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Être Claude Goasguen, c’est un métier!


Droite. Disparition de Claude Goasguen. L’élu local du 16e arrondissement parisien, éphémère ministre, avait aussi une vision nationale, et sera regretté


Tout habitant de l’Ouest parisien n’ignore pas qui était Claude Goasguen, et même parmi les absents du militantisme son nom est connu comme le loup blanc. Depuis sa disparition le 28 mai dernier, celui qui correspondait au folklore de l’élu local par sa présence naturellement chaleureuse et sa forte voix, laisse pourtant un vide que n’explique pas sa seule fonction de député.

Emporté par le Covid-19 comme Patrick Devedjian

Et pour cause, Claude Goasguen a « fait carrière » en politique : il est de ceux qui ont traversé la Vème République et qui en sont une sorte d’incarnation. Son histoire personnelle a jouxté la grande, et en lui se superposaient les concepts politiques comme les strates géologiques qui apparaissent sur certaines montagnes.

Né à la fin de la guerre, sa proximité avec les baby-boomers ne l’orienta guère vers les milieux politiques maoïstes et trotskystes-léninistes majoritaires de cette génération. C’est au service de la Corpo d’Assas qu’il voua sa témérité politique, engagé à droite pour l’Algérie française aux côtés d’Alain Madelin, Gérard Longuet ou Patrick Devedjian – également emporté par l’épidémie.

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Cet anti-communisme prend très rapidement, dès 1966, la forme d’un engagement libéral. Il rejoint cette année le gaullisme d’appoint de la Fédération nationale des républicains et indépendants, parti politique qui propulse Giscard à la présidence de la République. Son appartenance à la droite libérale ne changera jamais et définira son crédo, des bancs de l’Assemblée Nationale au conseil de Paris, où il occupa en 1983 le poste d’adjoint au nouveau maire de Paris, l’un de ses mentors politiques : Jacques Chirac.

Un ami d’Israël

Tout comme l’ancien président c’était un homme des foules, un grand vivant qui aimait le contact et les discours grandioses, les bons repas et les festivités de la vie politique. Mais c’était d’abord un homme d’idées, qui mettait sa fougue au service de la défense des juifs de France, des chrétiens d’Orient ou de la légitimité d’Israël à exister, des causes qu’il défendait comme un lion au sein de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Il fut également celui qui affichait au fronton de sa mairie les symboles de ces combats – pour Gilad Shalit ou les chrétiens d’Orient – et le seul député à porter avec Meyer Habib une kippa dans la salle des quatre colonnes le 13 janvier 2016, par solidarité suite à l’agression d’un enseignement marseillais juif. De son combat restera cet engagement sans faille auprès d’un peuple dont il se réclamait presque, et dans l’histoire duquel il devait sûrement percevoir la combativité qui le caractérisait.

Au-delà de son énergie mêlée à sa culture profonde de docteur en droit, Claude Goasguen avait une largesse intellectuelle qui lui permettait de synthétiser les contraires : libéral sans rien céder sur le régalien, savant et politique, élu de terrain avec une vision nationale. Cette capacité à regrouper des sensibilités différentes sous son égide a été jusqu’au bout une carte maîtresse, et la raison pour laquelle il a été investi par les Républicains pour aider à composer une liste à d’union derrière Francis Szpiner dans un 16ème arrondissement en proie aux candidatures dissidentes.

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Ses compétences le portèrent même jusqu’aux fonctions de ministre de la Réforme de l’État, de la décentralisation et de la citoyenneté sous le premier gouvernement d’Alain Juppé, un rôle qu’il quitta prématurément par trop d’entièreté et de caractère.

Abstraction faite de son parcours admirable, Goasguen inspirait un style, celui d’une époque où la liberté de ton se conciliait avec le talent de bien en user, celle où la politique était une arène d’orateurs talentueux, qui avaient le noble projet d’emmener le citoyen au-delà de lui-même plutôt que le petit souci de ne pas le froisser. La communication était à beaucoup d’égard étrangère à ce boxeur de la politique, à ce pirate, fils de marin, qui semblait ouvrir la grand-voile chaque fois qu’il prenait son souffle avant de haranguer un parterre de militants. Pour avoir assisté à quelques-unes de ses interventions, Claude Goasguen savait réveiller une salle endormie par les discours consensuels, et était accueilli en superstar par des étudiants trois fois moins âgés que lui : voilà son éternelle jeunesse.

Goasguen est un de ceux qui nous donnent soif d’aventures politiques et de grande conquête : un jour qu’il avait fini un discours dans sa permanence, je venais pour le féliciter. Il me regarda plein d’ironie et de gentillesse avant de s’exclamer « Ah ! C’est tout un métier. ». C’est vrai : être Claude Goasguen, c’est tout un métier.

La mort, cette inconnue


Notre surréaction au léger rebond de mortalité provoqué par le Covid-19 révèle notre hypersensibilité à la mort. En l’absence de fléaux ou de grandes guerres depuis des décennies, l’allongement de l’espérance de vie est devenu un droit de l’homme.


L’épidémie de Covid-19 agit comme un extraordinaire effet de loupe sur les attitudes contemporaines devant la mort. Chaque soir à la télévision, le désormais célèbre directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, nous donne le décompte des morts du jour. On en oublierait presque qu’avant l’épidémie, 1 700 personnes mouraient chaque jour en France.

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L’expérience collective de la mort

L’effet de loupe s’explique aussi par le plus grand nombre de décès simultanés. D’habitude, on meurt en ordre dispersé et chacun, les moribonds et ceux qui leur survivent, vit discrètement le problème à son échelle, selon un calendrier individuel et aléatoire. Ici, exceptionnellement, on vit tous ensemble les conséquences de l’épidémie.

Techniquement, dans ce genre de situation, on parle de mortalité extraordinaire, bien qu’elle soit très limitée. Au XVIIe siècle, il se produisait localement une crise de ce genre tous les dix ou vingt ans, si bien que la mortalité ordinaire enregistrée dans l’année doublait. Dans le cas présent, au pire moment de l’épidémie, on aura eu un surcroît hebdomadaire de mortalité de l’ordre de 30 à 40%, soit un nombre de décès quotidien approchant de celui de la guerre de 14 (autour de 950 morts), mais sur deux semaines seulement (et non 52 mois) et avec 25 millions d’habitants en plus.

Du régime démographique

À la différence du sida, le Corona respecte l’ordre de passage des générations face à la mort et seul son sex-ratio (très défavorable à la gent masculine) est extraordinaire. Bref, on a plus affaire à une amplification de la mortalité ordinaire qu’à une véritable crise de mortalité extraordinaire. Le stress est bien réel, mais il est, finalement, assez limité, et on sent bien que le grand nombre a résisté à la tentation d’aller se confiner au soleil au retour des beaux jours.

Les attitudes devant la mort dépendent surtout du régime démographique d’une société, même si ce n’est pas le seul paramètre. C’était le sens de la formule profonde de Pierre Chaunu pour qui l’histoire de la mort était « une dérivée de l’espérance de vie ». Or, notre régime démographique, tel qu’il s’est mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, mais dans le prolongement d’évolutions plus anciennes dont certaines remontent au XVIIIe siècle, se caractérise par quatre traits principaux.

  1. La quasi-disparition de la mortalité infanto-juvénile, qui a commencé à baisser fortement à la fin du xixe siècle et qui a été divisée par dix en dix ans après la Seconde Guerre mondiale. Elle atteint désormais des niveaux quasi incompressibles, mais elle ne doit pas nous faire oublier qu’au xixe siècle encore, les enfants et les jeunes fournissaient le gros contingent des morts.
  2. Le gain d’une « vie en plus », de vingt ou trente ans, qui a bouleversé aussi bien la structuration des existences individuelles (en contribuant à déplacer le seuil physiologique et psychologique de la vieillesse) que l’équilibre des générations dans les familles. Le rideau de protection face à la mort que constitue la génération des parents, disparaît plus tard, ce qui retarde d’autant le moment où les adultes cessent véritablement d’être des enfants. S’ensuit une « infantilisation » psychologique massive des sociétés.
  3. La concentration tendancielle des décès après 65 ans, phénomène inédit dans l’histoire démographique de l’humanité. Mais comme la mortalité finale d’une génération reste, jusqu’à nouvel ordre, de 100 %, elle s’élimine désormais intégralement en vingt ou trente ans, moyennant un système de départs groupés que les baby-boomers sont les premiers à étrenner. L’épidémie les surprend en pleine action et menace d’en accélérer dangereusement les opérations. Ils ne sont peut-être pas pour rien dans la surréaction collective au phénomène, les plus jeunes étant moins concernés et les plus âgés moins consultés, bien qu’on parle beaucoup en leur nom.
  4. La quasi-disparition de la mortalité extraordinaire, celle des famines, des épidémies et des guerres qui, en additionnant souvent leurs effets, pesaient lourd dans le bilan global de la mort. La dernière famine européenne date de 1846 (en Irlande), la dernière épidémie vraiment meurtrière de 1918-1919 (la grippe espagnole), la dernière guerre vraiment sanglante de 1939-1945. Depuis, plus rien ou des épisodes si modestes que les générations qui avaient connu l’ancien monde démographique n’ont pas pensé à les signaler, de même qu’on s’accommodait dans les années 1970 d’une mortalité routière annuelle de 15 000 morts.

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Le droit de l’homme vieux

Les sociologues notent que nos contemporains croient en une sorte de droit à vivre jusqu’à 80 ans. De sorte que tous les décès survenus antérieurement leur paraissent plus ou moins prématurés.

Se généralise ainsi un profil de vie en cloche, qui voit les existences se terminer paisiblement vers 80 ou 90 ans, comme une bougie s’éteint.

À la limite, on redoute plus désormais la dégradation physique et psychique inhérente au grand âge que la mort elle-même, comme on peut en juger au vu de l’ampleur de la littérature sur Alzheimer ou nos discussions sur la fin de vie.

L’imprévisibilité de la mort ayant beaucoup diminué, ce serait plutôt sa trop grande prévisibilité qui nous angoisse désormais. L’espérance de vie, jadis simple artefact mathématique déformé par la mortalité infanto-juvénile, est devenue un pronostic assez sûr de la date du décès. C’est cette nouvelle représentation dominante de la mort que la pandémie révèle. Nous surréagissons au phénomène non seulement parce que nous n’y sommes plus habitués, mais parce que nous avons développé une forme d’hypersensibilité à la mort. De plus en plus maternel, notre État traumatisé par la canicule de 2003 applique un principe de précaution prophylactique qui accentue encore cette tendance. Pour la psyché collective, la focalisation médiatique sur l’événement entretient l’obsession des morts du Covid. Gageons que ceux d’entre nous qui viennent d’ailleurs, de pays en guerre (la « vraie », pas la « sanitaire ») ou moins favorisés, ne s’y trompent pas et sentent bien la différence.

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D’où probablement la tendance à exagérer la portée de l’événement, censé délimiter dans notre histoire un « avant » et un « après », sans qu’on voie très bien sur quoi repose un tel diagnostic. L’événement Covid ne bouleverse pas fondamentalement les données de la situation antérieure. Rien n’indique que notre monde divisé soit vraiment résolu à en tirer les conséquences de manière convergente.

Le plus probable est que celles-ci seront surtout économiques et sanitaires. La prochaine fois, en somme, nos stocks de masques et de respirateurs seront au complet. Pour le reste, qu’on se rassure, ou qu’on s’en désole : nous sommes les mêmes, ou presque.

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Après la manifestation « Adama Traoré », Virginie remonte (difficilement) la pente


Ce matin sur France inter, c’est une lettre de la pornographe préférée de Causeur qu’Augustin Trapenard a lue…


Ce jeudi 4 juin, sur une musique légèrement anxiogène, avec une voix discrètement neurasthénique, Augustin Trapenard a lu l’épître de Virginie Despentes : « Lettre adressée à mes amis blancs qui ne voient pas où est le problème… » Cette lettre est la énième tribune de l’écrivaine rebelle bien connue. Dans un style de plus en plus poétiquement abscons – qui n’est pas sans rappeler celui de nos plus grandes penseuses ayant écrit elles-mêmes des tribunes inoubliables, Annie Ernaux ou Marie Darrieussecq, par exemple – ce texte apporte de nouvelles précisions sur la vie et la personnalité de Virginie Despentes, ses démons, ses craintes, sa pensée tiraillée et ses contradictions.

Quelle angoisse!

Virginie Despentes croit dur comme fer que les arabes et les noirs ont la poisse. « La dernière fois qu’on a refusé de me servir en terrasse, j’étais avec un arabe. La dernière fois qu’on m’a demandé mes papiers, j’étais avec un arabe. La dernière fois que la personne que j’attendais a failli rater le train parce qu’elle se faisait contrôler par la police dans la gare, elle était noire. » Il n’est pas impossible que les protagonistes des mésaventures despentiennes pensent de leur côté : « La dernière fois qu’on m’a demandé mes papiers, j’étais avec Virginie Despentes ; la dernière fois qu’on a refusé de me servir à boire en terrasse, j’étais avec Virginie Despentes ; la dernière fois que j’ai failli rater mon train, j’étais avec Virginie Despentes », et finissent par croire, eux aussi dur comme fer, que c’est Virginie Despentes qui leur porte la poisse. 

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Nous savons maintenant ce qu’a fait Virginie Despentes pendant le confinement, avec qui, et où ! « Les blanches, on nous a vues faire du jogging et le marché dans le septième arrondissement. » Nous apprenons également ce qu’elle et ses blanches de copines se sont dit, après en avoir eu « un peu rien à foutre », quand elles ont appris que le « taux de mortalité en Seine-Saint-Denis était de 60 fois supérieur à la moyenne nationale » […] : « C’est parce qu’ils se confinent mal. » Nous devinons que cette affirmation blanche et sèche doit être entendue comme une remarque raciste. Mais nous ne pouvons en être sûr.

Comme il arrive souvent avec ce ménestrel de la plume oblique, le reste du paragraphe demande un petit effort pour en extirper tout le sens. Des esprits trop terre-à-terre appelleraient d’ailleurs bouillie infâme ce passage de notre poétesse de l’obscur.

Virginie chez les racisés

Virginie Despentes ne sait plus compter : « Ce mardi, je me rends pour la première fois de ma vie à un rassemblement politique de plus de 80 000 personnes organisé par un collectif non blanc. » En réalité, elles n’étaient que 20 000. Elle déplore aussi l’absence des « non blancs » dans nos gouvernements successifs. Il y a pourtant bien eu Rama Yade ou Christiane Taubira, non ? Certes, ce sont souvent des femmes. Mais la « masculinité » étant une catastrophe toxique que notre poétesse dénonce tous les quatre matins, elle aurait pu s’en réjouir. À moins que la « masculinité » blanche seule ne soit toxique, et la « masculinité » noire aimable et enviable ?

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Virginie Despentes est insouciante comme le sont tous les rêveurs : elle sort de chez elle « sans prendre [ses] papiers », et quand elle remonte chez elle, c’est sa « carte bleue » qu’elle récupère (en oubliant encore de prendre ses papiers), elle « circule dans cette ville sans même remarquer où sont les policiers ». C’est fou. C’est incroyable. Elle ne voit pas les policiers mais elle entend des voix. La ville lui parle : « la ville me dit tu es ici chez toi. » C’est stupéfiant de crétineri…, pardon, de beauté. Traversée par de fulgurantes réalités, elle ne peut s’empêcher de les coucher sur le papier : « Je suis née blanche comme d’autres sont nés hommes. » Heureusement, « je peux oublier que je suis blanche », malheureusement, « je ne peux pas oublier que je suis une femme ». En creux, Despentes parvient à faire le portrait subtil du fautif absolu, du coupable de tous les maux, celui de l’homme blanc, sans jamais le nommer. Ça, c’est de l’écriture… 

La lettre de Virginie Despentes s’achève sur une phrase qui offre la possibilité interprétative la plus large, la mise en abyme la plus profonde, et représente la quintessence de la Pensée despentienne : « En France, nous ne sommes pas racistes mais je ne connais pas une seule personne noire ou arabe qui ait ce choix. » Nous en appelons à nos lecteurs pour éclairer, discuter, interpréter cette sentence. Plus que jamais, vos commentaires seront lus avec attention… 

Le scandale The Lancet remet en cause le fonctionnement des revues “de référence”


Tout un petit monde scientifique fustige la vulgarisation scientifique. Mais les comités de lecture des grandes revues dans lesquelles ils publient leurs articles ne sont pas infaillibles non plus… Est-ce la fin de quelques totems et tabous du monde scientifique ?


La revue médicale britannique The Lancet a émis, mardi 2 juin, une mise en garde vis-à-vis d’une étude publiée par la revue elle-même courant mai dernier. Revue de référence s’il en est en matière de recherche médicale, avec cette annonce, The Lancet vient de lancer un pavé dans la mare du monde de la recherche universitaire et ce, bien au-delà de la science médicale. L’étude suspectée désormais de défauts plus graves encore que des biais de conception et d’interprétation, avait pourtant provoqué des décisions drastiques de politiques publiques tant en France qu’à l’OMS : interdiction de l’usage de l’hydroxychloroquine dans le traitement de la Covid-19 et arrêt de tous les essais cliniques testant cette molécule. C’est ainsi toute la crédibilité des « grandes revues de référence », et le système même de la promotion par la course aux publications dans le monde universitaire international, qui se trouvent remis en cause.

Le petit marigot des « prestigieuses » revues médicales

Certes, le monde médical est sans doute parmi les milieux les plus fermés et les plus corporatistes. Et son pouvoir sur les individus et les sociétés est connu de tous, même si on n’a pas lu les analyses de Michel Foucault sur le sujet. Car les médecins président bien souvent à nos destinées. De plus, les progrès considérables réalisés dans les domaines de la biologie cellulaire notamment, de la virologie, de l’infectiologie, de l’épidémiologie et de la pharmacologie, font de la science médicale un domaine hyper spécialisé dont les tenants et aboutissants échappent à la grande majorité des populations. Pourtant, c’est sans doute aussi la pratique scientifique qui touche le plus directement et le plus massivement tout un chacun. C’est pourquoi, avec la crise sanitaire du Covid et la dramatisation (plus ou moins justifiée) de la situation par les autorités politico-scientifiques, les gens « du tout venant » se sont immiscés dans des questions jusque-là réservées aux spécialistes, aux experts. Le citoyen lambda qui cherchait à comprendre la maladie et à s’en prémunir était alors raillé et conspué par les « sachants » qui aimaient à se moquer « des millions d’épidémiologistes » nés de l’épidémie du coronavirus.  

Seules les revues « à comité de lecture » sont retenues comme valables pour orner un CV sous prétexte que les articles soumis par leurs auteurs sont anonymisés et que les lecteurs sont des plus compétents…

Certes, il est toujours dangereux de livrer à l’opinion peu informée et versatile, des questions théoriques et pratiques complexes, qui risquent alors de devenir, comme on l’a vu avec la polémique sur l’hydroxychloroquine, des enjeux idéologiques. Au demeurant, la question de la « vulgarisation » des savoirs se pose aussi bien en médecine que dans tous les autres domaines de la recherche, en sciences « dures » comme en sciences humaines et sociales. Et si elle fait débat, ce n’est hélas qu’à bas bruit car les « chercheurs » sont avares de leurs savoirs, fiers de leurs méthodes scientifiques, et jaloux de leur indépendance. Le terme de vulgarisation peut d’ailleurs avoir quelque chose de péjoratif. Et, alors que leur articulation dans l’Université est prônée haut et fort, l’antagonisme entre enseignement et recherche travaille sourdement au point que pour discréditer certains collègues, on les traite volontiers de « pédagogues ». Comme si les universitaires étaient d’une essence tellement supérieure aux enseignants du primaire et du secondaire que bien transmettre un savoir à des étudiants était méprisable au regard des enjeux de la Recherche.

Tenants et aboutissants des querelles universitaires

Mais au-delà de cette question importante de l’irrigation des savoirs au sein des sociétés et de l’éducation populaire, c’est le problème de la sélection au sein du milieu savant que vient mettre en lumière la défaillance de la revue The Lancet. À la question difficile de comment recruter et promouvoir les chercheurs et les enseignants-chercheurs, la tradition du milieu universitaire répond par l’endogamie moyenâgeuse : « le jugement des pairs ». Or, ce type de sélection est faussée, au mieux biaisée, au pire malhonnête et frauduleuse. Contrairement aux examens et aux concours par épreuves écrites anonymes, le recrutement des enseignants universitaires (temporaires ou titulaires, maîtres de conférences ou professeurs) se fait sur dossier nominal puis sur audition par un jury d’enseignants en poste. A priori, la bonne foi des membres des jurys ne devrait pas poser de problème. Mais la disproportion entre le nombre de postes à pourvoir et celui des candidats est telle que la sélection se fait in fine de façon arbitraire entre postulants de valeur équivalente. Et là les rapports de force entre « écoles » ou dit plus crûment entre « clans » adverses, jouent à plein. Il en est de même pour les promotions internes (passage de maître de conférence à professeur et pour les augmentations de grades hors ancienneté et passage à la « hors classe »). 

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Quant aux recours lorsqu’ils existent juridiquement, ils sont de fait impossibles sauf à oser la requête auprès du Conseil d’État, car on vous répondra toujours que « la commission de sélection est souveraine ». Par ailleurs, les contestations sont découragées par l’argument de non-scientificité des travaux des candidats écartés ou des collègues décriés. En sciences humaines et sociales tout spécialement, les partisans se revendiquant de Pierre Bourdieu aiment ainsi se moquer de leurs collègues qui préfèrent l’esprit critique de l’humanisme, la libre pensée et le comparatisme universaliste, aux préceptes systématiques de la critique sociale de la domination, de la dénonciation de « l’essentialisation » et de la stigmatisation du mâle occidental. Hors du dogme et du clan du bourdivisme, point de travail valable ni théorique ni de « terrain », nulle reconnaissance professionnelle ou institutionnelle, et tout collègue à qui est ainsi déniée la qualité scientifique est transformé ispo facto en adversaire à abattre.

Les comités de lecture vont avoir mauvaise presse!

Enfin, à propos des fameuses « publications » qui doivent figurer en nombre sur un CV pour être reconnu par « ses pairs », la supercherie est peut-être encore plus flagrante, bien que quasiment unanimement tue par le milieu universitaire. Seules les revues « à comité de lecture » sont retenues comme valables pour orner un CV sous prétexte que les articles soumis par leurs auteurs sont anonymisés et que les lecteurs sont des plus compétents. Or, d’une part, l’anonymat est très relatif dans un milieu aussi endogamique et, en sciences humaines et sociales tout spécialement, nombre d’auteurs d’articles publient dans leur propre revue ou de façon « croisée » dans des revues de collègues amis. Par ailleurs, en sciences « dures » cette fois, la plupart des articles sont rédigés par des « vassaux » (étudiants ou jeunes chercheurs dépendants) et signés systématiquement par tous les membres de l’équipe et en premier lieu par le « patron » tout puissant.

Le Docteur Raoult, abonné fidèle de la revur britannique "The Lancet" Image: Capture d'écran Youtube
Le Docteur Raoult, abonné fidèle de la revue britannique « The Lancet »
Image: Capture d’écran Youtube

D’autre part, les lecteurs de ces revues plus ou moins prestigieuses « à comité de lecture » ne sont pas toujours aussi compétents ou incorruptibles qu’on le dit. Sinon comment expliquer en pleine polémique la publication de cette étude dans le Lancet ? Ou encore, autre signe du manque de professionnalisme des lecteurs de telles revues, le canular monté par des chercheurs qui, en 2018, ont piégé plusieurs revues nord-américaines de renom en proposant des articles sociologiques absurdes mais politiquement corrects selon les nouvelles idéologies en vogue sur les campus. Au total, sept de leurs articles « bidons » ont été publiés après être passés par les filtres des comités de lecture. En l’occurrence il s’agissait d’un biais idéologique. Mais outre les effets de copinage, des intérêts plus directement politiques ou financiers peuvent être en jeu, notamment lorsqu’il est question de défendre des politiques publiques ou des traitements impliquant des laboratoires pharmaceutiques. 

Réformer le système n’est sûrement pas aisé. Une piste toutefois pourrait consister dans une veille pour garantir au sein du milieu universitaire et savant en général, non pas une unanimité confinant à l’omerta, mais au contraire une pluralité de points de vue et d’approches scientifiques. Car la noblesse de la science réside précisément dans confrontation d’expériences, d’analyses et de conclusions diverses et souvent divergentes. Ainsi, les débats méthodologiques sur les types d’essais randomisés ou observationnels ne sont pas en soi scandaleux. En bonne pratique démocratique, l’accord doit se faire alors sur la place du désaccord.

A écouter, l’analyse d’Elisabeth Lévy sur le scandale The Lancet, sur Sud Radio:

On est sortis de chez nous…


L’édito politique de Jérôme Leroy


On ne peut pas vouloir tout et son contraire. Notre magazine le mois dernier titrait fort justement « Sortez de chez vous !». Il est vrai que le confinement avait assez duré, qu’il fallait que tout reparte. Seulement, il y a eu un malentendu. Ceux, du côté de la droite, du patronat et d’une partie des Marcheurs tendance Agnès Pannier-Runacher, qui avaient espéré que cette sortie soit uniquement pour faire tourner l’économie et rétablir les marges des actionnaires en travaillant plus pour gagner moins, en sont pour leur frais.

Comme dit le proverbe normand, « les bouchées avalées n’ont plus de goût » et l’infirmière, pour les éditorialistes, est en passe de ne plus être une héroïne mais une feignasse qui continue à s’accrocher aux 35 heures

Du côté de Maubeuge, par exemple, qui n’a pas besoin de ça, les gens sont sortis de chez eux pour dire qu’il était hors de question que Renault ferme alors que l’entreprise venait de toucher plusieurs milliards de l’État sans trop de contrepartie. On a même vu dans la manif ce dangereux bolchévique de Xavier Bertrand, président des Hauts de France, défiler avec la CGT.

Après tout, se crever la paillasse au nom de la reconstruction d’un système qui a tout de même un peu aggravé la situation par une vision managériale et comptable des questions hospitalières et sanitaires, ça demande réflexion. Les soignants, engagés dans le Ségur de la santé, sont encore tout étonnés de la rapidité avec laquelle les applaudissements se sont tus. Comme dit le proverbe normand, « les bouchées avalées n’ont plus de goût » et l’infirmière, pour les éditorialistes, est en passe de ne plus être une héroïne mais une feignasse qui continue à s’accrocher aux 35 heures.

Au boulot !

Et puis quand on sort de chez soi, on en sort aussi avec ses problèmes et tout de même un peu de colère à voir les médias se concentrer à longueur de reportage sur la réouverture des parcs et surtout des terrasses. N’est-ce pas contradictoire, tout de même, de s’extasier sur le petit noir et le demi pris par des promeneurs qui glandent au soleil, alors que tout ce monde là devrait être en train de marner ? Céline avait raison, dans le Voyage, qui remarquait : « Les gens de Paris ont l’air toujours d’être occupés, mais en fait, ils se promènent du matin au soir ; la preuve, c’est que, lorsqu’il ne fait pas bon à se promener, trop froid ou trop chaud, on ne les voit plus ; ils sont tous dedans à prendre des cafés crème et des bocks. »

A relire, Causeur #79: Sauvez la France, sortez de chez vous !

Parmi les problèmes, évidemment, il y a ceux des quartiers. Ce n’était pas brillant avant le confinement et ça n’a pas été brillant pendant avec une mortalité nettement supérieure à la moyenne, le plus grand nombre de décrocheurs scolaires et une situation qui a flirté, notamment en Seine Saint-Denis, avec la famine. Je vois ainsi quelques contributeurs de notre magazine qui s’étonnent et sont d’humeur chagrine devant la manifestation en faveur d’Adama Traoré. Quoi, ils osent braver l’interdiction des rassemblements de plus de dix personnes, ces voyous, ces sans-papiers, ces mauvais Français islamisés ?

Les antifas, nouveau fantasme mondial

Pourtant les mêmes ne cessent de se féliciter de la résistance anarcho-punk de Trump ou Bolsonaro au totalitarisme sanitaire qui vient. Comme eux, ils ne sont pas loin de penser qu’il ne faudrait pas hésiter à sortir les armes, comme l’ont fait pendant le confinement quelques milices suprématistes devant des Capitoles locaux. Mais voilà qu’après le confinement, Trump menace d’envoyer la troupe, rien que ça, parce qu’il semblerait que ce soit au tour des Noirs américains d’être de sortie en compagnie, de pas mal de Blancs et des policiers eux-mêmes pour protester contre la mort par asphyxie d’un truand noir en surpoids qui s’est jeté pendant plus de neuf minutes sous le genou d’un officier connu, d’après ses états de service, pour sa modération humaniste.

Dans la mesure où ce « sortez de chez vous » ne s’adressait pas seulement à l’ouvrier non syndiqué ou à l’identitaire libertarien, il faudra bien accepter que les minorités en colère, les militants antiracistes, les cégétistes, les antifas (ce nouveau fantasme mondial), les féministes LGBT, et les urgentistes en grève  ressortent aussi.

Et pour tout vous dire, c’est très bien comme ça…

Ceux qui croient encore au ciel et ceux qui n’y croient plus


Le secteur de l’aviation se relèvera difficilement de la crise sanitaire. C’est pour lui la double peine: déjà victime d’un phénomène de rejet (le “flygskam” promu par une petite Suédoise à couettes), le Covid-19 vient de clouer au sol 95% des appareils. Bruno Le Maire a volé au secours de la compagnie nationale Air France, mais il devrait plutôt se concentrer sur Airbus, dont le sort est bien plus préoccupant pour l’économie nationale.


Dans La Rose et le Réséda, écrit pendant la Résistance, Louis Aragon unit dans l’adversité celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas. Soixante ans plus tard, la jeune Greta, celle qui ne croit assurément pas aux voyages dans le ciel, voit la pandémie concrétiser ses rêves, et ce quasiment sans coup férir.

Air France s’est engagée à fermer les liaisons aériennes partout où existe une alternative ferroviaire…

Avec la fin du confinement, de nouveaux poncifs ont fait irruption dans les conversations et les éditoriaux : promis, juré, le nouveau monde sera solidaire, inclusif et écologique, Bali c’est fini, adieu les vacances en Grèce ou aux Seychelles. La pandémie va sevrer tous les déviants accros aux voyages en avion. L’homme nouveau, le Français de l’ère post-Covid sera un sédentaire dont l’horizon sera la sous-préfecture d’à côté. Tous les pays destinations dont l’économie (et accessoirement la stabilité) est ultra dépendante des revenus et des emplois du tourisme, tels l’Égypte, le Maroc ou Maurice, n’auront qu’à se « réinventer » et trouver rapidement de quoi occuper et nourrir leur population. Cette promesse a de quoi effrayer. Le voyage et son vecteur l’avion sont-ils vraiment une drogue dure qu’il faudrait éradiquer à la faveur du coronavirus, ou bien répondent-ils à un besoin vital pour l’homme, et plus prosaïquement à une nécessité pour l’économie française ?

Double peine pour le secteur de l’aviation

Désigné, avant la pandémie, comme le symbole des excès de notre mode de vie par la jeune activiste venue du froid, suscitant même un mouvement de rejet, le « flygskam » (honte de prendre l’avion) en Suède, le secteur aéronautique n’avait pas besoin d’une double peine. Partout dans le monde, les compagnies aériennes, les constructeurs et l’incroyable richesse de l’écosystème qu’elles génèrent subissent de plein fouet la crise du coronavirus.

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En France, les pouvoirs ont répondu présents à leur appel au secours. Cependant, en conditionnant son aide à la mise en œuvre de mesures écologiques pour le moins dogmatiques, le gouvernement fait un pari hautement risqué avec notre industrie aéronautique, pourtant l’un des joyaux très précieux de notre économie.

Parmi les nombreuses cibles des prédicateurs du monde d’après, qui se bousculent sur les plateaux de télévision pour vanter, après le Grand Soir, un petit matin frugal, l’avion est l’une de leurs préférées. Il faut crucifier l’horrible oiseau de fer et rééduquer les voyageurs. Comme une prophétie autoréalisatrice, la pandémie a déjà exaucé leurs vœux en clouant au sol 95% de la flotte mondiale.

Air France mérite-t-elle d’être autant choyée?

Air France a été l’une des premières sociétés à faire le siège du bureau de Bruno Le Maire. Avec succès, car elle a obtenu, le 8 avril, non seulement un prêt garanti de 3 milliards d’euros, mais aussi une prise de participation de l’État. Le gouvernement, a affirmé le ministre, veut préserver ce « fleuron industriel ». Les connaisseurs du secteur saluent l’habileté des dirigeants d’Air France qui ont réussi à faire croire (et dire) à un ministre que leur entreprise, considérée par tous les experts du secteur comme l’enfant gâté, mais malade de l’aérien en Europe, qui collectionne les contre-performances (en comparaison de ses deux grands rivaux outre-Rhin et outre-Manche), serait un « fleuron », de surcroît « industriel » (alors qu’il fournit des services, pas des biens). Cet enfumage révèle au passage la méconnaissance par nos politiques d’un secteur pourtant réellement stratégique pour notre pays.

Site Airbus de Colomiers © SCHEIBER FREDERIC/SIPA Numéro de reportage: 00885909_000005
Site Airbus de Colomiers © SCHEIBER FREDERIC/SIPA Numéro de reportage: 00885909_000005

Toutefois, les dirigeants d’Air France n’avaient pas prévu qu’ils sortiraient de ces négociations guéris, quoique très provisoirement, les aides ne couvrant les besoins de trésorerie que jusqu’au mois de septembre, mais avec un bras en moins. Bruno Le Maire était tellement soucieux de sauver le « fleuron industriel », qu’il a braqué un pistolet sur la tempe de la compagnie nationale au bord de la cessation de paiement. Apportant finalement de l’eau au moulin à paroles des écolos tendance Greta, il a exercé un véritable chantage sur la compagnie : pour bénéficier des largesses publiques, Air France s’est engagée à fermer les liaisons aériennes partout où existe une alternative ferroviaire. Drôle de sauvetage où le soignant conditionne la délivrance du médicament à la pratique d’une saignée sur son patient.

Monsieur Le Maire, le vrai “fleuron” n’est pas Air France!

Or, le secteur aéronautique en France ne se résume pas à la compagnie nationale. Elle n’est qu’un des maillons d’une chaîne de valeur complexe et dense. Pourvoyeur d’emplois très qualifiés et bien rémunérés, générant le premier excédent commercial et premier exportateur devant le luxe, l’aéronautique irrigue toute l’économie. Ne dit-on pas que l’Allemagne a Mercedes et la France Airbus ? Derrière chaque vol, une noria de prestataires intervient dans les aéroports. L’aéroport de Zaventem est le premier employeur de la région Bruxelles-Capitale. Dans cette « chaîne alimentaire », il y a plusieurs strates interdépendantes que le grand public connaît peu : en amont, les banques françaises, très impliquées dans des financements internationaux sophistiqués pour ce secteur très gourmand en capital. Elles côtoient les grandes compagnies d’assurance et les loueurs d’avions, acteurs aussi discrets que puissants. Ces derniers sont en effet les premiers clients des constructeurs, et de très loin, bien avant les compagnies aériennes qui ne possèdent qu’une faible proportion des appareils qu’elles exploitent. Au centre de l’écosystème, le groupe Airbus structure une filière industrielle impressionnante qui entraîne dans son sillage de nombreux sous-traitants dans l’Hexagone. Vraie réussite, réelle success-story autant technologique que commerciale, rival autant craint que respecté par son concurrent Boeing, notre vrai « fleuron industriel », c’est Airbus pas Air France.

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Pourtant, dans une lettre envoyée aux employés du groupe, le 24 avril dernier, Guillaume Faury, le patron du géant de Toulouse a annoncé que la survie de son groupe était aujourd’hui en jeu. Malgré un carnet de commandes plein pour les six prochaines années, les « dérives blanches » encombrent désormais les pistes des usines toulousaines. Ce sont les avions finis et prêts à être livrés, qui attendent d’être peints aux couleurs des compagnies aériennes clientes, mais dont celles-ci ne veulent plus car leur propre flotte est aussi clouée au sol. En parallèle du sauvetage d’Air France, l’un des maillons importants du secteur, mais pas le plus essentiel (la compagnie exploite plus de long-courriers américains que d’avions fabriqués en Europe), c’est le soldat Airbus qui devrait mobiliser en priorité tous les moyens et l’attention des pouvoirs publics, sans parti pris et sans idéologie.

Covid-19, une chance pour la mafia? Roberto Saviano va vite en besogne


L’écrivain italien Roberto Saviano estime que la crise sanitaire et économique profitera inéluctablement aux mafias. C’est sous-estimer les progrès accomplis par la justice et l’avancée de l’Etat-providence dans le sud du pays. Enquête.


Ce n’est qu’une question de temps. Pour l’écrivain et militant antimafia Roberto Saviano, au temps du coronavirus et de la crise économique qui s’ensuivra, « la question n’est pas de déterminer si les mafias sauront en profiter, mais comment ». La tribune que l’auteur de Gomorra a publiée dans La Repubblica ne laisse guère place au doute. Pour étayer son propos, Saviano lit l’avenir dans le passé, citant l’épidémie de choléra de 1884. À l’époque, Naples déplorait 7 200 morts en deux mois et demi, soit la moitié des 14 000 victimes italiennes de la maladie, sans doute venue d’Indochine. Avec son million d’habitants, la ville alors la plus peuplée de la péninsule dépassait allègrement la densité d’habitation de Paris, Rome et Londres, a fortiori dans son centre historique insalubre dont l’eau excessivement polluée provenait de deux aqueducs remontant au xviie siècle. Un bouillon de culture à ciel ouvert. Comme le rappelle Saviano, « afin qu’une telle hécatombe ne se reproduise plus, le Parlement italien vota une loi pour l’assainissement de la ville de Naples et consacra 100 millions de lires aux travaux de remise en état. Tout le monde en est sorti gagnant : sous-traitants corrompus […], entreprises qui gagnèrent les appels d’offres au meilleur prix pour ensuite faire des travaux inachevés ou de mauvaise qualité, politiques alliés aux familles mafieuses. Tous, sauf la ville de Naples. »

Les nouveaux amortisseurs sociaux sont autant de pierres dans le jardin de la mafia

Une question intéressante

Si l’histoire se répète, la gabegie de l’appareil politique et administratif italien remplira inéluctablement les caisses des trois grandes nébuleuses mafieuses du pays nées à Naples (Camorra), en Sicile (Cosa Nostra) et en Calabre (’Ndrangheta). Leurs origines méridionales ne doivent pas tromper tant leurs ramifications sont devenues multiples, s’étendant au nord de l’Italie et aux quatre coins de l’Europe, notamment via le trafic de drogue et le blanchiment. À condition de ne pas le prendre pour argent comptant, l’augure de Roberto Saviano ouvre un débat des plus passionnants. Les mafias exercent-elles toujours une emprise tentaculaire sur des pans entiers de la société et du territoire italiens ? L’État de droit et la justice ont-ils abdiqué ? Faute d’État-providence digne de ce nom, l’économie mafieuse maintient-elle le Sud italien (Mezzogiorno) sous perfusion ? Les réponses à ces différentes questions réservent quelques surprises pour peu que l’on sorte du cliché des parrains gominés en borsalino et costumes trois-pièces rayés.

Marche en hommage au juge Falcone, vingt-six ans après son assassinat par la mafia sicilienne, Palerme, 23 mai 2018. © Victoria Herranz/NurPhoto/AFP
Marche en hommage au juge Falcone, vingt-six ans après son assassinat par la mafia sicilienne, Palerme, 23 mai 2018.
© Victoria Herranz/NurPhoto/AFP

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Une économie à l’arrêt

À court terme, la mise à l’arrêt de l’économie a pénalisé la pègre. Durant le confinement, la criminalité a baissé de moitié. Vendre et convoyer la drogue, prostituer des filles ou racketter des commerces fermés tiennent de la gageure. Les mafieux attendent leur heure. Échafaudent-ils déjà des plans pour profiter de la crise économique ? « Si je pouvais répondre à cette question, cela voudrait dire que je suis soit un espion infiltré soit un mafieux », pouffe Enzo Ciconte, ex-député communiste, historien et adversaire de longue date de la ’Ndrangheta. Osons la lapalissade : le crime organisé sait… s’organiser. Saviano estime d’ailleurs que la crise permettra aux clans mafieux de voler au secours des PME et des citoyens mis sur la paille.

Certes, les sept semaines de confinement auront fait chuter le PIB (de 8 % à 12 %) et mis à l’arrêt plus de 2 millions de PME. Pour leur éviter la faillite, le gouvernement Conte a sorti un bazooka nommé « décret liquidités ». Avec le soutien de Bruxelles, le ministère des Finances promet de débloquer la bagatelle de 740 milliards d’euros sous la forme de prêts aux entreprises garantis par l’État. Mais l’argent tarde à arriver dans les caisses, la nouvelle procédure étant plus complexe et longue à appliquer lorsqu’un prêt dépasse les 25 000 euros. Quant aux ménages, déjà paupérisés par vingt ans de croissance nulle, ils n’avaient pas besoin de ce coup de massue. Avant l’éclatement du virus, les chiffres officiels donnaient déjà le tournis : 44 % des Italiens ont un revenu annuel inférieur à 15 000 euros, seuls 6 % dépassent les 50 000 euros. Le gros de l’effort fiscal repose donc sur les retraités et les salariés.

Timide affirmation de l’Etat-Providence

D’aucuns prétendent que le miracle économique italien de l’après-guerre, contemporain des Trente Glorieuses, rendait acceptable l’incurie de l’État à des citoyens aujourd’hui exaspérés par les conflits incessants entre institutions. C’est parfaitement exact… à une nuance près : quoique modeste et financé par la dette, l’État-providence commence à sortir la tête de l’eau.

Depuis un an, sous l’impulsion du Mouvement 5 étoiles (M5S), le cabinet Conte a en effet instauré un revenu de citoyenneté qui assure une pension minimale aux retraités et aux chômeurs, que des travailleurs sociaux ad hoc (les « navigateurs ») sont censés remettre sur le chemin de l’emploi. Dans le Sud, foyer originel du phénomène mafieux et abcès de fixation de la misère, la bouffée d’oxygène n’a rien d’un luxe. Rien d’étonnant à ce que le Mezzogiorno ait plébiscité le parti populiste de Beppe Grillo en lui accordant plus de 43 % des suffrages aux législatives de mars 2018. Chose promise, chose due : 2,6 millions de résidents italiens (dont 65 % dans les régions méridionales, Rome incluse) vivent dans un foyer allocataire du revenu de citoyenneté. Son montant oscille entre 403 et 1 180 euros mensuels suivant la taille du ménage. Par ailleurs, le gouvernement finance le chômage partiel des salariés et envisage de distribuer un revenu d’urgence – de 400 à 800 euros par mois – aux classes moyennes non-bénéficiaires du revenu de citoyenneté. Ces amortisseurs sociaux (dont il faut relativiser l’ampleur dans un pays de 60 millions d’habitants) sont autant de pierres dans le jardin de la mafia. « Si malgré les millions de gens confinés à domicile, il n’y a pas eu d’explosion sociale, c’est parce que le revenu de citoyenneté a permis de freiner l’inconfort. Cette crise démontre que le revenu de citoyenneté endigue le malaise social.”, analyse le spécialiste de la Camorra Isaia Sales, membre du gouvernement Prodi dans les années 90.

Chercher le succès hors des frontières nationales

La demande de mafia se résorberait-elle ? Tout dépendra des capacités de l’État à maintenir à flot le tissu d’entreprises, notamment dans l’hôtellerie et la restauration. « Si demain les entreprises manquent de liquidités, les mafias saisiront cette opportunité. Dans une situation économique difficile, le niveau de respect des lois et des règles diminue. C’est ce qui s’est toujours passé après une guerre, un séisme, une catastrophe », argue Sales. Bien que le chômage touche plus d’un jeune méridional sur deux, il faut se méfier de l’image d’Épinal d’un Sud perfusé par les clans. « Les mafieux ne distribuent pas l’argent à tout-va. Seulement à un certain monde qui appartient déjà au leur : les veuves et les familles de camorristes en prison », précise Sales. Sur le terrain, la fête est finie. Depuis l’assassinat des juges Falcone et Borsellino (1992) à Palerme, la machinerie étatique s’est déchaînée contre les mafias. Magistrats, brigade financière, gendarmes et police ont organisé une riposte efficace. « Dans l’appareil d’État est apparue une nouvelle mentalité antimafia. Au point que la justice a fini par condamner l’ex-député Marcello Dell’Utri pour ses liens avec Cosa Nostra alors que c’était une figure du parti de Berlusconi », plaide Enzo Ciconte. La récente libération conditionnelle de quelques parrains notoires pour cause de grand âge et de risque sanitaire ne doit pas nous aveugler. Le temps de l’impunité, marqué par le fiasco des maxi-procès antimafia des années 1980, et du pas de deux avec la démocratie chrétienne au pouvoir, est heureusement révolu.

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Pourtant, sur un plan strictement financier, les mafias italiennes ne se sont paradoxalement jamais aussi bien portées. La faute à l’explosion mondiale du trafic de drogue. Comme les multinationales qu’elles sont devenues, ces organisations pratiquent l’optimisation juridique, anticipant les battements de la mondialisation. D’après Enzo Ciconte, « la ’Ndrangheta a fait un choix stratégique : elle s’est implantée dans les régions du centre-nord de l’Italie, y compris dans le système de santé, puis dès les années 1930, elle a créé des colonnes dans le monde entier. En Australie, aux États-Unis, au Canada, en France, là où il n’existe pas de législation antimafia. » On comprend que la mafia calabraise soit devenue la plus puissante d’Europe. Aujourd’hui, le danger proviendrait principalement de ses succursales à l’étranger où des « cols blancs » bien sous tous rapports blanchissent l’argent sale. La mondialisation heureuse existe, certains l’ont rencontrée.

Pourquoi le Sud ?

Pour comprendre la genèse des mafias italiennes, il faut lire Un pouvoir invisible : les mafias et la société démocratique (2012). Dans cet essai lumineux, l’historien du droit Jacques de Saint-Victor lie l’éclosion du système mafieux au maintien de structures féodales en Italie du Sud. Un demi-siècle avant l’unification italienne (1861), le royaume de Naples puis le royaume des Deux-Siciles abolissent les droits féodaux puis engagent une révolution agraire. La vente des grands domaines fruitiers de la Conca d’Oro, sur une centaine de kilomètres autour de Palerme, enrichit des « barons » alliés aux réseaux locaux de brigandage et à la bourgeoisie urbaine (banquiers, notaires, avocats). C’est l’acte fondateur de la mafia sicilienne dont les paysans appauvris seront les hommes de main.

Au sein du nouveau royaume d’Italie, qui siège à Turin, le Sud fait figure de parent pauvre préindustriel. L’État ne prétend pas y exercer le monopole de la violence légitime. Si bien que la mafia pénètre les notabilités politiques, sociales et économiques nationales, à l’image du baron Turrisi Colonna, sénateur-maire de Palerme et parrain notoire. Au cours du xixe siècle, le crime organisé s’émancipe de ses protecteurs jusqu’à renverser en sa faveur le rapport de domination entre mafieux et politiques. La Sicile attendra l’après-guerre pour commencer à sortir de la société des notables…

À Naples, alors troisième ville d’Europe, la Camorra naît dans les prisons surpeuplées dans lesquelles les éléments les plus violents imposent le paiement d’un tribut. Les camorristes perçoivent l’impôt de la peur ou pizzo (« petit » en napolitain) qui accorde aux détenus rackettés un modeste lit sur lequel se reposer. Et la Camorra d’infiltrer naturellement les garnisons de soldats, souvent constituées d’anciens prisonniers.

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Universités: oui, il faut supprimer les notes inférieures à 10!


Entre valeur des diplômes et justice sociale, nous observons un jeu d’équilibriste compliqué pour les universitaires, avec des recours qui vont jusqu’au Conseil d’Etat! Selon notre chroniqueuse, étudiante elle-même, l’annulation des notes inférieures à la moyenne n’est pas le scandale dénoncé. C’est au contraire tout à fait nécessaire pour nombre d’étudiants


En raison de la Covid-19, faut-il supprimer, pour le deuxième semestre de l’année universitaire en cours, les notes inférieures à 10 – et, ainsi, « donner » le semestre aux étudiants ? Voici un débat qui ne manque pas de soulever les passions depuis le début du confinement, mais qui a, depuis quelques jours, pris une tout autre ampleur. Il s’est en effet retrouvé sur le devant de la scène médiatique grâce aux initiatives des étudiants de l’université Paris-I, qui sont allés en justice pour réclamer l’annulation des notes en-dessous de la moyenne. Les enseignants ont contesté cette mesure devant le tribunal administratif, qui a néanmoins tranché en faveur des étudiants. Or, ces derniers ne sont pas pour autant rassurés, car un nouveau recours, fortement plébiscité par la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a été déposé devant la justice.

Un manque cruel de bienveillance de la part de certains professeurs

Selon Madame Vidal, la délibération de la Commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU) « méprise l’engagement exceptionnel des enseignants au service de la continuité pédagogique ». Fort heureusement, de nombreux professeurs se sont spontanément adaptés aux circonstances exceptionnelles du confinement, soit en ayant drastiquement allégé le contenu des cours, soit en ayant d’eux-mêmes supprimé les examens pour les remplacer par de simples devoirs maison. Les professeurs les plus compréhensifs n’ont pas attendu les directives d’administrations parfois trop silencieuses pour faciliter le quotidien bouleversé des étudiants, et il faut les en remercier sincèrement. 

Or, bienveillance et empathie ne sont malheureusement pas toujours les qualités les plus prisées par les équipes pédagogiques, selon le témoignage de nombreux étudiants. Certains enseignants ont allègrement compliqué les choses en proposant des examens plus longs, plus ardus, allant jusqu’à les faire porter sur des notions inconnues des étudiants. Marianne[tooltips content= »Les prénoms ont été changés »]*[/tooltips], étudiante dans une grande école, me l’affirme : « un professeur nous a avertis que l’examen nécessiterait six heures de composition au lieu de trois habituellement, et que les questions seraient plus difficiles. L’administration a été impuissante à le faire changer d’avis. » D’autres étudiants, absents à tous les cours en visioconférence pour des raisons parfaitement recevables, se sont vus imposer de (mauvaises) notes de participation. Pourtant, on conviendra que mettre une note de participation à un absent, est aussi cohérent que mettre une note d’EPS à un élève qui s’est cassé la jambe. Enfin, Luc*, désespéré, écrit que, malgré ses 40 de fièvre dus à la Covid, l’administration de son université lui a préconisé de « faire l’effort de composer », sans quoi il se retrouverait dans l’obligation de rattraper 4 examens l’an prochain – en plus de ceux du niveau supérieur à valider, donc. Des témoignages comme ceux-ci se sont multipliés tout au long du confinement, prouvant à quel point des étudiants ont été malmenés sur le plan pédagogique. 

Des impossibilités matérielles évidentes

Seulement, l’absence d’empathie de certains professeurs n’est pas le seul élément venant justifier la requête des élèves de Paris-I. Les diverses impasses dans lesquelles se trouvaient nombre d’entre eux suffisaient à elles seules à prendre une décision aussi exceptionnelle. 

Tout d’abord, pour réaliser la moitié d’un semestre en ligne, il faut disposer d’un matériel informatique conséquent, condition sine qua non d’un « bon » déroulement pédagogique. Or, le président du tribunal administratif a précisé que, si la tenue des examens à distance n’était pas justifiée, c’était bien car « seuls 73% des étudiants disposent d’un équipement informatique personnel, et que 40% ne s’estiment pas en mesure de subir des épreuves à distance en un temps réduit. »

Par conséquent, un nombre non négligeable d’étudiants ne dispose pas d’un ordinateur personnel : cela signifie que, au mieux, ces derniers partagent l’ordinateur avec des membres de leur famille, ou que, au pire, ils n’en ont tout simplement pas, sans parler des nombreux problèmes de connexion que beaucoup ont rencontré dans les zones blanches où ils étaient confinés. 

Des étudiants en grande souffrance

Mais il n’y a malheureusement pas que les impossibilités informatiques qui ont empêché les étudiants de composer à distance, ou même de suivre les cours un tant soit peu normalement. Si cette incapacité d’accès à internet était l’unique motif justifiant cette mesure, ce serait presque rassurant sur l’état de la vie estudiantine. Hélas, des situations de détresse bien plus graves ont émaillé ces semaines de confinement.

Premièrement, il semble échapper à bien des personnes que nous sommes en temps de pandémie. Même si la Covid fait peu de cas graves parmi les jeunes, nombreux sont ceux qui ont été très malades, restant parfois cloués au lit pendant 4 à 6 semaines. Comment rattraper des cours ou passer des examens dans cet état ? Et il y a bien entendu tous les décès des proches des étudiants, qui les ont affectés au même titre que les autres français. Peut-on faire comme si de rien n’était lorsque l’on sait que ces deuils ont été encore plus éprouvants qu’à l’accoutumée sur le plan psychologique, les derniers adieux ayant souvent été refusés aux familles ? 

Au-delà du virus, le confinement a rendu les conditions de vie des étudiants encore plus difficiles qu’elles n’étaient alors. Rappelons que, selon l’Observatoire de la vie étudiante, 46% des étudiants travaillent pendant l’année scolaire, et plus de la moitié de ces étudiants jugent que leurs activités sont « indispensables pour vivre ». Chiffre encore plus malheureux, 20% des étudiants vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Comment étudier dans de bonnes conditions lorsque l’on se nourrit de pâtes un jour sur deux, faute d’avoir pu exercer son « job étudiant » pour acheter le minimum vital ? La pandémie n’a fait qu’accentuer la détresse financière de ces étudiants, que les défenseurs des examens jugent, à tort, comme « des cas à part ». Or, tous les chiffres ci-dessus nous prouvent que les étudiants ayant vécu des conditions de confinement impropres aux études ne sont pas minoritaires, loin de là. 

Car la grande erreur est de penser que la majorité des étudiants a eu la chance de se confiner dans une belle maison en Savoie, avec papa et maman aux petits soins, une connexion 4G optimale sur un Macbook Pro, et la terrasse pour faire bronzette – situation qui rendrait les étudiants encore plus performants pour étudier. En effet, si on additionne les cas d’étudiants qui n’ont pas d’ordinateurs, ceux qui ont une connexion plus qu’aléatoire, ceux qui ne peuvent pas se nourrir décemment, ceux qui ont été malades, ceux qui ont perdu des proches, mais aussi les 5% de parents-étudiants qui ont dû garder leurs enfants faute d’école ou de crèche, ou encore ceux qui se sont retrouvés confinés à cinq ou six dans de minuscules appartements, comme c’est monnaie courante dans les quartiers les plus défavorisés, on arrive à une proportion faramineuse d’étudiants en détresse. 

Une question de « méritocratie » ? 

Vouloir faire la sourde oreille face à toutes les plaintes légitimes des étudiants, et parfois face aux véritables drames individuels occasionnés par la pandémie, dénote soit d’une cruelle méconnaissance de la réalité, soit d’un manque de considération impardonnable vis-à-vis de tous ces jeunes gens qui, contrairement à ce que l’on entend souvent, se démènent pour réussir leurs études. D’ailleurs, même les plus scrupuleux réclament depuis le début du confinement une validation automatique de leur semestre : peut-on vraiment les accuser de fainéantise ? De tels reproches font le jeu des pessimistes et autres alarmistes en tous genres. Si les étudiants réclament de telles mesures, c’est justement pour ne pas perdre bêtement une année à cause d’une pandémie qui aura déjà fait assez de dégâts pour qu’elle ne vienne, en plus, leur prendre un semestre qu’ils auraient réussi en temps normal. 

De surcroît, il est regrettable que ces mesures aient seulement été portées par les syndicats de gauche (Unef, Solidaires, etc.), ce sujet ne devant pas être révélateur des clivages droite-gauche puisqu’il ne remet nullement en cause le bien-fondé de la méritocratie. Il ne s’agit pas, dans le cas présent, de « brader » un diplôme (qu’est-ce qu’un malheureux semestre sur les dix qui composent habituellement une scolarité ?), ni de vouloir rabaisser les critères de sélection, de rendre les cours plus faciles, d’instituer des passages « automatiques » sur le long terme, ou encore de faciliter la « triche » à la maison : il s’agit tout simplement de prendre en considération, sur le plan humain, la réalité du confinement sur les étudiants. Et, dans l’intérêt du plus grand nombre, il vaut mieux que quelques étudiants profiteurs passent dans le niveau supérieur, quitte à redoubler par la suite, que laisser de bons étudiants sur le carreau à cause de circonstances qu’ils n’auraient pas pu maîtriser, même avec la meilleure volonté du monde. Ces semaines de confinement sont uniques dans notre Histoire ; alors, pourquoi voir dans une mesure d’urgence, une mesure révélatrice de la médiocratie ambiante – qui, elle, est bien réelle ? 

Concrètement, est-ce que la suppression des notes inférieures à 10, pour un unique semestre, fera obstacle à la hiérarchie juste et nécessaire qui sépare les bonnes copies des médiocres et des plus faibles ? Je réponds non, certaine que la réparation d’un dommage subi par la force des choses, n’entravera pas la bonne évaluation des exercices dans le futur – car un principe de justice ne saurait en offenser un autre.

Justice pour Adama: quand des militants se réfugient derrière l’antiracisme pour promouvoir la distinction des races


Les idées délétères et antirépublicaines de Rokhaya Diallo sont en train de gagner. Elles menacent gravement la cohésion nationale.


Hier soir, c’est un vent de révolte qui s’est emparé de la capitale. En effet, plus de 20 000 personnes se sont rassemblées devant le tribunal judiciaire de Paris pour rendre hommage à Adama Traoré et dénoncer les violences policières. Malgré l’interdiction prononcée par le préfet de police de Paris Didier Lallement, c’est dans une totale impunité que tous ces gens ont tout bonnement et simplement décidé de défier les autorités en criant sans aucune retenue leur haine et leur rejet de la police républicaine. Violer l’état d’urgence sanitaire dans un contexte de crise épidémique carnassière en dit long sur le dessein réel de ces manifestants qui n’ont finalement fait que tester ouvertement l’autorité de l’Etat français.

Une mort instrumentalisée

Entendons-nous bien, il ne s’agit évidemment pas ici de critiquer l’exigence de vérité et de justice que sont en droit d’attendre la famille et les proches du malheureux Adama Traoré, mais de mettre en avant le fait que cette manifestation, en apparence anodine, n’a majoritairement été qu’un attroupement de militants communautaires et identitaires qui exècrent par-dessus tout l’Etat républicain. En effet, à travers le symbole d’Adama Traoré, c’est bien la police de la République qui a été visée. A travers ce dernier, c’est bien l’Etat français en étant honteusement qualifié de « raciste » qui a été diffamé. La vérité est qu’en faisant d’Adama Traoré le porte-drapeau d’accusations mensongères et de revendications politiques et identitaires, tous ces militants n’ont fait qu’instrumentaliser une fin tragique pour mieux dénigrer l’Etat français qui serait, d’après eux, inique.

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Il suffit pour s’en convaincre d’observer les slogans qui ont émaillé ce rassemblement. Entre  « La police tue », « Flics, porcs, assassins » ou encore « Qui nous protège de la police ? », on voit bien à quel point les revendications prônant une justice équitable pour Adama Traoré ont très clairement été dépassées, voire effacées, par un véritable appel à l’insurrection. En insultant la police et en nous faisant croire qu’elle serait un danger pour chacun d’entre nous, les manifestants n’ont effectivement fait que délégitimer cette dernière tout en incitant à lutter contre. C’est bien la violence légitime de l’Etat français qui a été remise en question et c’est bien un appel à s’en distancer qui a été émis pour mieux faire sécession. Quand la police n’est plus respectée, c’est l’Etat dans son ensemble qui est fragilisé et rejeté.

Les thèses indigénistes de Rokhaya Diallo ont infusé dans la société

Que reprochent finalement tous ces gens à la France ? Tout simplement d’être profondément raciste et de commettre à travers sa police des discriminations. En effet, à les écouter, Adama Traoré ne serait mort uniquement que parce qu’il était noir. S’il avait été blanc, aurait-il connu un autre destin ? Assurément non d’après les manifestants. L’Etat français serait donc un Etat raciste et ferait tout pour dissimuler ce sulfureux penchant à travers sa police et à travers sa justice. Voilà ce qu’il y a dans la tête de tous ces militants. La mort d’Adama Traoré ne serait pas seulement le fruit d’une bavure policière, elle serait d’abord et avant tout la conséquence du racisme de l’Etat français. On reconnaît bien ici la dialectique des indigénistes et autres partisans de l’antiracisme militant dont Rokhaya Diallo est sans doute le porte-voix le plus médiatique.

Rokhaya Diallo le 9 octobre 2009. © BALTEL/ SIPA Numéro de reportage : 00953270_000072
Rokhaya Diallo le 9 octobre 2009.
© BALTEL/ SIPA
Numéro de reportage : 00953270_000072

Auteur d’un ouvrage qui s’intitule Racisme mode d’emploi, elle n’a de cesse d’accuser la France d’entretenir un racisme qui serait d’après elle institutionnel, dans tous les médias. En décembre 2017, au détour d’un tweet, elle a notamment déclaré que « « Dire qu’il existe un racisme d’Etat » ne signifie pas son inscription dans la loi mais « que le racisme fonctionne en utilisant les ressorts, les ressources, les modes d’organisation de l’Etat, et produit de fait des catégories différenciées de citoyens ».» Pour justifier ses accusations, elle prétend notamment que les services de l’Etat commettraient continuellement des discriminations en fonction de la couleur de peau. Elle a même été jusqu’à qualifier la police française opérant dans les banlieues multiethniques de « force d’occupation ». En outre, en mai 2018, elle a poussé ses délires paranoïaques jusqu’à accuser les hôpitaux publics français de fournir uniquement des compresses de couleur blanche ; ce qui serait d’après elle discriminatoire puisque particulièrement inesthétique sur une peau de couleur noire. Autant dire qu’il y a de quoi ici se poser de sérieuses questions sur son état psychologique !

Les entrepreneurs identitaires à la manœuvre

Bien évidemment qu’il y a au sein de la société française des discriminations à l’égard des personnes de couleur noire comme des personnes d’origine maghrébine, notamment au niveau de l’accès à l’emploi ou encore au logement, mais prétendre qu’Adama Traoré serait mort car il était noir ou que l’on distribue délibérément dans nos hôpitaux des pansements de couleur blanche pour mieux discriminer les personnes de couleur noire est aussi grotesque qu’infamant. Ce que Rokhaya Diallo appelle « la suprématie blanche » et ce que les manifestants d’hier appellent « racisme d’Etat » ne sont que des fantasmes qui ne visent qu’à justifier et à encourager le repli communautaire et racial que les militants antiracistes et indigénistes appellent de leurs vœux. Il n’est d’ailleurs pas anodin de mentionner que Rokhaya Diallo a défendu à plusieurs reprises les rassemblements non-mixtes et racisés comme les festivals afro-féministes interdits aux Blancs qui ont, d’après la militante identitaire, l’avantage d’offrir « à leurs participants un échappatoire, une zone de respiration dans une société oppressive. » De la même manière, elle a pendant longtemps combattu la loi prohibant les signes religieux à l’école ou celle interdisant le voile intégral dans la rue afin de soumettre la France à une autre culture que la sienne pour mieux détruire l’impérialisme culturel et identitaire « des Blancs ».

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Or, à l’instar de Rokhaya Diallo, en prétendant lutter contre un racisme soi-disant étatique, tous ces militants antiracistes qui ont gonflé hier les rangs du rassemblement « Justice pour Adama » ne font en fait que promouvoir la distinction des races en réduisant les individus à une origine ethnique ou à une couleur de peau. Alors que tous ces gens assurent défendre les populations d’origine immigrée, ils ne font que les condamner au ressentiment et à la marginalité en affirmant que quoi qu’elles fassent, elles n’arriveront jamais à s’intégrer dans une société qui aurait instauré les discriminations à leur égard en un principe étatique. C’est finalement bien sur des critères purement raciaux et purement ethniques que ces gens dressent les Français les uns contre les autres et justifient et encouragent les pires dérives communautaires et identitaires.

La nation en danger

Il ne faut alors pas s’étonner de voir à quel point les banlieues françaises sont peu à peu en train de devenir des zones de non-droit au sein desquelles la police n’a désormais plus droit d’entrer. Il ne faut alors pas être surpris de voir à quel point des jeunes adolescents d’origine immigrée développent petit à petit un sentiment anti-français et font progressivement de la France la cause de tous leurs maux. En surfant ainsi sur les fractures identitaires, les organisateurs de cette manifestation ne font que précipiter la France dans un douloureux chaos qui risque à terme de déboucher sur une effroyable guerre civile.

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En effet, n’oublions jamais cette phrase de Gérard Collomb, prononcée lors de son départ du ministère de l’Intérieur : « Aujourd’hui on vit côte à côte… Je crains que demain on vive face à face. » Il serait peut-être temps d’en prendre conscience car en acceptant l’inacceptable, c’est-à-dire en acceptant que des militants d’un nouveau genre remettent ouvertement en cause les fondements mêmes de notre Etat républicain, nous sommes en train de détruire encore un peu plus les garants de notre cohésion nationale.

Covid-19 en France: une débâcle certifiée conforme


L’Hexagone figure dans le peloton de tête des pays industrialisés les plus durement touchés par le Covid-19. Ce bilan humain et économique désastreux est dû à la lourdeur de notre appareil administratif obsédé par le respect des normes. Même en temps de guerre.


La France se prépare à un étrange désastre, car nous n’avons rien vu venir. Nous attendions de pied ferme la pandémie du SRAS en 2009, qui n’est pas arrivée. Roselyne Bachelot en a été pour ses frais ! Nous avons jugé que l’excès d’anticipation nous avait inutilement mobilisés et coûté. Aussi, quand on a évoqué la probabilité d’une nouvelle pandémie en janvier 2020, nous avons cru bon de laisser venir. Les Chinois ayant assez mauvaise presse – en vertu d’un mélange de défiance envers le régime communiste et de relents ataviques de supériorité –, il ne nous est pas venu à l’esprit que si la rumeur d’une catastrophe fuitait de Pékin, c’est que le mal était profond. Puis, nous avons recommencé avec les Italiens, soupçonnés de surjouer et d’être désorganisés. On en avait vu d’autres !

Sur le podium

Quatre mois plus tard, la France se prépare à être sur le podium des pays les plus mortellement touchés par la pandémie. Notre administration a réussi à taire dans un premier temps le désastre des Ephad (dont la déroute se cachait derrière l’horrible acronyme), mais a fini par le reconnaître fin mars : d’un coup, la mortalité officielle a presque doublé. Fin avril, l’administration a récidivé avec les 9 000 morts à domicile, dont de nombreux soignants. Le nombre officiel de victimes est donc de 33 000 morts au 29 avril, au deuxième rang mondial derrière la Belgique en nombre de victimes par million d’habitants (en tout cas parmi les pays industrialisés, car on ne sait rien de fiable des pays pauvres). À combien serons-nous à la fin de l’année ?

Nous nous apprêtons aussi à monter sur le podium des pays économiquement les plus déstabilisés par la crise : avec 75 milliards d’euros de manque à gagner de production par mois, nonobstant l’explosion des dépenses publiques, nous sommes déjà, à la fin mars, parmi les pays ayant la plus forte chute de PIB en Europe (deux points sous la moyenne), à – 5,8 %. Au second semestre, la chute de la production de richesse et du niveau de vie des Français va s’apparenter à une véritable purge, sans équivalent depuis les deux guerres mondiales. En quelques mois, quelles que soient les formes que cela prenne, les Français vont être appauvris d’au moins 10 %.

Alors oui, « nous sommes en guerre », a dit le Président Macron – quoiqu’il ait refusé d’évoquer le confinement. Mais le lyrisme présidentiel, s’il a bien été entendu par les Français, et reçu cinq sur cinq par les soignants en première ligne dans les régions frappées de plein fouet, n’a pas précipité dans la bataille les directeurs et les étages intermédiaires de notre bureaucratie.

Emmanuel Macron, dans son bureau de l'Elysée, s'entretient au téléphone avec le pape François, 21 avril 2020. © Marin / Pool / AFP
Emmanuel Macron, dans son bureau de l’Elysée, s’entretient au téléphone avec le pape François, 21 avril 2020. © Marin / Pool / AFP

Un Etat en mauvais état

Il est vrai que nous étions mal partis, puisque les précédents gouvernements ont renoncé à notre autonomie industrielle, alimentaire et médicale, tout en désarmant notre vigilance. L’État stratège s’est autodémantelé. 80 % de nos médicaments sont fabriqués en Chine, ainsi que tout le petit matériel médical (gants et masques, surblouses, thermomètres – il y en aura à nouveau en France en septembre –, appareils d’assistance respiratoire, etc.). La médecine militaire a été déshabillée en moins de vingt ans. En 2000 encore, les hôpitaux et régions militaires pouvaient monter en une journée un hôpital de campagne avec une ou plusieurs centaines de lits en cas d’attaque NBC (nucléaire, bactériologique et chimique), mais tout a été liquidé : il en reste un à Paris, et un ersatz de petite taille à Strasbourg. Le remarquable « Plan de réponse contre une menace SRAS », publié en avril 2004 par les autorités sanitaires[tooltips content= »Disponible sur le site du ministère de la Santé. »](1)[/tooltips], a été passé à la trappe des mesures d’économies budgétaires et remisé au musée des rapports administratifs (des lycées de Lorraine avec internat avaient été préparés en 2004, avec stocks de masques et matériels entreposés, mais il a fallu – toute mémoire administrative s’étant effacée – envoyer des malades au Luxembourg (où a été monté un hôpital de campagne pour 100 Français). L’État a liquidé ses stocks stratégiques de masques durant le mandat de François Hollande (1,5 milliard, transférés à tous et donc à personne). Il restait en France une seule usine de production d’appareils respiratoires et une des principales usines de masques a fermé en 2018 dans les Côtes-d’Armor. Pour faire bonne mesure, nous n’avons pas voulu fermer nos frontières quand il était temps, laissant les touristes chinois se déverser par milliers chaque jour jusqu’au confinement.

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Une affaire de souplesse

Mais le problème ne se limite pas à cela. La France possède un tel appareil administratif centralisé qu’il aurait pu se mobiliser pour répondre de toute urgence à nos carences, notamment au plan matériel (masques, tests, blouses, thermomètres). S’il est avéré que l’État a perdu un temps précieux de la mi-janvier à la mi-mars (authentifié par Agnès Buzyn), pendant que les Allemands et les nations d’Asie étaient à la manœuvre, quand le président a déclaré la guerre le 16 mars, que s’est-il passé ? Un mois et demi plus tard, force est de constater que l’administration s’est hâtée lentement, chaque service ouvrant le parapluie de la responsabilité, et chaque responsable s’en remettant aux normes et aux procédures légales, qu’en principe une guerre doit balayer.

« Comment se fait-il, cependant, qu’à beaucoup d’entre nous, j’en juge par certaines confidences, avant tout aux exécutants, le commandement, une fois les opérations entamées, ait donné fréquemment, une incontestable impression de désordre ? C’est que je crois, l’ordre statique du bureau est, à bien des égards, l’antithèse de l’ordre, actif et perpétuellement inventif, qu’exige le mouvement. L’un est affaire de routine et de dressage ; l’autre d’imagination concrète, de souplesse dans l’intelligence, et, peut-être surtout, de caractère », a écrit Marc Bloch à chaud en 1940 dans L’Étrange défaite, à propos de son expérience d’officier de terrain au milieu de l’effondrement militaire de mai-juin 1940 (cette année-là, le PIB de la France s’était effondré de 17 %).

Il fallait en effet compter avec la bureaucratie d’État et son mode de gouvernance ! Alors que l’Europe était en ébullition, c’est le 18 mars que Beauvau a activé la cellule interministérielle de crise ! Les Allemands avaient déjà tests et masques au moment où nous nous sommes posé la question. Pourquoi ? Quatre principes gouvernent en effet l’action publique au xxie siècle : d’abord le « principe de précaution », sanctuarisé dans la Constitution par Jacques Chirac. Son effet pervers est d’inciter à l’immobilisme, le risque zéro ! Ensuite, le contrôle budgétaire qui, en temps d’austérité comptable permanente, paralyse toute initiative (c’est l’histoire des cliniques privées disponibles de l’Est, tardivement sollicitées alors que l’hôpital public était asphyxié [tooltips content= »Voir l’article d’Ariel Beresniak, Le coût de la vie »](2)[/tooltips]). Puis, le contrôle de légalité, qui est une véritable sinécure dans un pays qui compte plus de 10 500 lois, 127 000 décrets (2008) et plus 400 000 textes réglementaires et circulaires : toute décision doit être précédée d’une note de synthèse juridique (chronophage) pour débrouiller le maquis réglementaire. S’y ajoutent des protocoles expérimentaux spécifiques qui encadrent les règles de conformité et de mise sur le marché pour tous les tests, les vaccins, ainsi que les matériels et les processus médicaux. Puis vient la phase des appels d’offres, avec soumission obligée au Code de la commande publique (issu de la fusion en 2018 de 1 747 articles). Enfin, le principe de responsabilité, en vertu duquel toute initiative ou action prise à un niveau intermédiaire peut être déjugée et sanctionnée par la hiérarchie (valant sanction par la justice administrative en cas d’illégalité), et au pire pénalisée devant l’ordre judiciaire en cas de plainte (le recours aux tribunaux se multiplie, hélas, en matière en santé publique).

Mille-pattes administratif

Cette quadrature du cercle incite donc les strates et les instances administratives à agir lentement, prudemment, et si possible avec l’aval du niveau hiérarchique supérieur. Or, dans une fonction publique hospitalière qui compte plus de 1,1 million d’agents, l’administration est une forteresse à plusieurs étages ! Elle agit de manière opaque, ce qui est d’ailleurs attendu d’elle par le ministère – des mois de travaux d’une commission parlementaire ont été nécessaires pour savoir combien de cartes Vitale circulent en France et le dossier médical individuel promis par Alain Juppé en 1996 se fait attendre : or, il serait utile en cas d’épidémie. Mais elle est de surcroît soumise à des impératifs budgétaires qui entravent l’activité : le respect de l’Ondam (Objectif national de dépenses de l’Assurance-maladie), issu de la loi Juppé, conjugué à la tarification à l’acte, aboutit à des logiques perverses qui maintiennent une pression constante sur l’hôpital public. Les cliniques ayant tendance à aspirer les actes répétitifs et rentables, dans une enveloppe globale, cela déshabille d’autant l’hôpital public qui a la charge des pathologies complexes et coûteuses. Les gestionnaires font des choix contraints : ne pas pourvoir tous les postes de soignants, ou embaucher des médecins étrangers qui coûtent moins cher…

Depuis la loi du 21 juillet 2009, dite « Hôpital, patients, santé et territoire » (HPST), les ARS (agences régionales de santé) assurent un pilotage unifié de la santé dans les régions françaises. Peuplées de cadres administratifs formés à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes, elles exercent leur tutelle sur les hôpitaux et sur les cliniques et veulent contrôler toute initiative locale. La bureaucratie de la santé n’a jamais été si puissante. Le corps médical a perdu le contrôle de la politique de la santé publique au profit de ces agences de régulation : leur objectif est de tenir les dépenses budgétaires autorisées par le Parlement, ce qui conduit à des situations ubuesques en peine crise du Covid (relatées par Gil Mihaely et Erwan Seznec dans « Covid-19 : les pesanteurs administratives sont immunisées, scandale dans la gestion de Covid-19 dans le Grand-Est », 7 avril, causeur.fr). Comme toute bureaucratie, les ARS et l’APHP (État dans l’état sanitaire, avec ses 100 000 agents, dont une majorité de non-soignants) émettent des normes de contrôle et de procédure, qui rendent impossible toute « mobilisation » en cas de guerre.

La haine de l’initiative

La bureaucratisation des procédures est si rigide qu’elle interdit l’initiative locale et individuelle. On comprend mieux la hargne administrative qui s’est abattue sur les initiatives jugées intempestives du professeur Raoult – quels que soient par ailleurs ses torts ou ses mérites –, qui avait eu le « culot » de faire procéder à la fabrication de tests Covid-19 sans attendre la labellisation industrielle agréée[tooltips content= »Ibid »](3)[/tooltips]. Comme si une guerre pouvait se gagner comme une expérimentation de laboratoire, ou un brevet industriel, dans le strict respect des normes en vigueur. De même, les initiatives des régions et des villes ont d’abord été retoquées par l’État, notamment pour la production et l’achat de masques, comme s’il s’agissait d’une technologie inconnue hors de toute urgence vitale. Non seulement notre porte-avions a mis un temps infini à virer, mais les goélettes les plus mobiles ont été rattrapées par la patrouille.

Il y a quelques années, l’État aurait mandaté les commissaires aux armées qui, avec des valises de billets, avaient le droit (comme les Américains) de parcourir le monde à la recherche des fournitures nécessaires. Mais le ministère de la Défense a mis fin à la liberté de ses agents, désormais soumis à la commande publique. Or, une fois la guerre perdue, il est trop tard pour casser les codes. La bureaucratisation et la paralysie semblent consubstantielles d’un appareil administratif tentaculaire. En tant que chercheur en sciences humaines, cela m’évoque l’incapacité de notre État à piloter les recherches stratégiques quant à notre sécurité collective et à nos intérêts vitaux : le respect des procédures conduit à privilégier de manière improbable, mais équitable, les dossiers les plus politiquement corrects, dussions-nous mourir en les lisant !

Être Claude Goasguen, c’est un métier!

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Claude Goasguen en 2016 à l'Assembée nationale. Le maire du 16e était député depuis plus de deux décennies © PDN/SIPA Numéro de reportage: 00779414_000065

Droite. Disparition de Claude Goasguen. L’élu local du 16e arrondissement parisien, éphémère ministre, avait aussi une vision nationale, et sera regretté


Tout habitant de l’Ouest parisien n’ignore pas qui était Claude Goasguen, et même parmi les absents du militantisme son nom est connu comme le loup blanc. Depuis sa disparition le 28 mai dernier, celui qui correspondait au folklore de l’élu local par sa présence naturellement chaleureuse et sa forte voix, laisse pourtant un vide que n’explique pas sa seule fonction de député.

Emporté par le Covid-19 comme Patrick Devedjian

Et pour cause, Claude Goasguen a « fait carrière » en politique : il est de ceux qui ont traversé la Vème République et qui en sont une sorte d’incarnation. Son histoire personnelle a jouxté la grande, et en lui se superposaient les concepts politiques comme les strates géologiques qui apparaissent sur certaines montagnes.

Né à la fin de la guerre, sa proximité avec les baby-boomers ne l’orienta guère vers les milieux politiques maoïstes et trotskystes-léninistes majoritaires de cette génération. C’est au service de la Corpo d’Assas qu’il voua sa témérité politique, engagé à droite pour l’Algérie française aux côtés d’Alain Madelin, Gérard Longuet ou Patrick Devedjian – également emporté par l’épidémie.

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Cet anti-communisme prend très rapidement, dès 1966, la forme d’un engagement libéral. Il rejoint cette année le gaullisme d’appoint de la Fédération nationale des républicains et indépendants, parti politique qui propulse Giscard à la présidence de la République. Son appartenance à la droite libérale ne changera jamais et définira son crédo, des bancs de l’Assemblée Nationale au conseil de Paris, où il occupa en 1983 le poste d’adjoint au nouveau maire de Paris, l’un de ses mentors politiques : Jacques Chirac.

Un ami d’Israël

Tout comme l’ancien président c’était un homme des foules, un grand vivant qui aimait le contact et les discours grandioses, les bons repas et les festivités de la vie politique. Mais c’était d’abord un homme d’idées, qui mettait sa fougue au service de la défense des juifs de France, des chrétiens d’Orient ou de la légitimité d’Israël à exister, des causes qu’il défendait comme un lion au sein de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Il fut également celui qui affichait au fronton de sa mairie les symboles de ces combats – pour Gilad Shalit ou les chrétiens d’Orient – et le seul député à porter avec Meyer Habib une kippa dans la salle des quatre colonnes le 13 janvier 2016, par solidarité suite à l’agression d’un enseignement marseillais juif. De son combat restera cet engagement sans faille auprès d’un peuple dont il se réclamait presque, et dans l’histoire duquel il devait sûrement percevoir la combativité qui le caractérisait.

Au-delà de son énergie mêlée à sa culture profonde de docteur en droit, Claude Goasguen avait une largesse intellectuelle qui lui permettait de synthétiser les contraires : libéral sans rien céder sur le régalien, savant et politique, élu de terrain avec une vision nationale. Cette capacité à regrouper des sensibilités différentes sous son égide a été jusqu’au bout une carte maîtresse, et la raison pour laquelle il a été investi par les Républicains pour aider à composer une liste à d’union derrière Francis Szpiner dans un 16ème arrondissement en proie aux candidatures dissidentes.

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Ses compétences le portèrent même jusqu’aux fonctions de ministre de la Réforme de l’État, de la décentralisation et de la citoyenneté sous le premier gouvernement d’Alain Juppé, un rôle qu’il quitta prématurément par trop d’entièreté et de caractère.

Abstraction faite de son parcours admirable, Goasguen inspirait un style, celui d’une époque où la liberté de ton se conciliait avec le talent de bien en user, celle où la politique était une arène d’orateurs talentueux, qui avaient le noble projet d’emmener le citoyen au-delà de lui-même plutôt que le petit souci de ne pas le froisser. La communication était à beaucoup d’égard étrangère à ce boxeur de la politique, à ce pirate, fils de marin, qui semblait ouvrir la grand-voile chaque fois qu’il prenait son souffle avant de haranguer un parterre de militants. Pour avoir assisté à quelques-unes de ses interventions, Claude Goasguen savait réveiller une salle endormie par les discours consensuels, et était accueilli en superstar par des étudiants trois fois moins âgés que lui : voilà son éternelle jeunesse.

Goasguen est un de ceux qui nous donnent soif d’aventures politiques et de grande conquête : un jour qu’il avait fini un discours dans sa permanence, je venais pour le féliciter. Il me regarda plein d’ironie et de gentillesse avant de s’exclamer « Ah ! C’est tout un métier. ». C’est vrai : être Claude Goasguen, c’est tout un métier.

La mort, cette inconnue

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Un agent des pompes funèbres récupère les corps de résidents d'Ephad décédés du Covid-19, Bantzenheim (région mulhousienne), 5 avril 2020.

Notre surréaction au léger rebond de mortalité provoqué par le Covid-19 révèle notre hypersensibilité à la mort. En l’absence de fléaux ou de grandes guerres depuis des décennies, l’allongement de l’espérance de vie est devenu un droit de l’homme.


L’épidémie de Covid-19 agit comme un extraordinaire effet de loupe sur les attitudes contemporaines devant la mort. Chaque soir à la télévision, le désormais célèbre directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, nous donne le décompte des morts du jour. On en oublierait presque qu’avant l’épidémie, 1 700 personnes mouraient chaque jour en France.

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L’expérience collective de la mort

L’effet de loupe s’explique aussi par le plus grand nombre de décès simultanés. D’habitude, on meurt en ordre dispersé et chacun, les moribonds et ceux qui leur survivent, vit discrètement le problème à son échelle, selon un calendrier individuel et aléatoire. Ici, exceptionnellement, on vit tous ensemble les conséquences de l’épidémie.

Techniquement, dans ce genre de situation, on parle de mortalité extraordinaire, bien qu’elle soit très limitée. Au XVIIe siècle, il se produisait localement une crise de ce genre tous les dix ou vingt ans, si bien que la mortalité ordinaire enregistrée dans l’année doublait. Dans le cas présent, au pire moment de l’épidémie, on aura eu un surcroît hebdomadaire de mortalité de l’ordre de 30 à 40%, soit un nombre de décès quotidien approchant de celui de la guerre de 14 (autour de 950 morts), mais sur deux semaines seulement (et non 52 mois) et avec 25 millions d’habitants en plus.

Du régime démographique

À la différence du sida, le Corona respecte l’ordre de passage des générations face à la mort et seul son sex-ratio (très défavorable à la gent masculine) est extraordinaire. Bref, on a plus affaire à une amplification de la mortalité ordinaire qu’à une véritable crise de mortalité extraordinaire. Le stress est bien réel, mais il est, finalement, assez limité, et on sent bien que le grand nombre a résisté à la tentation d’aller se confiner au soleil au retour des beaux jours.

Les attitudes devant la mort dépendent surtout du régime démographique d’une société, même si ce n’est pas le seul paramètre. C’était le sens de la formule profonde de Pierre Chaunu pour qui l’histoire de la mort était « une dérivée de l’espérance de vie ». Or, notre régime démographique, tel qu’il s’est mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, mais dans le prolongement d’évolutions plus anciennes dont certaines remontent au XVIIIe siècle, se caractérise par quatre traits principaux.

  1. La quasi-disparition de la mortalité infanto-juvénile, qui a commencé à baisser fortement à la fin du xixe siècle et qui a été divisée par dix en dix ans après la Seconde Guerre mondiale. Elle atteint désormais des niveaux quasi incompressibles, mais elle ne doit pas nous faire oublier qu’au xixe siècle encore, les enfants et les jeunes fournissaient le gros contingent des morts.
  2. Le gain d’une « vie en plus », de vingt ou trente ans, qui a bouleversé aussi bien la structuration des existences individuelles (en contribuant à déplacer le seuil physiologique et psychologique de la vieillesse) que l’équilibre des générations dans les familles. Le rideau de protection face à la mort que constitue la génération des parents, disparaît plus tard, ce qui retarde d’autant le moment où les adultes cessent véritablement d’être des enfants. S’ensuit une « infantilisation » psychologique massive des sociétés.
  3. La concentration tendancielle des décès après 65 ans, phénomène inédit dans l’histoire démographique de l’humanité. Mais comme la mortalité finale d’une génération reste, jusqu’à nouvel ordre, de 100 %, elle s’élimine désormais intégralement en vingt ou trente ans, moyennant un système de départs groupés que les baby-boomers sont les premiers à étrenner. L’épidémie les surprend en pleine action et menace d’en accélérer dangereusement les opérations. Ils ne sont peut-être pas pour rien dans la surréaction collective au phénomène, les plus jeunes étant moins concernés et les plus âgés moins consultés, bien qu’on parle beaucoup en leur nom.
  4. La quasi-disparition de la mortalité extraordinaire, celle des famines, des épidémies et des guerres qui, en additionnant souvent leurs effets, pesaient lourd dans le bilan global de la mort. La dernière famine européenne date de 1846 (en Irlande), la dernière épidémie vraiment meurtrière de 1918-1919 (la grippe espagnole), la dernière guerre vraiment sanglante de 1939-1945. Depuis, plus rien ou des épisodes si modestes que les générations qui avaient connu l’ancien monde démographique n’ont pas pensé à les signaler, de même qu’on s’accommodait dans les années 1970 d’une mortalité routière annuelle de 15 000 morts.

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Le droit de l’homme vieux

Les sociologues notent que nos contemporains croient en une sorte de droit à vivre jusqu’à 80 ans. De sorte que tous les décès survenus antérieurement leur paraissent plus ou moins prématurés.

Se généralise ainsi un profil de vie en cloche, qui voit les existences se terminer paisiblement vers 80 ou 90 ans, comme une bougie s’éteint.

À la limite, on redoute plus désormais la dégradation physique et psychique inhérente au grand âge que la mort elle-même, comme on peut en juger au vu de l’ampleur de la littérature sur Alzheimer ou nos discussions sur la fin de vie.

L’imprévisibilité de la mort ayant beaucoup diminué, ce serait plutôt sa trop grande prévisibilité qui nous angoisse désormais. L’espérance de vie, jadis simple artefact mathématique déformé par la mortalité infanto-juvénile, est devenue un pronostic assez sûr de la date du décès. C’est cette nouvelle représentation dominante de la mort que la pandémie révèle. Nous surréagissons au phénomène non seulement parce que nous n’y sommes plus habitués, mais parce que nous avons développé une forme d’hypersensibilité à la mort. De plus en plus maternel, notre État traumatisé par la canicule de 2003 applique un principe de précaution prophylactique qui accentue encore cette tendance. Pour la psyché collective, la focalisation médiatique sur l’événement entretient l’obsession des morts du Covid. Gageons que ceux d’entre nous qui viennent d’ailleurs, de pays en guerre (la « vraie », pas la « sanitaire ») ou moins favorisés, ne s’y trompent pas et sentent bien la différence.

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D’où probablement la tendance à exagérer la portée de l’événement, censé délimiter dans notre histoire un « avant » et un « après », sans qu’on voie très bien sur quoi repose un tel diagnostic. L’événement Covid ne bouleverse pas fondamentalement les données de la situation antérieure. Rien n’indique que notre monde divisé soit vraiment résolu à en tirer les conséquences de manière convergente.

Le plus probable est que celles-ci seront surtout économiques et sanitaires. La prochaine fois, en somme, nos stocks de masques et de respirateurs seront au complet. Pour le reste, qu’on se rassure, ou qu’on s’en désole : nous sommes les mêmes, ou presque.

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Après la manifestation « Adama Traoré », Virginie remonte (difficilement) la pente

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Photo: Hannah Assouline

Ce matin sur France inter, c’est une lettre de la pornographe préférée de Causeur qu’Augustin Trapenard a lue…


Ce jeudi 4 juin, sur une musique légèrement anxiogène, avec une voix discrètement neurasthénique, Augustin Trapenard a lu l’épître de Virginie Despentes : « Lettre adressée à mes amis blancs qui ne voient pas où est le problème… » Cette lettre est la énième tribune de l’écrivaine rebelle bien connue. Dans un style de plus en plus poétiquement abscons – qui n’est pas sans rappeler celui de nos plus grandes penseuses ayant écrit elles-mêmes des tribunes inoubliables, Annie Ernaux ou Marie Darrieussecq, par exemple – ce texte apporte de nouvelles précisions sur la vie et la personnalité de Virginie Despentes, ses démons, ses craintes, sa pensée tiraillée et ses contradictions.

Quelle angoisse!

Virginie Despentes croit dur comme fer que les arabes et les noirs ont la poisse. « La dernière fois qu’on a refusé de me servir en terrasse, j’étais avec un arabe. La dernière fois qu’on m’a demandé mes papiers, j’étais avec un arabe. La dernière fois que la personne que j’attendais a failli rater le train parce qu’elle se faisait contrôler par la police dans la gare, elle était noire. » Il n’est pas impossible que les protagonistes des mésaventures despentiennes pensent de leur côté : « La dernière fois qu’on m’a demandé mes papiers, j’étais avec Virginie Despentes ; la dernière fois qu’on a refusé de me servir à boire en terrasse, j’étais avec Virginie Despentes ; la dernière fois que j’ai failli rater mon train, j’étais avec Virginie Despentes », et finissent par croire, eux aussi dur comme fer, que c’est Virginie Despentes qui leur porte la poisse. 

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Nous savons maintenant ce qu’a fait Virginie Despentes pendant le confinement, avec qui, et où ! « Les blanches, on nous a vues faire du jogging et le marché dans le septième arrondissement. » Nous apprenons également ce qu’elle et ses blanches de copines se sont dit, après en avoir eu « un peu rien à foutre », quand elles ont appris que le « taux de mortalité en Seine-Saint-Denis était de 60 fois supérieur à la moyenne nationale » […] : « C’est parce qu’ils se confinent mal. » Nous devinons que cette affirmation blanche et sèche doit être entendue comme une remarque raciste. Mais nous ne pouvons en être sûr.

Comme il arrive souvent avec ce ménestrel de la plume oblique, le reste du paragraphe demande un petit effort pour en extirper tout le sens. Des esprits trop terre-à-terre appelleraient d’ailleurs bouillie infâme ce passage de notre poétesse de l’obscur.

Virginie chez les racisés

Virginie Despentes ne sait plus compter : « Ce mardi, je me rends pour la première fois de ma vie à un rassemblement politique de plus de 80 000 personnes organisé par un collectif non blanc. » En réalité, elles n’étaient que 20 000. Elle déplore aussi l’absence des « non blancs » dans nos gouvernements successifs. Il y a pourtant bien eu Rama Yade ou Christiane Taubira, non ? Certes, ce sont souvent des femmes. Mais la « masculinité » étant une catastrophe toxique que notre poétesse dénonce tous les quatre matins, elle aurait pu s’en réjouir. À moins que la « masculinité » blanche seule ne soit toxique, et la « masculinité » noire aimable et enviable ?

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Virginie Despentes est insouciante comme le sont tous les rêveurs : elle sort de chez elle « sans prendre [ses] papiers », et quand elle remonte chez elle, c’est sa « carte bleue » qu’elle récupère (en oubliant encore de prendre ses papiers), elle « circule dans cette ville sans même remarquer où sont les policiers ». C’est fou. C’est incroyable. Elle ne voit pas les policiers mais elle entend des voix. La ville lui parle : « la ville me dit tu es ici chez toi. » C’est stupéfiant de crétineri…, pardon, de beauté. Traversée par de fulgurantes réalités, elle ne peut s’empêcher de les coucher sur le papier : « Je suis née blanche comme d’autres sont nés hommes. » Heureusement, « je peux oublier que je suis blanche », malheureusement, « je ne peux pas oublier que je suis une femme ». En creux, Despentes parvient à faire le portrait subtil du fautif absolu, du coupable de tous les maux, celui de l’homme blanc, sans jamais le nommer. Ça, c’est de l’écriture… 

La lettre de Virginie Despentes s’achève sur une phrase qui offre la possibilité interprétative la plus large, la mise en abyme la plus profonde, et représente la quintessence de la Pensée despentienne : « En France, nous ne sommes pas racistes mais je ne connais pas une seule personne noire ou arabe qui ait ce choix. » Nous en appelons à nos lecteurs pour éclairer, discuter, interpréter cette sentence. Plus que jamais, vos commentaires seront lus avec attention… 

Le scandale The Lancet remet en cause le fonctionnement des revues “de référence”

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LOIC VENANCE / AFP

Tout un petit monde scientifique fustige la vulgarisation scientifique. Mais les comités de lecture des grandes revues dans lesquelles ils publient leurs articles ne sont pas infaillibles non plus… Est-ce la fin de quelques totems et tabous du monde scientifique ?


La revue médicale britannique The Lancet a émis, mardi 2 juin, une mise en garde vis-à-vis d’une étude publiée par la revue elle-même courant mai dernier. Revue de référence s’il en est en matière de recherche médicale, avec cette annonce, The Lancet vient de lancer un pavé dans la mare du monde de la recherche universitaire et ce, bien au-delà de la science médicale. L’étude suspectée désormais de défauts plus graves encore que des biais de conception et d’interprétation, avait pourtant provoqué des décisions drastiques de politiques publiques tant en France qu’à l’OMS : interdiction de l’usage de l’hydroxychloroquine dans le traitement de la Covid-19 et arrêt de tous les essais cliniques testant cette molécule. C’est ainsi toute la crédibilité des « grandes revues de référence », et le système même de la promotion par la course aux publications dans le monde universitaire international, qui se trouvent remis en cause.

Le petit marigot des « prestigieuses » revues médicales

Certes, le monde médical est sans doute parmi les milieux les plus fermés et les plus corporatistes. Et son pouvoir sur les individus et les sociétés est connu de tous, même si on n’a pas lu les analyses de Michel Foucault sur le sujet. Car les médecins président bien souvent à nos destinées. De plus, les progrès considérables réalisés dans les domaines de la biologie cellulaire notamment, de la virologie, de l’infectiologie, de l’épidémiologie et de la pharmacologie, font de la science médicale un domaine hyper spécialisé dont les tenants et aboutissants échappent à la grande majorité des populations. Pourtant, c’est sans doute aussi la pratique scientifique qui touche le plus directement et le plus massivement tout un chacun. C’est pourquoi, avec la crise sanitaire du Covid et la dramatisation (plus ou moins justifiée) de la situation par les autorités politico-scientifiques, les gens « du tout venant » se sont immiscés dans des questions jusque-là réservées aux spécialistes, aux experts. Le citoyen lambda qui cherchait à comprendre la maladie et à s’en prémunir était alors raillé et conspué par les « sachants » qui aimaient à se moquer « des millions d’épidémiologistes » nés de l’épidémie du coronavirus.  

Seules les revues « à comité de lecture » sont retenues comme valables pour orner un CV sous prétexte que les articles soumis par leurs auteurs sont anonymisés et que les lecteurs sont des plus compétents…

Certes, il est toujours dangereux de livrer à l’opinion peu informée et versatile, des questions théoriques et pratiques complexes, qui risquent alors de devenir, comme on l’a vu avec la polémique sur l’hydroxychloroquine, des enjeux idéologiques. Au demeurant, la question de la « vulgarisation » des savoirs se pose aussi bien en médecine que dans tous les autres domaines de la recherche, en sciences « dures » comme en sciences humaines et sociales. Et si elle fait débat, ce n’est hélas qu’à bas bruit car les « chercheurs » sont avares de leurs savoirs, fiers de leurs méthodes scientifiques, et jaloux de leur indépendance. Le terme de vulgarisation peut d’ailleurs avoir quelque chose de péjoratif. Et, alors que leur articulation dans l’Université est prônée haut et fort, l’antagonisme entre enseignement et recherche travaille sourdement au point que pour discréditer certains collègues, on les traite volontiers de « pédagogues ». Comme si les universitaires étaient d’une essence tellement supérieure aux enseignants du primaire et du secondaire que bien transmettre un savoir à des étudiants était méprisable au regard des enjeux de la Recherche.

Tenants et aboutissants des querelles universitaires

Mais au-delà de cette question importante de l’irrigation des savoirs au sein des sociétés et de l’éducation populaire, c’est le problème de la sélection au sein du milieu savant que vient mettre en lumière la défaillance de la revue The Lancet. À la question difficile de comment recruter et promouvoir les chercheurs et les enseignants-chercheurs, la tradition du milieu universitaire répond par l’endogamie moyenâgeuse : « le jugement des pairs ». Or, ce type de sélection est faussée, au mieux biaisée, au pire malhonnête et frauduleuse. Contrairement aux examens et aux concours par épreuves écrites anonymes, le recrutement des enseignants universitaires (temporaires ou titulaires, maîtres de conférences ou professeurs) se fait sur dossier nominal puis sur audition par un jury d’enseignants en poste. A priori, la bonne foi des membres des jurys ne devrait pas poser de problème. Mais la disproportion entre le nombre de postes à pourvoir et celui des candidats est telle que la sélection se fait in fine de façon arbitraire entre postulants de valeur équivalente. Et là les rapports de force entre « écoles » ou dit plus crûment entre « clans » adverses, jouent à plein. Il en est de même pour les promotions internes (passage de maître de conférence à professeur et pour les augmentations de grades hors ancienneté et passage à la « hors classe »). 

A lire aussi: La technocratie, les médecins et les politiques

Quant aux recours lorsqu’ils existent juridiquement, ils sont de fait impossibles sauf à oser la requête auprès du Conseil d’État, car on vous répondra toujours que « la commission de sélection est souveraine ». Par ailleurs, les contestations sont découragées par l’argument de non-scientificité des travaux des candidats écartés ou des collègues décriés. En sciences humaines et sociales tout spécialement, les partisans se revendiquant de Pierre Bourdieu aiment ainsi se moquer de leurs collègues qui préfèrent l’esprit critique de l’humanisme, la libre pensée et le comparatisme universaliste, aux préceptes systématiques de la critique sociale de la domination, de la dénonciation de « l’essentialisation » et de la stigmatisation du mâle occidental. Hors du dogme et du clan du bourdivisme, point de travail valable ni théorique ni de « terrain », nulle reconnaissance professionnelle ou institutionnelle, et tout collègue à qui est ainsi déniée la qualité scientifique est transformé ispo facto en adversaire à abattre.

Les comités de lecture vont avoir mauvaise presse!

Enfin, à propos des fameuses « publications » qui doivent figurer en nombre sur un CV pour être reconnu par « ses pairs », la supercherie est peut-être encore plus flagrante, bien que quasiment unanimement tue par le milieu universitaire. Seules les revues « à comité de lecture » sont retenues comme valables pour orner un CV sous prétexte que les articles soumis par leurs auteurs sont anonymisés et que les lecteurs sont des plus compétents. Or, d’une part, l’anonymat est très relatif dans un milieu aussi endogamique et, en sciences humaines et sociales tout spécialement, nombre d’auteurs d’articles publient dans leur propre revue ou de façon « croisée » dans des revues de collègues amis. Par ailleurs, en sciences « dures » cette fois, la plupart des articles sont rédigés par des « vassaux » (étudiants ou jeunes chercheurs dépendants) et signés systématiquement par tous les membres de l’équipe et en premier lieu par le « patron » tout puissant.

Le Docteur Raoult, abonné fidèle de la revur britannique "The Lancet" Image: Capture d'écran Youtube
Le Docteur Raoult, abonné fidèle de la revue britannique « The Lancet »
Image: Capture d’écran Youtube

D’autre part, les lecteurs de ces revues plus ou moins prestigieuses « à comité de lecture » ne sont pas toujours aussi compétents ou incorruptibles qu’on le dit. Sinon comment expliquer en pleine polémique la publication de cette étude dans le Lancet ? Ou encore, autre signe du manque de professionnalisme des lecteurs de telles revues, le canular monté par des chercheurs qui, en 2018, ont piégé plusieurs revues nord-américaines de renom en proposant des articles sociologiques absurdes mais politiquement corrects selon les nouvelles idéologies en vogue sur les campus. Au total, sept de leurs articles « bidons » ont été publiés après être passés par les filtres des comités de lecture. En l’occurrence il s’agissait d’un biais idéologique. Mais outre les effets de copinage, des intérêts plus directement politiques ou financiers peuvent être en jeu, notamment lorsqu’il est question de défendre des politiques publiques ou des traitements impliquant des laboratoires pharmaceutiques. 

Réformer le système n’est sûrement pas aisé. Une piste toutefois pourrait consister dans une veille pour garantir au sein du milieu universitaire et savant en général, non pas une unanimité confinant à l’omerta, mais au contraire une pluralité de points de vue et d’approches scientifiques. Car la noblesse de la science réside précisément dans confrontation d’expériences, d’analyses et de conclusions diverses et souvent divergentes. Ainsi, les débats méthodologiques sur les types d’essais randomisés ou observationnels ne sont pas en soi scandaleux. En bonne pratique démocratique, l’accord doit se faire alors sur la place du désaccord.

A écouter, l’analyse d’Elisabeth Lévy sur le scandale The Lancet, sur Sud Radio:

On est sortis de chez nous…

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Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, participe a la grande manifestation contre le plan de suppression d'emplois à l'usine Renault MCA de Maubeuge, le 30 mai 2020 © Sarah ALCALAY/SIPA Numéro de reportage: 00964692_000016

L’édito politique de Jérôme Leroy


On ne peut pas vouloir tout et son contraire. Notre magazine le mois dernier titrait fort justement « Sortez de chez vous !». Il est vrai que le confinement avait assez duré, qu’il fallait que tout reparte. Seulement, il y a eu un malentendu. Ceux, du côté de la droite, du patronat et d’une partie des Marcheurs tendance Agnès Pannier-Runacher, qui avaient espéré que cette sortie soit uniquement pour faire tourner l’économie et rétablir les marges des actionnaires en travaillant plus pour gagner moins, en sont pour leur frais.

Comme dit le proverbe normand, « les bouchées avalées n’ont plus de goût » et l’infirmière, pour les éditorialistes, est en passe de ne plus être une héroïne mais une feignasse qui continue à s’accrocher aux 35 heures

Du côté de Maubeuge, par exemple, qui n’a pas besoin de ça, les gens sont sortis de chez eux pour dire qu’il était hors de question que Renault ferme alors que l’entreprise venait de toucher plusieurs milliards de l’État sans trop de contrepartie. On a même vu dans la manif ce dangereux bolchévique de Xavier Bertrand, président des Hauts de France, défiler avec la CGT.

Après tout, se crever la paillasse au nom de la reconstruction d’un système qui a tout de même un peu aggravé la situation par une vision managériale et comptable des questions hospitalières et sanitaires, ça demande réflexion. Les soignants, engagés dans le Ségur de la santé, sont encore tout étonnés de la rapidité avec laquelle les applaudissements se sont tus. Comme dit le proverbe normand, « les bouchées avalées n’ont plus de goût » et l’infirmière, pour les éditorialistes, est en passe de ne plus être une héroïne mais une feignasse qui continue à s’accrocher aux 35 heures.

Au boulot !

Et puis quand on sort de chez soi, on en sort aussi avec ses problèmes et tout de même un peu de colère à voir les médias se concentrer à longueur de reportage sur la réouverture des parcs et surtout des terrasses. N’est-ce pas contradictoire, tout de même, de s’extasier sur le petit noir et le demi pris par des promeneurs qui glandent au soleil, alors que tout ce monde là devrait être en train de marner ? Céline avait raison, dans le Voyage, qui remarquait : « Les gens de Paris ont l’air toujours d’être occupés, mais en fait, ils se promènent du matin au soir ; la preuve, c’est que, lorsqu’il ne fait pas bon à se promener, trop froid ou trop chaud, on ne les voit plus ; ils sont tous dedans à prendre des cafés crème et des bocks. »

A relire, Causeur #79: Sauvez la France, sortez de chez vous !

Parmi les problèmes, évidemment, il y a ceux des quartiers. Ce n’était pas brillant avant le confinement et ça n’a pas été brillant pendant avec une mortalité nettement supérieure à la moyenne, le plus grand nombre de décrocheurs scolaires et une situation qui a flirté, notamment en Seine Saint-Denis, avec la famine. Je vois ainsi quelques contributeurs de notre magazine qui s’étonnent et sont d’humeur chagrine devant la manifestation en faveur d’Adama Traoré. Quoi, ils osent braver l’interdiction des rassemblements de plus de dix personnes, ces voyous, ces sans-papiers, ces mauvais Français islamisés ?

Les antifas, nouveau fantasme mondial

Pourtant les mêmes ne cessent de se féliciter de la résistance anarcho-punk de Trump ou Bolsonaro au totalitarisme sanitaire qui vient. Comme eux, ils ne sont pas loin de penser qu’il ne faudrait pas hésiter à sortir les armes, comme l’ont fait pendant le confinement quelques milices suprématistes devant des Capitoles locaux. Mais voilà qu’après le confinement, Trump menace d’envoyer la troupe, rien que ça, parce qu’il semblerait que ce soit au tour des Noirs américains d’être de sortie en compagnie, de pas mal de Blancs et des policiers eux-mêmes pour protester contre la mort par asphyxie d’un truand noir en surpoids qui s’est jeté pendant plus de neuf minutes sous le genou d’un officier connu, d’après ses états de service, pour sa modération humaniste.

Dans la mesure où ce « sortez de chez vous » ne s’adressait pas seulement à l’ouvrier non syndiqué ou à l’identitaire libertarien, il faudra bien accepter que les minorités en colère, les militants antiracistes, les cégétistes, les antifas (ce nouveau fantasme mondial), les féministes LGBT, et les urgentistes en grève  ressortent aussi.

Et pour tout vous dire, c’est très bien comme ça…

Ceux qui croient encore au ciel et ceux qui n’y croient plus

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Guillaume Faury, le PDG d'Airbus, avec Ahmed bin Saeed Al Maktoum, le patron de la compagnie Emirates à Dubai, en 2019 © Jon Gambrell/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22400233_000005

Le secteur de l’aviation se relèvera difficilement de la crise sanitaire. C’est pour lui la double peine: déjà victime d’un phénomène de rejet (le “flygskam” promu par une petite Suédoise à couettes), le Covid-19 vient de clouer au sol 95% des appareils. Bruno Le Maire a volé au secours de la compagnie nationale Air France, mais il devrait plutôt se concentrer sur Airbus, dont le sort est bien plus préoccupant pour l’économie nationale.


Dans La Rose et le Réséda, écrit pendant la Résistance, Louis Aragon unit dans l’adversité celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas. Soixante ans plus tard, la jeune Greta, celle qui ne croit assurément pas aux voyages dans le ciel, voit la pandémie concrétiser ses rêves, et ce quasiment sans coup férir.

Air France s’est engagée à fermer les liaisons aériennes partout où existe une alternative ferroviaire…

Avec la fin du confinement, de nouveaux poncifs ont fait irruption dans les conversations et les éditoriaux : promis, juré, le nouveau monde sera solidaire, inclusif et écologique, Bali c’est fini, adieu les vacances en Grèce ou aux Seychelles. La pandémie va sevrer tous les déviants accros aux voyages en avion. L’homme nouveau, le Français de l’ère post-Covid sera un sédentaire dont l’horizon sera la sous-préfecture d’à côté. Tous les pays destinations dont l’économie (et accessoirement la stabilité) est ultra dépendante des revenus et des emplois du tourisme, tels l’Égypte, le Maroc ou Maurice, n’auront qu’à se « réinventer » et trouver rapidement de quoi occuper et nourrir leur population. Cette promesse a de quoi effrayer. Le voyage et son vecteur l’avion sont-ils vraiment une drogue dure qu’il faudrait éradiquer à la faveur du coronavirus, ou bien répondent-ils à un besoin vital pour l’homme, et plus prosaïquement à une nécessité pour l’économie française ?

Double peine pour le secteur de l’aviation

Désigné, avant la pandémie, comme le symbole des excès de notre mode de vie par la jeune activiste venue du froid, suscitant même un mouvement de rejet, le « flygskam » (honte de prendre l’avion) en Suède, le secteur aéronautique n’avait pas besoin d’une double peine. Partout dans le monde, les compagnies aériennes, les constructeurs et l’incroyable richesse de l’écosystème qu’elles génèrent subissent de plein fouet la crise du coronavirus.

A lire aussi, Jean Nouailhac: Après les mandarins de la santé, voici les mandarins de l’économie

En France, les pouvoirs ont répondu présents à leur appel au secours. Cependant, en conditionnant son aide à la mise en œuvre de mesures écologiques pour le moins dogmatiques, le gouvernement fait un pari hautement risqué avec notre industrie aéronautique, pourtant l’un des joyaux très précieux de notre économie.

Parmi les nombreuses cibles des prédicateurs du monde d’après, qui se bousculent sur les plateaux de télévision pour vanter, après le Grand Soir, un petit matin frugal, l’avion est l’une de leurs préférées. Il faut crucifier l’horrible oiseau de fer et rééduquer les voyageurs. Comme une prophétie autoréalisatrice, la pandémie a déjà exaucé leurs vœux en clouant au sol 95% de la flotte mondiale.

Air France mérite-t-elle d’être autant choyée?

Air France a été l’une des premières sociétés à faire le siège du bureau de Bruno Le Maire. Avec succès, car elle a obtenu, le 8 avril, non seulement un prêt garanti de 3 milliards d’euros, mais aussi une prise de participation de l’État. Le gouvernement, a affirmé le ministre, veut préserver ce « fleuron industriel ». Les connaisseurs du secteur saluent l’habileté des dirigeants d’Air France qui ont réussi à faire croire (et dire) à un ministre que leur entreprise, considérée par tous les experts du secteur comme l’enfant gâté, mais malade de l’aérien en Europe, qui collectionne les contre-performances (en comparaison de ses deux grands rivaux outre-Rhin et outre-Manche), serait un « fleuron », de surcroît « industriel » (alors qu’il fournit des services, pas des biens). Cet enfumage révèle au passage la méconnaissance par nos politiques d’un secteur pourtant réellement stratégique pour notre pays.

Site Airbus de Colomiers © SCHEIBER FREDERIC/SIPA Numéro de reportage: 00885909_000005
Site Airbus de Colomiers © SCHEIBER FREDERIC/SIPA Numéro de reportage: 00885909_000005

Toutefois, les dirigeants d’Air France n’avaient pas prévu qu’ils sortiraient de ces négociations guéris, quoique très provisoirement, les aides ne couvrant les besoins de trésorerie que jusqu’au mois de septembre, mais avec un bras en moins. Bruno Le Maire était tellement soucieux de sauver le « fleuron industriel », qu’il a braqué un pistolet sur la tempe de la compagnie nationale au bord de la cessation de paiement. Apportant finalement de l’eau au moulin à paroles des écolos tendance Greta, il a exercé un véritable chantage sur la compagnie : pour bénéficier des largesses publiques, Air France s’est engagée à fermer les liaisons aériennes partout où existe une alternative ferroviaire. Drôle de sauvetage où le soignant conditionne la délivrance du médicament à la pratique d’une saignée sur son patient.

Monsieur Le Maire, le vrai “fleuron” n’est pas Air France!

Or, le secteur aéronautique en France ne se résume pas à la compagnie nationale. Elle n’est qu’un des maillons d’une chaîne de valeur complexe et dense. Pourvoyeur d’emplois très qualifiés et bien rémunérés, générant le premier excédent commercial et premier exportateur devant le luxe, l’aéronautique irrigue toute l’économie. Ne dit-on pas que l’Allemagne a Mercedes et la France Airbus ? Derrière chaque vol, une noria de prestataires intervient dans les aéroports. L’aéroport de Zaventem est le premier employeur de la région Bruxelles-Capitale. Dans cette « chaîne alimentaire », il y a plusieurs strates interdépendantes que le grand public connaît peu : en amont, les banques françaises, très impliquées dans des financements internationaux sophistiqués pour ce secteur très gourmand en capital. Elles côtoient les grandes compagnies d’assurance et les loueurs d’avions, acteurs aussi discrets que puissants. Ces derniers sont en effet les premiers clients des constructeurs, et de très loin, bien avant les compagnies aériennes qui ne possèdent qu’une faible proportion des appareils qu’elles exploitent. Au centre de l’écosystème, le groupe Airbus structure une filière industrielle impressionnante qui entraîne dans son sillage de nombreux sous-traitants dans l’Hexagone. Vraie réussite, réelle success-story autant technologique que commerciale, rival autant craint que respecté par son concurrent Boeing, notre vrai « fleuron industriel », c’est Airbus pas Air France.

A lire aussi: La production d’avions de ligne devrait chuter de moitié cette année

Pourtant, dans une lettre envoyée aux employés du groupe, le 24 avril dernier, Guillaume Faury, le patron du géant de Toulouse a annoncé que la survie de son groupe était aujourd’hui en jeu. Malgré un carnet de commandes plein pour les six prochaines années, les « dérives blanches » encombrent désormais les pistes des usines toulousaines. Ce sont les avions finis et prêts à être livrés, qui attendent d’être peints aux couleurs des compagnies aériennes clientes, mais dont celles-ci ne veulent plus car leur propre flotte est aussi clouée au sol. En parallèle du sauvetage d’Air France, l’un des maillons importants du secteur, mais pas le plus essentiel (la compagnie exploite plus de long-courriers américains que d’avions fabriqués en Europe), c’est le soldat Airbus qui devrait mobiliser en priorité tous les moyens et l’attention des pouvoirs publics, sans parti pris et sans idéologie.

Covid-19, une chance pour la mafia? Roberto Saviano va vite en besogne

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Roberto Saviano © Mimmo Frassineti/AGF/SIPA Numéro de reportage: 00914040_000006

L’écrivain italien Roberto Saviano estime que la crise sanitaire et économique profitera inéluctablement aux mafias. C’est sous-estimer les progrès accomplis par la justice et l’avancée de l’Etat-providence dans le sud du pays. Enquête.


Ce n’est qu’une question de temps. Pour l’écrivain et militant antimafia Roberto Saviano, au temps du coronavirus et de la crise économique qui s’ensuivra, « la question n’est pas de déterminer si les mafias sauront en profiter, mais comment ». La tribune que l’auteur de Gomorra a publiée dans La Repubblica ne laisse guère place au doute. Pour étayer son propos, Saviano lit l’avenir dans le passé, citant l’épidémie de choléra de 1884. À l’époque, Naples déplorait 7 200 morts en deux mois et demi, soit la moitié des 14 000 victimes italiennes de la maladie, sans doute venue d’Indochine. Avec son million d’habitants, la ville alors la plus peuplée de la péninsule dépassait allègrement la densité d’habitation de Paris, Rome et Londres, a fortiori dans son centre historique insalubre dont l’eau excessivement polluée provenait de deux aqueducs remontant au xviie siècle. Un bouillon de culture à ciel ouvert. Comme le rappelle Saviano, « afin qu’une telle hécatombe ne se reproduise plus, le Parlement italien vota une loi pour l’assainissement de la ville de Naples et consacra 100 millions de lires aux travaux de remise en état. Tout le monde en est sorti gagnant : sous-traitants corrompus […], entreprises qui gagnèrent les appels d’offres au meilleur prix pour ensuite faire des travaux inachevés ou de mauvaise qualité, politiques alliés aux familles mafieuses. Tous, sauf la ville de Naples. »

Les nouveaux amortisseurs sociaux sont autant de pierres dans le jardin de la mafia

Une question intéressante

Si l’histoire se répète, la gabegie de l’appareil politique et administratif italien remplira inéluctablement les caisses des trois grandes nébuleuses mafieuses du pays nées à Naples (Camorra), en Sicile (Cosa Nostra) et en Calabre (’Ndrangheta). Leurs origines méridionales ne doivent pas tromper tant leurs ramifications sont devenues multiples, s’étendant au nord de l’Italie et aux quatre coins de l’Europe, notamment via le trafic de drogue et le blanchiment. À condition de ne pas le prendre pour argent comptant, l’augure de Roberto Saviano ouvre un débat des plus passionnants. Les mafias exercent-elles toujours une emprise tentaculaire sur des pans entiers de la société et du territoire italiens ? L’État de droit et la justice ont-ils abdiqué ? Faute d’État-providence digne de ce nom, l’économie mafieuse maintient-elle le Sud italien (Mezzogiorno) sous perfusion ? Les réponses à ces différentes questions réservent quelques surprises pour peu que l’on sorte du cliché des parrains gominés en borsalino et costumes trois-pièces rayés.

Marche en hommage au juge Falcone, vingt-six ans après son assassinat par la mafia sicilienne, Palerme, 23 mai 2018. © Victoria Herranz/NurPhoto/AFP
Marche en hommage au juge Falcone, vingt-six ans après son assassinat par la mafia sicilienne, Palerme, 23 mai 2018.
© Victoria Herranz/NurPhoto/AFP

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Une économie à l’arrêt

À court terme, la mise à l’arrêt de l’économie a pénalisé la pègre. Durant le confinement, la criminalité a baissé de moitié. Vendre et convoyer la drogue, prostituer des filles ou racketter des commerces fermés tiennent de la gageure. Les mafieux attendent leur heure. Échafaudent-ils déjà des plans pour profiter de la crise économique ? « Si je pouvais répondre à cette question, cela voudrait dire que je suis soit un espion infiltré soit un mafieux », pouffe Enzo Ciconte, ex-député communiste, historien et adversaire de longue date de la ’Ndrangheta. Osons la lapalissade : le crime organisé sait… s’organiser. Saviano estime d’ailleurs que la crise permettra aux clans mafieux de voler au secours des PME et des citoyens mis sur la paille.

Certes, les sept semaines de confinement auront fait chuter le PIB (de 8 % à 12 %) et mis à l’arrêt plus de 2 millions de PME. Pour leur éviter la faillite, le gouvernement Conte a sorti un bazooka nommé « décret liquidités ». Avec le soutien de Bruxelles, le ministère des Finances promet de débloquer la bagatelle de 740 milliards d’euros sous la forme de prêts aux entreprises garantis par l’État. Mais l’argent tarde à arriver dans les caisses, la nouvelle procédure étant plus complexe et longue à appliquer lorsqu’un prêt dépasse les 25 000 euros. Quant aux ménages, déjà paupérisés par vingt ans de croissance nulle, ils n’avaient pas besoin de ce coup de massue. Avant l’éclatement du virus, les chiffres officiels donnaient déjà le tournis : 44 % des Italiens ont un revenu annuel inférieur à 15 000 euros, seuls 6 % dépassent les 50 000 euros. Le gros de l’effort fiscal repose donc sur les retraités et les salariés.

Timide affirmation de l’Etat-Providence

D’aucuns prétendent que le miracle économique italien de l’après-guerre, contemporain des Trente Glorieuses, rendait acceptable l’incurie de l’État à des citoyens aujourd’hui exaspérés par les conflits incessants entre institutions. C’est parfaitement exact… à une nuance près : quoique modeste et financé par la dette, l’État-providence commence à sortir la tête de l’eau.

Depuis un an, sous l’impulsion du Mouvement 5 étoiles (M5S), le cabinet Conte a en effet instauré un revenu de citoyenneté qui assure une pension minimale aux retraités et aux chômeurs, que des travailleurs sociaux ad hoc (les « navigateurs ») sont censés remettre sur le chemin de l’emploi. Dans le Sud, foyer originel du phénomène mafieux et abcès de fixation de la misère, la bouffée d’oxygène n’a rien d’un luxe. Rien d’étonnant à ce que le Mezzogiorno ait plébiscité le parti populiste de Beppe Grillo en lui accordant plus de 43 % des suffrages aux législatives de mars 2018. Chose promise, chose due : 2,6 millions de résidents italiens (dont 65 % dans les régions méridionales, Rome incluse) vivent dans un foyer allocataire du revenu de citoyenneté. Son montant oscille entre 403 et 1 180 euros mensuels suivant la taille du ménage. Par ailleurs, le gouvernement finance le chômage partiel des salariés et envisage de distribuer un revenu d’urgence – de 400 à 800 euros par mois – aux classes moyennes non-bénéficiaires du revenu de citoyenneté. Ces amortisseurs sociaux (dont il faut relativiser l’ampleur dans un pays de 60 millions d’habitants) sont autant de pierres dans le jardin de la mafia. « Si malgré les millions de gens confinés à domicile, il n’y a pas eu d’explosion sociale, c’est parce que le revenu de citoyenneté a permis de freiner l’inconfort. Cette crise démontre que le revenu de citoyenneté endigue le malaise social.”, analyse le spécialiste de la Camorra Isaia Sales, membre du gouvernement Prodi dans les années 90.

Chercher le succès hors des frontières nationales

La demande de mafia se résorberait-elle ? Tout dépendra des capacités de l’État à maintenir à flot le tissu d’entreprises, notamment dans l’hôtellerie et la restauration. « Si demain les entreprises manquent de liquidités, les mafias saisiront cette opportunité. Dans une situation économique difficile, le niveau de respect des lois et des règles diminue. C’est ce qui s’est toujours passé après une guerre, un séisme, une catastrophe », argue Sales. Bien que le chômage touche plus d’un jeune méridional sur deux, il faut se méfier de l’image d’Épinal d’un Sud perfusé par les clans. « Les mafieux ne distribuent pas l’argent à tout-va. Seulement à un certain monde qui appartient déjà au leur : les veuves et les familles de camorristes en prison », précise Sales. Sur le terrain, la fête est finie. Depuis l’assassinat des juges Falcone et Borsellino (1992) à Palerme, la machinerie étatique s’est déchaînée contre les mafias. Magistrats, brigade financière, gendarmes et police ont organisé une riposte efficace. « Dans l’appareil d’État est apparue une nouvelle mentalité antimafia. Au point que la justice a fini par condamner l’ex-député Marcello Dell’Utri pour ses liens avec Cosa Nostra alors que c’était une figure du parti de Berlusconi », plaide Enzo Ciconte. La récente libération conditionnelle de quelques parrains notoires pour cause de grand âge et de risque sanitaire ne doit pas nous aveugler. Le temps de l’impunité, marqué par le fiasco des maxi-procès antimafia des années 1980, et du pas de deux avec la démocratie chrétienne au pouvoir, est heureusement révolu.

A lire aussi, du même auteur: Silvia Romano, otage italienne en Somalie “librement” convertie à l’islam

Pourtant, sur un plan strictement financier, les mafias italiennes ne se sont paradoxalement jamais aussi bien portées. La faute à l’explosion mondiale du trafic de drogue. Comme les multinationales qu’elles sont devenues, ces organisations pratiquent l’optimisation juridique, anticipant les battements de la mondialisation. D’après Enzo Ciconte, « la ’Ndrangheta a fait un choix stratégique : elle s’est implantée dans les régions du centre-nord de l’Italie, y compris dans le système de santé, puis dès les années 1930, elle a créé des colonnes dans le monde entier. En Australie, aux États-Unis, au Canada, en France, là où il n’existe pas de législation antimafia. » On comprend que la mafia calabraise soit devenue la plus puissante d’Europe. Aujourd’hui, le danger proviendrait principalement de ses succursales à l’étranger où des « cols blancs » bien sous tous rapports blanchissent l’argent sale. La mondialisation heureuse existe, certains l’ont rencontrée.

Pourquoi le Sud ?

Pour comprendre la genèse des mafias italiennes, il faut lire Un pouvoir invisible : les mafias et la société démocratique (2012). Dans cet essai lumineux, l’historien du droit Jacques de Saint-Victor lie l’éclosion du système mafieux au maintien de structures féodales en Italie du Sud. Un demi-siècle avant l’unification italienne (1861), le royaume de Naples puis le royaume des Deux-Siciles abolissent les droits féodaux puis engagent une révolution agraire. La vente des grands domaines fruitiers de la Conca d’Oro, sur une centaine de kilomètres autour de Palerme, enrichit des « barons » alliés aux réseaux locaux de brigandage et à la bourgeoisie urbaine (banquiers, notaires, avocats). C’est l’acte fondateur de la mafia sicilienne dont les paysans appauvris seront les hommes de main.

Au sein du nouveau royaume d’Italie, qui siège à Turin, le Sud fait figure de parent pauvre préindustriel. L’État ne prétend pas y exercer le monopole de la violence légitime. Si bien que la mafia pénètre les notabilités politiques, sociales et économiques nationales, à l’image du baron Turrisi Colonna, sénateur-maire de Palerme et parrain notoire. Au cours du xixe siècle, le crime organisé s’émancipe de ses protecteurs jusqu’à renverser en sa faveur le rapport de domination entre mafieux et politiques. La Sicile attendra l’après-guerre pour commencer à sortir de la société des notables…

À Naples, alors troisième ville d’Europe, la Camorra naît dans les prisons surpeuplées dans lesquelles les éléments les plus violents imposent le paiement d’un tribut. Les camorristes perçoivent l’impôt de la peur ou pizzo (« petit » en napolitain) qui accorde aux détenus rackettés un modeste lit sur lequel se reposer. Et la Camorra d’infiltrer naturellement les garnisons de soldats, souvent constituées d’anciens prisonniers.

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Universités: oui, il faut supprimer les notes inférieures à 10!

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La ministre de l'Enseignement supérieur Frédérique Vidal à l'Assemblée en avril 2020 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage: 00957382_000016

Entre valeur des diplômes et justice sociale, nous observons un jeu d’équilibriste compliqué pour les universitaires, avec des recours qui vont jusqu’au Conseil d’Etat! Selon notre chroniqueuse, étudiante elle-même, l’annulation des notes inférieures à la moyenne n’est pas le scandale dénoncé. C’est au contraire tout à fait nécessaire pour nombre d’étudiants


En raison de la Covid-19, faut-il supprimer, pour le deuxième semestre de l’année universitaire en cours, les notes inférieures à 10 – et, ainsi, « donner » le semestre aux étudiants ? Voici un débat qui ne manque pas de soulever les passions depuis le début du confinement, mais qui a, depuis quelques jours, pris une tout autre ampleur. Il s’est en effet retrouvé sur le devant de la scène médiatique grâce aux initiatives des étudiants de l’université Paris-I, qui sont allés en justice pour réclamer l’annulation des notes en-dessous de la moyenne. Les enseignants ont contesté cette mesure devant le tribunal administratif, qui a néanmoins tranché en faveur des étudiants. Or, ces derniers ne sont pas pour autant rassurés, car un nouveau recours, fortement plébiscité par la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a été déposé devant la justice.

Un manque cruel de bienveillance de la part de certains professeurs

Selon Madame Vidal, la délibération de la Commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU) « méprise l’engagement exceptionnel des enseignants au service de la continuité pédagogique ». Fort heureusement, de nombreux professeurs se sont spontanément adaptés aux circonstances exceptionnelles du confinement, soit en ayant drastiquement allégé le contenu des cours, soit en ayant d’eux-mêmes supprimé les examens pour les remplacer par de simples devoirs maison. Les professeurs les plus compréhensifs n’ont pas attendu les directives d’administrations parfois trop silencieuses pour faciliter le quotidien bouleversé des étudiants, et il faut les en remercier sincèrement. 

Or, bienveillance et empathie ne sont malheureusement pas toujours les qualités les plus prisées par les équipes pédagogiques, selon le témoignage de nombreux étudiants. Certains enseignants ont allègrement compliqué les choses en proposant des examens plus longs, plus ardus, allant jusqu’à les faire porter sur des notions inconnues des étudiants. Marianne[tooltips content= »Les prénoms ont été changés »]*[/tooltips], étudiante dans une grande école, me l’affirme : « un professeur nous a avertis que l’examen nécessiterait six heures de composition au lieu de trois habituellement, et que les questions seraient plus difficiles. L’administration a été impuissante à le faire changer d’avis. » D’autres étudiants, absents à tous les cours en visioconférence pour des raisons parfaitement recevables, se sont vus imposer de (mauvaises) notes de participation. Pourtant, on conviendra que mettre une note de participation à un absent, est aussi cohérent que mettre une note d’EPS à un élève qui s’est cassé la jambe. Enfin, Luc*, désespéré, écrit que, malgré ses 40 de fièvre dus à la Covid, l’administration de son université lui a préconisé de « faire l’effort de composer », sans quoi il se retrouverait dans l’obligation de rattraper 4 examens l’an prochain – en plus de ceux du niveau supérieur à valider, donc. Des témoignages comme ceux-ci se sont multipliés tout au long du confinement, prouvant à quel point des étudiants ont été malmenés sur le plan pédagogique. 

Des impossibilités matérielles évidentes

Seulement, l’absence d’empathie de certains professeurs n’est pas le seul élément venant justifier la requête des élèves de Paris-I. Les diverses impasses dans lesquelles se trouvaient nombre d’entre eux suffisaient à elles seules à prendre une décision aussi exceptionnelle. 

Tout d’abord, pour réaliser la moitié d’un semestre en ligne, il faut disposer d’un matériel informatique conséquent, condition sine qua non d’un « bon » déroulement pédagogique. Or, le président du tribunal administratif a précisé que, si la tenue des examens à distance n’était pas justifiée, c’était bien car « seuls 73% des étudiants disposent d’un équipement informatique personnel, et que 40% ne s’estiment pas en mesure de subir des épreuves à distance en un temps réduit. »

Par conséquent, un nombre non négligeable d’étudiants ne dispose pas d’un ordinateur personnel : cela signifie que, au mieux, ces derniers partagent l’ordinateur avec des membres de leur famille, ou que, au pire, ils n’en ont tout simplement pas, sans parler des nombreux problèmes de connexion que beaucoup ont rencontré dans les zones blanches où ils étaient confinés. 

Des étudiants en grande souffrance

Mais il n’y a malheureusement pas que les impossibilités informatiques qui ont empêché les étudiants de composer à distance, ou même de suivre les cours un tant soit peu normalement. Si cette incapacité d’accès à internet était l’unique motif justifiant cette mesure, ce serait presque rassurant sur l’état de la vie estudiantine. Hélas, des situations de détresse bien plus graves ont émaillé ces semaines de confinement.

Premièrement, il semble échapper à bien des personnes que nous sommes en temps de pandémie. Même si la Covid fait peu de cas graves parmi les jeunes, nombreux sont ceux qui ont été très malades, restant parfois cloués au lit pendant 4 à 6 semaines. Comment rattraper des cours ou passer des examens dans cet état ? Et il y a bien entendu tous les décès des proches des étudiants, qui les ont affectés au même titre que les autres français. Peut-on faire comme si de rien n’était lorsque l’on sait que ces deuils ont été encore plus éprouvants qu’à l’accoutumée sur le plan psychologique, les derniers adieux ayant souvent été refusés aux familles ? 

Au-delà du virus, le confinement a rendu les conditions de vie des étudiants encore plus difficiles qu’elles n’étaient alors. Rappelons que, selon l’Observatoire de la vie étudiante, 46% des étudiants travaillent pendant l’année scolaire, et plus de la moitié de ces étudiants jugent que leurs activités sont « indispensables pour vivre ». Chiffre encore plus malheureux, 20% des étudiants vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Comment étudier dans de bonnes conditions lorsque l’on se nourrit de pâtes un jour sur deux, faute d’avoir pu exercer son « job étudiant » pour acheter le minimum vital ? La pandémie n’a fait qu’accentuer la détresse financière de ces étudiants, que les défenseurs des examens jugent, à tort, comme « des cas à part ». Or, tous les chiffres ci-dessus nous prouvent que les étudiants ayant vécu des conditions de confinement impropres aux études ne sont pas minoritaires, loin de là. 

Car la grande erreur est de penser que la majorité des étudiants a eu la chance de se confiner dans une belle maison en Savoie, avec papa et maman aux petits soins, une connexion 4G optimale sur un Macbook Pro, et la terrasse pour faire bronzette – situation qui rendrait les étudiants encore plus performants pour étudier. En effet, si on additionne les cas d’étudiants qui n’ont pas d’ordinateurs, ceux qui ont une connexion plus qu’aléatoire, ceux qui ne peuvent pas se nourrir décemment, ceux qui ont été malades, ceux qui ont perdu des proches, mais aussi les 5% de parents-étudiants qui ont dû garder leurs enfants faute d’école ou de crèche, ou encore ceux qui se sont retrouvés confinés à cinq ou six dans de minuscules appartements, comme c’est monnaie courante dans les quartiers les plus défavorisés, on arrive à une proportion faramineuse d’étudiants en détresse. 

Une question de « méritocratie » ? 

Vouloir faire la sourde oreille face à toutes les plaintes légitimes des étudiants, et parfois face aux véritables drames individuels occasionnés par la pandémie, dénote soit d’une cruelle méconnaissance de la réalité, soit d’un manque de considération impardonnable vis-à-vis de tous ces jeunes gens qui, contrairement à ce que l’on entend souvent, se démènent pour réussir leurs études. D’ailleurs, même les plus scrupuleux réclament depuis le début du confinement une validation automatique de leur semestre : peut-on vraiment les accuser de fainéantise ? De tels reproches font le jeu des pessimistes et autres alarmistes en tous genres. Si les étudiants réclament de telles mesures, c’est justement pour ne pas perdre bêtement une année à cause d’une pandémie qui aura déjà fait assez de dégâts pour qu’elle ne vienne, en plus, leur prendre un semestre qu’ils auraient réussi en temps normal. 

De surcroît, il est regrettable que ces mesures aient seulement été portées par les syndicats de gauche (Unef, Solidaires, etc.), ce sujet ne devant pas être révélateur des clivages droite-gauche puisqu’il ne remet nullement en cause le bien-fondé de la méritocratie. Il ne s’agit pas, dans le cas présent, de « brader » un diplôme (qu’est-ce qu’un malheureux semestre sur les dix qui composent habituellement une scolarité ?), ni de vouloir rabaisser les critères de sélection, de rendre les cours plus faciles, d’instituer des passages « automatiques » sur le long terme, ou encore de faciliter la « triche » à la maison : il s’agit tout simplement de prendre en considération, sur le plan humain, la réalité du confinement sur les étudiants. Et, dans l’intérêt du plus grand nombre, il vaut mieux que quelques étudiants profiteurs passent dans le niveau supérieur, quitte à redoubler par la suite, que laisser de bons étudiants sur le carreau à cause de circonstances qu’ils n’auraient pas pu maîtriser, même avec la meilleure volonté du monde. Ces semaines de confinement sont uniques dans notre Histoire ; alors, pourquoi voir dans une mesure d’urgence, une mesure révélatrice de la médiocratie ambiante – qui, elle, est bien réelle ? 

Concrètement, est-ce que la suppression des notes inférieures à 10, pour un unique semestre, fera obstacle à la hiérarchie juste et nécessaire qui sépare les bonnes copies des médiocres et des plus faibles ? Je réponds non, certaine que la réparation d’un dommage subi par la force des choses, n’entravera pas la bonne évaluation des exercices dans le futur – car un principe de justice ne saurait en offenser un autre.

Justice pour Adama: quand des militants se réfugient derrière l’antiracisme pour promouvoir la distinction des races

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Le 2 juin, la manifestation du comité Assa Traoré dégénère à Paris © Michel Euler/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22460788_000002

Les idées délétères et antirépublicaines de Rokhaya Diallo sont en train de gagner. Elles menacent gravement la cohésion nationale.


Hier soir, c’est un vent de révolte qui s’est emparé de la capitale. En effet, plus de 20 000 personnes se sont rassemblées devant le tribunal judiciaire de Paris pour rendre hommage à Adama Traoré et dénoncer les violences policières. Malgré l’interdiction prononcée par le préfet de police de Paris Didier Lallement, c’est dans une totale impunité que tous ces gens ont tout bonnement et simplement décidé de défier les autorités en criant sans aucune retenue leur haine et leur rejet de la police républicaine. Violer l’état d’urgence sanitaire dans un contexte de crise épidémique carnassière en dit long sur le dessein réel de ces manifestants qui n’ont finalement fait que tester ouvertement l’autorité de l’Etat français.

Une mort instrumentalisée

Entendons-nous bien, il ne s’agit évidemment pas ici de critiquer l’exigence de vérité et de justice que sont en droit d’attendre la famille et les proches du malheureux Adama Traoré, mais de mettre en avant le fait que cette manifestation, en apparence anodine, n’a majoritairement été qu’un attroupement de militants communautaires et identitaires qui exècrent par-dessus tout l’Etat républicain. En effet, à travers le symbole d’Adama Traoré, c’est bien la police de la République qui a été visée. A travers ce dernier, c’est bien l’Etat français en étant honteusement qualifié de « raciste » qui a été diffamé. La vérité est qu’en faisant d’Adama Traoré le porte-drapeau d’accusations mensongères et de revendications politiques et identitaires, tous ces militants n’ont fait qu’instrumentaliser une fin tragique pour mieux dénigrer l’Etat français qui serait, d’après eux, inique.

A lire aussi, Sophie Bachat: Les «antiracistes» traitent un policier noir de vendu

Il suffit pour s’en convaincre d’observer les slogans qui ont émaillé ce rassemblement. Entre  « La police tue », « Flics, porcs, assassins » ou encore « Qui nous protège de la police ? », on voit bien à quel point les revendications prônant une justice équitable pour Adama Traoré ont très clairement été dépassées, voire effacées, par un véritable appel à l’insurrection. En insultant la police et en nous faisant croire qu’elle serait un danger pour chacun d’entre nous, les manifestants n’ont effectivement fait que délégitimer cette dernière tout en incitant à lutter contre. C’est bien la violence légitime de l’Etat français qui a été remise en question et c’est bien un appel à s’en distancer qui a été émis pour mieux faire sécession. Quand la police n’est plus respectée, c’est l’Etat dans son ensemble qui est fragilisé et rejeté.

Les thèses indigénistes de Rokhaya Diallo ont infusé dans la société

Que reprochent finalement tous ces gens à la France ? Tout simplement d’être profondément raciste et de commettre à travers sa police des discriminations. En effet, à les écouter, Adama Traoré ne serait mort uniquement que parce qu’il était noir. S’il avait été blanc, aurait-il connu un autre destin ? Assurément non d’après les manifestants. L’Etat français serait donc un Etat raciste et ferait tout pour dissimuler ce sulfureux penchant à travers sa police et à travers sa justice. Voilà ce qu’il y a dans la tête de tous ces militants. La mort d’Adama Traoré ne serait pas seulement le fruit d’une bavure policière, elle serait d’abord et avant tout la conséquence du racisme de l’Etat français. On reconnaît bien ici la dialectique des indigénistes et autres partisans de l’antiracisme militant dont Rokhaya Diallo est sans doute le porte-voix le plus médiatique.

Rokhaya Diallo le 9 octobre 2009. © BALTEL/ SIPA Numéro de reportage : 00953270_000072
Rokhaya Diallo le 9 octobre 2009.
© BALTEL/ SIPA
Numéro de reportage : 00953270_000072

Auteur d’un ouvrage qui s’intitule Racisme mode d’emploi, elle n’a de cesse d’accuser la France d’entretenir un racisme qui serait d’après elle institutionnel, dans tous les médias. En décembre 2017, au détour d’un tweet, elle a notamment déclaré que « « Dire qu’il existe un racisme d’Etat » ne signifie pas son inscription dans la loi mais « que le racisme fonctionne en utilisant les ressorts, les ressources, les modes d’organisation de l’Etat, et produit de fait des catégories différenciées de citoyens ».» Pour justifier ses accusations, elle prétend notamment que les services de l’Etat commettraient continuellement des discriminations en fonction de la couleur de peau. Elle a même été jusqu’à qualifier la police française opérant dans les banlieues multiethniques de « force d’occupation ». En outre, en mai 2018, elle a poussé ses délires paranoïaques jusqu’à accuser les hôpitaux publics français de fournir uniquement des compresses de couleur blanche ; ce qui serait d’après elle discriminatoire puisque particulièrement inesthétique sur une peau de couleur noire. Autant dire qu’il y a de quoi ici se poser de sérieuses questions sur son état psychologique !

Les entrepreneurs identitaires à la manœuvre

Bien évidemment qu’il y a au sein de la société française des discriminations à l’égard des personnes de couleur noire comme des personnes d’origine maghrébine, notamment au niveau de l’accès à l’emploi ou encore au logement, mais prétendre qu’Adama Traoré serait mort car il était noir ou que l’on distribue délibérément dans nos hôpitaux des pansements de couleur blanche pour mieux discriminer les personnes de couleur noire est aussi grotesque qu’infamant. Ce que Rokhaya Diallo appelle « la suprématie blanche » et ce que les manifestants d’hier appellent « racisme d’Etat » ne sont que des fantasmes qui ne visent qu’à justifier et à encourager le repli communautaire et racial que les militants antiracistes et indigénistes appellent de leurs vœux. Il n’est d’ailleurs pas anodin de mentionner que Rokhaya Diallo a défendu à plusieurs reprises les rassemblements non-mixtes et racisés comme les festivals afro-féministes interdits aux Blancs qui ont, d’après la militante identitaire, l’avantage d’offrir « à leurs participants un échappatoire, une zone de respiration dans une société oppressive. » De la même manière, elle a pendant longtemps combattu la loi prohibant les signes religieux à l’école ou celle interdisant le voile intégral dans la rue afin de soumettre la France à une autre culture que la sienne pour mieux détruire l’impérialisme culturel et identitaire « des Blancs ».

A lire aussi: Black Lives Matter: un conformisme comme un autre?

Or, à l’instar de Rokhaya Diallo, en prétendant lutter contre un racisme soi-disant étatique, tous ces militants antiracistes qui ont gonflé hier les rangs du rassemblement « Justice pour Adama » ne font en fait que promouvoir la distinction des races en réduisant les individus à une origine ethnique ou à une couleur de peau. Alors que tous ces gens assurent défendre les populations d’origine immigrée, ils ne font que les condamner au ressentiment et à la marginalité en affirmant que quoi qu’elles fassent, elles n’arriveront jamais à s’intégrer dans une société qui aurait instauré les discriminations à leur égard en un principe étatique. C’est finalement bien sur des critères purement raciaux et purement ethniques que ces gens dressent les Français les uns contre les autres et justifient et encouragent les pires dérives communautaires et identitaires.

La nation en danger

Il ne faut alors pas s’étonner de voir à quel point les banlieues françaises sont peu à peu en train de devenir des zones de non-droit au sein desquelles la police n’a désormais plus droit d’entrer. Il ne faut alors pas être surpris de voir à quel point des jeunes adolescents d’origine immigrée développent petit à petit un sentiment anti-français et font progressivement de la France la cause de tous leurs maux. En surfant ainsi sur les fractures identitaires, les organisateurs de cette manifestation ne font que précipiter la France dans un douloureux chaos qui risque à terme de déboucher sur une effroyable guerre civile.

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En effet, n’oublions jamais cette phrase de Gérard Collomb, prononcée lors de son départ du ministère de l’Intérieur : « Aujourd’hui on vit côte à côte… Je crains que demain on vive face à face. » Il serait peut-être temps d’en prendre conscience car en acceptant l’inacceptable, c’est-à-dire en acceptant que des militants d’un nouveau genre remettent ouvertement en cause les fondements mêmes de notre Etat républicain, nous sommes en train de détruire encore un peu plus les garants de notre cohésion nationale.

Covid-19 en France: une débâcle certifiée conforme

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Edouard Philippe, entouré d'une dizaine de ministres, en visioconférence avec les associations d'élus locaux, Paris, 29 avril 2020. © Philippe Lopez / AFP

L’Hexagone figure dans le peloton de tête des pays industrialisés les plus durement touchés par le Covid-19. Ce bilan humain et économique désastreux est dû à la lourdeur de notre appareil administratif obsédé par le respect des normes. Même en temps de guerre.


La France se prépare à un étrange désastre, car nous n’avons rien vu venir. Nous attendions de pied ferme la pandémie du SRAS en 2009, qui n’est pas arrivée. Roselyne Bachelot en a été pour ses frais ! Nous avons jugé que l’excès d’anticipation nous avait inutilement mobilisés et coûté. Aussi, quand on a évoqué la probabilité d’une nouvelle pandémie en janvier 2020, nous avons cru bon de laisser venir. Les Chinois ayant assez mauvaise presse – en vertu d’un mélange de défiance envers le régime communiste et de relents ataviques de supériorité –, il ne nous est pas venu à l’esprit que si la rumeur d’une catastrophe fuitait de Pékin, c’est que le mal était profond. Puis, nous avons recommencé avec les Italiens, soupçonnés de surjouer et d’être désorganisés. On en avait vu d’autres !

Sur le podium

Quatre mois plus tard, la France se prépare à être sur le podium des pays les plus mortellement touchés par la pandémie. Notre administration a réussi à taire dans un premier temps le désastre des Ephad (dont la déroute se cachait derrière l’horrible acronyme), mais a fini par le reconnaître fin mars : d’un coup, la mortalité officielle a presque doublé. Fin avril, l’administration a récidivé avec les 9 000 morts à domicile, dont de nombreux soignants. Le nombre officiel de victimes est donc de 33 000 morts au 29 avril, au deuxième rang mondial derrière la Belgique en nombre de victimes par million d’habitants (en tout cas parmi les pays industrialisés, car on ne sait rien de fiable des pays pauvres). À combien serons-nous à la fin de l’année ?

Nous nous apprêtons aussi à monter sur le podium des pays économiquement les plus déstabilisés par la crise : avec 75 milliards d’euros de manque à gagner de production par mois, nonobstant l’explosion des dépenses publiques, nous sommes déjà, à la fin mars, parmi les pays ayant la plus forte chute de PIB en Europe (deux points sous la moyenne), à – 5,8 %. Au second semestre, la chute de la production de richesse et du niveau de vie des Français va s’apparenter à une véritable purge, sans équivalent depuis les deux guerres mondiales. En quelques mois, quelles que soient les formes que cela prenne, les Français vont être appauvris d’au moins 10 %.

Alors oui, « nous sommes en guerre », a dit le Président Macron – quoiqu’il ait refusé d’évoquer le confinement. Mais le lyrisme présidentiel, s’il a bien été entendu par les Français, et reçu cinq sur cinq par les soignants en première ligne dans les régions frappées de plein fouet, n’a pas précipité dans la bataille les directeurs et les étages intermédiaires de notre bureaucratie.

Emmanuel Macron, dans son bureau de l'Elysée, s'entretient au téléphone avec le pape François, 21 avril 2020. © Marin / Pool / AFP
Emmanuel Macron, dans son bureau de l’Elysée, s’entretient au téléphone avec le pape François, 21 avril 2020. © Marin / Pool / AFP

Un Etat en mauvais état

Il est vrai que nous étions mal partis, puisque les précédents gouvernements ont renoncé à notre autonomie industrielle, alimentaire et médicale, tout en désarmant notre vigilance. L’État stratège s’est autodémantelé. 80 % de nos médicaments sont fabriqués en Chine, ainsi que tout le petit matériel médical (gants et masques, surblouses, thermomètres – il y en aura à nouveau en France en septembre –, appareils d’assistance respiratoire, etc.). La médecine militaire a été déshabillée en moins de vingt ans. En 2000 encore, les hôpitaux et régions militaires pouvaient monter en une journée un hôpital de campagne avec une ou plusieurs centaines de lits en cas d’attaque NBC (nucléaire, bactériologique et chimique), mais tout a été liquidé : il en reste un à Paris, et un ersatz de petite taille à Strasbourg. Le remarquable « Plan de réponse contre une menace SRAS », publié en avril 2004 par les autorités sanitaires[tooltips content= »Disponible sur le site du ministère de la Santé. »](1)[/tooltips], a été passé à la trappe des mesures d’économies budgétaires et remisé au musée des rapports administratifs (des lycées de Lorraine avec internat avaient été préparés en 2004, avec stocks de masques et matériels entreposés, mais il a fallu – toute mémoire administrative s’étant effacée – envoyer des malades au Luxembourg (où a été monté un hôpital de campagne pour 100 Français). L’État a liquidé ses stocks stratégiques de masques durant le mandat de François Hollande (1,5 milliard, transférés à tous et donc à personne). Il restait en France une seule usine de production d’appareils respiratoires et une des principales usines de masques a fermé en 2018 dans les Côtes-d’Armor. Pour faire bonne mesure, nous n’avons pas voulu fermer nos frontières quand il était temps, laissant les touristes chinois se déverser par milliers chaque jour jusqu’au confinement.

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Une affaire de souplesse

Mais le problème ne se limite pas à cela. La France possède un tel appareil administratif centralisé qu’il aurait pu se mobiliser pour répondre de toute urgence à nos carences, notamment au plan matériel (masques, tests, blouses, thermomètres). S’il est avéré que l’État a perdu un temps précieux de la mi-janvier à la mi-mars (authentifié par Agnès Buzyn), pendant que les Allemands et les nations d’Asie étaient à la manœuvre, quand le président a déclaré la guerre le 16 mars, que s’est-il passé ? Un mois et demi plus tard, force est de constater que l’administration s’est hâtée lentement, chaque service ouvrant le parapluie de la responsabilité, et chaque responsable s’en remettant aux normes et aux procédures légales, qu’en principe une guerre doit balayer.

« Comment se fait-il, cependant, qu’à beaucoup d’entre nous, j’en juge par certaines confidences, avant tout aux exécutants, le commandement, une fois les opérations entamées, ait donné fréquemment, une incontestable impression de désordre ? C’est que je crois, l’ordre statique du bureau est, à bien des égards, l’antithèse de l’ordre, actif et perpétuellement inventif, qu’exige le mouvement. L’un est affaire de routine et de dressage ; l’autre d’imagination concrète, de souplesse dans l’intelligence, et, peut-être surtout, de caractère », a écrit Marc Bloch à chaud en 1940 dans L’Étrange défaite, à propos de son expérience d’officier de terrain au milieu de l’effondrement militaire de mai-juin 1940 (cette année-là, le PIB de la France s’était effondré de 17 %).

Il fallait en effet compter avec la bureaucratie d’État et son mode de gouvernance ! Alors que l’Europe était en ébullition, c’est le 18 mars que Beauvau a activé la cellule interministérielle de crise ! Les Allemands avaient déjà tests et masques au moment où nous nous sommes posé la question. Pourquoi ? Quatre principes gouvernent en effet l’action publique au xxie siècle : d’abord le « principe de précaution », sanctuarisé dans la Constitution par Jacques Chirac. Son effet pervers est d’inciter à l’immobilisme, le risque zéro ! Ensuite, le contrôle budgétaire qui, en temps d’austérité comptable permanente, paralyse toute initiative (c’est l’histoire des cliniques privées disponibles de l’Est, tardivement sollicitées alors que l’hôpital public était asphyxié [tooltips content= »Voir l’article d’Ariel Beresniak, Le coût de la vie »](2)[/tooltips]). Puis, le contrôle de légalité, qui est une véritable sinécure dans un pays qui compte plus de 10 500 lois, 127 000 décrets (2008) et plus 400 000 textes réglementaires et circulaires : toute décision doit être précédée d’une note de synthèse juridique (chronophage) pour débrouiller le maquis réglementaire. S’y ajoutent des protocoles expérimentaux spécifiques qui encadrent les règles de conformité et de mise sur le marché pour tous les tests, les vaccins, ainsi que les matériels et les processus médicaux. Puis vient la phase des appels d’offres, avec soumission obligée au Code de la commande publique (issu de la fusion en 2018 de 1 747 articles). Enfin, le principe de responsabilité, en vertu duquel toute initiative ou action prise à un niveau intermédiaire peut être déjugée et sanctionnée par la hiérarchie (valant sanction par la justice administrative en cas d’illégalité), et au pire pénalisée devant l’ordre judiciaire en cas de plainte (le recours aux tribunaux se multiplie, hélas, en matière en santé publique).

Mille-pattes administratif

Cette quadrature du cercle incite donc les strates et les instances administratives à agir lentement, prudemment, et si possible avec l’aval du niveau hiérarchique supérieur. Or, dans une fonction publique hospitalière qui compte plus de 1,1 million d’agents, l’administration est une forteresse à plusieurs étages ! Elle agit de manière opaque, ce qui est d’ailleurs attendu d’elle par le ministère – des mois de travaux d’une commission parlementaire ont été nécessaires pour savoir combien de cartes Vitale circulent en France et le dossier médical individuel promis par Alain Juppé en 1996 se fait attendre : or, il serait utile en cas d’épidémie. Mais elle est de surcroît soumise à des impératifs budgétaires qui entravent l’activité : le respect de l’Ondam (Objectif national de dépenses de l’Assurance-maladie), issu de la loi Juppé, conjugué à la tarification à l’acte, aboutit à des logiques perverses qui maintiennent une pression constante sur l’hôpital public. Les cliniques ayant tendance à aspirer les actes répétitifs et rentables, dans une enveloppe globale, cela déshabille d’autant l’hôpital public qui a la charge des pathologies complexes et coûteuses. Les gestionnaires font des choix contraints : ne pas pourvoir tous les postes de soignants, ou embaucher des médecins étrangers qui coûtent moins cher…

Depuis la loi du 21 juillet 2009, dite « Hôpital, patients, santé et territoire » (HPST), les ARS (agences régionales de santé) assurent un pilotage unifié de la santé dans les régions françaises. Peuplées de cadres administratifs formés à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes, elles exercent leur tutelle sur les hôpitaux et sur les cliniques et veulent contrôler toute initiative locale. La bureaucratie de la santé n’a jamais été si puissante. Le corps médical a perdu le contrôle de la politique de la santé publique au profit de ces agences de régulation : leur objectif est de tenir les dépenses budgétaires autorisées par le Parlement, ce qui conduit à des situations ubuesques en peine crise du Covid (relatées par Gil Mihaely et Erwan Seznec dans « Covid-19 : les pesanteurs administratives sont immunisées, scandale dans la gestion de Covid-19 dans le Grand-Est », 7 avril, causeur.fr). Comme toute bureaucratie, les ARS et l’APHP (État dans l’état sanitaire, avec ses 100 000 agents, dont une majorité de non-soignants) émettent des normes de contrôle et de procédure, qui rendent impossible toute « mobilisation » en cas de guerre.

La haine de l’initiative

La bureaucratisation des procédures est si rigide qu’elle interdit l’initiative locale et individuelle. On comprend mieux la hargne administrative qui s’est abattue sur les initiatives jugées intempestives du professeur Raoult – quels que soient par ailleurs ses torts ou ses mérites –, qui avait eu le « culot » de faire procéder à la fabrication de tests Covid-19 sans attendre la labellisation industrielle agréée[tooltips content= »Ibid »](3)[/tooltips]. Comme si une guerre pouvait se gagner comme une expérimentation de laboratoire, ou un brevet industriel, dans le strict respect des normes en vigueur. De même, les initiatives des régions et des villes ont d’abord été retoquées par l’État, notamment pour la production et l’achat de masques, comme s’il s’agissait d’une technologie inconnue hors de toute urgence vitale. Non seulement notre porte-avions a mis un temps infini à virer, mais les goélettes les plus mobiles ont été rattrapées par la patrouille.

Il y a quelques années, l’État aurait mandaté les commissaires aux armées qui, avec des valises de billets, avaient le droit (comme les Américains) de parcourir le monde à la recherche des fournitures nécessaires. Mais le ministère de la Défense a mis fin à la liberté de ses agents, désormais soumis à la commande publique. Or, une fois la guerre perdue, il est trop tard pour casser les codes. La bureaucratisation et la paralysie semblent consubstantielles d’un appareil administratif tentaculaire. En tant que chercheur en sciences humaines, cela m’évoque l’incapacité de notre État à piloter les recherches stratégiques quant à notre sécurité collective et à nos intérêts vitaux : le respect des procédures conduit à privilégier de manière improbable, mais équitable, les dossiers les plus politiquement corrects, dussions-nous mourir en les lisant !

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