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Des nouvelles du futur


Coronavirus, vaccinations, élections, identité de genre, souverainisme, écologisme, crise économique… si vous avez aimé 2020, vous allez adorer 2027.


Janvier 2027. Paris, quartier de Montparnasse.

Eden sort son smartphone et présente sa carte d’identité nationale numérique. A côté des traditionnelles lettres M (Masculin) et F (Féminin) figure la lettre N (Neutre). Et une mention obligatoire : « VACCINATION COVID », renvoyant à un QR code. Pour se faire vacciner en 2027, rien de plus simple : il suffit de télécharger l’application tou.te.s.vacciné.e.s.fr, où chacun peut choisir en un seul clic le vaccin de son choix, livré directement à domicile. La logistique des vaccins est assurée par Amazon, suite aux recommandations de McKinsey. Si les Français sont bons en rhétorique, les Américains le sont en logistique. Cette vaccination à la carte, nous la devons à Jérôme Salomon, promu ministre d’État à la tête d’un grand ministère de la vaccination. Presque toute la population française a été fichée et vaccinée (un rappel semestriel est obligatoire) à l’exception d’une certaine frange, marginalisée de fait car n’ayant pas les mêmes droits. Également réfractaires à la 7G, le président les a surnommés les « péquenauds », instaurant de fait la création du mouvement péquenaudiste.

Le vigile flashe le QR code d’Eden : «dernier rappel : 15 décembre 2026» et l’autorise à pénétrer dans la supérette Couche-Tôt. Le Québécois Couche-Tard a finalement pu racheter Carrefour mais a changé de nom (en raison du couvre-feu permanent à 18h). Eden change sa paire de gants (devenus obligatoires) depuis qu’il a été démontré que les Français ne savent pas se laver les mains. La jeune fille vient y acheter son déjeuner, les bars et restaurants ayant presque tous disparu. Six années de fermeture, c’est long. Les survivants ont été transformés en musées pour les générations futures.

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Le passeport vaccinal, l’une des mesures phares du plan décennal du haut-commissariat au plan, devait permettre le retour au monde d’avant. Mais tout y est interdit. Tout, sauf les vaccins. L’emploi s’est raréfié, le télétravail ayant révélé un grand nombre de « bullshit jobs ». L’intelligence artificielle et la robotisation ont fait exploser le chômage, rendant inévitable la mise en place du revenu universel.

Eden s’installe sur un banc urbain végétalisé. A Paris, les arbres ont remplacé les voitures. Elle enlève son masque et sirote un soda, au risque d’avoir une amende. Depuis qu’Anne Souyris a succédé à Anne Hidalgo, il est interdit de manger, boire ou fumer dans les rues, car le port du masque est obligatoire. Eden regarde une famille de sangliers pénétrer dans une librairie désaffectée, déchirant et souillant les derniers livres oubliés par terre. A côté se trouve la brasserie La Rotonde, l’un des rares restaurants à ne pas avoir mis la clef sous la porte. Cela fait bientôt dix ans qu’Emmanuel Macron est au pouvoir, réélu de justesse en 2022 face à Marine le Pen, avec une abstention record. Quelques jours avant le second tour, Emmanuel et Brigitte se sont fait vacciner en direct sur BFM TV. Après deux mandats, le président a indiqué qu’il ne se représentera pas. La rumeur dit qu’il prendrait la direction d’Uber Europe.

A l’approche d’un drone, Eden remet rapidement son masque, puis consulte les dernières brèves d’actualités.

Les derniers sondages pour l’élection présidentielle de 2027 révèlent la percée d’une liste souverainiste menée par le tandem Zemmour/Onfray, et talonnée de près par la liste de Michel Houellebecq, fédérant tous les dépressifs de France.

Jean Castex a démissionné de son poste de Premier ministre pour devenir l’égérie d’Alain Afflelou avec le slogan : « Qu’est-ce que j’ai fait de mes lunettes ? » Crise oblige, le lunetier offre cinq paires supplémentaires pour un euro.

Marlène Schiappa est nommée responsable de la division produits capillaires pour non-binaires chez L’Oréal, une entreprise jugée pionnière en matière de pluralisme et de diversité après avoir supprimé les mots « blanc » et « clair » de ses produits.

Olivier Véran rejoint la liste des ministres jugés non-essentiels après en être venu aux mains avec Didier Raoult lors d’une visite au CHU de Marseille. Le professeur avait déclaré que le plus dangereux des variants était le Véran.

Bernard Arnault inaugure une boutique Louis Vuitton au sein même de la cathédrale Notre Dame de Paris. François Pinault, quant à lui, va inaugurer un flagship Gucci dans la Basilique du Sacré Cœur. La désaffection pour la religion catholique, ainsi que l’entretien trop coûteux des églises pour l’État, rendait inévitable une reconversion de ces monuments visités en majorité par les touristes. Les marchands du temple (du luxe) ont repris le pouvoir. Par respect de l’environnement, une éolienne a été érigée en lieu et place de la flèche de Viollet-le-Duc.

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Aux États-Unis, Donald Trump est élu face à Michelle Obama, qui a immédiatement parlé de fraude électorale (provoquant des émeutes raciales dans tout le pays) et tweetant qu’il fallait par tous les moyens sauver la démocratie en barrant la route à Donald Trump. L’intéressé ne put  s’exprimer, son compte Twitter étant toujours fermé.

Un sommet international sur le climat a lieu à Cancún au Mexique. Il est présidé par Greta Thunberg qui a traversé l’Atlantique en chaloupe. La jeune Suédoise (qui figure déjà sur les timbres postaux depuis de nombreuses années) a été élue Première ministre de Suède grâce au slogan : « Save the planet, eat more insects ». A l’issue du sommet, il est décidé que les insectes remplaceront la viande. La France s’est empressée de faire adopter la mesure, réglant par là même la question épineuse du porc au menu des cantines scolaires.

Elon Musk, patron de Tesla, est devenu l’homme le plus riche de la galaxie depuis qu’il a établi une colonie sur Mars. Le prix d’un lopin de terre (où aucune trace de Covid n’est présente) atteint plusieurs centaines de milliers de bitcoins. A ce jour, seuls Jeff Bezos et Bill Gates y ont construit une villa.

Quelle politique étrangère pour les Etats-Unis de Joe Biden?

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Comparativement à Donald Trump, Joe Biden maîtrise avec aisance les rouages de la géopolitique. Son parcours politique à la présidence de la commission des Affaires étrangères du Sénat lui a en effet donné l’occasion de s’y intéresser de près. 


Homme de compromis, multilatéraliste, désireux de renouer avec la stratégie de son ancien mentor Barack Obama, Joe Biden s’apprête donc à rompre avec l’héritage Trump. Un virage à 180 degrés pour les États-Unis?

Après Donald Trump, l’unilatéralisme et le patriotisme économique vont laisser la place à une nouvelle diplomatie. Nouvelle ? Pas exactement, car Joe Biden, c’est le couple Obama-Clinton de retour à la Maison-Blanche. Bien que les intérêts des États-Unis demeureront toujours dirigés vers l’Extrême-Orient et continueront donc de se détourner de l’Europe, ce que Barack Obama avait déjà enclenché avec le «pivot vers l’Est», de nombreux changements diplomatiques vont voir le jour. En réalité, c’est bien la tactique qui changera et pas réellement la stratégie.

Mais qu’en sera-t-il concrètement?

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Dans un tweet du 7 juillet 2020, Joe Biden déclare: « Je rétablirai notre leadership sur la scène internationale. » Si Donald Trump ne l’a pas forcément annihilé, il a, sans nul doute, considérablement restreint la face interventionniste des États-Unis. À l’égard de l’Europe, tout d’abord, Joe Biden souhaite renouer avec la politique menée par son ancien mentor. Sous Barack Obama, en effet, il avait promu l’élargissement de l’OTAN et un rapprochement conséquent avec l’Union européenne. Joe Biden souhaite donc recouvrir un rôle de premier plan dans une Europe divisée et désireuse de se bâtir une certaine autonomie stratégique. Ainsi, si le nouveau président sera plus complaisant à l’égard de l’Occident, retenons qu’il ne cèdera pas sur les dépenses du vieux continent à l’égard de l’OTAN. Une rengaine qui laisse penser à des nouvelles crises au sein de l’Alliance atlantique.

A lire aussi: Charte de l’islam: nécessaire, mais très loin d’être suffisant

D’autre part, et c’est en cela que la filiation Clinton ressort incontestablement, Biden est fermement opposé à toute forme de…

>>> Lire la fin de l’analyse sur le site de la revue Conflits <<<

Charte de l’islam: nécessaire, mais très loin d’être suffisant

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Les membres du Conseil français du culte musulman (CFCM), principal interlocuteur des pouvoirs publics parmi les musulmans, ont trouvé un accord et signé une «charte des principes». Elle affirme enfin l’égalité hommes-femmes et le droit de changer de religion. Mais des zones d’ombre dans le texte et la faiblesse de l’autorité du CFCM sur les fidèles ne sont pas sans laisser de nombreux problèmes irrésolus. Analyse.


Le simple fait que l’on ait envie d’applaudir parce que le CFCM s’est enfin décidé à adopter une charte par laquelle il s’engage à respecter certains principes fondamentaux de la République montre à quel point le mal est profond. Ce devrait être une évidence, un prérequis indispensable, on y voit une avancée majeure, et les signataires eux-mêmes évoquent « une page importante de l’histoire de France » pour qualifier le fait que l’islam ne se proclame plus au-dessus des lois.

Reste que les auteurs de cette charte ne sont pas responsables du passé. Alors oui, c’est une avancée. Oui, on devine que la tâche a été ardue. Oui, c’était une démarche nécessaire. Et on peut saluer l’action du gouvernement qui a voulu l’existence de ce document. Comme quoi, quelques mois de fermeté ont obtenu bien plus que des décennies d’accommodements et des milliards de subventions, et c’est sans doute la principale leçon à retirer de tout ceci. L’islam ne respecte la République que lorsqu’elle ose enfin se faire respecter.

Ceci posé, que dire de cette charte ? Elle souffre de deux péchés originels, qui malheureusement en limitent considérablement la portée malgré les bonnes intentions évidentes de ses principaux artisans. D’abord, elle veut rassembler au lieu de distinguer, d’où des formulations à l’ambiguïté dangereuse, et des compromis douteux que l’on devine entre les lignes. Ensuite, elle évite soigneusement tout regard critique sur l’islam pour se contenter de parler de ce qu’elle appelle l’usage fait de la religion, ce qui l’empêche de traiter les vrais problèmes. Je rejoins là totalement l’analyse de Razika Adnani, islamologue et membre du Conseil d’Orientation de la Fondation de l’Islam de France.

Les signataires prennent parti pour la France

Soulignons tout de même certains des principaux points forts de la charte : l’affirmation que « aucune conviction religieuse ne peut être invoquée pour se soustraire aux obligations des citoyens » ; le refus que « les lieux de culte servent à diffuser des discours politiques ou importent des conflits qui ont lieu dans d’autres parties du monde » ainsi que le rejet des « politiques étrangères hostiles à la France, notre pays, et à nos compatriotes Français » (on comprend que les sbires d’Erdogan n’aient pas signé !) ; enfin la déclaration que « les dénonciations d’un prétendu racisme d’État, comme toutes les postures victimaires, relèvent de la diffamation » et un paragraphe que je reproduis intégralement car il me semble fondamental : « Dans notre pays, visé trop souvent par des propagandes qui le dénigrent, des millions de croyants se rendent paisiblement à l’office religieux de leur choix et des millions d’autres s’abstiennent de le faire en toute liberté. Cette réalité qui nous semble normale n’est malheureusement pas celle de nombreuses sociétés du monde d’aujourd’hui. » Par ce crucial « malheureusement », les signataires sortent du simple constat et prennent parti pour la France contre le modèle historique du « monde musulman ». Il y a donc du bon dans ce texte, et même du très bon.

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Hélas ! À côté de ces déclarations fortes et bienvenues, la charte peine à naviguer la distinction entre l’essence et l’usage. Ainsi dit-elle que « les valeurs islamiques et les principes de droit applicables dans la République sont parfaitement compatibles » : ce n’est pas faire injure à nos concitoyens musulmans que de constater que 14 siècles d’histoire ainsi que la lecture des injonctions coraniques démontrent le contraire, et que la démarche des musulmans humanistes n’en est que plus méritoire, puisqu’elle est non un confortable retour aux sources, mais une exigeante et radicale rupture.

De même, l’article 6 est remarquable par cette note de bas de page qui rejette toute promotion du « salafisme (wahhabisme) » – qu’en est-il du salafisme non wahhabite ? – du Tabligh et de « la pensée des Frères musulmans et des courants nationalistes qui s’y rattachent » – les oreilles du néo-sultan Erdogan ont dû siffler derechef – mais il parle encore « d’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques ». Double erreur : d’une part parce que l’islamisme n’est pas une instrumentalisation de la religion à des fins politiques, mais une instrumentalisation de la politique à des fins religieuses, d’autre part parce que l’islam est depuis son origine un projet de société total et donc entre autres politique. Le fiqh n’est pas un épiphénomène !

La mosquée radicale de Pantin, qui avait critiqué sur Facebook le professeur assassiné à Conflans Sainte Honorine © CHRISTOPHE SAIDI/SIPA Numéro de reportage : 00986850_000004
La mosquée radicale de Pantin avait critiqué sur Facebook le professeur Samuel Paty assassiné à Conflans Sainte Honorine © CHRISTOPHE SAIDI/SIPA Numéro de reportage : 00986850_000004

Ambiguïtés potentiellement dangereuses

On peut comprendre que les rédacteurs de la charte aient choisi de ne pas se couper de l’islam tel qu’il existe partout ailleurs, en affirmant ne critiquer que des usages de la religion et non son essence. C’est néanmoins regrettable : dans les faits, certaines de leurs prises de position introduisent une distance critique courageuse vis-à-vis tant du texte coranique que de la tradition, notamment sunnite. Mais en ne l’assumant pas clairement, ils permettent des ambiguïtés potentiellement dangereuses. Par exemple, ils refusent toute promotion de « l’islam politique » (avec la fameuse liste wahhabisme, Tabligh, Frères Musulmans) mais affirment également que « toutes les écoles doctrinales de l’islam revêtent la même légitimité », y compris donc celles dont ils refusent de faire la promotion mais qu’ils ne vont manifestement pas jusqu’à condamner franchement.

Autre exemple frappant, et qui devra être rapidement clarifié : l’apostasie. Le droit de changer de religion est enfin reconnu, et les signataires s’engagent à ne pas criminaliser ni stigmatiser un renoncement à l’islam « ni à le qualifier « d’apostasie » (ridda) ». Un esprit chagrin dira que cela revient à s’engager à ne pas qualifier de pain un aliment obtenu par la cuisson d’une pâte mélangeant de la farine et de l’eau, pour dire que l’on autorise la consommation de cet aliment tout en continuant à interdire le pain. Sans aller jusque-là, il faudra tout de même préciser quelle est la différence entre l’apostasie (au sens du dictionnaire) et la ridda. Je crains, parce que cette argutie est fréquente dans nombre de pays musulmans, que dans l’esprit des signataires de la charte la nuance porte sur la « discrétion » du renoncement à l’islam. Ils insisteront alors pour que, par « respect », les apostats ne fassent pas la « publicité » de leur apostasie, ce qui veut dire soit ne la rendent pas publique, soit n’en fassent pas la promotion en exposant leurs motivations, soit les deux – positions évidemment inacceptables. J’espère me tromper, mais en tout cas il y a là une ambiguïté qu’il faut lever au plus vite.

Par ailleurs, cette question de la « publicité » de l’apostasie m’amène à la grande absente de la charte : la liberté d’expression, avec ses corollaires évidents que sont le droit de critiquer l’islam (et les religions en général) et le droit au blasphème. Bien sûr, il est écrit « nous acceptons tous les débats », mais sa propre charte va-t-elle obliger le CFCM à se débarrasser d’Abdallah Zekri, qui trouvait que Mila l’avait « bien cherché » ? Si la réponse est non, si la « charte des principes pour l’islam de France » permet de continuer à affirmer qu’une adolescente a « bien cherché » de voir sa vie menacée et d’être confrontée à des dizaines de milliers de menaces de viol et de mort parce qu’elle a blasphémé, alors cette charte n’est qu’une triste fumisterie.

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On peut aussi se demander quel sera la portée concrète de ce texte. Une chose est sûre : il servira de cache-sexe à certains de ceux qui voudront affirmer que « cépaçalislam » et que les crimes commis au nom de l’islam et en conformité avec le Coran n’ont rien à voir avec l’islam. Mais encore ? Les manquements aux engagements pris doivent entraîner l’exclusion des « instances représentatives de l’islam de France » : avec quelles conséquences en termes de statut légal ? De subventions ? De droit de prêcher ?

Le CFCM n’a aucun magistère, aucune autorité morale ni théologique sur les fidèles

De plus, n’imaginons pas que la mentalité des fidèles va miraculeusement changer – mais ne le reprochons pas aux signataires de la charte. Les catholiques ne sont pas tous subitement devenus des militants no-borders sous prétexte que le Pape en est un, et il faut rappeler que contrairement au Vatican le CFCM n’a aucun magistère, aucune autorité morale ni théologique sur les fidèles. Et le silence assourdissant de la fameuse « majorité silencieuse » face aux crimes et aux ambitions des islamistes laisse craindre qu’elle soit plus sensible aux discours de ces derniers qu’à ceux de la frange républicaine du CFCM.

Et justement, l’opposition à cette charte n’a pas tardé à se faire entendre. « Dômes et Minarets » par exemple, qui qualifie Hassen Chalghoumi de « faux imam » parce qu’il exerce un jugement moral et critique sur certains passages du « noble Coran » (statut des femmes, mise à mort des polythéistes, etc), s’oppose explicitement à la charte et a organisé ces jours-ci un sondage « vous sentez-vous représenté par le CFCM ? », question à laquelle les internautes ont répondu « non » à 96%.

De cette opposition, les rédacteurs et les signataires de la charte ne sont pas responsables, mais ils le sont des zones d’ombre du texte. Face aux unes comme aux autres, la balle est désormais dans le camp du gouvernement. Puisse-t-il poursuivre ses efforts et se souvenir de cette leçon : face à l’hydre islamiste, seule la fermeté est efficace.

Aya Nakamura à son tour frappée de «misogynoir»

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Le magazine sociologique Marie Claire interviouwe la chanteuse Aya Nakamura. Comme Rokhaya Diallo, elle est victime de “misogynoir”. Explications.


Marie Claire fut un magazine féminin léger, facile d’accès, récréatif. On pouvait le lire à table, sur la plage ou au lit. Il est maintenant une revue sociologique qui scrute les phénomènes permettant d’expliquer les mutations de la société française en matière de féminisme, de racisme, d’intersectionnalité et de langue. Les sujets sont graves et la rédaction du journal n’hésite pas à les aborder par le versant le plus intellectuellement abrupt. On le lit dans un fauteuil, et on prend des notes.

Rokhaya Diallo a pu y faire récemment la promotion de sa bande dessinée dénonçant le « sexisme pernicieux » en France. Elle-même se dit discriminée. La preuve : sur les plateaux de TV elle est parfois interrompue. Selon le magazine sociologique, elle est victime de “misogynoir”.

Le lendemain, la revue a interviouwé Aya Nakamura, la chanteuse à textes qui illumine les journées du député LREM Rémy Rebeyrotte qui la trouve « absolument remarquable » : « Elle est en train de porter au niveau international de nouvelles expressions et évolutions de la langue. Et ça, ce sont des choses extrêmement fortes. »

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Avant que d’aller plus loin dans l’entretien qu’a donné cette possible future académicienne, nous nous devons de porter à la connaissance des lecteurs de Causeur le refrain de son tube Doudou qui a fait chavirer M. Reyberotte : « Mon chéri laisse, laisse-laisse tomber. Aime-moi, doudou Aime-moi, doudou. Montre-le moi, doudou, T’es mimi, dis-le moi, doudou. Prouve-le moi, doudou. Et ça, c’est quel comportement, doudou ? Tu me mens beaucoup. Ça, c’est quel comportement, doudou ? »

Une artiste qui bouscule les codes

Marie Claire a décelé dans le titre Djadja une réflexion sur « l’empowerment », ce que confirme Rhoda Tchokokam, critique “culturelle” qui a écrit un livre dans le but de « décoloniser la langue française »[tooltips content= »Le dérangeur : Petit lexique en voie de décolonisation, 2020″](1)[/tooltips] : « Elle est attachée à son identité et à ne pas la lisser. […] Elle ne veut pas changer son image pour plaire. Rien que ça, c’est inédit. » Ce qui est inédit aussi, c’est la prose extraite de Djadja : « Hello papi mais qué pasa? J’entends des bails atroces sur moi. À c’qui paraît, j’te cours après ? Mais ça va pas, mais t’es taré ouais. Mais comment ça le monde est tipeu? […] Oh Djadja. Y a pas moyen Djadja. J’suis pas ta catin Djadja, genre en Catchana baby tu dead ça. » Alors là, pour décoloniser la langue, ça décolonise. Ou ça colonise, tout dépend du point de vue. Enfin, comme l’écrit la journaliste de Marie Claire : « À sa manière, elle a bousculé les paysages médiatique et musical français. »

La chose est d’autant plus méritoire qu’Aya Nakamura est « une femme noire, à la peau foncée (sic), originaire de Seine-Saint-Denis… » et qu’elle est plus souvent critiquée depuis qu’elle est célèbre que du temps où elle était « une petite meuf d’Instagram avec six abonnés. » Comme c’est  curieux !

Un concept inventé par Moya Bailey

Si elle est attaquée, ce n’est pas à cause des textes de ses chansons, mais parce qu’elle est une femme noire, écrit la journaliste du magazine sociologique : « C’est ce que l’on appelle la “misogynoir”, concept sociologique inventé par l’universitaire afro-américaine Moya Bailey, qui définit une forme de misogynie envers les femmes noires, où la race et le genre jouent un rôle concomitant. » Décidément, on en apprend tous les jours.

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Il est certain qu’on ne voit pas ce qui pourrait être reproché d’autre à cette chanteuse. En tout cas pas ces textes envoûtants, à la métrique originale et stimulante, au sens poétiquement sibyllin, et qui montrent « la capacité de la langue à se réinventer sans arrêt et en même temps à continuer à porter ses accents et sa diversité », pour dire comme le député amouraché. Nous ne résistons pas à l’envie de citer une dernière fois cette artiste et à décourager ainsi, nous l’espérons, toutes les critiques des réactionnaires qui veulent voir la langue française figée dans des raideurs anciennes : « Blah blah blah d’la pookie. Ferme la porte, t’as la pookie dans l’side. Blah blah blah d’la pookie. Ferme la porte, t’as la pookie dans l’sas. Pookie, pook-pook-pookie. Ferme, ferme la porte, t’as la pookie dans l’side. Pookie, pookie, pookie. Ferme la porte, t’as la pookie dans l’sas. Ah, depuis longtemps, j’ai vu dans ça depuis longtemps. J’ai vu dans ça depuis longtemps, ah, ah, j’ai vu dans ça. »

Baudelaire, Haussmann et Hidalgo


L’urbanisme parisien sous Covid


Le vieux Paris n’est plus, la forme d’une ville / Change plus vite, hélas, que le cœur d’un mortel. Ainsi écrit Baudelaire dans Tableaux parisiens. En 1858, le poète ne reconnaît plus le Paris cher à son cœur que l’urbanisme d’Haussmann a transformé. Avec la destruction des vieux faubourgs, des immeubles cossus naissent le long des boulevards, éclairés la nuit, avec leurs trottoirs et leurs bancs, leurs arbres et des urinoirs. C’est à Haussmann qu’on doit des égouts sous terre, des espaces verts, des gares aux portes de la ville, la vie nocturne à la sortie des cafés. De ce Paris, nous bénéficions.

Paris aux mains des bobos

L’urbanisme parisien a toujours obéi à deux impératifs : l’hygiène et le logement. Dans les années 60, le fer remplace la pierre, la tour, le toit. Un mouvement de grande ampleur naît de l’urbanisme sur dalle, freiné, dans les années 70 et 80, par un retour à l’urbanisme haussmannien. À partir de 1974, les tours sont abandonnées. On réhabilite l’îlot ouvert. Notre-Dame du Travail et sa charpente originale de fer, (datant de 1902!) fait bon voisinage avec la rue des Thermopyles fleurant la glycine. L’élan vert se poursuit. Paris respire s’aère de squares, on plante des arbres. En 2000, Bertrand Delanoë veut relancer les tours: sans succès. La Petite Ceinture devient une promenade champêtre avec coquelicots et boutons d’or.

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Madame Hidalgo, elle, voue Paris aux vélos, aux piétons et aux chantiers. La vague verte submerge tout. De là des rues rétrécies et des places encombrées, comme celle du Panthéon, jonchée de lattes de bois, de pierres brutes en guise de bancs, d’arbres prisonniers. En été on s’y vautre, on y apporte son manger, les canettes vides jonchent le sol. Impossible de dormir pour les riverains. La maire, en revanche, ne soutient pas l’inscription des toits de Paris au patrimoine mondial de l’UNESCO, supprime les kiosques à journaux à l’ancienne ainsi que les colonnes Morris et privilégie, à la saison, les arcs-en-ciel sur les passages piétons. Paris est aux mains des bobos qui font pousser de la ciboulette sur leurs terrasses.

Paris, ville morte

À Paris, plus qu’ailleurs, l’espace devient l’ennemi : un vide qu’il faut remplir. Les grilles du Luxembourg, encombrées de photos d’ours polaires et d’oiseaux aux plumes criardes ne laissent plus voir la beauté du jardin. Les stations Vélib brisent le ruban gris des rues. Des statues informes poussent partout, devant les monuments historiques, dans les squares, tandis que les Halles exhibent la nudité de sa Canopée et son Forum fleurant l’urine. Que sera la métropole du Grand Paris ?

Dans Le livre des passages, Walter Benjamin fait un bilan pessimiste du Paris haussmannien. « Orphelins de leur vocation humaine, » les passages ne sont plus que des lieux dédiés au commerce de luxe. Que dire à présent ? La très féminine Covid achève le cœur battant de Paris. Tout est désert. Les commerces font place aux agences immobilières. Paris passe aux mains d’émirs chinois tandis qu’un diktat sanitaire tient les Parisiens et les Parisiennes barricadés, chez eux, devant leurs écrans, bâillonnés, hystérisés par la peur de vivre et de mourir.

Haussmann avait redessiné Paris par hantise des barricades. Le virus nous fait la guerre ? Avec l’opération « Paris, ville morte » plus de danger. Profitant du confinement, les rats y prolifèrent joyeusement. Un énième Conseil de défense se tiendra mercredi. Le temps de préparer les Français à toute éventualité : port d’un masque à oxygène préventif, descentes dans les caves au déclenchement d’une sirène, provision de pâtes et de menthe fraîche. Un hashtag de résistance a été lancé sur Twitter : Je ne # meconfineraipas.

La guerre au français

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« Arrête de nous bassiner avec tes douleurs, tes heures de prière, tes interdits alimentaires ou sexuels. On s’en fiche, c’est de l’intime »


Cours accéléré d’histoire de France à l’intention d’un jeune citoyen musulman qui s’interroge sur son identité. 


Mon cher Mohammed,

Tu es français et musulman.

Tu es né à la Castellane, une cité des quartiers nord de Marseille – comme Zidane. Tu as l’accent frotté d’ail et d’anis de Marcel Pagnol avec le phrasé d’un rappeur, tu adores Fonky Family et Jul – on dit : « Djoul », hein !

Tu es un supporter de l’OM, tu ne peux pas piffer les Parisiens – comme le Dr Raoult.

Tu as douze ans – et demi ?… tu fais beaucoup plus que ton âge. Tu es déjà ombrageux et fier, comme Mansour ibn Sarjoun alias Jean Damascène, un Père de l’Église – et Abou Nouwas, poète bachique et érotique, au Moyen Âge.

Des Arabes comme toi.

Sauf que ta mère née au bled est illettrée, ton père est au chômage, ton grand frère, dealer précoce, est en calèche aux Beaumettes. Ton cousin est mort en Syrie, aïe ! tu es sûr ?…

Et la France, tu la kiffes, la France ?

On ne va pas se mentir, pour toi, ce sera plus compliqué.

L’islam ? Parlons-en. Les odes ou les fatwas ? Les bibliothèques d’Al-Andalus ou les autodafés ? Les madrasas, le goût des sciences – la physique, l’astronomie, la médecine – ou l’obscurantisme ?

Est-ce si dur de choisir ?

Tu as lu le Coran ? Moi aussi.

Alors ?

La religion de l’amour, l’éloge de la beauté sous le sceau de l’Unique comme un miroir de Dieu, ou les sourates médinoises – abrogeantes, meurtrières, pétrifiées par le dogme ?

Puisque tu es français, je ne doute pas de ta réponse.

D’ailleurs l’islam dans ses ambivalences n’est ni un obstacle ni une solution, c’est une question – les Français adorent les questions.

Je ne sais pas qui tu es dans ton cœur, Mohammed, mais je sais ce que peut la France.

Un homme qui a observé ce pays au siècle dernier y a cueilli une vérité toute simple : « Depuis des siècles, la France oppose aux diversités qui l’assiègent et la pénètrent sa force d’assimilation. Elle transforme ce qu’elle reçoit. Les contrastes s’y atténuent ; les invasions s’y éteignent. » Il s’appelait Paul Vidal de La Blache, il est le père de l’école géographique française[tooltips content= »Tableau de la géographie de la France, Tallandier, 1979. Éloge du temps long et du melting-pot à la française. « Comment se raidir, poursuit Vidal, contre une force insensible qui nous rend de moins en moins étrangers les uns aux autres ? C’est un je ne sais quoi qui flotte au-dessus des différences. Il les compense et les combine en un tout ; et cependant ces variétés subsistent, elles sont vivantes. » Cette vision optimiste peut-elle encore être la nôtre ? Cette « force insensible », ce « je ne sais quoi qui flotte au-dessus des différences », qu’en est-il aujourd’hui ? C’est tout le débat. En 2007, selon une enquête de l’IFOP pour Le Figaro, 49 % des Français pensaient que l’immigration était « une chance pour la France » contre 37 % aujourd’hui. 78 % pensent que l’immigration doit être « choisie et non pas subie ». 58 % souhaitent l’instauration d’un « droit du sang », grrr ! (Alexandre Devecchio (dir.), La France face au défi de l’immigration, Le Figaro Enquêtes, 2020) »](1)[/tooltips].

À lire aussi, Valérie Boyer: Immigration clandestine: «Avec l’Algérie, je ne comprends pas pourquoi ça n’avance pas!»

N’en déplaise aux adeptes de la Grande Muraille – qui se dit en français la « Ligne Maginot » –, cette « force d’assimilation », ce charme d’alambic, qui nous a rendus plus forts hier et qui nous a un peu quittés aujourd’hui, c’est ça, la France, et c’est ça, les Français !

À leur corps défendant.

Comme si au fil des siècles la principale vertu de ces anciens paysans sédentaires et belliqueux, souvent vaincus, moins rebelles que subjugués par leurs envahisseurs, c’était ce mélange d’intolérance et de passivité devant l’étranger. Les enfants d’Astérix ont fini par se couper les cheveux et par ânonner en chœur rosa, rosae, rosam.

Après la conquête romaine, la France a été au ve siècle le cul-de-sac des invasions – on ne pouvait pas aller plus loin à cause de la mer ! Vandales, Sarmates, Alains, Gépides, Hérules, Saxons, Burgondes, Alamans… et tu me demandes d’où vient dans ce pays l’amour des belles étrangères !

Ce n’est pas de l’histoire, c’est de la géographie.

Qu’est-ce qu’un immigré ? Un Français en puissance – ce n’est qu’une question de temps. Oui, je sais, tout aujourd’hui semble contredire ce bel optimisme.

Et pour toi ce sera un combat.

Sache que ton ennemi, Mohammed, ce n’est pas la République, ce sont les fossoyeurs de la République – tous ceux qui s’autorisent à parler en son nom et qui ne t’aiment pas tout autant que les islamistes qui veulent l’abattre et qui ne t’aiment pas non plus.

Ne deviens pas leur proie.

Les uns se prétendent plus français que toi, les autres plus près d’Allah. Ne les écoute pas. Ce sont des escrocs de l’absolu – des menteurs. Rien n’est écrit de ton destin. C’est ton fils ou ton petit-fils peut-être qui enseigneront demain à leurs enfants à vivre et à penser sans crainte au sein de la République.

Qui es-tu, Mohammed ?

Un citoyen français parmi d’autres.

Seulement si tu le veux.

Alors s’il te plaît, arrête de nous bassiner avec tes douleurs, tes heures de prière, tes interdits alimentaires ou sexuels. On s’en fiche, c’est de l’intime, personne ne va inspecter ton âme ni surveiller tes nuits, ça ne nous regarde pas.

Sois souverain, prie et danse dans le secret de ton cœur.

Et rappelle-toi que le djihad, quand on est sérieux, c’est une aventure intérieure – un travail sur soi.

Pour commencer, parlons plutôt français, si tu veux bien.

L’arabe est une langue magnifique, mais en France la langue officielle depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts sous François Ier, c’est le français.

On ne va pas changer cela.

Souviens-toi de l’Algérien Kateb Yacine, ramasse les cailloux qu’on t’a jetés, oui c’est ça, la « langue du colonisateur », et fais-en des pierres précieuses, des chansons, des poèmes. Déchire ton costume de victime. Fends-toi d’une confession dédaigneuse en écrivant le dictionnaire de tes humiliations.

Si tu deviens célèbre, on se vantera de t’avoir accueilli à bras ouverts, on s’empressera de te réclamer comme Chopin, Picasso ou Marcel Cerdan qui sont devenus français parce que des Françaises les ont aimés.

Encore faut-il que tu le désires.

Cité de la Castellane (quartiers nord de Marseille), la veille du match de finale de la Coupe du monde de football entre la France et l'Italie, 8 juillet 2006. © Anne-Christine Poujoulat
Cité de la Castellane (quartiers nord de Marseille), la veille du match de finale de la Coupe du monde de football entre la France et l’Italie, 8 juillet 2006. © Anne-Christine Poujoulat

Car, tu le sais mieux qu’un autre, la vie n’est pas douce, et personne ne te fera de cadeau. Tu chercheras un ami, un boulot, un logement ? Bon courage, wesh ! Certains jours tu te sentiras bien oublié et bien seul.

Quoi d’autre ?

Ton ennemi, ce n’est pas l’Histoire de France. La nation n’est qu’une assemblée de citoyens, hommes et femmes égaux devant la loi, et qui se sentent solidaires à défaut de se comprendre, unis malgré toutes leurs différences par un passé douteux et un avenir qu’ils rêvent en commun.

Une illusion, dis-tu !

Non, un objectif. Un idéal, défaillant comme tout idéal, et qui mérite qu’on se lève pour le défendre. De l’imaginaire et du symbolique, oh ça oui ! Mes ancêtres ne sont pas plus gaulois que les tiens, et cela n’a aucune importance.

Ton ennemi, ce n’est pas non plus le prof de ton collège qui te juge digne d’être instruit et capable de liberté.

Si dans sa classe, on prétend tout examiner, si on met en doute ce que tu as appris dès ton plus jeune âge en s’attaquant même à des valeurs chéries de tes ancêtres, n’en sois pas offensé.

Ton grand-père est sage, respecte-le, mais il n’a pas toujours raison. Toi non plus. L’imam non plus. Le prof non plus.

La « neutralité », c’est non pas l’abstention, mais une confrontation pesée et sereine. L’école est aussi ce lieu où, au-delà du b.a.-ba, et de deux et deux font quatre, on vérifie comment et jusqu’où le sacré résiste au sacrilège.

Avec Voltaire, Sartre ou Darwin.

Sans les savants arabes qui l’ont traduit du grec, on saurait à peine qui est Aristote – un mécréant oui, mais génial. Et Ibn Rushd (Averroès), ça ne te dit rien ? Hchouma ! La honte sur toi !

Ainsi quand ton maître oppose la science ou la raison à tes chères croyances, il te tend une arme que tu pourras utiliser à ton tour pour te défendre, sans rien abjurer de ce que tu es, ni de ce que tu crois.

En quoi est-ce un affront ? Remercie-le plutôt.

Surtout si tu n’es pas d’accord.

Apprends à t’insurger ou à te taire, mais à bon escient.

Entre nous, tu ferais mieux d’étudier comme ta grande sœur, Leila, qui s’en sort mieux que toi !

En France, la culture est un lien plus solide que la religion, la race ou le commerce. Les Français, on les connaît, toujours décevants, absolutistes, chauvins, épris de système, enracinés dans leurs abstractions mais, Dieu merci, réfractaires à l’ethnique – dialectes, tribus, races, sectes, idoles, pitié !

C’est pourquoi la seule communauté qui nous est permise, c’est la nation. L’Europe ? Arrête de m’embrouiller, ce n’est pas le sujet.

Ce qu’il t’enseigne, ce prof, c’est le pouvoir de l’esprit, c’est-à-dire la faculté de t’élever au-dessus des usages aveugles qui t’interdisent de penser par toi-même, et de tous les dogmes, sans pour autant les renier ou les mépriser.

Ton credo, ton héritage – foi, rites, traditions – resteront intacts, si tu le souhaites.

Cela s’appelle la liberté, qui n’est qu’à soi.

Tu n’en seras que plus capable de déceler les faux dévots et les voyous qui se cachent à chaque coin de rue.

Que te dire encore ?

En France, ce n’est pas Dieu qui écrit l’histoire, la République et le divin font chambre à part.

On reste laconique sur le ciel afin d’éviter sur terre toute controverse. Le détenteur ultime de la souveraineté, c’est Dieu, si tu veux, mais son dépositaire, c’est l’État. Cette tutelle monarchique qu’il exerce sur le religieux peut te sembler féroce, elle n’est pas négociable.

En Amérique, on ressent la nécessité de moraliser la démocratie par la religion. Les Français, c’est le contraire. On suspecte les dévots – même sincères, surtout sincères – de vouloir dominer les esprits et asservir les corps autant que sauver les âmes.

Tu veux des exemples ?…

Dès lors, la laïcité, ce n’est pas ce qui t’écrase ou ce qui te nie, c’est ce qui te protège et qui te rend libre.

C’est un bouclier.

Le pacte de protection que nous impose l’État républicain n’est pas discriminatoire en principe. S’il y a des abus, on a le devoir de les dénoncer car tu as les mêmes droits que les autres. Cela s’appelle : l’égalité.

Il y a de pires servitudes, crois-moi.

Tu me répondras que c’est devenu une arme utilisée par la France contre les musulmans. Le président de la Turquie, M. Erdogan – est-il un dictateur ou un nouveau calife ? – proclame que la France est islamophobe, ne tombe pas dans le panneau – c’est lui qui l’est et il se moque de toi, comme il se moque des Ouïghours persécutés par le gouvernement de Pékin ou des Rohingyas chassés de Birmanie !

L’islamophobie, Mohammed, c’est la laïcité trahie par des imbéciles, elle ne doit pas devenir une nouvelle religion brandie par des censeurs frénétiques acharnés contre l’islam ; ce n’est qu’un principe de précaution. Mais c’est notre loi : si tu ne l’acceptes pas, si cela t’opprime ou te blesse, mieux vaut vivre ailleurs car dans ce pays, tu seras forcément incompris et malheureux.

La France a été dévastée au xvie siècle par les guerres de religion entre catholiques et protestants. On ne reviendra pas en arrière.

À lire aussi, Élisabeth Lévy: L’assimilation: une dernière chance pour la France

Des milliers de musulmans français, tu le sais, se sont fait trouer la peau en 1914-1918 et en 1939-1945 au service de la France. Alors, oui, je te le dis, Mohammed, on peut être à la fois patriote et fidèle au Coran – ou à l’Évangile. Ne crois pas ceux qui te disent le contraire. À toi de leur prouver que l’identité française est nombreuse et que par définition quand on dit nous, c’est un pluriel.

Ce ne sera pas simple.

Car en devenant français, tu seras d’abord sourd, orphelin d’un royaume, avant de te sentir hélé de loin comme d’une autre rive.

On ne reçoit pas tous les mêmes cartes à la naissance mais il te revient à toi et à personne d’autre de jouer la partie qui est la tienne.

Ne te contente pas de vivre ta vie, essaye de l’imaginer.

Et sois toujours fier du prénom que t’ont donné tes parents.

Avec tous mes voeux – Inch’Allah !

Beauvau de la sécurité: mais à quoi sert le commissaire?


La hiérarchie de la Police nationale est dominée par les commissaires. Ces hauts fonctionnaires très rarement issus du rang connaissent mal le terrain, mais cela ne les empêche pas de diriger les opérations de maintien de l’ordre. Une anomalie qui est pour beaucoup dans l’état actuel de la police en France.


Sans doute est-ce par manque de culture, mais les gauchistes ne mentionnent jamais que la Police nationale a été créée en 1941, sous Vichy, par l’étatisation et l’unification des polices municipales et urbaines des villes de plus de 10 000 habitants. Ils se privent ainsi d’une reductio ad pétainum bon marché. Il est vrai que, contrairement à nombre d’administrations et autres autorités, la police a fait l’objet d’une épuration à la Libération. Depuis, sa devise est « pro patria vigilant » : pour la patrie, ils veillent. Elle peut en être fière.

Les policiers se répartissent entre trois corps, qui sont, dans l’ordre hiérarchique ascendant les gardiens de la paix et gradés, les officiers de police et les commissaires de police.

Les gardiens de la paix et gradés sont la cheville ouvrière de l’ensemble des missions qui incombent aux services actifs de police. Ils ont en charge à la fois leurs missions originelles, exercées en tenue, et toutes celles de l’ancien corps des inspecteurs de police, aujourd’hui disparu. Ils sont l’équivalent de la troupe pour l’armée : du simple soldat à l’adjudant-major, ce sont ceux sans qui on ne pourrait mener la guerre. Ils servent au quotidien le public, au péril de leur intégrité physique, et parfois psychique.

Les officiers de police assurent « les fonctions de commandement opérationnel des services. Ils secondent voire suppléent les commissaires de police. Ils ont également vocation à exercer des fonctions de direction de certains services. » Commençant lieutenant et finissant commandant, ils sont éternellement subalternes, bien qu’ils aient été intégrés en tant qu’officiers.

Les commissaires de police, enfin, sont de hauts fonctionnaires qui « assurent la direction hiérarchique, fonctionnelle, organique et opérationnelle des services donnant les directives et instructions leur permettant d’assurer ou de faire exécuter les missions ». Ils sont répartis sur trois grades – commissaire, commissaire divisionnaire et commissaire général – et certains peuvent espérer accéder à des fonctions de contrôleurs et d’inspecteurs généraux.

Si on compare la police à l’armée, c’est un peu comme si les commissaires exerçaient des fonctions de lieutenant-colonel, sans avoir jamais commandé de troupes au feu.

Cette organisation constitue une véritable anomalie. Partout ailleurs, on rencontre schématiquement deux types d’organisation : soit un recrutement au premier grade, assorti d’un système d’évaluation et de promotion interne, soit un recrutement à deux niveaux, correspondants aux sous-officiers et officiers. Dans tous les cas, personne ne peut prétendre exercer des fonctions sommitales sans avoir connu l’épreuve du feu, et sans avoir dû exécuter des ordres venus d’en haut.

En effet, pour que ces ordres soient en phase avec la réalité et demeurent applicables, ou en tout cas opportuns, encore faut-il appréhender leurs conséquences sur le terrain. Il faut qu’une stratégie définie en état-major ait une déclinaison tactique réalisable. Pour donner de bons ordres, il faut en avoir reçu, y compris des stupides, et y avoir obéi.

A lire aussi: Lieuron et Aulnay-sous-Bois: notre laxisme sur le banc des accusés

Actuellement un (bon) officier de police est l’équivalent d’un chef de section ou de compagnie dans l’armée de terre : il va au feu avec les hommes, et morfle comme eux. Si, plus tard, il est amené à ne plus commander qu’un bureau, au moins aura-t-il en mémoire ces moments de tension où il a dû prendre des décisions tactiques en un instant, secondé par un gradé expérimenté qu’il aura appris à respecter. Toute spécificité individuelle mise de côté (il y a des imbéciles partout), chaque « soldat » aura appris à reconnaître et respecter cet officier, et l’officier aura pris la mesure de l’engagement et du courage de ses hommes. Selon une formule qui m’est restée en mémoire : « Si tu veux que tes hommes t’aiment un peu, il faut les aimer beaucoup. »

Si cet officier est un homme de valeur, c’est une notion qui l’accompagnera tout le reste de sa carrière. Si l’on veut un exemple grand public de ceci, je ne peux que conseiller l’immense série américaine Band of Brothers. On y suit les tribulations du lieutenant Winters de la 101e Airborne jusqu’au grade de major où, éloigné de la première ligne par son nouveau grade, il doit se borner à définir la stratégie d’attaque.

Eh bien, un commissaire, c’est un type qui se retrouverait dans la peau d’un lieutenant-colonel (soit un grade au-dessus d’un major américain) sans jamais avoir vu l’ennemi et, surtout, sans avoir jamais pris et donné de coups. Il n’a fait de la manœuvre que pour rire, à l’école, et a passé ses stages de « terrain » dans un splendide isolement. Il n’a jamais dû exécuter d’ordres stupides. Dès ses débuts, il a été celui qui les donnait ou les répercutait sans état d’âme, puisque incapable d’en évaluer les conséquences sur la troupe.

Sans aller chercher d’exemple à l’étranger, on peut comparer tout cela avec ce qui se passe dans la Gendarmerie nationale, structurée autour des deux corps traditionnels. Si elle souffre d’autres problèmes, elle n’a pas en tout cas celui de la cohérence de la pyramide des grades, chaque corps ayant des missions spécifiques qui ne recoupent pas celles de l’autre. En revanche, au sein de la Police nationale, il existe une foule d’occasions de double emploi et de conflits de compétences, particulièrement entre officiers et commissaires.

C’est un peu comme si Napoléon avait eu l’idée de donner brusquement à Murat le commandement de l’artillerie

Les commissaires sont censés s’occuper de la direction opérationnelle et les officiers assurer le commandement opérationnel des missions, ce qui correspond respectivement à la stratégie et à la tactique. En pratique, il y a toujours un commissaire pour donner une instruction tactique à un officier supposément autonome, en particulier si le commissaire décide de se montrer sur le terrain et prétend prendre les choses en main. Ce qui est généralement le cas des plus incompétents qui, n’ayant pas assez confiance en eux, peinent à faire confiance à leurs subordonnés. Ce qui veut dire que les pires instructions sont alors données par les moins bien placés pour le faire…

En revanche, un commissaire n’a aucun problème pour se faire remplacer dans ses fonctions par un officier, par exemple les week-ends ou la nuit, ou dans des réunions ennuyeuses. Et là, nul ne voit plus la moindre différence de capacités et de compétences entre les deux corps, y compris lorsqu’il s’agit de prendre attache avec le préfet local, mission que le commissaire se réserve pourtant soigneusement d’ordinaire.

Cette confusion est encore aggravée par le fait qu’en l’état actuel du recrutement, les personnes désireuses d’intégrer la police autrement qu’en tant que gardien de la paix se présentent simultanément aux concours d’officier et de commissaire, le niveau de recrutement étant fort proche. Pour ceux qui échouent à devenir commissaire, cela ne peut que générer davantage d’amertume et de frictions, surtout si l’on considère la part de hasard inhérente à chaque concours.

Autant dire que la plupart des gardiens et gradés préfèrent travailler sous les ordres d’un officier que sous ceux qu’un commissaire, qu’ils voient, sauf exception individuelle, comme quelqu’un n’ayant pas de considération pour la troupe, peu de compétences pour la mener, et surtout comme le gardien des intérêts de l’administration plus que de ceux de leurs subordonnées. De fait, on ne voit jamais les hiérarques policiers mettre leur carrière en jeu pour défendre leur maison et leurs hommes, comme le font certains officiers généraux de gendarmerie.

Cette dissonance fonctionnelle n’aurait pas dû se produire. En 1995, la transformation du corps des inspecteurs en corps des officiers de police et l’ouverture concomitante des fonctions de policiers en civil aux gardiens et gradés visaient à rapprocher progressivement officiers et commissaires jusqu’à fusionner les deux corps en un seul, assurant de bout en bout l’encadrement de la police. Il faut dire que fils de brigadier de police, Charles Pasqua n’aimait guère les commissaires, qu’il ne tenait pas pour de vrais flics.

Or, le lobbying des commissaires, omniprésents dans le système, est parvenu à torpiller cette réforme pourtant cohérente.

Dans ces conditions, faut-il préciser que, depuis 1995, leur méconnaissance du terrain, leur statut de mandarin héritant tous les trois ans du poste gardé au chaud par leur prédécesseur et assorti d’avantages « coutumiers » (telles les voitures de service qu’ils s’attribuent comme voitures de fonction au mépris des règles écrites) font des commissaires une caste qui s’est progressivement coupée des réalités. Certes, ils ne sont pas de purs administratifs, mais ils ne sont plus des flics, au point que certains, notamment dans les grandes villes, ne prennent même plus la peine de porter une arme quand ils se trouvent en uniforme sur la voie publique, partant sans doute du principe que la troupe les protégera.

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Cette déconnexion du réel a bien évidemment des effets pernicieux sur la voie publique, à commencer par la mise en danger des effectifs. Il y a quelques années, dans une grande ville du sud de la France, ordre avait par exemple été donné de ne plus effectuer que des patrouilles à deux pour multiplier les équipages. Or, il est impossible d’intervenir en binôme dans un quartier sensible : soit la voiture brûle, soit on laisse un policier intervenir tout seul pendant que l’autre garde la voiture. On ne voit pas comment des hommes qui n’ont jamais connu d’intervention en infériorité numérique pourraient évaluer le danger ou remettre en cause les doctrines d’intervention qu’ils appliquent depuis l’école de police.

À ce sujet, on donnera l’exemple des errements constatés lors des premières manifestations des Gilets jaunes, au cours desquelles on a stupidement appliqué des doctrines antédiluviennes, consistant à masser les unités à l’écart « pour ne pas provoquer les manifestants », comme après-guerre lors des grandes manifs ouvrières. Autant dire que sans aucun flic en vue, subversifs et pillards n’allaient pas se gêner pour tout casser, jusqu’à l’Arc de Triomphe.

Je finirai en soulignant ce qui me semble être le plus absurde. La police n’est qu’une appellation générique qui recouvre nombre de métiers, allant du maintien de l’ordre au renseignement, en passant par la police aux frontières, sécurité publique, la circulation routière, la police technique et scientifique, ou les nombreuses spécialités de police judiciaire, et j’en passe. Autant de spécificités, de technicités, de métiers qui n’ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres.

On peut certes concevoir l’existence d’un commandement unifié au plus haut niveau, qui dirige les services et non les missions. Cependant, la plus grande partie des cadres de la police ont besoin de connaissances techniques pour travailler correctement. Or, les commissaires sont susceptibles d’occuper indifféremment n’importe quel fauteuil, dans n’importe lequel de ces services. Ce qui signifie qu’ils peuvent donner des instructions opérationnelles sans rien connaître à la réalité du boulot. Ainsi, en vertu des tours de permanence, un commissaire du renseignement territorial, dont le boulot est essentiellement de corriger et de valider des notes rédigées par d’autres, peut se retrouver le week-end à devoir gérer le service d’ordre d’une manifestation.

C’est un peu comme si Napoléon avait eu l’idée de donner brusquement à Murat le commandement de l’artillerie, ou si un cadre commercial devenait, le temps d’un week-end, responsable du fonctionnement d’une centrale nucléaire : il n’y a aucune raison que cela se passe mal.

Arrêt des sociétés: quand le rêve de Greta devient réalité


Ce n’est pas sur les apôtres de la religion verte qu’il faut compter pour remettre en question la politique sanitaire. Confinement et rêve écologiste vont ensemble, du Québec à la France où Macron doit faire une nouvelle annonce mercredi… 


Il est indéniable que la présente crise sanitaire profite à de puissants intérêts. Et ce n’est pas être « complotiste » que de le dire. Intérêts financiers si l’on songe aux altruistes compagnies pharmaceutiques qui commercialisent un vaccin contre le virus, mais aussi, si l’on songe aux GAFAM qui, plus que jamais, profitent de leur propre création qu’est la dématérialisation du monde. Par temps libre, les gens n’ayant plus rien d’autre à faire que de garder les yeux rivés sur leurs écrans, ce sont les grands acteurs de l’industrie numérique – presque tous américains d’ailleurs – qui remportent la mise. 

L’essentiel est d’avoir peur 

Machination, légitime volonté de protéger la population, immense psychose collective, mélange de ces trois éléments : quelle que soit son impulsion, l’arrêt des sociétés conforte aussi des intérêts idéologiques. Il y aura des gagnants et des perdants de cette crise. 

Sainte Greta, prophétesse «éco-anxieuse» du sanitarisme vert?

Comment ne pas voir dans tous ces avions cloués au sol une victoire inattendue des écologistes radicaux, qui réclamaient depuis longtemps la fin de toutes ces déjections de kérosène ? Comment ne pas voir dans l’interruption du tourisme de masse le triomphe inespéré de cet « écologisme culturel », pour lequel, peut-être avec raison, il fallait protéger Paris et Venise comme des espèces en voie d’extinction ? Enfin, comment ne pas voir dans ce tri entre les produits « essentiels » et ceux qui ne le seraient pas un prélude à la réorganisation du monde selon des critères de « durabilité » ?

Au Québec, des bobos qui se réjouissent du couvre-feu 

Début janvier dernier au Québec, l’instauration du couvre-feu par le gouvernement Legault a trahi le préjugé favorable de certains adeptes du « progrès » pour une société sans trop de vie humaine, mais verdoyante. La mort de l’Homme ne serait-elle pas la garantie ultime de la renaissance de la nature ? Réagissant à l’instauration de cette mesure inédite dans l’histoire québécoise, des starlettes se seront même enthousiasmées des beautés naturelles qu’elle pouvait produire. « Que c’est agréable une ville sans bruit, sans humanité aucune, sans atterrissages ou presque, d’où l’on peut contempler le ciel étoilé ! », a-t-on pu entendre entre les branches des réseaux sociaux. Encore un peu moins de civilisation, et les Montréalais pourront pêcher des poissons à main nue dans les canalisations de leur ville. 

A relire: Causeur: Un été sans touristes

À Montréal en particulier, le couvre-feu est en quelque sorte venu parachever le grand projet écologiste du maire Valérie Plante, une personnalité qui apparaît comme une version féminine et municipale du Premier ministre fédéral, Justin Trudeau. La « mairesse » Plante n’avait-elle pas déjà rendu quasi impraticable la conduite automobile à des fins environnementales ? Les écologistes rêvaient déjà d’une sorte de métropole-chalet, une ville aux allures post-apocalyptiques où des plantes grimpantes auraient remplacé les panneaux publicitaires, emblèmes d’un capitalisme sauvage, mais pas aussi sauvage que le paysage à venir. Une cité où des jardins suspendus engraissés au compost seraient entretenus par d’exotiques ouvriers trans. Leur rêve est-il devenu réalité ?

Greta Thunberg le 23 septembre 2019, occupe l'imaginaire de nombre de fanatiques du "progressisme" et de l'écologi © Jason DeCrow/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22380946_000001
Greta Thunberg le 23 septembre 2019 © Jason DeCrow/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22380946_000001

« Je veux que vous paniquiez », disait Greta

Dans une autre perspective, cette nouvelle mainmise sur les populations par les États semble aussi répondre au climat de panique qu’ont longtemps alimenté les écologistes les plus pressés. À notre sentiment de perte de contrôle semble répondre une volonté de contrôle tout aussi excessive. Comme si toute l’anxiété emmagasinée par nos sociétés décomposées se déployait maintenant à travers le nouvel ordre sanitaire. Comme si le catastrophisme ambiant avait fini par déboucher sur un régime qui en serait l’antithèse. Un régime sous forme de safe space politique, psychologique, sanitaire et même écologique. Un nouveau clivage est apparu et il s’articule autour de la peur. 

A lire aussi: Quand le monde devient un «safe space»

« Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous ressentiez la peur que je ressens tous les jours. Et ensuite, j’attends de vous que vous agissiez ; je veux que vous agissiez comme si nous étions en crise, comme si la maison était en feu. Parce que c’est le cas », déclarait Greta Thunberg en janvier 2019, à l’occasion du Forum économique mondial, à Davos.  

Sainte Greta, prophétesse « éco-anxieuse » du sanitarisme vert ? Dans tous les cas, à l’échelle de la planète, je ne compterais pas trop sur les apôtres de la religion verte pour remettre en question le prolongement des confinements.

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Le monde n’est pas fait pour nous

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Le billet du vaurien


Proust a toujours le mot juste. Voici ce qu’il écrit il y a exactement un siècle et qui est d’une actualité brûlante: « Quel malheur que les médecins soient “consciencieux” et qu’on ne puisse pas leur dire “tuez-moi” au lieu de “soignez-moi” puisqu’ils ne peuvent pas vous guérir ! »

Et d’ailleurs à force de se croire malade, on le devient. Et parfois on sombre dans un délire collectif. On en vient même à se demander en cette période d’affolement covidien: « À qui profite le crime ? »

Journal du Corona

À ce propos, on se délectera avec Le Journal du Corona du basketteur américain Jon Ferguson. Il rappelle à ceux qui l’auraient oublié que contrairement à Disneyland que Walt Disney a créé, le monde n’est pas fait pour nous. À l’origine les gens avaient conscience que la vie était une terrifiante lutte pour la survie. Ils savaient que le monde était un abattoir.

Jon Ferguson Photo D.R.
Jon Ferguson Photo D.R.

Aujourd’hui, ils croient que le monde est à l’image de Disneyland. Et, pire encore, qu’il faut se battre pour sauver la planète. Une planète qui ressemble à un Disneyland mérite-t-elle de l’être, sauvée ?

L’humanité en perdition

Laissons plutôt l’humanité aller à sa perte. Et d’ailleurs, que nous nous en réjouissions ou non, elle s’y précipite.

A-t-elle jamais été autre chose que le postillon d’un poivrot divin ? Kafka le pensait.

Je n’en ai jamais douté.

Journal du Corona, Jon Ferguson, Editions L’Aire, 25.00 CHF

De Rodenbach à Jean Ray, ce que nous devons à la littérature belge

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Une nouvelle maison d’édition belge propose de redécouvrir des classiques d’hier et d’aujourd’hui


Après Le Petit Arménien (Pierre-Guillaume de Roux) sur une enfance de fils d’émigré dans « la Belgique de papa » », après un succulent Dictionnaire de gastronomie & de cuisine belges (Rouergue), Jean-Baptiste Baronian revient par la grâce d’une jeune maison d’édition installée à Bruxelles et qui porte un nom quelque peu singulier, Névrosée. La fondatrice, Sara Dombret, entend rééditer d’une part des femmes écrivains parfois oubliées, comme Madeleine Bourdouxhe, de l’autre des auteurs qu’elle appelle « sous-exposés ». 

Il est vrai que, dans la Patrie des Arts et de la Pensée, les écrivains, même vivants, ne jouissent pas d’une visibilité excessive (euphémisme). N’est-ce pas Charles De Coster, immortel auteur de La Légende d’Ulenspiegel (1867) qui disait que, dans ce pays, « il faut baiser le sabot de l’âne » ? 

Sara Dombret veut défendre un héritage littéraire ; elle fait sienne, non sans crânerie, la sentence d’un de nos excellents écrivains, l’auteur du sublime Voyage d’hiver (L’Age d’Homme), Charles Bertin : « Il n’y a nulle contradiction entre l’enracinement et l’ouverture au monde ».

Bref, les éditions Névrosée s’attellent à sortir de l’oubli des œuvres d’écrivains belges, femelles ou mâles, préfacées non par de pâteux « sociologues de la littérature », mais par des écrivains, d’authentiques lettrés, qui savent et lire et saluer leurs confrères. Ce que fait avec brio le confrère Luc Dellisse, qui présente Lord John, sans doute le meilleur roman de Jean-Baptiste Baronian, publié pour la première fois dans les années quatre-vingts. Il a, Luc Dellisse, mille fois raison quand il parle du « charme vibrant » de ce roman d’apprentissage, dont le héros, Alexandre, fils d’un bouquiniste du vieux Bruxelles (dont le modèle pourrait bien être le célèbre Henri Mercier, de la librairie La Proue, sise rue des Eperonniers), dix-huit ans, va, en l’espace de quelques jours, connaître le chagrin, le désir et une forme de libération par le truchement de la lecture.

En effet, Alexandre découvre en vidant un grenier la collection complète des Aventures d’Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain, 178 fascicules kitsch de littérature populaire, sans nom d’auteur et aux titres abracadabrants : Le Vampyre aux yeux rouges, Le Grand Chalababa, Le Dancing de l’épouvante, sans oublier, le plus rare, Marabout fantastique

Au fil de ses recherches, entre la salle des soins intensifs où agonise son père (coma éthylique) et les impasses du vieux Gand, où se tapit un oncle légendaire aux divers pseudonymes (il aurait été pirate dans les mers chaudes, escroc à Amsterdam, écrivain à Paris), Alexandre entre dans l’âge adulte, non sans douleur. Dans un style proche de l’oralité et avec un sens aigu du grotesque, voire du sordide urbain, Baronian y évoque le Bruxelles des années 60, l’adolescence haïe et regrettée, les librairies et leurs clients parfois pittoresques, et, last but not least, l’étrange figure du maître de notre littérature fantastique – John Flanders alias Jean Ray.

Jean-Baptiste Baronian, Lord John, Névrosée, 214 pages, 16€

Rodenbach, carillonneur fin-de-siècle

Parmi les « sous-exposés », Névrosée réédite un authentique chef-d’œuvre des lettres de langue française, Le Carillonneur, de Georges Rodenbach (1855-1898). L’auteur du célébrissime Bruges-la-Morte (1892), ami de Mirbeau et des Goncourt, y évoque le tragique destin d’un architecte brugeois, Joris B., qui, par amour pour sa ville, en devient le carillonneur attitré. Nous le suivons dans ses amours complexes, entre deux sœurs bien différentes, la sensuelle et la méditative et l’observons en train de céder à la luxure. 

Le préfacier, Frédéric Saenen, trace parfaitement le portrait de l’auteur et de son temps ainsi que la place du roman dans les Lettres françaises en tant qu’expression francophone, et dans quelle langue subtile et raffinée, d’un imaginaire et d’un héritage flamands. Il y décèle les influences de Bloy et d’Huysmans. Toute l’ambivalence « belgique » (ici pris comme adjectif, à l’ancienne), une histoire pluriséculaire (par exemple la vieille rivalité entre Flandre et Brabant, entre Bruges et Anvers ; ou encore la naissance du mouvement autonomiste flamand), une richesse peu commune font de ce Carillonneur un grand livre méconnu.

Georges Rodenbach, Le Carillonneur, Névrosée, 324 pages, 16€

Une improbable station balnéaire

Névrosée réédite aussi Le Cloître de sable, de Jacques Cels (1956-2018), mort trop tôt, sans doute de n’avoir pas été reconnu à sa juste mesure. 

Roman étrange rédigé dans une langue soignée, ce Cloître se situe dans une improbable station balnéaire, espace indéterminé où, au contraire de chez Baronian & Rodenbach, est niée avec méthode jusqu’à la plus infime once de caractère local. 

Singulière construction, quasi théâtrale, tour à tour séduisante et un tantinet agaçante, livre tiré au cordeau avec le zèle du professeur de lettres, Le Cloître de sable m’intéresse pour ses évidentes qualités, sans me séduire. Il faut toutefois saluer l’artiste disparu, qui écrivit « avec son sang » et dont la voix ne fut pas écoutée. La belle préface d’André Possot est un modèle d’intelligence et de fidélité. 

Jacques Cels, Le Cloître de sable, Névrosée, 326 pages, 16€

Des nouvelles du futur

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Image d'illustration Photo: Daniel Monteiro / Unsplash

Coronavirus, vaccinations, élections, identité de genre, souverainisme, écologisme, crise économique… si vous avez aimé 2020, vous allez adorer 2027.


Janvier 2027. Paris, quartier de Montparnasse.

Eden sort son smartphone et présente sa carte d’identité nationale numérique. A côté des traditionnelles lettres M (Masculin) et F (Féminin) figure la lettre N (Neutre). Et une mention obligatoire : « VACCINATION COVID », renvoyant à un QR code. Pour se faire vacciner en 2027, rien de plus simple : il suffit de télécharger l’application tou.te.s.vacciné.e.s.fr, où chacun peut choisir en un seul clic le vaccin de son choix, livré directement à domicile. La logistique des vaccins est assurée par Amazon, suite aux recommandations de McKinsey. Si les Français sont bons en rhétorique, les Américains le sont en logistique. Cette vaccination à la carte, nous la devons à Jérôme Salomon, promu ministre d’État à la tête d’un grand ministère de la vaccination. Presque toute la population française a été fichée et vaccinée (un rappel semestriel est obligatoire) à l’exception d’une certaine frange, marginalisée de fait car n’ayant pas les mêmes droits. Également réfractaires à la 7G, le président les a surnommés les « péquenauds », instaurant de fait la création du mouvement péquenaudiste.

Le vigile flashe le QR code d’Eden : «dernier rappel : 15 décembre 2026» et l’autorise à pénétrer dans la supérette Couche-Tôt. Le Québécois Couche-Tard a finalement pu racheter Carrefour mais a changé de nom (en raison du couvre-feu permanent à 18h). Eden change sa paire de gants (devenus obligatoires) depuis qu’il a été démontré que les Français ne savent pas se laver les mains. La jeune fille vient y acheter son déjeuner, les bars et restaurants ayant presque tous disparu. Six années de fermeture, c’est long. Les survivants ont été transformés en musées pour les générations futures.

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Le passeport vaccinal, l’une des mesures phares du plan décennal du haut-commissariat au plan, devait permettre le retour au monde d’avant. Mais tout y est interdit. Tout, sauf les vaccins. L’emploi s’est raréfié, le télétravail ayant révélé un grand nombre de « bullshit jobs ». L’intelligence artificielle et la robotisation ont fait exploser le chômage, rendant inévitable la mise en place du revenu universel.

Eden s’installe sur un banc urbain végétalisé. A Paris, les arbres ont remplacé les voitures. Elle enlève son masque et sirote un soda, au risque d’avoir une amende. Depuis qu’Anne Souyris a succédé à Anne Hidalgo, il est interdit de manger, boire ou fumer dans les rues, car le port du masque est obligatoire. Eden regarde une famille de sangliers pénétrer dans une librairie désaffectée, déchirant et souillant les derniers livres oubliés par terre. A côté se trouve la brasserie La Rotonde, l’un des rares restaurants à ne pas avoir mis la clef sous la porte. Cela fait bientôt dix ans qu’Emmanuel Macron est au pouvoir, réélu de justesse en 2022 face à Marine le Pen, avec une abstention record. Quelques jours avant le second tour, Emmanuel et Brigitte se sont fait vacciner en direct sur BFM TV. Après deux mandats, le président a indiqué qu’il ne se représentera pas. La rumeur dit qu’il prendrait la direction d’Uber Europe.

A l’approche d’un drone, Eden remet rapidement son masque, puis consulte les dernières brèves d’actualités.

Les derniers sondages pour l’élection présidentielle de 2027 révèlent la percée d’une liste souverainiste menée par le tandem Zemmour/Onfray, et talonnée de près par la liste de Michel Houellebecq, fédérant tous les dépressifs de France.

Jean Castex a démissionné de son poste de Premier ministre pour devenir l’égérie d’Alain Afflelou avec le slogan : « Qu’est-ce que j’ai fait de mes lunettes ? » Crise oblige, le lunetier offre cinq paires supplémentaires pour un euro.

Marlène Schiappa est nommée responsable de la division produits capillaires pour non-binaires chez L’Oréal, une entreprise jugée pionnière en matière de pluralisme et de diversité après avoir supprimé les mots « blanc » et « clair » de ses produits.

Olivier Véran rejoint la liste des ministres jugés non-essentiels après en être venu aux mains avec Didier Raoult lors d’une visite au CHU de Marseille. Le professeur avait déclaré que le plus dangereux des variants était le Véran.

Bernard Arnault inaugure une boutique Louis Vuitton au sein même de la cathédrale Notre Dame de Paris. François Pinault, quant à lui, va inaugurer un flagship Gucci dans la Basilique du Sacré Cœur. La désaffection pour la religion catholique, ainsi que l’entretien trop coûteux des églises pour l’État, rendait inévitable une reconversion de ces monuments visités en majorité par les touristes. Les marchands du temple (du luxe) ont repris le pouvoir. Par respect de l’environnement, une éolienne a été érigée en lieu et place de la flèche de Viollet-le-Duc.

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Aux États-Unis, Donald Trump est élu face à Michelle Obama, qui a immédiatement parlé de fraude électorale (provoquant des émeutes raciales dans tout le pays) et tweetant qu’il fallait par tous les moyens sauver la démocratie en barrant la route à Donald Trump. L’intéressé ne put  s’exprimer, son compte Twitter étant toujours fermé.

Un sommet international sur le climat a lieu à Cancún au Mexique. Il est présidé par Greta Thunberg qui a traversé l’Atlantique en chaloupe. La jeune Suédoise (qui figure déjà sur les timbres postaux depuis de nombreuses années) a été élue Première ministre de Suède grâce au slogan : « Save the planet, eat more insects ». A l’issue du sommet, il est décidé que les insectes remplaceront la viande. La France s’est empressée de faire adopter la mesure, réglant par là même la question épineuse du porc au menu des cantines scolaires.

Elon Musk, patron de Tesla, est devenu l’homme le plus riche de la galaxie depuis qu’il a établi une colonie sur Mars. Le prix d’un lopin de terre (où aucune trace de Covid n’est présente) atteint plusieurs centaines de milliers de bitcoins. A ce jour, seuls Jeff Bezos et Bill Gates y ont construit une villa.

Quelle politique étrangère pour les Etats-Unis de Joe Biden?

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Washington, le 25 janvier 2021 © Doug Mills/UPI/Shutterstock/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40821793_000001

Comparativement à Donald Trump, Joe Biden maîtrise avec aisance les rouages de la géopolitique. Son parcours politique à la présidence de la commission des Affaires étrangères du Sénat lui a en effet donné l’occasion de s’y intéresser de près. 


Homme de compromis, multilatéraliste, désireux de renouer avec la stratégie de son ancien mentor Barack Obama, Joe Biden s’apprête donc à rompre avec l’héritage Trump. Un virage à 180 degrés pour les États-Unis?

Après Donald Trump, l’unilatéralisme et le patriotisme économique vont laisser la place à une nouvelle diplomatie. Nouvelle ? Pas exactement, car Joe Biden, c’est le couple Obama-Clinton de retour à la Maison-Blanche. Bien que les intérêts des États-Unis demeureront toujours dirigés vers l’Extrême-Orient et continueront donc de se détourner de l’Europe, ce que Barack Obama avait déjà enclenché avec le «pivot vers l’Est», de nombreux changements diplomatiques vont voir le jour. En réalité, c’est bien la tactique qui changera et pas réellement la stratégie.

Mais qu’en sera-t-il concrètement?

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Dans un tweet du 7 juillet 2020, Joe Biden déclare: « Je rétablirai notre leadership sur la scène internationale. » Si Donald Trump ne l’a pas forcément annihilé, il a, sans nul doute, considérablement restreint la face interventionniste des États-Unis. À l’égard de l’Europe, tout d’abord, Joe Biden souhaite renouer avec la politique menée par son ancien mentor. Sous Barack Obama, en effet, il avait promu l’élargissement de l’OTAN et un rapprochement conséquent avec l’Union européenne. Joe Biden souhaite donc recouvrir un rôle de premier plan dans une Europe divisée et désireuse de se bâtir une certaine autonomie stratégique. Ainsi, si le nouveau président sera plus complaisant à l’égard de l’Occident, retenons qu’il ne cèdera pas sur les dépenses du vieux continent à l’égard de l’OTAN. Une rengaine qui laisse penser à des nouvelles crises au sein de l’Alliance atlantique.

A lire aussi: Charte de l’islam: nécessaire, mais très loin d’être suffisant

D’autre part, et c’est en cela que la filiation Clinton ressort incontestablement, Biden est fermement opposé à toute forme de…

>>> Lire la fin de l’analyse sur le site de la revue Conflits <<<

Charte de l’islam: nécessaire, mais très loin d’être suffisant

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Signature de la charte des principes de l'islam, Paris, le 18 janvier 2021 © Raphael Lafargue-POOL/SIPA Numéro de reportage : 01000385_000011

Les membres du Conseil français du culte musulman (CFCM), principal interlocuteur des pouvoirs publics parmi les musulmans, ont trouvé un accord et signé une «charte des principes». Elle affirme enfin l’égalité hommes-femmes et le droit de changer de religion. Mais des zones d’ombre dans le texte et la faiblesse de l’autorité du CFCM sur les fidèles ne sont pas sans laisser de nombreux problèmes irrésolus. Analyse.


Le simple fait que l’on ait envie d’applaudir parce que le CFCM s’est enfin décidé à adopter une charte par laquelle il s’engage à respecter certains principes fondamentaux de la République montre à quel point le mal est profond. Ce devrait être une évidence, un prérequis indispensable, on y voit une avancée majeure, et les signataires eux-mêmes évoquent « une page importante de l’histoire de France » pour qualifier le fait que l’islam ne se proclame plus au-dessus des lois.

Reste que les auteurs de cette charte ne sont pas responsables du passé. Alors oui, c’est une avancée. Oui, on devine que la tâche a été ardue. Oui, c’était une démarche nécessaire. Et on peut saluer l’action du gouvernement qui a voulu l’existence de ce document. Comme quoi, quelques mois de fermeté ont obtenu bien plus que des décennies d’accommodements et des milliards de subventions, et c’est sans doute la principale leçon à retirer de tout ceci. L’islam ne respecte la République que lorsqu’elle ose enfin se faire respecter.

Ceci posé, que dire de cette charte ? Elle souffre de deux péchés originels, qui malheureusement en limitent considérablement la portée malgré les bonnes intentions évidentes de ses principaux artisans. D’abord, elle veut rassembler au lieu de distinguer, d’où des formulations à l’ambiguïté dangereuse, et des compromis douteux que l’on devine entre les lignes. Ensuite, elle évite soigneusement tout regard critique sur l’islam pour se contenter de parler de ce qu’elle appelle l’usage fait de la religion, ce qui l’empêche de traiter les vrais problèmes. Je rejoins là totalement l’analyse de Razika Adnani, islamologue et membre du Conseil d’Orientation de la Fondation de l’Islam de France.

Les signataires prennent parti pour la France

Soulignons tout de même certains des principaux points forts de la charte : l’affirmation que « aucune conviction religieuse ne peut être invoquée pour se soustraire aux obligations des citoyens » ; le refus que « les lieux de culte servent à diffuser des discours politiques ou importent des conflits qui ont lieu dans d’autres parties du monde » ainsi que le rejet des « politiques étrangères hostiles à la France, notre pays, et à nos compatriotes Français » (on comprend que les sbires d’Erdogan n’aient pas signé !) ; enfin la déclaration que « les dénonciations d’un prétendu racisme d’État, comme toutes les postures victimaires, relèvent de la diffamation » et un paragraphe que je reproduis intégralement car il me semble fondamental : « Dans notre pays, visé trop souvent par des propagandes qui le dénigrent, des millions de croyants se rendent paisiblement à l’office religieux de leur choix et des millions d’autres s’abstiennent de le faire en toute liberté. Cette réalité qui nous semble normale n’est malheureusement pas celle de nombreuses sociétés du monde d’aujourd’hui. » Par ce crucial « malheureusement », les signataires sortent du simple constat et prennent parti pour la France contre le modèle historique du « monde musulman ». Il y a donc du bon dans ce texte, et même du très bon.

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Hélas ! À côté de ces déclarations fortes et bienvenues, la charte peine à naviguer la distinction entre l’essence et l’usage. Ainsi dit-elle que « les valeurs islamiques et les principes de droit applicables dans la République sont parfaitement compatibles » : ce n’est pas faire injure à nos concitoyens musulmans que de constater que 14 siècles d’histoire ainsi que la lecture des injonctions coraniques démontrent le contraire, et que la démarche des musulmans humanistes n’en est que plus méritoire, puisqu’elle est non un confortable retour aux sources, mais une exigeante et radicale rupture.

De même, l’article 6 est remarquable par cette note de bas de page qui rejette toute promotion du « salafisme (wahhabisme) » – qu’en est-il du salafisme non wahhabite ? – du Tabligh et de « la pensée des Frères musulmans et des courants nationalistes qui s’y rattachent » – les oreilles du néo-sultan Erdogan ont dû siffler derechef – mais il parle encore « d’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques ». Double erreur : d’une part parce que l’islamisme n’est pas une instrumentalisation de la religion à des fins politiques, mais une instrumentalisation de la politique à des fins religieuses, d’autre part parce que l’islam est depuis son origine un projet de société total et donc entre autres politique. Le fiqh n’est pas un épiphénomène !

La mosquée radicale de Pantin, qui avait critiqué sur Facebook le professeur assassiné à Conflans Sainte Honorine © CHRISTOPHE SAIDI/SIPA Numéro de reportage : 00986850_000004
La mosquée radicale de Pantin avait critiqué sur Facebook le professeur Samuel Paty assassiné à Conflans Sainte Honorine © CHRISTOPHE SAIDI/SIPA Numéro de reportage : 00986850_000004

Ambiguïtés potentiellement dangereuses

On peut comprendre que les rédacteurs de la charte aient choisi de ne pas se couper de l’islam tel qu’il existe partout ailleurs, en affirmant ne critiquer que des usages de la religion et non son essence. C’est néanmoins regrettable : dans les faits, certaines de leurs prises de position introduisent une distance critique courageuse vis-à-vis tant du texte coranique que de la tradition, notamment sunnite. Mais en ne l’assumant pas clairement, ils permettent des ambiguïtés potentiellement dangereuses. Par exemple, ils refusent toute promotion de « l’islam politique » (avec la fameuse liste wahhabisme, Tabligh, Frères Musulmans) mais affirment également que « toutes les écoles doctrinales de l’islam revêtent la même légitimité », y compris donc celles dont ils refusent de faire la promotion mais qu’ils ne vont manifestement pas jusqu’à condamner franchement.

Autre exemple frappant, et qui devra être rapidement clarifié : l’apostasie. Le droit de changer de religion est enfin reconnu, et les signataires s’engagent à ne pas criminaliser ni stigmatiser un renoncement à l’islam « ni à le qualifier « d’apostasie » (ridda) ». Un esprit chagrin dira que cela revient à s’engager à ne pas qualifier de pain un aliment obtenu par la cuisson d’une pâte mélangeant de la farine et de l’eau, pour dire que l’on autorise la consommation de cet aliment tout en continuant à interdire le pain. Sans aller jusque-là, il faudra tout de même préciser quelle est la différence entre l’apostasie (au sens du dictionnaire) et la ridda. Je crains, parce que cette argutie est fréquente dans nombre de pays musulmans, que dans l’esprit des signataires de la charte la nuance porte sur la « discrétion » du renoncement à l’islam. Ils insisteront alors pour que, par « respect », les apostats ne fassent pas la « publicité » de leur apostasie, ce qui veut dire soit ne la rendent pas publique, soit n’en fassent pas la promotion en exposant leurs motivations, soit les deux – positions évidemment inacceptables. J’espère me tromper, mais en tout cas il y a là une ambiguïté qu’il faut lever au plus vite.

Par ailleurs, cette question de la « publicité » de l’apostasie m’amène à la grande absente de la charte : la liberté d’expression, avec ses corollaires évidents que sont le droit de critiquer l’islam (et les religions en général) et le droit au blasphème. Bien sûr, il est écrit « nous acceptons tous les débats », mais sa propre charte va-t-elle obliger le CFCM à se débarrasser d’Abdallah Zekri, qui trouvait que Mila l’avait « bien cherché » ? Si la réponse est non, si la « charte des principes pour l’islam de France » permet de continuer à affirmer qu’une adolescente a « bien cherché » de voir sa vie menacée et d’être confrontée à des dizaines de milliers de menaces de viol et de mort parce qu’elle a blasphémé, alors cette charte n’est qu’une triste fumisterie.

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On peut aussi se demander quel sera la portée concrète de ce texte. Une chose est sûre : il servira de cache-sexe à certains de ceux qui voudront affirmer que « cépaçalislam » et que les crimes commis au nom de l’islam et en conformité avec le Coran n’ont rien à voir avec l’islam. Mais encore ? Les manquements aux engagements pris doivent entraîner l’exclusion des « instances représentatives de l’islam de France » : avec quelles conséquences en termes de statut légal ? De subventions ? De droit de prêcher ?

Le CFCM n’a aucun magistère, aucune autorité morale ni théologique sur les fidèles

De plus, n’imaginons pas que la mentalité des fidèles va miraculeusement changer – mais ne le reprochons pas aux signataires de la charte. Les catholiques ne sont pas tous subitement devenus des militants no-borders sous prétexte que le Pape en est un, et il faut rappeler que contrairement au Vatican le CFCM n’a aucun magistère, aucune autorité morale ni théologique sur les fidèles. Et le silence assourdissant de la fameuse « majorité silencieuse » face aux crimes et aux ambitions des islamistes laisse craindre qu’elle soit plus sensible aux discours de ces derniers qu’à ceux de la frange républicaine du CFCM.

Et justement, l’opposition à cette charte n’a pas tardé à se faire entendre. « Dômes et Minarets » par exemple, qui qualifie Hassen Chalghoumi de « faux imam » parce qu’il exerce un jugement moral et critique sur certains passages du « noble Coran » (statut des femmes, mise à mort des polythéistes, etc), s’oppose explicitement à la charte et a organisé ces jours-ci un sondage « vous sentez-vous représenté par le CFCM ? », question à laquelle les internautes ont répondu « non » à 96%.

De cette opposition, les rédacteurs et les signataires de la charte ne sont pas responsables, mais ils le sont des zones d’ombre du texte. Face aux unes comme aux autres, la balle est désormais dans le camp du gouvernement. Puisse-t-il poursuivre ses efforts et se souvenir de cette leçon : face à l’hydre islamiste, seule la fermeté est efficace.

Aya Nakamura à son tour frappée de «misogynoir»

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La chanteuse Aya Nakamura © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Le magazine sociologique Marie Claire interviouwe la chanteuse Aya Nakamura. Comme Rokhaya Diallo, elle est victime de “misogynoir”. Explications.


Marie Claire fut un magazine féminin léger, facile d’accès, récréatif. On pouvait le lire à table, sur la plage ou au lit. Il est maintenant une revue sociologique qui scrute les phénomènes permettant d’expliquer les mutations de la société française en matière de féminisme, de racisme, d’intersectionnalité et de langue. Les sujets sont graves et la rédaction du journal n’hésite pas à les aborder par le versant le plus intellectuellement abrupt. On le lit dans un fauteuil, et on prend des notes.

Rokhaya Diallo a pu y faire récemment la promotion de sa bande dessinée dénonçant le « sexisme pernicieux » en France. Elle-même se dit discriminée. La preuve : sur les plateaux de TV elle est parfois interrompue. Selon le magazine sociologique, elle est victime de “misogynoir”.

Le lendemain, la revue a interviouwé Aya Nakamura, la chanteuse à textes qui illumine les journées du député LREM Rémy Rebeyrotte qui la trouve « absolument remarquable » : « Elle est en train de porter au niveau international de nouvelles expressions et évolutions de la langue. Et ça, ce sont des choses extrêmement fortes. »

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Avant que d’aller plus loin dans l’entretien qu’a donné cette possible future académicienne, nous nous devons de porter à la connaissance des lecteurs de Causeur le refrain de son tube Doudou qui a fait chavirer M. Reyberotte : « Mon chéri laisse, laisse-laisse tomber. Aime-moi, doudou Aime-moi, doudou. Montre-le moi, doudou, T’es mimi, dis-le moi, doudou. Prouve-le moi, doudou. Et ça, c’est quel comportement, doudou ? Tu me mens beaucoup. Ça, c’est quel comportement, doudou ? »

Une artiste qui bouscule les codes

Marie Claire a décelé dans le titre Djadja une réflexion sur « l’empowerment », ce que confirme Rhoda Tchokokam, critique “culturelle” qui a écrit un livre dans le but de « décoloniser la langue française »[tooltips content= »Le dérangeur : Petit lexique en voie de décolonisation, 2020″](1)[/tooltips] : « Elle est attachée à son identité et à ne pas la lisser. […] Elle ne veut pas changer son image pour plaire. Rien que ça, c’est inédit. » Ce qui est inédit aussi, c’est la prose extraite de Djadja : « Hello papi mais qué pasa? J’entends des bails atroces sur moi. À c’qui paraît, j’te cours après ? Mais ça va pas, mais t’es taré ouais. Mais comment ça le monde est tipeu? […] Oh Djadja. Y a pas moyen Djadja. J’suis pas ta catin Djadja, genre en Catchana baby tu dead ça. » Alors là, pour décoloniser la langue, ça décolonise. Ou ça colonise, tout dépend du point de vue. Enfin, comme l’écrit la journaliste de Marie Claire : « À sa manière, elle a bousculé les paysages médiatique et musical français. »

La chose est d’autant plus méritoire qu’Aya Nakamura est « une femme noire, à la peau foncée (sic), originaire de Seine-Saint-Denis… » et qu’elle est plus souvent critiquée depuis qu’elle est célèbre que du temps où elle était « une petite meuf d’Instagram avec six abonnés. » Comme c’est  curieux !

Un concept inventé par Moya Bailey

Si elle est attaquée, ce n’est pas à cause des textes de ses chansons, mais parce qu’elle est une femme noire, écrit la journaliste du magazine sociologique : « C’est ce que l’on appelle la “misogynoir”, concept sociologique inventé par l’universitaire afro-américaine Moya Bailey, qui définit une forme de misogynie envers les femmes noires, où la race et le genre jouent un rôle concomitant. » Décidément, on en apprend tous les jours.

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Il est certain qu’on ne voit pas ce qui pourrait être reproché d’autre à cette chanteuse. En tout cas pas ces textes envoûtants, à la métrique originale et stimulante, au sens poétiquement sibyllin, et qui montrent « la capacité de la langue à se réinventer sans arrêt et en même temps à continuer à porter ses accents et sa diversité », pour dire comme le député amouraché. Nous ne résistons pas à l’envie de citer une dernière fois cette artiste et à décourager ainsi, nous l’espérons, toutes les critiques des réactionnaires qui veulent voir la langue française figée dans des raideurs anciennes : « Blah blah blah d’la pookie. Ferme la porte, t’as la pookie dans l’side. Blah blah blah d’la pookie. Ferme la porte, t’as la pookie dans l’sas. Pookie, pook-pook-pookie. Ferme, ferme la porte, t’as la pookie dans l’side. Pookie, pookie, pookie. Ferme la porte, t’as la pookie dans l’sas. Ah, depuis longtemps, j’ai vu dans ça depuis longtemps. J’ai vu dans ça depuis longtemps, ah, ah, j’ai vu dans ça. »

Baudelaire, Haussmann et Hidalgo

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L’urbanisme parisien sous Covid


Le vieux Paris n’est plus, la forme d’une ville / Change plus vite, hélas, que le cœur d’un mortel. Ainsi écrit Baudelaire dans Tableaux parisiens. En 1858, le poète ne reconnaît plus le Paris cher à son cœur que l’urbanisme d’Haussmann a transformé. Avec la destruction des vieux faubourgs, des immeubles cossus naissent le long des boulevards, éclairés la nuit, avec leurs trottoirs et leurs bancs, leurs arbres et des urinoirs. C’est à Haussmann qu’on doit des égouts sous terre, des espaces verts, des gares aux portes de la ville, la vie nocturne à la sortie des cafés. De ce Paris, nous bénéficions.

Paris aux mains des bobos

L’urbanisme parisien a toujours obéi à deux impératifs : l’hygiène et le logement. Dans les années 60, le fer remplace la pierre, la tour, le toit. Un mouvement de grande ampleur naît de l’urbanisme sur dalle, freiné, dans les années 70 et 80, par un retour à l’urbanisme haussmannien. À partir de 1974, les tours sont abandonnées. On réhabilite l’îlot ouvert. Notre-Dame du Travail et sa charpente originale de fer, (datant de 1902!) fait bon voisinage avec la rue des Thermopyles fleurant la glycine. L’élan vert se poursuit. Paris respire s’aère de squares, on plante des arbres. En 2000, Bertrand Delanoë veut relancer les tours: sans succès. La Petite Ceinture devient une promenade champêtre avec coquelicots et boutons d’or.

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Madame Hidalgo, elle, voue Paris aux vélos, aux piétons et aux chantiers. La vague verte submerge tout. De là des rues rétrécies et des places encombrées, comme celle du Panthéon, jonchée de lattes de bois, de pierres brutes en guise de bancs, d’arbres prisonniers. En été on s’y vautre, on y apporte son manger, les canettes vides jonchent le sol. Impossible de dormir pour les riverains. La maire, en revanche, ne soutient pas l’inscription des toits de Paris au patrimoine mondial de l’UNESCO, supprime les kiosques à journaux à l’ancienne ainsi que les colonnes Morris et privilégie, à la saison, les arcs-en-ciel sur les passages piétons. Paris est aux mains des bobos qui font pousser de la ciboulette sur leurs terrasses.

Paris, ville morte

À Paris, plus qu’ailleurs, l’espace devient l’ennemi : un vide qu’il faut remplir. Les grilles du Luxembourg, encombrées de photos d’ours polaires et d’oiseaux aux plumes criardes ne laissent plus voir la beauté du jardin. Les stations Vélib brisent le ruban gris des rues. Des statues informes poussent partout, devant les monuments historiques, dans les squares, tandis que les Halles exhibent la nudité de sa Canopée et son Forum fleurant l’urine. Que sera la métropole du Grand Paris ?

Dans Le livre des passages, Walter Benjamin fait un bilan pessimiste du Paris haussmannien. « Orphelins de leur vocation humaine, » les passages ne sont plus que des lieux dédiés au commerce de luxe. Que dire à présent ? La très féminine Covid achève le cœur battant de Paris. Tout est désert. Les commerces font place aux agences immobilières. Paris passe aux mains d’émirs chinois tandis qu’un diktat sanitaire tient les Parisiens et les Parisiennes barricadés, chez eux, devant leurs écrans, bâillonnés, hystérisés par la peur de vivre et de mourir.

Haussmann avait redessiné Paris par hantise des barricades. Le virus nous fait la guerre ? Avec l’opération « Paris, ville morte » plus de danger. Profitant du confinement, les rats y prolifèrent joyeusement. Un énième Conseil de défense se tiendra mercredi. Le temps de préparer les Français à toute éventualité : port d’un masque à oxygène préventif, descentes dans les caves au déclenchement d’une sirène, provision de pâtes et de menthe fraîche. Un hashtag de résistance a été lancé sur Twitter : Je ne # meconfineraipas.

La guerre au français

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« Arrête de nous bassiner avec tes douleurs, tes heures de prière, tes interdits alimentaires ou sexuels. On s’en fiche, c’est de l’intime »

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Vue des quartiers nord de Marseille, janvier 2020. © Anne-Christine Poujoulat/AFP

Cours accéléré d’histoire de France à l’intention d’un jeune citoyen musulman qui s’interroge sur son identité. 


Mon cher Mohammed,

Tu es français et musulman.

Tu es né à la Castellane, une cité des quartiers nord de Marseille – comme Zidane. Tu as l’accent frotté d’ail et d’anis de Marcel Pagnol avec le phrasé d’un rappeur, tu adores Fonky Family et Jul – on dit : « Djoul », hein !

Tu es un supporter de l’OM, tu ne peux pas piffer les Parisiens – comme le Dr Raoult.

Tu as douze ans – et demi ?… tu fais beaucoup plus que ton âge. Tu es déjà ombrageux et fier, comme Mansour ibn Sarjoun alias Jean Damascène, un Père de l’Église – et Abou Nouwas, poète bachique et érotique, au Moyen Âge.

Des Arabes comme toi.

Sauf que ta mère née au bled est illettrée, ton père est au chômage, ton grand frère, dealer précoce, est en calèche aux Beaumettes. Ton cousin est mort en Syrie, aïe ! tu es sûr ?…

Et la France, tu la kiffes, la France ?

On ne va pas se mentir, pour toi, ce sera plus compliqué.

L’islam ? Parlons-en. Les odes ou les fatwas ? Les bibliothèques d’Al-Andalus ou les autodafés ? Les madrasas, le goût des sciences – la physique, l’astronomie, la médecine – ou l’obscurantisme ?

Est-ce si dur de choisir ?

Tu as lu le Coran ? Moi aussi.

Alors ?

La religion de l’amour, l’éloge de la beauté sous le sceau de l’Unique comme un miroir de Dieu, ou les sourates médinoises – abrogeantes, meurtrières, pétrifiées par le dogme ?

Puisque tu es français, je ne doute pas de ta réponse.

D’ailleurs l’islam dans ses ambivalences n’est ni un obstacle ni une solution, c’est une question – les Français adorent les questions.

Je ne sais pas qui tu es dans ton cœur, Mohammed, mais je sais ce que peut la France.

Un homme qui a observé ce pays au siècle dernier y a cueilli une vérité toute simple : « Depuis des siècles, la France oppose aux diversités qui l’assiègent et la pénètrent sa force d’assimilation. Elle transforme ce qu’elle reçoit. Les contrastes s’y atténuent ; les invasions s’y éteignent. » Il s’appelait Paul Vidal de La Blache, il est le père de l’école géographique française[tooltips content= »Tableau de la géographie de la France, Tallandier, 1979. Éloge du temps long et du melting-pot à la française. « Comment se raidir, poursuit Vidal, contre une force insensible qui nous rend de moins en moins étrangers les uns aux autres ? C’est un je ne sais quoi qui flotte au-dessus des différences. Il les compense et les combine en un tout ; et cependant ces variétés subsistent, elles sont vivantes. » Cette vision optimiste peut-elle encore être la nôtre ? Cette « force insensible », ce « je ne sais quoi qui flotte au-dessus des différences », qu’en est-il aujourd’hui ? C’est tout le débat. En 2007, selon une enquête de l’IFOP pour Le Figaro, 49 % des Français pensaient que l’immigration était « une chance pour la France » contre 37 % aujourd’hui. 78 % pensent que l’immigration doit être « choisie et non pas subie ». 58 % souhaitent l’instauration d’un « droit du sang », grrr ! (Alexandre Devecchio (dir.), La France face au défi de l’immigration, Le Figaro Enquêtes, 2020) »](1)[/tooltips].

À lire aussi, Valérie Boyer: Immigration clandestine: «Avec l’Algérie, je ne comprends pas pourquoi ça n’avance pas!»

N’en déplaise aux adeptes de la Grande Muraille – qui se dit en français la « Ligne Maginot » –, cette « force d’assimilation », ce charme d’alambic, qui nous a rendus plus forts hier et qui nous a un peu quittés aujourd’hui, c’est ça, la France, et c’est ça, les Français !

À leur corps défendant.

Comme si au fil des siècles la principale vertu de ces anciens paysans sédentaires et belliqueux, souvent vaincus, moins rebelles que subjugués par leurs envahisseurs, c’était ce mélange d’intolérance et de passivité devant l’étranger. Les enfants d’Astérix ont fini par se couper les cheveux et par ânonner en chœur rosa, rosae, rosam.

Après la conquête romaine, la France a été au ve siècle le cul-de-sac des invasions – on ne pouvait pas aller plus loin à cause de la mer ! Vandales, Sarmates, Alains, Gépides, Hérules, Saxons, Burgondes, Alamans… et tu me demandes d’où vient dans ce pays l’amour des belles étrangères !

Ce n’est pas de l’histoire, c’est de la géographie.

Qu’est-ce qu’un immigré ? Un Français en puissance – ce n’est qu’une question de temps. Oui, je sais, tout aujourd’hui semble contredire ce bel optimisme.

Et pour toi ce sera un combat.

Sache que ton ennemi, Mohammed, ce n’est pas la République, ce sont les fossoyeurs de la République – tous ceux qui s’autorisent à parler en son nom et qui ne t’aiment pas tout autant que les islamistes qui veulent l’abattre et qui ne t’aiment pas non plus.

Ne deviens pas leur proie.

Les uns se prétendent plus français que toi, les autres plus près d’Allah. Ne les écoute pas. Ce sont des escrocs de l’absolu – des menteurs. Rien n’est écrit de ton destin. C’est ton fils ou ton petit-fils peut-être qui enseigneront demain à leurs enfants à vivre et à penser sans crainte au sein de la République.

Qui es-tu, Mohammed ?

Un citoyen français parmi d’autres.

Seulement si tu le veux.

Alors s’il te plaît, arrête de nous bassiner avec tes douleurs, tes heures de prière, tes interdits alimentaires ou sexuels. On s’en fiche, c’est de l’intime, personne ne va inspecter ton âme ni surveiller tes nuits, ça ne nous regarde pas.

Sois souverain, prie et danse dans le secret de ton cœur.

Et rappelle-toi que le djihad, quand on est sérieux, c’est une aventure intérieure – un travail sur soi.

Pour commencer, parlons plutôt français, si tu veux bien.

L’arabe est une langue magnifique, mais en France la langue officielle depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts sous François Ier, c’est le français.

On ne va pas changer cela.

Souviens-toi de l’Algérien Kateb Yacine, ramasse les cailloux qu’on t’a jetés, oui c’est ça, la « langue du colonisateur », et fais-en des pierres précieuses, des chansons, des poèmes. Déchire ton costume de victime. Fends-toi d’une confession dédaigneuse en écrivant le dictionnaire de tes humiliations.

Si tu deviens célèbre, on se vantera de t’avoir accueilli à bras ouverts, on s’empressera de te réclamer comme Chopin, Picasso ou Marcel Cerdan qui sont devenus français parce que des Françaises les ont aimés.

Encore faut-il que tu le désires.

Cité de la Castellane (quartiers nord de Marseille), la veille du match de finale de la Coupe du monde de football entre la France et l'Italie, 8 juillet 2006. © Anne-Christine Poujoulat
Cité de la Castellane (quartiers nord de Marseille), la veille du match de finale de la Coupe du monde de football entre la France et l’Italie, 8 juillet 2006. © Anne-Christine Poujoulat

Car, tu le sais mieux qu’un autre, la vie n’est pas douce, et personne ne te fera de cadeau. Tu chercheras un ami, un boulot, un logement ? Bon courage, wesh ! Certains jours tu te sentiras bien oublié et bien seul.

Quoi d’autre ?

Ton ennemi, ce n’est pas l’Histoire de France. La nation n’est qu’une assemblée de citoyens, hommes et femmes égaux devant la loi, et qui se sentent solidaires à défaut de se comprendre, unis malgré toutes leurs différences par un passé douteux et un avenir qu’ils rêvent en commun.

Une illusion, dis-tu !

Non, un objectif. Un idéal, défaillant comme tout idéal, et qui mérite qu’on se lève pour le défendre. De l’imaginaire et du symbolique, oh ça oui ! Mes ancêtres ne sont pas plus gaulois que les tiens, et cela n’a aucune importance.

Ton ennemi, ce n’est pas non plus le prof de ton collège qui te juge digne d’être instruit et capable de liberté.

Si dans sa classe, on prétend tout examiner, si on met en doute ce que tu as appris dès ton plus jeune âge en s’attaquant même à des valeurs chéries de tes ancêtres, n’en sois pas offensé.

Ton grand-père est sage, respecte-le, mais il n’a pas toujours raison. Toi non plus. L’imam non plus. Le prof non plus.

La « neutralité », c’est non pas l’abstention, mais une confrontation pesée et sereine. L’école est aussi ce lieu où, au-delà du b.a.-ba, et de deux et deux font quatre, on vérifie comment et jusqu’où le sacré résiste au sacrilège.

Avec Voltaire, Sartre ou Darwin.

Sans les savants arabes qui l’ont traduit du grec, on saurait à peine qui est Aristote – un mécréant oui, mais génial. Et Ibn Rushd (Averroès), ça ne te dit rien ? Hchouma ! La honte sur toi !

Ainsi quand ton maître oppose la science ou la raison à tes chères croyances, il te tend une arme que tu pourras utiliser à ton tour pour te défendre, sans rien abjurer de ce que tu es, ni de ce que tu crois.

En quoi est-ce un affront ? Remercie-le plutôt.

Surtout si tu n’es pas d’accord.

Apprends à t’insurger ou à te taire, mais à bon escient.

Entre nous, tu ferais mieux d’étudier comme ta grande sœur, Leila, qui s’en sort mieux que toi !

En France, la culture est un lien plus solide que la religion, la race ou le commerce. Les Français, on les connaît, toujours décevants, absolutistes, chauvins, épris de système, enracinés dans leurs abstractions mais, Dieu merci, réfractaires à l’ethnique – dialectes, tribus, races, sectes, idoles, pitié !

C’est pourquoi la seule communauté qui nous est permise, c’est la nation. L’Europe ? Arrête de m’embrouiller, ce n’est pas le sujet.

Ce qu’il t’enseigne, ce prof, c’est le pouvoir de l’esprit, c’est-à-dire la faculté de t’élever au-dessus des usages aveugles qui t’interdisent de penser par toi-même, et de tous les dogmes, sans pour autant les renier ou les mépriser.

Ton credo, ton héritage – foi, rites, traditions – resteront intacts, si tu le souhaites.

Cela s’appelle la liberté, qui n’est qu’à soi.

Tu n’en seras que plus capable de déceler les faux dévots et les voyous qui se cachent à chaque coin de rue.

Que te dire encore ?

En France, ce n’est pas Dieu qui écrit l’histoire, la République et le divin font chambre à part.

On reste laconique sur le ciel afin d’éviter sur terre toute controverse. Le détenteur ultime de la souveraineté, c’est Dieu, si tu veux, mais son dépositaire, c’est l’État. Cette tutelle monarchique qu’il exerce sur le religieux peut te sembler féroce, elle n’est pas négociable.

En Amérique, on ressent la nécessité de moraliser la démocratie par la religion. Les Français, c’est le contraire. On suspecte les dévots – même sincères, surtout sincères – de vouloir dominer les esprits et asservir les corps autant que sauver les âmes.

Tu veux des exemples ?…

Dès lors, la laïcité, ce n’est pas ce qui t’écrase ou ce qui te nie, c’est ce qui te protège et qui te rend libre.

C’est un bouclier.

Le pacte de protection que nous impose l’État républicain n’est pas discriminatoire en principe. S’il y a des abus, on a le devoir de les dénoncer car tu as les mêmes droits que les autres. Cela s’appelle : l’égalité.

Il y a de pires servitudes, crois-moi.

Tu me répondras que c’est devenu une arme utilisée par la France contre les musulmans. Le président de la Turquie, M. Erdogan – est-il un dictateur ou un nouveau calife ? – proclame que la France est islamophobe, ne tombe pas dans le panneau – c’est lui qui l’est et il se moque de toi, comme il se moque des Ouïghours persécutés par le gouvernement de Pékin ou des Rohingyas chassés de Birmanie !

L’islamophobie, Mohammed, c’est la laïcité trahie par des imbéciles, elle ne doit pas devenir une nouvelle religion brandie par des censeurs frénétiques acharnés contre l’islam ; ce n’est qu’un principe de précaution. Mais c’est notre loi : si tu ne l’acceptes pas, si cela t’opprime ou te blesse, mieux vaut vivre ailleurs car dans ce pays, tu seras forcément incompris et malheureux.

La France a été dévastée au xvie siècle par les guerres de religion entre catholiques et protestants. On ne reviendra pas en arrière.

À lire aussi, Élisabeth Lévy: L’assimilation: une dernière chance pour la France

Des milliers de musulmans français, tu le sais, se sont fait trouer la peau en 1914-1918 et en 1939-1945 au service de la France. Alors, oui, je te le dis, Mohammed, on peut être à la fois patriote et fidèle au Coran – ou à l’Évangile. Ne crois pas ceux qui te disent le contraire. À toi de leur prouver que l’identité française est nombreuse et que par définition quand on dit nous, c’est un pluriel.

Ce ne sera pas simple.

Car en devenant français, tu seras d’abord sourd, orphelin d’un royaume, avant de te sentir hélé de loin comme d’une autre rive.

On ne reçoit pas tous les mêmes cartes à la naissance mais il te revient à toi et à personne d’autre de jouer la partie qui est la tienne.

Ne te contente pas de vivre ta vie, essaye de l’imaginer.

Et sois toujours fier du prénom que t’ont donné tes parents.

Avec tous mes voeux – Inch’Allah !

Beauvau de la sécurité: mais à quoi sert le commissaire?

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Remise de diplômes à l’École nationale supérieure de police à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, près de Lyon, en présence de Christophe Castaner, 26 juin 2020 © Nicolas Liponne / Hans Lucas / AFP.

La hiérarchie de la Police nationale est dominée par les commissaires. Ces hauts fonctionnaires très rarement issus du rang connaissent mal le terrain, mais cela ne les empêche pas de diriger les opérations de maintien de l’ordre. Une anomalie qui est pour beaucoup dans l’état actuel de la police en France.


Sans doute est-ce par manque de culture, mais les gauchistes ne mentionnent jamais que la Police nationale a été créée en 1941, sous Vichy, par l’étatisation et l’unification des polices municipales et urbaines des villes de plus de 10 000 habitants. Ils se privent ainsi d’une reductio ad pétainum bon marché. Il est vrai que, contrairement à nombre d’administrations et autres autorités, la police a fait l’objet d’une épuration à la Libération. Depuis, sa devise est « pro patria vigilant » : pour la patrie, ils veillent. Elle peut en être fière.

Les policiers se répartissent entre trois corps, qui sont, dans l’ordre hiérarchique ascendant les gardiens de la paix et gradés, les officiers de police et les commissaires de police.

Les gardiens de la paix et gradés sont la cheville ouvrière de l’ensemble des missions qui incombent aux services actifs de police. Ils ont en charge à la fois leurs missions originelles, exercées en tenue, et toutes celles de l’ancien corps des inspecteurs de police, aujourd’hui disparu. Ils sont l’équivalent de la troupe pour l’armée : du simple soldat à l’adjudant-major, ce sont ceux sans qui on ne pourrait mener la guerre. Ils servent au quotidien le public, au péril de leur intégrité physique, et parfois psychique.

Les officiers de police assurent « les fonctions de commandement opérationnel des services. Ils secondent voire suppléent les commissaires de police. Ils ont également vocation à exercer des fonctions de direction de certains services. » Commençant lieutenant et finissant commandant, ils sont éternellement subalternes, bien qu’ils aient été intégrés en tant qu’officiers.

Les commissaires de police, enfin, sont de hauts fonctionnaires qui « assurent la direction hiérarchique, fonctionnelle, organique et opérationnelle des services donnant les directives et instructions leur permettant d’assurer ou de faire exécuter les missions ». Ils sont répartis sur trois grades – commissaire, commissaire divisionnaire et commissaire général – et certains peuvent espérer accéder à des fonctions de contrôleurs et d’inspecteurs généraux.

Si on compare la police à l’armée, c’est un peu comme si les commissaires exerçaient des fonctions de lieutenant-colonel, sans avoir jamais commandé de troupes au feu.

Cette organisation constitue une véritable anomalie. Partout ailleurs, on rencontre schématiquement deux types d’organisation : soit un recrutement au premier grade, assorti d’un système d’évaluation et de promotion interne, soit un recrutement à deux niveaux, correspondants aux sous-officiers et officiers. Dans tous les cas, personne ne peut prétendre exercer des fonctions sommitales sans avoir connu l’épreuve du feu, et sans avoir dû exécuter des ordres venus d’en haut.

En effet, pour que ces ordres soient en phase avec la réalité et demeurent applicables, ou en tout cas opportuns, encore faut-il appréhender leurs conséquences sur le terrain. Il faut qu’une stratégie définie en état-major ait une déclinaison tactique réalisable. Pour donner de bons ordres, il faut en avoir reçu, y compris des stupides, et y avoir obéi.

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Actuellement un (bon) officier de police est l’équivalent d’un chef de section ou de compagnie dans l’armée de terre : il va au feu avec les hommes, et morfle comme eux. Si, plus tard, il est amené à ne plus commander qu’un bureau, au moins aura-t-il en mémoire ces moments de tension où il a dû prendre des décisions tactiques en un instant, secondé par un gradé expérimenté qu’il aura appris à respecter. Toute spécificité individuelle mise de côté (il y a des imbéciles partout), chaque « soldat » aura appris à reconnaître et respecter cet officier, et l’officier aura pris la mesure de l’engagement et du courage de ses hommes. Selon une formule qui m’est restée en mémoire : « Si tu veux que tes hommes t’aiment un peu, il faut les aimer beaucoup. »

Si cet officier est un homme de valeur, c’est une notion qui l’accompagnera tout le reste de sa carrière. Si l’on veut un exemple grand public de ceci, je ne peux que conseiller l’immense série américaine Band of Brothers. On y suit les tribulations du lieutenant Winters de la 101e Airborne jusqu’au grade de major où, éloigné de la première ligne par son nouveau grade, il doit se borner à définir la stratégie d’attaque.

Eh bien, un commissaire, c’est un type qui se retrouverait dans la peau d’un lieutenant-colonel (soit un grade au-dessus d’un major américain) sans jamais avoir vu l’ennemi et, surtout, sans avoir jamais pris et donné de coups. Il n’a fait de la manœuvre que pour rire, à l’école, et a passé ses stages de « terrain » dans un splendide isolement. Il n’a jamais dû exécuter d’ordres stupides. Dès ses débuts, il a été celui qui les donnait ou les répercutait sans état d’âme, puisque incapable d’en évaluer les conséquences sur la troupe.

Sans aller chercher d’exemple à l’étranger, on peut comparer tout cela avec ce qui se passe dans la Gendarmerie nationale, structurée autour des deux corps traditionnels. Si elle souffre d’autres problèmes, elle n’a pas en tout cas celui de la cohérence de la pyramide des grades, chaque corps ayant des missions spécifiques qui ne recoupent pas celles de l’autre. En revanche, au sein de la Police nationale, il existe une foule d’occasions de double emploi et de conflits de compétences, particulièrement entre officiers et commissaires.

C’est un peu comme si Napoléon avait eu l’idée de donner brusquement à Murat le commandement de l’artillerie

Les commissaires sont censés s’occuper de la direction opérationnelle et les officiers assurer le commandement opérationnel des missions, ce qui correspond respectivement à la stratégie et à la tactique. En pratique, il y a toujours un commissaire pour donner une instruction tactique à un officier supposément autonome, en particulier si le commissaire décide de se montrer sur le terrain et prétend prendre les choses en main. Ce qui est généralement le cas des plus incompétents qui, n’ayant pas assez confiance en eux, peinent à faire confiance à leurs subordonnés. Ce qui veut dire que les pires instructions sont alors données par les moins bien placés pour le faire…

En revanche, un commissaire n’a aucun problème pour se faire remplacer dans ses fonctions par un officier, par exemple les week-ends ou la nuit, ou dans des réunions ennuyeuses. Et là, nul ne voit plus la moindre différence de capacités et de compétences entre les deux corps, y compris lorsqu’il s’agit de prendre attache avec le préfet local, mission que le commissaire se réserve pourtant soigneusement d’ordinaire.

Cette confusion est encore aggravée par le fait qu’en l’état actuel du recrutement, les personnes désireuses d’intégrer la police autrement qu’en tant que gardien de la paix se présentent simultanément aux concours d’officier et de commissaire, le niveau de recrutement étant fort proche. Pour ceux qui échouent à devenir commissaire, cela ne peut que générer davantage d’amertume et de frictions, surtout si l’on considère la part de hasard inhérente à chaque concours.

Autant dire que la plupart des gardiens et gradés préfèrent travailler sous les ordres d’un officier que sous ceux qu’un commissaire, qu’ils voient, sauf exception individuelle, comme quelqu’un n’ayant pas de considération pour la troupe, peu de compétences pour la mener, et surtout comme le gardien des intérêts de l’administration plus que de ceux de leurs subordonnées. De fait, on ne voit jamais les hiérarques policiers mettre leur carrière en jeu pour défendre leur maison et leurs hommes, comme le font certains officiers généraux de gendarmerie.

Cette dissonance fonctionnelle n’aurait pas dû se produire. En 1995, la transformation du corps des inspecteurs en corps des officiers de police et l’ouverture concomitante des fonctions de policiers en civil aux gardiens et gradés visaient à rapprocher progressivement officiers et commissaires jusqu’à fusionner les deux corps en un seul, assurant de bout en bout l’encadrement de la police. Il faut dire que fils de brigadier de police, Charles Pasqua n’aimait guère les commissaires, qu’il ne tenait pas pour de vrais flics.

Or, le lobbying des commissaires, omniprésents dans le système, est parvenu à torpiller cette réforme pourtant cohérente.

Dans ces conditions, faut-il préciser que, depuis 1995, leur méconnaissance du terrain, leur statut de mandarin héritant tous les trois ans du poste gardé au chaud par leur prédécesseur et assorti d’avantages « coutumiers » (telles les voitures de service qu’ils s’attribuent comme voitures de fonction au mépris des règles écrites) font des commissaires une caste qui s’est progressivement coupée des réalités. Certes, ils ne sont pas de purs administratifs, mais ils ne sont plus des flics, au point que certains, notamment dans les grandes villes, ne prennent même plus la peine de porter une arme quand ils se trouvent en uniforme sur la voie publique, partant sans doute du principe que la troupe les protégera.

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Cette déconnexion du réel a bien évidemment des effets pernicieux sur la voie publique, à commencer par la mise en danger des effectifs. Il y a quelques années, dans une grande ville du sud de la France, ordre avait par exemple été donné de ne plus effectuer que des patrouilles à deux pour multiplier les équipages. Or, il est impossible d’intervenir en binôme dans un quartier sensible : soit la voiture brûle, soit on laisse un policier intervenir tout seul pendant que l’autre garde la voiture. On ne voit pas comment des hommes qui n’ont jamais connu d’intervention en infériorité numérique pourraient évaluer le danger ou remettre en cause les doctrines d’intervention qu’ils appliquent depuis l’école de police.

À ce sujet, on donnera l’exemple des errements constatés lors des premières manifestations des Gilets jaunes, au cours desquelles on a stupidement appliqué des doctrines antédiluviennes, consistant à masser les unités à l’écart « pour ne pas provoquer les manifestants », comme après-guerre lors des grandes manifs ouvrières. Autant dire que sans aucun flic en vue, subversifs et pillards n’allaient pas se gêner pour tout casser, jusqu’à l’Arc de Triomphe.

Je finirai en soulignant ce qui me semble être le plus absurde. La police n’est qu’une appellation générique qui recouvre nombre de métiers, allant du maintien de l’ordre au renseignement, en passant par la police aux frontières, sécurité publique, la circulation routière, la police technique et scientifique, ou les nombreuses spécialités de police judiciaire, et j’en passe. Autant de spécificités, de technicités, de métiers qui n’ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres.

On peut certes concevoir l’existence d’un commandement unifié au plus haut niveau, qui dirige les services et non les missions. Cependant, la plus grande partie des cadres de la police ont besoin de connaissances techniques pour travailler correctement. Or, les commissaires sont susceptibles d’occuper indifféremment n’importe quel fauteuil, dans n’importe lequel de ces services. Ce qui signifie qu’ils peuvent donner des instructions opérationnelles sans rien connaître à la réalité du boulot. Ainsi, en vertu des tours de permanence, un commissaire du renseignement territorial, dont le boulot est essentiellement de corriger et de valider des notes rédigées par d’autres, peut se retrouver le week-end à devoir gérer le service d’ordre d’une manifestation.

C’est un peu comme si Napoléon avait eu l’idée de donner brusquement à Murat le commandement de l’artillerie, ou si un cadre commercial devenait, le temps d’un week-end, responsable du fonctionnement d’une centrale nucléaire : il n’y a aucune raison que cela se passe mal.

Arrêt des sociétés: quand le rêve de Greta devient réalité

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Un étudiant assiste à un cours en distanciel. Le covid 19 a provoqué la fermeture des écoles supérieures, obligeant les jeunes à étudier seuls de chez eux. Paris le 14/01/2021 © Gabrielle CEZARD/SIPA Numéro de reportage : 00999981_000027.

Ce n’est pas sur les apôtres de la religion verte qu’il faut compter pour remettre en question la politique sanitaire. Confinement et rêve écologiste vont ensemble, du Québec à la France où Macron doit faire une nouvelle annonce mercredi… 


Il est indéniable que la présente crise sanitaire profite à de puissants intérêts. Et ce n’est pas être « complotiste » que de le dire. Intérêts financiers si l’on songe aux altruistes compagnies pharmaceutiques qui commercialisent un vaccin contre le virus, mais aussi, si l’on songe aux GAFAM qui, plus que jamais, profitent de leur propre création qu’est la dématérialisation du monde. Par temps libre, les gens n’ayant plus rien d’autre à faire que de garder les yeux rivés sur leurs écrans, ce sont les grands acteurs de l’industrie numérique – presque tous américains d’ailleurs – qui remportent la mise. 

L’essentiel est d’avoir peur 

Machination, légitime volonté de protéger la population, immense psychose collective, mélange de ces trois éléments : quelle que soit son impulsion, l’arrêt des sociétés conforte aussi des intérêts idéologiques. Il y aura des gagnants et des perdants de cette crise. 

Sainte Greta, prophétesse «éco-anxieuse» du sanitarisme vert?

Comment ne pas voir dans tous ces avions cloués au sol une victoire inattendue des écologistes radicaux, qui réclamaient depuis longtemps la fin de toutes ces déjections de kérosène ? Comment ne pas voir dans l’interruption du tourisme de masse le triomphe inespéré de cet « écologisme culturel », pour lequel, peut-être avec raison, il fallait protéger Paris et Venise comme des espèces en voie d’extinction ? Enfin, comment ne pas voir dans ce tri entre les produits « essentiels » et ceux qui ne le seraient pas un prélude à la réorganisation du monde selon des critères de « durabilité » ?

Au Québec, des bobos qui se réjouissent du couvre-feu 

Début janvier dernier au Québec, l’instauration du couvre-feu par le gouvernement Legault a trahi le préjugé favorable de certains adeptes du « progrès » pour une société sans trop de vie humaine, mais verdoyante. La mort de l’Homme ne serait-elle pas la garantie ultime de la renaissance de la nature ? Réagissant à l’instauration de cette mesure inédite dans l’histoire québécoise, des starlettes se seront même enthousiasmées des beautés naturelles qu’elle pouvait produire. « Que c’est agréable une ville sans bruit, sans humanité aucune, sans atterrissages ou presque, d’où l’on peut contempler le ciel étoilé ! », a-t-on pu entendre entre les branches des réseaux sociaux. Encore un peu moins de civilisation, et les Montréalais pourront pêcher des poissons à main nue dans les canalisations de leur ville. 

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À Montréal en particulier, le couvre-feu est en quelque sorte venu parachever le grand projet écologiste du maire Valérie Plante, une personnalité qui apparaît comme une version féminine et municipale du Premier ministre fédéral, Justin Trudeau. La « mairesse » Plante n’avait-elle pas déjà rendu quasi impraticable la conduite automobile à des fins environnementales ? Les écologistes rêvaient déjà d’une sorte de métropole-chalet, une ville aux allures post-apocalyptiques où des plantes grimpantes auraient remplacé les panneaux publicitaires, emblèmes d’un capitalisme sauvage, mais pas aussi sauvage que le paysage à venir. Une cité où des jardins suspendus engraissés au compost seraient entretenus par d’exotiques ouvriers trans. Leur rêve est-il devenu réalité ?

Greta Thunberg le 23 septembre 2019, occupe l'imaginaire de nombre de fanatiques du "progressisme" et de l'écologi © Jason DeCrow/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22380946_000001
Greta Thunberg le 23 septembre 2019 © Jason DeCrow/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22380946_000001

« Je veux que vous paniquiez », disait Greta

Dans une autre perspective, cette nouvelle mainmise sur les populations par les États semble aussi répondre au climat de panique qu’ont longtemps alimenté les écologistes les plus pressés. À notre sentiment de perte de contrôle semble répondre une volonté de contrôle tout aussi excessive. Comme si toute l’anxiété emmagasinée par nos sociétés décomposées se déployait maintenant à travers le nouvel ordre sanitaire. Comme si le catastrophisme ambiant avait fini par déboucher sur un régime qui en serait l’antithèse. Un régime sous forme de safe space politique, psychologique, sanitaire et même écologique. Un nouveau clivage est apparu et il s’articule autour de la peur. 

A lire aussi: Quand le monde devient un «safe space»

« Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous ressentiez la peur que je ressens tous les jours. Et ensuite, j’attends de vous que vous agissiez ; je veux que vous agissiez comme si nous étions en crise, comme si la maison était en feu. Parce que c’est le cas », déclarait Greta Thunberg en janvier 2019, à l’occasion du Forum économique mondial, à Davos.  

Sainte Greta, prophétesse « éco-anxieuse » du sanitarisme vert ? Dans tous les cas, à l’échelle de la planète, je ne compterais pas trop sur les apôtres de la religion verte pour remettre en question le prolongement des confinements.

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Le monde n’est pas fait pour nous

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Jon Ferguson Photo: D.R.

Le billet du vaurien


Proust a toujours le mot juste. Voici ce qu’il écrit il y a exactement un siècle et qui est d’une actualité brûlante: « Quel malheur que les médecins soient “consciencieux” et qu’on ne puisse pas leur dire “tuez-moi” au lieu de “soignez-moi” puisqu’ils ne peuvent pas vous guérir ! »

Et d’ailleurs à force de se croire malade, on le devient. Et parfois on sombre dans un délire collectif. On en vient même à se demander en cette période d’affolement covidien: « À qui profite le crime ? »

Journal du Corona

À ce propos, on se délectera avec Le Journal du Corona du basketteur américain Jon Ferguson. Il rappelle à ceux qui l’auraient oublié que contrairement à Disneyland que Walt Disney a créé, le monde n’est pas fait pour nous. À l’origine les gens avaient conscience que la vie était une terrifiante lutte pour la survie. Ils savaient que le monde était un abattoir.

Jon Ferguson Photo D.R.
Jon Ferguson Photo D.R.

Aujourd’hui, ils croient que le monde est à l’image de Disneyland. Et, pire encore, qu’il faut se battre pour sauver la planète. Une planète qui ressemble à un Disneyland mérite-t-elle de l’être, sauvée ?

L’humanité en perdition

Laissons plutôt l’humanité aller à sa perte. Et d’ailleurs, que nous nous en réjouissions ou non, elle s’y précipite.

A-t-elle jamais été autre chose que le postillon d’un poivrot divin ? Kafka le pensait.

Je n’en ai jamais douté.

Journal du Corona, Jon Ferguson, Editions L’Aire, 25.00 CHF

De Rodenbach à Jean Ray, ce que nous devons à la littérature belge

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L'écrivain Georges Rodenbach (1855-1898) © SIPA / Numéro de reportage : 51001021_000001

 


Une nouvelle maison d’édition belge propose de redécouvrir des classiques d’hier et d’aujourd’hui


Après Le Petit Arménien (Pierre-Guillaume de Roux) sur une enfance de fils d’émigré dans « la Belgique de papa » », après un succulent Dictionnaire de gastronomie & de cuisine belges (Rouergue), Jean-Baptiste Baronian revient par la grâce d’une jeune maison d’édition installée à Bruxelles et qui porte un nom quelque peu singulier, Névrosée. La fondatrice, Sara Dombret, entend rééditer d’une part des femmes écrivains parfois oubliées, comme Madeleine Bourdouxhe, de l’autre des auteurs qu’elle appelle « sous-exposés ». 

Il est vrai que, dans la Patrie des Arts et de la Pensée, les écrivains, même vivants, ne jouissent pas d’une visibilité excessive (euphémisme). N’est-ce pas Charles De Coster, immortel auteur de La Légende d’Ulenspiegel (1867) qui disait que, dans ce pays, « il faut baiser le sabot de l’âne » ? 

Sara Dombret veut défendre un héritage littéraire ; elle fait sienne, non sans crânerie, la sentence d’un de nos excellents écrivains, l’auteur du sublime Voyage d’hiver (L’Age d’Homme), Charles Bertin : « Il n’y a nulle contradiction entre l’enracinement et l’ouverture au monde ».

Bref, les éditions Névrosée s’attellent à sortir de l’oubli des œuvres d’écrivains belges, femelles ou mâles, préfacées non par de pâteux « sociologues de la littérature », mais par des écrivains, d’authentiques lettrés, qui savent et lire et saluer leurs confrères. Ce que fait avec brio le confrère Luc Dellisse, qui présente Lord John, sans doute le meilleur roman de Jean-Baptiste Baronian, publié pour la première fois dans les années quatre-vingts. Il a, Luc Dellisse, mille fois raison quand il parle du « charme vibrant » de ce roman d’apprentissage, dont le héros, Alexandre, fils d’un bouquiniste du vieux Bruxelles (dont le modèle pourrait bien être le célèbre Henri Mercier, de la librairie La Proue, sise rue des Eperonniers), dix-huit ans, va, en l’espace de quelques jours, connaître le chagrin, le désir et une forme de libération par le truchement de la lecture.

En effet, Alexandre découvre en vidant un grenier la collection complète des Aventures d’Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain, 178 fascicules kitsch de littérature populaire, sans nom d’auteur et aux titres abracadabrants : Le Vampyre aux yeux rouges, Le Grand Chalababa, Le Dancing de l’épouvante, sans oublier, le plus rare, Marabout fantastique

Au fil de ses recherches, entre la salle des soins intensifs où agonise son père (coma éthylique) et les impasses du vieux Gand, où se tapit un oncle légendaire aux divers pseudonymes (il aurait été pirate dans les mers chaudes, escroc à Amsterdam, écrivain à Paris), Alexandre entre dans l’âge adulte, non sans douleur. Dans un style proche de l’oralité et avec un sens aigu du grotesque, voire du sordide urbain, Baronian y évoque le Bruxelles des années 60, l’adolescence haïe et regrettée, les librairies et leurs clients parfois pittoresques, et, last but not least, l’étrange figure du maître de notre littérature fantastique – John Flanders alias Jean Ray.

Jean-Baptiste Baronian, Lord John, Névrosée, 214 pages, 16€

Rodenbach, carillonneur fin-de-siècle

Parmi les « sous-exposés », Névrosée réédite un authentique chef-d’œuvre des lettres de langue française, Le Carillonneur, de Georges Rodenbach (1855-1898). L’auteur du célébrissime Bruges-la-Morte (1892), ami de Mirbeau et des Goncourt, y évoque le tragique destin d’un architecte brugeois, Joris B., qui, par amour pour sa ville, en devient le carillonneur attitré. Nous le suivons dans ses amours complexes, entre deux sœurs bien différentes, la sensuelle et la méditative et l’observons en train de céder à la luxure. 

Le préfacier, Frédéric Saenen, trace parfaitement le portrait de l’auteur et de son temps ainsi que la place du roman dans les Lettres françaises en tant qu’expression francophone, et dans quelle langue subtile et raffinée, d’un imaginaire et d’un héritage flamands. Il y décèle les influences de Bloy et d’Huysmans. Toute l’ambivalence « belgique » (ici pris comme adjectif, à l’ancienne), une histoire pluriséculaire (par exemple la vieille rivalité entre Flandre et Brabant, entre Bruges et Anvers ; ou encore la naissance du mouvement autonomiste flamand), une richesse peu commune font de ce Carillonneur un grand livre méconnu.

Georges Rodenbach, Le Carillonneur, Névrosée, 324 pages, 16€

Une improbable station balnéaire

Névrosée réédite aussi Le Cloître de sable, de Jacques Cels (1956-2018), mort trop tôt, sans doute de n’avoir pas été reconnu à sa juste mesure. 

Roman étrange rédigé dans une langue soignée, ce Cloître se situe dans une improbable station balnéaire, espace indéterminé où, au contraire de chez Baronian & Rodenbach, est niée avec méthode jusqu’à la plus infime once de caractère local. 

Singulière construction, quasi théâtrale, tour à tour séduisante et un tantinet agaçante, livre tiré au cordeau avec le zèle du professeur de lettres, Le Cloître de sable m’intéresse pour ses évidentes qualités, sans me séduire. Il faut toutefois saluer l’artiste disparu, qui écrivit « avec son sang » et dont la voix ne fut pas écoutée. La belle préface d’André Possot est un modèle d’intelligence et de fidélité. 

Jacques Cels, Le Cloître de sable, Névrosée, 326 pages, 16€