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Roms : ne faites pas comme les Roumains

Voleurs de poules, assistés sociaux voire exploiteurs de gosses transformés en mendiants professionnels : les clichés sur les Roms sont régulièrement dénoncés. À raison bien sûr dès lors qu’ils reposent sur la généralisation malheureuse de fragments de réalité : comme toujours, les braves gens payent pour les délinquants. Je crois cependant pouvoir déclarer scientifiquement que les Roms (en l’occurrence je parle de ceux de Roumanie et de Bulgarie) sont complètement idiots. Et peut-être structurellement masochistes.

Le Times sent un parfum de Gestapo

Je ne vois pas d’autre explication au fait qu’ils s’obstinent à quitter en masse des contrées merveilleuses où règnent la tolérance et les droits de l’homme pour venir – et même revenir – se faire maltraiter dans un pays raciste, xénophobe, menacé par un « dérapage populiste ». Et quand il dit ça Tedor Baconschi, le ministre roumain des Affaires étrangères, est poli. C’est que, comprenez-vous, il a peur qu’on ressuscite des « souvenirs déplaisants ». Pour les mal-comprenants, le Times de Londres a été beaucoup plus clair en affirmant que les expulsions de Roms rappellent « les déportations » et « la Gestapo ». Qui dit mieux ? Désolée, mieux dans l’horreur, on n’a pas.

On peut dire que la politique du gouvernement français est une gesticulation absurde puisqu’elle consiste à expulser des gens qui seront autorisés à revenir mais n’auront pas le droit de travailler ce qui revient à leur donner le choix entre délinquance et assistanat – ce joli montage ayant été négocié sous la houlette européenne. Les clameurs de vertu outragée qui, de Washington à Bruxelles, s’élèvent contre la France, n’en sont pas moins insupportables. Rappelons simplement que les déportés – notamment tziganes – ne se voyaient pas remettre un pécule pour repartir et que les menaces qui pesaient sur eux n’avaient pas grand-chose à voir avec un contrôle fiscal.

Bucarest, la paille et la poutre

Il était déjà un fort agaçant que l’ONU réprimande la France quand on se rappelle que sa propre commission Théodule des droits de l’homme est contrôlée par des pays aussi irréprochables que la Lybie, la Syrie ou l’Iran. L’hypocrisie de la commissaire européenne récitant le catéchisme de la libre circulation alors qu’elle sait parfaitement que la « question rom » relève de l’Union (qui n’a évidemment aucune idée pour la régler) avait de quoi énerver tout comme les froncements de sourcils du Département d’Etat américain. Mais que le gouvernement roumain fasse l’indigné, voilà qui est carrément indécent. Vieille histoire de paille et de poutre.

Si les Roms de Bulgarie et de Roumanie ne souffraient pas dans leurs pays de discriminations, voire, qui sait, de racisme, peut-être seraient-ils moins enclins à émigrer. Certes, les Roms de Roumanie ne sont pas expulsés du pays, mais comme le pointe Amnesty International, de leurs maisons : voilà qui qualifie Bucarest pour jouer l’arbitre des élégances antiracistes. Quant à l’accueillante Bulgarie, elle peut s’enorgueillir d’avoir un parti politique qui a fait campagne il y a quelques années en réclamant qu’on « transforme les Tziganes en savon » – vous avez bien lu. Pour le reste, il vous suffira de chercher. Mais tout cela n’est rien comparé aux atrocités commises par l’odieux gouvernement français avec la complicité passive d’un peuple de collabos. Entre nous, si un gouvernement fascistoïde sévit à la tête d’un pays européen et que cette bonne Union ne fait rien, c’est qu’elle est bonne à jeter dans les poubelles de l’Histoire. Mais ce n’est pas le sujet.

La France montrée du doigt, les médias adorent

Le plus consternant est la délectation, la joie mauvaise comme disent les Allemands, avec laquelle les propos les plus outranciers sont repris en boucle. La France montrée du doigt, quelle aubaine ! Bien sûr, il s’agit toujours de la France des autres, celle des Dupont-la-joie qui ne hurlent pas de bonheur quand un campement rom s’installe à côté de chez eux. De plus, il est si bon de se battre la coulpe sur la poitrine du gouvernement. Et plus facile que de se demander ce que pourrait être une politique migratoire humaine, réaliste et cohérente – ce qui, il est vrai, n’est pas une mince affaire. Seulement, l’objet de cette effervescence indignée n’est pas de réfléchir à des solutions mais de gagner le concours de la plus belle âme.

Il faut donc rappeler une fois de plus que la France prend sa part de la misère du monde. Sans doute pas très bien, peut-être pas assez mais elle le fait. Les citoyens maugréent parfois, il leur arrive d’avoir de mauvais sentiments mais les contribuables financent – et c’est heureux. Les prêchi-prêcheurs professionnels devraient trouver une autre ritournelle : brandir les années noires ne fera pas d’eux des Jean Moulin. En revanche, à force de se faire insulter, les Français vont s’énerver. Et quand ils s’énervent, ils ne sont pas plus malins que les autres.

Mort d’un romancier populaire

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Dans les années 70, Guillaume Musso et Marc Levy s’appelaient Patrick Cauvin. C’est dire si l’époque était plus sympathique. Un écrivain pouvait vendre des centaines de milliers d’exemplaires sans prendre ses lecteurs pour des cons. Il pouvait aussi écrire un français dont la pauvreté n’annonce pas la novlangue de demain, à base de sabir informatique et d’anglais véhiculaire.

Adolescents surdoués dans la France de Giscard

Mais Patrick Cauvin vient de mourir. Il avait 77 ans et avait obtenu un succès phénoménal avec E=Mc2 mon amour. C’était l’histoire de Roméo et Juliette, ou plutôt de Tristan et Iseult vécue par des adolescents surdoués dans la France de Giscard. On se souvient de l’avoir lu en édition club. C’était un livre de « la bibliothèque des parents. » On n’était un peu méfiant, toujours, avec les livres de la « bibliothèque des parents. » On avait seulement treize ans mais on était déjà très snob : on ne croyait qu’à la littérature et la littérature était une affaire d’écrivains morts. On avait dû lire ça un jour de disette. Et la disette s’est transformée en festin.

On aurait voulu être comme les héros : très intelligents, très amoureux, très drôles et puis s’enfuir à Venise. On se souvient d’avoir lu dans la foulée un autre roman de Cauvin sur un sujet similaire, l’amour impossible. Les protagonistes étaient un catcheur et une libraire qui louchait. Impossible de retrouver le titre mais, en même temps, il n’y a pas beaucoup d’histoires dont je me souvienne trente ans après. Même en admettant que l’adolescence fasse de nous des particulièrement plaques sensibles, les photographies de la mémoire pâlissent tout de même assez vite.

Si par hasard vous lisez un Musso ou un Lévy (on a tous le droit au mauvais goût), il est possible que vous passiez un moment distrayant mais ne venez pas me dire que vous vous en souvenez six mois après.

…alias Claude Klotz

Patrick Cauvin était sur le plan littéraire le représentant des années minitel là où Musso et Levy (Marc) sont ceux des années téléphone portable. Le minitel, c’était une technologie faite pour relier tout le monde sans distinction d’origine. C’était gratuit, ou presque. Un genre de service public. Le portable, lui, n’est pas là pour relier mais pour montrer que son porteur est dans le vent dominant de la quincaillerie électronique. Quand Musso et Levy mettent en scène des riches et des fantômes, Cauvin mettait en scène des vivants un peu cassés par leur intelligence ou leur physique. Cela ne l’empêchait pas de faire des best-sellers. Il était d’un temps où la littérature, et donc la société, savaient encore s’occuper des perdants, et les aimer aussi.
Prof de français dans une banlieue d’avant l’effondrement, Patrick Cauvin s’appelait en fait Claude Klotz. Il avait choisi de nom de Cauvin pour raconter ses histoires d’amour parce qu’il avait déjà utilisé le vrai pour raconter des horreurs. Les horreurs en questions étaient des genres de polars très brefs, très violents, écrits dans un style behavioriste qui est aussi à la même époque, celui de Jean-Patrick Manchette.
Ils mettaient notamment scène un héros récurrent Reiner et avaient pour titre Sbang Sbang, Putsch Punch ou Darakan. On les trouvait, au début des années 80, édités ou réédités par 10-18, avec des couvertures de Monory. C’était bien vu pour ces romans glacés qui sont peut-être les véritables chefs d’œuvre de l’écrivain : le froid, en littérature comme pour l’alimentation, ça conserve mieux.
Sous le nom de Klotz, parce que décidément, comme tout romancier populaire, il savait d’instinct ce qui travaille l’imaginaire d’une époque, il a aussi connu un grand succès aves Les Innommables, un roman sur la préhistoire qui prenait pourtant un parti-pris à la limite de l’expérimental : écrire dans le langage des hommes préhistoriques eux-mêmes.
Il croyait parler du passé. On peut se demander s’il n’annonçait pas l’avenir.

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« Hélène et les garçons » : ma mélancolie à moi

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Le Petit Prince

Je suis devenu réactionnaire un dimanche de juillet, et ça a duré au moins tout l’après-midi.

Il faisait vraiment très chaud, ceci explique peut-être cela. Avant, je croyais que j’étais déjà réactionnaire mais je me trompais. J’étais simplement un pessimiste actif. Les pessimistes actifs deviennent soit fascistes s’ils ont un mauvais fond et qu’ils n’ont pas lu Marx, soit communistes si leur premier réflexe, quand ils voient passer devant eux une jolie fille alors qu’ils sont assis à la terrasse d’un café[1. Les communistes sont en général des assistés qui dépensent leurs allocations dans des débits de boissons. Parfois, en plus, ils sont fonctionnaires.] est de s’exclamer : « Tu as vu comme elle est jolie ? » et non : « Tu as vu, il n’y a plus que des Arabes/Blacks/Chinoises[2. Rayer les mentions inutiles.] dans le quartier ! » C’est le côté Petit Prince des communistes, ça : la beauté n’est pas pour eux affaire de chiffres, comme pour le businessman qui veut la posséder ou le géographe qui préfère les taxinomies aux caresses.

Petit Prince ou pas, je suis devenu réactionnaire en attendant le match Argentine-Allemagne dans l’ombre fraîche du salon et en buvant de la vodka-pamplemousse pour digérer. C’est fou ce qu’on a besoin de digérer quand on est communiste, ces temps-ci : il faut digérer la manière dont les gouvernements de l’UE ont objectivement décidé de paupériser leur propre population pour tenter de préserver les rentes du capital ; il faut digérer qu’un fake (Sylvie François !), sur Facebook, annonce un apéro-saucisson rue Myrha pour qu’on se rende compte à quel point on flirte avec la guerre civile (au moins sur Internet) ; il faut digérer qu’une manifestation de deux millions de personnes contre la réforme des retraites passe à l’as médiatique parce que le président décide de recevoir en urgence Thierry Henry, lui-même futur jeune retraité du football, mais aussi de l’honneur, et il faut digérer plus généralement cette impression que tout ce que nous avons aimé est appelé à disparaître et que l’on s’éloigne un peu plus chaque jour des Jours heureux qui étaient, rappelons-le, le titre donné par le Conseil national de la Résistance à son programme. Les jours heureux… Tu parles…[access capability= »lire_inedits »]

Le zapping ou la dépression assurée

Alors, je zappais mélancoliquement en attendant le match. Le zapping est l’activité mélancolique par excellence. Il conjugue le sentiment du passage du temps à celui d’un monde kaléidoscopique, et donc l’idée que rien n’est compréhensible et celle que tout est éphémère. L’éphémère, c’est déjà ce qui faisait peur au Petit Prince quand il pensait à sa rose. Et comme la télé cherche à rendre dépressif ceux qui la regardent, il y a même une chaîne qui vous en propose un tout fait, de zapping. Avant, on se levait pour changer de chaîne, puis il y a eu la télécommande et, maintenant, il y a une émission qui joue toute seule le rôle de la télécommande. Paresse au carré égale dépression assurée.

J’ai repris une vodka-pamplemousse et c’est alors que je suis tombé en zappant sur Hélène et les garçons, rediffusé par une de ces chaînes-robinets du câble, AB1.

J’aurais aimé vous dire que ce fut une madeleine trempée dans du thé, ou d’avoir trébuché sur un pavé de la cour en me rendant à une soirée chez les Guermantes qui firent revenir, d’un coup, tout un passé aboli. Désolé, c’est beaucoup moins chic, c’est le générique d’Hélène et les garçons :

Hélène, je m’appelle Hélène
je suis une fille
comme les autres
Hélène
j’ai mes joies, mes peines
elles font ma vie
comme la vôtre
je voudrais trouver l’amour
simplement trouver l’amour

Vous vous souvenez ? Ça a dû durer deux ans et, d’après le copyright entrevu à la fin d’un épisode, c’était autour de 1993. Parce qu’autant l’avouer tout de suite, j’en ai oublié Argentine-Allemagne et, du coup, je suis resté à regarder les épisodes les uns après les autres.

L’image d’un monde parfait

Qu’est-ce que j’avais pu détester cette série, à l’époque ! Elle incarnait tout ce que le système avait prévu de mieux pour aliéner mes élèves, surtout les filles, auxquelles elle s’adressait en particulier. J’enrageais, même, de les voir se passionner pour ces jeunes gens qui leur faisaient croire que des études supérieures consistaient à passer d’une salle de gym à une chambre de cité universitaire aussi luxueuse qu’un penthouse new-yorkais et de cette chambre au local où des garçons jouaient de la musique d’ascenseur en prenant des airs inspirés.

Oui, j’enrageais de voir des gamines, mes élèves, coller des photos de Cricri d’amour, de Johanna et d’Hélène sur leurs cahiers de textes. De regarder leur montre quand il y avait cours jusqu’à cinq heures et demie parce qu’elles allaient rater le début d’un épisode.

– « Samira, ça n’a pas encore sonné. Alors vous ressortez vos affaires et vous notez le travail pour la prochaine fois… »

Une fois, j’ai tenté de leur expliquer, tout de même : ce genre de production télévisuelle leur donnait une image totalement fausse de la société, ce qui était déjà dangereux, mais aussi de l’amour, ce qui était criminel car, s’il est toujours possible de faire une révolution pour changer le monde, il est beaucoup plus difficile d’échapper aux horreurs de la passion (on venait de jeter un petit coup d’œil sur Phèdre, elles voyaient bien de quoi je leur parlais). On cherchait à leur vendre l’image d’un monde parfait, ce qui allait leur coûter cher en illusions mais les produits dérivés, cahiers, magazines, disques, cher en argent de poche.

Pourtant, même les meilleures ne voulaient pas entendre mes arguments. Elles plaidaient le droit au rêve, revendiquaient leur fleurbleuisme. Une d’entre elles me dit même, sur le ton « Au moins, ça, ça devrait vous plaire ! » : « Et puis, vous savez, Monsieur, ils ne disent pas de gros mots dans Hélène et les garçons. » Sur le coup, je n’y avais pas prêté attention.

Mais là, près de dix-sept ans après, j’ai compris ce qu’elle voulait dire, et pourquoi, d’un seul coup, ce générique idiot m’avait harponné depuis les années 1990 et me laissait désemparé, avec un incroyable coup de blues, dans mon dimanche caniculaire des années 2010, à regarder des jeunes gens flirter sur des musiques sucrées, des jeunes gens qui, maintenant, s’ils flirtaient encore, devaient plutôt le faire avec la quarantaine.

J’ai compris que ces programmes qui me paraissaient si abêtissants, si spécialement destinés à faire de l’argent et à maintenir mes gamines de banlieue dans une misère culturelle en plus de la misère sociale − Hélène ayant tout de même beaucoup plus de moyens que Phèdre ou Louise Michel pour se faire entendre − j’ai compris donc qu’ils étaient une manière de paradis perdu.

Rohmer en ZEP

Elle avait raison, mon élève : on ne dit pas de gros mot dans Hélène et les garçons. On y parle même un français assez soutenu, moderne mais sans excès. J’ai compris que ce que je reprochais à Hélène et les garçons, à savoir une négation totale des réalités sociales au profit des préoccupations sentimentales comme seul souci, et cela au point de faire passer Madame de Scudéry pour Rosa Luxemburg et la carte du Tendre pour un pays spartakiste, je ne le reprochais pas aussi aux films de Rohmer que j’aime tant, justement pour leur qualité de dégagement. Finalement, Hélène et les garçons, c’était le Rohmer de la ZEP. C’est-à-dire une autre façon de penser l’émancipation : par la désinvolture, l’élégance, le sentiment de la langue.

Je ne suis pas sûr qu’un tel programme rencontrerait la même faveur aujourd’hui. Tout serait faussé par des producteurs qui voudraient à la fois garder le côté politiquement correct et iraient farcir le casting de minorités visibles tout en jouant sur la démagogie jeuniste et faire parler les acteurs comme des rappeurs, quand bien même leur personnage serait chargé d’incarner une blonde des beaux quartiers.

Le pire, aussi, c’est que ce qui me semblait être de l’ordre de la grammaire sentimentale niaiseuse doit, pour une fille des quartiers aujourd’hui, paraître comme une parenthèse enchantée. Même si ce n’était pas bien méchant, dans Hélène et les garçons, on était assez volage et une forme d’égalité spontanée dans le désir rejetait toute forme de domination masculine. Et on me dira ce qu’on voudra, à l’époque, on se voilait moins, on se laissait moins pousser la barbe, on ne traitait pas encore les filles comme du bétail à tournante mais il est vrai, aussi, qu’on pouvait encore avoir une petite chance de trouver du boulot, une petite chance d’avoir des profs qui vous sauveraient la mise en vous envoyant au lycée ou à la fac et de ne pas être contrôlé par la police à chaque fois que vous vous promeniez avec votre copine.

Je me suis resservi une vodka-pamplemousse. La rediffusion des épisodes était terminée. J’ai vérifié le score d’Argentine Allemagne : 0-4

Sacrée défaite pour l’Argentine, tout de même. Comme pour moi.[/access]

Sueurs chaudes

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Vladimir Ladijenski, un sexagénaire russe, est mort le 8 août dernier lors des XXIème championnats du monde de sauna, qui se déroulaient dans la charmante cité finlandaise d’Heinola, à 150km d’Helsinki. Le champion sortant, Timo Kaukonen, a été sorti de l’étuve in extremis, échappant de peu au sort funeste de son concurrent. L’épreuve consiste à rester le dernier dans un sauna préalablement chauffé à 110°, et dont la température s’élève toute les trente secondes par aspersion d’eau sur les pierres brûlantes.

Les Finlandais, contrairement à une rumeur répandue par l’ennemi héréditaire russe, ne consommeront pas le défunt lors du banquet funèbre, en dépit de l’était parfait de cuisson auquel il était parvenu.

Pakistan : pourquoi ça ne donne rien

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Les Français sont sans cœur. Et pas qu’eux. Toute l’humanité ou presque est montrée du doigt pour son peu d’empressement à contribuer financièrement à l’aide humanitaire au Pakistan.

Les chiffres, il est vrai, sont spectaculaires : ainsi la Fondation de France se plaint-elle de n’avoir récolté que 300 euros sur le compte qu’elle a ouvert pour les sinistrés du Pakistan. Jean-François Riffaud porte-parole de la Croix-Rouge française déclarait mardi dernier au Monde : « Nous avons relancé un e-mailing à nos donateurs vendredi, mais nous n’avons récolté que 90.000 euros en une semaine. C’est à comparer aux deux millions d’euros de dons reçus en trois jours pour Haïti. »

En vertu de quoi, je me suis fait morigéner à la télé, ainsi que quelques milliards de non-donateurs par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon qui déplorait à Islamabad, dimanche dernier, la faiblesse et la lenteur de l’aide internationale[1. L’alarmisme dont fait preuve Ban Ki-moon – notamment à propos d’une improbable épidémie de choléra – a été jugé pour le moins sévèrement par Rony Brauman qui déclarait mardi dernier à France-Soir: « Ban Ki-moon cherche à faire monter la sauce afin de rattraper ses incompétences et sa mauvaise gestion de l’ONU (…). La date de sa réélection se rapproche (…). Se montrer dans une situation de mobilisation et aggraver le problème lui permettront de mettre cette opération à son crédit. »]. De son côté, le vice-Premier ministre britannique Nick Clegg s’est ému ce lundi, du montant « misérable » versé par ses concitoyens (alors qu’il existe une très forte communauté pakistanaise dans le pays). Nombre de chefs d’Etats abondent dans ce sens.

Une indifférence qu’explicite à sa façon la porte-parole du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, Elisabeth Byrs : « On remarque souvent un déficit d’image en ce qui concerne le Pakistan dans les opinions publiques occidentales ». Même son de cloche chez Filipe Ribeiro, directeur général de Médecins sans frontières, qui accusait sans détours les médias qui ne feraient pas leur boulot en ne sensibilisant pas assez les opinions publiques, expliquant qu’à cause d’eux « le Pakistan a mauvaise presse » parce qu’il est « clairement lié au terrorisme ».

C’est vrai, ça, on voit mal où les médias sont allés chercher ce genre de calomnies. Lié au terrorisme, le Pakistan? Si peu… Bon, le Pakistan alimente depuis 60 ans une guerre civile meurtrière au Cachemire indien qui a fait plusieurs dizaines de milliers de victimes civiles. La trace des services secrets d’Islamabad a été clairement pistée lors des attentats de Bombay, en novembre 2008. La plupart des observateurs ont identifié la même aimable signature, mais cette fois en interne, dans le carnage à la ceinture piégée qui a coûté la vie à Benazir Bhutto en décembre 2007. Cerise sur le gâteau, c’est le Pakistan qui a permis aux Talibans de prendre le contrôle de l’Afghanistan, et les a maintenus au pouvoir pendant cinq années, durant lesquelles ceux-ci ont accordé toute l’aide nécessaire à Ben Laden. Un soutien logistique sans lequel le 11 septembre n’aurait sans doute pas eu lieu ; mais bon, de là à identifier le Pakistan au terrorisme, c’est sans doute exagéré.

Oui, il faut se méfier des généralisations hâtives. Le Pakistan n’est pas seulement un Etat terroriste. C’est aussi un pays de corruption généralisée. C’est également l’un des acteurs majeurs du trafic mondial d’héroïne. C’est un des pays les plus dynamiques en matière de prolifération d’armes nucléaires. On n’évoquera pas, faute d’adjectifs ad hoc, ce qu’y sont les droits des femmes, des enfants, des homosexuels, des minorités ethniques et religieuses…
Accessoirement, c’est aussi un pays dont le Président n’a pas jugé utile d’interrompre sa tournée diplomatique internationale après le déclenchement des inondations.

Etat-voyou et puissance nucléaire

Toutes considérations qui font que beaucoup de gens n’ont guère envie d’envoyer leurs sous. Ce que personnellement je ne saurais condamner : le Pakistan est un Etat-voyou, et les donateurs putatifs sont réticents à donner des fonds dont ils ignorent s’ils iront aux victimes ou s’ils aboutiront sur un compte numéroté à Vaduz. De plus, pour ce qui est de l’aide la plus urgente, le Pakistan aurait pu y contribuer lui-même : contrairement à Haïti, ce n’est pas l’un des pays les pauvres de la planète, il est suffisamment riche en tout cas pour s’offrir un arsenal nucléaire, pour entretenir des guerres, pour financer des dizaines de milliers de madrasas…

Alors oui, les victimes des inondations ne sont pas les dirigeants du pays. Ce sont au premier chef les femmes, les enfants et les vieillards qui payent pour les généraux, les mollahs et leurs potiches civiles. Mais on ne peut exiger de l’opinion internationale qu’elle ait spontanément de la sympathie pour les dirigeants que les Pakistanais se sont donnés, lors d’élections certes entachées d’irrégularités, mais plus ou moins démocratiques tout de même, si l’on tient compte des critères en vigueur dans la région. Le président élu Asif Ali Zardari est issu de l’opposition et membre de l’Internationale socialiste – laquelle soit dit en passant gagnerait à mieux surveiller ses fréquentations.

Alors oui, le paysan sinistré n’est pas coupable. Mais on ne peut oublier que l’intégrisme islamiste et le nationalisme agressif du régime sont très largement partagés dans la population. C’est ce consensus amoral que le peuple pakistanais paye aujourd’hui. Quoi qu’en disent tous ceux qui voudraient ériger un mur entre le droit humanitaire et les droits de l’homme.

De l’utilité des idiots

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La semaine dernière, je n’avais jamais entendu parler de Bruno Roger-Petit. Il faut dire que je connais peu le petit monde médiatique parisien et que je visite rarement le Post où on peut le lire. Comme il y a plus de diversité dans la penderie d’une Parisienne que dans toute la collection printemps-été du salafisme mondial, il y a davantage de pluralité sur Causeur que sur Rue 89, Backchich, Mediapart et le Post réunis. C’est pourquoi je ne m’y attarde jamais. J’y retrouve toujours la même rengaine qui conteste et qui proteste, les mêmes révélations qui ne dérangent plus que notre envie de surprises, la même pensée unique qui a trouvé le nom du coupable : Sarkozy.

Si vous voulez de la gauche surprenante et drôle et nuancée et talentueuse, ne surfez plus, vous êtes à la bonne adresse et je ne parle pas de moi, je crois bien que je ne suis plus de gauche.

Chez Bruno Roger-Petit, la tendance à l’anti-sarkozysme est lourde, l’opposition a viré à l’obsession et la fin de ses histoires est toujours la même : c’est la faute à vous savez qui. Vous ne savez pas ? Allez le lire, si j’ai exagéré, je vous paye un abonnement.

Comment situer ce journaliste ? C’est une espèce de sous-Guy Birenbaum, ce qui est loin d’être un compliment et si ça ne vous aide pas, je ne vous blâmerai pas, moi même il y a deux semaines …

Mais je ne vais pas vous parler de lui et passer mon temps à cogner sur tous les gens que je n’aime pas, ça ne suffit pas à faire un article et vous finiriez par vous lasser.

Quand Bruno est en carence de Sarkozy et que son esprit de résistance le démange, il s’en prend à notre chef qui est en train de devenir chez lui une deuxième obsession. Voilà pourquoi je sais qu’il existe et qu’il écrit, mais sur ce dernier point je ne me prononcerai pas, je ne veux pas influencer votre critique. Sur le premier point non plus d’ailleurs.

Ils nous voient collabos et sont les résistants

On pourrait dire que la bave du Bruno n’atteint pas la blanche colombe mais d’abord, notre chef n’est pas une colombe (ni une oie blanche, heureusement) et puis les roquets, s’ils ne mordent pas, aboient et parfois ça énerve. C’est aussi pourquoi j’écris ce billet car à Causeur, comme à l’Elysée, il nous faut un pittbull et je postule pour le poste.

Pour cet écrivant, (voyez, je reste neutre) nous sommes à Causeur des idiots utiles du sarkozysme et notre maitresse de maison une icône des sites d’extrême droite. On peut à ce propos retrouver sur le net une vidéo de l’autre (Birenbaum) qui reprochait longuement à Zemmour d’avoir adressé la parole aux auditeurs de Radio Courtoisie.

Et alors ? Et alors rien, c’est tout. Mais pour ces communicants, ces professionnels à défaut d’être amateurs du débat d’idées, cela suffit à vous envoyer en enfer.
Comme ils se rêvent dérangeants, ils nous voient valets du pouvoir. Comme ils nous voient collabos, ils sont les résistants et comme il faut que ça se sache, ils dénoncent.

Mais revenons à notre mutin qui se trompe lourdement, (ce qui ne serait pas grave s’il ne tentait de tromper tout le monde tout aussi lourdement) quand il emploie l’expression « d’idiot utile ».

L’idiot utile est celui qui croit combattre une idée, un système, un adversaire et qui à son insu, le sert. Par exemple, tous les trotskystes sans frontières, du droit à ceci et à cela qui au nom de la tolérance et de l’humanisme empêchent un vrai contrôle de l’immigration et pèsent lourdement et bêtement et pas du côté qu’ils pensent dans le bras de fer qui oppose capitalisme mondial et peuples des travailleurs.

Mais tout ça a été expliqué cent fois, ce qui n’empêche pas Bruno Roger-Petit d’être strauss-kahnien.
Nous, causeurs, ne combattons ni ne soutenons Sarkozy. La vérité et l’intérêt général ou supérieur de la nation nous préoccupent d’avantage que le style du président qui concentre l’essentiel de leurs attaques alors il nous arrive d’être idiots ou d’être utiles mais rarement les deux en même temps.

Les deux idiots, il faut les chercher ailleurs. Quand à savoir à quoi ils sont utiles, je vous laisse juges. Vous trouverez des liens vers quelques vidéos édifiantes. Ne loupez pas la chronique de Didier Porte qui explique et épingle notre tartuffe et prenez la peine de lire l’analyse que Bruno nous livre de l’intervention sur RTL d’Elisabeth Lévy sur la déclaration de Martin Hirsch. Je n’en dis pas plus. On en reparle dans les commentaires ?

On est pas bien, comme ça ?

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Basile de Koch

Chaque été, au terme d’une saison bien remplie, Basile de Koch organise une soirée de binge thinking intitulée « Rencontres Internationales des Intermittents de la Pensée ». Vous n’étiez pas invité à la VIe édition ? Consolez-vous : à défaut d’une boisson fraîche, Causeur vous offre une session de rattrapage avec l’allocution introductive du Président à vie du Groupe Jalons.

Merci, chers amis, de vous être reconnus aussi spontanément dans l’appel des Intermittents de la pensée. Bien sûr, ce n’est pas Indochine au Stade de France ! Mais ici, comme toujours à Jalons, on joue la carte de la qualité : si vous ne me croyez pas, regardez votre voisin !

Ce que j’ai à vous dire est trop important, trop subtil même pour être asséné du haut d’une tribune ; c’est pourquoi j’ai choisi la forme plus intime d’une conférence magistrale. Ce que j’ai à vous dire tient en une phrase, qui n’est qu’un pur constat : Franchement, on n’est pas bien, comme ça ?

Ici, aux Intermittents de la pensée, nous n’avons pas pour habitude d’intervenir en permanence dans le débat public – et pour cause ! En revanche, quand par hasard on a une idée, on n’hésite pas à la faire connaître « à la ville et au monde », comme diraient Benoît XVI et Frigide Barjot.[access capability= »lire_inedits »]

Ce fut toujours le cas depuis les origines de Jalons. Le groupe d’intervention culturelle Jalons, je vous le rappelle, restera dans l’Histoire grâce à une manif au métro Glacière qu’il serait impossible de refaire aujourd’hui, compte tenu du réchauffement climatique.

J’en profite pour saluer aussi mes compagnons de la première heure […] Merci à vous qui avez sacrifié votre jeunesse à notre idéal commun. Nous savions bien pourtant qu’il était inaccessible, et nous le savions depuis toujours ; mais pas question pour autant de s’arrêter à ce genre de détail ! Surtout si l’on songe à ce qu’il est advenu des idéaux des autres…

C’est ce même esprit qui continue de nous animer encore aujourd’hui par intermittence, puisqu’il a bien fallu, entre-temps, qu’on trouve des vrais boulots.

En 2005, nos premières rencontres internationales avaient pour thème : « On a pas des métiers faciles ! » La force universelle de ce message fut telle que tout le monde s’y est reconnu, y compris les chômeurs. C’est pourquoi nous avons prolongé cette réflexion l’année suivante. En 2006, nos travaux se sont même achevés sur un rude constat : « On peut pas lutter ! » Une conclusion amère en apparence – voire déprimante, limite Cioran.

Mais pas question pour autant de baisser les bras ! Nous optâmes plutôt pour une posture matérialiste hédoniste à la Michel Onfray. Le monde n’a aucun sens, certes ; quant à l’au-delà, c’est bien simple : il n’existe pas ! Et alors ?

Tout ça n’empêche pas de se conformer aux préceptes de vie onfrayiens, au contraire. Puisque décidément rien d’excitant ne pointe à l’horizon, autant jouir tout de suite ! – pour peu qu’on en ait les moyens.

Pour s’attaquer à Freud, il faut déjà être inconscient

Un mot au passage sur mon ami Michel. À l’époque, il faisait surtout dans l’antichristianisme primaire et ça marchait super bien pour lui, même auprès des cathos. Maintenant qu’il est devenu antifreudien, c’est plus compliqué : il s’est fait plein d’ennemis. Comme quoi, pour s’attaquer à Freud, il faut déjà être inconscient !

Mais puisque, ce soir, j’ai la chance de m’adresser à l’élite intellectuelle de ce pays, je lance un appel : ne nous acharnons pas sur Onfray ! Croyez-moi, il a suffisamment de problèmes d’ego tout seul.

Revenons-en à nos Intermittents. En juin 2007[1. En fait, c’était en 2008, paraît-il ; mais on ne va pas pinailler à une année près.], avec plusieurs mois d’avance, nous avions annoncé l’éclatement de la bulle spéculative et tous les problèmes d’ennui qu’elle risquait de provoquer, y compris au niveau de l’économie.

Nous l’annoncions dans l’intitulé même de nos Ves Rencontres, que vous avez tous encore à l’esprit : « On va dans le mur, tu viens ? » Un avertissement suivi d’une invitation : on n’est pas plus explicite !

Oui, nous avions tout prévu, comme toujours sans me vanter. Mais en l’occurrence, nous n’avions guère de mérite : le choc était inévitable, entre la locomotive folle du capitalisme financier et l’iceberg de la réalité. Inévitable et salutaire, ajoutions-nous : puisqu’on n’a pas le choix, puisqu’apparemment il faut en passer par là, allons donc dans le mur tous ensemble, et dans la bonne humeur ! Et de fait, on est passé par là, et je vous pose la question : On est pas bien, comme ça ?

Naturellement, vous trouverez toujours des déclinistes et des pessimologues pour vous raconter que tout fout le camp – ou que, comme disait le poète, « ça s’en va et ça ne revient pas ». Ce qui m’étonne le plus, c’est que ces Cassandre-là s’emploient à nous décourager définitivement de l’avenir, sans jamais avoir l’air de réactionnaires.

Moi, c’est l’inverse ! Même quand je suis optimiste, j’ai du mal à passer pour un progressiste. C’en est même vexant, à la longue : pourquoi est-ce que je ne serais pas, moi aussi, un « homme de progrès », comme ils disent ? Sous prétexte que je n’y crois pas ? Mais c’est de la discrimination !

En attendant, ces gens-là, qu’on appellera faute de mieux les déclinistes de progrès, nous menacent en permanence de la « fin des temps », tel Philippulus le prophète dans Tintin et la Coke mystérieuse.

Ils n’ont à la bouche que volcan islandais, marée noire louisianaise, tremblement de terre haïtien et naufrage des Bleus. Pourtant, au-delà de ces cataclysmes naturels, il est aussi des catastrophes dont le seul responsable est l’homme – au sens des gender studies, naturellement.

Ma première pensée va bien sûr aux curés pédophiles ; mais n’oublions pas pour autant le réchauffement des OGM, le martyre de Stéphane Guillon et la surimposition de Liliane, sans parler de nos retraites.

Mais quelle retraite ? Jamais nous ne renoncerons, même à 62 ans ! Et pas question de négocier : la maison n’accepte pas l’échec !

N’écoutez pas ces prophètes de malheur qui vous parlent avec complaisance de leur « mélancolie française ». On m’aura compris : je parle moins du livre de Jérémie que de celui de Zemmour.

Bien sûr, Éric est un ami et il a droit à tout mon respect – surtout s’il finit en taule ! Mais à quoi bon pleurer sur le lait renversé ? Autant s’habituer tout de suite à prendre nos céréales du matin dans un bol de larmes.

Et puis, vous savez quoi ? S’il n’y avait pas tout ça, on s’emmerderait. Déjà que là, c’est limite, comme si on vivait dans une sorte de Lons-le-Saunier temporel. À deux ou trois générations près, nous aurions pu connaître au moins une guerre mondiale, ou ne serait-ce que la grippe espagnole… On dit que les hommes exceptionnels se révèlent dans des circonstances exceptionnelles. Et nous, alors ?

Nous sommes les orphelins de l’Histoire ! Un peu comme si elle avait craint d’affronter notre génération lucide et organisée.

Pourtant, il serait temps qu’ils se lèvent enfin, les orages désirés – avant qu’on aille se coucher… Mais que dis-je ? Pas question d’aller se coucher ! Comme l’écrivait notre amie Anne Vergne, « on dormira quand on sera morts[2. Titre d’un livre de notre sœur Anne, apparue dans la bande à Jalons en 1992 et disparue en 2001.]  ! »

Et puis, de toute façon, quelle drôle d’idée d’aller se coucher ! On est pas bien, comme ça ?[/access]

Quand la cégète exige la bronzette

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Le bobo écolo qui revient d’un trekking, tout heureux d’avoir évité le Ladakh cette année, ne peut même plus bronzer tranquillement à Paris-Plage pour se remettre de sa peur rétrospective. La CGT-Pôle Emploi et la CGT-Chômeurs ont distribué, jeudi dernier, pendant plus de trois heures, des tracts dans ce haut lieu du festivisme terminal. « Paris Plage sur les quais de Seine, c’est plutôt bien, mais on aimerait que les chômeurs puissent partir eux aussi en vacances en bord de mer. Partir en vacances n’est pas un luxe, ni une faveur mais un droit issu de luttes » a déclaré notamment Jean-Louis Kieffer, secrétaire de la CGT-Chômeurs.

Ils ne doutent décidément de rien, ces bolchéviques, ces partageux, ces mauvais Français. Alors que les ministres, eux, font tous des efforts pour éviter les villégiatures bling-bling, jusqu’à François Baroin qui n’a peur de rien et certainement pas de l’ennui en allant pêcher dans la Creuse, voilà que des chômedus déjà gorgés d’allocs veulent en plus aller barboter sur nos plages et nous gâcher la vue. Sur le tract, parmi de nombreuses revendications délirantes, la CGT réclamait en plus l’octroi de chèques vacances pour les chômeurs et précaires, l’accès aux colonies de vacances pour leurs enfants et le développement d’une politique gouvernementale de tourisme social pour permettre aux familles défavorisées de partir.

Ces malandrins sans vergogne feraient d’ailleurs bien mieux de s’informer avant de geindre. Ils sauraient ainsi que le gouvernement fait déjà beaucoup pour le «tourisme social», comme ils disent. Par exemple en direction du Mali. Ou de la Roumanie.

Algérie, l’Histoire à dire

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Algérie

« La diffusion de ce film n’a pas été autorisée en Algérie », peut-on lire au dos du DVD. Le ton est donné. Pendant deux heures et quarante minutes, ces Histoires à ne pas dire sont racontées par des personnages tragiques – la grandeur et le malheur, l’exaltation et la dépression se côtoient. Shakespeare nous a enseigné que la tragédie est la condition de l’homme. Jean-Pierre Lledo nous rappelle que notre histoire d’Algérie en fut une, de tragédie.

Les personnages principaux sont Aziz, viticulteur aux cheveux blancs, Katiba, pétillante sexagénaire animatrice de radio, Kheir-Eddine, jeune et beau metteur en scène, engagés dans la recherche de la vérité sur les violences (des rebelles) qui ont accompagné l’indépendance du pays en 1962.[access capability= »lire_inedits »]

Côté français, la vérité a fait son chemin : depuis La Question, d’Henri Alleg, suivie plus tard de nombreux témoignages et travaux, on sait à quoi s’en tenir sur la folie meurtrière des Aussaresses et consorts. Côté algérien, le tabou demeure. Comme si les victimes étaient lavées de tout soupçon du mal.

Dure besogne que cette quête de la vérité. On ne touche pas aux mythes fondateurs d’un pays, malgré et peut-être à cause de son état misérable, malgré la décennie noire des années 1990, quand les militaires ont mené une guerre parfois sale contre les fous de sang responsables de la mort d’au moins 60 000 personnes, leurs « frères » pourtant, selon leur propre critère. Tous musulmans. Tous frères, depuis que l’étranger, le colon, « l’autre » a été chassé.

« Moi aussi, j’aurais posé des bombes »

Aziz est un homme libre. Aujourd’hui, il vit loin de sa région natale, l’ancienne Philippeville, mais continue de chercher la vérité sur le passé. Il parle avec émotion d’un certain Roger Balestrieri, personnage absent, mais pas secondaire : « Nous avions protégé des colons, nos voisins ; pourquoi Aussaresses a-t-il massacré ma famille ? » Aziz pleure. Roger l’a sauvé. Aziz cherche la tombe de son oncle Lyazid, celui qui a refusé d’exécuter l’ordre de tuer les Gouri (les « non-musulmans »). Lyazid l’a payé de sa vie. Pour toute tombe, Aziz trouve quelques cailloux. Alors, il hurle sa colère : « Qu’ils la gardent, leur Algérie, leur Indépendance, leur machin, leur 5-Juillet, leur 19-Mars, les vrais héros, ils sont là ! » Il respecte et honore l’indépendance de son pays, mais pas la « leur ». Guerre des mots. Aziz parle un beau français. Katiba aussi. Elle revendique sa double culture : la casbah arabe et la Bab El-Oued occidentale, où elle revient, sur les lieux de son enfance. Elle ne reconnaît rien et personne ne la reconnaît. C’est ça, l’exil : se sentir étranger dans ce qui fut nôtre. Un jeune, désœuvré et amer, la prend pour une Française. « Délit d’identité à l’envers », dit-elle. Guerre d’identité. Le jeune lui reproche de parler du passé et de ne pas partager leur présent miséreux.

« Moi aussi, j’aurais posé des bombes n’importe où ! », affirme Katiba, au côté de sa copine Louisa, héroïne de la résistance algérienne, arrêtée et emprisonnée, qui justifie les bombes contre les civils, le terrorisme aveugle. « Pas le choix. » Deux vieilles dames charmantes défendant le crime face à la caméra. Sans commentaire. « Il fallait attaquer les civils, comme toute présence étrangère venue coloniser un pays qui ne leur appartenait pas », ajoute Louisa. Mais tous ces juifs, ces Espagnols, ces Français, là depuis toujours… L’Algérie n’était-elle pas leur terre ?

Un pays livré à une identité unique

Tout a commencé le 20 août 1955 : les émeutes, suivies de la répression sanglante des Français. À travers un pauvre village, on suit un homme endimanché. « Les musulmans n’avaient pas de maisons en dur, seuls les Gouri en avaient… Ici, on a égorgé et tué à la hache. » Il raconte avec précision comment il a assassiné la femme d’un contremaître, laissant glisser son doigt sur son cou comme une lame. Égorgée.

Ce mot me fait trembler. C’était celui que j’entendais, enfant, terrorisée, à Tunis, quand les adultes parlaient des « événements » et des fellaghas algériens. Ils égorgent ! Ce mot que j’ai à nouveau entendu hurler pendant la guerre des Six-Jours, en 1967, par Choukeiri et chanter par la grande Oum Kalsoum : « Égorge ! »

Cette barbarie sacrificielle donne la nausée. Au diable la justification du terrorisme au nom de la liberté et de l’indépendance ! Au diable les reproches faits à ce film sur son silence quant aux origines des attentats, qui auraient été quasiment imposés par la situation de colonisés ! Au diable les raisonnements intellectuels sur la juste lutte de tel ou tel peuple ! Au diable la comptabilité morbide entre les crimes commis par l’armée française, l’OAS et tous les salopards de l’époque et ceux perpétrés par les rebelles algériens !

Le sacrifice d’Abraham n’a pas eu lieu. Depuis, il est interdit de sacrifier un être humain, si l’on veut être un humain. Tu n’égorgeras pas ton prochain !

J’entends alors l’homme endimanché raconter qu’après avoir égorgé la femme, alors qu’elle agonisait, il a mangé les sardines qu’elle avait cuisinées.

Camus écrivait : « Il faut négocier une paix qui ne peut pas être celle du FLN, laquelle, risquerait de n’être que celle de l’islam. De toute façon, on n’a pas le droit de livrer l’Algérie tout entière au seul caprice d’un parti unique. » C’est fait. Pire même. Aujourd’hui, c’est à une identité unique que le pays est livré, et il en crève.[/access]

Nous sommes tous des Méditerranéens

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L’affaire de la fausse alerte à la bombe (à eau miraculeuse ?) de Lourdes lève le voile sur la pratique parfaitement maîtrisée de la novlangue par le trop méconnu préfet des Hautes-Pyrénées. Celui-ci, un dénommé Bidal, s’est fendu d’une déclaration édifiante sur l’origine potentielle du poseur de lapin – à défaut de bombe. Il a précisé, selon les meilleurs journaux, que l’appel anonyme prévenant de la présence d’un engin explosif avait été passé par « un homme au fort accent méditerranéen […] » !

C’est une découverte pour les férus de géographie et de phonétique ne soupçonnant pas l’existence d’un accent méditerranéen unifié qui rassemble sous sa bannière consensuelle l’assent de Marseille, les roucoulements de Palerme ou les lamentations orientales.

C’est un casse-tête pour les policiers chargés de l’enquête : de quel côté de l’accent de la Méditerranée vont-ils orienter leurs recherches ?

C’est une victoire pour les chantres de l’indifférenciation dogmatique : les mots clivant s’évanouissent pour ne fâcher personne.

Mais c’est aussi une épreuve pour les tagueurs de mosquée : « sale Méditerranéen », c’est tout de suite moins efficace.

Roms : ne faites pas comme les Roumains

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Voleurs de poules, assistés sociaux voire exploiteurs de gosses transformés en mendiants professionnels : les clichés sur les Roms sont régulièrement dénoncés. À raison bien sûr dès lors qu’ils reposent sur la généralisation malheureuse de fragments de réalité : comme toujours, les braves gens payent pour les délinquants. Je crois cependant pouvoir déclarer scientifiquement que les Roms (en l’occurrence je parle de ceux de Roumanie et de Bulgarie) sont complètement idiots. Et peut-être structurellement masochistes.

Le Times sent un parfum de Gestapo

Je ne vois pas d’autre explication au fait qu’ils s’obstinent à quitter en masse des contrées merveilleuses où règnent la tolérance et les droits de l’homme pour venir – et même revenir – se faire maltraiter dans un pays raciste, xénophobe, menacé par un « dérapage populiste ». Et quand il dit ça Tedor Baconschi, le ministre roumain des Affaires étrangères, est poli. C’est que, comprenez-vous, il a peur qu’on ressuscite des « souvenirs déplaisants ». Pour les mal-comprenants, le Times de Londres a été beaucoup plus clair en affirmant que les expulsions de Roms rappellent « les déportations » et « la Gestapo ». Qui dit mieux ? Désolée, mieux dans l’horreur, on n’a pas.

On peut dire que la politique du gouvernement français est une gesticulation absurde puisqu’elle consiste à expulser des gens qui seront autorisés à revenir mais n’auront pas le droit de travailler ce qui revient à leur donner le choix entre délinquance et assistanat – ce joli montage ayant été négocié sous la houlette européenne. Les clameurs de vertu outragée qui, de Washington à Bruxelles, s’élèvent contre la France, n’en sont pas moins insupportables. Rappelons simplement que les déportés – notamment tziganes – ne se voyaient pas remettre un pécule pour repartir et que les menaces qui pesaient sur eux n’avaient pas grand-chose à voir avec un contrôle fiscal.

Bucarest, la paille et la poutre

Il était déjà un fort agaçant que l’ONU réprimande la France quand on se rappelle que sa propre commission Théodule des droits de l’homme est contrôlée par des pays aussi irréprochables que la Lybie, la Syrie ou l’Iran. L’hypocrisie de la commissaire européenne récitant le catéchisme de la libre circulation alors qu’elle sait parfaitement que la « question rom » relève de l’Union (qui n’a évidemment aucune idée pour la régler) avait de quoi énerver tout comme les froncements de sourcils du Département d’Etat américain. Mais que le gouvernement roumain fasse l’indigné, voilà qui est carrément indécent. Vieille histoire de paille et de poutre.

Si les Roms de Bulgarie et de Roumanie ne souffraient pas dans leurs pays de discriminations, voire, qui sait, de racisme, peut-être seraient-ils moins enclins à émigrer. Certes, les Roms de Roumanie ne sont pas expulsés du pays, mais comme le pointe Amnesty International, de leurs maisons : voilà qui qualifie Bucarest pour jouer l’arbitre des élégances antiracistes. Quant à l’accueillante Bulgarie, elle peut s’enorgueillir d’avoir un parti politique qui a fait campagne il y a quelques années en réclamant qu’on « transforme les Tziganes en savon » – vous avez bien lu. Pour le reste, il vous suffira de chercher. Mais tout cela n’est rien comparé aux atrocités commises par l’odieux gouvernement français avec la complicité passive d’un peuple de collabos. Entre nous, si un gouvernement fascistoïde sévit à la tête d’un pays européen et que cette bonne Union ne fait rien, c’est qu’elle est bonne à jeter dans les poubelles de l’Histoire. Mais ce n’est pas le sujet.

La France montrée du doigt, les médias adorent

Le plus consternant est la délectation, la joie mauvaise comme disent les Allemands, avec laquelle les propos les plus outranciers sont repris en boucle. La France montrée du doigt, quelle aubaine ! Bien sûr, il s’agit toujours de la France des autres, celle des Dupont-la-joie qui ne hurlent pas de bonheur quand un campement rom s’installe à côté de chez eux. De plus, il est si bon de se battre la coulpe sur la poitrine du gouvernement. Et plus facile que de se demander ce que pourrait être une politique migratoire humaine, réaliste et cohérente – ce qui, il est vrai, n’est pas une mince affaire. Seulement, l’objet de cette effervescence indignée n’est pas de réfléchir à des solutions mais de gagner le concours de la plus belle âme.

Il faut donc rappeler une fois de plus que la France prend sa part de la misère du monde. Sans doute pas très bien, peut-être pas assez mais elle le fait. Les citoyens maugréent parfois, il leur arrive d’avoir de mauvais sentiments mais les contribuables financent – et c’est heureux. Les prêchi-prêcheurs professionnels devraient trouver une autre ritournelle : brandir les années noires ne fera pas d’eux des Jean Moulin. En revanche, à force de se faire insulter, les Français vont s’énerver. Et quand ils s’énervent, ils ne sont pas plus malins que les autres.

Mort d’un romancier populaire

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Dans les années 70, Guillaume Musso et Marc Levy s’appelaient Patrick Cauvin. C’est dire si l’époque était plus sympathique. Un écrivain pouvait vendre des centaines de milliers d’exemplaires sans prendre ses lecteurs pour des cons. Il pouvait aussi écrire un français dont la pauvreté n’annonce pas la novlangue de demain, à base de sabir informatique et d’anglais véhiculaire.

Adolescents surdoués dans la France de Giscard

Mais Patrick Cauvin vient de mourir. Il avait 77 ans et avait obtenu un succès phénoménal avec E=Mc2 mon amour. C’était l’histoire de Roméo et Juliette, ou plutôt de Tristan et Iseult vécue par des adolescents surdoués dans la France de Giscard. On se souvient de l’avoir lu en édition club. C’était un livre de « la bibliothèque des parents. » On n’était un peu méfiant, toujours, avec les livres de la « bibliothèque des parents. » On avait seulement treize ans mais on était déjà très snob : on ne croyait qu’à la littérature et la littérature était une affaire d’écrivains morts. On avait dû lire ça un jour de disette. Et la disette s’est transformée en festin.

On aurait voulu être comme les héros : très intelligents, très amoureux, très drôles et puis s’enfuir à Venise. On se souvient d’avoir lu dans la foulée un autre roman de Cauvin sur un sujet similaire, l’amour impossible. Les protagonistes étaient un catcheur et une libraire qui louchait. Impossible de retrouver le titre mais, en même temps, il n’y a pas beaucoup d’histoires dont je me souvienne trente ans après. Même en admettant que l’adolescence fasse de nous des particulièrement plaques sensibles, les photographies de la mémoire pâlissent tout de même assez vite.

Si par hasard vous lisez un Musso ou un Lévy (on a tous le droit au mauvais goût), il est possible que vous passiez un moment distrayant mais ne venez pas me dire que vous vous en souvenez six mois après.

…alias Claude Klotz

Patrick Cauvin était sur le plan littéraire le représentant des années minitel là où Musso et Levy (Marc) sont ceux des années téléphone portable. Le minitel, c’était une technologie faite pour relier tout le monde sans distinction d’origine. C’était gratuit, ou presque. Un genre de service public. Le portable, lui, n’est pas là pour relier mais pour montrer que son porteur est dans le vent dominant de la quincaillerie électronique. Quand Musso et Levy mettent en scène des riches et des fantômes, Cauvin mettait en scène des vivants un peu cassés par leur intelligence ou leur physique. Cela ne l’empêchait pas de faire des best-sellers. Il était d’un temps où la littérature, et donc la société, savaient encore s’occuper des perdants, et les aimer aussi.
Prof de français dans une banlieue d’avant l’effondrement, Patrick Cauvin s’appelait en fait Claude Klotz. Il avait choisi de nom de Cauvin pour raconter ses histoires d’amour parce qu’il avait déjà utilisé le vrai pour raconter des horreurs. Les horreurs en questions étaient des genres de polars très brefs, très violents, écrits dans un style behavioriste qui est aussi à la même époque, celui de Jean-Patrick Manchette.
Ils mettaient notamment scène un héros récurrent Reiner et avaient pour titre Sbang Sbang, Putsch Punch ou Darakan. On les trouvait, au début des années 80, édités ou réédités par 10-18, avec des couvertures de Monory. C’était bien vu pour ces romans glacés qui sont peut-être les véritables chefs d’œuvre de l’écrivain : le froid, en littérature comme pour l’alimentation, ça conserve mieux.
Sous le nom de Klotz, parce que décidément, comme tout romancier populaire, il savait d’instinct ce qui travaille l’imaginaire d’une époque, il a aussi connu un grand succès aves Les Innommables, un roman sur la préhistoire qui prenait pourtant un parti-pris à la limite de l’expérimental : écrire dans le langage des hommes préhistoriques eux-mêmes.
Il croyait parler du passé. On peut se demander s’il n’annonçait pas l’avenir.

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« Hélène et les garçons » : ma mélancolie à moi

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Le Petit Prince

Le Petit Prince

Je suis devenu réactionnaire un dimanche de juillet, et ça a duré au moins tout l’après-midi.

Il faisait vraiment très chaud, ceci explique peut-être cela. Avant, je croyais que j’étais déjà réactionnaire mais je me trompais. J’étais simplement un pessimiste actif. Les pessimistes actifs deviennent soit fascistes s’ils ont un mauvais fond et qu’ils n’ont pas lu Marx, soit communistes si leur premier réflexe, quand ils voient passer devant eux une jolie fille alors qu’ils sont assis à la terrasse d’un café[1. Les communistes sont en général des assistés qui dépensent leurs allocations dans des débits de boissons. Parfois, en plus, ils sont fonctionnaires.] est de s’exclamer : « Tu as vu comme elle est jolie ? » et non : « Tu as vu, il n’y a plus que des Arabes/Blacks/Chinoises[2. Rayer les mentions inutiles.] dans le quartier ! » C’est le côté Petit Prince des communistes, ça : la beauté n’est pas pour eux affaire de chiffres, comme pour le businessman qui veut la posséder ou le géographe qui préfère les taxinomies aux caresses.

Petit Prince ou pas, je suis devenu réactionnaire en attendant le match Argentine-Allemagne dans l’ombre fraîche du salon et en buvant de la vodka-pamplemousse pour digérer. C’est fou ce qu’on a besoin de digérer quand on est communiste, ces temps-ci : il faut digérer la manière dont les gouvernements de l’UE ont objectivement décidé de paupériser leur propre population pour tenter de préserver les rentes du capital ; il faut digérer qu’un fake (Sylvie François !), sur Facebook, annonce un apéro-saucisson rue Myrha pour qu’on se rende compte à quel point on flirte avec la guerre civile (au moins sur Internet) ; il faut digérer qu’une manifestation de deux millions de personnes contre la réforme des retraites passe à l’as médiatique parce que le président décide de recevoir en urgence Thierry Henry, lui-même futur jeune retraité du football, mais aussi de l’honneur, et il faut digérer plus généralement cette impression que tout ce que nous avons aimé est appelé à disparaître et que l’on s’éloigne un peu plus chaque jour des Jours heureux qui étaient, rappelons-le, le titre donné par le Conseil national de la Résistance à son programme. Les jours heureux… Tu parles…[access capability= »lire_inedits »]

Le zapping ou la dépression assurée

Alors, je zappais mélancoliquement en attendant le match. Le zapping est l’activité mélancolique par excellence. Il conjugue le sentiment du passage du temps à celui d’un monde kaléidoscopique, et donc l’idée que rien n’est compréhensible et celle que tout est éphémère. L’éphémère, c’est déjà ce qui faisait peur au Petit Prince quand il pensait à sa rose. Et comme la télé cherche à rendre dépressif ceux qui la regardent, il y a même une chaîne qui vous en propose un tout fait, de zapping. Avant, on se levait pour changer de chaîne, puis il y a eu la télécommande et, maintenant, il y a une émission qui joue toute seule le rôle de la télécommande. Paresse au carré égale dépression assurée.

J’ai repris une vodka-pamplemousse et c’est alors que je suis tombé en zappant sur Hélène et les garçons, rediffusé par une de ces chaînes-robinets du câble, AB1.

J’aurais aimé vous dire que ce fut une madeleine trempée dans du thé, ou d’avoir trébuché sur un pavé de la cour en me rendant à une soirée chez les Guermantes qui firent revenir, d’un coup, tout un passé aboli. Désolé, c’est beaucoup moins chic, c’est le générique d’Hélène et les garçons :

Hélène, je m’appelle Hélène
je suis une fille
comme les autres
Hélène
j’ai mes joies, mes peines
elles font ma vie
comme la vôtre
je voudrais trouver l’amour
simplement trouver l’amour

Vous vous souvenez ? Ça a dû durer deux ans et, d’après le copyright entrevu à la fin d’un épisode, c’était autour de 1993. Parce qu’autant l’avouer tout de suite, j’en ai oublié Argentine-Allemagne et, du coup, je suis resté à regarder les épisodes les uns après les autres.

L’image d’un monde parfait

Qu’est-ce que j’avais pu détester cette série, à l’époque ! Elle incarnait tout ce que le système avait prévu de mieux pour aliéner mes élèves, surtout les filles, auxquelles elle s’adressait en particulier. J’enrageais, même, de les voir se passionner pour ces jeunes gens qui leur faisaient croire que des études supérieures consistaient à passer d’une salle de gym à une chambre de cité universitaire aussi luxueuse qu’un penthouse new-yorkais et de cette chambre au local où des garçons jouaient de la musique d’ascenseur en prenant des airs inspirés.

Oui, j’enrageais de voir des gamines, mes élèves, coller des photos de Cricri d’amour, de Johanna et d’Hélène sur leurs cahiers de textes. De regarder leur montre quand il y avait cours jusqu’à cinq heures et demie parce qu’elles allaient rater le début d’un épisode.

– « Samira, ça n’a pas encore sonné. Alors vous ressortez vos affaires et vous notez le travail pour la prochaine fois… »

Une fois, j’ai tenté de leur expliquer, tout de même : ce genre de production télévisuelle leur donnait une image totalement fausse de la société, ce qui était déjà dangereux, mais aussi de l’amour, ce qui était criminel car, s’il est toujours possible de faire une révolution pour changer le monde, il est beaucoup plus difficile d’échapper aux horreurs de la passion (on venait de jeter un petit coup d’œil sur Phèdre, elles voyaient bien de quoi je leur parlais). On cherchait à leur vendre l’image d’un monde parfait, ce qui allait leur coûter cher en illusions mais les produits dérivés, cahiers, magazines, disques, cher en argent de poche.

Pourtant, même les meilleures ne voulaient pas entendre mes arguments. Elles plaidaient le droit au rêve, revendiquaient leur fleurbleuisme. Une d’entre elles me dit même, sur le ton « Au moins, ça, ça devrait vous plaire ! » : « Et puis, vous savez, Monsieur, ils ne disent pas de gros mots dans Hélène et les garçons. » Sur le coup, je n’y avais pas prêté attention.

Mais là, près de dix-sept ans après, j’ai compris ce qu’elle voulait dire, et pourquoi, d’un seul coup, ce générique idiot m’avait harponné depuis les années 1990 et me laissait désemparé, avec un incroyable coup de blues, dans mon dimanche caniculaire des années 2010, à regarder des jeunes gens flirter sur des musiques sucrées, des jeunes gens qui, maintenant, s’ils flirtaient encore, devaient plutôt le faire avec la quarantaine.

J’ai compris que ces programmes qui me paraissaient si abêtissants, si spécialement destinés à faire de l’argent et à maintenir mes gamines de banlieue dans une misère culturelle en plus de la misère sociale − Hélène ayant tout de même beaucoup plus de moyens que Phèdre ou Louise Michel pour se faire entendre − j’ai compris donc qu’ils étaient une manière de paradis perdu.

Rohmer en ZEP

Elle avait raison, mon élève : on ne dit pas de gros mot dans Hélène et les garçons. On y parle même un français assez soutenu, moderne mais sans excès. J’ai compris que ce que je reprochais à Hélène et les garçons, à savoir une négation totale des réalités sociales au profit des préoccupations sentimentales comme seul souci, et cela au point de faire passer Madame de Scudéry pour Rosa Luxemburg et la carte du Tendre pour un pays spartakiste, je ne le reprochais pas aussi aux films de Rohmer que j’aime tant, justement pour leur qualité de dégagement. Finalement, Hélène et les garçons, c’était le Rohmer de la ZEP. C’est-à-dire une autre façon de penser l’émancipation : par la désinvolture, l’élégance, le sentiment de la langue.

Je ne suis pas sûr qu’un tel programme rencontrerait la même faveur aujourd’hui. Tout serait faussé par des producteurs qui voudraient à la fois garder le côté politiquement correct et iraient farcir le casting de minorités visibles tout en jouant sur la démagogie jeuniste et faire parler les acteurs comme des rappeurs, quand bien même leur personnage serait chargé d’incarner une blonde des beaux quartiers.

Le pire, aussi, c’est que ce qui me semblait être de l’ordre de la grammaire sentimentale niaiseuse doit, pour une fille des quartiers aujourd’hui, paraître comme une parenthèse enchantée. Même si ce n’était pas bien méchant, dans Hélène et les garçons, on était assez volage et une forme d’égalité spontanée dans le désir rejetait toute forme de domination masculine. Et on me dira ce qu’on voudra, à l’époque, on se voilait moins, on se laissait moins pousser la barbe, on ne traitait pas encore les filles comme du bétail à tournante mais il est vrai, aussi, qu’on pouvait encore avoir une petite chance de trouver du boulot, une petite chance d’avoir des profs qui vous sauveraient la mise en vous envoyant au lycée ou à la fac et de ne pas être contrôlé par la police à chaque fois que vous vous promeniez avec votre copine.

Je me suis resservi une vodka-pamplemousse. La rediffusion des épisodes était terminée. J’ai vérifié le score d’Argentine Allemagne : 0-4

Sacrée défaite pour l’Argentine, tout de même. Comme pour moi.[/access]

Sueurs chaudes

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Vladimir Ladijenski, un sexagénaire russe, est mort le 8 août dernier lors des XXIème championnats du monde de sauna, qui se déroulaient dans la charmante cité finlandaise d’Heinola, à 150km d’Helsinki. Le champion sortant, Timo Kaukonen, a été sorti de l’étuve in extremis, échappant de peu au sort funeste de son concurrent. L’épreuve consiste à rester le dernier dans un sauna préalablement chauffé à 110°, et dont la température s’élève toute les trente secondes par aspersion d’eau sur les pierres brûlantes.

Les Finlandais, contrairement à une rumeur répandue par l’ennemi héréditaire russe, ne consommeront pas le défunt lors du banquet funèbre, en dépit de l’était parfait de cuisson auquel il était parvenu.

Pakistan : pourquoi ça ne donne rien

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Les Français sont sans cœur. Et pas qu’eux. Toute l’humanité ou presque est montrée du doigt pour son peu d’empressement à contribuer financièrement à l’aide humanitaire au Pakistan.

Les chiffres, il est vrai, sont spectaculaires : ainsi la Fondation de France se plaint-elle de n’avoir récolté que 300 euros sur le compte qu’elle a ouvert pour les sinistrés du Pakistan. Jean-François Riffaud porte-parole de la Croix-Rouge française déclarait mardi dernier au Monde : « Nous avons relancé un e-mailing à nos donateurs vendredi, mais nous n’avons récolté que 90.000 euros en une semaine. C’est à comparer aux deux millions d’euros de dons reçus en trois jours pour Haïti. »

En vertu de quoi, je me suis fait morigéner à la télé, ainsi que quelques milliards de non-donateurs par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon qui déplorait à Islamabad, dimanche dernier, la faiblesse et la lenteur de l’aide internationale[1. L’alarmisme dont fait preuve Ban Ki-moon – notamment à propos d’une improbable épidémie de choléra – a été jugé pour le moins sévèrement par Rony Brauman qui déclarait mardi dernier à France-Soir: « Ban Ki-moon cherche à faire monter la sauce afin de rattraper ses incompétences et sa mauvaise gestion de l’ONU (…). La date de sa réélection se rapproche (…). Se montrer dans une situation de mobilisation et aggraver le problème lui permettront de mettre cette opération à son crédit. »]. De son côté, le vice-Premier ministre britannique Nick Clegg s’est ému ce lundi, du montant « misérable » versé par ses concitoyens (alors qu’il existe une très forte communauté pakistanaise dans le pays). Nombre de chefs d’Etats abondent dans ce sens.

Une indifférence qu’explicite à sa façon la porte-parole du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, Elisabeth Byrs : « On remarque souvent un déficit d’image en ce qui concerne le Pakistan dans les opinions publiques occidentales ». Même son de cloche chez Filipe Ribeiro, directeur général de Médecins sans frontières, qui accusait sans détours les médias qui ne feraient pas leur boulot en ne sensibilisant pas assez les opinions publiques, expliquant qu’à cause d’eux « le Pakistan a mauvaise presse » parce qu’il est « clairement lié au terrorisme ».

C’est vrai, ça, on voit mal où les médias sont allés chercher ce genre de calomnies. Lié au terrorisme, le Pakistan? Si peu… Bon, le Pakistan alimente depuis 60 ans une guerre civile meurtrière au Cachemire indien qui a fait plusieurs dizaines de milliers de victimes civiles. La trace des services secrets d’Islamabad a été clairement pistée lors des attentats de Bombay, en novembre 2008. La plupart des observateurs ont identifié la même aimable signature, mais cette fois en interne, dans le carnage à la ceinture piégée qui a coûté la vie à Benazir Bhutto en décembre 2007. Cerise sur le gâteau, c’est le Pakistan qui a permis aux Talibans de prendre le contrôle de l’Afghanistan, et les a maintenus au pouvoir pendant cinq années, durant lesquelles ceux-ci ont accordé toute l’aide nécessaire à Ben Laden. Un soutien logistique sans lequel le 11 septembre n’aurait sans doute pas eu lieu ; mais bon, de là à identifier le Pakistan au terrorisme, c’est sans doute exagéré.

Oui, il faut se méfier des généralisations hâtives. Le Pakistan n’est pas seulement un Etat terroriste. C’est aussi un pays de corruption généralisée. C’est également l’un des acteurs majeurs du trafic mondial d’héroïne. C’est un des pays les plus dynamiques en matière de prolifération d’armes nucléaires. On n’évoquera pas, faute d’adjectifs ad hoc, ce qu’y sont les droits des femmes, des enfants, des homosexuels, des minorités ethniques et religieuses…
Accessoirement, c’est aussi un pays dont le Président n’a pas jugé utile d’interrompre sa tournée diplomatique internationale après le déclenchement des inondations.

Etat-voyou et puissance nucléaire

Toutes considérations qui font que beaucoup de gens n’ont guère envie d’envoyer leurs sous. Ce que personnellement je ne saurais condamner : le Pakistan est un Etat-voyou, et les donateurs putatifs sont réticents à donner des fonds dont ils ignorent s’ils iront aux victimes ou s’ils aboutiront sur un compte numéroté à Vaduz. De plus, pour ce qui est de l’aide la plus urgente, le Pakistan aurait pu y contribuer lui-même : contrairement à Haïti, ce n’est pas l’un des pays les pauvres de la planète, il est suffisamment riche en tout cas pour s’offrir un arsenal nucléaire, pour entretenir des guerres, pour financer des dizaines de milliers de madrasas…

Alors oui, les victimes des inondations ne sont pas les dirigeants du pays. Ce sont au premier chef les femmes, les enfants et les vieillards qui payent pour les généraux, les mollahs et leurs potiches civiles. Mais on ne peut exiger de l’opinion internationale qu’elle ait spontanément de la sympathie pour les dirigeants que les Pakistanais se sont donnés, lors d’élections certes entachées d’irrégularités, mais plus ou moins démocratiques tout de même, si l’on tient compte des critères en vigueur dans la région. Le président élu Asif Ali Zardari est issu de l’opposition et membre de l’Internationale socialiste – laquelle soit dit en passant gagnerait à mieux surveiller ses fréquentations.

Alors oui, le paysan sinistré n’est pas coupable. Mais on ne peut oublier que l’intégrisme islamiste et le nationalisme agressif du régime sont très largement partagés dans la population. C’est ce consensus amoral que le peuple pakistanais paye aujourd’hui. Quoi qu’en disent tous ceux qui voudraient ériger un mur entre le droit humanitaire et les droits de l’homme.

De l’utilité des idiots

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La semaine dernière, je n’avais jamais entendu parler de Bruno Roger-Petit. Il faut dire que je connais peu le petit monde médiatique parisien et que je visite rarement le Post où on peut le lire. Comme il y a plus de diversité dans la penderie d’une Parisienne que dans toute la collection printemps-été du salafisme mondial, il y a davantage de pluralité sur Causeur que sur Rue 89, Backchich, Mediapart et le Post réunis. C’est pourquoi je ne m’y attarde jamais. J’y retrouve toujours la même rengaine qui conteste et qui proteste, les mêmes révélations qui ne dérangent plus que notre envie de surprises, la même pensée unique qui a trouvé le nom du coupable : Sarkozy.

Si vous voulez de la gauche surprenante et drôle et nuancée et talentueuse, ne surfez plus, vous êtes à la bonne adresse et je ne parle pas de moi, je crois bien que je ne suis plus de gauche.

Chez Bruno Roger-Petit, la tendance à l’anti-sarkozysme est lourde, l’opposition a viré à l’obsession et la fin de ses histoires est toujours la même : c’est la faute à vous savez qui. Vous ne savez pas ? Allez le lire, si j’ai exagéré, je vous paye un abonnement.

Comment situer ce journaliste ? C’est une espèce de sous-Guy Birenbaum, ce qui est loin d’être un compliment et si ça ne vous aide pas, je ne vous blâmerai pas, moi même il y a deux semaines …

Mais je ne vais pas vous parler de lui et passer mon temps à cogner sur tous les gens que je n’aime pas, ça ne suffit pas à faire un article et vous finiriez par vous lasser.

Quand Bruno est en carence de Sarkozy et que son esprit de résistance le démange, il s’en prend à notre chef qui est en train de devenir chez lui une deuxième obsession. Voilà pourquoi je sais qu’il existe et qu’il écrit, mais sur ce dernier point je ne me prononcerai pas, je ne veux pas influencer votre critique. Sur le premier point non plus d’ailleurs.

Ils nous voient collabos et sont les résistants

On pourrait dire que la bave du Bruno n’atteint pas la blanche colombe mais d’abord, notre chef n’est pas une colombe (ni une oie blanche, heureusement) et puis les roquets, s’ils ne mordent pas, aboient et parfois ça énerve. C’est aussi pourquoi j’écris ce billet car à Causeur, comme à l’Elysée, il nous faut un pittbull et je postule pour le poste.

Pour cet écrivant, (voyez, je reste neutre) nous sommes à Causeur des idiots utiles du sarkozysme et notre maitresse de maison une icône des sites d’extrême droite. On peut à ce propos retrouver sur le net une vidéo de l’autre (Birenbaum) qui reprochait longuement à Zemmour d’avoir adressé la parole aux auditeurs de Radio Courtoisie.

Et alors ? Et alors rien, c’est tout. Mais pour ces communicants, ces professionnels à défaut d’être amateurs du débat d’idées, cela suffit à vous envoyer en enfer.
Comme ils se rêvent dérangeants, ils nous voient valets du pouvoir. Comme ils nous voient collabos, ils sont les résistants et comme il faut que ça se sache, ils dénoncent.

Mais revenons à notre mutin qui se trompe lourdement, (ce qui ne serait pas grave s’il ne tentait de tromper tout le monde tout aussi lourdement) quand il emploie l’expression « d’idiot utile ».

L’idiot utile est celui qui croit combattre une idée, un système, un adversaire et qui à son insu, le sert. Par exemple, tous les trotskystes sans frontières, du droit à ceci et à cela qui au nom de la tolérance et de l’humanisme empêchent un vrai contrôle de l’immigration et pèsent lourdement et bêtement et pas du côté qu’ils pensent dans le bras de fer qui oppose capitalisme mondial et peuples des travailleurs.

Mais tout ça a été expliqué cent fois, ce qui n’empêche pas Bruno Roger-Petit d’être strauss-kahnien.
Nous, causeurs, ne combattons ni ne soutenons Sarkozy. La vérité et l’intérêt général ou supérieur de la nation nous préoccupent d’avantage que le style du président qui concentre l’essentiel de leurs attaques alors il nous arrive d’être idiots ou d’être utiles mais rarement les deux en même temps.

Les deux idiots, il faut les chercher ailleurs. Quand à savoir à quoi ils sont utiles, je vous laisse juges. Vous trouverez des liens vers quelques vidéos édifiantes. Ne loupez pas la chronique de Didier Porte qui explique et épingle notre tartuffe et prenez la peine de lire l’analyse que Bruno nous livre de l’intervention sur RTL d’Elisabeth Lévy sur la déclaration de Martin Hirsch. Je n’en dis pas plus. On en reparle dans les commentaires ?

On est pas bien, comme ça ?

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Basile de Koch

Basile de Koch

Chaque été, au terme d’une saison bien remplie, Basile de Koch organise une soirée de binge thinking intitulée « Rencontres Internationales des Intermittents de la Pensée ». Vous n’étiez pas invité à la VIe édition ? Consolez-vous : à défaut d’une boisson fraîche, Causeur vous offre une session de rattrapage avec l’allocution introductive du Président à vie du Groupe Jalons.

Merci, chers amis, de vous être reconnus aussi spontanément dans l’appel des Intermittents de la pensée. Bien sûr, ce n’est pas Indochine au Stade de France ! Mais ici, comme toujours à Jalons, on joue la carte de la qualité : si vous ne me croyez pas, regardez votre voisin !

Ce que j’ai à vous dire est trop important, trop subtil même pour être asséné du haut d’une tribune ; c’est pourquoi j’ai choisi la forme plus intime d’une conférence magistrale. Ce que j’ai à vous dire tient en une phrase, qui n’est qu’un pur constat : Franchement, on n’est pas bien, comme ça ?

Ici, aux Intermittents de la pensée, nous n’avons pas pour habitude d’intervenir en permanence dans le débat public – et pour cause ! En revanche, quand par hasard on a une idée, on n’hésite pas à la faire connaître « à la ville et au monde », comme diraient Benoît XVI et Frigide Barjot.[access capability= »lire_inedits »]

Ce fut toujours le cas depuis les origines de Jalons. Le groupe d’intervention culturelle Jalons, je vous le rappelle, restera dans l’Histoire grâce à une manif au métro Glacière qu’il serait impossible de refaire aujourd’hui, compte tenu du réchauffement climatique.

J’en profite pour saluer aussi mes compagnons de la première heure […] Merci à vous qui avez sacrifié votre jeunesse à notre idéal commun. Nous savions bien pourtant qu’il était inaccessible, et nous le savions depuis toujours ; mais pas question pour autant de s’arrêter à ce genre de détail ! Surtout si l’on songe à ce qu’il est advenu des idéaux des autres…

C’est ce même esprit qui continue de nous animer encore aujourd’hui par intermittence, puisqu’il a bien fallu, entre-temps, qu’on trouve des vrais boulots.

En 2005, nos premières rencontres internationales avaient pour thème : « On a pas des métiers faciles ! » La force universelle de ce message fut telle que tout le monde s’y est reconnu, y compris les chômeurs. C’est pourquoi nous avons prolongé cette réflexion l’année suivante. En 2006, nos travaux se sont même achevés sur un rude constat : « On peut pas lutter ! » Une conclusion amère en apparence – voire déprimante, limite Cioran.

Mais pas question pour autant de baisser les bras ! Nous optâmes plutôt pour une posture matérialiste hédoniste à la Michel Onfray. Le monde n’a aucun sens, certes ; quant à l’au-delà, c’est bien simple : il n’existe pas ! Et alors ?

Tout ça n’empêche pas de se conformer aux préceptes de vie onfrayiens, au contraire. Puisque décidément rien d’excitant ne pointe à l’horizon, autant jouir tout de suite ! – pour peu qu’on en ait les moyens.

Pour s’attaquer à Freud, il faut déjà être inconscient

Un mot au passage sur mon ami Michel. À l’époque, il faisait surtout dans l’antichristianisme primaire et ça marchait super bien pour lui, même auprès des cathos. Maintenant qu’il est devenu antifreudien, c’est plus compliqué : il s’est fait plein d’ennemis. Comme quoi, pour s’attaquer à Freud, il faut déjà être inconscient !

Mais puisque, ce soir, j’ai la chance de m’adresser à l’élite intellectuelle de ce pays, je lance un appel : ne nous acharnons pas sur Onfray ! Croyez-moi, il a suffisamment de problèmes d’ego tout seul.

Revenons-en à nos Intermittents. En juin 2007[1. En fait, c’était en 2008, paraît-il ; mais on ne va pas pinailler à une année près.], avec plusieurs mois d’avance, nous avions annoncé l’éclatement de la bulle spéculative et tous les problèmes d’ennui qu’elle risquait de provoquer, y compris au niveau de l’économie.

Nous l’annoncions dans l’intitulé même de nos Ves Rencontres, que vous avez tous encore à l’esprit : « On va dans le mur, tu viens ? » Un avertissement suivi d’une invitation : on n’est pas plus explicite !

Oui, nous avions tout prévu, comme toujours sans me vanter. Mais en l’occurrence, nous n’avions guère de mérite : le choc était inévitable, entre la locomotive folle du capitalisme financier et l’iceberg de la réalité. Inévitable et salutaire, ajoutions-nous : puisqu’on n’a pas le choix, puisqu’apparemment il faut en passer par là, allons donc dans le mur tous ensemble, et dans la bonne humeur ! Et de fait, on est passé par là, et je vous pose la question : On est pas bien, comme ça ?

Naturellement, vous trouverez toujours des déclinistes et des pessimologues pour vous raconter que tout fout le camp – ou que, comme disait le poète, « ça s’en va et ça ne revient pas ». Ce qui m’étonne le plus, c’est que ces Cassandre-là s’emploient à nous décourager définitivement de l’avenir, sans jamais avoir l’air de réactionnaires.

Moi, c’est l’inverse ! Même quand je suis optimiste, j’ai du mal à passer pour un progressiste. C’en est même vexant, à la longue : pourquoi est-ce que je ne serais pas, moi aussi, un « homme de progrès », comme ils disent ? Sous prétexte que je n’y crois pas ? Mais c’est de la discrimination !

En attendant, ces gens-là, qu’on appellera faute de mieux les déclinistes de progrès, nous menacent en permanence de la « fin des temps », tel Philippulus le prophète dans Tintin et la Coke mystérieuse.

Ils n’ont à la bouche que volcan islandais, marée noire louisianaise, tremblement de terre haïtien et naufrage des Bleus. Pourtant, au-delà de ces cataclysmes naturels, il est aussi des catastrophes dont le seul responsable est l’homme – au sens des gender studies, naturellement.

Ma première pensée va bien sûr aux curés pédophiles ; mais n’oublions pas pour autant le réchauffement des OGM, le martyre de Stéphane Guillon et la surimposition de Liliane, sans parler de nos retraites.

Mais quelle retraite ? Jamais nous ne renoncerons, même à 62 ans ! Et pas question de négocier : la maison n’accepte pas l’échec !

N’écoutez pas ces prophètes de malheur qui vous parlent avec complaisance de leur « mélancolie française ». On m’aura compris : je parle moins du livre de Jérémie que de celui de Zemmour.

Bien sûr, Éric est un ami et il a droit à tout mon respect – surtout s’il finit en taule ! Mais à quoi bon pleurer sur le lait renversé ? Autant s’habituer tout de suite à prendre nos céréales du matin dans un bol de larmes.

Et puis, vous savez quoi ? S’il n’y avait pas tout ça, on s’emmerderait. Déjà que là, c’est limite, comme si on vivait dans une sorte de Lons-le-Saunier temporel. À deux ou trois générations près, nous aurions pu connaître au moins une guerre mondiale, ou ne serait-ce que la grippe espagnole… On dit que les hommes exceptionnels se révèlent dans des circonstances exceptionnelles. Et nous, alors ?

Nous sommes les orphelins de l’Histoire ! Un peu comme si elle avait craint d’affronter notre génération lucide et organisée.

Pourtant, il serait temps qu’ils se lèvent enfin, les orages désirés – avant qu’on aille se coucher… Mais que dis-je ? Pas question d’aller se coucher ! Comme l’écrivait notre amie Anne Vergne, « on dormira quand on sera morts[2. Titre d’un livre de notre sœur Anne, apparue dans la bande à Jalons en 1992 et disparue en 2001.]  ! »

Et puis, de toute façon, quelle drôle d’idée d’aller se coucher ! On est pas bien, comme ça ?[/access]

Quand la cégète exige la bronzette

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Le bobo écolo qui revient d’un trekking, tout heureux d’avoir évité le Ladakh cette année, ne peut même plus bronzer tranquillement à Paris-Plage pour se remettre de sa peur rétrospective. La CGT-Pôle Emploi et la CGT-Chômeurs ont distribué, jeudi dernier, pendant plus de trois heures, des tracts dans ce haut lieu du festivisme terminal. « Paris Plage sur les quais de Seine, c’est plutôt bien, mais on aimerait que les chômeurs puissent partir eux aussi en vacances en bord de mer. Partir en vacances n’est pas un luxe, ni une faveur mais un droit issu de luttes » a déclaré notamment Jean-Louis Kieffer, secrétaire de la CGT-Chômeurs.

Ils ne doutent décidément de rien, ces bolchéviques, ces partageux, ces mauvais Français. Alors que les ministres, eux, font tous des efforts pour éviter les villégiatures bling-bling, jusqu’à François Baroin qui n’a peur de rien et certainement pas de l’ennui en allant pêcher dans la Creuse, voilà que des chômedus déjà gorgés d’allocs veulent en plus aller barboter sur nos plages et nous gâcher la vue. Sur le tract, parmi de nombreuses revendications délirantes, la CGT réclamait en plus l’octroi de chèques vacances pour les chômeurs et précaires, l’accès aux colonies de vacances pour leurs enfants et le développement d’une politique gouvernementale de tourisme social pour permettre aux familles défavorisées de partir.

Ces malandrins sans vergogne feraient d’ailleurs bien mieux de s’informer avant de geindre. Ils sauraient ainsi que le gouvernement fait déjà beaucoup pour le «tourisme social», comme ils disent. Par exemple en direction du Mali. Ou de la Roumanie.

Algérie, l’Histoire à dire

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Algérie

Algérie

« La diffusion de ce film n’a pas été autorisée en Algérie », peut-on lire au dos du DVD. Le ton est donné. Pendant deux heures et quarante minutes, ces Histoires à ne pas dire sont racontées par des personnages tragiques – la grandeur et le malheur, l’exaltation et la dépression se côtoient. Shakespeare nous a enseigné que la tragédie est la condition de l’homme. Jean-Pierre Lledo nous rappelle que notre histoire d’Algérie en fut une, de tragédie.

Les personnages principaux sont Aziz, viticulteur aux cheveux blancs, Katiba, pétillante sexagénaire animatrice de radio, Kheir-Eddine, jeune et beau metteur en scène, engagés dans la recherche de la vérité sur les violences (des rebelles) qui ont accompagné l’indépendance du pays en 1962.[access capability= »lire_inedits »]

Côté français, la vérité a fait son chemin : depuis La Question, d’Henri Alleg, suivie plus tard de nombreux témoignages et travaux, on sait à quoi s’en tenir sur la folie meurtrière des Aussaresses et consorts. Côté algérien, le tabou demeure. Comme si les victimes étaient lavées de tout soupçon du mal.

Dure besogne que cette quête de la vérité. On ne touche pas aux mythes fondateurs d’un pays, malgré et peut-être à cause de son état misérable, malgré la décennie noire des années 1990, quand les militaires ont mené une guerre parfois sale contre les fous de sang responsables de la mort d’au moins 60 000 personnes, leurs « frères » pourtant, selon leur propre critère. Tous musulmans. Tous frères, depuis que l’étranger, le colon, « l’autre » a été chassé.

« Moi aussi, j’aurais posé des bombes »

Aziz est un homme libre. Aujourd’hui, il vit loin de sa région natale, l’ancienne Philippeville, mais continue de chercher la vérité sur le passé. Il parle avec émotion d’un certain Roger Balestrieri, personnage absent, mais pas secondaire : « Nous avions protégé des colons, nos voisins ; pourquoi Aussaresses a-t-il massacré ma famille ? » Aziz pleure. Roger l’a sauvé. Aziz cherche la tombe de son oncle Lyazid, celui qui a refusé d’exécuter l’ordre de tuer les Gouri (les « non-musulmans »). Lyazid l’a payé de sa vie. Pour toute tombe, Aziz trouve quelques cailloux. Alors, il hurle sa colère : « Qu’ils la gardent, leur Algérie, leur Indépendance, leur machin, leur 5-Juillet, leur 19-Mars, les vrais héros, ils sont là ! » Il respecte et honore l’indépendance de son pays, mais pas la « leur ». Guerre des mots. Aziz parle un beau français. Katiba aussi. Elle revendique sa double culture : la casbah arabe et la Bab El-Oued occidentale, où elle revient, sur les lieux de son enfance. Elle ne reconnaît rien et personne ne la reconnaît. C’est ça, l’exil : se sentir étranger dans ce qui fut nôtre. Un jeune, désœuvré et amer, la prend pour une Française. « Délit d’identité à l’envers », dit-elle. Guerre d’identité. Le jeune lui reproche de parler du passé et de ne pas partager leur présent miséreux.

« Moi aussi, j’aurais posé des bombes n’importe où ! », affirme Katiba, au côté de sa copine Louisa, héroïne de la résistance algérienne, arrêtée et emprisonnée, qui justifie les bombes contre les civils, le terrorisme aveugle. « Pas le choix. » Deux vieilles dames charmantes défendant le crime face à la caméra. Sans commentaire. « Il fallait attaquer les civils, comme toute présence étrangère venue coloniser un pays qui ne leur appartenait pas », ajoute Louisa. Mais tous ces juifs, ces Espagnols, ces Français, là depuis toujours… L’Algérie n’était-elle pas leur terre ?

Un pays livré à une identité unique

Tout a commencé le 20 août 1955 : les émeutes, suivies de la répression sanglante des Français. À travers un pauvre village, on suit un homme endimanché. « Les musulmans n’avaient pas de maisons en dur, seuls les Gouri en avaient… Ici, on a égorgé et tué à la hache. » Il raconte avec précision comment il a assassiné la femme d’un contremaître, laissant glisser son doigt sur son cou comme une lame. Égorgée.

Ce mot me fait trembler. C’était celui que j’entendais, enfant, terrorisée, à Tunis, quand les adultes parlaient des « événements » et des fellaghas algériens. Ils égorgent ! Ce mot que j’ai à nouveau entendu hurler pendant la guerre des Six-Jours, en 1967, par Choukeiri et chanter par la grande Oum Kalsoum : « Égorge ! »

Cette barbarie sacrificielle donne la nausée. Au diable la justification du terrorisme au nom de la liberté et de l’indépendance ! Au diable les reproches faits à ce film sur son silence quant aux origines des attentats, qui auraient été quasiment imposés par la situation de colonisés ! Au diable les raisonnements intellectuels sur la juste lutte de tel ou tel peuple ! Au diable la comptabilité morbide entre les crimes commis par l’armée française, l’OAS et tous les salopards de l’époque et ceux perpétrés par les rebelles algériens !

Le sacrifice d’Abraham n’a pas eu lieu. Depuis, il est interdit de sacrifier un être humain, si l’on veut être un humain. Tu n’égorgeras pas ton prochain !

J’entends alors l’homme endimanché raconter qu’après avoir égorgé la femme, alors qu’elle agonisait, il a mangé les sardines qu’elle avait cuisinées.

Camus écrivait : « Il faut négocier une paix qui ne peut pas être celle du FLN, laquelle, risquerait de n’être que celle de l’islam. De toute façon, on n’a pas le droit de livrer l’Algérie tout entière au seul caprice d’un parti unique. » C’est fait. Pire même. Aujourd’hui, c’est à une identité unique que le pays est livré, et il en crève.[/access]

Nous sommes tous des Méditerranéens

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L’affaire de la fausse alerte à la bombe (à eau miraculeuse ?) de Lourdes lève le voile sur la pratique parfaitement maîtrisée de la novlangue par le trop méconnu préfet des Hautes-Pyrénées. Celui-ci, un dénommé Bidal, s’est fendu d’une déclaration édifiante sur l’origine potentielle du poseur de lapin – à défaut de bombe. Il a précisé, selon les meilleurs journaux, que l’appel anonyme prévenant de la présence d’un engin explosif avait été passé par « un homme au fort accent méditerranéen […] » !

C’est une découverte pour les férus de géographie et de phonétique ne soupçonnant pas l’existence d’un accent méditerranéen unifié qui rassemble sous sa bannière consensuelle l’assent de Marseille, les roucoulements de Palerme ou les lamentations orientales.

C’est un casse-tête pour les policiers chargés de l’enquête : de quel côté de l’accent de la Méditerranée vont-ils orienter leurs recherches ?

C’est une victoire pour les chantres de l’indifférenciation dogmatique : les mots clivant s’évanouissent pour ne fâcher personne.

Mais c’est aussi une épreuve pour les tagueurs de mosquée : « sale Méditerranéen », c’est tout de suite moins efficace.