Guerre à Gaza. Comme la presse n’a pas accès au territoire palestinien, et que seuls les récits terrifiants concernant la situation des civils ou la progression de la famine dans l’enclave nous parviennent, un discours manichéen s’impose peu à peu dans les esprits. Dans Le Figaro, le philosophe Alain Finkielkraut redoute qu’une « bonne conscience antisémite s’installe un peu partout dans le monde ». Analyse.
Gaza. Gaza affamée, Gaza martyr, Gaza sacrifiée : voilà le film qu’on nous projette, encore et encore, sur tous les écrans. Gaza enfermée, Gaza privée d’eau, Gaza au bord de l’extinction — par Israël, toujours par Israël. C’est le scénario unique, la bande-son inlassable. Et pour l’alourdir, pour l’amplifier, on pioche dans l’histoire : on parle de génocide, on parle de déportations, on parle de ghetto, d’épuration ethnique. On convoque, sans même sourciller, les mots de la mémoire juive pour les retourner contre Israël. On superpose les images: les enfants de Gaza deviennent les fantômes d’Auschwitz, les ruines de Gaza deviennent les ruelles de Varsovie, les barrages de Gaza deviennent les barbelés des camps.
L’heure du doute
Mais derrière ce montage, que cache-t-on ? On cache l’islamisme au pouvoir. On cache les réseaux souterrains, les arsenaux dissimulés, les tunnels creusés sous les maisons. On cache les financements étrangers, les stratégies guerrières, l’embrigadement des enfants. On cache aussi que la « famine » de Gaza, si elle reste une menace, n’a rien de comparable aux famines du Yémen, du Soudan en ce moment même. On cache, surtout, que ce n’est pas une simple opération punitive ni une démonstration de force gratuite: c’est une guerre existentielle pour Israël. Une guerre contre une force islamiste qui veut explicitement sa destruction. On cache ce qu’on voit, ce qu’on sait.
On oublie commodément que les destructions à Gaza sont du même ordre que celles jugées nécessaires à Mossoul, à Raqqa, pour éradiquer l’État islamique. On oublie qu’alors, des villes entières ont été rasées, des civils piégés et tués comme à Gaza, des quartiers anéantis, au nom d’une lutte vitale contre une menace idéologique radicale. Mais à Gaza, ce parallèle est soigneusement évité. À Gaza, on exige qu’Israël mène une guerre propre, qu’il accepte les coups sans riposter, qu’il se laisse enfermer dans la posture du bourreau.
A relire, du même auteur: Les Frères musulmans et l’art du mensonge victimaire: l’exemple du Hamas
Et pourtant, il faut le dire aussi: on peut comprendre le doute. On peut comprendre l’hésitation face à la détresse réelle d’une population ballottée, trahie, baladée par l’histoire, prise au piège de ses propres dirigeants. Ce doute existe, il traverse les opinions publiques, il traverse même la démocratie israélienne elle-même, parfois de façon radicale. Israël n’est pas un bloc monolithique: c’est une société qui débat, qui s’interroge, qui doute, qui se divise, y compris sur ses propres moyens, ses propres méthodes, ses propres blessures.
Un scénario parfait
Mais tout le monde sait. Les chancelleries, les ONG, les journalistes, les diplomates : ils savent. Mais ils font semblant. Ils reprennent les images, ils reprennent les mots, ils reprennent le scénario, parce que ce scénario est trop parfait pour être lâché. Il simplifie. Il moralise. Il désigne un coupable unique. Il fait pleurer, il indigne, il remplit les plateaux télé, il sert d’arme diplomatique.
Le mensonge sur Gaza n’est pas un accident. C’est une machine de guerre des islamistes, de leurs alliés révolutionnaires de circonstance, de leurs idiots utiles. Une machine habile, huilée, où l’on transforme une situation tragique et complexe en conte moral simplifié. Où l’on gomme les islamistes, les armes, les manipulations sur les chiffres de victimes civiles, pour ne garder qu’un face-à-face : Israël-bourreau, Gaza-victime. Où l’on recycle la mémoire du peuple juif pour l’inverser, pour en faire une accusation contre Israël. Où l’on vous habitue à répéter, à avaler, à propager, sans même vous en rendre compte, ce qui a été construit pour vous.
Ce mensonge prospère non parce que les faits manquent, mais parce qu’il trouve trop de relais, trop d’alliés, trop d’intérêts. Il prospère parce qu’il vous parle à l’émotion, pas à la raison. Parce qu’il veut vous arracher à la pensée. Parce que c’est ainsi que le mensonge gagne : quand il vous fait répéter, quand il vous fait plier, quand il vous fait consentir.
Et c’est là que surgit la question essentielle : que prépare ce mensonge pour demain ? Quelle trace laisse-t-il dans nos sociétés, dans nos décisions, dans notre rapport au monde ? Car ce n’est pas simplement Israël qui est visé: c’est la capacité même de l’Occident à discerner, à résister, à défendre ce qui le fonde. Un monde qui abdique cette capacité s’expose à bien plus qu’un revers moral : il ouvre une faille où, à terme, toute légitimité s’effondre. Et quand la légitimité s’effondre, ce ne sont pas seulement des récits qui tombent — ce sont des civilisations.
Price: 23,90 €
2 used & new available from 23,90 €