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Les Bourbons dans leurs ultimes fastes: le sacre de Charles X

Le dernier sacre monarchique, entre grandeur rituelle et crépuscule politique


Les Bourbons dans leurs ultimes fastes: le sacre de Charles X
« Charles X en habits de sacre » (François Gérard, 1825, huile sur toile, conservé au musée du Prado) © D.R.

Deux siècles après le sacre de Charles X à Reims, dernier éclat liturgique de la monarchie française, l’événement ressurgit au cœur d’un double hommage: une exposition fastueuse au Mobilier national et un essai érudit signé Bernard Degout. À travers ce retour sur les ors et les rituels d’un trône bientôt aboli, c’est tout un monde disparu que l’on voit briller une ultime fois, entre ferveur monarchique, effusion littéraire et faste musical


De Bokassa 1er à Charles d’Angleterre en passant par le Shah d’Iran perdure, dans un inégal bon goût, cette tradition qui intronise le monarque sous le signe plus ou moins affirmé de la transcendance divine. Roi – citoyen, Louis-Philippe n’aura pas sacrifié au rituel multiséculaire dans la cathédrale de Reims. Après son coup d’Etat, Napoléon III ne reconduira pas pour lui-même, en 1852, le fastueux cérémonial ordonnancé par son oncle en 1804 dans la cathédrale Notre-Dame de Paris. Le comte de Provence, devenu Louis XVIII à la chute de l’Empire comme premier souverain de la Restauration, lui pourtant si attaché à ranimer les pompes de l’Ancien régime et les scrupules de l’étiquette, aura dû renoncer à se faire sacrer dans les pas de son défunt frère Louis XVI, lequel avait été sacré à Reims, comme l’on sait, cinquante ans plus tôt, le 11 juin 1775. Seul le comte d’Artois, puîné de la fratrie Bourbon, à peine monté sur le trône sous le nom de Charles X en 1824, sacrifie un an plus tard à la tradition, déterminé à consacrer devant la puissance céleste la légitimité reconquise de la dynastie Bourbon, par-delà l’orage révolutionnaire et le règne honni de « l’Usurpateur ». 

Si la tradition et la ferveur monarchiques survivent jusqu’au XXème siècle en France, voire au-delà, le sacre de Charles X, le 29 mai 1825, sera bel et bien le dernier. Les minutes de cet événement nous sont relatées sous les auspices des éditions Perrin, dans un ouvrage de belle facture dû à Bernard Degout, ancien directeur de la Maison de Chateaubriand et éminent spécialiste des rapports entre littérature et politique sous la Restauration et la monarchie de Juillet. Sous-titre du livre : Les derniers feux des Bourbons.

Livre et exposition : retour sur un événement oublié

Hasard du calendrier ? Au même moment se tient, à Paris, au Mobilier national, dans l’enceinte de la galerie des Gobelins, la spectaculaire exposition Le Dernier sacre. Stéphane Bern en est le maître de cérémonie, Jacques Garcia l’irremplaçable scénographe, Hélène Cavalié et Renaud Serrette les éminents commissaires (cf. dans Causeur l’article de Raphaël de Gubernatis).

Pour ce qui est du livre Le sacre de Charles X, la plume boutonnée de Bernard Degout s’émaille volontiers d’aimables circonlocutions, mais à tout prendre ce beau style collet monté n’est pas sans affinité avec la componction du revival amidonné où le sang bleu se mit une ultime fois en représentation, dans une surenchère de somptuosité sans exemple. De fait, pour le regard contemporain, fascinant est cet ultime retour en grâce de l’étiquette monarchique dans l’opulence dispensieuse de son décorum.

Page après page, Bernard Degout restitue le contexte mondain, mais surtout confessionnel, géopolitique, économique de l’événement. Pourquoi, tout d’abord, le « non sacre » de son prédécesseur Louis XVIII ? « Effet du sacre de Napoléon, en 1804, sur l’opinion ? » Roi « voltairien », en outre doté « d’une conscience plus claire que [ son frère le futur Charles X] de l’état de la société et de ses réticences à voir l’Eglise empiéter sur la monarchie », c’est pourtant à regret qu’il y renoncera. Reste qu’« en n’habitant pas sa propre cathédrale, si l’on peut dire, le monarque Louis XVIII se condamnait à n’habiter qu’une vaste plaine dominée par la hauteur de Notre-Dame de Paris : le non sacre de Louis XVIII donnait, rétrospectivement, un lustre important à celui de l’Empereur », souligne joliment l’auteur.

A la décision d’esquiver l’épreuve de ce lourd cérémonial s’adjoint un motif plus trivial : l’état de santé du monarque. Selon l’historien libéral Achille de Vaulabelle, cité par Degout, « non seulement il lui aurait été impossible de se tenir debout ou agenouillé ; mais incapable de faire un seul pas, il n’aurait pu changer de place sans être transporté en fauteuil ».

Charles X, le roi sacré malgré son siècle

Il en va tout autrement de Charles X. A un roi podagre et obèse, miné par la goutte et qui s’éteint sans descendance en 1824, au terme d’une atroce agonie, succède « un monarque qui, en dépit de ses 68 ans, avait une santé de jeune homme ».

Chateaubriand, premier conquis (à l’instar de Lamartine), pousse à l’onction royale. Mais où ? A Reims ? A Notre-Dame ? Bernard Degout scrute dans son détail, comme dans un roman à suspense, les oppositions, tractations, étapes du processus qui conduit à l’organisation des festivités, à l’ombre de la fameuse Charte constitutionnelle, dans ce climat « encourageant une propension par trop complaisante à un accablant dolorisme », et en un temps où « l’opinion ou la réaction religieuse se perçoit des ailes ». Et d’observer : « on pouvait en revanche espérer du sacre de Charles un nouveau départ, après ce grand moment de stabilisation de la Restauration que fut la campagne d’Espagne en 1823 [rétablissant un Bourbon sur le trône ibérique] ». Comme l’on sait, il n’en fut rien : après cinq ans de règne, Charles X sera vaincu en trois jours par la Révolution de Juillet.

En 2025, à distance de deux siècles, qui plus est dans une France acculturée que gagne l’analphabétisme, il est difficile d’imaginer de quel poids, de quel prestige pesait alors la littérature : à l’occasion du sacre, les muses se débondèrent, et pas seulement les seconds couteaux de l’alexandrin, formant le vœu « que l’huile du Seigneur s’épanche et fertilise/ Les jardins de la Royauté ». Lamartine, opportunément promu Chevalier de la Légion d’honneur, s’y frotte également. Le poète des Méditations commet un Chant du sacre copieusement arrosé, lui aussi : « Et que l’huile en coulant sur leur saint diadème/ Retombe sur ton front et te sacre toi-même ».  Quant à la cérémonie elle-même, le choix est fait de « n’en rien déflorer » pour lui conserver « la puissance d’un événement ». Evénement précédé par la restauration de la cathédrale à grand frais, et dont Bernard Degout nous dévoile l’ordo avec une précision horlogère, le Serment à la Charte marquant pour l’opinion « le commencement d’une nouvelle ère, une sorte de refondation des Bourbons », la bénédiction de l’épée puis l’onction et le couronnement du roi par l’archevêque de Reims (le sacre proprement dit) en figurant le climax tant attendu: « Vivat Rex in aeternum ! », crie par trois fois le prélat.   

L’exaltation poétique d’un événement hors normes

A la façon dont ces solennités grandioses furent annoncées, décrites, célébrées dans un déluge de vers inégalement inspirés, le livre consacre des pages passionnantes. De Pierre Baour-Lormian à Joseph Mérat, de Henri Zozime de Valori à Simon Jacob à Amédée Tissot, les odes ruissellent sans discontinuer. Si les épanchements d’une Madame Tastu (1795-1885), d’une Delphine Gay (1804-1855) ou d’un Claude-Auguste Dorion (1768-1829)  – «  Dans son essor nouveau/ Le peuple ailé revole aux voûtes éthérées » – font sourire, l’expression d’une authentique dévotion coule dans « plus que quarante odes, stances, hymnes ou cantates, rondes ou chansons (sans compter les tragédies et les vaudevilles) dont les hyperboles laissent parfois dubitatif ».

À lire aussi, Raphaël de Gubernatis : Le Roi, les ors, et l’oubli

A côté de ces poèmes oubliés de la postérité, il faut évidemment mettre à part notre Hugo national, alors ultra royaliste, lequel dans Le sacre de Charles X, s’exalte à l’idée que Dieu « garde à jamais ce Roi qu’un peuple adore », et supplie : « Romps de ses ennemis les flèches et les dards,/ Qu’ils viennent du couchant, qu’ils viennent de l’aurore,/ Sur des coursiers ou sur des chars !/ […] Du moins qu’un long bonheur efface/Ses bien longues adversités » – celles, bien entendu, du martyre de Louis XVI sur l’échafaud en 1793, mais plus encore, probablement, celles des exils interminables à quoi furent exposés ses frères. Victor Hugo, remerciement de Sa Majesté, y gagnera un beau service de Sèvres.  

Le marquis de Coriolis d’Espinousse fut un des rares à n’épouser point la liesse générale : «  Mon fils, trêve un moment à ces chants d’allégresse ; /Viens , ferme ton oreille au bruit de cette ivresse », car… «  si l’orage grondait dans un lointain sinistre… », écrit-il dans des vers prémonitoires. Et puis il y a Béranger (1780-1857) dont on oublie qu’il était alors considéré comme notre barde national, « le plus grand poète peut-être que la France connaisse », selon Stendhal, lui dont les chansons « couraient les rues » au point que Le Sacre de Charles le Simple, publiée en 1828, mais qui circulait probablement bien avant, lui vaudra neuf mois d’emprisonnement à la Force pour outrage à la religion et offense au roi.

Si tout au long, Bernard Degout décrit par le menu les itinéraires et l’ordonnancement des solennités, montrant le positionnement des personnalités, les réactions des uns et des autres, la publicité de l’événement, et jusqu’aux polémiques qui s’ensuivirent, on regrettera pourtant que l’élément musical, essentiel au déroulement du cérémonial, soit expédié, littéralement, en trois lignes dans son texte : « des morceaux de musique, composés par Lesueur, Plantade ou Cherubini, se sont ‘’ heureusement entremêlés à un cérémonial monotone’’ »…

Le sacre en musique : un faste retrouvé 

Pour en savoir davantage, il faut se reporter au splendide catalogue de l’exposition Le dernier sacre, dans lequel, sous la signature de Raphaël Masson un chapitre est effectivement consacré  aux « Musiques pour le sacre » – et ce ne fut pas rien : te Deum exécuté la veille du sacre dans la cathédrale, par l’ex professeur de la reine Hortense, lequel bien plus tôt s’était fait un nom dans les salons de l’Ancien Régime, Charles-Henri Plantade (1764-1839) ;  oratorios et messe solennelle composés par les deux surintendants de la musique alors en poste, Jean-François Lesueur (1760-1837) et surtout son exact contemporain, le florentin devenu français Luigi Cherubini (1760-1842), dont on connaît bien aujourd’hui l’opéra Médée (1797), et qui avait composé en 1816 un très beau requiem à la mémoire de Louis XVI, puis livré une messe en prévision du sacre de Louis XVIII. Pour le sacre de Charles X, il ne réutilise pas la précédente, mais choisit d’en composer une nouvelle.  Elle suscitera l’enthousiasme de Berlioz. (On trouve aujourd’hui ces trois œuvres magnifiques réunies en CD, dans un enregistrement dirigé par Riccardo Muti, le grand spécialiste du compositeur).

Les musiciens firent le voyage à Reims ; Raphaël Masson souligne que « les effectifs sont considérables et se rapprochent de ceux du couronnement de Napoléon 1er à Notre-Dame de Paris qui, selon les sources, réunit entre cinq cents et sept cents artistes ». Il y eut aussi, à l’air libre, des fanfares et de la musique militaire, sans compter le répertoire profane qui accompagna le festin royal du palais épiscopal et, parmi les ouvrages donnés lors des festivités, l’opéra de Rossini Il viaggio a Reims, qui venait d’être créé au Théâtre italien devant le roi et la cour le 19 juin. Autant dire que la musique participe magistralement de l’apparat festif.

© Mobilier national

Assorti d’un imposant appareil de notes qui occupe près d’un quart de ce volume de 300 pages, l’élégante érudition de Bernard Degout complète donc utilement le riche catalogue de l’exposition du Dernier sacre : ici, l’on s’immerge dans la reconstitution de ses fastes ; là, on en suit pas à pas le déroulement, on en perçoit les échos.

C’est peut-être le moment de rappeler qu’en juin dernier, le musée du Louvre inaugurait, dans l’aile Richelieu, une reconstitution de la salle du trône de Louis XVIII – fauteuils, paravent, écran de cheminée, torchères, appliques, tapis et tentures, mais et surtout ce dais splendide, le trône proprement dit ayant été détruit lors de la révolution de 1848. Toute la magnificence de la Restauration éclate ainsi dans un parcours éloquent qui, sous les auspices du Mobilier national, va de Louis XVIII à Charles X.          


Le Sacre de Charles X. Les derniers feux des Bourbons, par Bernard Degout. Perrin, Paris 2025, 352 pages. En librairies.

Le Dernier sacre, catalogue de l’exposition. Sous la direction de Renaud Serrette et Hélène Cavalié, avec la collaboration de Stéphane Bern. Editions Monelle Hayot, Saint(Rémy-en-l’Eau, 2025), 532 pages.

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