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Quand le monde devient un «safe space»

Nous rentrons en hibernation sociale


Quand le monde devient un «safe space»
Jean Castex et Jean-Michel Blanquer dans une école à Chateauroux, le 1er septembre 2020 © Guillaume souvant/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22488571_000015

Mesures sanitaires : le refus de la mort est refus de la vie 


Les mesures sanitaires telles que le port du masque ne sont déjà plus temporaires. Scénario très improbable, même si elles étaient rapidement levées, leurs effets sur la socialité ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Au contraire, nos habitudes resteront marquées par ce nouvel impératif de la « distanciation sociale », expression si décomplexée que ceux qui l’utilisent ne semblent même pas soucieux de dissimuler l’inhumanité qui s’en dégage. 

C’est le triomphe du puritanisme et de la fragilité: il faudrait tenir compte de toutes les préoccupations, susceptibilités et phobies imaginables…

Les sociétés sont atomisées à l’extrême : nous ne sommes même plus des îles éparses formant le fragile archipel d’une communauté, mais des grumeaux de banquise perdus dans un océan de peur. Le masque nous déshumanise. Il fait de nous des êtres sans émotions, expressions ni désirs, un troupeau de bêtes muselées. Nous errons comme des fantômes dans un monde javellisé. Nous sommes tout le monde et personne. Je ne pratiquerai pas la désobéissance civile. Je suis bon joueur, je comprends la préoccupation des plus prudents et reconnais le danger que représente encore pour certains le virus. Maintenant, nous allons plonger dans la plus rude hibernation sociale de toute l’histoire.

De la bien-pensance politique à la bien-pensance hygiénique 

Refus de la mort, du tragique, de ce qui fait de la vie une aventure et non une succession de faits prévisibles et assurables, la réaction des gouvernements occidentaux est l’incarnation d’une civilisation en phase terminale. C’est au nom de la santé publique que nous affichons la mort qui nous habite. C’est au nom de la préservation de la vie que nous exhibons la dépouille de ce qui fut autrefois une civilisation d’avant-garde. Nous ne prenons même plus le temps de saluer nos disparus en inventant quelque chose d’aussi honteux et absurde que les funérailles virtuelles

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Au Québec, le gouvernement Legault aura même poussé le paradoxe au point de restreindre durant un temps la pratique du sport par les élèves, toujours au nom de la santé publique. Et moi qui croyais que l’activité physique pouvait allonger l’espérance de vie. 

Ces dernières semaines, une bien-pensance en faveur des mesures sanitaires a émergé pour nous rappeler quotidiennement qu’elles servaient le bien commun et rien d’autre. Dans cette perspective, les défenseurs du masque seraient de grands humanistes et les sceptiques, des égoïstes et des populistes. Ce n’est pas un hasard si cette posture rappelle le politiquement correct à l’œuvre aujourd’hui et son double, la censure. Les phénomènes s’inscrivent dans la même volonté de contrôle et d’encadrement. 

Triomphe de nos susceptibilités

Le monde est en train de devenir un safe space sous tous ses aspects, ces fameux « espaces sécuritaires » promus par l’extrême gauche américaine, un courant préoccupé par tout ce qui est « nuisible » à l’épanouissement personnel. La nouvelle utopie est politique, psychologique et hygiénique. C’est le triomphe du puritanisme et de la fragilité : il faudrait tenir compte de toutes les préoccupations, susceptibilités et phobies imaginables, de tout ce qui pourrait potentiellement nuire à la santé physique et mentale. Tout est devenu « toxique » : des climats de travail aux points de vue « controversés » en passant par les vieilles émissions de télé ne cadrant plus avec les lubies actuelles.

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On traque partout les dernières traces de sexisme, de racisme, d’harcèlement et maintenant de Covid-19 : nous devenons intolérants à la moindre adversité au nom de la tolérance. Le masque est un rempart entre les individus et un environnement vu comme hostile à leur moi. Il n’y a plus de contrat social, mais un attroupement de propriétaires de leur solitude. 

Les véritables « covidiots »

Une formule attribuée à Emmanuel Kant veut qu’on mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter. Si le philosophe allemand dit vrai, jamais nos sociétés n’auront été composées de gens aussi idiots. Nous n’acceptons plus d’être confrontés minimalement au risque et à la fortune. L’honneur n’existe plus. 

Nos sociétés n’ont jamais été aussi sécuritaires, sécurisées, et jamais elles n’ont été composées de gens aussi anxieux. Le paradoxe en dit long. Devant l’avènement d’un monde où même l’expression d’émotions semble vue comme une menace à l’intégrité de nos petits êtres sensibles, il devient impératif d’en appeler à un autre idéal. Vivement une philosophie de la vitalité capable de rivaliser, peut-être, avec cet univers frigorifié.

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Auteur et journaliste. Rédacteur en chef de Libre Média. Derniers livres parus: Un Québécois à Mexico (L'Harmattan, 2021) et La Face cachée du multiculturalisme (Éd. du Cerf, 2018).

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