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On est pas bien, comme ça ?


On est pas bien, comme ça ?

Basile de Koch

Chaque été, au terme d’une saison bien remplie, Basile de Koch organise une soirée de binge thinking intitulée « Rencontres Internationales des Intermittents de la Pensée ». Vous n’étiez pas invité à la VIe édition ? Consolez-vous : à défaut d’une boisson fraîche, Causeur vous offre une session de rattrapage avec l’allocution introductive du Président à vie du Groupe Jalons.

Merci, chers amis, de vous être reconnus aussi spontanément dans l’appel des Intermittents de la pensée. Bien sûr, ce n’est pas Indochine au Stade de France ! Mais ici, comme toujours à Jalons, on joue la carte de la qualité : si vous ne me croyez pas, regardez votre voisin !

Ce que j’ai à vous dire est trop important, trop subtil même pour être asséné du haut d’une tribune ; c’est pourquoi j’ai choisi la forme plus intime d’une conférence magistrale. Ce que j’ai à vous dire tient en une phrase, qui n’est qu’un pur constat : Franchement, on n’est pas bien, comme ça ?

Ici, aux Intermittents de la pensée, nous n’avons pas pour habitude d’intervenir en permanence dans le débat public – et pour cause ! En revanche, quand par hasard on a une idée, on n’hésite pas à la faire connaître « à la ville et au monde », comme diraient Benoît XVI et Frigide Barjot.[access capability= »lire_inedits »]

Ce fut toujours le cas depuis les origines de Jalons. Le groupe d’intervention culturelle Jalons, je vous le rappelle, restera dans l’Histoire grâce à une manif au métro Glacière qu’il serait impossible de refaire aujourd’hui, compte tenu du réchauffement climatique.

J’en profite pour saluer aussi mes compagnons de la première heure […] Merci à vous qui avez sacrifié votre jeunesse à notre idéal commun. Nous savions bien pourtant qu’il était inaccessible, et nous le savions depuis toujours ; mais pas question pour autant de s’arrêter à ce genre de détail ! Surtout si l’on songe à ce qu’il est advenu des idéaux des autres…

C’est ce même esprit qui continue de nous animer encore aujourd’hui par intermittence, puisqu’il a bien fallu, entre-temps, qu’on trouve des vrais boulots.

En 2005, nos premières rencontres internationales avaient pour thème : « On a pas des métiers faciles ! » La force universelle de ce message fut telle que tout le monde s’y est reconnu, y compris les chômeurs. C’est pourquoi nous avons prolongé cette réflexion l’année suivante. En 2006, nos travaux se sont même achevés sur un rude constat : « On peut pas lutter ! » Une conclusion amère en apparence – voire déprimante, limite Cioran.

Mais pas question pour autant de baisser les bras ! Nous optâmes plutôt pour une posture matérialiste hédoniste à la Michel Onfray. Le monde n’a aucun sens, certes ; quant à l’au-delà, c’est bien simple : il n’existe pas ! Et alors ?

Tout ça n’empêche pas de se conformer aux préceptes de vie onfrayiens, au contraire. Puisque décidément rien d’excitant ne pointe à l’horizon, autant jouir tout de suite ! – pour peu qu’on en ait les moyens.

Pour s’attaquer à Freud, il faut déjà être inconscient

Un mot au passage sur mon ami Michel. À l’époque, il faisait surtout dans l’antichristianisme primaire et ça marchait super bien pour lui, même auprès des cathos. Maintenant qu’il est devenu antifreudien, c’est plus compliqué : il s’est fait plein d’ennemis. Comme quoi, pour s’attaquer à Freud, il faut déjà être inconscient !

Mais puisque, ce soir, j’ai la chance de m’adresser à l’élite intellectuelle de ce pays, je lance un appel : ne nous acharnons pas sur Onfray ! Croyez-moi, il a suffisamment de problèmes d’ego tout seul.

Revenons-en à nos Intermittents. En juin 2007[1. En fait, c’était en 2008, paraît-il ; mais on ne va pas pinailler à une année près.], avec plusieurs mois d’avance, nous avions annoncé l’éclatement de la bulle spéculative et tous les problèmes d’ennui qu’elle risquait de provoquer, y compris au niveau de l’économie.

Nous l’annoncions dans l’intitulé même de nos Ves Rencontres, que vous avez tous encore à l’esprit : « On va dans le mur, tu viens ? » Un avertissement suivi d’une invitation : on n’est pas plus explicite !

Oui, nous avions tout prévu, comme toujours sans me vanter. Mais en l’occurrence, nous n’avions guère de mérite : le choc était inévitable, entre la locomotive folle du capitalisme financier et l’iceberg de la réalité. Inévitable et salutaire, ajoutions-nous : puisqu’on n’a pas le choix, puisqu’apparemment il faut en passer par là, allons donc dans le mur tous ensemble, et dans la bonne humeur ! Et de fait, on est passé par là, et je vous pose la question : On est pas bien, comme ça ?

Naturellement, vous trouverez toujours des déclinistes et des pessimologues pour vous raconter que tout fout le camp – ou que, comme disait le poète, « ça s’en va et ça ne revient pas ». Ce qui m’étonne le plus, c’est que ces Cassandre-là s’emploient à nous décourager définitivement de l’avenir, sans jamais avoir l’air de réactionnaires.

Moi, c’est l’inverse ! Même quand je suis optimiste, j’ai du mal à passer pour un progressiste. C’en est même vexant, à la longue : pourquoi est-ce que je ne serais pas, moi aussi, un « homme de progrès », comme ils disent ? Sous prétexte que je n’y crois pas ? Mais c’est de la discrimination !

En attendant, ces gens-là, qu’on appellera faute de mieux les déclinistes de progrès, nous menacent en permanence de la « fin des temps », tel Philippulus le prophète dans Tintin et la Coke mystérieuse.

Ils n’ont à la bouche que volcan islandais, marée noire louisianaise, tremblement de terre haïtien et naufrage des Bleus. Pourtant, au-delà de ces cataclysmes naturels, il est aussi des catastrophes dont le seul responsable est l’homme – au sens des gender studies, naturellement.

Ma première pensée va bien sûr aux curés pédophiles ; mais n’oublions pas pour autant le réchauffement des OGM, le martyre de Stéphane Guillon et la surimposition de Liliane, sans parler de nos retraites.

Mais quelle retraite ? Jamais nous ne renoncerons, même à 62 ans ! Et pas question de négocier : la maison n’accepte pas l’échec !

N’écoutez pas ces prophètes de malheur qui vous parlent avec complaisance de leur « mélancolie française ». On m’aura compris : je parle moins du livre de Jérémie que de celui de Zemmour.

Bien sûr, Éric est un ami et il a droit à tout mon respect – surtout s’il finit en taule ! Mais à quoi bon pleurer sur le lait renversé ? Autant s’habituer tout de suite à prendre nos céréales du matin dans un bol de larmes.

Et puis, vous savez quoi ? S’il n’y avait pas tout ça, on s’emmerderait. Déjà que là, c’est limite, comme si on vivait dans une sorte de Lons-le-Saunier temporel. À deux ou trois générations près, nous aurions pu connaître au moins une guerre mondiale, ou ne serait-ce que la grippe espagnole… On dit que les hommes exceptionnels se révèlent dans des circonstances exceptionnelles. Et nous, alors ?

Nous sommes les orphelins de l’Histoire ! Un peu comme si elle avait craint d’affronter notre génération lucide et organisée.

Pourtant, il serait temps qu’ils se lèvent enfin, les orages désirés – avant qu’on aille se coucher… Mais que dis-je ? Pas question d’aller se coucher ! Comme l’écrivait notre amie Anne Vergne, « on dormira quand on sera morts[2. Titre d’un livre de notre sœur Anne, apparue dans la bande à Jalons en 1992 et disparue en 2001.]  ! »

Et puis, de toute façon, quelle drôle d’idée d’aller se coucher ! On est pas bien, comme ça ?[/access]

Juillet/Août 2010 · N° 25 26

Article extrait du Magazine Causeur



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