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Gastronomie: la botte secrète de l’Italie


Contrairement à la France, l’Italie a su faire du régionalisme culinaire un barrage efficace contre la désertification de ses campagnes. Une cuisine fièrement conservatrice dont les trésors se dégustent aussi à Paris.


Les spaghettis ont plus fait pour la gloire de l’Italie que La Divine Comédie et les opéras de Verdi. Si la cuisine italienne est aussi universelle, c’est qu’elle est populaire, simple, délicieuse, enracinée, quotidienne, identifiable et accessible à tous. Autrefois, les peintres d’Europe faisaient le « voyage en Italie » pour s’imprégner de sa lumière et de ses paysages, autant que pour étudier les chefs-d’œuvre de la Renaissance. Aujourd’hui, ce sont les gastronomes qui font ce voyage, fascinés par ce conservatoire vivant des cuisines populaires et régionales qu’a su rester l’Italie, alors que les campagnes françaises sont devenues un désert culinaire où les grandes surfaces et les McDo font la loi, et que les centres-villes sont en train de mourir. Dans ses Écrits corsaires, publiés en 1975, Pier Paolo Pasolini s’insurgeait déjà contre « le cataclysme anthropologique » provoqué par la société de consommation et visant à supprimer les dialectes et les particularismes culturels au nom de l’idéologie du bien-être. Il ne supportait pas d’assister à la disparition des paysans et des ouvriers qu’il avait connus et de les voir abandonner leurs beaux vêtements pour revêtir le jeans et le T-shirt mondialisés…

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Pourtant, l’Italie a bien mieux résisté que la France à ce génocide culturel. À chaque fois que je m’y rends, je suis impressionné. Sur les simples aires d’autoroutes, il n’est pas rare qu’on vous propose du bon jus d’oranges fraîchement pressées et toutes sortes de charcuteries artisanales servies avec du pain frais, un flacon d’huile d’olive aux reflets verts et une bière locale du Haut-Adige (loin du sandwich sous cellophane sorti du frigo décrit par Houellebecq dans La Carte et le Territoire). Quelle que soit la région que vous traversez, chaque village possède au moins une trattoria (petit restaurant familial où la cuisine est faite maison) ou une osteria (l’équivalent de nos bars à vin), où on peut se régaler pour une poignée d’euros. Ce qui demeure la norme en Italie est devenu exceptionnel chez nous : je pense par exemple à ce paysan aperçu un jour de printemps, à Amalfi, en train de gravir péniblement la rue avec son mulet chargé de légumes, de fruits et d’herbes pour aller fournir l’un des meilleurs restaurants de la côte où vont dîner les milliardaires américains descendus de leur yacht. Je pense aussi à ces petits villages de montagne, près de Parme, ou près de Matera dans la Basilicate, où les femmes fabriquent à la main leurs propres raviolis ou gnocchis. Ici, le surgelé n’a pas droit de cité ! À table, quand le plat arrive, les Italiens se taisent et l’observent respectueusement. Le café est bon, les capsules insipides n’ayant pas encore envahi leur territoire.

Chauvinisme régional

Mais le plus fascinant est le chauvinisme régional qui, pour déplaisant qu’il soit au premier abord, a quand même permis à l’Italie de rester elle-même et de sauvegarder la diversité de ses cuisines locales. Aussitôt que vous quittez la Lombardie pour le Piémont, la Toscane ou les Abruzzes, sans même parler des Pouilles ou de la Sicile, vous changez d’univers. Héritières des cités-États du Moyen Âge et de la Renaissance, ces régions, génétiquement hostiles à tout jacobinisme centralisateur, affirment leur identité culinaire. En Italie, du reste, les grandes surfaces et les McDo sont rares, et les centres-villes toujours animés. Dans leur immense majorité, les grands chefs italiens n’ont pas versé dans la cuisine conceptuelle (au contraire des Espagnols), mais sont restés fidèles à leurs produits locaux et à leurs traditions, tel Pino Cuttaia, en Sicile (ristorante La Madia, à Licata, deux étoiles Michelin), dont la pizza mozzarella est un miracle de légèreté !

Certains sont capables de vous faire pleurer en vous préparant de simples pâtes à la sauce tomate du Vésuve, comme Rocco Iannone près d’Amalfi (ristorante Tenuta Nannina), surnommé « le Communiste » par ses pairs car, malgré ses deux étoiles Michelin, il sert des plats pour une bouchée de pain et n’a cure des honneurs…

Les plus riches mangent la bonne cuisine paysanne

Si on s’amusait à faire une sociologie comparative des cuisines italienne et française, on serait très surpris, car, en Italie, les classes sociales les plus élevées et les plus riches n’ont aucun scrupule à manger de la bonne cuisine paysanne. Ainsi dans Violence et Passion, de Luchino Visconti (1974), voit-on le grand bourgeois romain, joué par Burt Lancaster, couper lui-même du saucisson et de la mortadelle à ses invités (Silvana Mangano et Helmut Berger) et leur servir du chianti (le vin de Toscane le plus populaire d’Italie) dans des verres à moutarde… Dans Il divo (2008), Paolo Sorrentino met en scène un dîner au cours duquel Giulio Andreotti et certains de ses ministres se retrouvent autour d’une gigantesque mozzarella di bufala bien crémeuse qu’Andreotti a fait venir de chez un paysan de Campanie. Il n’y a donc pas en Italie la notion de « cuisine canaille », inventée chez nous pour permettre aux « élites » de se taper une tête de veau en toute bonne conscience dans un bistrot « populo » avant de revenir fissa dans leurs beaux quartiers…

Pour toutes ces raisons, la cuisine italienne a le vent en poupe depuis quelques années. Traiteurs, épiceries et chaînes de restaurant (avec serveurs hurlant en salle) pullulent désormais. On consommerait aujourd’hui en France 26 pizzas par seconde (plus qu’en Italie, mais moins qu’aux États-Unis). Comme l’écrit Alberto Toscano, correspondant à Paris depuis trente ans du Corriere della Sera, Français et Italiens sont culturellement très proches : « Les Français sont juste des Italiens de mauvaise humeur… » Un moteur franco-italien aurait selon lui fait merveille pour conduire l’Europe. Mais Toscano relève trois obstacles majeurs à cette belle synergie : d’abord, outre leur condescendance insupportable vis-à-vis de leurs cousins latins (rappelons que l’Italie, elle, au moins, a su conserver son tissu industriel de PME), les Français ne savent pas cuire les pâtes al dente ; ensuite, les hommes portent des chaussettes blanches et courtes, summum absolu du mauvais goût (les Italiens les portent noires et hautes jusqu’au genou) ; enfin, faute suprême, il n’y a pas de bidet dans les salles de bain françaises ! (Le bidet : objet vital en Italie, symbole de l’hygiène et de la civilisation…)

Pas besoin d’être italien pour faire une bonne cuisine italienne !

S’agissant des pâtes, Toscano dit vrai pour ce qui est de la pratique quotidienne, mais cède tout de même un peu à ce chauvinisme gastronomique évoqué plus haut, car la vérité vraie est qu’il n’est pas nécessaire d’être Italien pour faire une bonne cuisine italienne ! De même qu’il n’est pas nécessaire d’être français pour faire une bonne cuisine française – la preuve : ces innombrables chefs japonais devenus des pros du lièvre à la royale et du pâté en croûte.

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Le restaurant Sormani à Paris est un cas d’école. Fondé en 1985 dans le quartier des Champs-Élysées par Jean-Pascal Fayet, petit-fils d’ébénistes vénitiens, il fut le premier restaurant italien étoilé Michelin. C’est Fayet qui fit découvrir aux Parisiens le carpaccio de bœuf et le tiramisu au café… Aujourd’hui, Sormani est la cantine des patrons du CAC 40 : Bolloré et François Pinault y viennent déjeuner chaque semaine, pendant que Bernard Arnault y commande des plats à emporter pour ne pas les croiser… Le sommelier Franck Potier, dont la mère est calabraise, a repris l’enseigne en créant une belle carte des vins 100 % italiens. Si on peut ne pas raffoler du décor, douillet comme dans un film de Claude Chabrol, la cuisine du marché, en revanche, est superbe et généreuse en goût, à l’image du carpaccio de bar à la poutargue, aux agrumes, aux herbes et à l’huile d’olive, et, surtout, du plat signature : les rigatoni au homard rôti, chou romanesco, bisque de homard et délicieux fagioli fondants… Deux plats qu’il faut illuminer avec un vin blanc volcanique de Sicile aux notes un peu fumées de pierre à fusil… Les pâtes sont faites maison, farcies au potiron, aux cèpes, aux langoustines ou aux oursins. Le risotto vénitien à l’encre de seiche et au calamar est parfait, crémeux et bien lié – rien de plus difficile que de réussir un risotto ! Au dessert, le soufflé chaud au citron et au limoncello de Campanie est une tuerie. Bref, une adresse gastronomique un peu oubliée, mais sûre et très recommandable, même si le cuisinier n’est pas italien…

Franck Potier-Sodaro, chef et sommelier du restaurant Sormani: jusqu'aux confinements, le "Tout-Paris" se bousculait pour son carpaccio de bar à la poutargue, ses gnocchis au citron et au homard rôti. © Sormani
Franck Potier-Sodaro, chef et sommelier du restaurant Sormani: jusqu’aux confinements, le « Tout-Paris » se bousculait pour son carpaccio de bar à la poutargue, ses gnocchis au citron et au homard rôti. © Sormani

Sormani

Menu déjeuner à 58 euros.

4, rue du Général-Lanrezac, 75017 Paris

Tél. : 01 43 80 13 91

« J’ai toujours adoré la cuisine italienne. J’ai une passion pour les pâtes farcies et j’aime beaucoup l’amertume qui joue un rôle essentiel dans cette cuisine (et dans la mienne) : celle des petites salades de la plaine du Pô (“radicchio di Treviso”), du vermouth, de l’huile d’olive au goût d’artichaut, de la réglisse ou du café, des agrumes. L’amertume est une saveur qui m’intéresse beaucoup, car elle donne du relief et de la fraîcheur. » En créant sa propre trattoria rue du Bac, Pierre Gagnaire a donné à Paris l’un de ses meilleurs restaurants italiens et l’un des plus accueillants. 12 personnes œuvrent ici, toutes de nationalité italienne, à l’image du jeune chef toscan Ivan Ferrara, formé à l’Enoteca de Florence (trois étoiles Michelin). En salle, on a l’impression d’être à Rome. Une magnifique machine espresso de 1961 trône au fond, de laquelle s’écoulent des nectars de cafés torréfiés à Vérone, bien serrés et crémeux. Gagnaire a défini avec son chef le choix des plats et leur a imprimé une élégance et une légèreté qui lui sont propres. Les rougets de roche frits aux petites crevettes, à la fleur de courgette et à la moutarde de Crémone, mettent en appétit. Le velouté de cèpes au café et aux noix fraîches célèbre l’automne. Le carpaccio de seiche au brocoli et à la grenade était déjà consommé par les habitants de Pompéi. Les spaghetti à l’huile d’olive, à la poutargue et au citron sont un rayon de lumière. Le pigeon rôti aux figues noires semble sorti d’un tableau d’Arcimboldo. Et le service en salle est chaleureux.

Piero TT

Menu à la carte de 45 à 75 euros.

44, rue du Bac, 75007 Paris

Tél. : 01 43 20 00 40

Plus accessible ? Pour déguster des pâtes fraîches d’exception sur place ou à emporter, je vous conseille la nouvelle boutique de Cédric Casanova, créateur de « La Tête dans les Olives », où depuis dix ans l’on vient faire le plein d’huiles d’olive de Sicile extraordinaires. Cet ancien acrobate de cirque est un poète, mais aussi un homme d’affaires aguerri… Voici qu’il vient de fabriquer dans sa rue un moulin à blé à pierre de granit. Les blés de Sicile produits par ses amis paysans (comme Marco Mulè) remontent à l’Antiquité. Ce sont des blés noirs de printemps, riches en goût, avec de la mâche et très digestes, que les paysans continuent à cultiver dans des zones préservées jamais polluées par les intrants chimiques. Chaque semaine, Cédric reçoit des sacs de blé qu’il moud. Avec sa machine à pâtes, il fabrique des pâtes fraîches délicieuses, à emporter ou que l’on peut manger sur place avec une bisque de gambas ou un ragoût à la saucisse et au fenouil.

Mulino Mulè

12 euros le kilo de pâtes fraîches, ou de 10 à 14 euros le plat de pâtes sur place.

25, rue Sainte-Marthe, 75010 Paris.

Ouvert de 10 h 30 à 15 h 00.

Tél. : 09 54 75 92 07

Site web: www.mulinomule.com

Et le Sacré-Cœur refit l’union de la gauche…

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La basilique pourrait être inscrite aux monuments historiques. Mais la gauche n’est pas d’accord, évoquant le “respect” dû aux révoltés de 1871.


La basilique qui défigure la Butte Montmartre et Paris va être classée. Décision qui meurtrit les cœurs sensibles des élus socialistes, communistes et écologistes au Conseil de Paris. Ils ont voté contre.

Ces révolutionnaires en fauteuil roulant affirment que le classement du Sacré-Cœur constituerait une insulte à la Commune. Quoi de plus noble que de se draper dans le linceul des Communards fusillés par les Versaillais ! En réalité si le Sacré-Cœur est une insulte, c’est une insulte au bon goût et à la beauté.

Une légende urbaine

Son architecture témoigne du talent bancal d’un chef pâtissier qui aurait abusé de crème fouettée pour confectionner sa pièce montée. Mais une légende veut que le Sacré-Cœur ait été bâti pour « expier les crimes de la Commune ». Elle est compréhensible mais reste quand même une légende.

A lire aussi: Le Sacré-Cœur: monument hystérique

L’idée du Sacré-Cœur a germé dans l’esprit de deux très riches bourgeois catholiques au lendemain de la défaite contre les Prussiens. Mais elle n’a commencé à prendre corps qu’en 1873, soit deux ans après l’écrasement de la Commune.

Deux présidents, Thiers puis Mac Mahon, firent le nécessaire pour que le Sacré-Cœur voit le jour. Tous deux participèrent au massacre des Communards. Le lieu choisi par eux : la Butte Montmartre. C’est là que les insurgés parisiens furent exécutés par centaines.

Et le pèlerinage au Père Lachaise ?

De là naquit la légende. Elle a le charme nostalgique du Temps des Cerises chanté par Jean-Baptiste Clément, ardent Communard. Même fausse on est en droit de la trouver belle.

Mais que des petits bourgeois, rouges, roses, arc-en-ciel s’en emparent constitue une insulte à ceux qui sont tombés sur les barricades en mai 1871. Un peu plus bas que le Sacré-Cœur il y a le Père Lachaise avec son mur des Fédérés où les Versaillais fusillèrent sans compter.

Il fut un temps où chaque année au mois de mai la gauche s’y rendait en pèlerinage. Les élus « révolutionnaires » du Conseil de Paris sont trop paresseux pour y aller. C’est escarpé et peu accessible aux vélos et aux trottinettes…

L’augmentation de l’insécurité dans les campagnes est sensible, malgré les confinements!

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Une tribune de Jean-Paul Garraud


Nos campagnes en danger

L’enseignement à tirer du dernier état des lieux de la délinquance et de la criminalité en France rendu par le Service statistique du ministère de l’Intérieur démontre qu’aucune fraction du territoire n’est désormais épargnée par l’insécurité, les zones rurales et périurbaines sous la responsabilité de la gendarmerie ayant même connu une hausse particulièrement sensible des violences à la personne. Les collectivités territoriales ont un important rôle à jouer en la matière.

Toutes catégories confondues, les atteintes volontaires à l’intégrité physique ont augmenté de huit points dans les zones rurales et périurbaines confiées à la gendarmerie. Encore ne s’agit-il là que des infractions constatées, de nombreuses victimes ne faisant pas de démarche spécifique pour se manifester. Dans ces « zones gendarmerie », un refus d’obtempérer est constaté toutes les 45 minutes. Un chiffre qui fait écho à un autre: une plainte pour violence gratuite est déposée toutes les deux minutes à la police !

Les viols en augmentation

Très inquiétants, les crimes et délits à caractère sexuel comprenant les viols, les tentatives de viols ou les agressions sexuelles ont augmenté de 12% au niveau national. Une augmentation observable dans les mêmes proportions pour la région occitane, avec désormais 0,8 cas pour 1000 habitants contre 0,7 en 2019.

A lire aussi, Philippe Bilger: Lieuron et Aulnay-sous-Bois: notre laxisme sur le banc des accusés

Alors que nous étions supposément confinés une bonne partie de l’année écoulée, ou placés sous le régime du couvre-feu, sauf durant les mois d’été, les manifestations violentes ont pu se dérouler dans l’indifférence générale, notamment en marge des contestations liées au projet de loi dit « sécurité globale ». Un projet mal nommé tant il se focalisait sur des points de détails, certes importants, mais qui ne sont pas centraux pour affronter comme il se devrait la hausse de toutes les formes de délinquance et de criminalité que nous connaissons depuis au moins deux décennies dans l’hexagone. Ainsi, les dégradations et violences, les outrages à l’égard des personnes dépositaires de l’autorité publique ont connu des hausses colossales à Toulouse (+113 %) et Montpellier (+99 %), durant les tristement célèbres « samedis de manifestation » qui rythment nos vies depuis 2018.

Ledit « sentiment d’insécurité » dont témoignent les Français s’appuie donc sur des statistiques.

La France périphérique à son tour gagnée par l’ensauvagement

Une insécurité protéiforme, qui se déploie dans toutes les étapes de la vie quotidienne : transports, vie scolaire, promenades lors des week-ends, etc. Ces statistiques sont d’autant plus inquiétantes que la pandémie de coronavirus, du fait des confinements et des couvre-feux, a largement diminué la vie sociale et plus encore la vie nocturne génératrice d’excès d’alcool et de drogues, de rixes violentes ou d’agressions sexuelles. Elle vise principalement les membres les plus fragiles de la société. Les plus jeunes, les personnes âgées, les femmes et les habitants des zones de non-droit sont effectivement en première ligne.

Notons que désormais, vivre loin des grandes métropoles et des centres urbains ne suffit plus pour se protéger de la délinquance et de la criminalité.

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Le pédopsychiatre Maurice Berger, auteur de l’excellent Sur la violence gratuite en France – Adolescents hyperviolents, témoignages et analyse (L’Artilleur), a une explication : « (…) l’ensauvagement, c’est lorsque la parole ne fait plus tiers, lorsqu’existe un différend même minime entre individus. Il y a quelques années, 85% des mineurs traduits en justice changeaient de comportement après leur rencontre avec l’institution judiciaire, la parole du juge. Ils ne sont plus que 65% désormais, et c’est d’eux dont je parle. L’impulsivité prime, l’autre n’est plus considéré que comme un objet sur lequel décharger la tension qu’on ressent dans l’immédiateté, comme une gêne à éliminer. Ceci soulève la question de savoir quelles sont les conditions nécessaires pour qu’un individu se civilise ».

Il est terrifiant de constater que la baisse du niveau de langage est source de violence. Ne sachant plus s’exprimer, certains renoncent à argumenter et ne comprennent pas les arguments qui leur sont opposés, répondant alors par la violence.

Polices municipales, vidéosurveillance, lycées : les collectivités à la rescousse

Au-delà de la nécessaire mise à niveau des moyens accordés aux forces de l’ordre, ainsi que de la volonté politique qui doit accompagner leur travail, c’est toute la France qui doit être repensée de l’éducation nationale à la notion d’ordre public, dont les stratégies se doivent d’être prospectives et non purement réactives comme c’est le cas de nos jours. Ni l’institution policière ni la justice ne pourront être efficaces sans un soutien sans faille de l’État, force motrice des politiques de sécurité.

Dans ce cadre, les collectivités territoriales ont un rôle important à jouer.

Évidemment, les maires qui ont la charge des polices municipales au plus près des citoyens. Mais aussi les départements et les régions. Si les régions n’ont pas de compétences directes en matière de sécurité, la loi NOTRe n’ayant pas changé leurs prérogatives en la matière, elles peuvent s’investir dans une véritable politique de sécurité par la montée en puissance des financements croisés et s’engager dans des actions concrètes de lutte contre l’insécurité. Elles peuvent ainsi prendre part au financement de certains dispositifs de sécurité, à commencer par la vidéosurveillance dans les trains ou aux abords des lycées. Les régions peuvent aussi mobiliser exceptionnellement des budgets pour les victimes des émeutes urbaines, comme l’avait fait la région Île-de-France en 2007 en octroyant des aides aux personnes dont les véhicules avaient été dégradés ou en avançant des fonds aux communes pour la remise en état de leurs équipements.

A lire aussi, Gabriel Robin: Proportionnelle, calendrier électoral: la pandémie, meilleure alliée de l’exécutif

Les régions peuvent donc agir en amont et en aval. Elles ont aussi un rôle à jouer dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, en sensibilisant élèves, parents d’élèves et professeurs à l’utilisation de la plate-forme Pharos, au phénomène de la radicalisation islamiste ou bien encore au fléau du harcèlement scolaire, qui fait chaque année de nouvelles victimes.

Nous avons le devoir, partout où nous sommes présents, de mieux penser l’action de l’État et des collectivités pour endiguer l’insécurité galopante qui détruit la vie quotidienne des Français. C’est un impératif pour l’avenir.

Une société sans ordre est une société qui bascule dans le chaos, une société qui ne peut que s’effondrer et se tiers-mondiser.

Un avenir qu’il faut éviter à la France.

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Heather Morris: se souvenir de Cilka


Pour son second roman, Heather Morris s’inspire des témoignages de Lale Sokolov et donne une suite au Tatoueur d’Auschwitz. Entre fiction et réalité, Le Voyage de Cilka (en exclusivité chez France Loisirs) retrace le destin d’une survivante de la Shoah et du Goulag.


Le Voyage de Cilka est inspiré par le personnage bien réel d’une jeune juive slovaque ayant survécu aux camps de la mort puis au goulag. Au gré des confidences de Lale Sokolov, dont elle relate la déportation dans Le Tatoueur d’Auschwitz, Heather Morris découvre l’existence d’une certaine Cecilia Klein dite Cilka. Bouleversée par cette rencontre, l’auteure trouve en elle l’héroïne exclusive de son prochain roman. Rigoureuse dans sa méthode documentaire, cherchant dans les archives du mémorial Yad Vashem puis sollicitant l’expertise d’historiens spécialistes de l’URSS, Heather Morris se lance sur les traces de son personnage.

Voyages aux enfers concentrationnaires

Cecilia Klein a 16 ans quand elle entre à Auschwitz-Birkenau. Remarquée par les officiers nazis pour sa jeunesse et sa beauté, elle échappe à la mort en soumettant son corps aux désirs d’un officier nazi de haut rang. Privilégiée malgré elle, Cilka use dans l’ombre de sa position pour sauver ses proches de la chambre à gaz. Trois ans plus tard, en 1945, les Russes qui viennent de libérer les camps d’extermination l’accusent de trahison.

Condamnée de façon expéditive à 15 ans de travaux forcés, elle est envoyée au goulag de Vorkouta en bordure du cercle polaire. Là-bas, elle s’intègre à un groupe de femmes avec lesquelles une amitié aussi réconfortante que profonde naît. Dans cet univers hostile marqué par la violence physique et climatique, Cilka tente de partager avec ses sœurs d’infortune son expérience de la captivité tout en cachant les raisons inavouables de sa présence parmi elles.

Mais d’un enfer concentrationnaire à l’autre, les hommes, officiers SS ou prisonniers russes, restent une menace qui les abime bien plus durablement que le pire des châtiments corporels. Malgré les viols, les conditions de vie inhumaines et la culpabilité qui la ronge, Cilka résiste encore et toujours. Elle va même trouver une voie inespérée vers la rédemption quand, lors d’un passage à l’hôpital du camp, une femme médecin lui propose de la former au métier d’infirmière. Réparer les vivants et repousser la mort… Voilà qui donne enfin un sens à sa vie.

Comme la majorité des Slovaques de confession juive, Cilka Klein et sa famille ont été déportés à Auschwitz-Birkenau en 1942. C’est à partir de cette date que débutent les rafles massives des juifs originaires de cette partie de la Tchécoslovaquie alors contrôlée par la Hongrie voisine. Après avoir surmonté la première et terrible épreuve du voyage en wagon à bestiaux, les rescapés y sont méthodiquement triés selon leur aptitude au travail. Les plus faibles étant exécutés sans délai, les plus vigoureux gagnant un sursis qui ne vaut guère mieux que la mort.

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À la fin de la guerre, en janvier 1945, quand l’Armée Rouge entre dans Auschwitz, les milliers de prisonniers ayant réchappé à la solution finale représentent autant de suspects aux yeux des Russes qui viennent pourtant de les libérer. Soumis à des interrogatoires par la police politique de Staline, certains recouvrent la liberté quand d’autres, comme Cilka Klein, accusés sans discernement d’avoir réussi à survivre, sont envoyés au goulag. En multipliant les condamnations à la déportation vers ses camps de travail sibériens, le régime soviétique saisit alors l’opportunité de s’offrir dans l’indifférence générale de nouveaux bras pour son programme de modernisation du pays. Instauré en URSS en 1929 et intensifié cinq ans plus tard dans le cadre des purges staliniennes, le système du goulag est une fabrique d’esclaves adossée à une épuration politique. Un double avantage pour la Mère-patrie qui élimine ainsi ses opposants et tous ceux qu’elle juge nuisibles en les contraignant à travailler jusqu’à la mort s’il le faut.

Après 24 ans d’arrestations arbitraires qui amenèrent la déportation de près de 18 millions de personnes, dont 1,6 million de morts, dans plus de 132 camps de travail répartis sur plus de 90 000 km2 essentiellement au nord du territoire soviétique, le système du goulag perd progressivement de sa vigueur à partir de 1953 avec la mort de Staline.

Atrocités de l’histoire imaginées et mises en œuvre par deux régimes parmi les plus cruels de tous les temps, camp de concentration et goulag se distinguent par une différence d’approche génocidaire. Alors que les nazis exterminaient avec méthode, les soviets laissaient le froid, la faim, la maladie et les conditions de vie et de travail se charger de la sale besogne. Animée par un incroyable instinct de survie et une foi profonde dans l’humanité, Cilka aura réussi à surmonter les deux épreuves.

Garder son humanité, malgré tout

Odyssée célébrant la vie dans les entrailles de l’enfer, le second roman de Heather Morris est le complément indispensable du Tatoueur d’Auschwitz. À l’origine du Voyage de Cilka, Lale Sokolov est d’ailleurs évoquée à plusieurs reprises dans les souvenirs des camps qui surgissent comme des éclairs terrifiants dans le quotidien tragique de Cilka. À travers ces flashbacks chargés d’horreur, la romancière nous révèle l’impitoyable mécanique de déshumanisation par les viols qu’infligèrent les nazis aux femmes déportées. Contraintes comme Cilka de céder leur corps à leurs bourreaux, elles cumulent la honte d’avoir été souillées à la culpabilité d’avoir échangé leur intimité contre un temps de vie supplémentaire.

Souvent nié car jamais officiellement théorisé par la doctrine nazie, le viol des femmes dans les camps de la mort est aujourd’hui considéré comme un fait historique, les SS satisfaisant leurs pulsions tout en compromettant leurs victimes jusque dans leur chair. Rongée par ce fardeau indélébile, Cilka n’a peur que d’une seule chose dans l’enfer du goulag : que tous ceux qui comptent pour elle dont ses amies du bloc 25, pourtant régulièrement violées par des prisonniers, apprennent la vérité sur son passé à Auschwitz. Véritable enjeu dramatique qui se renforce au fil du récit, ce mensonge insupportable devra fatalement être brisé pour que Cilka puisse enfin poser les bases de sa résilience.

Mais au cœur de toute cette machine à broyer de l’humain, l’espoir et l’amour restent omniprésents. Par l’amitié et la solidarité qui unissent toutes ces femmes bafouées, par l’humanité de la femme médecin qui croit en elle, par l’amour poignant que portent toutes ces jeunes victimes de viol à un enfant qu’elles n’ont pas désiré, par le rédempteur talent d’infirmière développé par Cilka, par son besoin viscéral d’aider les autres, ou sa capacité retrouvée à tomber amoureuse d’un bel inconnu.

Fresque carcérale

Car au-delà de sa précision historique, Le Voyage de Cilka est un grand roman traversé par des questionnements puissants sur la responsabilité et la culpabilité, une fresque carcérale peuplée de figures féminines fortes, qui s’autorise envers et contre tout à être romanesque. C’est enfin le portrait d’une femme d’exception, combattante acharnée pour la vie, résistante féroce à la mort et survivante d’une triple peine délirante infligée par le nazisme, le stalinisme et la bestialité masculine.

Le voyage de Cilka d’Heather Morris (Charleston, 2021), France Loisirs.

Martha et Sean perdent leur enfant

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Dans « Pieces of a Woman », le film canadien de Kornél Mundruczo, nous suivons un couple qui a décidé d’un accouchement à la maison. Le film réussit à traiter le sujet terrible de la perte d’un enfant et à nous émouvoir, sans en faire trop.


Dans le menu de mon application Netflix, j’ai longtemps tourné autour de Pieces of a woman avant de le visionner. Ce film du réalisateur hongrois Kornél Mundruczo est un des plus regardés sur la plateforme en ce moment. Il montre la descente aux enfers d’un couple qui perd son enfant à la naissance. Sujet ô combien vertigineux et périlleux!

C’est l’histoire du réalisateur et de son épouse. Terrassés par la douleur, ils se sont longtemps murés dans le silence « jusqu’à ne plus pouvoir le supporter ». L’épouse du réalisateur a d’abord exorcisé son drame à travers l’écriture d’une pièce de théâtre. Elle a servi de base à Mundruczo pour son film. « Avec Pieces of a woman c’est un peu comme si je disais: « voici ce que je suis », a-t-il déclaré. Je ne regrette pas d’avoir surmonté mon émotivité, car Pieces of a woman réussit l’exploit d’à la fois maîtriser le pathos et s’y de laisser subtilement aller. 

Un futur père débordant d’enthousiasme et une compagne un peu absente

Vanessa Kirby (Margaret dans « The crown », saison 4 chroniquée ici) et la star hollywoodienne Shia LaBeouf campent à merveille un couple bourgeoise/bad boy dont on s’aperçoit depuis le début qu’ils sont déjà dans deux univers parallèles. Elle est cadre, lui chef de chantier, mais surtout (le film débute à la fin de la grossesse) la future mère semble un peu absente, comme coupée de sa grossesse, alors que le futur père fait preuve d’un enthousiasme débordant. Ils habitent la très WASP ville de Boston, qui pendant tout le film nous semble fort grise, noyée sous une pluie que l’on imagine glaciale et qui transperce les os du spectateur. Cette atmosphère évoque Manchester by the sea, un autre film traitant de la mort et d’un corps qui reste longtemps sans sépulture.

Pieces of a woman oscille entre le réel et la distanciation de celui-ci nécessaire pour le rendre supportable. La terrible scène de l’accouchement est esthétisée – nous ne sommes pas dans une télé réalité – avec des ralentis ou des plans fixes sur le visage de la parturiente perdue dans sa souffrance. Elle n’arrive ni à se raccrocher à son conjoint, ni à la sage femme qui sera bientôt sur le banc des accusés. 

Des symboles un peu lourds ?

Martha n’arrive pas à prendre possession de cette naissance qui va lui échapper pour toujours. C’est certainement pour cette raison qu’elle désire dans un premier temps léguer le corps de son bébé – qui n’aura vécu que quelques minutes – à la science. Il faut que ce bébé n’existe jamais.

D’aucuns affirmeront que le réalisateur use et abuse de clichés symboliques ayant trait à la naissance, à la vie, à l’éclosion. Par exemple, celle qui n’est pas devenue mère fera germer des graines dans du coton ou se nourrira de pommes… Mais « il vaut mieux partir du cliché que d’y arriver » disait Orson Welles, chose que le grand Flaubert savait aussi. 

Le délitement du couple sera ensuite rapide. Elle est murée, il est seul dans sa douleur qui déborde. La fin est symbolisée dans un rapport sexuel maladroit. Sean essaie de pénétrer sa femme à travers son pantalon, qu’elle refuse de retirer. Le personnage principal veut faire cavalier seul dans cette épreuve. Ni sa mère, matriarche hystérique qui demande réparation en attaquant la sage femme, ni son conjoint réduit en miettes ne réussissent à la retenir dans une forme de vie. Pendant ce temps, les journées d’hiver défilent, toujours aussi glaciales et grises. 

Un procès libérateur

C’est le procès qui redonnera cependant un peu de vie à Martha. En racontant les faits, en se remémorant son chemin de croix, elle se souvient des photos argentiques que son conjoint a prises du bébé avant qu’il ne meure. Ce visage qui lui apparaîtra enfin sur la pellicule la délivrera. Et elle pourra finalement répandre les cendres du nourrisson dans le fleuve. À Ushuaïa, au bout du monde, on dit qu’il faut jeter ses chagrins dans la mer…

Malgré quelques clichés, comme évoqué plus haut, ce drame sur la perte tragique d’un enfant à la naissance demeure délicat: chacun fait comme il peut.

Il existe un compte Instagram « Mort-né mais né quand même » où les parents postent des photos de leurs bébés. Voyeurisme morbide ? Peut-être, peut-être pas. Qui sommes-nous pour juger, comme on dit familièrement.

En 1973, Nadine Trintignant, qui aura vécu deux tragédies (elle a perdu un enfant à l’âge d’un an), réalisa « Ça n’arrive qu’aux autres » avec Deneuve et Mastroianni. À la différence de « Pieces of a woman » le chagrin y soude le couple et lui permet de s’y enfermer avant de prendre la route. Dans le dernier plan du film, on les voit même danser au son du « Temps des cerises ». De son côté, « Pieces of a woman » se clôture sur une rêverie. Une petite fille, dans une campagne verte et aveuglée par le soleil, (enfin) court et grimpe aux arbres. Comme si la vie finissait toujours par l’emporter. 

Burt Lancaster, le nageur éclipsé

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Le billet du vaurien


S’il y a un film dont je me souviens plan par plan, c’est The Swimmer de Frank Perry, le film le plus givré du cinéma américain qui fit un flop en 1968, lorsqu’il sortit sur les écrans américains. Il est alors à l’opposé de l’esprit du temps: sombre et glacial, comme ce nageur, magnifiquement interprété par Burt Lancaster, qui aspire à retrouver sa maison et le fil de sa vie en allant de piscines en piscines.

Tout lui sourit lorsqu’il s’invite en maillot de bain bleu au barbecue donné par d’anciens amis. Personne ne sait d’où il vient, ni où il va. Le spectateur pressent qu’il va à sa perte, mais il n’en mesure pas l’ampleur. À l’image de nos existences. Même l’entrée dans une piscine municipale lui sera bientôt interdite: il se métamorphose alors en looser absolu que son ex-femme rejette. De piscine en piscine, son charme et son pouvoir de séduction s’éteignent jusqu’à la catastrophe finale, celle qui nous attend tous, nous renvoyant à la solitude de notre propre condition, celle que nous avons toujours voulu écarter. Nous sommes nus et l’heure de fermeture a sonné dans les piscines de notre enfance. Quoique nous ayons entrepris, à la fin nous aurons tout perdu. Tout.

A lire aussi: À Topor, la jeunesse reconnaissante

L’heure de la fermeture a sonné

On comprend que Burt Lancaster, incarnation du rêve américain et symbole d’une virilité à toute épreuve, ait été de plus en plus mal à l’aise au cours du tournage au point d’exiger que certaines séquences, notamment celle avec son ex-femme (elle l’était dans la réalité ), soient tournées par Sidney Polack. Ce sera pire encore. Une malédiction plane sur ce film, comme sur Burt Lancaster. Frank Perry qui n’a que trente-cinq ans et déjà le chef d’œuvre David et Lisa à son actif, meurt d’un cancer. Il faudra près de cinquante ans pour que The Swimmer sorte de la clandestinité et qu’il devienne le symbole de nos désastres intimes. Nous l’évoquons souvent lors de nos dîners au Lausanne-Palace en compagnie d’Éric Vartzbed, d’Ivan Farron et d’Isaac Pante. Nous ne serions pas surpris de voir surgir Burt Lancaster en maillot bleu dur. Il s’installerait à notre table et nous confierait : «Moi non plus je n’ai pas compris le sens de ce scénario totalement tordu. Rassurez-moi: la vie ne ressemble quand même pas à cette descente aux enfers ?» Nous nous regarderions, interloqués. «À quoi d’autre peut-elle ressembler ?», aurais-je demandé.

Mais Burt Lancaster s’est déjà éclipsé.

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Étampes: la participation polémique du maire à une marche blanche

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Une grossière erreur?


Le maire d’Étampes Franck Marlin a mis les moyens de sa mairie au service de l’organisation d’une marche blanche[tooltips content= »Le 17 janvier 2021″](1)[/tooltips] demandée par une famille qui venait de perdre deux de ses membres: deux frères, Samir et Nordine, au lourd passé judiciaire, notamment pour trafic de drogue, qui avaient pris l’autoroute à contresens pour échapper à un contrôle de gendarmerie et dont le véhicule avait heurté un camion, au chauffeur heureusement indemne.

Premier mouvement: l’indignation devant une telle initiative apparemment choquante:

Deuxième phase: le maire vient courageusement donner ses justifications sur cette même chaîne dans l’émission de Pascal Praud et l’un des chroniqueurs, Jean-Claude Dassier, ne mâche pas ses mots et lui dit vertement ce qu’il pense de lui qui a osé favoriser une marche blanche à l’égard de tels personnages.

Le maire invoque l’amitié qu’il avait pour cette famille, qu’il n’était pas juge, qu’en quelque sorte la mort effaçait tout et que la concorde municipale devait prévaloir. Pour se défendre de tout clientélisme dans une ville à la forte communauté musulmane, il souligne qu’il s’agissait de son dernier mandat.

Je ne suis pas convaincu mais je voudrais placer le débat sur un autre terrain.

Si j’avais mauvais esprit, je ferais allusion à la condamnation de ce maire LR en 1997 et au fait que Mediapart l’accusait, en 2020, d’avoir mis en place un système mafieux. Il est vrai qu’en 1999 il avait aussi suscité une polémique en voulant supprimer les aides pour les familles avec des enfants condamnés.

Au-delà de ces considérations qui pourraient nourrir la suspicion, il me plaît davantage de mettre en évidence la grossière erreur du maire confondant l’amitié avec son devoir municipal. Comme ami, il pouvait se rendre évidemment aux obsèques privées de cette famille mais il n’avait pas à accéder à la demande d’une marche blanche et surtout, d’une certaine manière, à la financer et à la faciliter.

Le maire, en acceptant ce qui aurait dû relever de la seule sphère familiale, avec la douleur compréhensible de ceux qui étaient privés de Samir et Nordine, oubliait son rôle et l’image qu’il avait à donner, se trompant radicalement de registre. Deux délinquants échappant à un contrôle de gendarmerie et qui auraient pu aussi engendrer le pire pour les autres n’avaient pas, avec l’aval officiel, à bénéficier d’une telle consécration.

Le message adressé à la communauté d’Etampes était délétère : le maire validait des comportements antisociaux, légitimait des passés infiniment imparfaits et octroyait un honneur à une famille quand deux de ses membres ne l’auraient clairement pas mérité de leur vivant.

Comme il y a les deux corps du roi, Franck Marlin aurait dû réfléchir à l’obligation de respecter les deux corps du maire.

Il a tout simplement fait fi de ses devoirs.

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Inceste: une société française plus friande de têtes que de solutions

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Le témoignage de Camille Kouchner accusant d’inceste Olivier Duhamel ne finit pas de faire des victimes collatérales, alors qu’elles n’ont rien à voir avec les acteurs de la Familia grande.


Après Alain Finkielkraut perdant son poste de chroniqueur sur LCI, c’est Le Monde qui à son tour censure un dessin de Xavier Gorce jugé politiquement incorrect. La directrice de rédaction s’est ainsi fendue d’une lettre d’excuse dégoulinante de mièvrerie et de ridicule, s’excusant tour à tour auprès des personnes victimes d’inceste et des personnes transgenres, affirmant partager leurs valeurs et défendre leur cause et le prouvant en condamnant un dessin de presse satirique. De cette lettre, il vaut mieux rire que pleurer tant elle témoigne d’une vision pervertie du métier de journaliste. Il n’y a plus information, quête de vérité, examen des faits, débats et argumentation, non il faut montrer ici que l’on est dans le bon camp, du côté des victimes, inconditionnellement et sans distance.

Le problème c’est qu’en empêchant toute discussion sur ces questions (…) on risque de laisser le terrain à des personnes qui se moquent bien des victimes d’inceste et de violences sexuelles, mais qui instrumentalisent ces questions pour en faire le procès de l’élite, présentée comme sexuellement corrompue ou d’un occident pervers et détraqué…

Or les personnes ici sanctionnées ne sont pas soupçonnées d’actes criminels, de complicité ou d’avoir couvert par leur silence ces mêmes actes, elles ont condamné la pédophilie et l’inceste et n’ont posé d’autres actes que de commenter un fait d’actualité ou d’ironiser dessus. Peut-être maladroitement aux yeux de certains, peut-être utilement aux yeux d’autres, toujours est-il qu’elles ont dû pour cette seule cause affronter une tumultueuse tempête. Comme si l’opprobre qui touche Olivier Duhamel se transmettant à ceux qui l’ont côtoyé, embauché, fréquenté, il fallait mettre en scène le fait que bien qu’en haut de la pyramide, on n’appartient pas au petit monde décrit par Camille Kouchner, où l’omerta fait le lit des violences familiales. Alors pour montrer sa pureté, on désigne l’autre comme coupable s’il ne parait pas assez indigné ; pour prouver sa bonne foi, à la moindre tension, on sacrifie celui qui dérange ou qui interroge. Faire assaut de puritanisme et d’intransigeance devient alors un réflexe protecteur. Sauf que la course à la pureté idéologique et à la moraline est un piège destructeur: il vous installe dans une spirale de l’excuse et de l’autoflagellation sans fin où vous êtes sommés de vous coucher devant l’émotion alors même qu’un travail de journaliste et d’intellectuel est de prendre de la distance et qu’un travail de dessinateur est de porter le feutre dans la plaie y compris au risque du mauvais goût.

Une indignation à géométrie variable, selon les époques

Mais surtout cette réaction est d’une profonde inefficacité. Elle occulte la question du rapport au corps et les effets de la revendication d’une liberté sexuelle totale qui eût des échos politiques. Il suffit de lire ce qu’a pu écrire Libération à une époque sur la sexualité entre enfants et adultes pour comprendre que la pédophilie a pu être présentée comme une forme de liberté accordée aux enfants, la contestation de préjugés réactionnaires, le refus d’une société bourgeoise. Le corps devient la propriété de l’être, libre d’en faire ce qu’il veut, y compris de le prostituer, de le louer. Cette position n’a pas disparu et c’est au nom de la liberté dont on est en droit d’user à l’égard de son propre corps que certains défendent la prostitution ou la reconnaissance des mères porteuses. Certes le soutien à la pédophilie est restée marginale, mais dans certains milieux, il a infusé et l’entre-deux qu’est l’adolescence a pu devenir une zone grise. Ce que raconte La familia grande, c’est aussi le rassemblement d’happy fews, puissants et dominants chacun dans leur domaine, à qui le succès donne le sentiment d’appartenir à une espèce différente. La précocité sexuelle est vue comme une preuve de supériorité et les repères petits à petits s’effacent. La réaction d’aujourd’hui contraste avec ce que s’est passé en 2012 entre Daniel Cohn-Bendit et François Bayrou. Ce dernier dénonce des écrits de l’écologiste parus en 1975 dans un livre, Le Grand bazar, comme des déclarations faites à cette occasion et renouvelées en 1982 dans une émission d’Apostrophe datée du 23 avril : « Vous savez que la sexualité d’un gosse, c’est absolument fantastique. Faut être honnête, sérieux. Moi j’ai travaillé avec des gosses qui avaient entre quatre et six ans. Quand une petite fille commence à vous déshabiller, c’est fantastique parce que c’est un jeu érotico-maniaque. » Certes Daniel Cohn-Bendit a assuré avoir voulu faire son malin et épater le bourgeois. Il n’en reste pas moins que celui qui a fini étrillé par la gauche et par la droite à cette occasion a été François Bayrou et que toute la classe politique s’est empressé de refermer le couvercle sur la question de la pédophilie. À l’époque cette dénonciation n’intéressait personne.

Le refus de prendre en compte ces réalités difficiles et les ambiguïtés sur la sexualité enfantine expliquent sans doute l’explosion du #incestemetoo que l’on constate sur les réseaux. Il est troublant de voir à quel point les déviances sexuelles sont répandues et à quel point elles peuvent être tues. Il est sans nul doute urgent d’y répondre. Mais ce n’est pas en sombrant dans le puritanisme hypocrite que l’on sauvera un seul enfant. Au contraire, ce sont dans les sociétés où la sexualité est la plus refoulée et le moralisme le plus affiché, que les violences sexuelles sont les plus nombreuses.

Les questions d’Alain Finkielkraut ne sont pas à balayer d’un revers de main

La vie n’est pas morale et il vaut mieux donner aux enfants et aux adultes des armes psychologiques et intellectuelles pour se défendre que de sombrer dans la censure pour préserver des gens en grande souffrance. Une personne victime de ce type de violence est souvent écorché vif, tout la blesse, la meurtrit, l’agresse et l’envahit. Que des personnes victimes d’inceste aient mal réagi au dessin se comprend, mais le rôle du journal était d’assumer et de rappeler que l’humour peut être grinçant, de mauvais goût, dérangeant et que c’est très bien ainsi. Surtout, ce ne sont pas des dessins ou des prises de parole qui font souffrir ces personnes, c’est l’écho que cela réveille dans leur chair et leur mémoire. C’est souvent l’impossibilité d’obtenir justice et réparation qui font qu’elles ne supportent rien qui touche à ces sujets.

Censurer Xavier Gorce n’a pas réparé ou amoindri la souffrance d’une seule victime et cela donne l’impression que toute liberté de parole sur ces sujets-là fait de vous un complice. C’est aussi ce qui est arrivé à Alain Finkielkraut. Alors que les questions qu’il posait ne sont pas à balayer d’un revers de main. La question du consentement et de l’âge est examinée en cas de viol ou de pédophilie (l’inceste est différent), par exemple. Rappelez-vous du scandale qu’a créé en le refus de qualifier de viol en 2017 la relation sexuelle d’un adulte avec une enfant de 11 ans car le Parquet de Pontoise l’avait jugé consentante ? Or si entre l’adulte et l’enfant, l’inégalité crée l’emprise et qu’il ne peut pas y avoir consentement (ce que je crois personnellement), cela ne devrait-il pas se traduire en droit ? Le débat est en cours mais n’a pas été tranché en droit. Dans le cas d’un procès tout est examiné, l’âge qu’avaient les protagonistes au moment des faits devra être établie, la question du consentement sera posée, les pourquoi du silence et les raisons qui amènent à le briser… C’est cette rigueur dans l’établissement des faits qui participera aussi de la qualité du jugement et de l’instruction. Cela n’ôte rien à la victime mais est très douloureux et violent pour elle néanmoins. Et pourtant cela doit être fait.

Ne pas verser dans l’indignation véhémente vous rend suspect

Sauf qu’aujourd’hui cela devient impossible. Vouloir être factuel est vu comme une marque de violence et d’indifférence, voire comme une façon de cautionner des actes immondes. Ne pas verser dans l’indignation véhémente non seulement vous rend suspect mais laisse entendre que vous participez à la protection des coupables. Du coup les individus et les institutions en rajoutent dans la condamnation et pensent que se transformer en procureur devient le moyen d’attester de leur innocence et de leur pureté. Faire simplement son travail et tenter d’opérer les distinctions nécessaires mettent aujourd’hui en danger. En faire des tonnes dans l’excuse et aller jusqu’à sacrifier des personnes qui n’ont rien fait et ne peuvent être soupçonnées de cautionner des pratiques criminelles, devient une mesure de protection personnelle, qui vous renforce momentanément ou vous permet de conserver votre poste. Il s’agit ici de jeter des proies innocentes à des personnes qui font métier d’indignation et souvent parlent par-dessus la tête des victimes, pour préserver son pouvoir et sa réputation.

Cela parle-t-il seulement de la lâcheté des dirigeants ou de la violence d’une société, tellement plus friande de têtes que de solutions, que ceux qui sont au sommet doivent jeter régulièrement des têtes au bas de la pyramide, pour se maintenir en haut. C’est malsain, mais il n’est pas sûr que les dirigeants aient le choix. Poser un acte de courage aujourd’hui vous sort plus souvent du jeu qu’il ne vous offre une image churchillienne. Il faut donc des convictions chevillées au corps pour être courageux. Et il se trouve que quand vous êtes dirigeant vous avez aussi le souci de la pérennité de l’institution que vous dirigez.

Parler d’institution en parlant du Monde reste cependant très exagéré. Le Monde n’est plus un journal de référence mais un simple journal d’opinion, qui se vend mal, il n’est plus que l’ombre de lui-même, dans sa dérive vers le militantantisme racialiste et islamo-gauchiste, il s’ancre aujourd’hui au comptoir de la moraline. Il est donc là pour délivrer des brevets de « bons » et de « méchants » sur tous les sujets. Il donne à sa clientèle ce qu’elle attend. Il fait donc son travail. Ce n’est juste plus un travail de journalisme, mais de militantisme. Il faudrait juste que la direction l’assume. 

Le procès de l’élite de l’Occident

Il se trouve aussi que quand la voie du procès est barrée alors que sur des questions comme l’inceste, la parole des victimes est très longue à se libérer, de fait on empêche la justice de passer. Logique que la vengeance prenne alors le dessus. Quand elle s’abat sur un coupable, que celui-ci l’admet implicitement, je reconnais que cela ne me touche pas. Ce qui arrive à Olivier Duhamel me paraît légitime. C’est peut-être un tort, mais c’est ainsi. Le procès étant rendu impossible, ne reste plus que l’opprobre. Cela entraîne aussi un transfert de la réparation sur le terrain de la morale, qui finit par s’en prendre à la liberté d’expression au nom de la souffrance des victimes. Or cela ne résout rien. On nie par exemple la zone grise de la sexualité. Pourtant un adolescent ou une adolescente qui s’éveille à la sexualité a souvent un désir de séduction, particulièrement envers l’adulte. Ce fantasme est très fort et se traduit par des attitudes ambigües, voire provocantes. Il vaut mieux que cela se sache et soit reconnu. Ce désir est légitime chez l’adolescent, il parle de son inexpérience, de ses pulsions et de ses découvertes tâtonnantes. En revanche un adulte doit savoir que l’enfant ou l’adolescent n’a pas le discernement pour comprendre ce qui arrive à son corps, pour être au clair avec ses désirs. Profiter de ce temps de confusion est mal et l’adulte doit s’empêcher. La volupté de l’emprise n’a rien à voir avec l’amour et tout avec la domination. Pour cela il faut oser avoir des débats et accepter d’aborder de front tous ces problèmes.

Le problème c’est qu’en empêchant toute discussion sur ces questions et toute expression sur ces phénomènes autres qu’en mode dénonciation (et au vu des deux têtes qui viennent de tomber, je souhaite bien du courage à ceux qui sont sollicités sur ces thèmes) on risque de laisser le terrain à des personnes qui se moquent bien des victimes d’inceste et de violences sexuelles, mais qui instrumentalisent ces questions pour en faire le procès de l’élite, présentée comme sexuellement corrompue ou d’un occident pervers et détraqué. Au risque que la législation n’évolue pas, et que nul ne se penche sur la difficulté à recueillir la parole des victimes ou sur la question des peines. Se donner bonne conscience et finalement ne rien changer au réel, si c’était cela le piège de l’indignation ?

Proportionnelle, calendrier électoral: la pandémie, meilleure alliée de l’exécutif

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Incontrôlable et incontrôlée, pour des raisons diverses et variées, dont certaines sont directement liées à une mauvaise anticipation de l’État français, la pandémie est devenue la meilleure alliée de l’exécutif.


Elle lui permet de ne pas tenir ses engagements électoraux, à l’image de l’abandon de la réforme du mode de scrutin aux élections législatives, ou d’envisager le plus sérieusement du monde un nouveau report des élections départementales et régionales…

« Je crains que si jamais la décision de reporter après la présidentielle, les élections départementales et régionales, [était prise], vous ne puissiez pas endiguer une autre pandémie, qui est la pandémie politique. Vous serez suspectés de tout ! Vous serez vilipendés ! Et cela aboutira à quoi ? À plus d’abstention », a déclaré Jean-Louis Debré lors de son audition au Sénat du 13 janvier 2021. L’influent président du Conseil constitutionnel manifestait ainsi son anxiété face aux velléités liberticides d’une part grandissante de l’exécutif, suivi en cela par une majorité au garde à vous, peut-être désireuse de ne pas affronter l’épreuve électorale après la déculottée que furent les dernières élections municipales.

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La République En Marche est en grande difficulté lors des élections intermédiaires, hors les élections européennes qui sont moins sujettes aux équilibres précaires de la politique locale. La plupart des sondeurs annoncent d’ailleurs une claque pour le parti présidentiel aux prochaines élections régionales et départementales, qui devraient accorder des « primes aux sortants » et peut-être conforter la progression des Verts et l’enracinement du Rassemblement national. Alors que tout semblait au vert pour que ces deux rendez-vous électoraux soient décalés au mois de juin, des voix dissidentes et des esprits chagrins se font jour dans la majorité. La pandémie « ne permettrait » pas la tenue d’élections.

La démocratie confinée?

Veulent-ils mettre notre démocratie sous cloche comme ils l’ont fait pour notre vie sociale et notre vie économique ? On pourrait le penser tant les mesures les plus illogiques et incompréhensibles se succèdent à un rythme effréné. La bêtise de nos dirigeants est aussi contagieuse que ces variants anglais et brésiliens qu’on ne sait pas retenir là où ils sont apparus. On ne ferme pas les frontières avec le Brésil ou l’Afrique-du-Sud, comme le réclament même les plus à gauche des médecins et des élus depuis déjà plusieurs semaines – le député Sébastien Nadot l’avaient ainsi fait sur Twitter avant de se raviser -, et comme le comprendraient les voyageurs, mais on envisage le plus sérieusement du monde de reporter aux calendes grecques les deux dernières élections avant l’élection présidentielle.

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Réagissant à l’abandon de l’introduction d’une « dose de proportionnelle » aux élections législatives, ainsi qu’Emmanuel Macron l’avait promis en 2017 pour s’attirer les faveurs de François Bayrou, Marlène Schiappa déclarait sans rire à la télévision : « l’épidémie de coronavirus nous a fait nous raviser et nous empêche ». Quel rapport ? La question de la proportionnelle semblait pourtant faire consensus dans la population, permettant à la France d’enfin sortir d’une situation totalement anachronique, restant la seule démocratie occidentale ayant un parlement national aussi peu représentatif des électeurs. Mais non, le coronavirus est passé par là.

Castaner satisfait

Et si ce diable de Christophe Castaner avait, lui, la réponse ? L’ancien ministre de l’Intérieur s’est en effet ouvertement réjoui, déclarant que cela permettrait d’éviter « l’arrivée de 100 députés du Rassemblement national ». La pandémie ne serait donc pas la véritable raison derrière ces reports envisagés et ces promesses non tenues ? Peut-être faudrait-il creuser du côté de la tactique politicienne ? Le résultat de ces basses manœuvres est malheureusement que les « conspirationnistes » trouveront encore du grain à moudre. Le moment historique que nous vivons devrait pourtant inviter le pouvoir à la plus grande retenue.

Le non du peuple

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Renaud Camus: « La liberté d’expression dans la France de 2020 n’est pas menacée: elle n’existe pas »


L’auteur du Grand Remplacement et de tweets cinglants est poursuivi pour injure raciale par des associatifs qui n’ont jamais lu ses livres. Selon lui, s’il est proscrit, c’est pour voir et dire que le changement démographique détruit la culture et la civilisation des Européens d’Europe. Entretien (2/2)


>>> Relire la première partie <<<

Causeur. Au-delà de votre cas, et de vos ennuis judiciaires, la liberté d’expression est menacée par les censeurs en tout genre et encadrée par des lois protégeant les réclamations mémorielles des diverses communautés. On peut trouver cela insupportable, mais fallait-il laisser les négationnistes répandre l’idée que la Shoah était une invention des juifs ?

Bien sûr que non, il ne le fallait pas. Il ne le faut pas. Mais ce n’est pas la compétence de la loi. Je suis hostile à toutes les lois mémorielles, estimant qu’une vérité, si rigoureuse soit-elle, n’est plus tout à fait une vérité s’il est interdit de la contester, quitte à se ridiculiser ou se déshonorer ce faisant. La liberté d’expression dans la France de 2020 n’est absolument pas menacée : la liberté d’expression dans la France de 2020 n’existe pas. Nous vivons sous le régime du négationnisme de masse, puisque le phénomène de loin le plus important de notre société, à savoir le changement de peuple et de civilisation, le génocide à l’homme, la destruction des Européens d’Europe par submersion migratoire, y fait l’objet d’un tabou absolu. Cette occultation est si radicale que c’est le réel lui-même, la réalité du réel, qui est ébranlé, mis hors la loi ; et que nous vivons dans ce que je nomme le faussel, le faux réel, le règne du faux – un monde imaginaire, aussi imaginaire que les habits neufs de l’empereur, sur lesquels tout le monde s’extasie. Il faut noter à cet égard que le faux est consubstantiel au remplacisme global, puisque celui-ci est le règne de la substitution, de la copie, du fac-similé, du simili, de la simulation généralisée : l’Âge de l’ersatz, du makeshift, bien repéré dès la fin du xixe siècle par William Morris ; ou si vous préférez du simulacre, pour parler comme Baudrillard.

À lire aussi, Lydia Pouga: L’assimilation n’est pas une question en noir et blanc

Vous exagérez ! Sur la question migratoire, comme sur l’islam, on peut dire beaucoup de choses qui étaient juste imprononçables il y a quelques années. Et par ailleurs, nous avons toujours la même controverse. Vous parlez de phénomènes qui résultent de millions de décisions comme d’entreprises organisées !

Ah, si vous estimez que la liberté d’expression fait de considérables progrès en France, je ne puis que vous envier cette plaisante conviction. Quant à notre controverse, vous m’attribuez la foi en des entreprises organisées, au pluriel, et non pas à une entreprise organisée. C’est assez juste. Je crois en effet en les décisions de milliers d’entreprises organisées, multinationales, fonds de pension, GAFA, tous les instruments, avec les banques, les médias, la publicité, de mécanismes, ou, si vous voulez, d’une machination, au sens littéral et heideggérien du terme, d’un devenir machine, qui les dépasse et les englobe comme elle nous englobe tous, nous broie, et nous dépouille de l’humaine condition.

Pour Charlie Hebdo et les caricatures, notre pays ne défend-il pas une position courageuse et singulière dans notre monde globalisé ?

Charlie Hebdo n’est en rien hostile au remplacisme global, il est bien normal qu’il fasse l’objet des attentions du pouvoir remplaciste. Remplacisme et islamisme ne sont pas une seule et même force. Ce sont deux totalitarismes rivaux : provisoirement alliés, certes, mais fondamentalement rivaux, comme le nazisme et le communisme au temps du pacte germano-soviétique.

Cher Renaud, vous ne pouvez pas avoir une unique grille de lecture de tout : remplaciste ou pas ! Charlie Hebdo s’oppose à l’islamisation et au rétablissement du blasphème, ce n’est pas rien !

Ah, si, là, désolé, j’ai une unique grille de lecture de tout, et ça c’est une théorie, contrairement au Grand Remplacement. Je crois au remplacisme global, qui reconnaît en le remplacement le geste fondamental et universel des sociétés post-post-industrielles. Je crois même au remplacisme global davocratique, c’est-à-dire à la gestion managériale du parc humain par « Davos », terme par lequel je désigne, d’après le nom de son congrès annuel en Suisse, de son Nuremberg helvétique, la conception purement économiste, financière et numérique, et matriculaire du monde. On dirait aussi bien la gouvernance par les nombres, pour parler comme Olivier Rey, Alain Supiot, Jean Vioulac ou Johann Chapoutot.

Le remplacement affecte aussi bien les hommes que les peuples, les corps que les âmes, les matières que les produits, les objets que les sols

Pour vous, le remplacisme est un phénomène global. Mais vous lui cherchez des coupables alors qu’il agit sur les cerveaux. Si on le considère comme une idéologie plus que comme une entreprise, il prospère sur la débâcle de l’esprit voltairien.

Ce n’est pas seulement notre esprit voltairien qui est menacé par le remplacisme : c’est l’esprit en général, ce sont les forces de l’esprit, et c’est l’humanité de l’homme. C’est l’espèce, c’est sa présence sur la Terre, c’est la Terre elle-même. Le remplacement affecte aussi bien les hommes que les peuples, les corps que les âmes, les matières que les produits, les objets que les sols. L’artificialisation est un autre de ses noms. Mais enfin, pour s’en tenir précisément à votre question, il est certain qu’une représentation du Mahomet de Voltaire ne semble pas tout à fait à l’ordre du jour, et qu’une statue de ce grand homme a déjà été mise au placard, significativement.

Pardon, mais dans cette acception fort large, le remplacisme n’est-il pas l’autre nom du Progrès qui, avant d’être une machine à éradiquer la pensée livre, a été le fruit des belles inventions de l’esprit humain ? Galilée a remplacé tous les défenseurs de la Terre plate. L’alternative au remplacisme, c’est l’immobilisme…

Oh, tous les remplacements ne sont pas mauvais. Quand on n’a plus de cœur, j’imagine qu’on est bien content de trouver un cœur artificiel, ou celui d’un autre. D’ailleurs, ce n’est presque jamais le mal qui triomphe du bien, mais un autre bien de qualité inférieure, une imitation de bien, et qui a pour lui les médias, dont je ne sais s’ils sont une des branches de la publicité, ou l’inverse. Le so-called  « politiquement correct » n’est rien d’autre que la recette industrielle de la MHI, du Nutella humain, du nutelhom. L’alternative au remplacisme n’est pas l’immobilisme, c’est l’âme, c’est la durée, c’est l’inscription dans le temps, la voix des morts, l’autre rive, la transmission, la culture, la création.

Le concept central de ma réflexion est celui d’in-nocence, de non-nocence, de non-nuisancede non-violence

On vous accuse d’avoir inspiré le tueur de Christchurch. Cela vous attriste-t-il ?

Cela m’attriste, certes, mais cela m’indigne bien davantage encore. C’est la preuve absolue que ceux qui formulent cette accusation, et que d’ailleurs je poursuis en justice en la personne de Mme Marlène Schiappa, la ministre, n’ont jamais lu une ligne de moi et n’ont pas la moindre idée de mes écrits et de mes vues. Le concept central de ma réflexion est celui d’in-nocence, de non-nocence, de non-nuisance, de non-violence : vous pensez comme j’ai pu inspirer le tueur de Christchurch ! L’expression « Grand Remplacement », sans doute parce que, hélas, elle est juste, est aujourd’hui répandue dans le monde entier. On apprenait cette semaine même qu’Emmanuel Macron, figure paradigmatique du remplacisme global et de la davocratie, l’employait couramment. Le tueur de Christchurch l’a rencontrée pendant son séjour en Europe, ou peut-être avant. Elle lui a semblé juste parce qu’elle l’est. Il n’a pas poussé plus loin ses investigations, il est probable qu’il ne connaît même pas mon nom, qu’il ne cite nulle part, et il est certain qu’il n’a jamais lu une ligne de moi, serait-ce seulement parce que Le Grand Remplacement, le livre, n’est pas traduit en anglais. Il y a d’ailleurs une preuve éclatante qu’il ne m’a pas lu, ou que, si par miracle il m’avait lu, il n’est pas influencé par moi, c’est qu’il a procédé à un massacre. Il a écrit une brochure nommée « The Great Replacement », qu’il avait sur lui au moment de son crime, et que Mme Schiappa confond avec mon livre. J’ai eu la curiosité de jeter un coup d’œil à cette plaquette, et il y est fort visible que les vues de ce monsieur sont fort éloignées des miennes. Par exemple, il est un très ardent nataliste. Le « tweet banquise » prouve suffisamment que je ne le suis pas et, si je ne le suis pas, ce n’est pas seulement pour l’Afrique, mais pour l’Europe aussi bien, la Terre, la Terre entière, la pauvre Terre en son ensemble, qui n’en peut plus de l’homme.

Emmanuel Macron au Forum économique mondial, Davos, 24 janvier 2018. © Fabrice Coffrini/AFP
Emmanuel Macron au Forum économique mondial, Davos, 24 janvier 2018. © Fabrice Coffrini/AFP

Dernière question pour ceux qui ne vous connaissent pas. Parmi votre importante production, quel livre conseilleriez-vous en priorité à un néophyte ? Duquel êtes-vous le plus fier d’un point de vue littéraire ?

Pour donner un tel conseil, encore faudrait-il que je connusse le néophyte en question, sa formation, ses curiosités, ses goûts. Mais s’il ne craignait pas d’aborder le massif par une face un peu abrupte, je lui désignerais sans doute Du Sens, qui est en quelque sorte, pour la réflexion politique et… comment dirais-je… « philosophique », avec beaucoup de guillemets, mon « laboratoire central ».

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Quant au livre dont je serais le plus fier, non, je n’y songe pas en ces termes-là. En revanche, il y a dans mon abondante production des ouvrages avec lesquels j’ai de meilleurs rapports qu’avec d’autres, sans doute parce que j’ai l’impression d’y avoir dit à peu près ce que je voulais dire, et comme je voulais le dire. Je m’entends par exemple assez bien avec Éloge du paraître, avec Vie du chien Horla, ou bien avec Vaisseaux brûlés, l’hypertexte, sans doute parce qu’il s’agit d’un chantier si vaste et si complexe qu’on y trouve tout et son contraire : toutes les orientations, toutes les ombres, toutes les lumières – something for everyone.

Gastronomie: la botte secrète de l’Italie

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Les spaghettis aux fruits de mer de Pierre Gagnaire chez Piero TT, al dente et parfumés comme à Venise. © Cyril Carrère

Contrairement à la France, l’Italie a su faire du régionalisme culinaire un barrage efficace contre la désertification de ses campagnes. Une cuisine fièrement conservatrice dont les trésors se dégustent aussi à Paris.


Les spaghettis ont plus fait pour la gloire de l’Italie que La Divine Comédie et les opéras de Verdi. Si la cuisine italienne est aussi universelle, c’est qu’elle est populaire, simple, délicieuse, enracinée, quotidienne, identifiable et accessible à tous. Autrefois, les peintres d’Europe faisaient le « voyage en Italie » pour s’imprégner de sa lumière et de ses paysages, autant que pour étudier les chefs-d’œuvre de la Renaissance. Aujourd’hui, ce sont les gastronomes qui font ce voyage, fascinés par ce conservatoire vivant des cuisines populaires et régionales qu’a su rester l’Italie, alors que les campagnes françaises sont devenues un désert culinaire où les grandes surfaces et les McDo font la loi, et que les centres-villes sont en train de mourir. Dans ses Écrits corsaires, publiés en 1975, Pier Paolo Pasolini s’insurgeait déjà contre « le cataclysme anthropologique » provoqué par la société de consommation et visant à supprimer les dialectes et les particularismes culturels au nom de l’idéologie du bien-être. Il ne supportait pas d’assister à la disparition des paysans et des ouvriers qu’il avait connus et de les voir abandonner leurs beaux vêtements pour revêtir le jeans et le T-shirt mondialisés…

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Pourtant, l’Italie a bien mieux résisté que la France à ce génocide culturel. À chaque fois que je m’y rends, je suis impressionné. Sur les simples aires d’autoroutes, il n’est pas rare qu’on vous propose du bon jus d’oranges fraîchement pressées et toutes sortes de charcuteries artisanales servies avec du pain frais, un flacon d’huile d’olive aux reflets verts et une bière locale du Haut-Adige (loin du sandwich sous cellophane sorti du frigo décrit par Houellebecq dans La Carte et le Territoire). Quelle que soit la région que vous traversez, chaque village possède au moins une trattoria (petit restaurant familial où la cuisine est faite maison) ou une osteria (l’équivalent de nos bars à vin), où on peut se régaler pour une poignée d’euros. Ce qui demeure la norme en Italie est devenu exceptionnel chez nous : je pense par exemple à ce paysan aperçu un jour de printemps, à Amalfi, en train de gravir péniblement la rue avec son mulet chargé de légumes, de fruits et d’herbes pour aller fournir l’un des meilleurs restaurants de la côte où vont dîner les milliardaires américains descendus de leur yacht. Je pense aussi à ces petits villages de montagne, près de Parme, ou près de Matera dans la Basilicate, où les femmes fabriquent à la main leurs propres raviolis ou gnocchis. Ici, le surgelé n’a pas droit de cité ! À table, quand le plat arrive, les Italiens se taisent et l’observent respectueusement. Le café est bon, les capsules insipides n’ayant pas encore envahi leur territoire.

Chauvinisme régional

Mais le plus fascinant est le chauvinisme régional qui, pour déplaisant qu’il soit au premier abord, a quand même permis à l’Italie de rester elle-même et de sauvegarder la diversité de ses cuisines locales. Aussitôt que vous quittez la Lombardie pour le Piémont, la Toscane ou les Abruzzes, sans même parler des Pouilles ou de la Sicile, vous changez d’univers. Héritières des cités-États du Moyen Âge et de la Renaissance, ces régions, génétiquement hostiles à tout jacobinisme centralisateur, affirment leur identité culinaire. En Italie, du reste, les grandes surfaces et les McDo sont rares, et les centres-villes toujours animés. Dans leur immense majorité, les grands chefs italiens n’ont pas versé dans la cuisine conceptuelle (au contraire des Espagnols), mais sont restés fidèles à leurs produits locaux et à leurs traditions, tel Pino Cuttaia, en Sicile (ristorante La Madia, à Licata, deux étoiles Michelin), dont la pizza mozzarella est un miracle de légèreté !

Certains sont capables de vous faire pleurer en vous préparant de simples pâtes à la sauce tomate du Vésuve, comme Rocco Iannone près d’Amalfi (ristorante Tenuta Nannina), surnommé « le Communiste » par ses pairs car, malgré ses deux étoiles Michelin, il sert des plats pour une bouchée de pain et n’a cure des honneurs…

Les plus riches mangent la bonne cuisine paysanne

Si on s’amusait à faire une sociologie comparative des cuisines italienne et française, on serait très surpris, car, en Italie, les classes sociales les plus élevées et les plus riches n’ont aucun scrupule à manger de la bonne cuisine paysanne. Ainsi dans Violence et Passion, de Luchino Visconti (1974), voit-on le grand bourgeois romain, joué par Burt Lancaster, couper lui-même du saucisson et de la mortadelle à ses invités (Silvana Mangano et Helmut Berger) et leur servir du chianti (le vin de Toscane le plus populaire d’Italie) dans des verres à moutarde… Dans Il divo (2008), Paolo Sorrentino met en scène un dîner au cours duquel Giulio Andreotti et certains de ses ministres se retrouvent autour d’une gigantesque mozzarella di bufala bien crémeuse qu’Andreotti a fait venir de chez un paysan de Campanie. Il n’y a donc pas en Italie la notion de « cuisine canaille », inventée chez nous pour permettre aux « élites » de se taper une tête de veau en toute bonne conscience dans un bistrot « populo » avant de revenir fissa dans leurs beaux quartiers…

Pour toutes ces raisons, la cuisine italienne a le vent en poupe depuis quelques années. Traiteurs, épiceries et chaînes de restaurant (avec serveurs hurlant en salle) pullulent désormais. On consommerait aujourd’hui en France 26 pizzas par seconde (plus qu’en Italie, mais moins qu’aux États-Unis). Comme l’écrit Alberto Toscano, correspondant à Paris depuis trente ans du Corriere della Sera, Français et Italiens sont culturellement très proches : « Les Français sont juste des Italiens de mauvaise humeur… » Un moteur franco-italien aurait selon lui fait merveille pour conduire l’Europe. Mais Toscano relève trois obstacles majeurs à cette belle synergie : d’abord, outre leur condescendance insupportable vis-à-vis de leurs cousins latins (rappelons que l’Italie, elle, au moins, a su conserver son tissu industriel de PME), les Français ne savent pas cuire les pâtes al dente ; ensuite, les hommes portent des chaussettes blanches et courtes, summum absolu du mauvais goût (les Italiens les portent noires et hautes jusqu’au genou) ; enfin, faute suprême, il n’y a pas de bidet dans les salles de bain françaises ! (Le bidet : objet vital en Italie, symbole de l’hygiène et de la civilisation…)

Pas besoin d’être italien pour faire une bonne cuisine italienne !

S’agissant des pâtes, Toscano dit vrai pour ce qui est de la pratique quotidienne, mais cède tout de même un peu à ce chauvinisme gastronomique évoqué plus haut, car la vérité vraie est qu’il n’est pas nécessaire d’être Italien pour faire une bonne cuisine italienne ! De même qu’il n’est pas nécessaire d’être français pour faire une bonne cuisine française – la preuve : ces innombrables chefs japonais devenus des pros du lièvre à la royale et du pâté en croûte.

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Le restaurant Sormani à Paris est un cas d’école. Fondé en 1985 dans le quartier des Champs-Élysées par Jean-Pascal Fayet, petit-fils d’ébénistes vénitiens, il fut le premier restaurant italien étoilé Michelin. C’est Fayet qui fit découvrir aux Parisiens le carpaccio de bœuf et le tiramisu au café… Aujourd’hui, Sormani est la cantine des patrons du CAC 40 : Bolloré et François Pinault y viennent déjeuner chaque semaine, pendant que Bernard Arnault y commande des plats à emporter pour ne pas les croiser… Le sommelier Franck Potier, dont la mère est calabraise, a repris l’enseigne en créant une belle carte des vins 100 % italiens. Si on peut ne pas raffoler du décor, douillet comme dans un film de Claude Chabrol, la cuisine du marché, en revanche, est superbe et généreuse en goût, à l’image du carpaccio de bar à la poutargue, aux agrumes, aux herbes et à l’huile d’olive, et, surtout, du plat signature : les rigatoni au homard rôti, chou romanesco, bisque de homard et délicieux fagioli fondants… Deux plats qu’il faut illuminer avec un vin blanc volcanique de Sicile aux notes un peu fumées de pierre à fusil… Les pâtes sont faites maison, farcies au potiron, aux cèpes, aux langoustines ou aux oursins. Le risotto vénitien à l’encre de seiche et au calamar est parfait, crémeux et bien lié – rien de plus difficile que de réussir un risotto ! Au dessert, le soufflé chaud au citron et au limoncello de Campanie est une tuerie. Bref, une adresse gastronomique un peu oubliée, mais sûre et très recommandable, même si le cuisinier n’est pas italien…

Franck Potier-Sodaro, chef et sommelier du restaurant Sormani: jusqu'aux confinements, le "Tout-Paris" se bousculait pour son carpaccio de bar à la poutargue, ses gnocchis au citron et au homard rôti. © Sormani
Franck Potier-Sodaro, chef et sommelier du restaurant Sormani: jusqu’aux confinements, le « Tout-Paris » se bousculait pour son carpaccio de bar à la poutargue, ses gnocchis au citron et au homard rôti. © Sormani

Sormani

Menu déjeuner à 58 euros.

4, rue du Général-Lanrezac, 75017 Paris

Tél. : 01 43 80 13 91

« J’ai toujours adoré la cuisine italienne. J’ai une passion pour les pâtes farcies et j’aime beaucoup l’amertume qui joue un rôle essentiel dans cette cuisine (et dans la mienne) : celle des petites salades de la plaine du Pô (“radicchio di Treviso”), du vermouth, de l’huile d’olive au goût d’artichaut, de la réglisse ou du café, des agrumes. L’amertume est une saveur qui m’intéresse beaucoup, car elle donne du relief et de la fraîcheur. » En créant sa propre trattoria rue du Bac, Pierre Gagnaire a donné à Paris l’un de ses meilleurs restaurants italiens et l’un des plus accueillants. 12 personnes œuvrent ici, toutes de nationalité italienne, à l’image du jeune chef toscan Ivan Ferrara, formé à l’Enoteca de Florence (trois étoiles Michelin). En salle, on a l’impression d’être à Rome. Une magnifique machine espresso de 1961 trône au fond, de laquelle s’écoulent des nectars de cafés torréfiés à Vérone, bien serrés et crémeux. Gagnaire a défini avec son chef le choix des plats et leur a imprimé une élégance et une légèreté qui lui sont propres. Les rougets de roche frits aux petites crevettes, à la fleur de courgette et à la moutarde de Crémone, mettent en appétit. Le velouté de cèpes au café et aux noix fraîches célèbre l’automne. Le carpaccio de seiche au brocoli et à la grenade était déjà consommé par les habitants de Pompéi. Les spaghetti à l’huile d’olive, à la poutargue et au citron sont un rayon de lumière. Le pigeon rôti aux figues noires semble sorti d’un tableau d’Arcimboldo. Et le service en salle est chaleureux.

Piero TT

Menu à la carte de 45 à 75 euros.

44, rue du Bac, 75007 Paris

Tél. : 01 43 20 00 40

Plus accessible ? Pour déguster des pâtes fraîches d’exception sur place ou à emporter, je vous conseille la nouvelle boutique de Cédric Casanova, créateur de « La Tête dans les Olives », où depuis dix ans l’on vient faire le plein d’huiles d’olive de Sicile extraordinaires. Cet ancien acrobate de cirque est un poète, mais aussi un homme d’affaires aguerri… Voici qu’il vient de fabriquer dans sa rue un moulin à blé à pierre de granit. Les blés de Sicile produits par ses amis paysans (comme Marco Mulè) remontent à l’Antiquité. Ce sont des blés noirs de printemps, riches en goût, avec de la mâche et très digestes, que les paysans continuent à cultiver dans des zones préservées jamais polluées par les intrants chimiques. Chaque semaine, Cédric reçoit des sacs de blé qu’il moud. Avec sa machine à pâtes, il fabrique des pâtes fraîches délicieuses, à emporter ou que l’on peut manger sur place avec une bisque de gambas ou un ragoût à la saucisse et au fenouil.

Mulino Mulè

12 euros le kilo de pâtes fraîches, ou de 10 à 14 euros le plat de pâtes sur place.

25, rue Sainte-Marthe, 75010 Paris.

Ouvert de 10 h 30 à 15 h 00.

Tél. : 09 54 75 92 07

Site web: www.mulinomule.com

Et le Sacré-Cœur refit l’union de la gauche…

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Photo Unsplash

La basilique pourrait être inscrite aux monuments historiques. Mais la gauche n’est pas d’accord, évoquant le “respect” dû aux révoltés de 1871.


La basilique qui défigure la Butte Montmartre et Paris va être classée. Décision qui meurtrit les cœurs sensibles des élus socialistes, communistes et écologistes au Conseil de Paris. Ils ont voté contre.

Ces révolutionnaires en fauteuil roulant affirment que le classement du Sacré-Cœur constituerait une insulte à la Commune. Quoi de plus noble que de se draper dans le linceul des Communards fusillés par les Versaillais ! En réalité si le Sacré-Cœur est une insulte, c’est une insulte au bon goût et à la beauté.

Une légende urbaine

Son architecture témoigne du talent bancal d’un chef pâtissier qui aurait abusé de crème fouettée pour confectionner sa pièce montée. Mais une légende veut que le Sacré-Cœur ait été bâti pour « expier les crimes de la Commune ». Elle est compréhensible mais reste quand même une légende.

A lire aussi: Le Sacré-Cœur: monument hystérique

L’idée du Sacré-Cœur a germé dans l’esprit de deux très riches bourgeois catholiques au lendemain de la défaite contre les Prussiens. Mais elle n’a commencé à prendre corps qu’en 1873, soit deux ans après l’écrasement de la Commune.

Deux présidents, Thiers puis Mac Mahon, firent le nécessaire pour que le Sacré-Cœur voit le jour. Tous deux participèrent au massacre des Communards. Le lieu choisi par eux : la Butte Montmartre. C’est là que les insurgés parisiens furent exécutés par centaines.

Et le pèlerinage au Père Lachaise ?

De là naquit la légende. Elle a le charme nostalgique du Temps des Cerises chanté par Jean-Baptiste Clément, ardent Communard. Même fausse on est en droit de la trouver belle.

Mais que des petits bourgeois, rouges, roses, arc-en-ciel s’en emparent constitue une insulte à ceux qui sont tombés sur les barricades en mai 1871. Un peu plus bas que le Sacré-Cœur il y a le Père Lachaise avec son mur des Fédérés où les Versaillais fusillèrent sans compter.

Il fut un temps où chaque année au mois de mai la gauche s’y rendait en pèlerinage. Les élus « révolutionnaires » du Conseil de Paris sont trop paresseux pour y aller. C’est escarpé et peu accessible aux vélos et aux trottinettes…

L’augmentation de l’insécurité dans les campagnes est sensible, malgré les confinements!

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Gérald Darmanin lors de l'hommage au gendarme Mélanie Lemée, tuée près d'Agen, juillet 2020 © UGO AMEZ/SIPA Numéro de reportage : 00971721_000057

Une tribune de Jean-Paul Garraud


Nos campagnes en danger

L’enseignement à tirer du dernier état des lieux de la délinquance et de la criminalité en France rendu par le Service statistique du ministère de l’Intérieur démontre qu’aucune fraction du territoire n’est désormais épargnée par l’insécurité, les zones rurales et périurbaines sous la responsabilité de la gendarmerie ayant même connu une hausse particulièrement sensible des violences à la personne. Les collectivités territoriales ont un important rôle à jouer en la matière.

Toutes catégories confondues, les atteintes volontaires à l’intégrité physique ont augmenté de huit points dans les zones rurales et périurbaines confiées à la gendarmerie. Encore ne s’agit-il là que des infractions constatées, de nombreuses victimes ne faisant pas de démarche spécifique pour se manifester. Dans ces « zones gendarmerie », un refus d’obtempérer est constaté toutes les 45 minutes. Un chiffre qui fait écho à un autre: une plainte pour violence gratuite est déposée toutes les deux minutes à la police !

Les viols en augmentation

Très inquiétants, les crimes et délits à caractère sexuel comprenant les viols, les tentatives de viols ou les agressions sexuelles ont augmenté de 12% au niveau national. Une augmentation observable dans les mêmes proportions pour la région occitane, avec désormais 0,8 cas pour 1000 habitants contre 0,7 en 2019.

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Alors que nous étions supposément confinés une bonne partie de l’année écoulée, ou placés sous le régime du couvre-feu, sauf durant les mois d’été, les manifestations violentes ont pu se dérouler dans l’indifférence générale, notamment en marge des contestations liées au projet de loi dit « sécurité globale ». Un projet mal nommé tant il se focalisait sur des points de détails, certes importants, mais qui ne sont pas centraux pour affronter comme il se devrait la hausse de toutes les formes de délinquance et de criminalité que nous connaissons depuis au moins deux décennies dans l’hexagone. Ainsi, les dégradations et violences, les outrages à l’égard des personnes dépositaires de l’autorité publique ont connu des hausses colossales à Toulouse (+113 %) et Montpellier (+99 %), durant les tristement célèbres « samedis de manifestation » qui rythment nos vies depuis 2018.

Ledit « sentiment d’insécurité » dont témoignent les Français s’appuie donc sur des statistiques.

La France périphérique à son tour gagnée par l’ensauvagement

Une insécurité protéiforme, qui se déploie dans toutes les étapes de la vie quotidienne : transports, vie scolaire, promenades lors des week-ends, etc. Ces statistiques sont d’autant plus inquiétantes que la pandémie de coronavirus, du fait des confinements et des couvre-feux, a largement diminué la vie sociale et plus encore la vie nocturne génératrice d’excès d’alcool et de drogues, de rixes violentes ou d’agressions sexuelles. Elle vise principalement les membres les plus fragiles de la société. Les plus jeunes, les personnes âgées, les femmes et les habitants des zones de non-droit sont effectivement en première ligne.

Notons que désormais, vivre loin des grandes métropoles et des centres urbains ne suffit plus pour se protéger de la délinquance et de la criminalité.

A lire aussi, Maurice Berger: Remettre la honte à sa juste place

Le pédopsychiatre Maurice Berger, auteur de l’excellent Sur la violence gratuite en France – Adolescents hyperviolents, témoignages et analyse (L’Artilleur), a une explication : « (…) l’ensauvagement, c’est lorsque la parole ne fait plus tiers, lorsqu’existe un différend même minime entre individus. Il y a quelques années, 85% des mineurs traduits en justice changeaient de comportement après leur rencontre avec l’institution judiciaire, la parole du juge. Ils ne sont plus que 65% désormais, et c’est d’eux dont je parle. L’impulsivité prime, l’autre n’est plus considéré que comme un objet sur lequel décharger la tension qu’on ressent dans l’immédiateté, comme une gêne à éliminer. Ceci soulève la question de savoir quelles sont les conditions nécessaires pour qu’un individu se civilise ».

Il est terrifiant de constater que la baisse du niveau de langage est source de violence. Ne sachant plus s’exprimer, certains renoncent à argumenter et ne comprennent pas les arguments qui leur sont opposés, répondant alors par la violence.

Polices municipales, vidéosurveillance, lycées : les collectivités à la rescousse

Au-delà de la nécessaire mise à niveau des moyens accordés aux forces de l’ordre, ainsi que de la volonté politique qui doit accompagner leur travail, c’est toute la France qui doit être repensée de l’éducation nationale à la notion d’ordre public, dont les stratégies se doivent d’être prospectives et non purement réactives comme c’est le cas de nos jours. Ni l’institution policière ni la justice ne pourront être efficaces sans un soutien sans faille de l’État, force motrice des politiques de sécurité.

Dans ce cadre, les collectivités territoriales ont un rôle important à jouer.

Évidemment, les maires qui ont la charge des polices municipales au plus près des citoyens. Mais aussi les départements et les régions. Si les régions n’ont pas de compétences directes en matière de sécurité, la loi NOTRe n’ayant pas changé leurs prérogatives en la matière, elles peuvent s’investir dans une véritable politique de sécurité par la montée en puissance des financements croisés et s’engager dans des actions concrètes de lutte contre l’insécurité. Elles peuvent ainsi prendre part au financement de certains dispositifs de sécurité, à commencer par la vidéosurveillance dans les trains ou aux abords des lycées. Les régions peuvent aussi mobiliser exceptionnellement des budgets pour les victimes des émeutes urbaines, comme l’avait fait la région Île-de-France en 2007 en octroyant des aides aux personnes dont les véhicules avaient été dégradés ou en avançant des fonds aux communes pour la remise en état de leurs équipements.

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Les régions peuvent donc agir en amont et en aval. Elles ont aussi un rôle à jouer dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, en sensibilisant élèves, parents d’élèves et professeurs à l’utilisation de la plate-forme Pharos, au phénomène de la radicalisation islamiste ou bien encore au fléau du harcèlement scolaire, qui fait chaque année de nouvelles victimes.

Nous avons le devoir, partout où nous sommes présents, de mieux penser l’action de l’État et des collectivités pour endiguer l’insécurité galopante qui détruit la vie quotidienne des Français. C’est un impératif pour l’avenir.

Une société sans ordre est une société qui bascule dans le chaos, une société qui ne peut que s’effondrer et se tiers-mondiser.

Un avenir qu’il faut éviter à la France.

Sur la violence gratuite en France: Adolescents hyper-violents, témoignages et analyse

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Heather Morris: se souvenir de Cilka

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Heather Morris est scénariste et journaliste néo-zélandaise. Sa vie a basculé en 2003 lors de sa rencontre avec Lale Sokolov, un survivant d’Auschwitz-Birkenau qui lui raconte son histoire durant la Shoah. Après trois années d’échanges et de témoignages détaillés, elle écrit "Le Tatoueur d’Auschwitz", son premier roman, best-seller mondial qui a été traduit dans une quinzaine de langues et est en cours d’adaptation cinéma. Son deuxième roman, "Le voyage de Cilka" est la suite de ce best-seller. Photo D.R.

Pour son second roman, Heather Morris s’inspire des témoignages de Lale Sokolov et donne une suite au Tatoueur d’Auschwitz. Entre fiction et réalité, Le Voyage de Cilka (en exclusivité chez France Loisirs) retrace le destin d’une survivante de la Shoah et du Goulag.


Le Voyage de Cilka est inspiré par le personnage bien réel d’une jeune juive slovaque ayant survécu aux camps de la mort puis au goulag. Au gré des confidences de Lale Sokolov, dont elle relate la déportation dans Le Tatoueur d’Auschwitz, Heather Morris découvre l’existence d’une certaine Cecilia Klein dite Cilka. Bouleversée par cette rencontre, l’auteure trouve en elle l’héroïne exclusive de son prochain roman. Rigoureuse dans sa méthode documentaire, cherchant dans les archives du mémorial Yad Vashem puis sollicitant l’expertise d’historiens spécialistes de l’URSS, Heather Morris se lance sur les traces de son personnage.

Voyages aux enfers concentrationnaires

Cecilia Klein a 16 ans quand elle entre à Auschwitz-Birkenau. Remarquée par les officiers nazis pour sa jeunesse et sa beauté, elle échappe à la mort en soumettant son corps aux désirs d’un officier nazi de haut rang. Privilégiée malgré elle, Cilka use dans l’ombre de sa position pour sauver ses proches de la chambre à gaz. Trois ans plus tard, en 1945, les Russes qui viennent de libérer les camps d’extermination l’accusent de trahison.

Condamnée de façon expéditive à 15 ans de travaux forcés, elle est envoyée au goulag de Vorkouta en bordure du cercle polaire. Là-bas, elle s’intègre à un groupe de femmes avec lesquelles une amitié aussi réconfortante que profonde naît. Dans cet univers hostile marqué par la violence physique et climatique, Cilka tente de partager avec ses sœurs d’infortune son expérience de la captivité tout en cachant les raisons inavouables de sa présence parmi elles.

Mais d’un enfer concentrationnaire à l’autre, les hommes, officiers SS ou prisonniers russes, restent une menace qui les abime bien plus durablement que le pire des châtiments corporels. Malgré les viols, les conditions de vie inhumaines et la culpabilité qui la ronge, Cilka résiste encore et toujours. Elle va même trouver une voie inespérée vers la rédemption quand, lors d’un passage à l’hôpital du camp, une femme médecin lui propose de la former au métier d’infirmière. Réparer les vivants et repousser la mort… Voilà qui donne enfin un sens à sa vie.

Comme la majorité des Slovaques de confession juive, Cilka Klein et sa famille ont été déportés à Auschwitz-Birkenau en 1942. C’est à partir de cette date que débutent les rafles massives des juifs originaires de cette partie de la Tchécoslovaquie alors contrôlée par la Hongrie voisine. Après avoir surmonté la première et terrible épreuve du voyage en wagon à bestiaux, les rescapés y sont méthodiquement triés selon leur aptitude au travail. Les plus faibles étant exécutés sans délai, les plus vigoureux gagnant un sursis qui ne vaut guère mieux que la mort.

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À la fin de la guerre, en janvier 1945, quand l’Armée Rouge entre dans Auschwitz, les milliers de prisonniers ayant réchappé à la solution finale représentent autant de suspects aux yeux des Russes qui viennent pourtant de les libérer. Soumis à des interrogatoires par la police politique de Staline, certains recouvrent la liberté quand d’autres, comme Cilka Klein, accusés sans discernement d’avoir réussi à survivre, sont envoyés au goulag. En multipliant les condamnations à la déportation vers ses camps de travail sibériens, le régime soviétique saisit alors l’opportunité de s’offrir dans l’indifférence générale de nouveaux bras pour son programme de modernisation du pays. Instauré en URSS en 1929 et intensifié cinq ans plus tard dans le cadre des purges staliniennes, le système du goulag est une fabrique d’esclaves adossée à une épuration politique. Un double avantage pour la Mère-patrie qui élimine ainsi ses opposants et tous ceux qu’elle juge nuisibles en les contraignant à travailler jusqu’à la mort s’il le faut.

Après 24 ans d’arrestations arbitraires qui amenèrent la déportation de près de 18 millions de personnes, dont 1,6 million de morts, dans plus de 132 camps de travail répartis sur plus de 90 000 km2 essentiellement au nord du territoire soviétique, le système du goulag perd progressivement de sa vigueur à partir de 1953 avec la mort de Staline.

Atrocités de l’histoire imaginées et mises en œuvre par deux régimes parmi les plus cruels de tous les temps, camp de concentration et goulag se distinguent par une différence d’approche génocidaire. Alors que les nazis exterminaient avec méthode, les soviets laissaient le froid, la faim, la maladie et les conditions de vie et de travail se charger de la sale besogne. Animée par un incroyable instinct de survie et une foi profonde dans l’humanité, Cilka aura réussi à surmonter les deux épreuves.

Garder son humanité, malgré tout

Odyssée célébrant la vie dans les entrailles de l’enfer, le second roman de Heather Morris est le complément indispensable du Tatoueur d’Auschwitz. À l’origine du Voyage de Cilka, Lale Sokolov est d’ailleurs évoquée à plusieurs reprises dans les souvenirs des camps qui surgissent comme des éclairs terrifiants dans le quotidien tragique de Cilka. À travers ces flashbacks chargés d’horreur, la romancière nous révèle l’impitoyable mécanique de déshumanisation par les viols qu’infligèrent les nazis aux femmes déportées. Contraintes comme Cilka de céder leur corps à leurs bourreaux, elles cumulent la honte d’avoir été souillées à la culpabilité d’avoir échangé leur intimité contre un temps de vie supplémentaire.

Souvent nié car jamais officiellement théorisé par la doctrine nazie, le viol des femmes dans les camps de la mort est aujourd’hui considéré comme un fait historique, les SS satisfaisant leurs pulsions tout en compromettant leurs victimes jusque dans leur chair. Rongée par ce fardeau indélébile, Cilka n’a peur que d’une seule chose dans l’enfer du goulag : que tous ceux qui comptent pour elle dont ses amies du bloc 25, pourtant régulièrement violées par des prisonniers, apprennent la vérité sur son passé à Auschwitz. Véritable enjeu dramatique qui se renforce au fil du récit, ce mensonge insupportable devra fatalement être brisé pour que Cilka puisse enfin poser les bases de sa résilience.

Mais au cœur de toute cette machine à broyer de l’humain, l’espoir et l’amour restent omniprésents. Par l’amitié et la solidarité qui unissent toutes ces femmes bafouées, par l’humanité de la femme médecin qui croit en elle, par l’amour poignant que portent toutes ces jeunes victimes de viol à un enfant qu’elles n’ont pas désiré, par le rédempteur talent d’infirmière développé par Cilka, par son besoin viscéral d’aider les autres, ou sa capacité retrouvée à tomber amoureuse d’un bel inconnu.

Fresque carcérale

Car au-delà de sa précision historique, Le Voyage de Cilka est un grand roman traversé par des questionnements puissants sur la responsabilité et la culpabilité, une fresque carcérale peuplée de figures féminines fortes, qui s’autorise envers et contre tout à être romanesque. C’est enfin le portrait d’une femme d’exception, combattante acharnée pour la vie, résistante féroce à la mort et survivante d’une triple peine délirante infligée par le nazisme, le stalinisme et la bestialité masculine.

Le voyage de Cilka d’Heather Morris (Charleston, 2021), France Loisirs.

Martha et Sean perdent leur enfant

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Vanessa Kirby et Shia LaBeouf © Netflix

Dans « Pieces of a Woman », le film canadien de Kornél Mundruczo, nous suivons un couple qui a décidé d’un accouchement à la maison. Le film réussit à traiter le sujet terrible de la perte d’un enfant et à nous émouvoir, sans en faire trop.


Dans le menu de mon application Netflix, j’ai longtemps tourné autour de Pieces of a woman avant de le visionner. Ce film du réalisateur hongrois Kornél Mundruczo est un des plus regardés sur la plateforme en ce moment. Il montre la descente aux enfers d’un couple qui perd son enfant à la naissance. Sujet ô combien vertigineux et périlleux!

C’est l’histoire du réalisateur et de son épouse. Terrassés par la douleur, ils se sont longtemps murés dans le silence « jusqu’à ne plus pouvoir le supporter ». L’épouse du réalisateur a d’abord exorcisé son drame à travers l’écriture d’une pièce de théâtre. Elle a servi de base à Mundruczo pour son film. « Avec Pieces of a woman c’est un peu comme si je disais: « voici ce que je suis », a-t-il déclaré. Je ne regrette pas d’avoir surmonté mon émotivité, car Pieces of a woman réussit l’exploit d’à la fois maîtriser le pathos et s’y de laisser subtilement aller. 

Un futur père débordant d’enthousiasme et une compagne un peu absente

Vanessa Kirby (Margaret dans « The crown », saison 4 chroniquée ici) et la star hollywoodienne Shia LaBeouf campent à merveille un couple bourgeoise/bad boy dont on s’aperçoit depuis le début qu’ils sont déjà dans deux univers parallèles. Elle est cadre, lui chef de chantier, mais surtout (le film débute à la fin de la grossesse) la future mère semble un peu absente, comme coupée de sa grossesse, alors que le futur père fait preuve d’un enthousiasme débordant. Ils habitent la très WASP ville de Boston, qui pendant tout le film nous semble fort grise, noyée sous une pluie que l’on imagine glaciale et qui transperce les os du spectateur. Cette atmosphère évoque Manchester by the sea, un autre film traitant de la mort et d’un corps qui reste longtemps sans sépulture.

Pieces of a woman oscille entre le réel et la distanciation de celui-ci nécessaire pour le rendre supportable. La terrible scène de l’accouchement est esthétisée – nous ne sommes pas dans une télé réalité – avec des ralentis ou des plans fixes sur le visage de la parturiente perdue dans sa souffrance. Elle n’arrive ni à se raccrocher à son conjoint, ni à la sage femme qui sera bientôt sur le banc des accusés. 

Des symboles un peu lourds ?

Martha n’arrive pas à prendre possession de cette naissance qui va lui échapper pour toujours. C’est certainement pour cette raison qu’elle désire dans un premier temps léguer le corps de son bébé – qui n’aura vécu que quelques minutes – à la science. Il faut que ce bébé n’existe jamais.

D’aucuns affirmeront que le réalisateur use et abuse de clichés symboliques ayant trait à la naissance, à la vie, à l’éclosion. Par exemple, celle qui n’est pas devenue mère fera germer des graines dans du coton ou se nourrira de pommes… Mais « il vaut mieux partir du cliché que d’y arriver » disait Orson Welles, chose que le grand Flaubert savait aussi. 

Le délitement du couple sera ensuite rapide. Elle est murée, il est seul dans sa douleur qui déborde. La fin est symbolisée dans un rapport sexuel maladroit. Sean essaie de pénétrer sa femme à travers son pantalon, qu’elle refuse de retirer. Le personnage principal veut faire cavalier seul dans cette épreuve. Ni sa mère, matriarche hystérique qui demande réparation en attaquant la sage femme, ni son conjoint réduit en miettes ne réussissent à la retenir dans une forme de vie. Pendant ce temps, les journées d’hiver défilent, toujours aussi glaciales et grises. 

Un procès libérateur

C’est le procès qui redonnera cependant un peu de vie à Martha. En racontant les faits, en se remémorant son chemin de croix, elle se souvient des photos argentiques que son conjoint a prises du bébé avant qu’il ne meure. Ce visage qui lui apparaîtra enfin sur la pellicule la délivrera. Et elle pourra finalement répandre les cendres du nourrisson dans le fleuve. À Ushuaïa, au bout du monde, on dit qu’il faut jeter ses chagrins dans la mer…

Malgré quelques clichés, comme évoqué plus haut, ce drame sur la perte tragique d’un enfant à la naissance demeure délicat: chacun fait comme il peut.

Il existe un compte Instagram « Mort-né mais né quand même » où les parents postent des photos de leurs bébés. Voyeurisme morbide ? Peut-être, peut-être pas. Qui sommes-nous pour juger, comme on dit familièrement.

En 1973, Nadine Trintignant, qui aura vécu deux tragédies (elle a perdu un enfant à l’âge d’un an), réalisa « Ça n’arrive qu’aux autres » avec Deneuve et Mastroianni. À la différence de « Pieces of a woman » le chagrin y soude le couple et lui permet de s’y enfermer avant de prendre la route. Dans le dernier plan du film, on les voit même danser au son du « Temps des cerises ». De son côté, « Pieces of a woman » se clôture sur une rêverie. Une petite fille, dans une campagne verte et aveuglée par le soleil, (enfin) court et grimpe aux arbres. Comme si la vie finissait toujours par l’emporter. 

Burt Lancaster, le nageur éclipsé

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Burt Lancaster et Janet Landgard, The Swimmer "Le Plongeon" (1968), drame de Frank Perry © RONALDGRANT/MARY EVANS/SIPA Numéro de reportage : 51424882_000003.

Le billet du vaurien


S’il y a un film dont je me souviens plan par plan, c’est The Swimmer de Frank Perry, le film le plus givré du cinéma américain qui fit un flop en 1968, lorsqu’il sortit sur les écrans américains. Il est alors à l’opposé de l’esprit du temps: sombre et glacial, comme ce nageur, magnifiquement interprété par Burt Lancaster, qui aspire à retrouver sa maison et le fil de sa vie en allant de piscines en piscines.

Tout lui sourit lorsqu’il s’invite en maillot de bain bleu au barbecue donné par d’anciens amis. Personne ne sait d’où il vient, ni où il va. Le spectateur pressent qu’il va à sa perte, mais il n’en mesure pas l’ampleur. À l’image de nos existences. Même l’entrée dans une piscine municipale lui sera bientôt interdite: il se métamorphose alors en looser absolu que son ex-femme rejette. De piscine en piscine, son charme et son pouvoir de séduction s’éteignent jusqu’à la catastrophe finale, celle qui nous attend tous, nous renvoyant à la solitude de notre propre condition, celle que nous avons toujours voulu écarter. Nous sommes nus et l’heure de fermeture a sonné dans les piscines de notre enfance. Quoique nous ayons entrepris, à la fin nous aurons tout perdu. Tout.

A lire aussi: À Topor, la jeunesse reconnaissante

L’heure de la fermeture a sonné

On comprend que Burt Lancaster, incarnation du rêve américain et symbole d’une virilité à toute épreuve, ait été de plus en plus mal à l’aise au cours du tournage au point d’exiger que certaines séquences, notamment celle avec son ex-femme (elle l’était dans la réalité ), soient tournées par Sidney Polack. Ce sera pire encore. Une malédiction plane sur ce film, comme sur Burt Lancaster. Frank Perry qui n’a que trente-cinq ans et déjà le chef d’œuvre David et Lisa à son actif, meurt d’un cancer. Il faudra près de cinquante ans pour que The Swimmer sorte de la clandestinité et qu’il devienne le symbole de nos désastres intimes. Nous l’évoquons souvent lors de nos dîners au Lausanne-Palace en compagnie d’Éric Vartzbed, d’Ivan Farron et d’Isaac Pante. Nous ne serions pas surpris de voir surgir Burt Lancaster en maillot bleu dur. Il s’installerait à notre table et nous confierait : «Moi non plus je n’ai pas compris le sens de ce scénario totalement tordu. Rassurez-moi: la vie ne ressemble quand même pas à cette descente aux enfers ?» Nous nous regarderions, interloqués. «À quoi d’autre peut-elle ressembler ?», aurais-je demandé.

Mais Burt Lancaster s’est déjà éclipsé.

The Swimmer

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Étampes: la participation polémique du maire à une marche blanche

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Une grossière erreur?


Le maire d’Étampes Franck Marlin a mis les moyens de sa mairie au service de l’organisation d’une marche blanche[tooltips content= »Le 17 janvier 2021″](1)[/tooltips] demandée par une famille qui venait de perdre deux de ses membres: deux frères, Samir et Nordine, au lourd passé judiciaire, notamment pour trafic de drogue, qui avaient pris l’autoroute à contresens pour échapper à un contrôle de gendarmerie et dont le véhicule avait heurté un camion, au chauffeur heureusement indemne.

Premier mouvement: l’indignation devant une telle initiative apparemment choquante:

Deuxième phase: le maire vient courageusement donner ses justifications sur cette même chaîne dans l’émission de Pascal Praud et l’un des chroniqueurs, Jean-Claude Dassier, ne mâche pas ses mots et lui dit vertement ce qu’il pense de lui qui a osé favoriser une marche blanche à l’égard de tels personnages.

Le maire invoque l’amitié qu’il avait pour cette famille, qu’il n’était pas juge, qu’en quelque sorte la mort effaçait tout et que la concorde municipale devait prévaloir. Pour se défendre de tout clientélisme dans une ville à la forte communauté musulmane, il souligne qu’il s’agissait de son dernier mandat.

Je ne suis pas convaincu mais je voudrais placer le débat sur un autre terrain.

Si j’avais mauvais esprit, je ferais allusion à la condamnation de ce maire LR en 1997 et au fait que Mediapart l’accusait, en 2020, d’avoir mis en place un système mafieux. Il est vrai qu’en 1999 il avait aussi suscité une polémique en voulant supprimer les aides pour les familles avec des enfants condamnés.

Au-delà de ces considérations qui pourraient nourrir la suspicion, il me plaît davantage de mettre en évidence la grossière erreur du maire confondant l’amitié avec son devoir municipal. Comme ami, il pouvait se rendre évidemment aux obsèques privées de cette famille mais il n’avait pas à accéder à la demande d’une marche blanche et surtout, d’une certaine manière, à la financer et à la faciliter.

Le maire, en acceptant ce qui aurait dû relever de la seule sphère familiale, avec la douleur compréhensible de ceux qui étaient privés de Samir et Nordine, oubliait son rôle et l’image qu’il avait à donner, se trompant radicalement de registre. Deux délinquants échappant à un contrôle de gendarmerie et qui auraient pu aussi engendrer le pire pour les autres n’avaient pas, avec l’aval officiel, à bénéficier d’une telle consécration.

Le message adressé à la communauté d’Etampes était délétère : le maire validait des comportements antisociaux, légitimait des passés infiniment imparfaits et octroyait un honneur à une famille quand deux de ses membres ne l’auraient clairement pas mérité de leur vivant.

Comme il y a les deux corps du roi, Franck Marlin aurait dû réfléchir à l’obligation de respecter les deux corps du maire.

Il a tout simplement fait fi de ses devoirs.

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Inceste: une société française plus friande de têtes que de solutions

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Camille Kouchner publie « La Familia grande » au Seuil © NIVIERE/SIPA Numéro de reportage : 00697840_000002

Le témoignage de Camille Kouchner accusant d’inceste Olivier Duhamel ne finit pas de faire des victimes collatérales, alors qu’elles n’ont rien à voir avec les acteurs de la Familia grande.


Après Alain Finkielkraut perdant son poste de chroniqueur sur LCI, c’est Le Monde qui à son tour censure un dessin de Xavier Gorce jugé politiquement incorrect. La directrice de rédaction s’est ainsi fendue d’une lettre d’excuse dégoulinante de mièvrerie et de ridicule, s’excusant tour à tour auprès des personnes victimes d’inceste et des personnes transgenres, affirmant partager leurs valeurs et défendre leur cause et le prouvant en condamnant un dessin de presse satirique. De cette lettre, il vaut mieux rire que pleurer tant elle témoigne d’une vision pervertie du métier de journaliste. Il n’y a plus information, quête de vérité, examen des faits, débats et argumentation, non il faut montrer ici que l’on est dans le bon camp, du côté des victimes, inconditionnellement et sans distance.

Le problème c’est qu’en empêchant toute discussion sur ces questions (…) on risque de laisser le terrain à des personnes qui se moquent bien des victimes d’inceste et de violences sexuelles, mais qui instrumentalisent ces questions pour en faire le procès de l’élite, présentée comme sexuellement corrompue ou d’un occident pervers et détraqué…

Or les personnes ici sanctionnées ne sont pas soupçonnées d’actes criminels, de complicité ou d’avoir couvert par leur silence ces mêmes actes, elles ont condamné la pédophilie et l’inceste et n’ont posé d’autres actes que de commenter un fait d’actualité ou d’ironiser dessus. Peut-être maladroitement aux yeux de certains, peut-être utilement aux yeux d’autres, toujours est-il qu’elles ont dû pour cette seule cause affronter une tumultueuse tempête. Comme si l’opprobre qui touche Olivier Duhamel se transmettant à ceux qui l’ont côtoyé, embauché, fréquenté, il fallait mettre en scène le fait que bien qu’en haut de la pyramide, on n’appartient pas au petit monde décrit par Camille Kouchner, où l’omerta fait le lit des violences familiales. Alors pour montrer sa pureté, on désigne l’autre comme coupable s’il ne parait pas assez indigné ; pour prouver sa bonne foi, à la moindre tension, on sacrifie celui qui dérange ou qui interroge. Faire assaut de puritanisme et d’intransigeance devient alors un réflexe protecteur. Sauf que la course à la pureté idéologique et à la moraline est un piège destructeur: il vous installe dans une spirale de l’excuse et de l’autoflagellation sans fin où vous êtes sommés de vous coucher devant l’émotion alors même qu’un travail de journaliste et d’intellectuel est de prendre de la distance et qu’un travail de dessinateur est de porter le feutre dans la plaie y compris au risque du mauvais goût.

Une indignation à géométrie variable, selon les époques

Mais surtout cette réaction est d’une profonde inefficacité. Elle occulte la question du rapport au corps et les effets de la revendication d’une liberté sexuelle totale qui eût des échos politiques. Il suffit de lire ce qu’a pu écrire Libération à une époque sur la sexualité entre enfants et adultes pour comprendre que la pédophilie a pu être présentée comme une forme de liberté accordée aux enfants, la contestation de préjugés réactionnaires, le refus d’une société bourgeoise. Le corps devient la propriété de l’être, libre d’en faire ce qu’il veut, y compris de le prostituer, de le louer. Cette position n’a pas disparu et c’est au nom de la liberté dont on est en droit d’user à l’égard de son propre corps que certains défendent la prostitution ou la reconnaissance des mères porteuses. Certes le soutien à la pédophilie est restée marginale, mais dans certains milieux, il a infusé et l’entre-deux qu’est l’adolescence a pu devenir une zone grise. Ce que raconte La familia grande, c’est aussi le rassemblement d’happy fews, puissants et dominants chacun dans leur domaine, à qui le succès donne le sentiment d’appartenir à une espèce différente. La précocité sexuelle est vue comme une preuve de supériorité et les repères petits à petits s’effacent. La réaction d’aujourd’hui contraste avec ce que s’est passé en 2012 entre Daniel Cohn-Bendit et François Bayrou. Ce dernier dénonce des écrits de l’écologiste parus en 1975 dans un livre, Le Grand bazar, comme des déclarations faites à cette occasion et renouvelées en 1982 dans une émission d’Apostrophe datée du 23 avril : « Vous savez que la sexualité d’un gosse, c’est absolument fantastique. Faut être honnête, sérieux. Moi j’ai travaillé avec des gosses qui avaient entre quatre et six ans. Quand une petite fille commence à vous déshabiller, c’est fantastique parce que c’est un jeu érotico-maniaque. » Certes Daniel Cohn-Bendit a assuré avoir voulu faire son malin et épater le bourgeois. Il n’en reste pas moins que celui qui a fini étrillé par la gauche et par la droite à cette occasion a été François Bayrou et que toute la classe politique s’est empressé de refermer le couvercle sur la question de la pédophilie. À l’époque cette dénonciation n’intéressait personne.

Le refus de prendre en compte ces réalités difficiles et les ambiguïtés sur la sexualité enfantine expliquent sans doute l’explosion du #incestemetoo que l’on constate sur les réseaux. Il est troublant de voir à quel point les déviances sexuelles sont répandues et à quel point elles peuvent être tues. Il est sans nul doute urgent d’y répondre. Mais ce n’est pas en sombrant dans le puritanisme hypocrite que l’on sauvera un seul enfant. Au contraire, ce sont dans les sociétés où la sexualité est la plus refoulée et le moralisme le plus affiché, que les violences sexuelles sont les plus nombreuses.

Les questions d’Alain Finkielkraut ne sont pas à balayer d’un revers de main

La vie n’est pas morale et il vaut mieux donner aux enfants et aux adultes des armes psychologiques et intellectuelles pour se défendre que de sombrer dans la censure pour préserver des gens en grande souffrance. Une personne victime de ce type de violence est souvent écorché vif, tout la blesse, la meurtrit, l’agresse et l’envahit. Que des personnes victimes d’inceste aient mal réagi au dessin se comprend, mais le rôle du journal était d’assumer et de rappeler que l’humour peut être grinçant, de mauvais goût, dérangeant et que c’est très bien ainsi. Surtout, ce ne sont pas des dessins ou des prises de parole qui font souffrir ces personnes, c’est l’écho que cela réveille dans leur chair et leur mémoire. C’est souvent l’impossibilité d’obtenir justice et réparation qui font qu’elles ne supportent rien qui touche à ces sujets.

Censurer Xavier Gorce n’a pas réparé ou amoindri la souffrance d’une seule victime et cela donne l’impression que toute liberté de parole sur ces sujets-là fait de vous un complice. C’est aussi ce qui est arrivé à Alain Finkielkraut. Alors que les questions qu’il posait ne sont pas à balayer d’un revers de main. La question du consentement et de l’âge est examinée en cas de viol ou de pédophilie (l’inceste est différent), par exemple. Rappelez-vous du scandale qu’a créé en le refus de qualifier de viol en 2017 la relation sexuelle d’un adulte avec une enfant de 11 ans car le Parquet de Pontoise l’avait jugé consentante ? Or si entre l’adulte et l’enfant, l’inégalité crée l’emprise et qu’il ne peut pas y avoir consentement (ce que je crois personnellement), cela ne devrait-il pas se traduire en droit ? Le débat est en cours mais n’a pas été tranché en droit. Dans le cas d’un procès tout est examiné, l’âge qu’avaient les protagonistes au moment des faits devra être établie, la question du consentement sera posée, les pourquoi du silence et les raisons qui amènent à le briser… C’est cette rigueur dans l’établissement des faits qui participera aussi de la qualité du jugement et de l’instruction. Cela n’ôte rien à la victime mais est très douloureux et violent pour elle néanmoins. Et pourtant cela doit être fait.

Ne pas verser dans l’indignation véhémente vous rend suspect

Sauf qu’aujourd’hui cela devient impossible. Vouloir être factuel est vu comme une marque de violence et d’indifférence, voire comme une façon de cautionner des actes immondes. Ne pas verser dans l’indignation véhémente non seulement vous rend suspect mais laisse entendre que vous participez à la protection des coupables. Du coup les individus et les institutions en rajoutent dans la condamnation et pensent que se transformer en procureur devient le moyen d’attester de leur innocence et de leur pureté. Faire simplement son travail et tenter d’opérer les distinctions nécessaires mettent aujourd’hui en danger. En faire des tonnes dans l’excuse et aller jusqu’à sacrifier des personnes qui n’ont rien fait et ne peuvent être soupçonnées de cautionner des pratiques criminelles, devient une mesure de protection personnelle, qui vous renforce momentanément ou vous permet de conserver votre poste. Il s’agit ici de jeter des proies innocentes à des personnes qui font métier d’indignation et souvent parlent par-dessus la tête des victimes, pour préserver son pouvoir et sa réputation.

Cela parle-t-il seulement de la lâcheté des dirigeants ou de la violence d’une société, tellement plus friande de têtes que de solutions, que ceux qui sont au sommet doivent jeter régulièrement des têtes au bas de la pyramide, pour se maintenir en haut. C’est malsain, mais il n’est pas sûr que les dirigeants aient le choix. Poser un acte de courage aujourd’hui vous sort plus souvent du jeu qu’il ne vous offre une image churchillienne. Il faut donc des convictions chevillées au corps pour être courageux. Et il se trouve que quand vous êtes dirigeant vous avez aussi le souci de la pérennité de l’institution que vous dirigez.

Parler d’institution en parlant du Monde reste cependant très exagéré. Le Monde n’est plus un journal de référence mais un simple journal d’opinion, qui se vend mal, il n’est plus que l’ombre de lui-même, dans sa dérive vers le militantantisme racialiste et islamo-gauchiste, il s’ancre aujourd’hui au comptoir de la moraline. Il est donc là pour délivrer des brevets de « bons » et de « méchants » sur tous les sujets. Il donne à sa clientèle ce qu’elle attend. Il fait donc son travail. Ce n’est juste plus un travail de journalisme, mais de militantisme. Il faudrait juste que la direction l’assume. 

Le procès de l’élite de l’Occident

Il se trouve aussi que quand la voie du procès est barrée alors que sur des questions comme l’inceste, la parole des victimes est très longue à se libérer, de fait on empêche la justice de passer. Logique que la vengeance prenne alors le dessus. Quand elle s’abat sur un coupable, que celui-ci l’admet implicitement, je reconnais que cela ne me touche pas. Ce qui arrive à Olivier Duhamel me paraît légitime. C’est peut-être un tort, mais c’est ainsi. Le procès étant rendu impossible, ne reste plus que l’opprobre. Cela entraîne aussi un transfert de la réparation sur le terrain de la morale, qui finit par s’en prendre à la liberté d’expression au nom de la souffrance des victimes. Or cela ne résout rien. On nie par exemple la zone grise de la sexualité. Pourtant un adolescent ou une adolescente qui s’éveille à la sexualité a souvent un désir de séduction, particulièrement envers l’adulte. Ce fantasme est très fort et se traduit par des attitudes ambigües, voire provocantes. Il vaut mieux que cela se sache et soit reconnu. Ce désir est légitime chez l’adolescent, il parle de son inexpérience, de ses pulsions et de ses découvertes tâtonnantes. En revanche un adulte doit savoir que l’enfant ou l’adolescent n’a pas le discernement pour comprendre ce qui arrive à son corps, pour être au clair avec ses désirs. Profiter de ce temps de confusion est mal et l’adulte doit s’empêcher. La volupté de l’emprise n’a rien à voir avec l’amour et tout avec la domination. Pour cela il faut oser avoir des débats et accepter d’aborder de front tous ces problèmes.

Le problème c’est qu’en empêchant toute discussion sur ces questions et toute expression sur ces phénomènes autres qu’en mode dénonciation (et au vu des deux têtes qui viennent de tomber, je souhaite bien du courage à ceux qui sont sollicités sur ces thèmes) on risque de laisser le terrain à des personnes qui se moquent bien des victimes d’inceste et de violences sexuelles, mais qui instrumentalisent ces questions pour en faire le procès de l’élite, présentée comme sexuellement corrompue ou d’un occident pervers et détraqué. Au risque que la législation n’évolue pas, et que nul ne se penche sur la difficulté à recueillir la parole des victimes ou sur la question des peines. Se donner bonne conscience et finalement ne rien changer au réel, si c’était cela le piège de l’indignation ?

Proportionnelle, calendrier électoral: la pandémie, meilleure alliée de l’exécutif

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Jean-Louis Debré et Jean Castex lors de la remise du rapport sur la tenue des prochaines élections départementales et régionales, novembre 2020 © ERIC TSCHAEN-POOL/SIPA Numéro de reportage : 00990984_000005

Incontrôlable et incontrôlée, pour des raisons diverses et variées, dont certaines sont directement liées à une mauvaise anticipation de l’État français, la pandémie est devenue la meilleure alliée de l’exécutif.


Elle lui permet de ne pas tenir ses engagements électoraux, à l’image de l’abandon de la réforme du mode de scrutin aux élections législatives, ou d’envisager le plus sérieusement du monde un nouveau report des élections départementales et régionales…

« Je crains que si jamais la décision de reporter après la présidentielle, les élections départementales et régionales, [était prise], vous ne puissiez pas endiguer une autre pandémie, qui est la pandémie politique. Vous serez suspectés de tout ! Vous serez vilipendés ! Et cela aboutira à quoi ? À plus d’abstention », a déclaré Jean-Louis Debré lors de son audition au Sénat du 13 janvier 2021. L’influent président du Conseil constitutionnel manifestait ainsi son anxiété face aux velléités liberticides d’une part grandissante de l’exécutif, suivi en cela par une majorité au garde à vous, peut-être désireuse de ne pas affronter l’épreuve électorale après la déculottée que furent les dernières élections municipales.

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La République En Marche est en grande difficulté lors des élections intermédiaires, hors les élections européennes qui sont moins sujettes aux équilibres précaires de la politique locale. La plupart des sondeurs annoncent d’ailleurs une claque pour le parti présidentiel aux prochaines élections régionales et départementales, qui devraient accorder des « primes aux sortants » et peut-être conforter la progression des Verts et l’enracinement du Rassemblement national. Alors que tout semblait au vert pour que ces deux rendez-vous électoraux soient décalés au mois de juin, des voix dissidentes et des esprits chagrins se font jour dans la majorité. La pandémie « ne permettrait » pas la tenue d’élections.

La démocratie confinée?

Veulent-ils mettre notre démocratie sous cloche comme ils l’ont fait pour notre vie sociale et notre vie économique ? On pourrait le penser tant les mesures les plus illogiques et incompréhensibles se succèdent à un rythme effréné. La bêtise de nos dirigeants est aussi contagieuse que ces variants anglais et brésiliens qu’on ne sait pas retenir là où ils sont apparus. On ne ferme pas les frontières avec le Brésil ou l’Afrique-du-Sud, comme le réclament même les plus à gauche des médecins et des élus depuis déjà plusieurs semaines – le député Sébastien Nadot l’avaient ainsi fait sur Twitter avant de se raviser -, et comme le comprendraient les voyageurs, mais on envisage le plus sérieusement du monde de reporter aux calendes grecques les deux dernières élections avant l’élection présidentielle.

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Réagissant à l’abandon de l’introduction d’une « dose de proportionnelle » aux élections législatives, ainsi qu’Emmanuel Macron l’avait promis en 2017 pour s’attirer les faveurs de François Bayrou, Marlène Schiappa déclarait sans rire à la télévision : « l’épidémie de coronavirus nous a fait nous raviser et nous empêche ». Quel rapport ? La question de la proportionnelle semblait pourtant faire consensus dans la population, permettant à la France d’enfin sortir d’une situation totalement anachronique, restant la seule démocratie occidentale ayant un parlement national aussi peu représentatif des électeurs. Mais non, le coronavirus est passé par là.

Castaner satisfait

Et si ce diable de Christophe Castaner avait, lui, la réponse ? L’ancien ministre de l’Intérieur s’est en effet ouvertement réjoui, déclarant que cela permettrait d’éviter « l’arrivée de 100 députés du Rassemblement national ». La pandémie ne serait donc pas la véritable raison derrière ces reports envisagés et ces promesses non tenues ? Peut-être faudrait-il creuser du côté de la tactique politicienne ? Le résultat de ces basses manœuvres est malheureusement que les « conspirationnistes » trouveront encore du grain à moudre. Le moment historique que nous vivons devrait pourtant inviter le pouvoir à la plus grande retenue.

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Renaud Camus: « La liberté d’expression dans la France de 2020 n’est pas menacée: elle n’existe pas »

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Renaud Camus. © Renaud Camus

L’auteur du Grand Remplacement et de tweets cinglants est poursuivi pour injure raciale par des associatifs qui n’ont jamais lu ses livres. Selon lui, s’il est proscrit, c’est pour voir et dire que le changement démographique détruit la culture et la civilisation des Européens d’Europe. Entretien (2/2)


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Causeur. Au-delà de votre cas, et de vos ennuis judiciaires, la liberté d’expression est menacée par les censeurs en tout genre et encadrée par des lois protégeant les réclamations mémorielles des diverses communautés. On peut trouver cela insupportable, mais fallait-il laisser les négationnistes répandre l’idée que la Shoah était une invention des juifs ?

Bien sûr que non, il ne le fallait pas. Il ne le faut pas. Mais ce n’est pas la compétence de la loi. Je suis hostile à toutes les lois mémorielles, estimant qu’une vérité, si rigoureuse soit-elle, n’est plus tout à fait une vérité s’il est interdit de la contester, quitte à se ridiculiser ou se déshonorer ce faisant. La liberté d’expression dans la France de 2020 n’est absolument pas menacée : la liberté d’expression dans la France de 2020 n’existe pas. Nous vivons sous le régime du négationnisme de masse, puisque le phénomène de loin le plus important de notre société, à savoir le changement de peuple et de civilisation, le génocide à l’homme, la destruction des Européens d’Europe par submersion migratoire, y fait l’objet d’un tabou absolu. Cette occultation est si radicale que c’est le réel lui-même, la réalité du réel, qui est ébranlé, mis hors la loi ; et que nous vivons dans ce que je nomme le faussel, le faux réel, le règne du faux – un monde imaginaire, aussi imaginaire que les habits neufs de l’empereur, sur lesquels tout le monde s’extasie. Il faut noter à cet égard que le faux est consubstantiel au remplacisme global, puisque celui-ci est le règne de la substitution, de la copie, du fac-similé, du simili, de la simulation généralisée : l’Âge de l’ersatz, du makeshift, bien repéré dès la fin du xixe siècle par William Morris ; ou si vous préférez du simulacre, pour parler comme Baudrillard.

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Vous exagérez ! Sur la question migratoire, comme sur l’islam, on peut dire beaucoup de choses qui étaient juste imprononçables il y a quelques années. Et par ailleurs, nous avons toujours la même controverse. Vous parlez de phénomènes qui résultent de millions de décisions comme d’entreprises organisées !

Ah, si vous estimez que la liberté d’expression fait de considérables progrès en France, je ne puis que vous envier cette plaisante conviction. Quant à notre controverse, vous m’attribuez la foi en des entreprises organisées, au pluriel, et non pas à une entreprise organisée. C’est assez juste. Je crois en effet en les décisions de milliers d’entreprises organisées, multinationales, fonds de pension, GAFA, tous les instruments, avec les banques, les médias, la publicité, de mécanismes, ou, si vous voulez, d’une machination, au sens littéral et heideggérien du terme, d’un devenir machine, qui les dépasse et les englobe comme elle nous englobe tous, nous broie, et nous dépouille de l’humaine condition.

Pour Charlie Hebdo et les caricatures, notre pays ne défend-il pas une position courageuse et singulière dans notre monde globalisé ?

Charlie Hebdo n’est en rien hostile au remplacisme global, il est bien normal qu’il fasse l’objet des attentions du pouvoir remplaciste. Remplacisme et islamisme ne sont pas une seule et même force. Ce sont deux totalitarismes rivaux : provisoirement alliés, certes, mais fondamentalement rivaux, comme le nazisme et le communisme au temps du pacte germano-soviétique.

Cher Renaud, vous ne pouvez pas avoir une unique grille de lecture de tout : remplaciste ou pas ! Charlie Hebdo s’oppose à l’islamisation et au rétablissement du blasphème, ce n’est pas rien !

Ah, si, là, désolé, j’ai une unique grille de lecture de tout, et ça c’est une théorie, contrairement au Grand Remplacement. Je crois au remplacisme global, qui reconnaît en le remplacement le geste fondamental et universel des sociétés post-post-industrielles. Je crois même au remplacisme global davocratique, c’est-à-dire à la gestion managériale du parc humain par « Davos », terme par lequel je désigne, d’après le nom de son congrès annuel en Suisse, de son Nuremberg helvétique, la conception purement économiste, financière et numérique, et matriculaire du monde. On dirait aussi bien la gouvernance par les nombres, pour parler comme Olivier Rey, Alain Supiot, Jean Vioulac ou Johann Chapoutot.

Le remplacement affecte aussi bien les hommes que les peuples, les corps que les âmes, les matières que les produits, les objets que les sols

Pour vous, le remplacisme est un phénomène global. Mais vous lui cherchez des coupables alors qu’il agit sur les cerveaux. Si on le considère comme une idéologie plus que comme une entreprise, il prospère sur la débâcle de l’esprit voltairien.

Ce n’est pas seulement notre esprit voltairien qui est menacé par le remplacisme : c’est l’esprit en général, ce sont les forces de l’esprit, et c’est l’humanité de l’homme. C’est l’espèce, c’est sa présence sur la Terre, c’est la Terre elle-même. Le remplacement affecte aussi bien les hommes que les peuples, les corps que les âmes, les matières que les produits, les objets que les sols. L’artificialisation est un autre de ses noms. Mais enfin, pour s’en tenir précisément à votre question, il est certain qu’une représentation du Mahomet de Voltaire ne semble pas tout à fait à l’ordre du jour, et qu’une statue de ce grand homme a déjà été mise au placard, significativement.

Pardon, mais dans cette acception fort large, le remplacisme n’est-il pas l’autre nom du Progrès qui, avant d’être une machine à éradiquer la pensée livre, a été le fruit des belles inventions de l’esprit humain ? Galilée a remplacé tous les défenseurs de la Terre plate. L’alternative au remplacisme, c’est l’immobilisme…

Oh, tous les remplacements ne sont pas mauvais. Quand on n’a plus de cœur, j’imagine qu’on est bien content de trouver un cœur artificiel, ou celui d’un autre. D’ailleurs, ce n’est presque jamais le mal qui triomphe du bien, mais un autre bien de qualité inférieure, une imitation de bien, et qui a pour lui les médias, dont je ne sais s’ils sont une des branches de la publicité, ou l’inverse. Le so-called  « politiquement correct » n’est rien d’autre que la recette industrielle de la MHI, du Nutella humain, du nutelhom. L’alternative au remplacisme n’est pas l’immobilisme, c’est l’âme, c’est la durée, c’est l’inscription dans le temps, la voix des morts, l’autre rive, la transmission, la culture, la création.

Le concept central de ma réflexion est celui d’in-nocence, de non-nocence, de non-nuisancede non-violence

On vous accuse d’avoir inspiré le tueur de Christchurch. Cela vous attriste-t-il ?

Cela m’attriste, certes, mais cela m’indigne bien davantage encore. C’est la preuve absolue que ceux qui formulent cette accusation, et que d’ailleurs je poursuis en justice en la personne de Mme Marlène Schiappa, la ministre, n’ont jamais lu une ligne de moi et n’ont pas la moindre idée de mes écrits et de mes vues. Le concept central de ma réflexion est celui d’in-nocence, de non-nocence, de non-nuisance, de non-violence : vous pensez comme j’ai pu inspirer le tueur de Christchurch ! L’expression « Grand Remplacement », sans doute parce que, hélas, elle est juste, est aujourd’hui répandue dans le monde entier. On apprenait cette semaine même qu’Emmanuel Macron, figure paradigmatique du remplacisme global et de la davocratie, l’employait couramment. Le tueur de Christchurch l’a rencontrée pendant son séjour en Europe, ou peut-être avant. Elle lui a semblé juste parce qu’elle l’est. Il n’a pas poussé plus loin ses investigations, il est probable qu’il ne connaît même pas mon nom, qu’il ne cite nulle part, et il est certain qu’il n’a jamais lu une ligne de moi, serait-ce seulement parce que Le Grand Remplacement, le livre, n’est pas traduit en anglais. Il y a d’ailleurs une preuve éclatante qu’il ne m’a pas lu, ou que, si par miracle il m’avait lu, il n’est pas influencé par moi, c’est qu’il a procédé à un massacre. Il a écrit une brochure nommée « The Great Replacement », qu’il avait sur lui au moment de son crime, et que Mme Schiappa confond avec mon livre. J’ai eu la curiosité de jeter un coup d’œil à cette plaquette, et il y est fort visible que les vues de ce monsieur sont fort éloignées des miennes. Par exemple, il est un très ardent nataliste. Le « tweet banquise » prouve suffisamment que je ne le suis pas et, si je ne le suis pas, ce n’est pas seulement pour l’Afrique, mais pour l’Europe aussi bien, la Terre, la Terre entière, la pauvre Terre en son ensemble, qui n’en peut plus de l’homme.

Emmanuel Macron au Forum économique mondial, Davos, 24 janvier 2018. © Fabrice Coffrini/AFP
Emmanuel Macron au Forum économique mondial, Davos, 24 janvier 2018. © Fabrice Coffrini/AFP

Dernière question pour ceux qui ne vous connaissent pas. Parmi votre importante production, quel livre conseilleriez-vous en priorité à un néophyte ? Duquel êtes-vous le plus fier d’un point de vue littéraire ?

Pour donner un tel conseil, encore faudrait-il que je connusse le néophyte en question, sa formation, ses curiosités, ses goûts. Mais s’il ne craignait pas d’aborder le massif par une face un peu abrupte, je lui désignerais sans doute Du Sens, qui est en quelque sorte, pour la réflexion politique et… comment dirais-je… « philosophique », avec beaucoup de guillemets, mon « laboratoire central ».

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Quant au livre dont je serais le plus fier, non, je n’y songe pas en ces termes-là. En revanche, il y a dans mon abondante production des ouvrages avec lesquels j’ai de meilleurs rapports qu’avec d’autres, sans doute parce que j’ai l’impression d’y avoir dit à peu près ce que je voulais dire, et comme je voulais le dire. Je m’entends par exemple assez bien avec Éloge du paraître, avec Vie du chien Horla, ou bien avec Vaisseaux brûlés, l’hypertexte, sans doute parce qu’il s’agit d’un chantier si vaste et si complexe qu’on y trouve tout et son contraire : toutes les orientations, toutes les ombres, toutes les lumières – something for everyone.