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Algérie, l’Histoire à dire


Algérie, l’Histoire à dire

Algérie

« La diffusion de ce film n’a pas été autorisée en Algérie », peut-on lire au dos du DVD. Le ton est donné. Pendant deux heures et quarante minutes, ces Histoires à ne pas dire sont racontées par des personnages tragiques – la grandeur et le malheur, l’exaltation et la dépression se côtoient. Shakespeare nous a enseigné que la tragédie est la condition de l’homme. Jean-Pierre Lledo nous rappelle que notre histoire d’Algérie en fut une, de tragédie.

Les personnages principaux sont Aziz, viticulteur aux cheveux blancs, Katiba, pétillante sexagénaire animatrice de radio, Kheir-Eddine, jeune et beau metteur en scène, engagés dans la recherche de la vérité sur les violences (des rebelles) qui ont accompagné l’indépendance du pays en 1962.[access capability= »lire_inedits »]

Côté français, la vérité a fait son chemin : depuis La Question, d’Henri Alleg, suivie plus tard de nombreux témoignages et travaux, on sait à quoi s’en tenir sur la folie meurtrière des Aussaresses et consorts. Côté algérien, le tabou demeure. Comme si les victimes étaient lavées de tout soupçon du mal.

Dure besogne que cette quête de la vérité. On ne touche pas aux mythes fondateurs d’un pays, malgré et peut-être à cause de son état misérable, malgré la décennie noire des années 1990, quand les militaires ont mené une guerre parfois sale contre les fous de sang responsables de la mort d’au moins 60 000 personnes, leurs « frères » pourtant, selon leur propre critère. Tous musulmans. Tous frères, depuis que l’étranger, le colon, « l’autre » a été chassé.

« Moi aussi, j’aurais posé des bombes »

Aziz est un homme libre. Aujourd’hui, il vit loin de sa région natale, l’ancienne Philippeville, mais continue de chercher la vérité sur le passé. Il parle avec émotion d’un certain Roger Balestrieri, personnage absent, mais pas secondaire : « Nous avions protégé des colons, nos voisins ; pourquoi Aussaresses a-t-il massacré ma famille ? » Aziz pleure. Roger l’a sauvé. Aziz cherche la tombe de son oncle Lyazid, celui qui a refusé d’exécuter l’ordre de tuer les Gouri (les « non-musulmans »). Lyazid l’a payé de sa vie. Pour toute tombe, Aziz trouve quelques cailloux. Alors, il hurle sa colère : « Qu’ils la gardent, leur Algérie, leur Indépendance, leur machin, leur 5-Juillet, leur 19-Mars, les vrais héros, ils sont là ! » Il respecte et honore l’indépendance de son pays, mais pas la « leur ». Guerre des mots. Aziz parle un beau français. Katiba aussi. Elle revendique sa double culture : la casbah arabe et la Bab El-Oued occidentale, où elle revient, sur les lieux de son enfance. Elle ne reconnaît rien et personne ne la reconnaît. C’est ça, l’exil : se sentir étranger dans ce qui fut nôtre. Un jeune, désœuvré et amer, la prend pour une Française. « Délit d’identité à l’envers », dit-elle. Guerre d’identité. Le jeune lui reproche de parler du passé et de ne pas partager leur présent miséreux.

« Moi aussi, j’aurais posé des bombes n’importe où ! », affirme Katiba, au côté de sa copine Louisa, héroïne de la résistance algérienne, arrêtée et emprisonnée, qui justifie les bombes contre les civils, le terrorisme aveugle. « Pas le choix. » Deux vieilles dames charmantes défendant le crime face à la caméra. Sans commentaire. « Il fallait attaquer les civils, comme toute présence étrangère venue coloniser un pays qui ne leur appartenait pas », ajoute Louisa. Mais tous ces juifs, ces Espagnols, ces Français, là depuis toujours… L’Algérie n’était-elle pas leur terre ?

Un pays livré à une identité unique

Tout a commencé le 20 août 1955 : les émeutes, suivies de la répression sanglante des Français. À travers un pauvre village, on suit un homme endimanché. « Les musulmans n’avaient pas de maisons en dur, seuls les Gouri en avaient… Ici, on a égorgé et tué à la hache. » Il raconte avec précision comment il a assassiné la femme d’un contremaître, laissant glisser son doigt sur son cou comme une lame. Égorgée.

Ce mot me fait trembler. C’était celui que j’entendais, enfant, terrorisée, à Tunis, quand les adultes parlaient des « événements » et des fellaghas algériens. Ils égorgent ! Ce mot que j’ai à nouveau entendu hurler pendant la guerre des Six-Jours, en 1967, par Choukeiri et chanter par la grande Oum Kalsoum : « Égorge ! »

Cette barbarie sacrificielle donne la nausée. Au diable la justification du terrorisme au nom de la liberté et de l’indépendance ! Au diable les reproches faits à ce film sur son silence quant aux origines des attentats, qui auraient été quasiment imposés par la situation de colonisés ! Au diable les raisonnements intellectuels sur la juste lutte de tel ou tel peuple ! Au diable la comptabilité morbide entre les crimes commis par l’armée française, l’OAS et tous les salopards de l’époque et ceux perpétrés par les rebelles algériens !

Le sacrifice d’Abraham n’a pas eu lieu. Depuis, il est interdit de sacrifier un être humain, si l’on veut être un humain. Tu n’égorgeras pas ton prochain !

J’entends alors l’homme endimanché raconter qu’après avoir égorgé la femme, alors qu’elle agonisait, il a mangé les sardines qu’elle avait cuisinées.

Camus écrivait : « Il faut négocier une paix qui ne peut pas être celle du FLN, laquelle, risquerait de n’être que celle de l’islam. De toute façon, on n’a pas le droit de livrer l’Algérie tout entière au seul caprice d’un parti unique. » C’est fait. Pire même. Aujourd’hui, c’est à une identité unique que le pays est livré, et il en crève.[/access]



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Maya Nahum est auteur.

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