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Abus de contre-pouvoir

Attaché à une conception libérale des institutions, le philosophe Pierre-Henri Tavoillot critique la sévérité de la peine prononcée contre Marine Le Pen et met en garde : face à l’effacement de la politique, la France risque de basculer d’une démocratie à une « nomocratie », le pouvoir des normes


Dans notre numéro du mois, disponible en kiosques, ne manquez pas notre dossier spécial de 25 pages : Le Pen, Sarkozy, Zemmour : l’extrême droit ne passera pas ! •

Causeur. Nous avons appris en cours de droit constitutionnel que la démocratie reposait sur un subtil équilibre des pouvoirs. Cette harmonie a-t-elle été rompue avec la condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité immédiatement exécutoire ?

Pierre-Henri Tavoillot. Une démocratie libérale fonctionne correctement quand elle arrive à maintenir l’équilibre entre trois logiques : celle du peuple, celle du pouvoir et celle du droit. Ce qui requiert de concilier d’une part la prise en compte de la volonté populaire (sans toutefois succomber au populisme, raison pour laquelle nous avons un système représentatif), d’autre part l’obéissance aux pouvoirs publics (mais sans aller jusqu’aux excès de l’autoritarisme, d’où notre indispensable séparation des pouvoirs), et enfin le respect des lois, mais en prenant soin de ne pas laisser celles-ci prendre le pas sur la décision politique. À ce sujet, je vous ferai remarquer que, récemment, le Conseil constitutionnel a justement eu des égards bienvenus pour le peuple, en indiquant que, dans les affaires judiciaires où des peines provisoires d’inéligibilité peuvent être prononcées, les juges doivent veiller à la « liberté du vote » et proportionner leurs décisions en conséquence.

Cela n’a pas empêché le tribunal judiciaire de Paris de prétendre interdire à Marine Le Pen de se présenter en 2027…

En toute rigueur, il n’a pas violé le droit. Mais les magistrats auraient dû avoir la main qui tremble et se dire : « Nous avons très envie de prendre cette décision sévère, mais nous n’allons pas le faire car cela constituerait un abus de contre-pouvoir. »

Cette hardiesse du jugement est-elle inquiétante pour notre justice en général ?

Je crois que la France a atteint aujourd’hui une situation de déséquilibre, avec d’un côté un État qui souffre d’une forme d’impuissance et de l’autre, un droit hypertrophié, de plus en plus bavard, complexe, et débordant de partout. Il est normal que nos lois limitent la liberté du vote. Ne serait-ce qu’en la conditionnant à des critères objectifs comme l’âge et la nationalité. Mais il est plus délicat de prétendre instaurer un cadre, beaucoup plus flou, reposant sur l’honorabilité. Si, par exemple, vous n’avez plus de points sur votre permis de conduire, est-ce suffisant pour vous interdire de briguer les suffrages ? À partir de quelle infraction, de quel crime, méritez-vous un bannissement électoral ? Aux États-Unis, même Donald Trump, qui a contesté massivement les règles démocratiques, a pu être réélu. En France, le système est plus fermé. Depuis dix ans, le nombre de peines d’inéligibilité, dont certaines sont certes très fondées, a augmenté de manière considérable. On est passé de 171 condamnations en 2016 à 9 125 en 2022. Cela commence à devenir démesuré. D’autant qu’on ne se prive pas de dénoncer les disqualifications de candidats quand elles ont lieu en Iran ou en Russie. Le risque existe désormais, que l’on bascule d’une démocratie à une « nomocratie », le pouvoir des normes.

Les lois de moralisation de la vie politique, notamment celles dites « Sapin 2 » et « Bayrou », qui certes n’ont pas été formellement invoquées dans la décision contre Marine Le Pen, mais dont l’esprit plane dans cette affaire, sont-elles « nomocratiques » ?

Assurément. En effet, elles exigent des élus qu’ils adoptent, en matière financière, un comportement impossible à tenir. Quand on fait de la politique, il ne suffit pas de vivre pour la politique, il faut aussi vivre de la politique. Si vous appartenez à une formation bien établie, rien de plus facile.Mais si vous participez à un mouvement en ascension, vous n’avez pas les moyens, et donc vous trouvez des astuces. Ce n’est pas un hasard si LFI, le Modem et le RN, trois partis émergents, ont été pris dans des affaires de financement d’assistants parlementaires.

L’électeur ne devrait-il pas choisir le degré d’immoralité qu’il accepte chez son élu ?

Je suis assez d’accord. Après tout, on peut considérer que les citoyens ont les données du problème en main, et que la décision doit leur revenir. Surtout qu’aujourd’hui la situation patrimoniale des candidats est rendue publique au début puis à la fin des mandats, ce qui donne une information précieuse.

Une information précieuse ? C’est surtout un moyen particulièrement démagogique de nourrir le voyeurisme et les passions tristes !

Une frontière nette doit être maintenue entre la nécessaire publicité et les excès de la « transparence », car si la première est démocratique, la seconde est totalitaire. Pour autant, il ne me semble pas illégitime de vérifier s’il y a enrichissement durant un mandat et d’empêcher, par là même, les élus qui s’adonnent à un clientélisme éhonté de continuer de salir leur mandat.

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Vous voulez éliminer le clientélisme de la vie politique ? Bon courage !

On peut le maintenir dans des limites raisonnables sans espérer l’abolir. Au demeurant – cruelle leçon –, on note dans l’histoire des démocraties que l’abstention s’accroît quand la lutte contre le clientélisme devient efficace.

Nicolas Sarkozy au tribunal de Paris, le 6 janvier 2025, lors de son procès concernant des soupçons de financement illégal de sa campagne présidentielle de 2007 © AP Photo/Thibault Camus/SIPA

Déshonore-t-on un mandat national quand on le cumule avec un mandat local ?

En 2014, lorsque le Parlement a voté l’interdiction du cumul des mandats, il y a eu sur ce sujet une sorte d’unanimité stupéfiante. Aujourd’hui, beaucoup se mordent les doigts d’avoir approuvé ce texte qui a abouti à ce que bon nombre de députés, dénués de toute expérience de mandat local, se trouvent d’autant plus déconnectés des réalités. Si on veut éviter les phénomènes de baronnies, il vaut mieux jouer sur la durée des mandats.

Vous avez parlé de « salissure ». Ironie de l’histoire, le RN – qui il est vrai n’occupait aucun poste de pouvoir –, s’est longtemps proclamé « tête haute et mains propres ». Est-on allé trop loin dans l’exigence de propreté ?

Il y a derrière cette aspiration un fantasme de pureté dangereux, même s’il est vieux comme la démocratie. Le mot « candidat » vient du latin « candidus », qui signifie « blanc ». Dans l’Antiquité, les consuls romains qui se présentaient devant les urnes devaient porter une toge blanche pour montrer qu’ils étaient plus blancs que blancs. Seulement, des candidats qui n’ont aucun conflit d’intérêts, ça produit des élus qui n’ont aucun intérêt. Cela donne des maires qui ne font rien, car ils ont peur de se faire engueuler. Pendant l’épidémie de Covid, on en a vu toutefois certains sortir des clous, prendre des risques dans l’intérêt général. Il paraît même que des préfets ont outrepassé leur rôle. En mordant la ligne du droit, ils ont été bons.

On ne demande pas seulement aux élus d’être propres, mais d’être exemplaires…

Cela n’a pas plus de sens. Les élus sont censés nous représenter, pas nous inspirer. Qui aurait envie de leur ressembler ? Qui souhaiterait mener leur vie si cruelle, si fatigante, et surtout si exposée ? Et d’ailleurs, sommes-nous nous-mêmes si exemplaires des vertus que nous exigeons des élus ?

Il faut croire que le pouvoir conserve des attraits. Mais le régime représentatif doit-il sélectionner les meilleurs ou des gens comme vous, moi ou Monsieur Delogu ?

L’élection est par définition aristocratique : tant qu’à choisir, autant choisir le meilleur ! Et une fois élu, l’élu devient l’élite. Mais selon des critères qui restent très relatifs et propres à chacun. Ce qui a permis à l’élection de devenir une pratique démocratique, dans le contexte des régimes représentatifs, c’est non seulement le droit de vote pour tous, mais aussi le droit pour tous d’être candidat.

En tout cas, les pouvoirs relevant de l’élection perdent du terrain face aux juges et autres autorités administratives indépendantes. Comment y remédier ?

La fonction du droit doit être repensée et articulée avec l’idée de souveraineté populaire. Depuis Jean Bodin au xvie siècle, le souverain se définit comme celui qui est absous des lois. Mais cela ne veut pas dire pour autant que le souverain est au-dessus de toutes les lois. Même dans la monarchie absolue, le roi a tous les droits, sauf celui de cesser d’être le roi. En démocratie, c’est la même chose : le peuple a l’obligation de rester un peuple. Il faut refaire honneur à ce principe.

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? Comment un peuple reste-t-il un peuple ?

En n’abolissant pas la démocratie et en n’opprimant pas ses minorités.

Autrement dit, en respectant l’État de droit ?

Il faut faire attention avec cette notion. Dans une acception large de l’État de droit, telle que le grand juriste Hans Kelsen l’a théorisée il y a un siècle, tout État est un État de droit.

Mais dans une démocratie libérale, cela va un peu plus loin : l’État de droit s’oppose à l’arbitraire puisque les gouvernants sont soumis à la loi.

Oui, il repose sur quatre principes. Le premier, c’est que le pouvoir organise sa propre limitation, c’est-à-dire qu’il se donne des entraves, des contre-pouvoirs. C’est en cela que l’État de droit s’oppose à la tyrannie, au gouvernement sans loi et au despotisme, qui est l’administration d’un État conçu comme une propriété privée. Ensuite, il y a la hiérarchie des normes, en vertu de laquelle les règlements respectent les lois, qui respectent la Constitution. Troisièmement, la source de toute loi est la souveraineté populaire, qui s’exerce directement par le référendum ou indirectement par le truchement des représentants. Et le quatrième point, c’est que le législateur accepte d’être soumis à un contrôle juridictionnel a posteriori. De sorte qu’il y a une distinction entre ceux qui font la loi, ceux qui l’appliquent et ceux qui en contrôlent l’application.

Ça, c’est la théorie. Dans la réalité, l’État de droit ressemble souvent à ce que certains appellent le Système – pas un complot ourdi dans un coin mais des intérêts coalisés qui tirent tous dans le même sens idéologique et aboutissent à écarter une partie du peuple du pouvoir. Pour son bien évidemment. Autrement dit, peut-on dire trivialement que l’État de droit, aujourd’hui, c’est le camp du bien qui donne des leçons de maintien progressiste aux ploucs ?

Cela dépend des cas. Regardez, aux États-Unis, la Cour suprême a pris une position conservatrice sur l’interruption volontaire de grossesse. Il n’est pas certain que cette décision de l’État de droit ait déplu aux ploucs, comme vous dites.

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En France, vous ne pouvez pas nier sa dérive idéologique.

Je fais la différence entre l’État de droit idéologique qu’il faut combattre, et l’État de droit fonctionnel qu’il faut préserver. Je vous rappelle la louable décision du Conseil constitutionnel sur la « liberté du vote ». Reste qu’il arrive aux « sages » de la Rue Montpensier d’inventer des principes qui correspondent à leur philosophie personnelle. C’est typiquement ce qui s’est passé en 2018 avec l’arrêt Herrou, qui a reconnu, pour la première fois, une valeur constitutionnelle au mot « fraternité » inscrit dans la devise républicaine. En érigeant une notion aussi flottante en norme juridique, on donne des arguments à tous les contempteurs de l’État de droit. Et à ceux qui veulent que la France quitte la Cour européenne des droits de l’homme.

Reconnaissez que c’est tentant…

C’est un processus très compliqué parce qu’on y est entré par les deux bords, à la fois comme État et puis par l’Union européenne.

Oui, mais doit-on laisser cette instance, qui se moque de l’équilibre entre peuple et droit que vous avez défini, avoir le dernier mot ?

Face aux prétentions abusives de la CEDH, le Conseil constitutionnel a tout à fait la possibilité d’invoquer l’identité constitutionnelle de la France.

Pourquoi ne le fait-il pas ?

Parce que nos élites sont travaillées par un syndrome d’illégitimité. En conséquence, les gouvernants sont souvent tentés de se défausser sur les autorités juridictionnelles, lesquelles sont tentées de se défausser à leur tour sur des organes supranationaux.

Tout cela ressemble à une autoroute dont on ne peut pas sortir. Comment peut-on remettre un peu plus de demos et de kratos pour contrebalancer le nomos ? Le Conseil d’État ne cesse de dénoncer depuis vingt ans le fait qu’il y ait trop de lois, trop de jurisprudences. L’injonction doit venir des politiques, il faut dégraisser tout cela ! Reconfigurer le Code pénal, par exemple. L’épurer. Aujourd’hui, le droit est le principal facteur d’insécurité, d’inégalité entre ceux qui peuvent se payer de bons avocats et ceux qui ne peuvent pas. Même les meilleurs fiscalistes sont incapables de vous garantir que votre déclaration d’impôt est irréprochable, et Bercy ne donne pas d’avis préalable. C’est complètement déraisonnable ! Il y a une sorte de suicide de la logique juridique. Cela ne peut pas tenir très longtemps. D’autant qu’il y a, en toile de fond, une confrontation internationale entre les différents pays, avec une prime à ceux qui ont le système juridique le plus lisible et le plus prévisible. Or dans cette guerre des droits, la France passe pour un pays moyenâgeux

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Mort à débit

Euthanasie. La société française estime désormais le suicide assisté comme un dû. L’Assemblée nationale a adopté hier la proposition de loi instaurant un droit à l’aide à mourir, avec 305 voix pour et 199 contre, malgré des débats intenses et des divisions politiques marquées. Le texte, présenté comme encadrant strictement ce nouveau droit pour les patients majeurs atteints de maladies incurables en phase avancée, doit désormais être examiné par le Sénat à l’automne 2025 avant une éventuelle adoption définitive. Sous couvert d’humanisme, une dérive inquiétante, selon notre chroniqueur.


Les vieux ? À dégager ! Pas assez performants. Trop coûteux pour la société. Mais c’est pourtant au nom de l’humanisme que les députés ont voté hier (305 voix pour, 199 contre) le « droit à l’aide à mourir », euphémisme pour ne pas désigner l’euthanasie et le suicide assisté. Même le délit d’entrave à ce processus de mise à mort médicale sera sanctionné (jusqu’à deux ans de prison, 30000 euros d’amende).

Bascule historique

Olivier Falorni (MoDem) s’est immédiatement félicité sur X d’avoir emporté cette première manche : « L’Assemblée nationale a adopté ! Un moment historique pour une très grande avancée républicaine car elle porte en son cœur la liberté, l’égalité et la fraternité. Il est des jours dont on sait qu’on ne les oubliera jamais. » En 1882, Friedrich Nietzsche écrivait : « Encore un siècle de journalisme et les mots pueront ». Nous y sommes. Les mots, vidés de leur sens, ne sont plus que des slogans, y compris pour les professionnels de la politique. Car la liberté, l’égalité et la fraternité avancés par M. Falorni sont en contradiction avec ce texte, défendu par une élite qui a perdu de vue la fragilité des gens modestes et qui s’enorgueillit de pouvoir se libérer de l’interdit suranné du Décalogue : « Tu ne tueras point ». Comme le remarque Alain Minc dans le Figaro Magazine, pour le déplorer : « La franc-maçonnerie est un acteur assumé de ce combat, à la manœuvre de façon explicite ».

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Durant la crise sanitaire du Covid, les pensionnaires des Ehpad avaient déjà été sacrifiés dans leur isolement forcé, abrégé parfois par injection de Rivotril. C’est cette même brutalité régressive qui pourrait s’installer si ce texte « progressiste », qui sera débattu au Sénat en septembre sans doute, devait être inchangé. Seul le vote unanime sur le volet des soins palliatifs est satisfaisant en l’état.

Autosatisfaction morale

Le fait que les mutuelles soient parmi les plus ardentes pour défendre l’euthanasie et le suicide assisté devrait mettre la puce à l’oreille de ceux qui se contentent des autosatisfactions morales de la macronie et du reste de la gauche. Celles-ci ne s’expriment plus qu’à travers des sujets sociétaux (PMA pour toutes, IVG constitutionnalisée …), faute d’émettre en urgence des idées neuves sur la révolution conservatrice qui déboule. Une étude récente de la Fondapol montrait que les plus de 85 ans coûtaient en moyenne 8000 euros par an, contre 1700 euros pour les moins de 59 ans. Un spécialiste de ces questions me disait récemment que les six derniers mois d’une vie pouvaient coûter autant, en prise en charge médicale, qu’une vie entière. Le manque de lits dans les hôpitaux est une autre donnée structurelle qui n’apparait évidemment pas dans les motivations de la loi mais qui est présente dans les esprits de bien des gestionnaires hospitaliers. Parallèlement, vingt et un départements sont dépourvus de soins palliatifs. 500 personnes meurent chaque jour sans avoir pu en bénéficier. Bref, cette loi « de liberté » contient, dans son esprit fonctionnel, toutes les dérives pouvant aboutir à l’élimination des improductifs car trop âgés, trop handicapés, trop fragiles mentalement. Une horreur.

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Un roi chez les grizzlys

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Face aux attaques de Donald Trump, le Premier ministre Mark Carney a fait appel au monarque britannique pour prendre la défense de ce pays membre du Commonwealth.


Le roi Charles vient de terminer une visite d’État de deux jours au Canada en compagnie de sa reine, Camilla. Sur le papier, il est le roi du Canada, mais depuis une loi de 1982, le pays est complètement autonome sur le plan constitutionnel, ne laissant à la monarchie britannique qu’un rôle encore plus symbolique que celui qu’elle joue outre-Manche.

Invité par Mark Carney

Bien que les sondages d’opinion indiquent qu’une majorité de Canadiens préféraient vivre sous un régime strictement républicain, le couple royal a été salué partout par des foules enthousiastes. Après tout, dans un monde sans magie autre que technologique, le faste des rituels monarchiques et religieux (comme la messe d’inauguration de Léon XIV) plaît au plus grand nombre. Pourtant, la présence de Charles au Canada répondait à une demande du nouveau Premier ministre, Mark Carney, et constituait un geste diplomatique soigneusement calculé.

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Car le roi a fait le discours d’inauguration d’une nouvelle session du parlement à Ottawa. C’était seulement la troisième fois de l’histoire que le monarque était venu le faire en personne. La dernière fois, c’était en 1977, quand sa mère, la reine Elizabeth, était venue pour la deuxième fois, ayant fait le discours d’ouverture pour la première fois en 1957. En temps normal, c’est le gouverneur général qui remplace le monarque dans ce rôle. Actuellement, le gouverneur général est une femme d’origine autochtone, Mary Simon, nommée par le précédent Premier ministre, le très progressiste Justin Trudeau, en 2021. Mais l’heure n’était plus aux gestes envers l’idéologie « Diversité, Équité et Inclusion ». M. Carney, qui connaît bien l’establishment britannique, ayant été gouverneur de la Banque d’Angleterre de 2013 à 2020, a fait appel au roi Charles pour cimenter l’unité de son pays face aux déclarations du président Trump qui aimerait faire du Canada le 51e état des États-Unis. Quand Carney a succédé en mars à Trudeau à la tête du pays ainsi que du Parti libéral, sa formation politique était en grande difficulté suite aux nombreux échecs du dirigeant le plus wokiste de la planète. Ce qui a sauvé le Parti lors des élections générales fin avril, en confirmant Carney à son poste, c’est la montée parmi les électeurs du sentiment anti-trumpiste. Pourtant, Carney ne jouit pas d’une grande majorité au Parlement, d’où la nécessité de renforcer sa popularité en s’associant au roi pour mettre en avant la singularité de la souveraineté canadienne qui, à la différence des États-Unis, n’a rien d’une république. Une identité proprement canadienne s’est forgée pour la première fois de l’histoire lors de la Guerre anglo-américaine de 1812 à 1815 qui a vu les troupes américaines brûler Toronto et les troupes britanniques/canadiennes brûler Washington.

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Charlie l’équilibriste

Au cours de son discours, le roi n’a pas nommé Donald Trump, mais son évocation d’« un Canada fort et libre » a constitué une référence très claire à la situation. Sans surprise, les parlementaires se sont levés pour l’ovationner. Cette opération réussie confirme que la monarchie sous Charles reste l’arme lourde de la diplomatie britannique. Pourtant, Charles est en train de faire un numéro d’équilibriste, car son pays a besoin aussi d’être dans les bonnes grâces de Donald Trump. Le gouvernement britannique a promis à cet admirateur de la famille royale une visite d’État afin d’imprimer un nouvel élan aux relations anglo-américaines à un moment où les liens entre les États-Unis et les pays de l’Europe occidentale sont tendus. Le président américain a déjà montré sa jalousie quand le roi a reçu le président Zelensky début mars. Pour le rassurer, la diplomatie a dû lui expliquer que le passage du dirigeant ukrainien ne représentait nullement une visite d’État. Les efforts du Premier ministre, Keir Starmer, pour se distinguer des autres Européens et éviter de subir de plein fouet l’agressivité commerciale de Trump commencent à porter quelques fruits modestes. Après l’accord de libre-échange, certes modeste, entre Londres et Washington annoncé le 8 mai, Toyota vient de signaler son intention d’investir dans la construction d’un nouveau site outre-Manche pour la fabrication de son modèle GR Corolla. Ces voitures seront destinées en partie au marché américain.

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Harry, un ami qui vous veut du mal

Au moment même où Charles travaillait au service de son pays, son fils prétendument rebelle, mais surtout capricieux, Harry, se trouvait en Chine. Il a fait un discours à Shanghai en tant que co-fondateur d’une entreprise, Travalyst, spécialisée dans les voyages respectueux de l’environnement. Les mauvaises langues dans la presse britannique ont demandé s’il y était allé en première classe ou carrément en jet privé… Cette coïncidence n’en est pas une. Harry essaie désespérément de rivaliser avec son père en attirant les feux de la rampe sur lui-même, peut-être à l’instigation de sa femme, Meghan. Depuis la rupture avec sa famille, le prince a connu une série de déboires, dont les plus récents, en mars, concernent une association caritative, Sentebale, qu’il a co-fondée en 2006 en mémoire de sa mère, la princesse Diana. L’objectif de l’association est d’aider les enfants pauvres et les orphelins – notamment ceux qui ont perdu leurs parents à cause du SIDA – du Lesotho, royaume enclavé complètement entouré par le territoire de l’Afrique du Sud. Or, Harry et ses coadministrateurs sont accusés de mauvaise gestion et même de racisme sexiste – « misogynoir » – par la présidente de l’association. Harry et ses collègues ont démissionné. Au mois de février, réagissant au fait que la procédure d’obtention du visa américain de Harry présentait des irrégularités, le président Trump – bon prince ? – a refusé de l’expulser, car selon lui Harry aurait « déjà assez de problèmes avec son épouse. Elle est affreuse » (« She’s terrible »). Ce faisant, Trump a compris qu’il pouvait plaire au public britannique et même à la famille royale qui n’ont aucune envie de voir Harry revenir dans son pays natal. C’est ainsi que les voies de la diplomatie britannique restent quelque peu à part dans le monde contemporain.

On en a marre des Suédois!

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Le procès d’Osama Krayem s’ouvrira le 4 juin à Stockholm. Originaire de Malmö, dans le sud de la Suède, il avait rejoint les rangs de l’État islamique, en Syrie, en 2014, avant de revenir en Europe. Déjà condamné pour son implication dans les attentats de Paris en 2015 et de Bruxelles en 2016, il a été remis à la Suède par la France le 12 mars. Hier, la Suède l’a officiellement inculpé pour son rôle dans l’exécution macabre du pilote jordanien Muath al-Kasasbeh, brûlé vif dans une cage. Une fois le procès terminé, il retournera en France pour y purger sa peine.


En 2005, la Suède met en avant, avec la candeur qui caractérise les sociétés confiantes en leur propre vertu, un documentaire intitulé Utan gränser – en film om idrott och integration (« Sans frontières – un film sur le sport et l’intégration »). Le film entend montrer comment, à travers le sport, des enfants issus de l’immigration peuvent s’insérer harmonieusement dans la société suédoise. Il célèbre la paix sociale par l’inclusion, l’idéal suédois d’un multiculturalisme paisible, désidéologisé, presque technique. À l’écran : deux jeunes garçons de Rosengård (« jardins de Roses »), quartier populaire « multiculturel » de Malmö, jouent au football, rient, s’expriment en suédois impeccable. Parmi eux, Osama Krayem, onze ans à l’époque, né en 1992 en Suède dans une famille de réfugiés palestiniens venus de Syrie. Pour les réalisateurs comme pour les autorités, il est un symbole prometteur : intégré, enraciné, à l’image d’une Suède généreuse et inclusive, unie autour du ballon rond.

Propagandiste

Neuf ans plus tard, Osama Krayem quitte la Suède, en 2014, alors âgé de 22 ans, pour rejoindre les rangs de l’organisation État islamique (EI) en Syrie. Il est l’un des premiers djihadistes suédois à faire ce choix, influencé notamment par les prêches d’Anwar al-Awlaki, figure centrale de la propagande islamiste. En janvier 2015, une photo postée sur Facebook le montre armé d’un AK-47, en treillis, devant un drapeau noir de l’EI à Deir ez-Zor. En Syrie, Krayem aurait participé à la production de contenus de propagande et au recrutement de nouveaux combattants étrangers. Il est surtout soupçonné d’avoir pris part directement à l’une des exécutions les plus macabres de l’EI : celle du pilote jordanien Muath al-Kasasbeh, brûlé vif dans une cage, filmé dans un dispositif monstrueux, diffusé comme une opération de communication.

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Arrêté à Bruxelles en avril 2016, Krayem est inculpé pour son rôle présumé dans les attentats de Paris (novembre 2015) et de Bruxelles (mars 2016), où il aurait été impliqué dans la logistique des attaques. En 2022, il est condamné à trente ans de réclusion criminelle en France. Aujourd’hui (mardi), un Parquet suédois a déposé un acte d’accusation contre Krayem. Le même homme que la Suède présentait naguère comme modèle d’intégration s’est retrouvé au cœur de la matrice de la terreur islamiste mondiale.

Cocktail explosif

Ce retournement spectaculaire ne peut être compris sans un regard plus large sur les dynamiques migratoires et sociales à l’œuvre en Suède. Le pays a accueilli, depuis les années 1990, un grand nombre de réfugiés palestiniens, notamment en provenance du Liban, d’Irak et, plus récemment, de Syrie. Ces communautés, bien que souvent installées dans des quartiers périphériques comme Rosengård, ont longtemps bénéficié de politiques sociales généreuses, d’un accès à l’éducation et d’un environnement politiquement favorable. Cependant, en trente ans, Malmö, troisième ville de Suède, a vu l’idéal progressiste suédois se transformer sous l’effet d’une immigration massive et mal encadrée, en particulier en provenance du Moyen-Orient. Jadis symbole de tolérance et de diversité, la ville est aujourd’hui marquée par une criminalité liée aux gangs, qui y prospèrent sur fond de trafics et de règlements de compte violents, dans un contexte de séparatisme et d’autoghettoïsation. Les autorités locales peinent à contenir une situation où les tensions communautaires, les discours islamistes et l’hostilité croissante envers l’État suédois forment un cocktail explosif. Malmö incarne désormais l’enfer d’un modèle d’intégration qui, à force de nier les différences culturelles, a laissé se développer une société dans la société.

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C’est dans cette faille que s’engouffrent les récits de rupture, ceux de la radicalisation. Le cas de Krayem n’est pas isolé : près de 300 personnes ont quitté la Suède pour rejoindre des groupes djihadistes en Syrie ou en Irak, selon les services de renseignement. Certains analystes estiment même que le nombre réel est plus élevé encore. Ces départs posent la question de ce qui pousse des jeunes, souvent nés en Suède, éduqués dans ses écoles et entraînés sur ses terrains de football, à tourner le dos à la société qui a accueilli leurs parents et les a formés, en espérant développer chez eux un sentiment d’appartenance à cette nouvelle patrie.

Le parcours d’Osama Krayem est d’autant plus troublant qu’il semble avoir coché toutes les cases d’une bonne intégration : maîtrise de la langue, scolarisation, sport, visibilité médiatique, reconnaissance… mais pour certains, rien ne semble jamais suffisant.

Des mensonges avec de bonnes intentions

Au cours de son histoire, l’État d’Israël a déjà été confronté à plusieurs reprises aux faiblesses de son soft power, nous rappelle notre chroniqueur.


Soft power et échecs d’Israël

Le décès de Joseph Nye (en haut à gauche sur notre illustration), il y a deux semaines, est passé inaperçu dans notre pays. Il était considéré aux États-Unis comme l’un des plus influents politistes de son temps. Il avait théorisé le concept de « soft power », suivant lequel dans le monde moderne la puissance militaire n’était pas tout, car la puissance américaine reposait aussi sur l’attraction qu’exerçaient dans le monde son cinéma, sa musique, ses universités, ses promesses informatiques et ses valeurs démocratiques. Son livre publié en 1990 (1) ouvrait une décennie d’illusions enchantées, celle de la libération des pays sous tutelle communiste, celle des espoirs de paix au Proche-Orient, celle de la fin de l’Histoire sous couvert de la toute puissance américaine et de son modèle apparemment irrésistible de démocratie libérale. Nous avons beaucoup déchanté…

Vivre ensemble… avec les Frères musulmans ?

C’est au Qatar qu’est aujourd’hui l’adresse du soft power islamiste, ce pays minuscule et richissime qui a su attirer chez lui une Coupe du monde aberrante sur le plan éthique et écologique, ce sponsor bienveillant et intéressé de clubs sportifs, de leaders d’opinion, d’agences d’information, d’universités occidentales prestigieuses ou de politiciens parmi lesquels se détache aujourd’hui un président des États-Unis en personne. Ce pays finance aussi d’innombrables petites mains venant porter sur les campus, les mosquées et les réseaux sociaux la parole des Frères musulmans, dont le Hamas est aujourd’hui un brillant représentant et dont l’imam Qaradawi, en résidence à Doha et récemment décédé, se distinguait par sa violence antisémite tout en étant largement présenté comme un apôtre du « Vivre ensemble ».

À l’époque des réseaux sociaux, de l’information instantanée et de la post-vérité, le soft power, c’est avant tout la maitrise du discours. La bataille que mène Israël contre le Hamas est très difficile. Nous espérons qu’il va la gagner et que ce faisant, il va sauver les otages. Mais la guerre des mots qui double cette guerre des armes, la guerre du soft power, Israël semble l’avoir perdue et rarement cette défaite a été aussi patente que ces dernières semaines.

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La défaite verbale la plus grave, concerne le mot génocide. Quand, en décembre 2023, l’Afrique du Sud lança à la Cour internationale de Justice (2) une requête prétendant qu’Israël commettait un génocide, cette accusation paraissait grotesque. On a d’ailleurs appris plus tard, par des travaux d’instituts de recherche, que l’Afrique du Sud alors en débâcle économique, avait reçu des aides financières avant le dépôt de sa plainte, qui aurait été coordonnée avec l’Iran et le Qatar. La caractéristique d’intentionnalité, indispensable à la notion juridique de génocide, ne reposait que sur deux ou trois déclarations de responsables israéliens, parmi lesquels le président Herzog, un modéré peu suspect de nourrir des intentions exterminatrices, des déclarations banales prononcées sous le coup de l’émotion suscitée par les atrocités du 7-Octobre.

Mais les juges de la CIJ, nommés en fonctions d’équilibres politiques internationaux identiques à ceux de l’ONU, ne voulaient pas paraitre se désintéresser des Gazaouis bombardés. Ils ont préféré ne pas rejeter la requête, et ont différé leur jugement à plus tard, en assortissant leur décision de préconisations à Israël pour ne pas rendre plus plausible l’accusation, en particulier de laisser passer une aide alimentaire.

Les mots de la mémoire juive retournés contre Israël

Ce fut fait, mais comme la CIJ n’avait pas explicitement rejeté l’accusation de génocide, celle-ci a pu prospérer et s’est indûment parée de l’autorité de cette instance internationale de référence. Ceux qui ont été au Rwanda savent ce qu’est un génocide Mais accuser Israël de génocide, c’est aussi retirer aux Juifs le bénéfice moral d’avoir été les victimes de la Shoah. Le génocidé génocideur, l’image semble titiller certaines consciences…

Le langage, a écrit Bourdieu, est un champ de luttes et les mots y sont investis d’un capital symbolique. Même si rien, en dehors de quelques remarques particulièrement débiles et répugnantes de quelques députés de la coalition au pouvoir en Israël, ne vient étayer une volonté de génocide, le mot a fini par se banaliser à l’égard d’Israël. Goebbels avait dit qu’un mensonge suffisamment répété devient une vérité. Israël est désormais accusé de génocide comme si c’était une évidence et le journaliste Gilles Bouleau qui interroge Emmanuel Macron en est tellement convaincu qu’il s’étonne que celui-ci laisse la réponse aux historiens… Et pourtant, il s’agit d’un mensonge particulièrement éhonté.

Israël affame-t-il Gaza ?

Une autre défaite majeure concerne l’accusation d’affamer les Gazaouis. Le spectre d’une famine imminente a été lancé à l’ONU dès les premières semaines de la guerre, notamment par le Secrétaire général António Guterres. Toute association humanitaire qui aurait apporté des nuances aurait été qualifiée de sioniste, un terme déshonorant qui interdit de faire carrière à l’ONU.

Il y a vingt ans, Agnès Callamard postait un tweet prétendant que Shimon Peres avait reconnu qu’Israël avait assassiné Arafat. Dans son interview au New York Times, le président israélien avait dit exactement le contraire. Cette diffamation n’a pas empêché la jeune femme de devenir Secrétaire générale d’Amnesty International, avec l’objectivité qu’on imagine…

À lire aussi : Les Frères musulmans et l’art du mensonge victimaire: l’exemple du Hamas

Il y a une semaine, Tom Fletcher, sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires humanitaires, déclare à la BBC que 14 000 bébés vont mourir dans les 48h si l’ONU ne leur apporte pas le lait dont ils ont besoin. Le rapport sur lequel il s’appuyait faisait état d’un risque de dénutrition mortelle au bout d’un an si la situation alimentaire continuait. Un an, c’est trop long, 48h, cela imprime plus les esprits.

Il en est de même des photos d’une petite fille turque mourant de faim et d’un enfant palestinien décharné atteint de mucoviscidose circulant comme preuves de la dénutrition à Gaza. C’est probablement ce qu’à l’époque de l’enfant al-Durra, l’inénarrable Charles Enderlin appelait la vérité du contexte, c’est-à-dire en clair, un mensonge avec de bonnes intentions…

Les services israéliens spécialisés mettent en place un nouveau système de distribution alimentaire qui exclut à peu près les services de l’ONU qui, évidemment, le vitupèrent d’avance. Mais les tares de l’ancien système étaient patentes, les cargaisons étant souvent accaparées soit par le Hamas soit par des gangs locaux et revendues à des prix exorbitants ou simplement stockées. Les quantités alimentaires qu’Israël a laissé entrer jusqu’au 2 mars représentaient environ 1800 tonnes par jour, c’est-à-dire suffisamment de calories pour éviter la famine de la population de Gaza, d’autant que la fourniture de produits précuits permet de surmonter le problème des manques de combustible. Il s’agit d’aliments non diversifiés, céréales, légumineuses et huile, mais la situation est incomparable avec celle qui existe au Soudan et qui ne mobilise aucunement le monde. No Jews, no news

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Cela ne signifie évidemment pas qu’il n’y a pas eu de cas de détresse alimentaire depuis que le blocus avait été établi, que la situation des Gazaouis n’est pas globalement dramatique et que tous les services israéliens ont mis un enthousiasme débordant à véhiculer l’aide alimentaire. C’est la guerre… Les images des cérémonies de remise des otages ne montrent cependant pas de participants ressemblant aux prisonniers de Buchenwald et le Hamas, qui a une responsabilité majeure dans les difficultés de distribution alimentaire, n’aurait pas manqué de les diffuser si de telles images existaient.

Il y a encore en Israël de rares appels à continuer à refuser l’aide alimentaire à Gaza tant que les otages ne sont pas rendus, alors que la période de blocus, si elle était prolongée, pourrait entraîner une situation vraiment catastrophique, mais Smotrich (3) lui-même a salué le lancement de cette aide. En tout cas, sur la durée du conflit, on n’a pas le droit de dire qu’Israël a affamé la population de Gaza.

Mais la manipulation narrative, élément clé du soft power, est une arme de guerre redoutable contre laquelle Israël, au long de ces cinquante dernières années, n’a pas su fabriquer de Dôme de Fer efficace…..


1 Bound To Lead, aux éditions Basic Books, 320 pages
2 Relire le papier de Jeremy Stubbs à ce sujet : Génocides à la carte. NDLR
3 Ministre des Finances et ministre au ministère de la Défense dans le gouvernement Netanyahou VI. Classé à l’extrême droite, il souhaite un État théocratique soumis à la loi religieuse et l’annexion de toute la Palestine historique.


État mental délabré. Et ta sœur ! répond Trump

Depuis 2017, une poignée de psychiatres américains, menée par Bandy X. Lee, alerte sur la supposée dangerosité mentale de Donald Trump. Leurs diagnostics ressurgissent régulièrement, toujours plus alarmants. Mais cette obsession à sens unique interroge: analyse scientifique ou croisade politique?


En 2017, déjà, ils étaient vingt-sept « experts », professionnels de santé, du genre psychiatres et autres sondeurs des boyaux de la tête, à considérer que le politicien milliardaire ne jouissait pas de toutes ses facultés mentales. De leurs cerveaux féconds était sortie une publication destinée à alerter les populations. « Le cas dangereux de Donald Trump », tel en était le titre.

Fixette

Certains d’entre eux s’empressent ces jours-ci de repartir à l’assaut, dont la psychiatre Bandy Lee qui, dans l’intervalle ; a tout de même publié trois livres sur ce sujet. On s’étonne : ne conviendrait-il pas d’interroger ses confrères – experts parmi les experts – afin de démêler si une telle fixette obsessionnelle ne serait pas révélatrice, elle aussi, d’un état mental quelque peu dérangé. J’ose la question parce qu’il me semble qu’une psy digne de ce nom, soucieuse de se faire de la réputation et accessoirement du pognon sur un tel thème, n’aurait pas manqué de publier aussi, pendant qu’elle y était, au moins trois ouvrages sur la manifeste fatigue neuronale du président alors en exercice, l’ébouriffant Joe Biden. Cela l’aurait au moins mise à l’abri d’un possible soupçon de préférence idéologique, et protégée de l’accusation de ne livrer qu’une approche entachée d’un biais fort peu conforme à l’esprit de la méthode « scientifique ».

Il est vrai, faut-il le reconnaître, que celui que Trump se plaisait à appeler Sleeping Joe – Joe l’endormi – n’a pas offert à cette observatrice ou à ses semblables autant d’angles d’attaque que son rival.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli : S’adapter ou mourir

Il est clair que ce dernier a souvent poussé le bouchon un peu loin, déchaînant chaque fois une volée de diagnostics des plus inquiétants. Cela se produisit notamment dans la foulée d’un certain meeting de novembre 2024.

Voilà bien, que devant un public nombreux, dans l’état fort convenable, dit-on, du Wisconsin, l’orateur serait allé jusqu’à mimer une fellation. Carrément. My God !

C’est alors que les tenants du psychanalytiquement correct s’enflamment. La folie guette ! Ou si ce n’est la folie, la débilité mentale à un stade avancé ! Mimer une fellation, devant des gens ! Pensez donc. En plein Wisconsin, qui plus est ! On peut supposer qu’ils se seront appuyés sur ce que professe probablement l’insurpassable Sigmund Freud dans son chapitre traitant le sujet : « Fellation : mythe et représentation ». À condition bien sûr qu’un tel chapitre existe, ce que j’ignore.

L’heure est écoulée : c’est 100 €

Le fond de l’affaire est hélas fort clair et bien connu. Quand bien même le trublion Trump n’offrirait pas aussi complaisamment tant de motifs de le trouver bizarre, mieux encore se serait-il constamment montré aussi alerte et lucide que Joe l’assoupi – je rigole – sa remise en cause des pesanteurs du système, de l’État profond, son combat impitoyable contre ce terrorisme mental délétère qu’est le wokisme, sa proximité avec le génial allumé Elon Musk et cette autre personnalité assez hors normes qu’est Vance, tout cela, disais-je, aurait été retenu par Madame Bandy Lee et son orchestre comme autant de symptômes de déficience intellectuelle et cérébrale. C’est l’évidence même.

Bien sûr, j’ignore si l’intéressé se fend face à cela du « Et ta sœur ! » que je viens de me permettre, mais je pense que, étant donc un adepte du mime, il serait tout à fait fondé à passer de la fellation au bras d’honneur.

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

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2005-2025, un référendum qui ne passe pas

En contournant le vote des citoyens via le Traité de Lisbonne, les élites ont bafoué la souveraineté populaire. Depuis le « non » de 2005, aucun président de la République ne peut plus se risquer à recourir au référendum.


Le 29 mai prochain marquera les vingt ans du référendum de 2005 par lequel la France a rejeté le projet de Constitution européenne. Le non-respect de ce vote solennel, par le Parlement réuni en congrès à Versailles le 7 février 2008 représente une violation accomplie de « l’État de Droit », de ce même État de droit qui est pourtant sans cesse revendiqué par ceux-là mêmes qui l’ont sciemment violé. Avec des conséquences d’une actualité brûlante.
La raison en est simple : en refusant en 2005 la Constitution qu’on lui proposait, le peuple français a rejeté notamment a) la création d’une Europe dotée d’une personnalité juridique supranationale et autonome b) toute possibilité d’une suprématie du droit issu de cette Europe sur la propre constitution de la France c) la possibilité d’imposer à la France des lois dotées de cette suprématie y compris sans qu’elle ait même participé à leur initiative d) la possibilité pour la France de n’avoir aucun commissaire à la Commission, pendant cinq années au moins tous les dix ans e) l’assujettissement de l’Europe, en matière de défense, aux politiques définies dans le cadre de l’OTAN f) la définition, arbitraire et subreptice, par une minorité agissante, de droits fondamentaux jamais débattus en pleine lumière et fondés sur un relativisme militant g) l’érection de l’Europe en un système idéologique de valeurs prétendument universelles sans aucune véritable référence à un héritage ou à des frontières historiques.
Or tous ces éléments ont été repris, à la virgule près, par le prétendu mini-traité, dont l’adoption a constitué une tromperie organisée. Et si tous les Etats ont encore aujourd’hui un représentant à la commission, c’est une situation temporaire issue d’une concession que le Conseil européen avait dû faire en 2008 pour obtenir le vote de l’Irlande (notons au passage que cette concession est déjà en elle-même contraire au traité).

À lire aussi, Céline Pina : Identité nationale: dessine-moi un Français

Aujourd’hui, vingt ans après la signature de ce « mini-traité » dans le dos des Français, les conséquences se font sentir de plus en plus clairement dans de nombreux domaines.
En matière de défense par exemple, la sujétion de la politique de défense de l’UE à l’OTAN, admise discrètement dans le traité, risque de se retourner contre l’UE dans l’hypothèse où les Etats-Unis  se détournent du conflit en Ukraine, entrainant de facto le retrait de l’OTAN puisqu’ils en sont le principal pilier. L’UE ne pourrait alors continuer seule cette guerre sans violer le traité.
Sur le terrain politique hexagonal, peu de gens ont remarqué que la récente condamnation de Mme Le Pen, en dernière analyse, découle en partie du traité de Lisbonne. En effet, un député européen n’est désormais plus élu par la France pour agir au sein de l’UE, mais en France, pour porter la voix de l’Europe. Le travail des assistants parlementaires en est évidemment bouleversé, et c’est possiblement ce que n’a pas vu le RN.
Enfin, tandis que certains réclament un référendum sur l’immigration pour contester les règles de l’UE, ils ne réalisent pas que la décision issue de ce référendum sera systématiquement écartée car le droit européen est désormais supérieur y compris à la Constitution des États. Un tel référendum ne pourrait se donner pour objectif que de constituer un moyen de pression pour renégocier le Traité.
Car le débat de la sortie du traité de Lisbonne doit impérativement être relancé. La France ne peut continuer sans risques de vivre sur la trahison démocratique absolue de 2007-2008.

Poupée de cul, poupée de son : les poupées sexuelles à l’âge de l’intelligence artificielle

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Le défi des nouvelles générations de poupées sexuelles ? Développer des relations émotionnelles riches et authentiques avec leurs utilisateurs.


Oubliez les vieilleries inertes d’autrefois : des entreprises spécialisées1 nous proposent désormais des love dolls à la pointe du progrès informatique, capables de réagir aux mouvements et de tenir une discussion. Elles peuvent même vous sourire ou cligner des yeux ! Alors, comment ne pas en tomber amoureux ?

Parlons plastique

Après les livres et les œuvres d’art, ce sont donc nos sex-toys à visage humain qui se retrouvent fourrées comme des dindes d’intelligence artificielle. C’est plus juste Deepseek, c’est Deep Throat. Les codes informatiques au service du cul et de la romance. Remarquez, c’est beaucoup plus sain que de leur faire chanter du Céline Dion. Fini le pignolage malheureux, Barbie s’occupe de tout. Qui se soucie ensuite de conquête spatiale quand on peut baiser avec ChatGPT ? Elon Musk peut bien aller se tirer la nouille sur Mars si ça lui chante, la seule vraie question est de savoir si pour 3000 euros je peux m’offrir Scarlett Johansson à trente ans et pour toujours. Je la rangerais avec mon vélo électrique. Nous serions très amoureux.

Mais parlons sérieusement, parlons plastique. J’ai connu un temps où les poupées sexuelles tenaient davantage du matelas gonflable que de Miss France. Tout cela est balayé. On regarde le menu. L’emballage vaut le détour. Il suffit de choisir. La rotondité du cul. L’angle des seins. Il y a trop de poils ou pas assez. L’œil un peu moins bleu. Attention à la couleur de la peau… Je me demande si on a le droit de leur donner le visage de nos ex. On les retoucherait légèrement. Je n’ai jamais osé le lui avouer, mais ses oreilles étaient trop décollées. Son cou trop large. Je préfère les blondes. On pourrait comme ça arranger le passé. Ce serait nos regrets, mais en mieux.

Beauté intérieure

Néanmoins, comme pour toute relation sérieuse, c’est la beauté intérieure qui compte. C’est ici que la magie de l’intelligence artificielle opère. On nous vend désormais une expérience immersive. Une fausse relation avec de fausses personnes douées de paroles. Les meilleures poupées savent tailler des pipes et la bavette. Chouette, on va enfin pouvoir parler de Proust avec nos objets sexuels… Ou se faire chier comme avec nos collègues de bureau. Cerise sur le gâteau, ça gémit quand on les touche. Et si leur personnalité ne vous convient pas, il suffit de la changer. Hop, comme ça, d’un claquement de doigts. Comme on zappe d’une émission à l’autre. Hier, la télévision berçait nos soirées de célibataires. Aujourd’hui, à la place de Karine Le Marchand, on a un orgasme avec un robot à forte poitrine qui sait dire « baise-moi » en chinois.

À lire aussi : Sexe: le retour de bâton

Quant aux écologistes, qu’ils se rassurent, certaines entreprises utilisent l’élastomère thermoplastique (TPE), un matériau écologique de dernière génération. J’attends la poupée sexuelle Label bio. Même elle devient plus écoresponsable que je ne le suis. Un jour, elle va nous reprocher notre bilan carbone en pleine levrette. « Vous avez pris l’avion trois fois cette année pour partir aux Maldives ! Ce n’est pas bon ça, Jean-Charles, ce n’est pas bon. Vous vous rendez compte que ça représente 0,000 76 % de la consommation en CO2 de tout le continent africain. Ahlala, petit coquinou ! Bon, on termine sur la turlute norvégienne, comme d’habitude » ? Puis un beau matin, sans crier gare, elle va filer voter Sandrine Rousseau aux présidentielles. On pourra ensuite recycler notre écolo-plastique-sexuelle en joint de douche à condition de l’avoir soigneusement déposée dans la poubelle jaune. C’est la réincarnation karmique à l’échelle de nos amours sur catalogue.

Combattre l’isolement social

Oh, je ne critique pas. J’ai l’esprit ouvert. Il parait que c’est thérapeutique. Thé-ra-peu-tique, vous dis-je ! On ne fait pas dans le vice nous, Monsieur, on fait dans l’intérêt général. On combat l’isolement social. Hé ouais, carrément. D’ailleurs, il y a eu une vraie explosion des ventes en 2020, pendant les périodes de confinement. La love doll, encore plus hygiénique qu’un masque FFP2. Et puis, avouons-le, c’est bien mieux qu’un chien. D’ailleurs l’État devrait soutenir l’industrie de la poupée pour adultes. Je suis sûr que ça peut diminuer les harcèlements de rue ou les agressions sexuelles. Vive les attouchements sans abus ni victime ! Un peu de silicone et nos délinquants se vident les c******* de manière éthique. C’est aussi un service à rendre à nos handicapés. On réduirait le taux suicide dans la population en général. On serait tous plus heureux. Comme on est en France, on peut espérer des crédits d’impôt d’ici 2030.

Je vous vois venir… Vous êtes sceptiques…. Vous vous moquez… Mais au fond n’est-ce pas simplement l’étape d’après de nos amours virtuelles ? Je ne parle pas de rapports à distance entre êtres humains. De courriels enflammés et autres virements bancaires à nos Brad Pitt de Bamako. Non, je parle de l’amour vrai grâce à des applications. Le sexe par messages interposés avec les programmes informatiques les plus chauds de votre région. Comme dans les anciens films de SF, réduits aujourd’hui à l’état de reportage de société has been. Il faut dire que vu le temps que l’on passe derrière nos écrans, nous devenons nous-mêmes presque fictifs. Il est dès lors normal que nos ardeurs restent imaginaires. Selon le National Geographic, c’est « un phénomène qui prend de l’ampleur. Plusieurs millions de personnes vivent des relations passionnelles avec des avatars ». Les intelligences artificielles savent générer des « photos souvenirs » personnalisées. Vous pouvez les appeler par téléphone. Elles vous accompagnent dans vos deuils et vous conseillent pour décrocher une augmentation. Toujours dans l’article du National Geographic, il y a même un type qui s’est créé une deuxième maîtresse virtuelle afin de se détacher de sa première maitresse virtuelle, soutenu par une psy, elle aussi virtuelle, qui l’aide à réfléchir au sens de la vie. Comment voulez-vous qu’un romancier puisse lutter contre ça ? C’est plus fort que du Balzac. Mais c’est assez compréhensible. On n’aime jamais mieux que ce qui n’existe pas vraiment.

Grâce à nos poupées sexuelles dopées à l’intelligence artificielle, on transpose juste notre rêve dans une enveloppe physique. Si possible, demain, avec un peu de robotique pour que ça vous accompagne faire les courses et vous aide pour le ménage. Les féministes seront ravies. Nous tiendrons enfin là l’homme déconstruit. Il suffira de l’assembler dans une usine. L’avenir s’annonce radieux. Je suis certain que dans dix ou vingt ans, prendre le thé en public avec nos poupées sexuelles ne sera pas plus inconvenant que d’aller promener son chien. Ce n’est plus le vrai qui sera un moment du faux, mais nos existences entières.

Une amie pour la vie

En 2040, on proposera surement des thérapies de couple pour nous aider dans nos échanges passifs-agressifs avec nos robots. Et puis avec les progrès, ces ultimes frictions préhistoriques disparaitront doucement. On réglera nos amours comme on règle au degré près la température de nos climatiseurs. L’invention de quelqu’un qui ne soit pas décevant serait la révolution la plus importante de l’humanité.

À lire aussi : Prostitution: plongée dans la maison de poupées

Au stade ultime de leur évolution, espérerons que nos nouveaux biens de compagnie étendent leur empire jusqu’à des relations moins romantiques. On s’achètera les amis que l’on n’a jamais eus. Les disparus avant d’avoir existé. Les frères et les sœurs que l’on s’est rêvé enfant, et même plus tard, lorsqu’on était seuls et tristes dans un studio d’étudiant. La poupée sexuelle platonique sera enfin cet ami qui nous sauvera la vie. Nous pourrons auprès d’elles éviter nos semblables. Ces individus biologiques nous feront horreur. On se croisera éventuellement dans les rues, les trains, les cinémas ou les aéroports. Nous serons incertains de notre humanité. Pourquoi vouloir plus ? On sera seuls sans l’être tout à fait. On aura pour compagnie des mannequins plus beaux que nous. Il faudra évidemment leur apprendre la mélancolie. Je pourrais faire semblant de partager mes bières avec Samantha, ma meilleure-pote-sex-friend-robotique pour toute la vie. On écoutera du Lou Reed. Je me vois bien me promener à l’aube, en lui tenant la main.


  1. Pour en savoir plus :
    https://intelligence-artificielle.developpez.com/actu/349796/Des-futurologues-predisent-que-les-robots-sexuels-pilotes-par-l-IA-remplaceront-les-relations-humaines-mais-les-critiques-mettent-en-garde-contre-les-dangers-potentiels-dont-la-dependance/
    https://www.youtube.com/watch?v=oOVDSAQ6vLk&ab_channel=RTSInfo
    https://intelligence-artificielle.com/top-5-robots-sexuels-ia/ ↩︎

C’est foutu !

La dépression gagne du terrain. Dans les bistrots, au bureau, lors des dîners de famille ou entre copains, la réaction est toujours la même : « C’est vraiment foutu. »


Non pas que les Français soient fondamentalement pessimistes, mais même s’ils souhaitent un changement et espèrent vivement que la France se remette d’une longue maladie, ils n’y croient plus. Car personne ne semble avoir d’autre solution que les sempiternels « y’a qu’à », chers aux professionnels du commentaire. Les allocutions rassurantes d’hommes politiques ambitieux, qui promettent que tout va changer avec eux, ne convainquent plus personne. Car, derrière ces bonnes volontés affichées, il n’y a pas l’ombre d’une méthode : comment fait-on, concrètement ?
Lorsqu’ils ont un objectif à atteindre, tous les chefs d’entreprise du monde élaborent des plans précis, intégrant les salariés, les parties prenantes, les délais nécessaires, les réformes à engager et les process à mettre en place dans les moindres détails. Actuellement, nous n’avons ni projet, ni vision constructive : quel pays voulons-nous ?
On entend seulement une litanie d’objectifs abstraits : diminuer l’immigration, remettre l’école à niveau, restaurer l’autorité, donner des moyens (?) aux hôpitaux, réindustrialiser, travailler plus (!) — mais sans toucher aux retraites (attendons les résultats d’un conclave sans pape façon Foir’Fouille…) ; travailler plus, mais pourquoi pas avec la semaine de quatre jours ! Restaurer la sécurité, faire plus d’enfants grâce à une semaine de congés « en promo » pour encourager les couples (sic)… et j’en passe.
Quant à la dette, elle devrait miraculeusement diminuer, sans augmenter les impôts, mais avec les efforts de chacun.

Les taxis en colère

Le tout dernier exemple : la bonne idée de réduire les dépenses de santé liées aux transports sanitaires. Il s’agit d’économiser sur les 6,3 milliards d’euros de dépenses annuelles, dont 3 milliards en taxis. Objectif : 300 millions d’euros d’économies sur les 40 milliards recherchés en tout pour le Budget.
Réduire cette dépense revient à diminuer les revenus des taxis. Devinez ce qu’il advient ? Les taxis descendent dans la rue. Ils demandent simplement un médiateur et d’être consultés. Après cinq jours de blocage (il fallait bien ça…), le Premier ministre en personne se rend au ministère des Transports. Il en ressort en annonçant – ce qui est qualifié de « grande avancée » – qu’on va désormais se concerter… tout en maintenant la somme à économiser, bien sûr. On lui laisse le bénéfice du doute. D’ici là, les mêmes taxis reviendront manifester pour un autre sujet : les conditions d’exercice illégal de leur métier par des VTC que l’État ne contrôle pas.
Tout cela pour une microscopique réforme. Alors, quand il faudra passer aux choses sérieuses…

À lire aussi, Dominique Labarrière : Le premier qui rira aura une tapette

Choose France

À force d’empiler et d’imbriquer les stupidités et les maladresses, la France – et son administration en particulier – est devenue une sorte de Mikado géant où il est presque impossible de bouger un bâtonnet sans faire tout tomber. Cette semaine, c’est au tour des agriculteurs, que l’on mène en bateau sans scrupule : on leur retire ce qu’on leur avait accordé, et on envisage d’interdire un insecticide utilisé, semble-t-il, dans toute l’Europe. Ensuite, on s’occupera de la loi de finances, etc.
Voilà pourquoi – et c’est nouveau – les Français accordent désormais leur confiance aux chefs d’entreprise pour prendre les bonnes décisions.1 Un chef d’entreprise sait redresser une entreprise, faire des économies, et surtout, il inspire plus confiance que les politiques. Vers qui se tourner, sinon ? Certes, un chef d’entreprise a de réelles compétences, mais il ne sait pas faire de politique – tout comme un politique ne sait pas ce qu’est une entreprise.
Le mouvement patronal ETHIC vient donc de lancer une initiative : proposer aux députés une immersion en entreprise, une sorte de formation accélérée, en prise directe avec le terrain. Une initiative qui ne peut être que bénéfique. Les entrepreneurs sont tous d’accord.
D’autres pays ont réussi à se réformer. Pourquoi pas nous ? En France, les changements ne se produisent qu’à coups de révolutions. Alors, quand aura lieu la prochaine ?
Elle arrive, nous dit-on, d’un air accablé. Mais une révolution, c’est une révolte contre les autres… Quels autres ? Tout le monde est contre tout le monde. La demande d’autorité est immense, et pourtant, nos dirigeants politiques sont incapables d’en faire preuve à bon escient. Sans compter que l’autorité, c’est bien, à condition qu’elle ne soit pas exercée par des extrémistes — qui tiennent, chez nous, le haut du pavé des manifs.
Comment tenir encore deux ans avec des journaux qui titrent tous les deux jours sur les ambitions présidentielles de ceux qui ne pensent qu’à se positionner sur la ligne de départ ?

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  1. Les Français font davantage confiance aux entreprises qu’aux institutions politiques, d’après un sondage, Le Figaro, le 16 février 2025 ↩︎

Un projet d’Alyah

Cette lettre d’Alyah (immigration vers Israël), à la fois lucide et poignante, explore un choix intime de partir vivre en Israël sans illusions ni rejet de la France, dans un monde en guerre.


C’est une lettre d’Alyah qui constitue ma chronique d’aujourd’hui. Elle n’est pas la réaction à des actes ou des paroles antisémites ni le fruit d’un enthousiasme infini, moins encore d’un rejet de la France. Je ne donne pas le nom de son autrice, que certains reconnaitront. J’ai trouvé que dans son refus d’illusions ce texte montre que l’Alyah, quelles que soient les options personnelles, politiques ou religieuses, de celui ou celle qui s’y engage, est avant tout le choix d’un certain dépassement, il s’agit de donner un sens à sa vie, assumer le passé et partager le futur. 

Voici cette lettre :

« Ca y est, nous avons pris une décision importante : cet été, nous partons vivre en Israël !

Cette décision n’est pas anodine et ceux qui me connaissent savent qu’elle était loin d’être évidente. Je ne l’avais jamais sérieusement envisagée jusqu’à ce qu’elle s’impose à moi comme une évidence. 

Je ne sais quoi répondre quand on me félicite ou qu’on m’interroge sur le choix de retirer mes enfants d’un environnement paisible et confortable, pour les amener dans un pays en guerre et en deuil, dont ils ne connaissent ni la langue, ni les codes et que le monde entier honnit et conspue avec une haine souvent viscérale.

Ceux qui ont une lecture de l’identité juive un peu distante ont souvent du mal à en comprendre les nombreux paradoxes: comment peut-on être profondément Juif sans croire en Dieu, profondément sioniste en rejetant la politique du gouvernement; comment peut-on soutenir Tsahal et vouloir la paix, comment peut-on se dire sioniste et pro palestinien? Comment peut-on aimer la France et la quitter ? Comment peut-on craindre pour la survie d’Israël et y plonger ses enfants…???

Dans mon esprit d’ashkénaze pessimiste, si le pire est certain, la seule question qui mérite d’être posée est comment s’y préparer au mieux possible. Longtemps, nous avions envisagé de partir loin des conflits que le monde s’apprête à vivre. Nous avons pensé au Canada, à la Floride ou au Brésil… Mais en vérité notre seul refuge, c’est Israël. Et si ce refuge est lui-même en danger, alors notre place est là-bas, pour apporter notre petite pierre à un pays qui est aussi une idée, et qui aujourd’hui risque d’être détruit de l’intérieur autant que de l’extérieur…

La décision de partir s’était immiscée dans notre esprit après les élections législatives. La France sera écartelée entre une extrême droite et une extrême gauche qui ont beaucoup en commun, à commencer par le fait d’abriter certaines personnes, élus et électeurs, qui haïssent plus ou moins ouvertement les Juifs et Israël. L’histoire nous a appris que quand ça pue la merde c’est qu’elle n’est pas loin et que étrangement les Juifs sont souvent les premiers à se la prendre dans la gueule. Plutôt que de choisir entre la peste et le choléra, il vaut mieux partir. 

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Et en même temps… je ne veux pas laisser croire que je « quitte » la France ; je suis profondément française dans ma culture et mes valeurs, j’ai une reconnaissance infinie pour l’accueil qu’elle a fait à mes grands-parents, pour l’éducation, la sécurité et les opportunités qu’elle nous a offertes. J’espère ne jamais dénigrer ce pays qui m’a tant donné ! 

Je ne quitte donc pas la France par rejet et je ne rejoins pas non plus Israël par idéal sioniste et espoir d’un avenir meilleur. Si je suis honnête, la raison profonde est peut-être plus simple et égoïste : nous avons besoin d’un nouveau souffle, d’ouvrir un nouveau chapitre et de recommencer à faire des projets, à nous engager, à agir et à donner du sens à ce que nous faisons…

Je ne me fais pas d’illusions sur Israël. La réalité y est dure, les fractures sont profondes, les manières de se sentir Juif et les valeurs qui s’expriment sont souvent éloignées des miennes. Il y a au pouvoir des opportunistes sans scrupules et des racistes fanatiques, les tensions entre religieux et laïques menacent la cohésion du pays et les perspectives de paix et de cohabitation avec les Palestiniens font figure d’un mirage, au mieux naïf, au pire suicidaire.

Et pourtant, malgré cela, nous avons décidé d’y déposer nos bagages, d’y construire notre avenir et celui de nos enfants car malgré ses contradictions, ses douleurs et ses dérives, Israël reste notre seul et unique ancrage. Il y a mille façons d’être Juif, mais Israël est unique. »

Il est difficile de s’installer dans un pays en guerre, plus difficile encore quand ce pays est critiqué de toutes parts… et Israël n’a jamais été aussi critiqué qu’au cours de la semaine où ce texte a été écrit.

On a même vu des citoyens israéliens prestigieux porter des accusations dramatiques. Car je suis abasourdi par ce que viennent de dire certains opposants politiques au gouvernement, et en particulier Yaïr Golan, chef du Meretz. S’il prouve que ce qu’il a dit est vrai et, si ces faits ignobles (s’amuser à tuer des bébés palestiniens) n’ont pas été très lourdement punis, c’est catastrophique pour l’image que nous avons d’Israël. S’il ne le prouve pas, cela détruit l’image très respectable jusque-là du général Golan lui-même, héros du 7-Octobre, qu’elle place au niveau le plus méprisable de la diffamation politique.

Le hasard a voulu que, au cours de la même semaine, nous ayons appris l’ampleur des ambitions des Frères musulmans pour la France. Que ce soit dans le rapport déclassifié issu de l’enquête provenant des services de renseignement et adressée au ministre de l’Intérieur ou, à Fondapol, dans le témoignage du Préfet des Hauts-de-Seine, ancien directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur, les conclusions se rejoignent: les objectifs des Frères musulmans en France ne relèvent pas d’un projet séparatiste, mais ils visent à une domination culturelle et à terme politique du pays. Celle-ci, cela va sans dire, serait incompatible avec le maintien de toute présence juive en France… Il suffit de ne pas oublier que les Frères musulmans ont été pendant la guerre de très fidèles alliés des nazis et se rappeler ce que le Hamas, qui est un fleuron frériste, a fait le 7 octobre 2023.

Abus de contre-pouvoir

Pierre-Henri Tavoillot © Hannah Assouline

Attaché à une conception libérale des institutions, le philosophe Pierre-Henri Tavoillot critique la sévérité de la peine prononcée contre Marine Le Pen et met en garde : face à l’effacement de la politique, la France risque de basculer d’une démocratie à une « nomocratie », le pouvoir des normes


Dans notre numéro du mois, disponible en kiosques, ne manquez pas notre dossier spécial de 25 pages : Le Pen, Sarkozy, Zemmour : l’extrême droit ne passera pas ! •

Causeur. Nous avons appris en cours de droit constitutionnel que la démocratie reposait sur un subtil équilibre des pouvoirs. Cette harmonie a-t-elle été rompue avec la condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité immédiatement exécutoire ?

Pierre-Henri Tavoillot. Une démocratie libérale fonctionne correctement quand elle arrive à maintenir l’équilibre entre trois logiques : celle du peuple, celle du pouvoir et celle du droit. Ce qui requiert de concilier d’une part la prise en compte de la volonté populaire (sans toutefois succomber au populisme, raison pour laquelle nous avons un système représentatif), d’autre part l’obéissance aux pouvoirs publics (mais sans aller jusqu’aux excès de l’autoritarisme, d’où notre indispensable séparation des pouvoirs), et enfin le respect des lois, mais en prenant soin de ne pas laisser celles-ci prendre le pas sur la décision politique. À ce sujet, je vous ferai remarquer que, récemment, le Conseil constitutionnel a justement eu des égards bienvenus pour le peuple, en indiquant que, dans les affaires judiciaires où des peines provisoires d’inéligibilité peuvent être prononcées, les juges doivent veiller à la « liberté du vote » et proportionner leurs décisions en conséquence.

Cela n’a pas empêché le tribunal judiciaire de Paris de prétendre interdire à Marine Le Pen de se présenter en 2027…

En toute rigueur, il n’a pas violé le droit. Mais les magistrats auraient dû avoir la main qui tremble et se dire : « Nous avons très envie de prendre cette décision sévère, mais nous n’allons pas le faire car cela constituerait un abus de contre-pouvoir. »

Cette hardiesse du jugement est-elle inquiétante pour notre justice en général ?

Je crois que la France a atteint aujourd’hui une situation de déséquilibre, avec d’un côté un État qui souffre d’une forme d’impuissance et de l’autre, un droit hypertrophié, de plus en plus bavard, complexe, et débordant de partout. Il est normal que nos lois limitent la liberté du vote. Ne serait-ce qu’en la conditionnant à des critères objectifs comme l’âge et la nationalité. Mais il est plus délicat de prétendre instaurer un cadre, beaucoup plus flou, reposant sur l’honorabilité. Si, par exemple, vous n’avez plus de points sur votre permis de conduire, est-ce suffisant pour vous interdire de briguer les suffrages ? À partir de quelle infraction, de quel crime, méritez-vous un bannissement électoral ? Aux États-Unis, même Donald Trump, qui a contesté massivement les règles démocratiques, a pu être réélu. En France, le système est plus fermé. Depuis dix ans, le nombre de peines d’inéligibilité, dont certaines sont certes très fondées, a augmenté de manière considérable. On est passé de 171 condamnations en 2016 à 9 125 en 2022. Cela commence à devenir démesuré. D’autant qu’on ne se prive pas de dénoncer les disqualifications de candidats quand elles ont lieu en Iran ou en Russie. Le risque existe désormais, que l’on bascule d’une démocratie à une « nomocratie », le pouvoir des normes.

Les lois de moralisation de la vie politique, notamment celles dites « Sapin 2 » et « Bayrou », qui certes n’ont pas été formellement invoquées dans la décision contre Marine Le Pen, mais dont l’esprit plane dans cette affaire, sont-elles « nomocratiques » ?

Assurément. En effet, elles exigent des élus qu’ils adoptent, en matière financière, un comportement impossible à tenir. Quand on fait de la politique, il ne suffit pas de vivre pour la politique, il faut aussi vivre de la politique. Si vous appartenez à une formation bien établie, rien de plus facile.Mais si vous participez à un mouvement en ascension, vous n’avez pas les moyens, et donc vous trouvez des astuces. Ce n’est pas un hasard si LFI, le Modem et le RN, trois partis émergents, ont été pris dans des affaires de financement d’assistants parlementaires.

L’électeur ne devrait-il pas choisir le degré d’immoralité qu’il accepte chez son élu ?

Je suis assez d’accord. Après tout, on peut considérer que les citoyens ont les données du problème en main, et que la décision doit leur revenir. Surtout qu’aujourd’hui la situation patrimoniale des candidats est rendue publique au début puis à la fin des mandats, ce qui donne une information précieuse.

Une information précieuse ? C’est surtout un moyen particulièrement démagogique de nourrir le voyeurisme et les passions tristes !

Une frontière nette doit être maintenue entre la nécessaire publicité et les excès de la « transparence », car si la première est démocratique, la seconde est totalitaire. Pour autant, il ne me semble pas illégitime de vérifier s’il y a enrichissement durant un mandat et d’empêcher, par là même, les élus qui s’adonnent à un clientélisme éhonté de continuer de salir leur mandat.

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Vous voulez éliminer le clientélisme de la vie politique ? Bon courage !

On peut le maintenir dans des limites raisonnables sans espérer l’abolir. Au demeurant – cruelle leçon –, on note dans l’histoire des démocraties que l’abstention s’accroît quand la lutte contre le clientélisme devient efficace.

Nicolas Sarkozy au tribunal de Paris, le 6 janvier 2025, lors de son procès concernant des soupçons de financement illégal de sa campagne présidentielle de 2007 © AP Photo/Thibault Camus/SIPA

Déshonore-t-on un mandat national quand on le cumule avec un mandat local ?

En 2014, lorsque le Parlement a voté l’interdiction du cumul des mandats, il y a eu sur ce sujet une sorte d’unanimité stupéfiante. Aujourd’hui, beaucoup se mordent les doigts d’avoir approuvé ce texte qui a abouti à ce que bon nombre de députés, dénués de toute expérience de mandat local, se trouvent d’autant plus déconnectés des réalités. Si on veut éviter les phénomènes de baronnies, il vaut mieux jouer sur la durée des mandats.

Vous avez parlé de « salissure ». Ironie de l’histoire, le RN – qui il est vrai n’occupait aucun poste de pouvoir –, s’est longtemps proclamé « tête haute et mains propres ». Est-on allé trop loin dans l’exigence de propreté ?

Il y a derrière cette aspiration un fantasme de pureté dangereux, même s’il est vieux comme la démocratie. Le mot « candidat » vient du latin « candidus », qui signifie « blanc ». Dans l’Antiquité, les consuls romains qui se présentaient devant les urnes devaient porter une toge blanche pour montrer qu’ils étaient plus blancs que blancs. Seulement, des candidats qui n’ont aucun conflit d’intérêts, ça produit des élus qui n’ont aucun intérêt. Cela donne des maires qui ne font rien, car ils ont peur de se faire engueuler. Pendant l’épidémie de Covid, on en a vu toutefois certains sortir des clous, prendre des risques dans l’intérêt général. Il paraît même que des préfets ont outrepassé leur rôle. En mordant la ligne du droit, ils ont été bons.

On ne demande pas seulement aux élus d’être propres, mais d’être exemplaires…

Cela n’a pas plus de sens. Les élus sont censés nous représenter, pas nous inspirer. Qui aurait envie de leur ressembler ? Qui souhaiterait mener leur vie si cruelle, si fatigante, et surtout si exposée ? Et d’ailleurs, sommes-nous nous-mêmes si exemplaires des vertus que nous exigeons des élus ?

Il faut croire que le pouvoir conserve des attraits. Mais le régime représentatif doit-il sélectionner les meilleurs ou des gens comme vous, moi ou Monsieur Delogu ?

L’élection est par définition aristocratique : tant qu’à choisir, autant choisir le meilleur ! Et une fois élu, l’élu devient l’élite. Mais selon des critères qui restent très relatifs et propres à chacun. Ce qui a permis à l’élection de devenir une pratique démocratique, dans le contexte des régimes représentatifs, c’est non seulement le droit de vote pour tous, mais aussi le droit pour tous d’être candidat.

En tout cas, les pouvoirs relevant de l’élection perdent du terrain face aux juges et autres autorités administratives indépendantes. Comment y remédier ?

La fonction du droit doit être repensée et articulée avec l’idée de souveraineté populaire. Depuis Jean Bodin au xvie siècle, le souverain se définit comme celui qui est absous des lois. Mais cela ne veut pas dire pour autant que le souverain est au-dessus de toutes les lois. Même dans la monarchie absolue, le roi a tous les droits, sauf celui de cesser d’être le roi. En démocratie, c’est la même chose : le peuple a l’obligation de rester un peuple. Il faut refaire honneur à ce principe.

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? Comment un peuple reste-t-il un peuple ?

En n’abolissant pas la démocratie et en n’opprimant pas ses minorités.

Autrement dit, en respectant l’État de droit ?

Il faut faire attention avec cette notion. Dans une acception large de l’État de droit, telle que le grand juriste Hans Kelsen l’a théorisée il y a un siècle, tout État est un État de droit.

Mais dans une démocratie libérale, cela va un peu plus loin : l’État de droit s’oppose à l’arbitraire puisque les gouvernants sont soumis à la loi.

Oui, il repose sur quatre principes. Le premier, c’est que le pouvoir organise sa propre limitation, c’est-à-dire qu’il se donne des entraves, des contre-pouvoirs. C’est en cela que l’État de droit s’oppose à la tyrannie, au gouvernement sans loi et au despotisme, qui est l’administration d’un État conçu comme une propriété privée. Ensuite, il y a la hiérarchie des normes, en vertu de laquelle les règlements respectent les lois, qui respectent la Constitution. Troisièmement, la source de toute loi est la souveraineté populaire, qui s’exerce directement par le référendum ou indirectement par le truchement des représentants. Et le quatrième point, c’est que le législateur accepte d’être soumis à un contrôle juridictionnel a posteriori. De sorte qu’il y a une distinction entre ceux qui font la loi, ceux qui l’appliquent et ceux qui en contrôlent l’application.

Ça, c’est la théorie. Dans la réalité, l’État de droit ressemble souvent à ce que certains appellent le Système – pas un complot ourdi dans un coin mais des intérêts coalisés qui tirent tous dans le même sens idéologique et aboutissent à écarter une partie du peuple du pouvoir. Pour son bien évidemment. Autrement dit, peut-on dire trivialement que l’État de droit, aujourd’hui, c’est le camp du bien qui donne des leçons de maintien progressiste aux ploucs ?

Cela dépend des cas. Regardez, aux États-Unis, la Cour suprême a pris une position conservatrice sur l’interruption volontaire de grossesse. Il n’est pas certain que cette décision de l’État de droit ait déplu aux ploucs, comme vous dites.

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En France, vous ne pouvez pas nier sa dérive idéologique.

Je fais la différence entre l’État de droit idéologique qu’il faut combattre, et l’État de droit fonctionnel qu’il faut préserver. Je vous rappelle la louable décision du Conseil constitutionnel sur la « liberté du vote ». Reste qu’il arrive aux « sages » de la Rue Montpensier d’inventer des principes qui correspondent à leur philosophie personnelle. C’est typiquement ce qui s’est passé en 2018 avec l’arrêt Herrou, qui a reconnu, pour la première fois, une valeur constitutionnelle au mot « fraternité » inscrit dans la devise républicaine. En érigeant une notion aussi flottante en norme juridique, on donne des arguments à tous les contempteurs de l’État de droit. Et à ceux qui veulent que la France quitte la Cour européenne des droits de l’homme.

Reconnaissez que c’est tentant…

C’est un processus très compliqué parce qu’on y est entré par les deux bords, à la fois comme État et puis par l’Union européenne.

Oui, mais doit-on laisser cette instance, qui se moque de l’équilibre entre peuple et droit que vous avez défini, avoir le dernier mot ?

Face aux prétentions abusives de la CEDH, le Conseil constitutionnel a tout à fait la possibilité d’invoquer l’identité constitutionnelle de la France.

Pourquoi ne le fait-il pas ?

Parce que nos élites sont travaillées par un syndrome d’illégitimité. En conséquence, les gouvernants sont souvent tentés de se défausser sur les autorités juridictionnelles, lesquelles sont tentées de se défausser à leur tour sur des organes supranationaux.

Tout cela ressemble à une autoroute dont on ne peut pas sortir. Comment peut-on remettre un peu plus de demos et de kratos pour contrebalancer le nomos ? Le Conseil d’État ne cesse de dénoncer depuis vingt ans le fait qu’il y ait trop de lois, trop de jurisprudences. L’injonction doit venir des politiques, il faut dégraisser tout cela ! Reconfigurer le Code pénal, par exemple. L’épurer. Aujourd’hui, le droit est le principal facteur d’insécurité, d’inégalité entre ceux qui peuvent se payer de bons avocats et ceux qui ne peuvent pas. Même les meilleurs fiscalistes sont incapables de vous garantir que votre déclaration d’impôt est irréprochable, et Bercy ne donne pas d’avis préalable. C’est complètement déraisonnable ! Il y a une sorte de suicide de la logique juridique. Cela ne peut pas tenir très longtemps. D’autant qu’il y a, en toile de fond, une confrontation internationale entre les différents pays, avec une prime à ceux qui ont le système juridique le plus lisible et le plus prévisible. Or dans cette guerre des droits, la France passe pour un pays moyenâgeux

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Mort à débit

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La ministre de la Santé Catherine Vautrin s'exprime après l'adoption par l'Assemblée du projet de loi autorisant les adultes atteints de maladies incurables à prendre des médicaments létaux, le mardi 27 mai 2025 à Paris © Michel Euler/AP/SIPA

Euthanasie. La société française estime désormais le suicide assisté comme un dû. L’Assemblée nationale a adopté hier la proposition de loi instaurant un droit à l’aide à mourir, avec 305 voix pour et 199 contre, malgré des débats intenses et des divisions politiques marquées. Le texte, présenté comme encadrant strictement ce nouveau droit pour les patients majeurs atteints de maladies incurables en phase avancée, doit désormais être examiné par le Sénat à l’automne 2025 avant une éventuelle adoption définitive. Sous couvert d’humanisme, une dérive inquiétante, selon notre chroniqueur.


Les vieux ? À dégager ! Pas assez performants. Trop coûteux pour la société. Mais c’est pourtant au nom de l’humanisme que les députés ont voté hier (305 voix pour, 199 contre) le « droit à l’aide à mourir », euphémisme pour ne pas désigner l’euthanasie et le suicide assisté. Même le délit d’entrave à ce processus de mise à mort médicale sera sanctionné (jusqu’à deux ans de prison, 30000 euros d’amende).

Bascule historique

Olivier Falorni (MoDem) s’est immédiatement félicité sur X d’avoir emporté cette première manche : « L’Assemblée nationale a adopté ! Un moment historique pour une très grande avancée républicaine car elle porte en son cœur la liberté, l’égalité et la fraternité. Il est des jours dont on sait qu’on ne les oubliera jamais. » En 1882, Friedrich Nietzsche écrivait : « Encore un siècle de journalisme et les mots pueront ». Nous y sommes. Les mots, vidés de leur sens, ne sont plus que des slogans, y compris pour les professionnels de la politique. Car la liberté, l’égalité et la fraternité avancés par M. Falorni sont en contradiction avec ce texte, défendu par une élite qui a perdu de vue la fragilité des gens modestes et qui s’enorgueillit de pouvoir se libérer de l’interdit suranné du Décalogue : « Tu ne tueras point ». Comme le remarque Alain Minc dans le Figaro Magazine, pour le déplorer : « La franc-maçonnerie est un acteur assumé de ce combat, à la manœuvre de façon explicite ».

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Durant la crise sanitaire du Covid, les pensionnaires des Ehpad avaient déjà été sacrifiés dans leur isolement forcé, abrégé parfois par injection de Rivotril. C’est cette même brutalité régressive qui pourrait s’installer si ce texte « progressiste », qui sera débattu au Sénat en septembre sans doute, devait être inchangé. Seul le vote unanime sur le volet des soins palliatifs est satisfaisant en l’état.

Autosatisfaction morale

Le fait que les mutuelles soient parmi les plus ardentes pour défendre l’euthanasie et le suicide assisté devrait mettre la puce à l’oreille de ceux qui se contentent des autosatisfactions morales de la macronie et du reste de la gauche. Celles-ci ne s’expriment plus qu’à travers des sujets sociétaux (PMA pour toutes, IVG constitutionnalisée …), faute d’émettre en urgence des idées neuves sur la révolution conservatrice qui déboule. Une étude récente de la Fondapol montrait que les plus de 85 ans coûtaient en moyenne 8000 euros par an, contre 1700 euros pour les moins de 59 ans. Un spécialiste de ces questions me disait récemment que les six derniers mois d’une vie pouvaient coûter autant, en prise en charge médicale, qu’une vie entière. Le manque de lits dans les hôpitaux est une autre donnée structurelle qui n’apparait évidemment pas dans les motivations de la loi mais qui est présente dans les esprits de bien des gestionnaires hospitaliers. Parallèlement, vingt et un départements sont dépourvus de soins palliatifs. 500 personnes meurent chaque jour sans avoir pu en bénéficier. Bref, cette loi « de liberté » contient, dans son esprit fonctionnel, toutes les dérives pouvant aboutir à l’élimination des improductifs car trop âgés, trop handicapés, trop fragiles mentalement. Une horreur.

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Un roi chez les grizzlys

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Le roi Charles III et la reine Camilla assistent à l’ouverture solennelle du Parlement, Ottawa, Canada, le 27 mai 2025. A gauche, le Premier ministre Mark Carney © Aaron Chown/Pool/Shutterstock/SIPA

Face aux attaques de Donald Trump, le Premier ministre Mark Carney a fait appel au monarque britannique pour prendre la défense de ce pays membre du Commonwealth.


Le roi Charles vient de terminer une visite d’État de deux jours au Canada en compagnie de sa reine, Camilla. Sur le papier, il est le roi du Canada, mais depuis une loi de 1982, le pays est complètement autonome sur le plan constitutionnel, ne laissant à la monarchie britannique qu’un rôle encore plus symbolique que celui qu’elle joue outre-Manche.

Invité par Mark Carney

Bien que les sondages d’opinion indiquent qu’une majorité de Canadiens préféraient vivre sous un régime strictement républicain, le couple royal a été salué partout par des foules enthousiastes. Après tout, dans un monde sans magie autre que technologique, le faste des rituels monarchiques et religieux (comme la messe d’inauguration de Léon XIV) plaît au plus grand nombre. Pourtant, la présence de Charles au Canada répondait à une demande du nouveau Premier ministre, Mark Carney, et constituait un geste diplomatique soigneusement calculé.

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Car le roi a fait le discours d’inauguration d’une nouvelle session du parlement à Ottawa. C’était seulement la troisième fois de l’histoire que le monarque était venu le faire en personne. La dernière fois, c’était en 1977, quand sa mère, la reine Elizabeth, était venue pour la deuxième fois, ayant fait le discours d’ouverture pour la première fois en 1957. En temps normal, c’est le gouverneur général qui remplace le monarque dans ce rôle. Actuellement, le gouverneur général est une femme d’origine autochtone, Mary Simon, nommée par le précédent Premier ministre, le très progressiste Justin Trudeau, en 2021. Mais l’heure n’était plus aux gestes envers l’idéologie « Diversité, Équité et Inclusion ». M. Carney, qui connaît bien l’establishment britannique, ayant été gouverneur de la Banque d’Angleterre de 2013 à 2020, a fait appel au roi Charles pour cimenter l’unité de son pays face aux déclarations du président Trump qui aimerait faire du Canada le 51e état des États-Unis. Quand Carney a succédé en mars à Trudeau à la tête du pays ainsi que du Parti libéral, sa formation politique était en grande difficulté suite aux nombreux échecs du dirigeant le plus wokiste de la planète. Ce qui a sauvé le Parti lors des élections générales fin avril, en confirmant Carney à son poste, c’est la montée parmi les électeurs du sentiment anti-trumpiste. Pourtant, Carney ne jouit pas d’une grande majorité au Parlement, d’où la nécessité de renforcer sa popularité en s’associant au roi pour mettre en avant la singularité de la souveraineté canadienne qui, à la différence des États-Unis, n’a rien d’une république. Une identité proprement canadienne s’est forgée pour la première fois de l’histoire lors de la Guerre anglo-américaine de 1812 à 1815 qui a vu les troupes américaines brûler Toronto et les troupes britanniques/canadiennes brûler Washington.

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Charlie l’équilibriste

Au cours de son discours, le roi n’a pas nommé Donald Trump, mais son évocation d’« un Canada fort et libre » a constitué une référence très claire à la situation. Sans surprise, les parlementaires se sont levés pour l’ovationner. Cette opération réussie confirme que la monarchie sous Charles reste l’arme lourde de la diplomatie britannique. Pourtant, Charles est en train de faire un numéro d’équilibriste, car son pays a besoin aussi d’être dans les bonnes grâces de Donald Trump. Le gouvernement britannique a promis à cet admirateur de la famille royale une visite d’État afin d’imprimer un nouvel élan aux relations anglo-américaines à un moment où les liens entre les États-Unis et les pays de l’Europe occidentale sont tendus. Le président américain a déjà montré sa jalousie quand le roi a reçu le président Zelensky début mars. Pour le rassurer, la diplomatie a dû lui expliquer que le passage du dirigeant ukrainien ne représentait nullement une visite d’État. Les efforts du Premier ministre, Keir Starmer, pour se distinguer des autres Européens et éviter de subir de plein fouet l’agressivité commerciale de Trump commencent à porter quelques fruits modestes. Après l’accord de libre-échange, certes modeste, entre Londres et Washington annoncé le 8 mai, Toyota vient de signaler son intention d’investir dans la construction d’un nouveau site outre-Manche pour la fabrication de son modèle GR Corolla. Ces voitures seront destinées en partie au marché américain.

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Harry, un ami qui vous veut du mal

Au moment même où Charles travaillait au service de son pays, son fils prétendument rebelle, mais surtout capricieux, Harry, se trouvait en Chine. Il a fait un discours à Shanghai en tant que co-fondateur d’une entreprise, Travalyst, spécialisée dans les voyages respectueux de l’environnement. Les mauvaises langues dans la presse britannique ont demandé s’il y était allé en première classe ou carrément en jet privé… Cette coïncidence n’en est pas une. Harry essaie désespérément de rivaliser avec son père en attirant les feux de la rampe sur lui-même, peut-être à l’instigation de sa femme, Meghan. Depuis la rupture avec sa famille, le prince a connu une série de déboires, dont les plus récents, en mars, concernent une association caritative, Sentebale, qu’il a co-fondée en 2006 en mémoire de sa mère, la princesse Diana. L’objectif de l’association est d’aider les enfants pauvres et les orphelins – notamment ceux qui ont perdu leurs parents à cause du SIDA – du Lesotho, royaume enclavé complètement entouré par le territoire de l’Afrique du Sud. Or, Harry et ses coadministrateurs sont accusés de mauvaise gestion et même de racisme sexiste – « misogynoir » – par la présidente de l’association. Harry et ses collègues ont démissionné. Au mois de février, réagissant au fait que la procédure d’obtention du visa américain de Harry présentait des irrégularités, le président Trump – bon prince ? – a refusé de l’expulser, car selon lui Harry aurait « déjà assez de problèmes avec son épouse. Elle est affreuse » (« She’s terrible »). Ce faisant, Trump a compris qu’il pouvait plaire au public britannique et même à la famille royale qui n’ont aucune envie de voir Harry revenir dans son pays natal. C’est ainsi que les voies de la diplomatie britannique restent quelque peu à part dans le monde contemporain.

On en a marre des Suédois!

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Le pilote jordanien Muath al-Kasasbeh, exécuté par l'Etat islamique. DR.

Le procès d’Osama Krayem s’ouvrira le 4 juin à Stockholm. Originaire de Malmö, dans le sud de la Suède, il avait rejoint les rangs de l’État islamique, en Syrie, en 2014, avant de revenir en Europe. Déjà condamné pour son implication dans les attentats de Paris en 2015 et de Bruxelles en 2016, il a été remis à la Suède par la France le 12 mars. Hier, la Suède l’a officiellement inculpé pour son rôle dans l’exécution macabre du pilote jordanien Muath al-Kasasbeh, brûlé vif dans une cage. Une fois le procès terminé, il retournera en France pour y purger sa peine.


En 2005, la Suède met en avant, avec la candeur qui caractérise les sociétés confiantes en leur propre vertu, un documentaire intitulé Utan gränser – en film om idrott och integration (« Sans frontières – un film sur le sport et l’intégration »). Le film entend montrer comment, à travers le sport, des enfants issus de l’immigration peuvent s’insérer harmonieusement dans la société suédoise. Il célèbre la paix sociale par l’inclusion, l’idéal suédois d’un multiculturalisme paisible, désidéologisé, presque technique. À l’écran : deux jeunes garçons de Rosengård (« jardins de Roses »), quartier populaire « multiculturel » de Malmö, jouent au football, rient, s’expriment en suédois impeccable. Parmi eux, Osama Krayem, onze ans à l’époque, né en 1992 en Suède dans une famille de réfugiés palestiniens venus de Syrie. Pour les réalisateurs comme pour les autorités, il est un symbole prometteur : intégré, enraciné, à l’image d’une Suède généreuse et inclusive, unie autour du ballon rond.

Propagandiste

Neuf ans plus tard, Osama Krayem quitte la Suède, en 2014, alors âgé de 22 ans, pour rejoindre les rangs de l’organisation État islamique (EI) en Syrie. Il est l’un des premiers djihadistes suédois à faire ce choix, influencé notamment par les prêches d’Anwar al-Awlaki, figure centrale de la propagande islamiste. En janvier 2015, une photo postée sur Facebook le montre armé d’un AK-47, en treillis, devant un drapeau noir de l’EI à Deir ez-Zor. En Syrie, Krayem aurait participé à la production de contenus de propagande et au recrutement de nouveaux combattants étrangers. Il est surtout soupçonné d’avoir pris part directement à l’une des exécutions les plus macabres de l’EI : celle du pilote jordanien Muath al-Kasasbeh, brûlé vif dans une cage, filmé dans un dispositif monstrueux, diffusé comme une opération de communication.

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Arrêté à Bruxelles en avril 2016, Krayem est inculpé pour son rôle présumé dans les attentats de Paris (novembre 2015) et de Bruxelles (mars 2016), où il aurait été impliqué dans la logistique des attaques. En 2022, il est condamné à trente ans de réclusion criminelle en France. Aujourd’hui (mardi), un Parquet suédois a déposé un acte d’accusation contre Krayem. Le même homme que la Suède présentait naguère comme modèle d’intégration s’est retrouvé au cœur de la matrice de la terreur islamiste mondiale.

Cocktail explosif

Ce retournement spectaculaire ne peut être compris sans un regard plus large sur les dynamiques migratoires et sociales à l’œuvre en Suède. Le pays a accueilli, depuis les années 1990, un grand nombre de réfugiés palestiniens, notamment en provenance du Liban, d’Irak et, plus récemment, de Syrie. Ces communautés, bien que souvent installées dans des quartiers périphériques comme Rosengård, ont longtemps bénéficié de politiques sociales généreuses, d’un accès à l’éducation et d’un environnement politiquement favorable. Cependant, en trente ans, Malmö, troisième ville de Suède, a vu l’idéal progressiste suédois se transformer sous l’effet d’une immigration massive et mal encadrée, en particulier en provenance du Moyen-Orient. Jadis symbole de tolérance et de diversité, la ville est aujourd’hui marquée par une criminalité liée aux gangs, qui y prospèrent sur fond de trafics et de règlements de compte violents, dans un contexte de séparatisme et d’autoghettoïsation. Les autorités locales peinent à contenir une situation où les tensions communautaires, les discours islamistes et l’hostilité croissante envers l’État suédois forment un cocktail explosif. Malmö incarne désormais l’enfer d’un modèle d’intégration qui, à force de nier les différences culturelles, a laissé se développer une société dans la société.

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C’est dans cette faille que s’engouffrent les récits de rupture, ceux de la radicalisation. Le cas de Krayem n’est pas isolé : près de 300 personnes ont quitté la Suède pour rejoindre des groupes djihadistes en Syrie ou en Irak, selon les services de renseignement. Certains analystes estiment même que le nombre réel est plus élevé encore. Ces départs posent la question de ce qui pousse des jeunes, souvent nés en Suède, éduqués dans ses écoles et entraînés sur ses terrains de football, à tourner le dos à la société qui a accueilli leurs parents et les a formés, en espérant développer chez eux un sentiment d’appartenance à cette nouvelle patrie.

Le parcours d’Osama Krayem est d’autant plus troublant qu’il semble avoir coché toutes les cases d’une bonne intégration : maîtrise de la langue, scolarisation, sport, visibilité médiatique, reconnaissance… mais pour certains, rien ne semble jamais suffisant.

Des mensonges avec de bonnes intentions

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Des familles palestiniennes fuient Khan Yunis dans le sud de la bande de Gaza au milieu de lourdes attaques israéliennes et d'une offensive militaire croissante sur Gaza, le mardi 20 mai 2025. Dans la vignette, Joseph Nye (1937-2025) © UPI/Newscom/SIPA © Fuminori Ogane/AP/SIPA

Au cours de son histoire, l’État d’Israël a déjà été confronté à plusieurs reprises aux faiblesses de son soft power, nous rappelle notre chroniqueur.


Soft power et échecs d’Israël

Le décès de Joseph Nye (en haut à gauche sur notre illustration), il y a deux semaines, est passé inaperçu dans notre pays. Il était considéré aux États-Unis comme l’un des plus influents politistes de son temps. Il avait théorisé le concept de « soft power », suivant lequel dans le monde moderne la puissance militaire n’était pas tout, car la puissance américaine reposait aussi sur l’attraction qu’exerçaient dans le monde son cinéma, sa musique, ses universités, ses promesses informatiques et ses valeurs démocratiques. Son livre publié en 1990 (1) ouvrait une décennie d’illusions enchantées, celle de la libération des pays sous tutelle communiste, celle des espoirs de paix au Proche-Orient, celle de la fin de l’Histoire sous couvert de la toute puissance américaine et de son modèle apparemment irrésistible de démocratie libérale. Nous avons beaucoup déchanté…

Vivre ensemble… avec les Frères musulmans ?

C’est au Qatar qu’est aujourd’hui l’adresse du soft power islamiste, ce pays minuscule et richissime qui a su attirer chez lui une Coupe du monde aberrante sur le plan éthique et écologique, ce sponsor bienveillant et intéressé de clubs sportifs, de leaders d’opinion, d’agences d’information, d’universités occidentales prestigieuses ou de politiciens parmi lesquels se détache aujourd’hui un président des États-Unis en personne. Ce pays finance aussi d’innombrables petites mains venant porter sur les campus, les mosquées et les réseaux sociaux la parole des Frères musulmans, dont le Hamas est aujourd’hui un brillant représentant et dont l’imam Qaradawi, en résidence à Doha et récemment décédé, se distinguait par sa violence antisémite tout en étant largement présenté comme un apôtre du « Vivre ensemble ».

À l’époque des réseaux sociaux, de l’information instantanée et de la post-vérité, le soft power, c’est avant tout la maitrise du discours. La bataille que mène Israël contre le Hamas est très difficile. Nous espérons qu’il va la gagner et que ce faisant, il va sauver les otages. Mais la guerre des mots qui double cette guerre des armes, la guerre du soft power, Israël semble l’avoir perdue et rarement cette défaite a été aussi patente que ces dernières semaines.

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La défaite verbale la plus grave, concerne le mot génocide. Quand, en décembre 2023, l’Afrique du Sud lança à la Cour internationale de Justice (2) une requête prétendant qu’Israël commettait un génocide, cette accusation paraissait grotesque. On a d’ailleurs appris plus tard, par des travaux d’instituts de recherche, que l’Afrique du Sud alors en débâcle économique, avait reçu des aides financières avant le dépôt de sa plainte, qui aurait été coordonnée avec l’Iran et le Qatar. La caractéristique d’intentionnalité, indispensable à la notion juridique de génocide, ne reposait que sur deux ou trois déclarations de responsables israéliens, parmi lesquels le président Herzog, un modéré peu suspect de nourrir des intentions exterminatrices, des déclarations banales prononcées sous le coup de l’émotion suscitée par les atrocités du 7-Octobre.

Mais les juges de la CIJ, nommés en fonctions d’équilibres politiques internationaux identiques à ceux de l’ONU, ne voulaient pas paraitre se désintéresser des Gazaouis bombardés. Ils ont préféré ne pas rejeter la requête, et ont différé leur jugement à plus tard, en assortissant leur décision de préconisations à Israël pour ne pas rendre plus plausible l’accusation, en particulier de laisser passer une aide alimentaire.

Les mots de la mémoire juive retournés contre Israël

Ce fut fait, mais comme la CIJ n’avait pas explicitement rejeté l’accusation de génocide, celle-ci a pu prospérer et s’est indûment parée de l’autorité de cette instance internationale de référence. Ceux qui ont été au Rwanda savent ce qu’est un génocide Mais accuser Israël de génocide, c’est aussi retirer aux Juifs le bénéfice moral d’avoir été les victimes de la Shoah. Le génocidé génocideur, l’image semble titiller certaines consciences…

Le langage, a écrit Bourdieu, est un champ de luttes et les mots y sont investis d’un capital symbolique. Même si rien, en dehors de quelques remarques particulièrement débiles et répugnantes de quelques députés de la coalition au pouvoir en Israël, ne vient étayer une volonté de génocide, le mot a fini par se banaliser à l’égard d’Israël. Goebbels avait dit qu’un mensonge suffisamment répété devient une vérité. Israël est désormais accusé de génocide comme si c’était une évidence et le journaliste Gilles Bouleau qui interroge Emmanuel Macron en est tellement convaincu qu’il s’étonne que celui-ci laisse la réponse aux historiens… Et pourtant, il s’agit d’un mensonge particulièrement éhonté.

Israël affame-t-il Gaza ?

Une autre défaite majeure concerne l’accusation d’affamer les Gazaouis. Le spectre d’une famine imminente a été lancé à l’ONU dès les premières semaines de la guerre, notamment par le Secrétaire général António Guterres. Toute association humanitaire qui aurait apporté des nuances aurait été qualifiée de sioniste, un terme déshonorant qui interdit de faire carrière à l’ONU.

Il y a vingt ans, Agnès Callamard postait un tweet prétendant que Shimon Peres avait reconnu qu’Israël avait assassiné Arafat. Dans son interview au New York Times, le président israélien avait dit exactement le contraire. Cette diffamation n’a pas empêché la jeune femme de devenir Secrétaire générale d’Amnesty International, avec l’objectivité qu’on imagine…

À lire aussi : Les Frères musulmans et l’art du mensonge victimaire: l’exemple du Hamas

Il y a une semaine, Tom Fletcher, sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires humanitaires, déclare à la BBC que 14 000 bébés vont mourir dans les 48h si l’ONU ne leur apporte pas le lait dont ils ont besoin. Le rapport sur lequel il s’appuyait faisait état d’un risque de dénutrition mortelle au bout d’un an si la situation alimentaire continuait. Un an, c’est trop long, 48h, cela imprime plus les esprits.

Il en est de même des photos d’une petite fille turque mourant de faim et d’un enfant palestinien décharné atteint de mucoviscidose circulant comme preuves de la dénutrition à Gaza. C’est probablement ce qu’à l’époque de l’enfant al-Durra, l’inénarrable Charles Enderlin appelait la vérité du contexte, c’est-à-dire en clair, un mensonge avec de bonnes intentions…

Les services israéliens spécialisés mettent en place un nouveau système de distribution alimentaire qui exclut à peu près les services de l’ONU qui, évidemment, le vitupèrent d’avance. Mais les tares de l’ancien système étaient patentes, les cargaisons étant souvent accaparées soit par le Hamas soit par des gangs locaux et revendues à des prix exorbitants ou simplement stockées. Les quantités alimentaires qu’Israël a laissé entrer jusqu’au 2 mars représentaient environ 1800 tonnes par jour, c’est-à-dire suffisamment de calories pour éviter la famine de la population de Gaza, d’autant que la fourniture de produits précuits permet de surmonter le problème des manques de combustible. Il s’agit d’aliments non diversifiés, céréales, légumineuses et huile, mais la situation est incomparable avec celle qui existe au Soudan et qui ne mobilise aucunement le monde. No Jews, no news

À lire aussi : Mahmoud Abbas, négationniste multicartes

Cela ne signifie évidemment pas qu’il n’y a pas eu de cas de détresse alimentaire depuis que le blocus avait été établi, que la situation des Gazaouis n’est pas globalement dramatique et que tous les services israéliens ont mis un enthousiasme débordant à véhiculer l’aide alimentaire. C’est la guerre… Les images des cérémonies de remise des otages ne montrent cependant pas de participants ressemblant aux prisonniers de Buchenwald et le Hamas, qui a une responsabilité majeure dans les difficultés de distribution alimentaire, n’aurait pas manqué de les diffuser si de telles images existaient.

Il y a encore en Israël de rares appels à continuer à refuser l’aide alimentaire à Gaza tant que les otages ne sont pas rendus, alors que la période de blocus, si elle était prolongée, pourrait entraîner une situation vraiment catastrophique, mais Smotrich (3) lui-même a salué le lancement de cette aide. En tout cas, sur la durée du conflit, on n’a pas le droit de dire qu’Israël a affamé la population de Gaza.

Mais la manipulation narrative, élément clé du soft power, est une arme de guerre redoutable contre laquelle Israël, au long de ces cinquante dernières années, n’a pas su fabriquer de Dôme de Fer efficace…..


1 Bound To Lead, aux éditions Basic Books, 320 pages
2 Relire le papier de Jeremy Stubbs à ce sujet : Génocides à la carte. NDLR
3 Ministre des Finances et ministre au ministère de la Défense dans le gouvernement Netanyahou VI. Classé à l’extrême droite, il souhaite un État théocratique soumis à la loi religieuse et l’annexion de toute la Palestine historique.


État mental délabré. Et ta sœur ! répond Trump

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Bandy X. Lee psychiatre auteur du livre « Le cas dangereux de Donald Trump » et Donald Trump mimant une fellation au cours d'un meeting, le 1er novembre 2024 à Milwaukee © D.R.

Depuis 2017, une poignée de psychiatres américains, menée par Bandy X. Lee, alerte sur la supposée dangerosité mentale de Donald Trump. Leurs diagnostics ressurgissent régulièrement, toujours plus alarmants. Mais cette obsession à sens unique interroge: analyse scientifique ou croisade politique?


En 2017, déjà, ils étaient vingt-sept « experts », professionnels de santé, du genre psychiatres et autres sondeurs des boyaux de la tête, à considérer que le politicien milliardaire ne jouissait pas de toutes ses facultés mentales. De leurs cerveaux féconds était sortie une publication destinée à alerter les populations. « Le cas dangereux de Donald Trump », tel en était le titre.

Fixette

Certains d’entre eux s’empressent ces jours-ci de repartir à l’assaut, dont la psychiatre Bandy Lee qui, dans l’intervalle ; a tout de même publié trois livres sur ce sujet. On s’étonne : ne conviendrait-il pas d’interroger ses confrères – experts parmi les experts – afin de démêler si une telle fixette obsessionnelle ne serait pas révélatrice, elle aussi, d’un état mental quelque peu dérangé. J’ose la question parce qu’il me semble qu’une psy digne de ce nom, soucieuse de se faire de la réputation et accessoirement du pognon sur un tel thème, n’aurait pas manqué de publier aussi, pendant qu’elle y était, au moins trois ouvrages sur la manifeste fatigue neuronale du président alors en exercice, l’ébouriffant Joe Biden. Cela l’aurait au moins mise à l’abri d’un possible soupçon de préférence idéologique, et protégée de l’accusation de ne livrer qu’une approche entachée d’un biais fort peu conforme à l’esprit de la méthode « scientifique ».

Il est vrai, faut-il le reconnaître, que celui que Trump se plaisait à appeler Sleeping Joe – Joe l’endormi – n’a pas offert à cette observatrice ou à ses semblables autant d’angles d’attaque que son rival.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli : S’adapter ou mourir

Il est clair que ce dernier a souvent poussé le bouchon un peu loin, déchaînant chaque fois une volée de diagnostics des plus inquiétants. Cela se produisit notamment dans la foulée d’un certain meeting de novembre 2024.

Voilà bien, que devant un public nombreux, dans l’état fort convenable, dit-on, du Wisconsin, l’orateur serait allé jusqu’à mimer une fellation. Carrément. My God !

C’est alors que les tenants du psychanalytiquement correct s’enflamment. La folie guette ! Ou si ce n’est la folie, la débilité mentale à un stade avancé ! Mimer une fellation, devant des gens ! Pensez donc. En plein Wisconsin, qui plus est ! On peut supposer qu’ils se seront appuyés sur ce que professe probablement l’insurpassable Sigmund Freud dans son chapitre traitant le sujet : « Fellation : mythe et représentation ». À condition bien sûr qu’un tel chapitre existe, ce que j’ignore.

L’heure est écoulée : c’est 100 €

Le fond de l’affaire est hélas fort clair et bien connu. Quand bien même le trublion Trump n’offrirait pas aussi complaisamment tant de motifs de le trouver bizarre, mieux encore se serait-il constamment montré aussi alerte et lucide que Joe l’assoupi – je rigole – sa remise en cause des pesanteurs du système, de l’État profond, son combat impitoyable contre ce terrorisme mental délétère qu’est le wokisme, sa proximité avec le génial allumé Elon Musk et cette autre personnalité assez hors normes qu’est Vance, tout cela, disais-je, aurait été retenu par Madame Bandy Lee et son orchestre comme autant de symptômes de déficience intellectuelle et cérébrale. C’est l’évidence même.

Bien sûr, j’ignore si l’intéressé se fend face à cela du « Et ta sœur ! » que je viens de me permettre, mais je pense que, étant donc un adepte du mime, il serait tout à fait fondé à passer de la fellation au bras d’honneur.

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2005-2025, un référendum qui ne passe pas

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Philippe de Villiers, chef du Mouvement pour la France, prononce un discours au siège du parti après le vote contre la ratification de la Constitution européenne à Paris, le 29/05/2005 © DURAND FLORENCE/SIPA

En contournant le vote des citoyens via le Traité de Lisbonne, les élites ont bafoué la souveraineté populaire. Depuis le « non » de 2005, aucun président de la République ne peut plus se risquer à recourir au référendum.


Le 29 mai prochain marquera les vingt ans du référendum de 2005 par lequel la France a rejeté le projet de Constitution européenne. Le non-respect de ce vote solennel, par le Parlement réuni en congrès à Versailles le 7 février 2008 représente une violation accomplie de « l’État de Droit », de ce même État de droit qui est pourtant sans cesse revendiqué par ceux-là mêmes qui l’ont sciemment violé. Avec des conséquences d’une actualité brûlante.
La raison en est simple : en refusant en 2005 la Constitution qu’on lui proposait, le peuple français a rejeté notamment a) la création d’une Europe dotée d’une personnalité juridique supranationale et autonome b) toute possibilité d’une suprématie du droit issu de cette Europe sur la propre constitution de la France c) la possibilité d’imposer à la France des lois dotées de cette suprématie y compris sans qu’elle ait même participé à leur initiative d) la possibilité pour la France de n’avoir aucun commissaire à la Commission, pendant cinq années au moins tous les dix ans e) l’assujettissement de l’Europe, en matière de défense, aux politiques définies dans le cadre de l’OTAN f) la définition, arbitraire et subreptice, par une minorité agissante, de droits fondamentaux jamais débattus en pleine lumière et fondés sur un relativisme militant g) l’érection de l’Europe en un système idéologique de valeurs prétendument universelles sans aucune véritable référence à un héritage ou à des frontières historiques.
Or tous ces éléments ont été repris, à la virgule près, par le prétendu mini-traité, dont l’adoption a constitué une tromperie organisée. Et si tous les Etats ont encore aujourd’hui un représentant à la commission, c’est une situation temporaire issue d’une concession que le Conseil européen avait dû faire en 2008 pour obtenir le vote de l’Irlande (notons au passage que cette concession est déjà en elle-même contraire au traité).

À lire aussi, Céline Pina : Identité nationale: dessine-moi un Français

Aujourd’hui, vingt ans après la signature de ce « mini-traité » dans le dos des Français, les conséquences se font sentir de plus en plus clairement dans de nombreux domaines.
En matière de défense par exemple, la sujétion de la politique de défense de l’UE à l’OTAN, admise discrètement dans le traité, risque de se retourner contre l’UE dans l’hypothèse où les Etats-Unis  se détournent du conflit en Ukraine, entrainant de facto le retrait de l’OTAN puisqu’ils en sont le principal pilier. L’UE ne pourrait alors continuer seule cette guerre sans violer le traité.
Sur le terrain politique hexagonal, peu de gens ont remarqué que la récente condamnation de Mme Le Pen, en dernière analyse, découle en partie du traité de Lisbonne. En effet, un député européen n’est désormais plus élu par la France pour agir au sein de l’UE, mais en France, pour porter la voix de l’Europe. Le travail des assistants parlementaires en est évidemment bouleversé, et c’est possiblement ce que n’a pas vu le RN.
Enfin, tandis que certains réclament un référendum sur l’immigration pour contester les règles de l’UE, ils ne réalisent pas que la décision issue de ce référendum sera systématiquement écartée car le droit européen est désormais supérieur y compris à la Constitution des États. Un tel référendum ne pourrait se donner pour objectif que de constituer un moyen de pression pour renégocier le Traité.
Car le débat de la sortie du traité de Lisbonne doit impérativement être relancé. La France ne peut continuer sans risques de vivre sur la trahison démocratique absolue de 2007-2008.

Poupée de cul, poupée de son : les poupées sexuelles à l’âge de l’intelligence artificielle

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© D.R.

Le défi des nouvelles générations de poupées sexuelles ? Développer des relations émotionnelles riches et authentiques avec leurs utilisateurs.


Oubliez les vieilleries inertes d’autrefois : des entreprises spécialisées1 nous proposent désormais des love dolls à la pointe du progrès informatique, capables de réagir aux mouvements et de tenir une discussion. Elles peuvent même vous sourire ou cligner des yeux ! Alors, comment ne pas en tomber amoureux ?

Parlons plastique

Après les livres et les œuvres d’art, ce sont donc nos sex-toys à visage humain qui se retrouvent fourrées comme des dindes d’intelligence artificielle. C’est plus juste Deepseek, c’est Deep Throat. Les codes informatiques au service du cul et de la romance. Remarquez, c’est beaucoup plus sain que de leur faire chanter du Céline Dion. Fini le pignolage malheureux, Barbie s’occupe de tout. Qui se soucie ensuite de conquête spatiale quand on peut baiser avec ChatGPT ? Elon Musk peut bien aller se tirer la nouille sur Mars si ça lui chante, la seule vraie question est de savoir si pour 3000 euros je peux m’offrir Scarlett Johansson à trente ans et pour toujours. Je la rangerais avec mon vélo électrique. Nous serions très amoureux.

Mais parlons sérieusement, parlons plastique. J’ai connu un temps où les poupées sexuelles tenaient davantage du matelas gonflable que de Miss France. Tout cela est balayé. On regarde le menu. L’emballage vaut le détour. Il suffit de choisir. La rotondité du cul. L’angle des seins. Il y a trop de poils ou pas assez. L’œil un peu moins bleu. Attention à la couleur de la peau… Je me demande si on a le droit de leur donner le visage de nos ex. On les retoucherait légèrement. Je n’ai jamais osé le lui avouer, mais ses oreilles étaient trop décollées. Son cou trop large. Je préfère les blondes. On pourrait comme ça arranger le passé. Ce serait nos regrets, mais en mieux.

Beauté intérieure

Néanmoins, comme pour toute relation sérieuse, c’est la beauté intérieure qui compte. C’est ici que la magie de l’intelligence artificielle opère. On nous vend désormais une expérience immersive. Une fausse relation avec de fausses personnes douées de paroles. Les meilleures poupées savent tailler des pipes et la bavette. Chouette, on va enfin pouvoir parler de Proust avec nos objets sexuels… Ou se faire chier comme avec nos collègues de bureau. Cerise sur le gâteau, ça gémit quand on les touche. Et si leur personnalité ne vous convient pas, il suffit de la changer. Hop, comme ça, d’un claquement de doigts. Comme on zappe d’une émission à l’autre. Hier, la télévision berçait nos soirées de célibataires. Aujourd’hui, à la place de Karine Le Marchand, on a un orgasme avec un robot à forte poitrine qui sait dire « baise-moi » en chinois.

À lire aussi : Sexe: le retour de bâton

Quant aux écologistes, qu’ils se rassurent, certaines entreprises utilisent l’élastomère thermoplastique (TPE), un matériau écologique de dernière génération. J’attends la poupée sexuelle Label bio. Même elle devient plus écoresponsable que je ne le suis. Un jour, elle va nous reprocher notre bilan carbone en pleine levrette. « Vous avez pris l’avion trois fois cette année pour partir aux Maldives ! Ce n’est pas bon ça, Jean-Charles, ce n’est pas bon. Vous vous rendez compte que ça représente 0,000 76 % de la consommation en CO2 de tout le continent africain. Ahlala, petit coquinou ! Bon, on termine sur la turlute norvégienne, comme d’habitude » ? Puis un beau matin, sans crier gare, elle va filer voter Sandrine Rousseau aux présidentielles. On pourra ensuite recycler notre écolo-plastique-sexuelle en joint de douche à condition de l’avoir soigneusement déposée dans la poubelle jaune. C’est la réincarnation karmique à l’échelle de nos amours sur catalogue.

Combattre l’isolement social

Oh, je ne critique pas. J’ai l’esprit ouvert. Il parait que c’est thérapeutique. Thé-ra-peu-tique, vous dis-je ! On ne fait pas dans le vice nous, Monsieur, on fait dans l’intérêt général. On combat l’isolement social. Hé ouais, carrément. D’ailleurs, il y a eu une vraie explosion des ventes en 2020, pendant les périodes de confinement. La love doll, encore plus hygiénique qu’un masque FFP2. Et puis, avouons-le, c’est bien mieux qu’un chien. D’ailleurs l’État devrait soutenir l’industrie de la poupée pour adultes. Je suis sûr que ça peut diminuer les harcèlements de rue ou les agressions sexuelles. Vive les attouchements sans abus ni victime ! Un peu de silicone et nos délinquants se vident les c******* de manière éthique. C’est aussi un service à rendre à nos handicapés. On réduirait le taux suicide dans la population en général. On serait tous plus heureux. Comme on est en France, on peut espérer des crédits d’impôt d’ici 2030.

Je vous vois venir… Vous êtes sceptiques…. Vous vous moquez… Mais au fond n’est-ce pas simplement l’étape d’après de nos amours virtuelles ? Je ne parle pas de rapports à distance entre êtres humains. De courriels enflammés et autres virements bancaires à nos Brad Pitt de Bamako. Non, je parle de l’amour vrai grâce à des applications. Le sexe par messages interposés avec les programmes informatiques les plus chauds de votre région. Comme dans les anciens films de SF, réduits aujourd’hui à l’état de reportage de société has been. Il faut dire que vu le temps que l’on passe derrière nos écrans, nous devenons nous-mêmes presque fictifs. Il est dès lors normal que nos ardeurs restent imaginaires. Selon le National Geographic, c’est « un phénomène qui prend de l’ampleur. Plusieurs millions de personnes vivent des relations passionnelles avec des avatars ». Les intelligences artificielles savent générer des « photos souvenirs » personnalisées. Vous pouvez les appeler par téléphone. Elles vous accompagnent dans vos deuils et vous conseillent pour décrocher une augmentation. Toujours dans l’article du National Geographic, il y a même un type qui s’est créé une deuxième maîtresse virtuelle afin de se détacher de sa première maitresse virtuelle, soutenu par une psy, elle aussi virtuelle, qui l’aide à réfléchir au sens de la vie. Comment voulez-vous qu’un romancier puisse lutter contre ça ? C’est plus fort que du Balzac. Mais c’est assez compréhensible. On n’aime jamais mieux que ce qui n’existe pas vraiment.

Grâce à nos poupées sexuelles dopées à l’intelligence artificielle, on transpose juste notre rêve dans une enveloppe physique. Si possible, demain, avec un peu de robotique pour que ça vous accompagne faire les courses et vous aide pour le ménage. Les féministes seront ravies. Nous tiendrons enfin là l’homme déconstruit. Il suffira de l’assembler dans une usine. L’avenir s’annonce radieux. Je suis certain que dans dix ou vingt ans, prendre le thé en public avec nos poupées sexuelles ne sera pas plus inconvenant que d’aller promener son chien. Ce n’est plus le vrai qui sera un moment du faux, mais nos existences entières.

Une amie pour la vie

En 2040, on proposera surement des thérapies de couple pour nous aider dans nos échanges passifs-agressifs avec nos robots. Et puis avec les progrès, ces ultimes frictions préhistoriques disparaitront doucement. On réglera nos amours comme on règle au degré près la température de nos climatiseurs. L’invention de quelqu’un qui ne soit pas décevant serait la révolution la plus importante de l’humanité.

À lire aussi : Prostitution: plongée dans la maison de poupées

Au stade ultime de leur évolution, espérerons que nos nouveaux biens de compagnie étendent leur empire jusqu’à des relations moins romantiques. On s’achètera les amis que l’on n’a jamais eus. Les disparus avant d’avoir existé. Les frères et les sœurs que l’on s’est rêvé enfant, et même plus tard, lorsqu’on était seuls et tristes dans un studio d’étudiant. La poupée sexuelle platonique sera enfin cet ami qui nous sauvera la vie. Nous pourrons auprès d’elles éviter nos semblables. Ces individus biologiques nous feront horreur. On se croisera éventuellement dans les rues, les trains, les cinémas ou les aéroports. Nous serons incertains de notre humanité. Pourquoi vouloir plus ? On sera seuls sans l’être tout à fait. On aura pour compagnie des mannequins plus beaux que nous. Il faudra évidemment leur apprendre la mélancolie. Je pourrais faire semblant de partager mes bières avec Samantha, ma meilleure-pote-sex-friend-robotique pour toute la vie. On écoutera du Lou Reed. Je me vois bien me promener à l’aube, en lui tenant la main.


  1. Pour en savoir plus :
    https://intelligence-artificielle.developpez.com/actu/349796/Des-futurologues-predisent-que-les-robots-sexuels-pilotes-par-l-IA-remplaceront-les-relations-humaines-mais-les-critiques-mettent-en-garde-contre-les-dangers-potentiels-dont-la-dependance/
    https://www.youtube.com/watch?v=oOVDSAQ6vLk&ab_channel=RTSInfo
    https://intelligence-artificielle.com/top-5-robots-sexuels-ia/ ↩︎

C’est foutu !

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Depuis lundi, des chauffeurs de taxi, venus de toute la France, se réunissent au cœur de Paris, boulevard Raspail, à proximité du célèbre hôtel "Le Lutetia", pour protester contre les mesures gouvernementales prévues pour le transport des malades © HOUPLINE-RENARD/SIPA

La dépression gagne du terrain. Dans les bistrots, au bureau, lors des dîners de famille ou entre copains, la réaction est toujours la même : « C’est vraiment foutu. »


Non pas que les Français soient fondamentalement pessimistes, mais même s’ils souhaitent un changement et espèrent vivement que la France se remette d’une longue maladie, ils n’y croient plus. Car personne ne semble avoir d’autre solution que les sempiternels « y’a qu’à », chers aux professionnels du commentaire. Les allocutions rassurantes d’hommes politiques ambitieux, qui promettent que tout va changer avec eux, ne convainquent plus personne. Car, derrière ces bonnes volontés affichées, il n’y a pas l’ombre d’une méthode : comment fait-on, concrètement ?
Lorsqu’ils ont un objectif à atteindre, tous les chefs d’entreprise du monde élaborent des plans précis, intégrant les salariés, les parties prenantes, les délais nécessaires, les réformes à engager et les process à mettre en place dans les moindres détails. Actuellement, nous n’avons ni projet, ni vision constructive : quel pays voulons-nous ?
On entend seulement une litanie d’objectifs abstraits : diminuer l’immigration, remettre l’école à niveau, restaurer l’autorité, donner des moyens (?) aux hôpitaux, réindustrialiser, travailler plus (!) — mais sans toucher aux retraites (attendons les résultats d’un conclave sans pape façon Foir’Fouille…) ; travailler plus, mais pourquoi pas avec la semaine de quatre jours ! Restaurer la sécurité, faire plus d’enfants grâce à une semaine de congés « en promo » pour encourager les couples (sic)… et j’en passe.
Quant à la dette, elle devrait miraculeusement diminuer, sans augmenter les impôts, mais avec les efforts de chacun.

Les taxis en colère

Le tout dernier exemple : la bonne idée de réduire les dépenses de santé liées aux transports sanitaires. Il s’agit d’économiser sur les 6,3 milliards d’euros de dépenses annuelles, dont 3 milliards en taxis. Objectif : 300 millions d’euros d’économies sur les 40 milliards recherchés en tout pour le Budget.
Réduire cette dépense revient à diminuer les revenus des taxis. Devinez ce qu’il advient ? Les taxis descendent dans la rue. Ils demandent simplement un médiateur et d’être consultés. Après cinq jours de blocage (il fallait bien ça…), le Premier ministre en personne se rend au ministère des Transports. Il en ressort en annonçant – ce qui est qualifié de « grande avancée » – qu’on va désormais se concerter… tout en maintenant la somme à économiser, bien sûr. On lui laisse le bénéfice du doute. D’ici là, les mêmes taxis reviendront manifester pour un autre sujet : les conditions d’exercice illégal de leur métier par des VTC que l’État ne contrôle pas.
Tout cela pour une microscopique réforme. Alors, quand il faudra passer aux choses sérieuses…

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À force d’empiler et d’imbriquer les stupidités et les maladresses, la France – et son administration en particulier – est devenue une sorte de Mikado géant où il est presque impossible de bouger un bâtonnet sans faire tout tomber. Cette semaine, c’est au tour des agriculteurs, que l’on mène en bateau sans scrupule : on leur retire ce qu’on leur avait accordé, et on envisage d’interdire un insecticide utilisé, semble-t-il, dans toute l’Europe. Ensuite, on s’occupera de la loi de finances, etc.
Voilà pourquoi – et c’est nouveau – les Français accordent désormais leur confiance aux chefs d’entreprise pour prendre les bonnes décisions.1 Un chef d’entreprise sait redresser une entreprise, faire des économies, et surtout, il inspire plus confiance que les politiques. Vers qui se tourner, sinon ? Certes, un chef d’entreprise a de réelles compétences, mais il ne sait pas faire de politique – tout comme un politique ne sait pas ce qu’est une entreprise.
Le mouvement patronal ETHIC vient donc de lancer une initiative : proposer aux députés une immersion en entreprise, une sorte de formation accélérée, en prise directe avec le terrain. Une initiative qui ne peut être que bénéfique. Les entrepreneurs sont tous d’accord.
D’autres pays ont réussi à se réformer. Pourquoi pas nous ? En France, les changements ne se produisent qu’à coups de révolutions. Alors, quand aura lieu la prochaine ?
Elle arrive, nous dit-on, d’un air accablé. Mais une révolution, c’est une révolte contre les autres… Quels autres ? Tout le monde est contre tout le monde. La demande d’autorité est immense, et pourtant, nos dirigeants politiques sont incapables d’en faire preuve à bon escient. Sans compter que l’autorité, c’est bien, à condition qu’elle ne soit pas exercée par des extrémistes — qui tiennent, chez nous, le haut du pavé des manifs.
Comment tenir encore deux ans avec des journaux qui titrent tous les deux jours sur les ambitions présidentielles de ceux qui ne pensent qu’à se positionner sur la ligne de départ ?

La France sens dessus dessous !

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  1. Les Français font davantage confiance aux entreprises qu’aux institutions politiques, d’après un sondage, Le Figaro, le 16 février 2025 ↩︎

Un projet d’Alyah

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Des Israéliens accueillent et célèbrent l’arrivée de Juifs immigrés de France à l’aéroport Ben Gourion, à Lod, près de Tel Aviv, en Israël, le 20 juillet 2016 © Heidi Levine/SIPA

Cette lettre d’Alyah (immigration vers Israël), à la fois lucide et poignante, explore un choix intime de partir vivre en Israël sans illusions ni rejet de la France, dans un monde en guerre.


C’est une lettre d’Alyah qui constitue ma chronique d’aujourd’hui. Elle n’est pas la réaction à des actes ou des paroles antisémites ni le fruit d’un enthousiasme infini, moins encore d’un rejet de la France. Je ne donne pas le nom de son autrice, que certains reconnaitront. J’ai trouvé que dans son refus d’illusions ce texte montre que l’Alyah, quelles que soient les options personnelles, politiques ou religieuses, de celui ou celle qui s’y engage, est avant tout le choix d’un certain dépassement, il s’agit de donner un sens à sa vie, assumer le passé et partager le futur. 

Voici cette lettre :

« Ca y est, nous avons pris une décision importante : cet été, nous partons vivre en Israël !

Cette décision n’est pas anodine et ceux qui me connaissent savent qu’elle était loin d’être évidente. Je ne l’avais jamais sérieusement envisagée jusqu’à ce qu’elle s’impose à moi comme une évidence. 

Je ne sais quoi répondre quand on me félicite ou qu’on m’interroge sur le choix de retirer mes enfants d’un environnement paisible et confortable, pour les amener dans un pays en guerre et en deuil, dont ils ne connaissent ni la langue, ni les codes et que le monde entier honnit et conspue avec une haine souvent viscérale.

Ceux qui ont une lecture de l’identité juive un peu distante ont souvent du mal à en comprendre les nombreux paradoxes: comment peut-on être profondément Juif sans croire en Dieu, profondément sioniste en rejetant la politique du gouvernement; comment peut-on soutenir Tsahal et vouloir la paix, comment peut-on se dire sioniste et pro palestinien? Comment peut-on aimer la France et la quitter ? Comment peut-on craindre pour la survie d’Israël et y plonger ses enfants…???

Dans mon esprit d’ashkénaze pessimiste, si le pire est certain, la seule question qui mérite d’être posée est comment s’y préparer au mieux possible. Longtemps, nous avions envisagé de partir loin des conflits que le monde s’apprête à vivre. Nous avons pensé au Canada, à la Floride ou au Brésil… Mais en vérité notre seul refuge, c’est Israël. Et si ce refuge est lui-même en danger, alors notre place est là-bas, pour apporter notre petite pierre à un pays qui est aussi une idée, et qui aujourd’hui risque d’être détruit de l’intérieur autant que de l’extérieur…

La décision de partir s’était immiscée dans notre esprit après les élections législatives. La France sera écartelée entre une extrême droite et une extrême gauche qui ont beaucoup en commun, à commencer par le fait d’abriter certaines personnes, élus et électeurs, qui haïssent plus ou moins ouvertement les Juifs et Israël. L’histoire nous a appris que quand ça pue la merde c’est qu’elle n’est pas loin et que étrangement les Juifs sont souvent les premiers à se la prendre dans la gueule. Plutôt que de choisir entre la peste et le choléra, il vaut mieux partir. 

A lire aussi, Charles Rojzman: Les Frères musulmans et l’art du mensonge victimaire: l’exemple du Hamas

Et en même temps… je ne veux pas laisser croire que je « quitte » la France ; je suis profondément française dans ma culture et mes valeurs, j’ai une reconnaissance infinie pour l’accueil qu’elle a fait à mes grands-parents, pour l’éducation, la sécurité et les opportunités qu’elle nous a offertes. J’espère ne jamais dénigrer ce pays qui m’a tant donné ! 

Je ne quitte donc pas la France par rejet et je ne rejoins pas non plus Israël par idéal sioniste et espoir d’un avenir meilleur. Si je suis honnête, la raison profonde est peut-être plus simple et égoïste : nous avons besoin d’un nouveau souffle, d’ouvrir un nouveau chapitre et de recommencer à faire des projets, à nous engager, à agir et à donner du sens à ce que nous faisons…

Je ne me fais pas d’illusions sur Israël. La réalité y est dure, les fractures sont profondes, les manières de se sentir Juif et les valeurs qui s’expriment sont souvent éloignées des miennes. Il y a au pouvoir des opportunistes sans scrupules et des racistes fanatiques, les tensions entre religieux et laïques menacent la cohésion du pays et les perspectives de paix et de cohabitation avec les Palestiniens font figure d’un mirage, au mieux naïf, au pire suicidaire.

Et pourtant, malgré cela, nous avons décidé d’y déposer nos bagages, d’y construire notre avenir et celui de nos enfants car malgré ses contradictions, ses douleurs et ses dérives, Israël reste notre seul et unique ancrage. Il y a mille façons d’être Juif, mais Israël est unique. »

Il est difficile de s’installer dans un pays en guerre, plus difficile encore quand ce pays est critiqué de toutes parts… et Israël n’a jamais été aussi critiqué qu’au cours de la semaine où ce texte a été écrit.

On a même vu des citoyens israéliens prestigieux porter des accusations dramatiques. Car je suis abasourdi par ce que viennent de dire certains opposants politiques au gouvernement, et en particulier Yaïr Golan, chef du Meretz. S’il prouve que ce qu’il a dit est vrai et, si ces faits ignobles (s’amuser à tuer des bébés palestiniens) n’ont pas été très lourdement punis, c’est catastrophique pour l’image que nous avons d’Israël. S’il ne le prouve pas, cela détruit l’image très respectable jusque-là du général Golan lui-même, héros du 7-Octobre, qu’elle place au niveau le plus méprisable de la diffamation politique.

Le hasard a voulu que, au cours de la même semaine, nous ayons appris l’ampleur des ambitions des Frères musulmans pour la France. Que ce soit dans le rapport déclassifié issu de l’enquête provenant des services de renseignement et adressée au ministre de l’Intérieur ou, à Fondapol, dans le témoignage du Préfet des Hauts-de-Seine, ancien directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur, les conclusions se rejoignent: les objectifs des Frères musulmans en France ne relèvent pas d’un projet séparatiste, mais ils visent à une domination culturelle et à terme politique du pays. Celle-ci, cela va sans dire, serait incompatible avec le maintien de toute présence juive en France… Il suffit de ne pas oublier que les Frères musulmans ont été pendant la guerre de très fidèles alliés des nazis et se rappeler ce que le Hamas, qui est un fleuron frériste, a fait le 7 octobre 2023.