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Ceux qui croient encore au ciel et ceux qui n’y croient plus

L’avion dans l’ère post-Covid


Ceux qui croient encore au ciel et ceux qui n’y croient plus
Guillaume Faury, le PDG d'Airbus, avec Ahmed bin Saeed Al Maktoum, le patron de la compagnie Emirates à Dubai, en 2019 © Jon Gambrell/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22400233_000005

Le secteur de l’aviation se relèvera difficilement de la crise sanitaire. C’est pour lui la double peine: déjà victime d’un phénomène de rejet (le “flygskam” promu par une petite Suédoise à couettes), le Covid-19 vient de clouer au sol 95% des appareils. Bruno Le Maire a volé au secours de la compagnie nationale Air France, mais il devrait plutôt se concentrer sur Airbus, dont le sort est bien plus préoccupant pour l’économie nationale.


Dans La Rose et le Réséda, écrit pendant la Résistance, Louis Aragon unit dans l’adversité celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas. Soixante ans plus tard, la jeune Greta, celle qui ne croit assurément pas aux voyages dans le ciel, voit la pandémie concrétiser ses rêves, et ce quasiment sans coup férir.

Air France s’est engagée à fermer les liaisons aériennes partout où existe une alternative ferroviaire…

Avec la fin du confinement, de nouveaux poncifs ont fait irruption dans les conversations et les éditoriaux : promis, juré, le nouveau monde sera solidaire, inclusif et écologique, Bali c’est fini, adieu les vacances en Grèce ou aux Seychelles. La pandémie va sevrer tous les déviants accros aux voyages en avion. L’homme nouveau, le Français de l’ère post-Covid sera un sédentaire dont l’horizon sera la sous-préfecture d’à côté. Tous les pays destinations dont l’économie (et accessoirement la stabilité) est ultra dépendante des revenus et des emplois du tourisme, tels l’Égypte, le Maroc ou Maurice, n’auront qu’à se « réinventer » et trouver rapidement de quoi occuper et nourrir leur population. Cette promesse a de quoi effrayer. Le voyage et son vecteur l’avion sont-ils vraiment une drogue dure qu’il faudrait éradiquer à la faveur du coronavirus, ou bien répondent-ils à un besoin vital pour l’homme, et plus prosaïquement à une nécessité pour l’économie française ?

Double peine pour le secteur de l’aviation

Désigné, avant la pandémie, comme le symbole des excès de notre mode de vie par la jeune activiste venue du froid, suscitant même un mouvement de rejet, le « flygskam » (honte de prendre l’avion) en Suède, le secteur aéronautique n’avait pas besoin d’une double peine. Partout dans le monde, les compagnies aériennes, les constructeurs et l’incroyable richesse de l’écosystème qu’elles génèrent subissent de plein fouet la crise du coronavirus.

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En France, les pouvoirs ont répondu présents à leur appel au secours. Cependant, en conditionnant son aide à la mise en œuvre de mesures écologiques pour le moins dogmatiques, le gouvernement fait un pari hautement risqué avec notre industrie aéronautique, pourtant l’un des joyaux très précieux de notre économie.

Parmi les nombreuses cibles des prédicateurs du monde d’après, qui se bousculent sur les plateaux de télévision pour vanter, après le Grand Soir, un petit matin frugal, l’avion est l’une de leurs préférées. Il faut crucifier l’horrible oiseau de fer et rééduquer les voyageurs. Comme une prophétie autoréalisatrice, la pandémie a déjà exaucé leurs vœux en clouant au sol 95% de la flotte mondiale.

Air France mérite-t-elle d’être autant choyée?

Air France a été l’une des premières sociétés à faire le siège du bureau de Bruno Le Maire. Avec succès, car elle a obtenu, le 8 avril, non seulement un prêt garanti de 3 milliards d’euros, mais aussi une prise de participation de l’État. Le gouvernement, a affirmé le ministre, veut préserver ce « fleuron industriel ». Les connaisseurs du secteur saluent l’habileté des dirigeants d’Air France qui ont réussi à faire croire (et dire) à un ministre que leur entreprise, considérée par tous les experts du secteur comme l’enfant gâté, mais malade de l’aérien en Europe, qui collectionne les contre-performances (en comparaison de ses deux grands rivaux outre-Rhin et outre-Manche), serait un « fleuron », de surcroît « industriel » (alors qu’il fournit des services, pas des biens). Cet enfumage révèle au passage la méconnaissance par nos politiques d’un secteur pourtant réellement stratégique pour notre pays.

Site Airbus de Colomiers © SCHEIBER FREDERIC/SIPA Numéro de reportage: 00885909_000005
Site Airbus de Colomiers © SCHEIBER FREDERIC/SIPA Numéro de reportage: 00885909_000005

Toutefois, les dirigeants d’Air France n’avaient pas prévu qu’ils sortiraient de ces négociations guéris, quoique très provisoirement, les aides ne couvrant les besoins de trésorerie que jusqu’au mois de septembre, mais avec un bras en moins. Bruno Le Maire était tellement soucieux de sauver le « fleuron industriel », qu’il a braqué un pistolet sur la tempe de la compagnie nationale au bord de la cessation de paiement. Apportant finalement de l’eau au moulin à paroles des écolos tendance Greta, il a exercé un véritable chantage sur la compagnie : pour bénéficier des largesses publiques, Air France s’est engagée à fermer les liaisons aériennes partout où existe une alternative ferroviaire. Drôle de sauvetage où le soignant conditionne la délivrance du médicament à la pratique d’une saignée sur son patient.

Monsieur Le Maire, le vrai “fleuron” n’est pas Air France!

Or, le secteur aéronautique en France ne se résume pas à la compagnie nationale. Elle n’est qu’un des maillons d’une chaîne de valeur complexe et dense. Pourvoyeur d’emplois très qualifiés et bien rémunérés, générant le premier excédent commercial et premier exportateur devant le luxe, l’aéronautique irrigue toute l’économie. Ne dit-on pas que l’Allemagne a Mercedes et la France Airbus ? Derrière chaque vol, une noria de prestataires intervient dans les aéroports. L’aéroport de Zaventem est le premier employeur de la région Bruxelles-Capitale. Dans cette « chaîne alimentaire », il y a plusieurs strates interdépendantes que le grand public connaît peu : en amont, les banques françaises, très impliquées dans des financements internationaux sophistiqués pour ce secteur très gourmand en capital. Elles côtoient les grandes compagnies d’assurance et les loueurs d’avions, acteurs aussi discrets que puissants. Ces derniers sont en effet les premiers clients des constructeurs, et de très loin, bien avant les compagnies aériennes qui ne possèdent qu’une faible proportion des appareils qu’elles exploitent. Au centre de l’écosystème, le groupe Airbus structure une filière industrielle impressionnante qui entraîne dans son sillage de nombreux sous-traitants dans l’Hexagone. Vraie réussite, réelle success-story autant technologique que commerciale, rival autant craint que respecté par son concurrent Boeing, notre vrai « fleuron industriel », c’est Airbus pas Air France.

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Pourtant, dans une lettre envoyée aux employés du groupe, le 24 avril dernier, Guillaume Faury, le patron du géant de Toulouse a annoncé que la survie de son groupe était aujourd’hui en jeu. Malgré un carnet de commandes plein pour les six prochaines années, les « dérives blanches » encombrent désormais les pistes des usines toulousaines. Ce sont les avions finis et prêts à être livrés, qui attendent d’être peints aux couleurs des compagnies aériennes clientes, mais dont celles-ci ne veulent plus car leur propre flotte est aussi clouée au sol. En parallèle du sauvetage d’Air France, l’un des maillons importants du secteur, mais pas le plus essentiel (la compagnie exploite plus de long-courriers américains que d’avions fabriqués en Europe), c’est le soldat Airbus qui devrait mobiliser en priorité tous les moyens et l’attention des pouvoirs publics, sans parti pris et sans idéologie.



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