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Happy hours en salles de shoot


Happy hours en salles de shoot
Se droguer avec des médecins : non merci ! Enfin, ça dépend lesquels.
Se droguer avec des médecins : non merci ! Enfin, ça dépend lesquels.

Je vous résume l’histoire, au cas où, ces derniers jours, vous étiez occupés à effectuer votre descente d’héroïne dans un squat à Palavas-les-Flots plutôt qu’à suivre l’actualité française.

Roselyne Bachelot, qui fait ministre de la Santé quand elle ne s’occupe pas de Rama Yade, annonce son intention d’ouvrir des « salles de consommation de drogues sous surveillance médicale ». Nadine Morano lui emboîte le pas en déclarant qu’elle trouve ça smart, bath ou in. Je ne me souviens plus de la teneur exacte de sa déclaration. Mais qu’est-ce qu’elles sont cool, les gonzesses gouvernementales ! Elles savent pas s’habiller, mais qu’est-ce qu’elles sont cool ! Et patatras, voilà le grand sinistre qui arrive. François Fillon recoiffe sa mèche et déclare : « Pas de ça chez nous ! » Le Premier ministre français a beaucoup fait pour encourager le nomadisme des Roms (les voyages, ça forme la jeunesse), il n’entend pas les camés se laisser sédentariser.

Fillon est un punk. S’il ne l’était pas, il ne se coifferait pas aussi atrocement. Chaque fois même qu’il paraît à la télévision, son regard n’est pas seulement celui d’un chien battu : il exprime simplement la même angoisse existentielle que chantaient les Sex Pistols. Il y a du Sid Vicious, chez cet homme-là.

Le No future subventionné n’a pas d’avenir

Justement, c’est dans un hôtel de Greenwich Village (un Méridien, si mes souvenirs sont bons) que Sid Vicious a été retrouvé mort, en février 1979. Pas dans une « salle consommation de drogues sous surveillance médicale ». Imaginez-vous la tête que ferait un gars comme Philippe Manoeuvre (juré à la « Nouvelle Star » dans la vraie vie et, accessoirement rédacteur en chef de Rock & Folk) si le leader des Sex Pistols avait trouvé la mort en pleine overdose de Subutex, prescrit sur ordonnance et remboursé par la Sécurité Sociale, la main tenue par Raymonde Bouchard, infirmière en chef de « salle de consommation de drogues sous surveillance médicale » à Melun, 55 ans, célibataire et toujours vierge. Faudrait peut-être qu’elle pense à se raser la moustache. Le No Future subventionné n’a pas d’avenir.

Je ne veux pas généraliser non plus. Michel Heinrich, député-maire UMP d’Epinal, a fait entendre une voix discordante. Lui, les salles de shoot, il est plutôt pour. On le comprend : vivre à Epinal, ça incite à se shooter. Mais, en plus, avec le temps pourri qu’il y fait de janvier à décembre, vaut mieux prendre sa dose à l’abri des intempéries : shooté oui, mais pas trempé. C’est sans compter aussi que, dans les Vosges, ils ont réintroduit, il y a quelques années, le loup, le lynx, le chihuahua ou je ne sais quel autre animal hargneux, si bien qu’il y est désormais impossible de se camer en plein air sous peine de se réveiller avec un membre en moins ou, pire, ligoté par des cordelettes dans un sac poubelle et plongé dans les eaux de la Vologne, des eaux si tristes que cette rivière n’a pas trouvé mieux comme destin que de se jeter dans la Moselle. Donc, d’accord, les « salles de consommation de drogues sous surveillance médicale », il ne faut pas les autoriser dans les Vosges, mais les rendre obligatoires. Et dès le plus jeune âge.

Mais ailleurs ? Ailleurs, les choses se passent plutôt naturellement depuis des années. Je me souviens (c’était à la fin des années 1980), à Saint-Tropez, de soirées passées chez des amis français, où l’herbe, la cocaïne et les buvards d’acide circulaient allégrement. À l’époque, un jeune freluquet qui ne se prétendait pas encore écrivain avalait des ecstasies comme des fraises Tagada tout en me suppliant de lui donner des cours particuliers d’allemand[1. Non, je ne ferai pas du name dropping. Mais chacun aura reconnu qu’il ne s’agit ni de Marcel Proust ni de sa petite sœur.]. Et nous étions heureux. Camés mais heureux. Le tout, évidemment, sous surveillance médicale. Il y avait, en règle générale, deux ou trois médecins psychiatres, quatre ou cinq dentistes, six ou sept ophtalmologues, un célèbre otho-rhino (ce serait rosse de dire son nom) et dix-huit ou dix-neuf chirurgiens esthétiques. En passant, je vous déconseille d’appeler « chirurgien esthétique » quiconque veut vous démonter le portrait après trois grammes de coke en hurlant qu’il est un réel bienfaiteur de l’humanité puisqu’il fait de la « chirurgie réparatrice ».

L’art discret de pratiquer la drogue en salle

C’est dire que les « salles de consommation de drogues sous surveillance médicale », je connais depuis longtemps. Il n’y a rien de pire au monde que de se faire un fix avec des représentants du corps médical. La journée, les mecs la passent à s’enfiler dose de morphine sur dose de morphine. Le soir, on ne les retient plus.

Même si j’ai arrêté de fréquenter les chemins qui ne mènent nulle part ailleurs que dans les paradis artificiels (c’est la grande thèse de mon livre que je n’ai pas encore écrit sur Heidegger cocaïnomane), même si je me contente désormais de ma ration régulière d’alcool pour tenir, je ne pourrais m’imaginer picoler dans une « salle de consommation de vodka sous surveillance médicale ». Une seule raison à cela : je connais très bien notre médecin de famille, le docteur Schweitzer (aucun rapport avec l’autre). Si je me retrouvais un jour avec lui dans une « salle de consommation de Bloody Mary sous surveillance médicale » (que sommairement nous appellerons un bistrot), je n’aurais pas fini mon verre qu’il aurait déjà bu le mien. Non pas ça, pas chez nous ! Et pas avec lui.

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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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