Accueil Culture Après la manifestation « Adama Traoré », Virginie remonte (difficilement) la pente

Après la manifestation « Adama Traoré », Virginie remonte (difficilement) la pente

Pour démontrer qu'elle n'est pas raciste contrairement aux autres Français, elle est prête à renoncer à son "privilège blanc". La honte, "c'est juste le minimum"


Après la manifestation « Adama Traoré », Virginie remonte (difficilement) la pente
Photo: Hannah Assouline

Ce matin sur France inter, c’est une lettre de la pornographe préférée de Causeur qu’Augustin Trapenard a lue…


Ce jeudi 4 juin, sur une musique légèrement anxiogène, avec une voix discrètement neurasthénique, Augustin Trapenard a lu l’épître de Virginie Despentes : « Lettre adressée à mes amis blancs qui ne voient pas où est le problème… » Cette lettre est la énième tribune de l’écrivaine rebelle bien connue. Dans un style de plus en plus poétiquement abscons – qui n’est pas sans rappeler celui de nos plus grandes penseuses ayant écrit elles-mêmes des tribunes inoubliables, Annie Ernaux ou Marie Darrieussecq, par exemple – ce texte apporte de nouvelles précisions sur la vie et la personnalité de Virginie Despentes, ses démons, ses craintes, sa pensée tiraillée et ses contradictions.

Quelle angoisse!

Virginie Despentes croit dur comme fer que les arabes et les noirs ont la poisse. « La dernière fois qu’on a refusé de me servir en terrasse, j’étais avec un arabe. La dernière fois qu’on m’a demandé mes papiers, j’étais avec un arabe. La dernière fois que la personne que j’attendais a failli rater le train parce qu’elle se faisait contrôler par la police dans la gare, elle était noire. » Il n’est pas impossible que les protagonistes des mésaventures despentiennes pensent de leur côté : « La dernière fois qu’on m’a demandé mes papiers, j’étais avec Virginie Despentes ; la dernière fois qu’on a refusé de me servir à boire en terrasse, j’étais avec Virginie Despentes ; la dernière fois que j’ai failli rater mon train, j’étais avec Virginie Despentes », et finissent par croire, eux aussi dur comme fer, que c’est Virginie Despentes qui leur porte la poisse. 

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Nous savons maintenant ce qu’a fait Virginie Despentes pendant le confinement, avec qui, et où ! « Les blanches, on nous a vues faire du jogging et le marché dans le septième arrondissement. » Nous apprenons également ce qu’elle et ses blanches de copines se sont dit, après en avoir eu « un peu rien à foutre », quand elles ont appris que le « taux de mortalité en Seine-Saint-Denis était de 60 fois supérieur à la moyenne nationale » […] : « C’est parce qu’ils se confinent mal. » Nous devinons que cette affirmation blanche et sèche doit être entendue comme une remarque raciste. Mais nous ne pouvons en être sûr.

Comme il arrive souvent avec ce ménestrel de la plume oblique, le reste du paragraphe demande un petit effort pour en extirper tout le sens. Des esprits trop terre-à-terre appelleraient d’ailleurs bouillie infâme ce passage de notre poétesse de l’obscur.

Virginie chez les racisés

Virginie Despentes ne sait plus compter : « Ce mardi, je me rends pour la première fois de ma vie à un rassemblement politique de plus de 80 000 personnes organisé par un collectif non blanc. » En réalité, elles n’étaient que 20 000. Elle déplore aussi l’absence des « non blancs » dans nos gouvernements successifs. Il y a pourtant bien eu Rama Yade ou Christiane Taubira, non ? Certes, ce sont souvent des femmes. Mais la « masculinité » étant une catastrophe toxique que notre poétesse dénonce tous les quatre matins, elle aurait pu s’en réjouir. À moins que la « masculinité » blanche seule ne soit toxique, et la « masculinité » noire aimable et enviable ?

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Virginie Despentes est insouciante comme le sont tous les rêveurs : elle sort de chez elle « sans prendre [ses] papiers », et quand elle remonte chez elle, c’est sa « carte bleue » qu’elle récupère (en oubliant encore de prendre ses papiers), elle « circule dans cette ville sans même remarquer où sont les policiers ». C’est fou. C’est incroyable. Elle ne voit pas les policiers mais elle entend des voix. La ville lui parle : « la ville me dit tu es ici chez toi. » C’est stupéfiant de crétineri…, pardon, de beauté. Traversée par de fulgurantes réalités, elle ne peut s’empêcher de les coucher sur le papier : « Je suis née blanche comme d’autres sont nés hommes. » Heureusement, « je peux oublier que je suis blanche », malheureusement, « je ne peux pas oublier que je suis une femme ». En creux, Despentes parvient à faire le portrait subtil du fautif absolu, du coupable de tous les maux, celui de l’homme blanc, sans jamais le nommer. Ça, c’est de l’écriture… 

La lettre de Virginie Despentes s’achève sur une phrase qui offre la possibilité interprétative la plus large, la mise en abyme la plus profonde, et représente la quintessence de la Pensée despentienne : « En France, nous ne sommes pas racistes mais je ne connais pas une seule personne noire ou arabe qui ait ce choix. » Nous en appelons à nos lecteurs pour éclairer, discuter, interpréter cette sentence. Plus que jamais, vos commentaires seront lus avec attention… 



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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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