’appeler « chirurgien esthétique » quiconque veut vous démonter le portrait après trois grammes de coke en hurlant qu’il est un réel bienfaiteur de l’humanité puisqu’il fait de la « chirurgie réparatrice ».

L’art discret de pratiquer la drogue en salle

C’est dire que les « salles de consommation de drogues sous surveillance médicale », je connais depuis longtemps. Il n’y a rien de pire au monde que de se faire un fix avec des représentants du corps médical. La journée, les mecs la passent à s’enfiler dose de morphine sur dose de morphine. Le soir, on ne les retient plus.

Même si j’ai arrêté de fréquenter les chemins qui ne mènent nulle part ailleurs que dans les paradis artificiels (c’est la grande thèse de mon livre que je n’ai pas encore écrit sur Heidegger cocaïnomane), même si je me contente désormais de ma ration régulière d’alcool pour tenir, je ne pourrais m’imaginer picoler dans une « salle de consommation de vodka sous surveillance médicale ». Une seule raison à cela : je connais très bien notre médecin de famille, le docteur Schweitzer (aucun rapport avec l’autre). Si je me retrouvais un jour avec lui dans une « salle de consommation de Bloody Mary sous surveillance médicale » (que sommairement nous appellerons un bistrot), je n’aurais pas fini mon verre qu’il aurait déjà bu le mien. Non pas ça, pas chez nous ! Et pas avec lui.

Nouvelles sous ecstasy

Price: 6,50 €

92 used & new available from 1,15 €

2012 : fin du monde ou renaissance ?

9
République

République

Et si, après vingt-neuf de néolibéralisme à la sauce Mitterrand-Chirac-Sarkozy, l’âne de Buridan français obtenait l’eau et l’avoine d’un seul coup ? Jusqu’ici, droite et gauche se sont succédé au pouvoir en inventant la divine formule de l’alternance unique. Un coup, le discours sécuritaire teinté de néolibéralisme immédiatement corrigé par le rejet de son rejeton libertaire. Un autre, un programme social mâtiné d’idéologie du Progrès, salmigondis mêlant idéaux socialistes et libertés subjectives rythmées par les besoins du marché.

Le Grand Journal, machine à nous dire quoi penser

À force de déception et de lassitude, le peuple rue dans les brancards à chaque élection, renvoyant dos à dos gauche sociétale et droite du fric. Dix ans après l’onde de choc de l’hydre Le Pen et le carnaval antifasciste qui a suivi, l’ombre populiste se profile à nouveau sur la France. Et tant mieux : les élites traîtresses s’inquiètent sérieusement du regain de popularité des slogans xénophobes surfant sur la désespérance d’un peuple oublié, martyrisé et honni. Sur les plateaux de télévision, les sociologues de salon nous expliquent que la révolte gronde en banlieue, chez ces exclus victimes du racisme ordinaire. Le grand Villepin opine du chef. Auréolé de son discours à l’ONU, il drague ouvertement le vote ethnique et dénonce publiquement le néocolonialisme du pays légal.

[access capability= »lire_inedits »]Au bal des prétendants, il n’est pas le dernier à se disputer les faveurs du Grand Journal de Canal +. Cette formidable machine à nous dire quoi penser, de qui se gausser et comment consommer en a fait un de ses chouchous, en lieu et place du turbulent Besancenot, devenu trop incontrôlable.

Avant de statuer s’impose un bref passage en revue des principaux protagonistes :

• Honneur au sortant : Nicolas Sarkozy met fin au faux suspense qui entoure sa candidature à un second et dernier mandat. Fort de son bilan de président-qui-agit-pendant-la-crise, l’hôte de l’Élysée réédite sa campagne de 2007 autour du triptyque République-Travail-Nation. Cinq après, le tandem magique Buisson-Guaino peine à réitérer l’exploit. Et pour cause, au-delà des casseroles de quelques ministres peu discrets, la barque s’avère chargée. Sauvetage des banques sans garantie ni prise de participation publique, arrimage désespéré à une zone euro subclaquante, défense effrénée d’un libre-échange destructeur d’emplois, chiffres du chômage en berne, moral des ménages au plus bas… Tous les indicateurs sont au rouge. La seule chance de s’en sortir : endosser les tabous idéologiques de la gauche qui forment autant de thématiques chères aux classes populaires. Que le peuple préfère les plats réchauffés à la cuisine sociale-libérale azotée : tel est le dernier espoir de l’habile Sarkozy.

« Un duel entre les héritières Le Pen et Delors, ça aurait de la gueule », murmure-t-on au PS

• En face, les duettistes du pacte de Marrakech mènent grand train. Au terme de primaires peu disputées, la patronne du PS l’a emporté haut la main. De sa prison dorée de Washington, DSK a exprimé son soutien officieux. En sous-main, quelques conseillers bien inspirés suggèrent à Martine Aubry de parler au petit peuple des pavillons ainsi qu’aux déclassés de province, trop longtemps négligés par les socialistes. Il faut dire que la société du care passionne peu au plateau de Millevaches et que l’antisarkozysme fiscal cache mal les convergences européennes entre UMP et PS. Comme dirait l’autre, tout reste néanmoins possible ; il s’agit moins de tabler sur l’adhésion au programme d’accompagnement du marché que de spéculer sur la faillite de Sarko. La tempérance du projet socialiste fait d’ailleurs les affaires de Mélenchon, promis au seuil des 6 % et trop vite réduit à ses talents de tribun.

• Marine Le Pen se tient en embuscade. La sémillante jeune femme à la crinière blonde capitalise jour après jour sur la désespérance des sans-grade. Non sans avoir épuré le FN de ses éléments les moins présentables, cathos intégristes, identitaires au racialisme étroit (pléonasme !) et autres « païens » obsédés par la pureté des origines. Le lumpenprolétariat fait le reste : quelques caïds disséminés ici ou là, des voitures qui brûlent, un ou deux drapeaux algériens hissés en banlieue : n’en jetez plus, la campagne de Marine est lancée ! Aidée par des médias hésitant entre l’ostracisme – cette fameuse stratégie du cordon sanitaire dont on mesura l’efficacité un certain 21 avril − et la connivence – au prix de quelques concessions frontistes sur l’IVG ou le divorce − la digne fille de son père vise le second tour. Après tout, murmure-t-on à Solferino, un duel entre les héritières Delors et Le Pen, cela aurait de la gueule…

• Quarante ans après Épinay, une décennie après la folle aventure du Pôle républicain, Jean-Pierre Chevènement entend remettre le couvert. Au grand dam de ceux qui l’avaient enterré trop vite, le sage de Belfort en a encore sous la pédale. Cet intellectuel lancé en politique égrène jour après jour les thèmes occultés par ses adversaires. Concurrence déloyale entre la France et l’Allemagne sur fond de déflation salariale, mainmise des marchés financiers sur la souveraineté des États, délitement de la nation en autant de communautarismes victimaires, nécessité de refonder le pacte national à nouveaux frais, dénonciation du mythe sécuritaire sarkozien, etc. Le mythe de l’homme providentiel a beau être éculé, certains se mettent à rêver d’un score honorable. Le gros de la crise aidant, le recours au brillant septuagénaire pourrait redonner du souffle à une gauche en mal d’idées. Certains socialistes républicains ne craignent-ils pas à une victoire à la Pyrrhus qui consacrerait la ruine du sarkozysme sans proposer de réelle alternative ?

Passée la cohorte des Nouveau centre-vieux Modem-Europe Ecologie-Anticapitalistes et autres trotskystes d’apparat, la liste des candidats devient un inventaire à la Prévert. Quels que soient ses résultats, l’élection présidentielle distribuera son lot de rires et de peines. Espoir pour les uns, crainte pour les autres, le balancier du suffrage universel ne pourra de toute façon enrayer la sombre perspective du déclin à lui seul. Certains perçoivent de la mélancolie là où d’autres annoncent la fin du roman national. Peu importe le flacon, reste l’ivresse de la chute. Car un même fatalisme ronge nos élites comme nos classes populaires.

En guise d’antidote, prônons un sens du tragique conjugué à un strict solidarisme. « Penser en pessimistes, agir en optimistes » : et si l’antienne socialiste de Benoît Malon était notre planche de salut ?[/access]

La France de petite vertu

370

Le sondage IFOP – Le Figaro indiquant que les Français, dans une imposante majorité, soutenaient les mesures sécuritaires annoncées par Nicolas Sarkozy dans son discours de Grenoble a jeté le trouble dans les élites politiques et médiatiques, y compris dans les plus hautes sphères de Causeur.

Une fois que les tentatives de mise en doute la validité méthodologique de ce sondage eurent fait pschitt, le vague à l’âme s’est emparé des profs de morale autoproclamés qui sévissent à la rédaction de France Culture et dans d’autres lieux de diffusion de la pensée vertueuse.

La démocratie, régime bancal

Ainsi, le peuple français ne serait pas installé pour l’éternité sur les sommets de la rectitude morale et il se ficherait de l’héritage de ses grands ancêtres révolutionnaires comme de cet an quarante du siècle dernier dont on vient de commémorer l’ombre et la lumière ! Il se complairait plutôt à se vautrer dans la fange des idées sécuritaires, racistes et xénophobes qui font horreur à toutes les belles âmes parlantes et écrivantes. O tempora ! O mores !

La fameuse formule de Brecht épinglant les potentats communistes de la RDA de 1953 : « J’apprends que le gouvernement estime que le peuple à ‘trahi la confiance du régime’ et ‘devra travailler dur pour regagner la confiance des autorités’. À ce stade, ne serait-il plus simple de dissoudre le peuple et d’en élire un autre?« , pourrait parfaitement s’appliquer au comportement des éditorialistes et auteurs de tribunes fustigeant Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux.

Peut-on reprocher aux détenteurs du pouvoir dans un régime démocratique, disposant aujourd’hui de méthodes fiables pour sonder les cœurs et les reins de leurs électeurs, de tenir des discours qui plaisent au plus grand nombre ? En démocratie, les hommes politiques, contrairement aux clercs, n’ont pas comme mission de rendre les hommes meilleurs, mais de les gouverner en conciliant au mieux l’intérêt général et l’exercice des libertés individuelles. C’est pourquoi, comme l’a brillamment démontré le sociologue Jean Baechler[1. Jean Baechler, Démocraties, éditions Calmann-Lévy] , la démocratie est, par essence, un régime qui marche mal. Heureusement, ce fonctionnement bancal, où se heurtent sans cesse la force des égoïsmes individuels et l’intérêt du plus grand nombre est compensé par une capacité à se réformer pour éviter le chaos.

Ceux qui exigent de la République française qu’elle soit une démocratie modèle d’où seraient bannis abus de pouvoir, corruption et autres vilenies dont se rendent coupables les élus, devraient se souvenir qu’en France on ne connut qu’une seule dictature réellement totalitaire, la Terreur, et qu’elle fut exercée par Robespierre et ses amis au nom de la Vertu.

Les préposés à l’édification du genre humain, les clercs, les vrais, religieux ou laïcs ayant considérablement failli et perdu, au moins pour quelque temps, toute crédibilité, la voie est libre pour que les moralistes amateurs, aventuriers de la pensée et charlatans de l’éthique essaient de nous fourguer des remèdes-miracles contre la propension humaine à préférer le mal au bien.

Le droit du sol n’est pas une loi

Voilà qui lève les derniers scrupules qui me retenaient jusque-là de mêler ma voix fluette à ce concert. Je ne trancherai pas la question de savoir qui du peuple ou de BHL a raison sur la question de savoir s’il est convenable ou non de retirer la nationalité française aux naturalisés polygames ou tueurs de flics. Ce sujet a déjà été traité de manière contradictoire dans ce salon, permettant à chacun de se faire une opinion. Cependant, les pourfendeurs du Sarkozy de Grenoble prétendent, pour lui faire honte, que le « droit du sol » qui régit depuis le milieu du XIXème siècle notre code de la nationalité est un héritage de la grande générosité des révolutionnaires de 1789 acceptant d’accueillir en France les victimes de la tyrannie et les amants de la liberté. Ce serait donc une composante éthique la version française de la démocratie. Le remettre en cause serait donc, selon eux, porter un coup mortel à un héritage sacré. Foutaises ! L’octroi de la citoyenneté de la République au baron prussien Jean-Baptiste, dit Anacharsis Cloots, « orateur du genre humain », en 1792 est un fait aussi remarquable qu’isolé. La France de la Révolution, puis de l’Empire était suffisamment peuplée pour que l’Etat puisse se fournir sur place en chair à canon, et si cela ne suffisait pas, on préférait embaucher des mercenaires que de créer des citoyens.

Napoléon 1er le fit passer à la trappe avec le calendrier républicain et le culte de l’Etre suprême. C’est dans une visée purement utilitariste que le Second Empire en 1859 et la IIIème République en 1889 réintroduisent et amplifient le jus soli dans notre Code civil : il s’agissait de compenser le déclin démographique français par l’inclusion dans la communauté nationale d’une nouvelle force de travail, puis de potentiels soldats, en vue de la revanche contre la Prusse.

Le peuple, dont la xénophobie plus ou moins virulente est une constante jamais démentie, accueillit chaque vague d’immigration avec une malveillance aujourd’hui bien documentée. Cette hostilité s’estompait à mesure que ces nouveaux Français se fondaient dans la masse par un phénomène aujourd’hui cloué au pilori : l’assimilation.

Panique morale

Son extension, aujourd’hui, à des populations dont une partie, au moins, se montre rétive à l’acceptation des coutumes majoritaires du pays d’accueil pose aujourd’hui problème et crée dans notre pays ce que le sociologue américain Stanley Cohen désigne sous le nom de panique morale. Celle-ci surgit quand « une condition, un événement, une personne ou un groupe de personnes est désigné comme une menace pour les valeurs et les intérêts d’une société ». Cohen propose également qu’on reconnaisse dans toute panique morale deux acteurs majeurs: les « patrons moraux » (« moral entrepreneurs« ), initiateurs de la dénonciation collective; et les « démons populaires » (« folk devils « ), personnes ou groupes désignés à la vindicte.

Cette théorie ne préjuge en rien de la réalité de la menace, mais analyse simplement les effets de son mode de présentation au public. La panique publique dont nous sommes saisis actuellement fonctionne dans une dénonciation à double-sens : celle des groupes humains en tant que tels (immigrés, Roms) et, inversement, celle de ceux qui se refusent au déni de réalité, qui sont les folk devils des nouveaux clercs (Alain Finkielkraut et Renaud Camus, par exemple sont la cible des néo-moralistes). Les « patrons moraux » de l’antiracisme postulent l’innocence ontologique de leurs protégés et démonisent ceux qui mettent en doute cet axiome.

Une panique, en général, ne produit pas beaucoup d’idées rationnelles permettant d’apporter des réponses concrètes à des situations concrètes. On pourrait, par exemple, envisager la suspension, voire la suppression du droit du sol. Cela mettrait fin à une production automatique de nouveaux Français et serait moralement supportable si elle était doublée d’un accueil fraternel et efficace pour ceux qui manifesteraient explicitement le désir de partager notre citoyenneté, ses droits et ses devoirs. Mais je crains que dans les conditions actuelles, une telle proposition n’accroisse cette panique morale plutôt qu’elle ne l’apaise.

De l’Etat et de ses dirigeants, les Français n’exigent plus seulement protection et sécurité. Ils le tiennent pour responsable du confort moral collectif d’une nation dont les performances éthiques individuelles de la majorité de ses citoyens sont loin d’être exceptionnelles. Certes le racisme et la xénophobie made in France se sont révélés moins barbares que dans d’autres nations européennes : en matière de pogroms et de génocides la France a joué plutôt grande gueule et petit bras. Cela n’autorise cependant pas ses dirigeants à se poser, comme cette andouille de Villepin, en donneurs de leçons universelles.

Contre la corruption, le balai nordique ?

On parle beaucoup ces dernier temps de l’éventuelle candidature d’Eva Joly à l’élection présidentielle de 2012. J’avais déjà exprimé ici, à la grande fureur de quelques commentateurs, le peu de considération que m’inspirait cette ex-juge hissée par Dany Cohn-Bendit vers les sommets de la politique française. Elle sera probablement la candidate « anti-corruption » proposée aux suffrages d’électeurs éprouvant un ras-le-bol bien compréhensible devant des « affaires » que les médias lui offrent en pâture. Contre la corruption, rien ne vaut le balai nordique pour nous élever jusqu’à l’ascèse vertueuse de la vie politique scandinave. Tel est le message qui sera délivré à un peuple qui n’a de cesse de pratiquer les combines, chacun à son échelle, pour ruser avec le fisc, travailler au noir ou promouvoir ses proches. Le niveau de corruption acceptable dans une démocratie n’est pas une constante universelle, ni même nationale : on n’a pas les mêmes critères pour le définir à Oslo et à Palerme, à Strasbourg et à Toulon.

Les lois, bien sûr, sont là, mais il y a la jurisprudence et les considérations « d’opportunité » qui les adaptent aux mœurs locales. La seule chose sensée que l’on peut affirmer en matière de corruption dans la vie publique est : qu’il y en ait le moins possible, en tenant compte du contexte anthropologique local. Les Monsieur ou Madame Propre, de gauche, de droite ou d’extrême droite, sont des démagogues comme les autres.

Le Tour de France, cette année, a été d’une propreté exemplaire, selon une rumeur publique relayée avec gourmandise par un Nicolas Sarkozy conscient de l’immense popularité de l’épreuve en dépit de des scandales de dopages à répétition. Le peuple ne veut pas de cyclistes vertueux, mais des champions qui mettent le turbo dans les cols. Et pour ça, faut ce qu’il faut. Nos lois sur le financement des partis politiques sont, paraît-il, le nec plus ultra de ce qui se fait dans le genre. Mais comme pour le dopage sportif, les tricheurs ont toujours un coup d’avance, comme l’a révélé la technique des « micros-partis » producteurs d’oseille. On ne se refait pas…

L’immense écrivain finlandais Arto Paasilinna a écrit un jour : «  Les Finlandais ne sont pas pires que les autres, mais suffisamment mauvais pour que j’aie de quoi écrire jusqu’à la fin de mes jours.  »
On souhaiterait qu’en France, la contemplation de nos vices produise plus de bonne littérature, et moins de sermons hypocrites.

Grand blanc sur fond noir

33

Il est grand et costaud, le lieut-co ! Avec cela, un parler direct : « J’m’en fous qu’tu sois d’la presse […] tu enlèves ma photo, tout de suite ! ». L’officier est français, le gars « d’la presse », togolais, ou au moins africain, ou peut-être seulement noir. Il dit « d’accord ! », mais n’obtempère pas. Le grand blanc -un irritable- se tourne vers un policier togolais, ou au moins africain, assurément noir, et, désignant le réfractaire, demande : « Il m’obéit ? ». La phrase est cocasse en ceci qu’elle est interrogative en apparence, alors qu’en réalité elle ordonne au policier d’agir auprès du contrevenant. Ils sont deux sur ce « il »-là, deux togolais, deux africains, deux noirs enfin. Deux secondes plus tard, le « il » policier exécute l’ordre: on entend le bruit mat que fait sa matraque sur le « il » « d’la presse »…

Après, la scène tourne aux palabres, on est en Afrique. La couleur du grand blanc, sous l’effet de la chaleur et de l’énervement, vire: du rose saumon elle passe au rouge tomate. Il n’est pas d’humeur à négocier, il n’a pas été formé pour cela. Pour lui, un rassemblement, cela se disloque, s’éparpille, se dissout, cela s’écrase, sous ces latitudes. Et il a les moyens de son ambition, le grand rougeaud d’élite, il en donne la preuve : « Tu sais qui je suis ? Je suis le conseiller du chef d’état-major de l’armée de terre !« . Cela se passait le 11 août : fin de la séquence.

La porte-parole adjointe du Quai d’Orsay, Christine Fages, a déclaré, le surlendemain: « Une sanction disciplinaire de dix jours d’arrêt a été notifiée hier au lieutenant-colonel Romuald Letondot, pour atteinte au renom de l’armée française ». En outre, le conseiller, qui a présenté ses excuses au journaliste mais a prétendu avoir été piégé, a été rappelé à Paris. Sera-t-il reçu par Bernard Kouchner, dont la rumeur prétend qu’il serait ministre des Affaires étrangères ? Ce dernier pourrait lui donner des conseils en matière de comportement et de négociation (surtout commerciale) avec les Africains[1. Pierre Péan, Le monde selon K, Fayard]…

De Gaulle, encore une fois

5
Charles de Gaulle

Charles de Gaulle

Jean Monnet est honorablement connu. On dit de lui et l’on va répétant qu’il est le « père de l’Europe ». Après la Seconde Guerre mondiale, il imagina un accord demeuré fameux, relatif au charbon et à l’acier, annoncé sous les ors du somptueux salon de l’Horloge, quai d’Orsay, le 9 mai 1950, par Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, modifié et signé le 18 avril 1951 (CECA, Communauté européenne du charbon et de l’acier). Nous lui en sommes reconnaissants.

Au physique, M. Monnet ressemblait à un personnage de la IIIe République parfaitement à son aise sous la IVe. Il n’avait pas de temps à perdre. Il voyait ce qu’il voyait, et n’ignorait rien de ce qu’il savait. L’art de la conversation, très peu pour lui ! Mais une négociation, un accord, une entente, ou bien même une facture de cognac (il en vendait), tout cela lui inspirait confiance. Relativement aux choses de la politique, il était prudent, c’est-à-dire réaliste ou, si l’on préfère, centriste. Un centriste est un praticien de la branche erratique des mathématiques, par quoi l’on démontre que la circonférence est quelque part et le centre partout ailleurs.[access capability= »lire_inedits »]

Jean Monnet était un homme de bonne volonté

Au vrai, il n’éprouva de sentiment négatif qu’à l’endroit d’une seule personne : Charles de Gaulle ; mais alors de la haine, n’est-ce pas ? Elle lui souffla cette note, datée du 6 mai 1943, longtemps secrète, à l’attention du secrétaire d’État américain, Harry Hopkins, qui avait l’oreille du président Roosevelt : « Il faut se résoudre à conclure que l’entente est impossible avec [de Gaulle] ; qu’il est un ennemi du peuple français et de ses libertés ; qu’il est un ennemi de la construction européenne [et] qu’en conséquence, il doit être détruit dans l’intérêt des Français, des Alliés et de la paix. »

On ne se méfie jamais des hommes de la mesure et de la réconciliation. Mais que pouvait donc entendre un commerçant affable à ce soldat solitaire, un représentant visitant sa clientèle à ce chef-d’œuvre énigmatique nommé Charles de Gaulle ?

L’ordre de la chevalerie et le sens de la grandeur

Politique absolu, doublé d’un artiste barrésien, féodal corrigé par l’esprit républicain, son ordre fut de chevalerie. Et comme il maniait le paradoxe aussi bien que le mot d’esprit, ce désespéré total, qui ne se plaisait que dans la crise et l’inconfort, accéléra la modernisation de la France et, ainsi, l’installa à la pointe de la technologie la plus sophistiquée. Alors, bien sûr, il était plutôt austère et son épouse, aimante, attentive, discrète, symbolisait des vertus ménagères très éloignées de l’esprit du temps. L’ambiance élyséenne était compassée, ennuyeuse, grise. On dit que « Tante Yvonne » éteignait les lampes inutilement allumées, le soir, à l’Élysée ; et le couple de Gaulle payait l’électricité de la partie privée du palais.

En revanche, lorsqu’il s’agissait de la France, le général ne regardait pas à la dépense : « Versailles, il fallait le faire ; ne marchandons pas la grandeur », dit-il à André Malraux. Ce fut dans la galerie des Glaces que la République reçut Nikita Khrouchtchev, John Fitzgerald Kennedy et sa ravissante femme, Hassan II du Maroc. Malraux accéléra les travaux de restauration du Grand Trianon ; dans l’aile gauche logeaient les Excellences, Trianon-sous-bois étant réservé au président français. Il n’était point dupe des dorures, des stucs, de tout le grandiose appareil de la représentation prestigieuse, mais rien, non plus, ne devait paraître inférieur à son projet de renaissance de notre pays, humilié par la défaite de 1940, souillé par la Collaboration, vaincu à Diên Biên Phu, frileusement replié sous le parapluie américain.

Européen, pas européiste

Lui aura-t-on assez reproché son ombrageux souci d’indépendance et ses propos méprisants à l’égard d’une Europe « supranationale » qu’appelaient de leurs vœux le bon M. Monnet et ses condisciples, tels l’ineffable M. Servan-Schreiber et les doctes chroniqueurs aux cheveux taillés en brosse de L’Express ? De Gaulle, européen exigeant, convaincu, souhaitait l’avènement d’une solidarité qui n’abolît pas les génies nationaux. À la déferlante cynique, d’inspiration exclusivement marchande, il opposa l’Europe des nations, c’est-à-dire une addition de forces, mais non pas « une machine à broyer les libertés nationales[1. De Gaulle et les Français libres, Éric Branca, préface de Max Gallo, de l’Académie française, Albin Michel. On lira avec empressement le Dictionnaire amoureux de De Gaulle, par Michel Tauriac.] ». Il redoutait la confrérie des experts et des technocrates, tous professionnels des lois et des décrets qui entravent le mouvement des peuples. Il discernait, dans la diatribe bruyante de ses contradicteurs, le ronronnement des économistes précautionneux, le ricanement des affairistes et des boursicoteurs. Il voyait s’avancer une cohorte d’individus sans vergogne, rassemblés par l’appât du gain, oublieux des patries. À ce propos, les joueurs de l’équipe de France de football, mercenaires des grands clubs qui, en Afrique du Sud, ont inauguré une action de jeu jusqu’alors inconnue des amateurs de ce sport (le refus d’entraînement suivi d’un repli boudeur dans un car luxueux), n’ont-ils pas donné une navrante interprétation de l’« européisme » et de sa doctrine de prédateur hanté par le profit maximum ?

De Monnet aux pédagogistes, une haine tenace

Une assemblée de « pédagogistes » a jugé récemment que de Gaulle n’était pas un écrivain. Nous ne reviendrons pas sur cette forme de bêtise contemporaine qui se veut sans doute audacieuse : nous nous contenterons d’augmenter les modèles littéraires du général (« Dante, Goethe, Chateaubriand […] n’auraient pas beaucoup servi s’ils avaient été des apatrides et s’ils avaient pensé, écrit en quelque esperanto ou volapük intégrés ») du nom de Jules César, chef de guerre, impérialiste et colonisateur par nécessité (alors que de Gaulle fut le contraire par raisonnement). On relira, pour s’en convaincre les pages de son De Bello Gallico.

On ne saurait mieux conclure (provisoirement) qu’en évoquant la scène d’anthologie, pourtant furtive et mal connue, dont Romain Gary fut le héros fugitif : alors que commençait la messe d’enterrement de Charles de Gaulle surgit, dans la petite église, l’auteur de l’Éducation européenne, les yeux rougis et gonflés par les larmes, revêtu de son vieil uniforme d’aviateur. Il fallait un grand vassal pour que ce rebelle définitif consentît à s’agenouiller devant lui, tel un suzerain médiéval. Dans l’homme du 18-Juin, avait-il identifié le fantôme errant de la chevalerie française, morte à Azincourt ?[/access]

Une fille pour l’été

9

Les jeunes filles, toujours les jeunes filles.

Que font-elles, sous le soleil des vacances, allongées sur leurs serviettes pleines de sable ?
Elles portent des lunettes noires, bronzent seins nus, remplissent des grilles de mots fléchés, laissent leur esprit dériver vers quelques envies inavouables – bel inconnu à embrasser, ivresse douce, nuit d’amour à la belle étoile.

Proposons leur un peu de son, des mélodies du monde d’avant à écouter sur leur Ipod ou autre Itruc: Sea sex and sun de Gainsbourg, J’aime regarder les filles de Patrick Coutin ou L’amour à la plage de Niagara.

Proposons leur aussi de découvrir l’art de la fessée tel que le raconte Jacques Serguine dans son roman coquin L’été des jeunes filles.

Parlons leur, surtout, de Roland Jaccard et de ce bijou qu’est Une fille pour l’été.

Sexe, sarcasmes et mélancolie

Homme des flirts en hiver, des escapades viennoises à la poursuite de Karl Kraus et du « rire du diable » quand le diable a la frange de Louise Brooks ou d’une lolycéenne du Soleil Levant, Jaccard fait sonner la langue avec la précision d’un sniper classieux : « Paris me pesait. Nous étions début juillet. Comme chaque année, je me demandais comment affronter le grand vide de l’été. » Pour éloigner, le temps d’une saison, son suicide programmé, Jaccard avance sa pièce maîtresse : « Une étudiante aux Beaux-Arts que je connaissais à peine, Shade, m’avait accompagné au cinéma Action Christine pour voir le film de Rokuro Mochikuzi : Onibi le démon. Nous avions distraitement échangé quelques baisers. Au moment de nous quitter, je lui avais dit : “Et si nous partions pour Tokyo ?” Pour seule réponse, j’avais senti sa langue frétiller dans ma bouche et ses doigts caresser mon sexe. ».

Direction Tokyo donc, où l’ombre érotique d’une certaine Asako est partout, où l’histoire d’amour ne commence pas. Chez Jaccard, l’amour est un échec et mat désabusé – « Je jouerai à être ton premier amour et toi à être mon dernier » – où les amants ne se retrouvent, bien plus tard à Paris, que pour voir Eyes wide shut de Stanley Kubrick. Le film ne plaît pas. La faute à Tom Cruise – Nicole Kidman fumant de l’herbe en caraco blanc est, quant à elle, d’une sensualité qu’elle n’offrira plus. La faute à Shade, qui oublie trop vite les mots de Pessoa tirés du Livre de l’intranquillité : « La vie m’écoeure comme un remède inutile. »

Incandescence triste

L’été s’en va, Shade aussi, laissant place à des « poupées frigides » et à des fantômes fragiles nommés Marie, Amélie, Mélanine ou Sylvia Plath qui écrivait : « J’ai besoin de ce qu’il y a de plus impossible, quelqu’un qui m’aime quand je me réveille la nuit. »

L’été s’en va, Jaccard croise ses vieux amis Louis Scutenaire, Charles Bukowski, Woody Allen et Ennio Flaiano, le scénariste de la Dolce vita et de Huit et demi.

L’été s’en va, il est l’heure, peut-être, du départ pour Vegas, ce voyage ultime qu’effectuait un Nicolas Cage ravagé, au plus près de l’incandescence lumineuse et triste d’Elisabeth Shue, dans le crépusculaire Leaving Las Vegas.

Pourquoi Las Vegas ? « Il y a des piscines, du soleil, de l’arnaque, de l’inanité, des jeux et ce grand jeu que nous jouons tous avec la mort. Vous le savez aussi bien que moi : la société a plus à voir avec une party de suicidaires à grande échelle qu’avec une organisation d’êtres rationnels. Ce désespoir tranquille qui nous bouffe ici, au moins dans le désert hystérico-orgiaque du Nevada nous y échapperons. »

Les jeunes filles, l’été, l’amour, la mort et, à la fin de l’envoi, Jaccard qui touche.

Une Fille pour l'été

Price: 2 000,00 €

1 used & new available from

Déni de réalité

16

C’est un document bizarre qui vient d’être rendu public par le FMI, une recherche classée « publication sélective » (selected issue paper) qui dit en substance que les Etats-Unis sont en faillite virtuelle! Selon le FMI, la résorption du déficit budgétaire et fiscal US nécessiterait ainsi un « réajustement fiscal permanent de l’ordre de 15% du P.I.B. Américain ». Autrement dit, comme l’Etat fédéral lève annuellement des impôts qui se montent à 14.7% de son P.I.B., il conviendrait de doubler la taxation, ce qui ne sera à l’évidence jamais mis en oeuvre.

Accessoirement, ces chiffres relativisent les débats quant au bien-fondé de l’adoption de mesures stimulatoires supplémentaires car ce pays ne peut tout simplement plus se payer le luxe de la moindre injection de liquidités! 

Vent d’Est sur Beaubourg

4
Ewa Partum, Self-Identification, 1980
Ewa Partum, Self-Identification, 1980.
Ewa Partum, Self-Identification, 1980
Ewa Partum, Self-Identification, 1980.

Avouez-le : vous ne connaissez pas l’art de l’Europe de l’Est. Vous ne l’avez jamais connu, en fait. Vous ne sauriez citer un seul nom d’artiste venant de l’Est. Pas un seul.

Une « meilleure » et une « moins bonne » Europe

Eh bien, ce n’est pas grave. Détendez-vous. Ce n’était pas une question piège de « Qui veut gagner des millions ? » Nous sommes dans le salon de Causeur et non pas sur un vulgaire plateau de télé. Ne connaissant pas l’art des pays de l’ancien bloc soviétique, vous ne perdez rien, ni au sens propre ni au sens figuré. En revanche, vous confirmez l’opinion d’un Polonais prix Nobel de littérature (il y en avait quatre jusqu’à présent), qui soutenait que l’Europe se divisait depuis toujours en une meilleure et en une moins bonne partie. À vous de deviner laquelle était « meilleure » et laquelle « moins bonne ». Reste que, comme le précisait ce même lauréat polonais du prix Nobel de littérature, la partie « moins bonne » savait énormément, pour ne pas dire tout, sur la partie « meilleure », tandis que la partie « meilleure » ignorait tout de la partie « moins bonne ».[access capability= »lire_inedits »]

Quand bien même l’opinion d’un lauréat polonais du prix Nobel de littérature serait juste, elle passe sous silence un fait notable. C’est que la partie « moins bonne » de l’Europe s’ignorait elle-même. En tant que Polonaise, je ne saurais pas, tout comme vous, citer un seul nom d’artiste venant de l’Est. Pis, je ne savais même pas qu’il existait des artistes contemporains en Roumanie, en Hongrie, en Slovaquie ou en Croatie.

Une courageuse initiative du Centre Pompidou, à Paris, vise à prouver qu’il y avait et qu’il y a toujours, en Europe de l’Est, non seulement des artistes contemporains, mais aussi des groupes d’artistes, des courants, des styles, des théories. Une cinquantaine de noms à forte consonance exotique sont regroupés jusqu’au 19 juillet sous l’enseigne « Les Promesses du passé. Une histoire discontinue de l’art dans l’ex-Europe de l’Est ». Ils sont censés faire poids face à un Lucian Freud exposé dans le même bâtiment, quelques étages plus haut, tout comme à deux autres manifestations connaissant une forte affluence du public : « elles@centrepompidou » (1 million de visiteurs !) et « Dreamlands ».

L’art du rez-de-chaussée

Très métaphorique, cette disposition spatiale. Le Freud au sommet (niveau 6), les Picasso et Rothko plus bas (niveau 5), ensuite les Dora Maar et Louise Bourgeois (niveau 4), enfin, au rez-de-chaussée, séparés par un écran translucide de la très animée rue Aubry-le-Boucher, les Grigorescu, Krasinski, Szentjoby, Ivekovic, Abramovic, Stilinovic…. Comment pouvaient-ils, ces artistes du rez-de-chaussée, résister à la pression de l’Occident, à sa richesse et à sa diversité incommensurables, à cette avalanche de talents ? Bien évidemment, je ne vous demande pas de répondre. Vous savez qu’ils ne pouvaient et qu’ils n’ont pas résisté. Leur art reste avant tout mimétique.

Vous ne verrez au rez-de-chaussée du Centre Pompidou que des grossières copies des œuvres exposées aux étages supérieurs. De pâles imitations, des reproductions maladroites et presque touchantes par leur ambition inavouée de se mesurer à des originaux, sinon de leur faire de l’ombre, et qui, dans les meilleurs des cas, vous feront sourire. Vous ne retiendrez aucun nom, vous ne succomberez devant aucune pièce se présentant devant vos yeux, vous ne découvrirez rien de nouveau. Vous aurez envie de crier à l’imposture. L’entrée est à 12 euros tout de même ! Et pour voir quoi ? Un mec à poil en train de se barbouiller de papier mâché dans une vieille baignoire en zinc ? Bon Dieu, mais vous avez vu ça il y a trente ans à Londres, et en plus, c’était gratuit ! Et que l’œuvre s’intitule Cardinal, et que le prétendu artiste interroge, à travers sa performance, la culture catholique de la Pologne, et qu’il laisse perplexes les critiques de l’Ouest quant à son attitude face à l’Église ? Très bien tout ça, mais ça ne vaut pas 12 euros.

Vous allez avoir raison de vous insurger. Seulement, la véritable imposture réside ailleurs que dans les œuvres présentées. La véritable imposture se cache derrière l’idée même que vous puissiez être intéressés par « des artistes issus de scènes éloignées des grands centres du marché », comme l’exprime avec beaucoup d’élégance, dans le catalogue de l’exposition, le directeur de Beaubourg. Soyons sincères : vous n’iriez pas spontanément vers ces « scènes éloignées ». Vous ne prendriez pas le risque de vous aventurer dans les banlieues mal famées de Lodz ou de Bucarest à la recherche de jeunes artistes en devenir. Vous ne le feriez pas, puisque vous ne croyez pas, ou plus, pouvoir y trouver ce qui constituait, selon Gombrowicz, la seule force de toute forme de la créativité de l’Europe centrale et orientale : l’autodérision, l’immaturité, le provincialisme.

Et vous avez raison de ne pas ou de ne plus le croire.

Le rideau de fer de la conscience historique

Car vous vivez à l’ère de la mondialisation. EasyJet vous propose trois vols quotidiens vers Cracovie, sept jours sur sept. Les organisateurs de l’exposition « Promesses du passé » en sont conscients, puisqu’ils vous disent explicitement que l’approche contemporaine de l’art ne peut être que transnationale : « L’Europe est une, à défaut d’être totalement unie. » Se restreindre au choix de la production artistique d’une seule nation, comme en 1983 lors de « Présences polonaises », au même Centre Pompidou, leur semble désormais impertinent. Ils vous disent que, vingt ans après la chute du Mur, la limite entre « meilleure » et « moins bonne » partie de l’Europe est devenue caduque. Et moi, je vous dis que c’est du bullshit !

Tout d’abord, c’est du bullshit dans la mesure où le pouvoir de consécration d’un artiste venant des provinces orientales de cette Europe sans frontières demeure continûment en sa partie occidentale. À vous de décider s’il y a oui ou non des Damien Hirst à l’est de Berlin.

Ensuite, c’est du bullshit parce que, si les « Promesses du passé » se sont accomplies et qu’il est désormais envisageable, pour un artiste est-européen, d’abandonner complètement les préoccupations politiques ou idéologiques au profit d’une recherche purement esthétique, cette recherche passe obligatoirement par l’analyse des traditions et des styles propres à l’histoire de l’art de chaque pays de l’ancienne sphère communiste. Or, si la tentation de l’Occident est grande, la conscience historique lui fait front. Tel un réservoir de citations et de références, mais aussi de représentations mentales, elle brave l’ambivalence des nouveaux territoires sans frontières. L’obsession quasi palpable, dans les œuvres des artistes des Balkans, de défaire le nœud traumatique de la guerre n’en est qu’un exemple.

Un autre exemple, infiniment plus proche de ma sensibilité, est celui d’une jeune Israélienne dont la vidéo, Mur i Wieza (Le Mur et la tour, en polonais), a été incluse dans les « Promesses du passé » en vertu de l’idée de ses concepteurs selon laquelle, à l’ère de mondialisation, chaque artiste se tournant vers l’ex-Europe de l’Est ou y cherchant des repères culturels devrait être considéré comme un artiste est-européen. Yael Bartana, car tel est le nom de la vidéaste, a donné libre cours à son imagination en faisant construire un kibboutz polono-hébraïque en plein centre de Varsovie. Je ne vous demande pas de deviner pourquoi elle a choisi Varsovie et non pas Belgrade… Pas plus que je ne vous demande de vous tordre de rire en regardant la première séquence de son film montrant la figure caricaturale d’un activiste politique en train de hurler depuis un podium : « Que les trois millions de juifs reviennent en Pologne ! »

Bon, vous avez compris. Ce n’est que de l’art à l’ère de la mondialisation.[/access]

Des chiffres et des prêtres

387

C’est bien la première fois qu’une dépêche couplée Vatican-Pédophilie n’intéresse pas les médias. Début juillet, une nouvelle plainte est déposée contre le Vatican aux Etats-Unis. C’est une plainte, pas une condamnation. Mais ça intéresse. Toutes les rédactions. Ça intéresse Le Monde, Le Figaro, Le Point, Le Nouvel Observateur. Tiens, et la Libre Belgique. Mais là, mes amis, rien, non rien. De cette dépêche, vous ne saurez rien. Pas un média pour diffuser cette dépêche. Le choix du silence.

Dans ma recherche Google, elle est bien seulette, la pauvrette, elle se morfond, la dépêche. Pourtant, elle est pas bien méchante, la mignonnette de l’AFP : tenez, on en a même ôté toutes les réactions du Vatican – celle du Père Lombardi, celle de l’avocat du Vatican -, pour qu’elle ne fasse point trop peur. Ils ont pourtant des choses à dire. Mais dans notre dépêche à nous, seuls les avocats des victimes ont la parole. C’était digeste. Mais on ne l’aime pas, cette dépêche, dans les rédactions. Juste une reprise automatique par La Croix. Et puis… Radio Vatican. Sinon ? Sinon, juste rien. Vous ne saurez pas.

Trois plaintes contre le Vatican abandonnées

Pourtant, non, allez, debout, les gars de la marine ! Sonnez, trompettes et olifants ! Ce mardi, trois plaintes dirigées directement contre le Vatican ont été abandonnées, faute pour les plaignants de pouvoir remplir les conditions posées pour son implication. L’avocat voulait traduire le Vatican et pourquoi pas le Pape devant les tribunaux américains, il renonce. La responsabilité du Vatican ne sera pas mise en cause. Et chez les Saxons, en revanche, on en cause.

Oh, ça peut te sembler dérisoire, à toi l’athée. Mais nous, vois-tu, de notre côté, on s’en est juste pris plein la gueule pendant des semaines. On a encaissé, on a admis, on a assumé, on s’est excusé. Pour ce que l’on n’a pas commis. Par solidarité, par fraternité. Alors, ma foi, oui, un épisode de moins, ça soulage.
Et pourtant, c’était mal barré. Tiens, quand la Cour Suprême a refusé de se prononcer sur la possibilité de poursuivre le Vatican, ça ne faisait pas un pli. Au Monde, au Point, à L’Express, c’était écrit d’avance, gravé, définitif : ce refus ouvrait la voie aux poursuites. Le Vatican pouvait être tenu pour responsable… enfin.

Cela n’a pas été l’opinion de l’avocat des plaignants qui ont abandonné les poursuites, considérant que ce refus de la Cour Suprême de se prononcer confirmait un état du droit qui ne leur permettait pas de poursuivre le Vatican. En six ans de procédure, donc, et malgré les facilités ouvertes en droit américain, malgré la bonne volonté des médias en général et du New York Times en particulier, ils n’ont pu trouver les éléments de fait leur permettant de confirmer l’a priori qui servait de base à leur action. Malgré même le renfort d’Hans Küng, odieusement appliqué à citer à charge cette lettre De Delictis Gravioribus dans laquelle le Vatican annonçait sa décision de centraliser la gestion de ces cas, c’est qu’a contrario elle était décentralisée avant.

Non, ils n’ont pas d’éléments pour démontrer une prétendue politique concertée depuis le Vatican pour imposer le silence sur les cas d’abus.
Ils ont abandonné aussi devant l’ancienneté des faits. C’est qu’à l’image de la quasi-totalité des affaires qui ont fait la brûlante actualité des derniers mois, celle-ci est vieille de plusieurs dizaines d’années. McMurry, l’avocat des plaignants l’a lui-même déclaré : « comment donc allez-vous prouver qu’en 1928, un évêque savait que le prêtre qui a abusé d’un plaignant était un pédophile ? ». En effet, en effet. Que voilà une sage observation, mais qui souligne aussi chemin faisant qu’ils agissaient sans preuve. Voilà une question qu’il fallait se poser avant : avant de vouloir impliquer le Vatican, étaient-ils seulement en mesure de prouver qu’il y a près d’un siècle, avant la seconde guerre mondiale, avant la Grande Dépression, le Vatican était informé d’un cas intervenu dans le Kentucky ? C’est que la perspective était trop belle. Trop conforme à leurs préjugés.

Affaire de gros sous ou délire idéologique

Oh, il n’y a là rien de glorieux, bien sûr. On nage toujours dans la fange immonde. Et personne ne nie la souffrance du plaignant. Le Vatican ne nie pas les abus dont a été victime le plaignant, qui a d’ailleurs été indemnisé (si on peut l’être vraiment). Mais entraîner des victimes dans une longue aventure judiciaire impossible était soit affaire de gros sous pour les avocats soit délire idéologique. Soit les deux.
Idéologique, oui, le traitement réservé depuis l’origine à l’Eglise. Non, bien sûr, elle ne nie pas. Elle ne nie plus. Elle assume l’horreur et la trahison, et nous avec. Elle prend ses responsabilités. Mais elle est bien la seule à le faire.
Parce que « maintenant, nous avons une vraie preuve : la pédophilie n’est pas un « problème catholique »». Il en aura fallu du temps, au blog La Salette Journey, pour se faire entendre. Dès avril, il le disait : Thomas Plante, professeur à Santa Clara et à Stanford, a établi que « 2 à 5% des prêtres ont eu des rapports sexuels avec un mineur, ce qui est inférieur au taux concernant la population masculine générale, établi à environ 8% ».

Ainsi, comme le souligne William Oddie dans son article publié le 10 août dernier, au-delà même de ce qu’établissait Newsweek, à savoir que rien ne permettait de penser que les prêtres catholiques étaient plus concernés que d’autres, il apparaît qu’ils sont 1,6 à 4 fois moins concernés que la population mâle générale. Pas plus, pas autant : moins. Pourtant, on en a souillé, des prêtres, et des vocations, avec ce soupçon ignoble. On en a tiré, des conclusions, sur l’Eglise…

Bref, vos enfants sont statistiquement quatre fois plus en sécurité avec un prêtre catholique qu’avec vous. Votre père. Votre frère…
D’ailleurs, comme le souligne Oddie, « the penny is beginning to drop ». On commence à s’agiter. On commence à s’inquiéter. C’est que selon un rapport, près de 10% des élèves aux Etats-Unis rapportent des cas de relations sexuelles non sollicitées par leurs éducateurs. Alors, ce qui était divertissant tant qu’il s’agissait de s’en prendre à l’Eglise perd soudain de son attrait. On a si bien joué avec elle que l’on pourrait se voir appliquer les solutions qu’on a défendues contre elle. Jim Dwyer, dans le New York Times, pose la question : « la ville de New York pourrait-elle être poursuivie pour des faits d’abus sexuels intervenus il y a des dizaines d’années par les professeurs des écoles publiques ? Et qu’en est-il des médecins ou des personnels hospitaliers ? Des officiers de police ? Des travailleurs sociaux ?». On sourit moins, et les lobbyistes s’agitent. Sans rire, ils posent la question : « Comment pourrait-on revenir 40 ans en arrière et certifier ce qui est arrivé ? Les témoins, les autorités responsables et même le ou la responsable des faits pourraient être morts !». Oui, en effet. Que ce soit en 1970 ou en 1928.
Et chez nous, que pourrait-il donc arriver ?

Et l’Education nationale ?

Que pourrait-il arriver lorsqu’on lit par exemple que si elle a pris des mesures, dans le même temps que l’Eglise, l’Education Nationale se contentait il y a seulement 13 ans, de muter les professeurs pédophiles, sans que rien ne soit indiqué sur leur dossier : « si elle préférait tenir secrètes ses mauvaises histoires, l’Education nationale a-t-elle, au moins, lavé son linge sale en famille ? Même pas. Les enseignants « à problèmes » sont juste mutés. Sans transmission d’information: on appelle ça se refiler le mistigri. » Que pourrait-il arriver lorsque l’on devine, malgré le silence maintenu, que les cas sont bien plus nombreux qu’avec les prêtres?

Non, la pédophilie n’est pas un « problème catholique ». C’est un problème que l’Eglise partage avec l’ensemble de la société. Elle en est toutefois quantitativement moins affectée et elle le reconnaît davantage que d’autres. Sa mise en cause acharnée, et le silence maintenu sur les faits à décharge, révèlent toutefois l’ampleur du traitement de faveur qui lui est réservé.