Pour ses cent ans, « La Pléiade » offre un beau coffret à Mrs Dalloway, le roman le plus connu de Virginia Woolf. L’occasion de lire ou de relire ce chef-d’œuvre qui n’a pas pris une ride
Pour son centenaire, la prestigieuse collection La Pléiade offre à Mrs Dalloway un somptueux écrin qui réunit d’autres écrits, notamment Orlando et Une chambre à soi, œuvres majeures de l’auteure anglaise. Publié en 1925, Mrs Dalloway connaît d’emblée un succès retentissant, lequel ne s’est pas démenti depuis. Virginia Woolf entame sa rédaction dans un climat de confiance. Elle vient de publier La Chambre de Jacob à The Hogarth Press, maison d’édition qu’elle dirige avec son mari. Le livre est un best-seller. Elle se sent enfin un écrivain à part entière.
Mrs Dalloway prend d’abord la forme d’une nouvelle – Mrs Dalloway in Bond Street, transcrite dans le présent volume – qui paraît dans la revue The Dial en 1922. Trois mois plus tard, Virginia Woolf décide d’en faire un roman et note dans son Journal : « Pour ce livre j’ai presque trop d’idées – je voudrais exprimer la vie et la mort, la raison et la folie. Je voudrais critiquer le système social ; le montrer à l’œuvre dans toute sa rigueur. » Le livre s’ouvre sur cette phrase désormais célèbre : « Mrs Dalloway dit qu’elle se chargerait d’acheter les fleurs. »
Nous sommes à la mi-juin. Une femme déambule dans Londres à la recherche d’un bouquet pour la réception qu’elle donne le soir même. Cette femme est Clarissa Dalloway, « elle avait quelque chose d’un oiseau, un geai, bleu-vert, avec une légèreté, une vivacité, bien qu’elle ait plus de cinquante ans et qu’elle ait beaucoup blanchi depuis sa maladie ». Et tandis qu’elle marche dans les rues au rythme des cloches de Big Ben, les pensées se pressent dans sa tête auxquelles l’écrivain donne un accès direct. Ce que l’on appellera le « flux de conscience » est né. Une audace formelle et narrative que la romancière, désormais débarrassée du souci de plaire aux éditeurs, s’autorise avec jubilation.
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« Je suis certainement moins contrainte que jamais », note-t-elle au bout d’un an de rédaction. Passé l’enthousiasme des débuts, Virginia Woolf confesse que ce livre est sans doute l’un des plus « torturants », des plus « réfractaires » qu’elle ait eu à écrire, pour concéder au bout de quelques mois qu’aucun « n’a encore eu une structure aussi remarquable ». Le chef-d’œuvre est là. Elle y met toutes ses obsessions. Ses fascinations. Ses hantises. Son amour pour Londres « joyau des joyaux, jaspe de la gaieté ».
Son attirance pour les femmes : « Elle ne pouvait résister parfois au charme d’une femme. (…) Elle ressentait alors ce que ressentent les hommes. Un instant seulement, mais c’était assez. » Sa peur de la folie également. Woolf, qui n’a eu de cesse de composer avec la maniaco-dépression, en est miraculeusement épargnée durant la rédaction de son roman. Aussi n’a-t-elle qu’une crainte : que le personnage de Septimus, qui en est atteint, fasse ressurgir en elle les symptômes de la maladie. « Par certains côtés ce livre est un exploit », écrit-elle le 17 octobre 1924, alors qu’elle vient de le terminer. Un exploit dont cent ans après on continue d’admirer le génie et la modernité.
Virginia Woolf, Mrs Dalloway et autres écrits, « La Pléiade », Gallimard, 2025, 800 pages.
Alexandra Lemasson, Virginia Woolf, « Folio biographies », Gallimard, 2005, 272 pages.