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Génération identitaire victime de la dissolution de BarakaCity

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Le projet visant à interdire Génération identitaire en donne fortement l’impression.


Il y a de cela quelques semaines, Gérald Darmanin annonçait sur Twitter la dissolution de l’ONG islamiste Baraka City. Immédiatement, sur le même réseau social, où, sur l’air des victimes (paroles de Camélia Jordana, fanfare du FLN), la plupart des jeunes prennent la défense des djihadistes après chaque attentat, tout ce que la France compte de racisés s’était indigné et avait exigé la dissolution parallèle de Génération Identitaire. Les figures de l’islamo-gauchisme avaient fait de même. Pas entendues sur le moment, elles ne désarmèrent pas. Le 4 janvier, dans Regards, revue progressiste ultra, elles y allaient carrément d’une tribune afin que « la haine » du « groupuscule d’extrême droite » soit enfin admise par les pouvoirs publics et entraîne sa chute. 

Dans cette philippique, l’exagération voisinait avec le pur mensonge. Aubry, Autain, Thomas Portes et les autres écrivaient que les membres de Génération Identitaire se prêtaient à des « actions violentes, racistes et xénophobes ». Ils précisaient que « pas un mois ne s’écoule sans que ces nervis identitaires mènent des actions de terreur à travers le pays (sic) ». De quelles « actions » parlaient-ils ? Des ratonnades ? Des viols collectifs de femmes noires et arabes dans des fermes vendéennes ? Des décapitations de musulmans ? Des tueries au FAMAS dans des concerts de raï ? Non ! Il s’agissait du déploiement d’une banderole, de l’occupation du toit de la CAF de Bobigny, du « saccage » du siège d’SOS Méditerranée à Marseille. Dans l’esprit des auteurs de ce texte fort mal écrit, l’emploi du mot « terreur » visait bien sûr à amalgamer Génération Identitaire à l’islamisme politique radical – n’hésitez pas à ajouter une épithète, ça ne coûte rien –, à mettre sur le même plan – et même un peu devant, en fait – l’agit-prop d’un mouvement patriotique et les incessants massacres perpétrés, sur notre sol, par des islamistes. Pour justifier cette odieuse comparaison, nos Durutti des beaux quartiers versaient même dans une manipulation digne des heures les plus sombres de l’Union soviétique : « En octobre, en Avignon, c’est un homme portant un blouson de Génération Identitaire qui a braqué et menacé un chef d’entreprise avant d’être abattu par la police ». On se souvient que ce jour-là, déjà sur les réseaux sociaux, les mêmes fanatiques du vivrensemble s’étaient précipités sur ce détail ; ah ! avaient-ils claironné, on vous l’avait bien dit qu’à force d’humilier les musulmans, de gifler leur sensibilité, à force d’oser mêler l’islam aux crimes commis par des loups solitaires ou des déséquilibrés, vous alliez réveiller LABÊTIMONDE. Sauf que, apprit-on rapidement, le trentenaire qui avait erré en Avignon, arme à la main, était un ancien militant du PCF, qu’il avait fait dix séjours en HP, qu’il était inconnu au bataillon chez Génération Identitaire, et que le blouson en question, n’importe qui pouvait – et peut sans doute encore – en acheter un sur Internet. La suite de la diatribe était du même tonneau. En conclusion, ces contempteurs de l’identité française révélaient le véritable motif de leur appel à Darmanin : « Nous sommes extrêmement préoccupés par la décision rendue par la cour d’appel de Grenoble qui a prononcé une relaxe suite à l’occupation du col de l’échelle (sic) ». Au printemps 2018, en effet, des membres de Génération Identitaire avait fort pacifiquement manifesté, au sommet du col en question, contre l’invasion migratoire, sous les huées des médias qui les avaient présentés comme des nazis. C’est d’abord ce verdict qui avait poussé nos maquisards du XIe arrondissement à aligner des mots dans un texte si mal fichu que même Geoffroy de Lagasnerie – le Michel Foucault de Rennes-II – en aurait honte. Malgré le soutien de la magistrature, acquise à la cause antiraciste et à l’intersectionnalité, le droit n’avait pas permis de condamner les « nervis ». Après avoir lu ce torchon, je m’étais dit – j’ai des témoins – que Darmanin ne tarderait pas à céder afin d’envoyer un « signal » à la gauche qui, depuis deux siècles, dans ce pays dont elle déteste tant le peuple, oriente tous les « débats », est l’arbitre des élégances, domine le champ des idées comme la Mannschaft dominait autrefois les Bleus – Schumacher, on te retrouvera. 

Eh bien voilà, ça y est, nous y sommes. Après avoir répété, dans les Pyrénées, sa placide opération des Alpes, Génération Identitaire est à nouveau accablé par « les Amis du Désastre » (Renaud Camus). Et cette fois, Darmanin a pris les choses en main. « J’ai demandé aux services du ministère de l’Intérieur de réunir les éléments qui permettraient de proposer la dissolution de Génération Identitaire », a-t-il twitté. En français, cela veut dire que des fonctionnaires – et des contractuels en plus grand nombre – zélés sont en train de fouiller les CV, les comptes, les draps, les chiottes de tous les membres de l’association. « Il n’est pas de grand homme pour son valet de chambre », écrit Goethe ; il est certain qu’en sondant de la sorte, les équipes du ministre de l’Intérieur trouveront ce qu’elles cherchent ; nos juges rouges-verts pourront ainsi, enfin, condamner ce « groupuscule » qui les fait tant cauchemarder, pèse tant sur leur conscience, qu’ils ont très mauvaise, comme tout gauchiste qui se respecte. 

Quand on est patriote, on a le droit d’être en désaccord avec les actions menées par Génération Identitaire. On a aussi et surtout le devoir de se regarder dans une glace et de se demander ce que l’on fait concrètement pour contrarier l’effondrement accéléré de la civilisation française. Génération Identitaire, avec qui je n’ai aucun lien, dont je ne connais aucun des membres, se bouge, permet à de jeunes gens de se retrouver au milieu des décombres sous le poids desquels, isolés, promis à l’amertume par un système qui vise justement à nous briser moralement, nous croulons.  Et il n’hésite pas, ce mouvement, à occuper cette rue dont la gauche se croit propriétaire. Même s’il commet peut-être des erreurs stratégiques ou de communication – qui n’en commet pas ? –, il contribue au réarmement moral et intellectuel de la jeunesse française contre les puissances qui désirent la liquider. Son programme est, il me semble, plein de bon sens : il affirme que la France appartient d’abord aux Français. Ceux qui pensent que cette revendication est raciste n’iraient jamais contester que l’Algérie appartient aux Algériens, le Bénin, aux Béninois, la Thaïlande, aux Thaïlandais. 
Macron vient de lancer un « débat » sur l’identité nationale. Nul doute que ce dernier aussi ridicule que celui qui avait accompagné les dernières semaines du mouvement des Gilets jaunes. C’était en effet pitié que tous ces élus des territoires qui râlaient parce qu’ils n’avaient pas qui une médiathèque, qui une rocade, qui une dotation suffisante pour mieux nourrir le clientélisme sans lequel ces notables républicains resteraient dans l’ombre à laquelle leur médiocrité les destine. Quel « débat » sérieux est possible quand le pouvoir progressiste en choisit à la fois le cadre, les termes et les participants ? La dernière fois que nous eûmes droit à un raout de ce genre, sous Sarkozy, nous gagnâmes un musée de l’Immigration… De celui-là sortira peut-être un musée Adama Traoré.

L'incident

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Ironie interdite


Professeurs, Xavier Gorce, Alain Finkielkraut… Dans un monde cerné par la mal-nommée cancel culture, il devient périlleux de sortir en oubliant les guillemets.


L’ironie est le fait de dire le contraire de ce que l’on pense de façon à ce que l’on comprenne que l’on pense le contraire de ce que l’on dit. « C’est du joli ! » disait ma mère à chacune de mes frasques — et je comprenais globalement qu’elle n’appréciait pas outre mesure. J’avais peut-être quatre ou cinq ans, et ce n’était pas extraordinaire, dans ma génération, de comprendre le second degré à cet âge.

Changement de ton. Des adultes désormais sont infichus d’avoir de l’humour — ou d’en saisir le sel. La condamnation de Xavier Gorce par le Monde en fournit une preuve éclatante. «  Ce dessin peut en effet, écrit Caroline Monnot, directrice de la rédaction,  être lu comme une relativisation de la gravité des faits d’inceste, en des termes déplacés vis-à-vis des victimes et des personnes transgenres. Le Monde tient à s’excuser de cette erreur auprès des lectrices et lecteurs qui ont pu en être choqués. Nous tenons également à rappeler notre engagement, illustré par de nombreux articles ces derniers mois, pour une meilleure prise en compte, par la société et par la justice, des actes d’inceste, ainsi qu’en faveur d’une stricte égalité du traitement entre toutes les personnes. » Déjà l’année dernière le New York Times avait décidé de se passer de dessins de presse : l’humour de Chappatte et consorts paraissait trop subtil pour un journal qui désormais flatte la cancel culture — qui n’a par définition rien à voir avec la culture, puisqu’elle l’interdit.

Faut-il y voir une islamisation des esprits ? Je m’explique.

Ceux qui n’appréciaient pas les parodies de George Cukor (« Une étoile est née » — dans le cul de Mahomet) ou de Godard (« Et mes fesses ? Tu les aimes, mes fesses ? » — à propos du même) fournissent-ils désormais les codes de lecture de l’humour ? Les Juifs ne s’indignaient pas en 1986 que Desproges commençât un  sketch en glissant à mi-voix aux spectateurs : « Il paraît que des Juifs se sont glissés dans la salle » — continuant sur ce mode avec une férocité désarmante qui déclenchait des salves de rires dans un public qui n’était pas celui de Dieudonné. Mais ce même numéro, diffusé à des étudiants contemporains à qui je voulais faire saisir les mécanismes du second degré, provoqua récemment des mines inquiètes et des commentaires indignés. Qu’est-ce qui s’est perdu ? Comment Rabbi Jacob, film merveilleux où De Funès s’étonne (« Salomon est juif ! ») et surjoue le rabbin chantant, est-il devenu sinon invisible, du moins irréalisable aujourd’hui ?

Ce qui s’est perdu, c’est la perspective historique. Ce qui avait un sens dans une époque donnée n’a plus le même quand on perd le recul et la connaissance du contexte. Quand on perd le sens de l’humour.

Je suis au bout de ma carrière. Mais je plains les néoprofs d’aujourd’hui, qui devront allumer les guillemets avec les mains (ah, ce geste de, plus en plus fréquent pour signifier qu’on n’adhère pas à ce que l’on articule !) en étudiant le fameux plaidoyer de Montesquieu sur « l’esclavage des nègres ». Déjà, l’usage du mot « nègre » fait frémir d’horreur les consciences contemporaines. Alors quand le philosophe argumente : « Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu’il est presque impossible de les plaindre » et en rajoute une louche : « On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir », comment ne pas s’insurger — sans comprendre que sans Montesquieu et quelques autres, l’esclavage serait toujours d’actualité, comme il l’est dans nombre de pays arabes où l’on a de la plaisanterie un usage fort discret. 

Ou encore, ce passage si célèbre du Candide de Voltaire :

« Là des filles, éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers soupirs… »

Comment ? « Besoins naturels » ? M’sieur, c’est de viols en série qu’il est question ! Quelle ordure, ce Voltaire…

Il suffit de parcourir l’article Wikipedia sur Voltaire pour voir que les soucis contemporains, sur les femmes, les Noirs, les Juifs ou les homosexuels, ont corrodé notre image de l’un des plus grands philosophes des Lumières. Lire la féroce critique de la Bible du Dictionnaire philosophique à la lueur de la Shoah expose à des contresens redoutables, et à voir de l’antisémitisme là où il y avait de l’anti-jésuitisme. Mais qu’importe aux censeurs modernes qui du haut de leur nanisme intellectuel s’arrogent le droit de condamner tout ce qui ne pense pas comme eux…

Encore que « penser », en ce qui les concerne…

Une phrase décontextualisée suffit à vous faire passer au tribunal médiatique. En fait, décontextualiser revient à recontextualiser — dans un contexte mensonger. Vous ôtez à Voltaire l’ambiance de la Guerre de Sept ans, les atrocités des « Abares » et des « Bulgares », l’effroi de son héros devant la « boucherie héroïque », et vous ne conservez que l’expression de l’ironie qui, hors contexte, paraît une affirmation monstrueuse : « les besoins naturels », et ce glissement suave du viol à la violence et au meurtre.

Ajoutez à cela que le philosophe écrivait pour une poignée de gens cultivés : au XVIIIe siècle, les incultes ne s’occupaient pas à lire ses plaisanteries sérieuses, ni d’ailleurs quoi que ce soit. La généralisation des savoirs élémentaires n’a pas forcément produit une hausse du niveau, les imbéciles sont toujours légion, mais ils ont la possibilité de proférer leurs insanités sur les réseaux sociaux — en s’estimant largement les égaux de Voltaire.

Alain Finkielkraut a récemment fait l’expérience de ce qu’un propos découpé par des salauds malintentionnés peut provoquer auprès des naïfs. 

Nous vivons dans l’instant, persuadés d’être bons juges. Et nous ramenons à l’instant présent des œuvres ou des comportements issus de conditions totalement différentes. Comme si nous appartenions à une culture « incréée », comme le dieu du même nom. Hier, aujourd’hui ou demain sont à même enseigne. Et ce qui fut vrai dans les sables du désert il y a quatorze siècles est réputé vrai aujourd’hui.

Au XVIe siècle, quand on s’occupa de multiplier les signes de ponctuation, un grammairien proposa un « point d’ironie », pour signaler au lecteur qu’il ne fallait pas prendre au premier degré ce qu’il lisait. Mais on ne retint pas la proposition : personne ne pouvait se méprendre sur un trait d’humour, que diable ! 

Mais nous sommes tellement plus intelligents que nous avons besoin, désormais, de signaler d’un geste éloquent des doigts mis en crochets que nous plaisantons. Et que faute d’une gestuelle d’accompagnement, nous croyons que ce que dit l’autre est toujours déplorablement sérieux. Serait-ce que nous sommes devenus sérieusement crétins ?

Les effets des confinements sur la qualité de l’air largement exagérés

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Les confinements ont permis de mener une expérience sans précédent en grandeur réelle. Mesurer l’impact réel des transports sur la pollution atmosphérique dans les villes. Conclusion, si la circulation routière contribue évidemment à répandre des particules fines, du dioxyde d’azote et de l’ozone dans l’atmosphère, c’est dans des proportions bien moindres que l’affirment sans cesse les adversaires des véhicules motorisés. Et parfois, les effets sont marginaux. Ainsi, les proclamations d’une baisse spectaculaire de la pollution atmosphérique au début de l’année 2020 étaient très exagérées. Les graphiques d’Airparif pendant les deux confinements le montrent tout comme une étude récente de chercheurs de l’Université de Birmingham sur 11 grandes villes dans le monde.


Le problème avec le simplisme est qu’il déforme parfois tellement la réalité qu’il ne permet plus de s’attaquer vraiment aux problèmes. Tout au plus de les effleurer. La question de la pollution atmosphérique dans les grandes villes en est un bon exemple.

Tout d’abord, et contrairement à de nombreuses idées reçues, elle a beaucoup baissé au cours des dernières décennies. Ensuite, si la circulation automobile a un impact indéniable, elle n’est pas de loin la seule et principale cause de phénomènes complexes. Les confinements ont été une expérience sans précédent en grandeur réelle qui a permis de le démontrer. Faut-il encore accepter des faits qui ne correspondent pas au discours automatique.

Deux alertes majeures aux particules fines à Paris pendant les deux confinements

Ainsi, l’agglomération parisienne aura connu deux alertes majeures à la pollution aux particules fines pendant le premier et le deuxième confinement. Il y aura eu en tout trois pics de pollution aux particules fines l’an dernier à Paris, dont deux pendant les confinements marqués pourtant par des baisses sensibles de la circulation routière. Le premier le 28 mars, le second les 26 et 27 novembre.

Toujours dans l’agglomération parisienne, si les émissions de dioxyde d’azote semblent elles bien évoluer en corrélation avec le niveau de circulation automobile, il n’en est rien des particules fines qui sont cancérogènes et dont on affirme depuis des années qu’elles proviennent notamment des motorisations diesel. Mais depuis quelques mois, les communications officielles insistent surtout sur les niveaux de dioxyde d’azote. Ce polluant proviendrait à Paris pour 61% de la circulation automobile, selon les chiffres officiels. Et sa quantité dans l’atmosphère parisienne a bien diminué pendant le premier confinement de 28% en mars, 48% en avril et 44% en mai.

Le problème est que si le dioxyde d’azote est nocif pour la santé, il présente…

>>> Lire la suite de l’article sur le site de la revue Transitions& Energies <<<

Berlin débat des quotas d’immigrés dans les emplois publics

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Une proposition de la gauche radicale vise un objectif de 35% de personnes issues de l’immigration dans l’administration


La discrimination positive à l’anglo-saxonne va-t-elle aussi envahir l’Allemagne ? Selon une information du Tagesspiegel[tooltips content= »https://www.tagesspiegel.de/berlin/erster-vorstoss-deutschlandweit-berlin-plant-eine-migrantenquote-von-35-prozent-fuer-die-verwaltung/26822470.html »](1)[/tooltips] reprise dans la presse d’outre-Rhin ces derniers jours, une proposition de loi serait sur le point d’être déposée à la chambre des députés de Berlin par le groupe Die Linke, parti héritier du PDS, idéologiquement proche de La France Insoumise. L’idée centrale : instaurer un quota de personnes « issues de l’immigration » dans la fonction publique berlinoise, avec un objectif de 35% qui correspondrait peu ou prou à la population d’origine étrangère dans ce Land allemand, selon les statistiques publiques [tooltips content= »https://www.govdata.de/daten/-/searchresult/f/licence:http%253A%252F%252Fdcat-ap.de%252Fdef%252Flicenses%252Fcc-by,format:pdf,type:dataset,tags:migrationshintergrund,sourceportal:23d695da-6d4e-497f-b36b-3a388949c729,/s/relevance_desc »](2)[/tooltips] [tooltips content= »https://www.statistik-berlin-brandenburg.de/publikationen/stat_berichte/2017/SB_A01-05-00_2016h02_BE.pdf »](3)[/tooltips]

À l’origine de ce projet, Elke Breitenbach, la très virulente sénatrice berlinoise du Travail, de l’Intégration et des Affaires Sociales, selon laquelle « tous les habitants de cette ville doivent avoir les mêmes opportunités » et qui « n’accepte pas la discrimination structurelle ». Curieuse affirmation pour quelqu’un qui vise justement à instaurer un quota qui, par nature, est très clairement discriminatoire. 

Car selon les premiers éléments du projet de loi, le quota devrait s’appliquer à l’ensemble de l’administration publique et à toutes les entreprises publiques telles que la BSR (propreté) et la BVG (transports publics). Selon des membres du parti Die Linke joints par le Tagesspiegel, le texte viserait à parvenir au quota en donnant la préférence aux personnes d’origine immigrée dans les procédures de sélection et de recrutement avec des qualifications égales si celles-ci sont sous-représentés dans telle ou telle administration.

A lire aussi, du même auteur: Autriche: un leader est né

Mieux : Katarina Niewiedzial, déléguée à l’intégration et l’immigration de la ville de Berlin, affirme sans sourciller que « le terme d’intégration n’est plus d’actualité » (sic). « La société tout entière est façonnée par l’immigration ; je parle donc plus volontiers de Migrationsgesellschaft ». Dans ce fourre-tout idéologique, on case, selon Madame Niewiedzal, « les personnes qui, statistiquement parlant, sont des personnes issues de l’immigration, mais aussi celles qui sont victimes de discrimination raciale et qui selon leurs propres déclarations se voient attribuer une origine migratoire ». C’est fabuleux. 

Même le SPD ne suit pas

Si la proposition de quotas parait ahurissante, elle aura en réalité du mal à passer. Pour preuve, la coalition « rouge-rouge-vert » en place à Berlin depuis 2016, se déchire elle-même sur le sujet.

L’initiative d’Elke Breitenbach est d’ailleurs qualifiée de « grossière » par les sociaux-démocrates du SPD, membres de la coalition. Plusieurs de leurs responsables à Berlin, à commencer par Raed Saleh et Frank Zimmermann, s’en sont assez rapidement distanciés. D’autres se sont fendus d’une déclaration de bonne intention sur la « diversité » tout en rejetant l’idée même de quota, apanage de la gauche radicale et d’une partie des Verts, telle que l’inénarrable Bettina Jarasch, qui a cru bon de ressasser une antienne progressiste selon laquelle « l’image de la société a besoin d’être modernisée ». 

Mais de quoi parle-t-on au juste ? Comme l’a très justement rappelé Henryk Broder, éditorialiste au quotidien Die Welt, « à Berlin, il serait difficile de trouver quelqu’un dont les ancêtres ne seraient pas originaires de Gdansk, Breslau, Brno, Katowice ou de Transylvanie, sans parler des descendants des huguenots qui ont fui à Berlin à la fin du XVIIe siècle. Vers 1700, un berlinois sur quatre était un immigrant français ». [tooltips content= »https://www.welt.de/debatte/kommentare/plus224544714/Warum-die-Migrantenquote-der-Stadt-Berlin-problematisch-ist.html »](4)[/tooltips]

La notion de personne « d’origine immigrée » – les Allemands parlent de « MmM » pour Mensch mit Migrationshintergrund – serait d’ailleurs très difficile à définir. Jusqu’où faut-il remonter ? Une personne qui souhaite être reconnue comme MmM doit-elle être issue d’immigrés tant du côté maternel que paternel, ou bien un seul des deux ? Le débat serait sans fin, sensible, et aberrant. 

Une mesure anticonstitutionnelle?

Plusieurs juristes allemands pointent d’ailleurs l’inconstitutionnalité d’une telle mesure. Elle ne serait en conformité ni avec la Constitution de Berlin de 1995, ni avec la Loi Fondamentale de l’État fédéral, et notamment son article 33§2, qui énonce que « tout Allemand a un accès égal à toutes les fonctions publiques en fonction de ses aptitudes, qualifications et performances professionnelles ».

A lire aussi: Charte de l’islam: nécessaire, mais très loin d’être suffisant

Au demeurant, l’opposition a vivement protesté contre l’initiative législative de Breitenbach. Le chef du groupe parlementaire FDP, Sebastian Czaja, a déclaré au Tagesspiegel: « Ce n’est pas parce que l’objectif est louable que tous les chemins sont justes. Un quota qui est régi par le traitement préférentiel de groupes prédéterminés ne combat toujours que le symptôme, pas la cause »

Même ton chez l’AfD et les chrétiens-démocrates (CDU), dont le responsable local, Kai Wegner, a pesté contre cette « proposition de mauvais goût ».

École: l’habillement généreux d’une démission civilisationnelle

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Je ne connais de signification précise au mot « liberté », écrivait Valéry en 1938, que celle qu’en donnent la dynamique et la théorie des mécanismes ; c’est-à-dire, comme latitude demeurant à un système une fois toutes ses contraintes conformationnelles respectées. C’est dans cette soustraction opérée sur une mobilité qui serait absolue que naît la sensation de liberté, nous dicte-t-il encore : sans gênes, son sentiment n’advient pas. La liberté, pour le dire autrement, réside donc dans un hypostatisme léger, et non dans un hypostatisme total ; si on l’éprouve, c’est parce qu’elle est amputée, et non intacte : la liberté est un reliquat. La vouloir sans entraves, c’est désirer l’impossible ; une liberté non bornée est une idée destructrice d’elle-même, comme celle de néant. La liberté illimitée, cela a néanmoins un nom : cela s’appelle la licence, et c’est l’antithèse de la liberté. La tragédie de notre époque se noue alors là : elle croit qu’il n’y a de liberté que dans la licence ; alors qu’elle n’existe qu’en dehors de celle-ci.

Continuum de la licence et de la tyrannie

La licence, répétons-le encore, n’est pas la liberté ; la licence, c’est une liberté exercée dans l’anomie, une liberté pratiquée dans l’indiscipline et le désordre. C’est une liberté dont on jouit sans conscience, une liberté qu’on fait jouer dans le sens du chaos, et qui n’aboutit qu’à s’annihiler elle-même. « L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté », écrivait Péguy en 1905. « Le désordre fait la servitude ». Il en va ainsi de la licence, c’est-à-dire de la liberté entendue comme allergie à toute espèce d’ordre : elle n’affranchit pas l’individu, elle prépare son assujettissement. Aux contraintes fortifiantes de la liberté, fabriquant les âmes fermes et tendues, elle substitue un sybaritisme dissolvant, qui les fait molles et alanguies. Le continuum ne va donc pas de la liberté à la licence ; il va de la licence à la tyrannie. Dynamite pour discipline intérieure, la licence ne prépare pas des régimes libertaires ; mais, consubstantielle à l’État faible, prédispose au contraire à la dictature. Après tout, si l’on en croit La Boétie, Cyrus n’eut-il pas qu’à établir dans la ville de Sardes « des bordels, des tavernes et des jeux publics », et à rendre obligatoire leur fréquentation, pour s’assurer définitivement des Lydiens ?

D’une liberté que rien ne borne, l’homme finit vite par se lasser ; il mesure alors, effrayé, l’état de dislocation produit par sa pratique démissionnaire, quand elle est généralisée à l’échelle d’une société. Mais qu’est-ce qui pourrait bien sauver un édifice public dont chacun, pour paraphraser Nietzsche, a cessé d’être pierre ? La tyrannie elle-même ne saurait directement remédier à ce ferment centrifuge qui est d’abord intérieur. Son idée, toutefois, finit par s’imposer, comme pis-aller nécessaire devant le spectacle, révoltant pour l’esprit, d’une incurie publique de tous les instants. Qui, d’ailleurs, serait en état de s’opposer à son instauration ? Non, la dictature est le lot d’une société ayant collectivement décidé de démissionner, comme le prix à payer pour son douloureux dégrisement.

La toute-puissance originelle du poncif

La grande illusion de la liberté, chez l’homme, c’est qu’on la croit innée et naturelle, première et originelle ; alors qu’elle n’advient jamais qu’au terme d’un apprentissage. La liberté, en effet, ne consiste pas à n’avoir aucun maître ; elle consiste à être à soi-même son maître[1]. Et même chez un anarchiste tel que Bakounine, on n’y trouvera pas la liberté décrite comme un fruit vers lequel l’individu n’aurait qu’à tendre la main pour s’en saisir. Au contraire, professait-il, la liberté requiert une éducation, et ce n’est qu’à mesure qu’elle progresse que la figure extérieure d’autorité cesse graduellement d’être nécessaire, et devient dispensable. « Une immolation progressive de l’autorité au profit de la liberté » : telle est la définition qu’il donne d’une éducation rationnelle, dans Dieu et l’État.

Notre premier élan, contrairement à ce que nous aimerions croire, ne va pas à l’original, mais au cliché ; de même que nous n’avons pas l’instinct de la liberté, mais celui de la licence. Ce qui règne d’abord tyranniquement en nous, ce n’est donc pas l’inusité, le jamais-vu ou l’inouï ; c’est, à rebours, le lieu commun. Appelés à décrire une tour ancienne, combien, à cet égard, fût-elle de couleur claire, ne manqueraient pas, à l’instar de l’écolier d’Alain, d’en signaler les inévitables « pierres noircies par le temps », que la toute-puissance du poncif leur fait voir alors même qu’elles sont à l’évidence absentes ? La pensée singulière d’un enfant n’est pas une source claire n’attendant qu’un coup de pioche pour jaillir ; c’est un liquide trouble contenant beaucoup de truismes et peu d’idées en propre, qu’il faut chauffer et porter à ébullition longtemps pour en extraire à froid quelques gouttes de distillat.

Programmatique de la page blanche et pupillarité éternelle

Las, une telle vérité n’est pas à l’ordre du jour ! La modernité éducative, à rebours du réalisme des siècles passés, qui voyait dans l’enfant l’élément humain le plus faible – c’est-à-dire celui auquel il fallait tout donner, celui qui devait tout recevoir -, feint de n’avoir plus affaire en la matière qu’à des surhommes, capables de tout tirer de leur fonds. L’écolier n’est plus un pupille vis-à-vis duquel l’adulte exerce un magistère ; c’est un génie qu’il importe avant tout de laisser à son œuvre, pour n’en pas falsifier l’accouchement. L’assimilation des trésors du passé, dès lors, ne lui est plus une addition nécessaire et féconde ; mais un fardeau malvenu et stérile, un appesantissement même nuisible, propre à en détourner les Muses, et à en bouleverser l’homéostasie intérieure. L’instruction ne se présente plus alors que sous un seul visage : celui de la toujours possible aliénation.

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Bakounine ressuscité, plaidant pour le maître, aurait ainsi aujourd’hui des allures de conservateur, sinon de réactionnaire. Il est vrai aussi, pour lui, que la férule des premiers jours avait toutefois une contrepartie : c’est que cette autorité ne s’éternise pas ; c’est que cette tutelle finisse effectivement par s’abolir. Sinon, dénonçait-il, l’École ne sera jamais que le nouveau nom de l’Église, et le peuple demeuré troupeau aura seulement changé de tondeurs. Ô, pensée d’un autre âge ! Cela fait bien des années que l’institution a abandonné ce vieux projet émancipateur : fabriquer des citoyens adultes, aptes à penser par eux-mêmes, chez lesquels l’esprit de responsabilité aura été développé à part égale de celui de liberté, est une mode qui a passé. Nous en sommes désormais revenus au régime éprouvé que le philosophe russe connaissait : celui de l’éternelle minorité, dans lequel l’adulte ne l’est jamais qu’à titre sursitaire, et se voit d’ailleurs quotidiennement traité comme s’il ne l’était pas.

Le risque démocratique est-il encore admissible?

C’est qu’entre-temps, le totalitarisme nazi a eu lieu, et que nos sociétés occidentales demeurent sous l’émotion des horreurs qu’il a produites. Or, cette dimension d’abord charnelle qu’ont conservé pour nous ces événements historiques a réactivé, pour tout ce qui touche à cette période, des logiques de pur et d’impur. Qu’une chose, quelle qu’elle soit, ait un point de contact avec le nazisme, sa vérité se résume alors à cette intersection, son Être devient indissociable de l’horreur génocidaire ; la penser « innocemment » cesse d’être possible, son premier visage est désormais – toujours – celui de sa parenté avec le Mal[2].

Aussi, parmi les irréparables dégâts causés par l’hitlérisme, faut-il encore compter ceux liés aux mots et aux idées dont il a pour longtemps vicié l’emploi, par son compagnonnage radioactif ; et d’abord, à la démocratie comme confiance placée sans réserves dans l’instruction, et dans l’homme ordinaire qui en a bénéficié. A cette foi, en effet, le nazisme a fait rétrospectivement se succéder l’effroi ; or, la démocratie ne va de soi qu’en régime de banalité du bien. Si, au contraire, la loi véritable est celle de la banalité du mal, une société peut-elle encore prendre le risque de la démocratie ? A des adultes intellectuellement émancipés, mais toujours susceptibles de replonger dans l’ignominie, ne vaut-il pas mieux alors préférer le maintien des individus dans une certaine minorité de l’esprit, qui les rendra plus perméables aux clichés ? C’est, à bien des égards, le choix que me paraît avoir opéré l’époque, dans sa substitution de colos vaguement érudites aux anciens cloîtres consacrés au seul culte du savoir.

L’adulte à l’école de l’enfant

Dans cette philosophie nouvelle, l’école n’est plus pensée comme un sas, entre la famille et le monde, entre l’enfance et la majorité, où l’élève est soustrait au Dehors et arraché à lui-même ; au contraire, cette étanchéité, cet hermétisme, cette extraction même, quintessencient ce qu’on entend détruire. L’école, précisément, doit devenir l’espace rieur où le petit d’homme n’a jamais à se quitter, et peut demeurer en permanence dans la fidélité à lui-même ; perméable aux parents (c’est-à-dire à la famille) comme aux enjeux idéologiques du moment (c’est-à-dire au tumulte du monde) ; ouvert sur le jeu (c’est-à-dire sur l’enfance) comme sur l’univers de l’entreprise (c’est-à-dire sur l’âge adulte). Son objet n’est plus l’expérience de la coupure et de la séparation, la distanciation d’avec son Moi ; mais le métissage des extérieurs, et l’arraisonnement à soi.

L’école, alors, de lieu clos, se fait continuum ; et la frontière entre l’adulte et l’enfant se brouille. On n’est plus très sûr de savoir qui doit faire la leçon à qui. Le maître surplombe-t-il vraiment l’élève ? N’ont-ils pas réciproquement beaucoup à s’apprendre ? Dans les matières nouvelles désignées comme vitales par l’école réformée, n’est-ce pas plutôt aux adultes de ressortir leurs cahiers, et à leurs enfants de faire cours[3] ? Certes, ils n’ont qu’une vague idée de l’orthographe et de la syntaxe, et leur vocabulaire ne dépasse pas 300 mots ; mais ne maîtrisent-ils pas le tri sélectif ? N’ont-ils pas déjà appris à déconstruire maints préjugés de genre et de race ?

Le refus du dressage est un refus paradoxal de la liberté

La France, nous a-t-on rapporté récemment avec les résultats de l’enquête TIMSS 2019, dévisse en matières scientifiques au primaire et au collège ; et de nombreux médias – jusqu’au Monde ! – ont cru devoir s’alarmer de voir nos élèves de 4ème n’exhiber plus, en mathématiques, que le niveau alors arboré, en 1995, par leurs homologues de 5ème. Cet effroi général m’a, je l’avoue, bien surpris. Parmi toutes ces voix – et il y en avait de progressistes – , nulle en effet n’a énoncé cette évidence qui aurait pourtant rasséréné chacun : savoir, qu’il y a belle lurette que de tels tests ne sont plus adaptés aux enseignements dispensés par notre école ; et que toutes ces enquêtes ne sont jamais configurées que pour des systèmes d’instruction antédiluviens, où l’on croit encore que connaître ses tables de multiplication est utile au citoyen. Non, interrogeons nos enfants sur les notions que notre école fait travailler, cuisinons-les sur le développement durable, les vertus du métissage, et nous les verrons à nouveau truster les premières places de ces classements iniques.

« Parmi les victimes de la liberté [l’emploi du mot « licence » eût été ici plus juste], les formes, et dans tous les sens du terme, le style. Tout ce qui exige un dressage, des observances d’abord inexplicables, des reprises infinies ; tout ce qui mène par contrainte d’une liberté de refuser l’obstacle à la liberté supérieure de le franchir », consignait encore Valéry. Or, précisément, quels sont les enseignements les plus rigoureusement astreints à l’observance stricte des formes, sinon l’orthographe et la syntaxe, en matière « littéraire », et les mathématiques, en matière scientifique ? Notre école moderne est toute entière fondée sur le refus du dressage, comme maltraitance insupportable perpétrée à l’égard du Moi de l’enfant ; mais comment s’étonner, alors, que la chute du niveau scolaire trouve d’abord à s’illustrer par des prestations minables en ces domaines ? Le paradoxe, en effet, c’est qu’il faut être arraché à soi pour s’y voir ensuite rendu ; mais comment faire entendre une telle vérité ?

L’abstention généreuse

Le malheur de notre époque, c’est que les demi-habiles ont pris le pouvoir, et que tous leurs efforts pour paver des paradis n’aboutissent chaque fois qu’à des enfers, en matière éducative comme en matière de « vivre-ensemble » d’ailleurs. Le motif est systématiquement le même : il consiste à croire en l’existence d’un Autre, avec une majuscule – l’Enfant, mais aussi l’Étranger –, formant avec ses semblables un univers autonome, vis-à-vis duquel, par égard même, nous devons nous abstenir de toute ingérence, pour ne pas leur inoculer notre poison.

Dans l’adulte, dans le natif occidental, gît en effet quelque chose de contagieux, une corruption d’où le mal est sorti[4] et dont la communauté autogestionnaire de l’Autre doit être préservée, si on n’en veut pas vicier irrémédiablement la pureté et l’harmonie. Aussi, par humanitarisme même, faut-il demeurer au seuil de ces mondes, pour ne pas provoquer leur fatale dénaturation. Ce qu’on eût autrefois rangé dans la catégorie des démissions et des lâchetés devient alors l’incarnation même du cœur et du souci généreux. Être altruiste désormais, ce n’est plus s’investir, c’est s’abstenir. Renoncer à avoir pour autrui une exigence – c’est-à-dire une ambition – ne marque plus le désintérêt, ou la désaffection ; mais témoigne au contraire de l’amour qu’on lui porte.

La neutralité devient alors l’horizon indépassable : et vis-à-vis de l’enfant, vis-à-vis de l’étranger, il ne s’agit plus d’être un parent ou un pays singuliers, mais un parent quelconque, et un pays quelconque, ayant le degré d’abstraction et de généralité mobilisé pour les démonstrations mathématiques. La préservation de la virginité ontologique de l’Autre est à ce prix. Il nous faut devenir page blanche, pour l’enfant, et terre vierge, pour l’étranger. L’adulte et le natif ne sont plus des figures à imiter, des référents culturels avec lesquels coïncider un jour, pour le nouveau-né et le nouveau-venu ; à bien des égards au contraire, ces modèles viciés ne constituent plus que leur passé – eux, sont l’avenir  –.

Le refus de la continuité du monde

Arendt écrivait : « avec la conception et la naissance, les parents n’ont pas seulement donné la vie à leurs enfants ; ils les ont en même temps introduits dans un monde. En les éduquant, ils assument la responsabilité de la vie et du développement de l’enfant, mais aussi celle de la continuité du monde […] [Car] ce monde aussi a besoin d’une protection qui l’empêche d’être dévasté et détruit par la vague des nouveaux venus qui déferle sur lui à chaque nouvelle génération. »

Mais aimons-nous encore assez notre monde pour en vouloir assurer la continuité ? Y sommes-nous encore assez attachés pour refuser le contractualisme culturel qu’on nous propose, et affirmer qu’à côté de la démocratie des vivants, existe aussi une démocratie des morts, qui nous inscrit une filiation qui n’est pas à choisir, mais qui nous est prescrite ? Avons-nous encore, sur notre propre sol, une civilisation à transmettre et le désir de la voir se perpétuer, ou sommes-nous mûrs pour le multiculturalisme, c’est-à-dire pour la soustraction de la terre à l’Histoire, et la concurrence libre et non faussée des allégeances et des mœurs ?

Chacun, désormais, peut constater les résultats édifiants de 45 années de démission, à l’école et aux frontières. Saurons-nous, pourtant, renoncer à la licence, et assumer le devoir de continuité civilisationnelle qui nous incombe ? Le doute est plus que jamais permis, même si notre pays, à d’autres carrefours de l’Histoire, a su démontrer qu’il avait le sens du sursaut…

[1]Donc, d’abord, à devenir tel.

[2]J’ai à cet égard en mémoire l’interrogation, effarante de stupidité, posée par Ruth Elkrief au candidat Jean-Frédéric Poisson, lors du second débat de la primaire de la droite et du centre : « Jean-Frédéric Poisson, vous, vous voulez un ministère de l’instruction publique, et cette appellation elle date de 1828, elle a même été reprise sous Vichy. Est-ce que c’est la nostalgie qui fera avancer le jeune en 2017 ? » Fermez le ban ! Que Vichy ait pu appeler ainsi un ministère suffisait à disqualifier toute entreprise consistant à définir si l’État doit avoir part à l’éducation des enfants, ou à leur seule instruction – belle question dont on pourrait d’ailleurs dire que la modernité l’a résolue en établissant que l’État doit intervenir toujours davantage dans l’éducation de l’enfant, et toujours moins dans son instruction.

[3]A cet égard, on connaissait depuis longtemps le fameux conseil prodigué par la vieille femme au Zarathoustra de Nietzsche, dans son commerce avec le sexe opposé. Mais l’on ignorait encore, jusqu’à l’avènement de l’inénarrable Greta, sa transposition au monde des adultes. Une version actualisée par notre prophétesse adolescente n’est pas encore prévue, mais je propose déjà : « Tu vas chez les adultes ? N’oublie pas le fouet ! »

[4]Nazi bien sûr ; mais encore colonial, esclavagiste, et aujourd’hui, faustien, anti-écologique.

La traductrice française de Charles Manson


Longtemps exception féminine dans le monde du journalisme rock, Laurence Romance fait connaître en France les figures mythiques et sulfureuses de l’histoire de cette révolution
culturelle, dont ce musicien raté des sixties, devenu célèbre pour avoir orchestré le meurtre de Sharon Tate et d’autres, Charles Manson. Portrait.


Laurence Romance me reçoit dans sa chambre, « d’enfant de la forêt » comme elle se plaît à qualifier son antre, version féminine du repaire du Des Esseintes de Huysmans : ambiance gothique et plafond étoilé qui rappelle sa féminité de petit lutin rock’n’roll. Morticia Addams meets Suzi Quatro. Cette enfant du rock apporte sa fraîcheur au sein du milieu très masculin du journalisme musical, peut-être même l’a-t-elle bouleversé.

Charles Manson, ungrateful dead

Le prétexte de notre rencontre, c’est l’ouvrage qu’elle a traduit, Charles Manson par lui-même, publié par les éditions Séguier en mai 2019 pour le cinquantième anniversaire du terrifiant imbroglio qui fit exploser l’Amérique du « Summer of Love ». Ce sont des entretiens que le mythe le plus sulfureux et diabolique engendré par l’Amérique a accordés en prison.

Dans sa bibliothèque, on croise Huysmans, mais aussi Léon Bloy ou Villiers de L’Isle-Adam et son Ève future…

Dans cet ultime témoignage et témoignage ultime, Manson se raconte sans filtre, de son enfance fracassée à la nuit sanglante où Sharon Tate, parmi d’autres sacrifiés, perdit deux vies : la sienne et celle de son bébé. Derrière ses aveux qu’il arrange forcément à sa sauce, c’est une histoire de l’Amérique qui se dessine, de la vie sordide des oubliés du rêve américain à la flamboyance hollywoodienne qui lui parut pendant un temps accessible. Cette rencontre de deux mondes, comme un précipité chimique qui finit en tragédie barbare, est très bien analysée par Simon Liberati dans California Girls. Ce drame, écrit-il dans la préface, est « le fruit d’une mauvaise alchimie, la rencontre d’un musicien intelligent et rêveur au cœur plein de rancune et de l’été de l’amour qui amena des jeunes filles bien élevées à abandonner leurs vies bourgeoises et à le suivre sur des sentiers qui ne menaient nulle part dans cette Californie encore pleine de sortilèges du vieil Hollywood et du diabolisme indien ». Les sortilèges maléfiques de Manson – que Dennis Wilson, beau gosse et batteur des Beach Boys, qualifiait de « sorcier » (wizard) – ont aspergé de soufre et de sang le nouvel Hollywood des hippies.

Laurence Romance, 2020 © Photo: Hannah Assouline
Laurence Romance, 2020 © Photo: Hannah Assouline

Après des années de prison, notamment pour proxénétisme, Manson débarque en Californie, passant sans transition du monde corseté des fifties au monde débridé des sixties, qu’il devine fait pour lui. Il organise une communauté de gamines en perdition vite soumises à son talent pour la tchatche et le sexe. D’après ceux qui l’ont approché, ce petit bonhomme de 1,54 mètre est manipulateur, séducteur, charismatique au point de charmer les musiciens les plus en vue de l’époque, dont Dennis Wilson.

Charlie a une obsession : devenir musicien. Ayant infiltré le sérail de Los Angeles, il croit que son heure est venue, mais, incarcéré pendant des années, il a raté la décennie qui a bouleversé le rock’n’roll. Les jeunes ne vibrent plus au son d’Elvis, mais des Doors ou de Grateful Dead. Encore une fois, il est laissé pour compte. Et comme le chante Neil Young dans Revolution Blues, « he can’t take rejection » (« il ne supporte pas d’être rejeté »).

C’est sans doute se venger des puissants d’Hollywood que le diablotin aux yeux déments a envoyé sa « family », les filles « engouroutées » et droguées, perpétrer un des crimes les plus macabres du xxe siècle. La machine à fantasmes a accouché de nombreuses hypothèses. On a dit qu’il était à la solde de la CIA, payé pour détruire le mouvement hippie, que la tuerie n’avait été qu’un banal règlement de comptes pour une affaire de drogue ou encore qu’il voulait libérer Bobby Beausoleil, emprisonné quelques mois plus tôt pour le meurtre d’un professeur de musique.

Finalement, peu importe. « Puisque rien n’est vrai tout est permis », proclamaient les Magiciens du Chaos, des disciples d’Aleistair Crowley, sorcier sataniste pop. Perdant maléfique qui mit en scène le chaos de la société américaine, Manson aurait pu en faire sa devise.

Si Laurence Romance, qui a réalisé la dernière interview filmée de Kurt Cobain et traduit son journal intime, s’est intéressée à Manson, c’est par fascination pour le mythe, pas pour le personnage. Lorsque celui-ci meurt en 2017, elle découvre que les entretiens parus en 1986 aux États-Unis n’ont pas été traduits en France et se démène pour trouver un éditeur.

Romance vient d’un coin perdu de France, une région de marais à proximité de Saint-Omer dans le Pas-de-Calais, Manson de l’Ohio, en plein Midwest. Deux endroits que l’on qualifierait aujourd’hui de périphériques. Tous les deux sont issus d’un milieu populaire. La comparaison s’arrête là.

Les parents de la future compagne de Nick Kent, légendaire journaliste de rock british, tenaient un café. Elle en a gardé sa gouaille ainsi qu’une certaine connaissance de l’alcoolisme et des bagarres qu’il provoque, qui explique peut-être son goût pour le metal, mouvement musical extrême. Après le lycée qu’elle quitte avant le bac, elle va vivre à Lille où elle enchaîne des petits boulots, d’ouvreuse de cinéma à vendeuse de barbes à papa. Elle connaît ensuite le chemin classique qui mène à la gloire ou pas. Chanteuse dans un groupe lillois, Radio Romance, qui lui inspire son pseudo, elle se lance à la conquête de Paris où, parrainée par l’incontournable Patrick Eudeline, elle devient la madame rock de Libération sous la direction de Bayon. Elle prête aussi sa plume, volontiers acide, à Best, Rock & Folk, aux Inrocks, ainsi qu’à Rolling Stone où elle traite des sujets de société. Laurence aime virevolter, de journaux en journaux, de sujets légers en interviews cultes, de la presse écrite à la télé. Cheveux vermillon et tenues gothiques pop, elle est connue du grand public pour « Rock Express », l’émission qu’elle a présentée sur M6 pendant cinq ans, ce qui lui vaut d’être traitée de vendue par les gardiens du temple.

Mais le rock est loin d’être sa seule vie. Comme beaucoup de protagonistes du dernier âge d’or du rock’n’roll, elle voue un culte aux auteurs fantastiques et gothiques ainsi qu’à la littérature dite décadente de la fin du xixe. Dans sa bibliothèque, on croise Huysmans, mais aussi Léon Bloy ou Villiers de L’Isle-Adam et son Ève future. Sa préférence va cependant à Rémy de Gourmont, obscur bibliothécaire qui déploie dans Sixtine, roman de la vie cérébrale, son idéalisme désenchanté.

Chez Romance, la vitalité l’a emporté sur le désenchantement. Elle se consacre aujourd’hui à la traduction, notamment celle des ouvrages du British de sa vie, Nick Kent, dont elle a fait paraître un recueil d’articles, The Dark Stuff : l’envers du décor, et l’autobiographie, Apathy For the Devil, publiée en France avec le sous-titre Les seventies, voyage au cœur des ténèbres.

Cette « branleuse » comme elle se qualifie, a découvert un peu ébahie via les réseaux sociaux qu’elle était devenue une « passeuse » pour les nouvelles générations. Après s’être plongée pendant des années dans les ténèbres mansoniennes, elle envisage d’écrire son autobiographie.

Charles Manson par lui-même, propos recueillis par Nuel Emmons (trad. Laurence Romance), Séguier, 2019.

Charles Manson par lui-même

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Photo: Hannah Assouline
Photo: Hannah Assouline

Frédéric Rouvillois: l’automne du «Penser printemps»


Pour l’historien et essayiste conservateur, auteur de Liquidation, Emmanuel Macron et le saint-simonisme (Le Cerf, 2020), Emmanuel Macron incarne mieux que personne le monde dans lequel nous vivons: on ne sait pas où on va, mais on avance bien. Dans le sillage du saint-simonisme, notre président, derrière une façade démocratique, met en place une oligarchie d’experts. Entretien


Causeur. Pour vous, Macron est un continuateur du comte de Saint-Simon (1760-1825). Peut-être faut-il rafraîchir la mémoire de quelques lecteurs (et de votre servante). Peut-on dire que les saint-simoniens sont les ancêtres des élites mondialisées ?

Frédéric Rouvillois. En tout cas, ils annoncent certaines de ces élites mondialisées qui réalisent la fusion du libéralisme et du socialisme, plus exactement d’un libéralisme encadré et d’un socialisme inégalitaire. En un sens, le saint-simonisme est une sorte de religion théorisée par Saint-Simon dans son dernier ouvrage, Le Nouveau Christianisme (1825), avec une église et une morale presque droit-de-l’hommiste, qui substitue aux fois anciennes, supposées mensongères, une religion de l’Homme s’émancipant par l’économie de la misère et de l’ignorance, et accédant à l’âge d’or.

Mais le saint-simonisme est avant tout une idéologie de la mobilité, de la fluidité et de la compétition, avec l’idée que chacun doit repartir de zéro pour se lancer dans la compétition à corps perdu, en fonction de ses « capacités ».

La compétition, que ce soit pour les femmes, le pouvoir et l’argent, est l’un des moteurs de l’existence humaine, bien avant l’époque moderne.

Je ne prétends pas que nous devrions vivre comme les moutons d’un troupeau bêlant de concert. Mais pour le saint-simonisme, la vie et l’histoire du monde se résument à cette compétition, l’objectif de chaque individu étant d’être « à sa place » dans la cordée. Le postulat de Saint-Simon, « à chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses œuvres », implique à certains égards une table rase indéfiniment répétée, puisque pour que chacun parte sur la même ligne que tous les autres, il faudrait éliminer non seulement le patrimoine matériel accumulé au sein de chaque famille, mais aussi le patrimoine culturel… Le système éducatif jacobin imaginé par Robespierre préconisait que les enfants soient retirés de leur famille pour qu’ils ne soient pas pervertis, qu’ils grandissent ensemble jusqu’à l’âge adulte pour pouvoir participer de manière égalitaire à la République. Je ne dis pas qu’en prônant l’école à trois ans et la suppression de l’école à la maison, mon collègue Blanquer soit exactement dans la même optique, mais il y a quand même quelque chose de cela.

À lire aussi: Pierre Vermeren: «L’État de droit est en train d’asphyxier la démocratie»

Pourquoi rattacher Emmanuel Macron à Saint-Simon plutôt qu’à Marx ? Marx aussi installe le primat de l’économie après tout.

Et pourquoi rattacher le pape à Jésus-Christ plutôt qu’à saint Paul ? Eh bien, parce que saint Paul est un disciple de Jésus-Christ ! Or, s’agissant de la place de l’économie et de la conception de l’Histoire, Marx est très largement un disciple de Saint-Simon, comme il le reconnaît volontiers. En outre, il y a dans la problématique macronienne du dépassement de la politique par l’économie un évident lien de parenté avec Saint-Simon. Enfin, il y a chez Macron cette dimension libérale indéniable dont vous conviendrez qu’on peut difficilement la rattacher au Manifeste du Parti communiste.

Qualifieriez-vous le macronisme d’utopie ?

À certains égards, oui. Comme le saint-simonisme, il rêve d’une sorte de réconciliation universelle à laquelle on parviendra en dépassant ou en surmontant les différences (entre riches et pauvres, hommes et femmes, etc.). Libérés des conflits, les hommes seront libres d’agir selon leur volonté et de réussir selon leurs talents. Il y aura donc autant d’histoires que d’êtres humains : c’est la fin de l’Histoire.

Ces quelques rappels étant faits, venons-en aux reproches ! À vous lire, on dirait que la seule alternative au monde liquide décrit par Zygmunt Bauman est l’ordre ancien et immuable dans lequel la naissance était déterminante. Si l’histoire n’avait pas opéré de liquidations successives, nous serions encore dans les cavernes.

Ne me caricaturez pas trop ! Évidemment qu’il faut de la souplesse. Récuser la liquidation universelle et permanente, reconnaître le rôle structurant des limites ou des frontières ne signifie pas qu’on veut mettre des limites partout, et à tout. Si la tradition n’est pas en évolution permanente, elle se suicide. Quant au vrai but du conservateur, ce n’est pas de conserver la totalité de ce qui existe, mais de reconnaître qu’il y a dans le passé des choses qui sont bonnes, d’autres qui le sont moins et de faire un tri. Il est contraint à un devoir d’inventaire permanent. De son côté, le saint-simonisme, y compris dans sa version macronienne, valorise le mouvement en tant que tel. Ce qu’il faut c’est être « en marche », changer, être dans le « trans », le passage. Et si l’islam inquiète Macron, c’est moins parce qu’il menace une certaine identité française, que parce qu’il fait obstacle à la société liquide et dépourvue de repères fixes rêvée par Saint-Simon.

En attendant, « à chacun selon ses capacités », c’est la définition de la méritocratie. Vous dénoncez le gouvernement des experts, mais je me rappelle les Gilets jaunes affirmant que n’importe qui est capable de gouverner. Désolée, je ne leur aurais pas confié la boutique ! On ne peut pas se passer d’une forme de légitimité rationnelle.

Je ne nie évidemment pas le rôle des experts, des scientifiques, des universitaires – dont je fais partie. Ce que je reproche à Macron c’est de nous jouer le grand air de la démocratie citoyenne. Les saint-simoniens au moins assumaient leurs idées : ils établissaient clairement une hiérarchie entre ceux qui ne savent rien, et qu’il faut par conséquent écarter du pouvoir, et ceux qui savent, à qui il incombe de diriger à proportion de leur savoir : Cédric Villani président, en somme, en attendant l’intronisation de la prochaine médaille Fields. La méritocratie des experts, c’est l’aristocratie du savoir qui entraîne, chez les saint-simoniens, une oligarchie du pouvoir. En soi, la chose n’est pas forcément négative, je ne me sens pas personnellement une appétence démocratique faramineuse. Ce qui est plus gênant, c’est d’être dans le faux-semblant, de mettre en place cette aristocratie sans l’assumer tout en faisant croire que l’on est toujours dans une perspective parfaitement démocratique ! Notre fameuse convention citoyenne pour le climat s’inscrit dans cette logique : on fait croire que c’est le peuple qui parle, alors que derrière la scène, les experts prennent les décisions, avant que le président ne déclare à Brut, le 4 décembre, que ce n’est pas « parce que les 150 citoyens ont écrit un truc que c’est la Bible, ou le Coran ».

Notre politique sanitaire actuelle – et le sacro-saint principe de précaution sur lequel elle est fondée – renvoie au « corps glorieux » de Saint-Simon.

En effet, les saint-simoniens voulaient réconcilier l’esprit et la matière. C’est ce qu’ils appelaient « la réhabilitation de la chair » : tout un programme !

La religion de l’homme exige que tout soit fait pour que son corps, sa vie matérielle ou physique soient préservés

Ambition louable…

C’est vous qui le dites… En tous cas, cela peut évoluer vers un hygiénisme fanatique. De nombreux médecins entouraient du reste les saint-simoniens, tout comme Macron aujourd’hui. En 1832, lors de l’épidémie de choléra à Paris, ils n’hésitent d’ailleurs pas à préconiser une dictature sanitaire assumée comme telle. La religion de l’homme exige que tout soit fait pour que son corps, sa vie matérielle ou physique soient préservés, « quoi qu’il en coûte », comme dirait qui vous savez… Quand on ne croit plus qu’en l’homme, il faut absolument sauver ça, sinon tout est fichu. Or, comme le montre Olivier Rey dans L’Idolâtrie de la vie, plus l’État donne, plus cela crée de frustrations qui engendrent à leur tour une nouvelle demande, qui entraîne plus d’intervention de l’État et ainsi de suite.

D’une façon générale, vous semblez partir du principe que tout vient d’en haut et vous oubliez la demande sociale qui est à la fois une demande de protection, d’ouverture et de flexibilité. Les gouvernés aussi font du « en même temps ». La doctrine macrono-simonienne n’est-elle pas la plus adaptée à l’individu roi qui veut que ses droits lui soient garantis tout en ayant accès à ce qui se passe à l’autre bout de la planète ?

En effet, si Emmanuel Macron a gagné la présidentielle, ce n’est pas juste parce qu’il était là à ce moment-là, que Hollande avait fait preuve de son incapacité et que Fillon avait les mains sales. Macron correspond tout à fait à notre époque. Le nouveau monde dont il parle, c’est celui qu’on a devant les yeux. Je serais étonné qu’il ne soit pas réélu en 2022, car il est dans le sens de l’Histoire, comme les disciples de Saint-Simon l’étaient au moment de la révolution industrielle. Dans le sens du vent. Mais je doute que ce vent soit toujours bon pour notre pays.

En tout cas, les peuples ne veulent plus de modernisation à marche forcée. Peut-on dire que le saint-simonisme, que vous créditez aussi de plusieurs réalisations, a accompli sa mission historique ?

C’est une question de marxiste ! Effectivement, si l’Europe de Jean Monnet ne me fait pas vibrer, le saint-simonisme a sans doute fait des choses utiles. Pour autant, je ne pense pas qu’il y ait une « mission historique » du saint-simonisme. Ni d’aucune doctrine d’ailleurs !

Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825). © Bridgeman Images/Leemage
Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825). © Bridgeman Images/Leemage

Justement, Emmanuel Macron n’est-il pas plus complexe que ce que vous pensez ? Avant même le tournant de ces derniers mois, il avait une certaine prétention à la verticalité, là où le saint-simonisme consacre le triomphe de l’horizontalité. Bref, on ne peut pas le réduire à l’utilitarisme.

Il l’a montré en choisissant le Louvre pour son premier discours de président. C’était étonnant, et assez séduisant. Il y a chez lui une forme de verticalité, un sens de la culture, même s’il explique « en même temps » que la culture française n’existe pas, un sens du spirituel, même si dans son livre Révolution (2016), il oublie complètement les interrogations religieuses de sa propre jeunesse. Sa seule incursion dans ce domaine consiste à expliquer que les religions sont des obscurantismes allant à l’encontre des Lumières : référence d’ailleurs omniprésente dans son discours, et qui le replace dans une généalogie plus longue.

À lire aussi, Sami Biasoni: La «Grande Réinitialisation»: le monde d’avant en pire

Macron n’a-t-il pas été rattrapé par le réel, c’est-à-dire par l’anthropologie ? Aujourd’hui, il semble comprendre qu’il y a bien une nation et un peuple français, il parle des frontières, il fait son aggiornamento sur l’islamisme. J’ai beaucoup de mal à croire qu’il n’y ait que de la communication, du paraître, dans ce nouveau cours.

Je ne sais pas quelle est la sincérité de son propos, qui a connu sur ce point nombre de sinuosités. À certains moments, il semble habité par l’histoire de France, à d’autres, plus fréquents, il paraît dominé par sa vision européiste, ou bien il évoque la souveraineté de la France tout en croyant d’abord en celle de l’Europe, donnant l’impression de faire des variations autour d’un thème fixe, comme quelqu’un qui ferait des circonvolutions en trottinette sans sortir de la piste cyclable.

Avec le coronavirus et le « séparatisme » islamiste, Emmanuel Macron met en veilleuse certaines de ses convictions

Peut-être, mais l’homme nouveau n’est pas apparu par miracle, il y a toujours des gens attachés à des territoires, des langues et des histoires particulières. Que cela lui plaise ou pas, Macron est capable de le comprendre et d’en tirer les conséquences.

Je ne pense pas que quelques attentats, aussi atroces soient-ils, suffisent à faire basculer aussi radicalement un homme doté depuis si longtemps de cette colonne vertébrale idéologique qu’est le saint-simonisme. Charles Perrault, l’un des premiers grands progressistes de la fin du xviie siècle, compare l’Histoire à un fleuve qui traverse parfois des grottes souterraines pour ressortir plus loin, encore plus puissant. Je ne crois pas que le Macron nouveau, qui parle avec émotion de la France, de son histoire, de sa culture, soit le Macron définitif, ni même le véritable. Avec le coronavirus et le « séparatisme » islamiste, il met en veilleuse certaines de ses convictions – mais dès que les choses iront mieux, on retrouvera le progressiste qui constitue le « Macron profond ».

Yuriy: une indignation à la mesure de notre impuissance?

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Alors que la résolution de l’affaire semble au point mort – pas d’interpellations à cette heure – l’Elysée a apporté son soutien à la malheureuse victime de ce qui ressemble à un règlement de comptes. Pour le magistrat honoraire Philippe Bilger, quand bien même cette affaire est éminemment médiatique, le président a tort de choisir les victimes à choyer. Selon lui, c’est “tout le monde ou personne, Monsieur le président !”


Rien ne donne plus le sentiment de l’inéquité républicaine que des interventions présidentielles partielles, partiales, tactiquement ciblées au lieu d’être globales et sans la moindre arrière-pensée. Le président s’était beaucoup ému auprès de Michel Zecler de ce que celui-ci avait dit avoir subi et dont des traces sur son visage attestaient la réalité. Récemment, à la suite du lynchage dont Yuriy a été victime de la part de dix voyous dans le quartier de Beaugrenelle le 15 janvier, le président s’est à nouveau manifesté en prenant langue avec la mère de ce jeune homme âgé de quinze ans.

Une agression dont nous aurions ignoré l’existence sans la fuite de la vidéo

Il convient de noter que cette agression n’a été rendue publique que grâce aux réseaux sociaux: un compte anonyme a diffusé ces secondes d’une extrême violence. Faut-il s’en féliciter? ou regretter par avance que, connu ou demeuré inconnu, ce scandaleux épisode aboutira ni plus ni moins aux mêmes conséquences : une indignation aussi vive que l’impuissance sera forte ?

A lire ensuite: L’augmentation de l’insécurité dans les campagnes est sensible, malgré les confinements!

Capture d’écran de la vidéo extrêmement violente du lynchage

Yuriy a même été gratifié de soutiens sportifs et médiatiques qui en général allaient plus volontiers vers ceux que la police aurait maltraités[tooltips content= »Le footballeur Antoine Griezmann ou le comédien Omar Sy par exemple NDLR »](1)[/tooltips]. On ne peut que se réjouir de ce changement de cap : les voyous, mineurs ou non, ne sont plus pris pour des victimes! Yuriy se serait trouvé malencontreusement pris dans un affrontement de deux bandes rivales, dont l’une venue de Vanves, à Paris, vers 18 heures 30, sans la moindre crainte d’une quelconque intervention policière.

Une affaire encore entourée d’ombres

Actuellement on ne sait pas trop ce qu’il en est de l’implication ou non de Yuriy dans cette affaire – on nous affirme qu’il s’agit d’un adolescent très calme et tranquille, pourquoi pas? – mais je relève que le président s’est précipité pour consoler sa mère et je note que les amis de Yuriy se réfugient dans le silence. Il n’y a que Raquel Garrido, dont l’idéologie fait d’elle une extralucide, pour tout savoir puisqu’elle dénonce « les charognards d’extrême droite ». La volupté d’accabler en totale ignorance, cela ne se refuse pas !


Le président de la République n’est absolument pas dans son rôle en choisissant ses victimes. S’il considère que son attention et sa compassion doivent ostensiblement être offertes, il me semble que, quitte à se prétendre grand consolateur, Emmanuel Macron doit l’être avec toutes les victimes. C’est tout ou rien. Que pensent actuellement tous les laissés-pour-compte de l’indifférence présidentielle ? Il est trop facile de se donner bonne conscience en téléphonant à une mère, comme si cet épisode affreux ne résultait pas, d’une certaine manière, de la carence d’une politique globale de sécurité dont deux de ses ministres et lui-même sont responsables devant les Français. Je téléphone donc je n’y suis pour rien!

Comme si la parole présidentielle permettait de passer à autre chose

Échec qui se suffit à lui-même, qui n’a pas besoin pour être aggravé de considérations sur les immigrés, les Français d’origine étrangère ou les étrangers. Victimes de notre incurie pénale, ils le sont tous également. Pour les coupables, il conviendra d’en tirer les conséquences. Le président de la République, agissant si confortablement – quelques mots et le tour est joué -, se prive, par les sélections qu’il opère et les discriminations qu’on lui recommande, du constat d’une insupportable réalité. Toutes ces victimes qui chaque jour révèlent une criminalité en hausse, une délinquance violente de la part de bandes de mineurs, si elles étaient prises en compte par la mansuétude présidentielle comme Michel Zecler et Yuriy l’ont été, ne lui permettraient plus ce rôle hypocrite de bon samaritain tardif. Il serait obligé de faire face à cette France du malheur et de la violence : plus de compatir au compte-gouttes!

Ne sélectionnons pas parmi les victimes!

Ces sinistrés de l’insécurité et du laxisme ne surgissent pas de rien mais d’une politique gangrenée par une philosophie pénale sans ressort et un cynisme tactique. Tout pour 2022 mais avec tant de retard !

A lire aussi, du même auteur: Lieuron et Aulnay-sous-Bois: notre laxisme sur le banc des accusés

Monsieur le Président, si vous tenez à tout prix à persuader les Français que vous avez du cœur et que vous les aimez – contrairement à la charge cinglante de Michel Onfray qui vous reproche de n’être proche ni de la France ni des Français – cessez de sélectionner comme un grand seigneur les douleurs qui rapportent mais penchez-vous sur toutes ! Vous nous persuaderez ainsi que votre compassion est sincère, ne fait pas de tri et révèle une authentique sensibilité.

Alors, de grâce, monsieur le président, tout le monde ou personne !

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Le regard d’Elisabeth Lévy

Hier au micro de Sud Radio, Elisabeth Lévy livrait ses premières observations sur l’affaire. Causeur vous propose de retrouver son intervention. Regardez:

Respect des principes de la République: quand parlera-t-on enfin de respect de la France?

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L’assassinat de Samuel Paty semblait avoir offert à Emmanuel Macron un bref moment de lucidité. Force est pourtant de constater que les remèdes proposés par le projet de loi confortant le respect des principes de la République font appel à deux concepts inappropriés et mal compris pour combattre l’islamisme: les valeurs de la République et la laïcité.


Employés à tort et à travers depuis des décennies, ils n’ont jamais empêché l’accroissement de l’islam culturel dans l’espace public ni permis de contenir la poussée de l’islamisme. Le Mouvement Conservateur rappelle dans Le Manifeste du conservatisme que bien que la France soit une République laïque, elle ne s’y réduit pas et constitue aussi un espace culturel et civilisationnel distinct dont la protection et la promotion doivent être le fil rouge de l’action politique.

Il est intéressant de noter que le projet de loi actuellement en discussion à l’Assemblée Nationale met l’accent sur le respect des principes de la République mais ne mentionne jamais le respect de la France. Elle n’y est d’ailleurs citée que six fois, contre 49 fois pour les mots « République » et « républicains ». Or, c’est la France qui est en danger et qui a besoin d’être protégée, la république n’étant qu’un régime politique. Là où on cherche à réaffirmer les valeurs et les principes de la République, c’est plutôt ce qui caractérise la France, ses us et coutumes ainsi que son mode de vie qui devraient être rappelés et confortés. Ils sont d’ailleurs les meilleurs outils dont nous disposons pour lutter efficacement contre l’islamisme : si ce dernier est un projet civilisationnel, alors c’est avec l’affirmation de notre propre civilisation que nous devons mener le combat. La Commission d’enquête du Sénat l’a souligné en juillet dernier : « Les islamistes cherchent à peser sur la vie quotidienne et le rapport aux autres des Français de confession musulmane et des musulmans étrangers résidant en France, pour leur imposer une orthopraxie, des pratiques vestimentaires, alimentaires, rituelles, mais surtout une norme de comportement et de rapports entre les hommes et les femmes, afin de les séparer du reste de la population française. » C’est ainsi que, petit à petit, la société civile est islamisée et que le séparatisme prend forme. Battons-nous donc à armes égales pour que la France soit enfin capable de contrer le développement de l’Islam culturel et ses dérives totalitaires qui cherchent à régenter les modes de vie et qui se développent en marge du djihad terroriste. 

La République s’accommode très bien de régimes islamistes: la République islamiste d’Iran a beau être une théocratie régie par la Charia, elle n’en répond pas moins aux critères d’une république!

À chaque fois que le gouvernement tente de s’atteler à la lourde tâche qu’est la lutte contre l’islamisme, il en appelle aux valeurs de la République et à ses principes. Or, la démarche est bancale et laisse dubitatif. La république n’est stricto sensu qu’un régime politique dans lequel le pouvoir est accordé par le corps social – par opposition au pouvoir héréditaire. La république n’est porteuse d’aucune essence ni d’aucun message normatif, culturel ou civilisationnel ; elle n’est même pas garante de la démocratie ! Elle s’accommode d’ailleurs très bien de régimes islamistes : la République islamiste d’Iran a beau être une théocratie régie par la Charia, elle n’en répond pas moins aux critères d’une république. On a donc du mal à voir en quoi l’affirmation des principes régissant la République, un simple régime politique, serait la réponse appropriée au projet islamiste qui est un projet civilisationnel. Avons-nous déjà vu le Royaume-Uni en appeler aux principes de la monarchie constitutionnelle ou la Suisse aux principes confédéraux pour lutter contre l’islamisme ? Non.

L’appel ad nauseam aux valeurs et aux principes de la République est problématique, car ils peuvent toujours se discuter. L’exemple du voile islamique est éloquent : c’est au nom de la liberté que des femmes s’y opposent ou le portent ! Les valeurs de la République, que personne ne prend le soin de définir, sont toujours relatives et dépendent de l’interprétation subjective que chacun en fait ; elles ne semblent donc pas être les meilleurs outils dont nous disposons pour lutter contre l’islamisme. L’enjeu est ailleurs. Il réside davantage dans l’affirmation de ce que nous sommes et de notre identité. Les us et coutumes de la France, son mode de vie, ses traditions, ce qui la caractérise d’un point de vue anthropologique et civilisationnel sont des données objectives consacrées par l’histoire et qui ne souffrent aucune discussion ou interprétation possible. Cessons de tergiverser sur des valeurs abstraites et ayons le courage d’opposer à nos ennemis qui nous sommes objectivement. D’autant plus que notre héritage, notre culture et notre civilisation sont pétris d’ouverture, de tolérance, d’égalité entre les hommes et les femmes, en tout point opposées au projet politique de l’islamisme. L’enjeu est bel et bien de refuser certaines coutumes venues d’ailleurs qui ne correspondent tout simplement pas au mode de vie français et aux principes qui les inspirent. 

Cette tendance à faire appel à des concepts désincarnés pour lutter contre l’islamisme se retrouve aussi dans le recours à la laïcité, y compris dans le présent projet de loi où elle est rappelée dès l’exposé des motifs. Or, la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État ne visait qu’à protéger le pouvoir politique de l’influence de l’Église. Le principe de laïcité ne permettra pas de lutter contre l’Islam culturel et politique, car la loi de 1905 concerne l’État alors que le totalitarisme islamique exerce une emprise et une influence qui vise la société civile. Convoquer la laïcité, tel un réflexe pavlovien, à chaque fois que l’islamisme se rappelle à nous, est donc insuffisant.

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On en vient finalement à s’interroger : est-il devenu interdit de parler de la France ? Quarante années de gauchisme politique ont rendu tabou tout lien d’enracinement et de rapport charnel des Français avec leur pays, son histoire, ses traditions, et ce qui le caractérise. Parler des valeurs de la République, de ses principes, de la laïcité, sont finalement autant de moyens de tourner autour du pot pour ne pas avoir à parler de ce qui est réellement essentiel : que ce n’est pas la République qui est attaquée, mais la France en tant qu’espace civilisationnel. On en vient aussi à ne plus pouvoir nommer le réel. L’islamisme n’est mentionné que deux fois dans le projet de loi, et toujours dans le cadre plus large des « séparatismes », dont l’emploi du pluriel par souci de non-discrimination relève d’un terrible manque de courage pour nommer l’ennemi.  

C’est une approche conservatrice, celle de la réappropriation et de l’affirmation de notre héritage culturel façonné par notre tradition gréco-romaine et nos racines chrétiennes qui peut relever l’immense défi auquel l’Occident est confronté. C’est une urgence vitale de refuser la soumission au multiculturalisme et à l’immigrationnisme, ces deux dogmes progressistes qui empêchent d’ouvrir les yeux sur une réalité qui crève pourtant les yeux : la protection de la Nation exige la défense des frontières pour mettre fin au chaos migratoire, car la France a le droit de choisir qui elle souhaite accueillir sur son territoire. Parce que l’immigration est majoritairement de culture musulmane, elle est un défi civilisationnel pour que la France reste la France. Seule une politique de l’enracinement permettra de répondre à l’instinct de conservation qui anime les Français, un instinct de résistance et de courage qui appelle une volonté politique portée par un amour inconditionnel de la France.

Les absents ont toujours raison


Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !


On aura tout essayé. Orchestres réduits pour respecter le mètre barrière, public masqué un siège sur deux, pièces abrégées sans entracte, concerts à 17 heures pour tenir le couvre-feu. Quand Monsieur Jean a interdit les spectacles, Madame Roselyne a trouvé l’astuce : « Certaines activités professionnelles peuvent continuer dès lors qu’il n’y a pas de public. » À la différence du confinement n° 1, le confinement n° 2 autorisait ainsi les tournages, les répétitions à huis clos, les enregistrements, tout ce qui se passe de public.

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Tout le monde s’est mis à streamer

Alors on y est allé franco. L’Opéra de Paris, au point mort depuis un an, a enregistré l’intégralité du Ring : quinze heures de Wagner sur France Musique pour les adieux du chef Philippe Jordan, hop c’est dans la boîte. Tout le monde s’est mis à streamer en espérant que Madame Roselyne tiendrait la caisse à défaut de la barre. L’Opéra-Comique a aiguillé vers son site internet la tragédie de Rameau que les artistes répétaient depuis septembre. Au lieu de Donizetti, la Scala de Milan s’est fendue d’un gala All-Star avec incrustations 3D et garde-robe Armani. Les Forces musicales, regroupement d’une cinquantaine d’orchestres et de théâtres lyriques, nous ont fait « L’amour de loin », premier festival d’opéras, concerts et ballets en ligne 100 % made in France…

Quelquefois, on se marre : l’Opéra de Rennes nous a pomponné une joyeuse Dame blanche (le tube que brame Tintin ivre dans Le Crabe aux pinces d’or). Quelquefois moins : Lohengrin envoyé de Berlin sur Arte c’était, comment dire ? Arte. Dans tous les cas, on piaffe. On s’énerve. Ces salles vides, ce silence, cette absence ! Cet absentiel diraient nos technolâtres qui viennent d’inventer la notion de présence comme cas particulier, quasi trouble à l’ordre public.

Exception viennoise

Tous les cas sauf un : le traditionnel concert du Nouvel An à Vienne. Suite de polkas et de valses moitié kitsch moitié punch, instituée par les nazis en Quarante, mais jugée pacificatrice par les Alliés et maintenue sans pause depuis lors au même titre que la fête des mères ou le beaujolais nouveau. Évidemment, la cage dorée du Musikverein, vide elle aussi, fait un peu peur. Mais ce concert-là ne s’adresse qu’accessoirement au public local. Télévisé depuis 1958, il touche plus de 50 millions d’âmes dans une centaine de pays. Avec ou sans auditoire, ce 1er janvier 2021, qui aura senti la différence ?

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Roselyne Bachelot à Deauville le 4 septembre 2020 © Jacques BENAROCH/SIPA Numéro de reportage: 00979862_000173.
Roselyne Bachelot à Deauville le 4 septembre 2020 © Jacques BENAROCH/SIPA
Numéro de reportage: 00979862_000173.

Prêts pour l’absentiel participatif généralisé?

Un seul hic : le bis. Après le programme officiel (famille Strauss et compatriotes), le chef dirige les premières mesures du Beau Danube bleu, que le public interrompt en applaudissant, l’orchestre s’arrête et crie « prosit Neujahr ! », « bonne année ! », le chef reprend alors son Danube, jusqu’au bout. Rituel immuable. Or là, pas de public, pas d’applaudissements, pas de tradition. Pas de tradition ? À Vienne ? Jamais vu ça. Le Philharmonique a donc trouvé la parade. Vendredi 1er à 11 h 15, si vous vouliez applaudir, vous vous inscriviez sur son site et allumiez votre smartphone ou votre ordinateur. « Les applaudissements à la fin de chaque moitié de concert retentiront en direct dans le Musikverein grâce à la sono et seront également audibles dans la retransmission TV. » Plus fort : « Ceux qui le souhaitent pourront envoyer une photo créative au préalable pour partager leur enthousiasme. Certaines photos seront diffusées pendant les applaudissements. » Prêts pour l’absentiel participatif généralisé ? Cinq, quatre, trois, deux, un… Bonne année !

Génération identitaire victime de la dissolution de BarakaCity

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Paris, novembre 2019 © Remon Haazen/Shutterstock/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40821926_000005

Le projet visant à interdire Génération identitaire en donne fortement l’impression.


Il y a de cela quelques semaines, Gérald Darmanin annonçait sur Twitter la dissolution de l’ONG islamiste Baraka City. Immédiatement, sur le même réseau social, où, sur l’air des victimes (paroles de Camélia Jordana, fanfare du FLN), la plupart des jeunes prennent la défense des djihadistes après chaque attentat, tout ce que la France compte de racisés s’était indigné et avait exigé la dissolution parallèle de Génération Identitaire. Les figures de l’islamo-gauchisme avaient fait de même. Pas entendues sur le moment, elles ne désarmèrent pas. Le 4 janvier, dans Regards, revue progressiste ultra, elles y allaient carrément d’une tribune afin que « la haine » du « groupuscule d’extrême droite » soit enfin admise par les pouvoirs publics et entraîne sa chute. 

Dans cette philippique, l’exagération voisinait avec le pur mensonge. Aubry, Autain, Thomas Portes et les autres écrivaient que les membres de Génération Identitaire se prêtaient à des « actions violentes, racistes et xénophobes ». Ils précisaient que « pas un mois ne s’écoule sans que ces nervis identitaires mènent des actions de terreur à travers le pays (sic) ». De quelles « actions » parlaient-ils ? Des ratonnades ? Des viols collectifs de femmes noires et arabes dans des fermes vendéennes ? Des décapitations de musulmans ? Des tueries au FAMAS dans des concerts de raï ? Non ! Il s’agissait du déploiement d’une banderole, de l’occupation du toit de la CAF de Bobigny, du « saccage » du siège d’SOS Méditerranée à Marseille. Dans l’esprit des auteurs de ce texte fort mal écrit, l’emploi du mot « terreur » visait bien sûr à amalgamer Génération Identitaire à l’islamisme politique radical – n’hésitez pas à ajouter une épithète, ça ne coûte rien –, à mettre sur le même plan – et même un peu devant, en fait – l’agit-prop d’un mouvement patriotique et les incessants massacres perpétrés, sur notre sol, par des islamistes. Pour justifier cette odieuse comparaison, nos Durutti des beaux quartiers versaient même dans une manipulation digne des heures les plus sombres de l’Union soviétique : « En octobre, en Avignon, c’est un homme portant un blouson de Génération Identitaire qui a braqué et menacé un chef d’entreprise avant d’être abattu par la police ». On se souvient que ce jour-là, déjà sur les réseaux sociaux, les mêmes fanatiques du vivrensemble s’étaient précipités sur ce détail ; ah ! avaient-ils claironné, on vous l’avait bien dit qu’à force d’humilier les musulmans, de gifler leur sensibilité, à force d’oser mêler l’islam aux crimes commis par des loups solitaires ou des déséquilibrés, vous alliez réveiller LABÊTIMONDE. Sauf que, apprit-on rapidement, le trentenaire qui avait erré en Avignon, arme à la main, était un ancien militant du PCF, qu’il avait fait dix séjours en HP, qu’il était inconnu au bataillon chez Génération Identitaire, et que le blouson en question, n’importe qui pouvait – et peut sans doute encore – en acheter un sur Internet. La suite de la diatribe était du même tonneau. En conclusion, ces contempteurs de l’identité française révélaient le véritable motif de leur appel à Darmanin : « Nous sommes extrêmement préoccupés par la décision rendue par la cour d’appel de Grenoble qui a prononcé une relaxe suite à l’occupation du col de l’échelle (sic) ». Au printemps 2018, en effet, des membres de Génération Identitaire avait fort pacifiquement manifesté, au sommet du col en question, contre l’invasion migratoire, sous les huées des médias qui les avaient présentés comme des nazis. C’est d’abord ce verdict qui avait poussé nos maquisards du XIe arrondissement à aligner des mots dans un texte si mal fichu que même Geoffroy de Lagasnerie – le Michel Foucault de Rennes-II – en aurait honte. Malgré le soutien de la magistrature, acquise à la cause antiraciste et à l’intersectionnalité, le droit n’avait pas permis de condamner les « nervis ». Après avoir lu ce torchon, je m’étais dit – j’ai des témoins – que Darmanin ne tarderait pas à céder afin d’envoyer un « signal » à la gauche qui, depuis deux siècles, dans ce pays dont elle déteste tant le peuple, oriente tous les « débats », est l’arbitre des élégances, domine le champ des idées comme la Mannschaft dominait autrefois les Bleus – Schumacher, on te retrouvera. 

Eh bien voilà, ça y est, nous y sommes. Après avoir répété, dans les Pyrénées, sa placide opération des Alpes, Génération Identitaire est à nouveau accablé par « les Amis du Désastre » (Renaud Camus). Et cette fois, Darmanin a pris les choses en main. « J’ai demandé aux services du ministère de l’Intérieur de réunir les éléments qui permettraient de proposer la dissolution de Génération Identitaire », a-t-il twitté. En français, cela veut dire que des fonctionnaires – et des contractuels en plus grand nombre – zélés sont en train de fouiller les CV, les comptes, les draps, les chiottes de tous les membres de l’association. « Il n’est pas de grand homme pour son valet de chambre », écrit Goethe ; il est certain qu’en sondant de la sorte, les équipes du ministre de l’Intérieur trouveront ce qu’elles cherchent ; nos juges rouges-verts pourront ainsi, enfin, condamner ce « groupuscule » qui les fait tant cauchemarder, pèse tant sur leur conscience, qu’ils ont très mauvaise, comme tout gauchiste qui se respecte. 

Quand on est patriote, on a le droit d’être en désaccord avec les actions menées par Génération Identitaire. On a aussi et surtout le devoir de se regarder dans une glace et de se demander ce que l’on fait concrètement pour contrarier l’effondrement accéléré de la civilisation française. Génération Identitaire, avec qui je n’ai aucun lien, dont je ne connais aucun des membres, se bouge, permet à de jeunes gens de se retrouver au milieu des décombres sous le poids desquels, isolés, promis à l’amertume par un système qui vise justement à nous briser moralement, nous croulons.  Et il n’hésite pas, ce mouvement, à occuper cette rue dont la gauche se croit propriétaire. Même s’il commet peut-être des erreurs stratégiques ou de communication – qui n’en commet pas ? –, il contribue au réarmement moral et intellectuel de la jeunesse française contre les puissances qui désirent la liquider. Son programme est, il me semble, plein de bon sens : il affirme que la France appartient d’abord aux Français. Ceux qui pensent que cette revendication est raciste n’iraient jamais contester que l’Algérie appartient aux Algériens, le Bénin, aux Béninois, la Thaïlande, aux Thaïlandais. 
Macron vient de lancer un « débat » sur l’identité nationale. Nul doute que ce dernier aussi ridicule que celui qui avait accompagné les dernières semaines du mouvement des Gilets jaunes. C’était en effet pitié que tous ces élus des territoires qui râlaient parce qu’ils n’avaient pas qui une médiathèque, qui une rocade, qui une dotation suffisante pour mieux nourrir le clientélisme sans lequel ces notables républicains resteraient dans l’ombre à laquelle leur médiocrité les destine. Quel « débat » sérieux est possible quand le pouvoir progressiste en choisit à la fois le cadre, les termes et les participants ? La dernière fois que nous eûmes droit à un raout de ce genre, sous Sarkozy, nous gagnâmes un musée de l’Immigration… De celui-là sortira peut-être un musée Adama Traoré.

L'incident

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Ironie interdite

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D.R.

Professeurs, Xavier Gorce, Alain Finkielkraut… Dans un monde cerné par la mal-nommée cancel culture, il devient périlleux de sortir en oubliant les guillemets.


L’ironie est le fait de dire le contraire de ce que l’on pense de façon à ce que l’on comprenne que l’on pense le contraire de ce que l’on dit. « C’est du joli ! » disait ma mère à chacune de mes frasques — et je comprenais globalement qu’elle n’appréciait pas outre mesure. J’avais peut-être quatre ou cinq ans, et ce n’était pas extraordinaire, dans ma génération, de comprendre le second degré à cet âge.

Changement de ton. Des adultes désormais sont infichus d’avoir de l’humour — ou d’en saisir le sel. La condamnation de Xavier Gorce par le Monde en fournit une preuve éclatante. «  Ce dessin peut en effet, écrit Caroline Monnot, directrice de la rédaction,  être lu comme une relativisation de la gravité des faits d’inceste, en des termes déplacés vis-à-vis des victimes et des personnes transgenres. Le Monde tient à s’excuser de cette erreur auprès des lectrices et lecteurs qui ont pu en être choqués. Nous tenons également à rappeler notre engagement, illustré par de nombreux articles ces derniers mois, pour une meilleure prise en compte, par la société et par la justice, des actes d’inceste, ainsi qu’en faveur d’une stricte égalité du traitement entre toutes les personnes. » Déjà l’année dernière le New York Times avait décidé de se passer de dessins de presse : l’humour de Chappatte et consorts paraissait trop subtil pour un journal qui désormais flatte la cancel culture — qui n’a par définition rien à voir avec la culture, puisqu’elle l’interdit.

Faut-il y voir une islamisation des esprits ? Je m’explique.

Ceux qui n’appréciaient pas les parodies de George Cukor (« Une étoile est née » — dans le cul de Mahomet) ou de Godard (« Et mes fesses ? Tu les aimes, mes fesses ? » — à propos du même) fournissent-ils désormais les codes de lecture de l’humour ? Les Juifs ne s’indignaient pas en 1986 que Desproges commençât un  sketch en glissant à mi-voix aux spectateurs : « Il paraît que des Juifs se sont glissés dans la salle » — continuant sur ce mode avec une férocité désarmante qui déclenchait des salves de rires dans un public qui n’était pas celui de Dieudonné. Mais ce même numéro, diffusé à des étudiants contemporains à qui je voulais faire saisir les mécanismes du second degré, provoqua récemment des mines inquiètes et des commentaires indignés. Qu’est-ce qui s’est perdu ? Comment Rabbi Jacob, film merveilleux où De Funès s’étonne (« Salomon est juif ! ») et surjoue le rabbin chantant, est-il devenu sinon invisible, du moins irréalisable aujourd’hui ?

Ce qui s’est perdu, c’est la perspective historique. Ce qui avait un sens dans une époque donnée n’a plus le même quand on perd le recul et la connaissance du contexte. Quand on perd le sens de l’humour.

Je suis au bout de ma carrière. Mais je plains les néoprofs d’aujourd’hui, qui devront allumer les guillemets avec les mains (ah, ce geste de, plus en plus fréquent pour signifier qu’on n’adhère pas à ce que l’on articule !) en étudiant le fameux plaidoyer de Montesquieu sur « l’esclavage des nègres ». Déjà, l’usage du mot « nègre » fait frémir d’horreur les consciences contemporaines. Alors quand le philosophe argumente : « Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu’il est presque impossible de les plaindre » et en rajoute une louche : « On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir », comment ne pas s’insurger — sans comprendre que sans Montesquieu et quelques autres, l’esclavage serait toujours d’actualité, comme il l’est dans nombre de pays arabes où l’on a de la plaisanterie un usage fort discret. 

Ou encore, ce passage si célèbre du Candide de Voltaire :

« Là des filles, éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers soupirs… »

Comment ? « Besoins naturels » ? M’sieur, c’est de viols en série qu’il est question ! Quelle ordure, ce Voltaire…

Il suffit de parcourir l’article Wikipedia sur Voltaire pour voir que les soucis contemporains, sur les femmes, les Noirs, les Juifs ou les homosexuels, ont corrodé notre image de l’un des plus grands philosophes des Lumières. Lire la féroce critique de la Bible du Dictionnaire philosophique à la lueur de la Shoah expose à des contresens redoutables, et à voir de l’antisémitisme là où il y avait de l’anti-jésuitisme. Mais qu’importe aux censeurs modernes qui du haut de leur nanisme intellectuel s’arrogent le droit de condamner tout ce qui ne pense pas comme eux…

Encore que « penser », en ce qui les concerne…

Une phrase décontextualisée suffit à vous faire passer au tribunal médiatique. En fait, décontextualiser revient à recontextualiser — dans un contexte mensonger. Vous ôtez à Voltaire l’ambiance de la Guerre de Sept ans, les atrocités des « Abares » et des « Bulgares », l’effroi de son héros devant la « boucherie héroïque », et vous ne conservez que l’expression de l’ironie qui, hors contexte, paraît une affirmation monstrueuse : « les besoins naturels », et ce glissement suave du viol à la violence et au meurtre.

Ajoutez à cela que le philosophe écrivait pour une poignée de gens cultivés : au XVIIIe siècle, les incultes ne s’occupaient pas à lire ses plaisanteries sérieuses, ni d’ailleurs quoi que ce soit. La généralisation des savoirs élémentaires n’a pas forcément produit une hausse du niveau, les imbéciles sont toujours légion, mais ils ont la possibilité de proférer leurs insanités sur les réseaux sociaux — en s’estimant largement les égaux de Voltaire.

Alain Finkielkraut a récemment fait l’expérience de ce qu’un propos découpé par des salauds malintentionnés peut provoquer auprès des naïfs. 

Nous vivons dans l’instant, persuadés d’être bons juges. Et nous ramenons à l’instant présent des œuvres ou des comportements issus de conditions totalement différentes. Comme si nous appartenions à une culture « incréée », comme le dieu du même nom. Hier, aujourd’hui ou demain sont à même enseigne. Et ce qui fut vrai dans les sables du désert il y a quatorze siècles est réputé vrai aujourd’hui.

Au XVIe siècle, quand on s’occupa de multiplier les signes de ponctuation, un grammairien proposa un « point d’ironie », pour signaler au lecteur qu’il ne fallait pas prendre au premier degré ce qu’il lisait. Mais on ne retint pas la proposition : personne ne pouvait se méprendre sur un trait d’humour, que diable ! 

Mais nous sommes tellement plus intelligents que nous avons besoin, désormais, de signaler d’un geste éloquent des doigts mis en crochets que nous plaisantons. Et que faute d’une gestuelle d’accompagnement, nous croyons que ce que dit l’autre est toujours déplorablement sérieux. Serait-ce que nous sommes devenus sérieusement crétins ?

Les effets des confinements sur la qualité de l’air largement exagérés

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Photo: Ashley Fontana / Pexels.

Les confinements ont permis de mener une expérience sans précédent en grandeur réelle. Mesurer l’impact réel des transports sur la pollution atmosphérique dans les villes. Conclusion, si la circulation routière contribue évidemment à répandre des particules fines, du dioxyde d’azote et de l’ozone dans l’atmosphère, c’est dans des proportions bien moindres que l’affirment sans cesse les adversaires des véhicules motorisés. Et parfois, les effets sont marginaux. Ainsi, les proclamations d’une baisse spectaculaire de la pollution atmosphérique au début de l’année 2020 étaient très exagérées. Les graphiques d’Airparif pendant les deux confinements le montrent tout comme une étude récente de chercheurs de l’Université de Birmingham sur 11 grandes villes dans le monde.


Le problème avec le simplisme est qu’il déforme parfois tellement la réalité qu’il ne permet plus de s’attaquer vraiment aux problèmes. Tout au plus de les effleurer. La question de la pollution atmosphérique dans les grandes villes en est un bon exemple.

Tout d’abord, et contrairement à de nombreuses idées reçues, elle a beaucoup baissé au cours des dernières décennies. Ensuite, si la circulation automobile a un impact indéniable, elle n’est pas de loin la seule et principale cause de phénomènes complexes. Les confinements ont été une expérience sans précédent en grandeur réelle qui a permis de le démontrer. Faut-il encore accepter des faits qui ne correspondent pas au discours automatique.

Deux alertes majeures aux particules fines à Paris pendant les deux confinements

Ainsi, l’agglomération parisienne aura connu deux alertes majeures à la pollution aux particules fines pendant le premier et le deuxième confinement. Il y aura eu en tout trois pics de pollution aux particules fines l’an dernier à Paris, dont deux pendant les confinements marqués pourtant par des baisses sensibles de la circulation routière. Le premier le 28 mars, le second les 26 et 27 novembre.

Toujours dans l’agglomération parisienne, si les émissions de dioxyde d’azote semblent elles bien évoluer en corrélation avec le niveau de circulation automobile, il n’en est rien des particules fines qui sont cancérogènes et dont on affirme depuis des années qu’elles proviennent notamment des motorisations diesel. Mais depuis quelques mois, les communications officielles insistent surtout sur les niveaux de dioxyde d’azote. Ce polluant proviendrait à Paris pour 61% de la circulation automobile, selon les chiffres officiels. Et sa quantité dans l’atmosphère parisienne a bien diminué pendant le premier confinement de 28% en mars, 48% en avril et 44% en mai.

Le problème est que si le dioxyde d’azote est nocif pour la santé, il présente…

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Berlin débat des quotas d’immigrés dans les emplois publics

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Une proposition de la gauche radicale vise un objectif de 35% de personnes issues de l’immigration dans l’administration


La discrimination positive à l’anglo-saxonne va-t-elle aussi envahir l’Allemagne ? Selon une information du Tagesspiegel[tooltips content= »https://www.tagesspiegel.de/berlin/erster-vorstoss-deutschlandweit-berlin-plant-eine-migrantenquote-von-35-prozent-fuer-die-verwaltung/26822470.html »](1)[/tooltips] reprise dans la presse d’outre-Rhin ces derniers jours, une proposition de loi serait sur le point d’être déposée à la chambre des députés de Berlin par le groupe Die Linke, parti héritier du PDS, idéologiquement proche de La France Insoumise. L’idée centrale : instaurer un quota de personnes « issues de l’immigration » dans la fonction publique berlinoise, avec un objectif de 35% qui correspondrait peu ou prou à la population d’origine étrangère dans ce Land allemand, selon les statistiques publiques [tooltips content= »https://www.govdata.de/daten/-/searchresult/f/licence:http%253A%252F%252Fdcat-ap.de%252Fdef%252Flicenses%252Fcc-by,format:pdf,type:dataset,tags:migrationshintergrund,sourceportal:23d695da-6d4e-497f-b36b-3a388949c729,/s/relevance_desc »](2)[/tooltips] [tooltips content= »https://www.statistik-berlin-brandenburg.de/publikationen/stat_berichte/2017/SB_A01-05-00_2016h02_BE.pdf »](3)[/tooltips]

À l’origine de ce projet, Elke Breitenbach, la très virulente sénatrice berlinoise du Travail, de l’Intégration et des Affaires Sociales, selon laquelle « tous les habitants de cette ville doivent avoir les mêmes opportunités » et qui « n’accepte pas la discrimination structurelle ». Curieuse affirmation pour quelqu’un qui vise justement à instaurer un quota qui, par nature, est très clairement discriminatoire. 

Car selon les premiers éléments du projet de loi, le quota devrait s’appliquer à l’ensemble de l’administration publique et à toutes les entreprises publiques telles que la BSR (propreté) et la BVG (transports publics). Selon des membres du parti Die Linke joints par le Tagesspiegel, le texte viserait à parvenir au quota en donnant la préférence aux personnes d’origine immigrée dans les procédures de sélection et de recrutement avec des qualifications égales si celles-ci sont sous-représentés dans telle ou telle administration.

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Mieux : Katarina Niewiedzial, déléguée à l’intégration et l’immigration de la ville de Berlin, affirme sans sourciller que « le terme d’intégration n’est plus d’actualité » (sic). « La société tout entière est façonnée par l’immigration ; je parle donc plus volontiers de Migrationsgesellschaft ». Dans ce fourre-tout idéologique, on case, selon Madame Niewiedzal, « les personnes qui, statistiquement parlant, sont des personnes issues de l’immigration, mais aussi celles qui sont victimes de discrimination raciale et qui selon leurs propres déclarations se voient attribuer une origine migratoire ». C’est fabuleux. 

Même le SPD ne suit pas

Si la proposition de quotas parait ahurissante, elle aura en réalité du mal à passer. Pour preuve, la coalition « rouge-rouge-vert » en place à Berlin depuis 2016, se déchire elle-même sur le sujet.

L’initiative d’Elke Breitenbach est d’ailleurs qualifiée de « grossière » par les sociaux-démocrates du SPD, membres de la coalition. Plusieurs de leurs responsables à Berlin, à commencer par Raed Saleh et Frank Zimmermann, s’en sont assez rapidement distanciés. D’autres se sont fendus d’une déclaration de bonne intention sur la « diversité » tout en rejetant l’idée même de quota, apanage de la gauche radicale et d’une partie des Verts, telle que l’inénarrable Bettina Jarasch, qui a cru bon de ressasser une antienne progressiste selon laquelle « l’image de la société a besoin d’être modernisée ». 

Mais de quoi parle-t-on au juste ? Comme l’a très justement rappelé Henryk Broder, éditorialiste au quotidien Die Welt, « à Berlin, il serait difficile de trouver quelqu’un dont les ancêtres ne seraient pas originaires de Gdansk, Breslau, Brno, Katowice ou de Transylvanie, sans parler des descendants des huguenots qui ont fui à Berlin à la fin du XVIIe siècle. Vers 1700, un berlinois sur quatre était un immigrant français ». [tooltips content= »https://www.welt.de/debatte/kommentare/plus224544714/Warum-die-Migrantenquote-der-Stadt-Berlin-problematisch-ist.html »](4)[/tooltips]

La notion de personne « d’origine immigrée » – les Allemands parlent de « MmM » pour Mensch mit Migrationshintergrund – serait d’ailleurs très difficile à définir. Jusqu’où faut-il remonter ? Une personne qui souhaite être reconnue comme MmM doit-elle être issue d’immigrés tant du côté maternel que paternel, ou bien un seul des deux ? Le débat serait sans fin, sensible, et aberrant. 

Une mesure anticonstitutionnelle?

Plusieurs juristes allemands pointent d’ailleurs l’inconstitutionnalité d’une telle mesure. Elle ne serait en conformité ni avec la Constitution de Berlin de 1995, ni avec la Loi Fondamentale de l’État fédéral, et notamment son article 33§2, qui énonce que « tout Allemand a un accès égal à toutes les fonctions publiques en fonction de ses aptitudes, qualifications et performances professionnelles ».

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Au demeurant, l’opposition a vivement protesté contre l’initiative législative de Breitenbach. Le chef du groupe parlementaire FDP, Sebastian Czaja, a déclaré au Tagesspiegel: « Ce n’est pas parce que l’objectif est louable que tous les chemins sont justes. Un quota qui est régi par le traitement préférentiel de groupes prédéterminés ne combat toujours que le symptôme, pas la cause »

Même ton chez l’AfD et les chrétiens-démocrates (CDU), dont le responsable local, Kai Wegner, a pesté contre cette « proposition de mauvais goût ».

École: l’habillement généreux d’une démission civilisationnelle

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En classe, le travail des enfants, peinture de Jean Geoffroy (1853 - 1924). Photo D.R.

Je ne connais de signification précise au mot « liberté », écrivait Valéry en 1938, que celle qu’en donnent la dynamique et la théorie des mécanismes ; c’est-à-dire, comme latitude demeurant à un système une fois toutes ses contraintes conformationnelles respectées. C’est dans cette soustraction opérée sur une mobilité qui serait absolue que naît la sensation de liberté, nous dicte-t-il encore : sans gênes, son sentiment n’advient pas. La liberté, pour le dire autrement, réside donc dans un hypostatisme léger, et non dans un hypostatisme total ; si on l’éprouve, c’est parce qu’elle est amputée, et non intacte : la liberté est un reliquat. La vouloir sans entraves, c’est désirer l’impossible ; une liberté non bornée est une idée destructrice d’elle-même, comme celle de néant. La liberté illimitée, cela a néanmoins un nom : cela s’appelle la licence, et c’est l’antithèse de la liberté. La tragédie de notre époque se noue alors là : elle croit qu’il n’y a de liberté que dans la licence ; alors qu’elle n’existe qu’en dehors de celle-ci.

Continuum de la licence et de la tyrannie

La licence, répétons-le encore, n’est pas la liberté ; la licence, c’est une liberté exercée dans l’anomie, une liberté pratiquée dans l’indiscipline et le désordre. C’est une liberté dont on jouit sans conscience, une liberté qu’on fait jouer dans le sens du chaos, et qui n’aboutit qu’à s’annihiler elle-même. « L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté », écrivait Péguy en 1905. « Le désordre fait la servitude ». Il en va ainsi de la licence, c’est-à-dire de la liberté entendue comme allergie à toute espèce d’ordre : elle n’affranchit pas l’individu, elle prépare son assujettissement. Aux contraintes fortifiantes de la liberté, fabriquant les âmes fermes et tendues, elle substitue un sybaritisme dissolvant, qui les fait molles et alanguies. Le continuum ne va donc pas de la liberté à la licence ; il va de la licence à la tyrannie. Dynamite pour discipline intérieure, la licence ne prépare pas des régimes libertaires ; mais, consubstantielle à l’État faible, prédispose au contraire à la dictature. Après tout, si l’on en croit La Boétie, Cyrus n’eut-il pas qu’à établir dans la ville de Sardes « des bordels, des tavernes et des jeux publics », et à rendre obligatoire leur fréquentation, pour s’assurer définitivement des Lydiens ?

D’une liberté que rien ne borne, l’homme finit vite par se lasser ; il mesure alors, effrayé, l’état de dislocation produit par sa pratique démissionnaire, quand elle est généralisée à l’échelle d’une société. Mais qu’est-ce qui pourrait bien sauver un édifice public dont chacun, pour paraphraser Nietzsche, a cessé d’être pierre ? La tyrannie elle-même ne saurait directement remédier à ce ferment centrifuge qui est d’abord intérieur. Son idée, toutefois, finit par s’imposer, comme pis-aller nécessaire devant le spectacle, révoltant pour l’esprit, d’une incurie publique de tous les instants. Qui, d’ailleurs, serait en état de s’opposer à son instauration ? Non, la dictature est le lot d’une société ayant collectivement décidé de démissionner, comme le prix à payer pour son douloureux dégrisement.

La toute-puissance originelle du poncif

La grande illusion de la liberté, chez l’homme, c’est qu’on la croit innée et naturelle, première et originelle ; alors qu’elle n’advient jamais qu’au terme d’un apprentissage. La liberté, en effet, ne consiste pas à n’avoir aucun maître ; elle consiste à être à soi-même son maître[1]. Et même chez un anarchiste tel que Bakounine, on n’y trouvera pas la liberté décrite comme un fruit vers lequel l’individu n’aurait qu’à tendre la main pour s’en saisir. Au contraire, professait-il, la liberté requiert une éducation, et ce n’est qu’à mesure qu’elle progresse que la figure extérieure d’autorité cesse graduellement d’être nécessaire, et devient dispensable. « Une immolation progressive de l’autorité au profit de la liberté » : telle est la définition qu’il donne d’une éducation rationnelle, dans Dieu et l’État.

Notre premier élan, contrairement à ce que nous aimerions croire, ne va pas à l’original, mais au cliché ; de même que nous n’avons pas l’instinct de la liberté, mais celui de la licence. Ce qui règne d’abord tyranniquement en nous, ce n’est donc pas l’inusité, le jamais-vu ou l’inouï ; c’est, à rebours, le lieu commun. Appelés à décrire une tour ancienne, combien, à cet égard, fût-elle de couleur claire, ne manqueraient pas, à l’instar de l’écolier d’Alain, d’en signaler les inévitables « pierres noircies par le temps », que la toute-puissance du poncif leur fait voir alors même qu’elles sont à l’évidence absentes ? La pensée singulière d’un enfant n’est pas une source claire n’attendant qu’un coup de pioche pour jaillir ; c’est un liquide trouble contenant beaucoup de truismes et peu d’idées en propre, qu’il faut chauffer et porter à ébullition longtemps pour en extraire à froid quelques gouttes de distillat.

Programmatique de la page blanche et pupillarité éternelle

Las, une telle vérité n’est pas à l’ordre du jour ! La modernité éducative, à rebours du réalisme des siècles passés, qui voyait dans l’enfant l’élément humain le plus faible – c’est-à-dire celui auquel il fallait tout donner, celui qui devait tout recevoir -, feint de n’avoir plus affaire en la matière qu’à des surhommes, capables de tout tirer de leur fonds. L’écolier n’est plus un pupille vis-à-vis duquel l’adulte exerce un magistère ; c’est un génie qu’il importe avant tout de laisser à son œuvre, pour n’en pas falsifier l’accouchement. L’assimilation des trésors du passé, dès lors, ne lui est plus une addition nécessaire et féconde ; mais un fardeau malvenu et stérile, un appesantissement même nuisible, propre à en détourner les Muses, et à en bouleverser l’homéostasie intérieure. L’instruction ne se présente plus alors que sous un seul visage : celui de la toujours possible aliénation.

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Bakounine ressuscité, plaidant pour le maître, aurait ainsi aujourd’hui des allures de conservateur, sinon de réactionnaire. Il est vrai aussi, pour lui, que la férule des premiers jours avait toutefois une contrepartie : c’est que cette autorité ne s’éternise pas ; c’est que cette tutelle finisse effectivement par s’abolir. Sinon, dénonçait-il, l’École ne sera jamais que le nouveau nom de l’Église, et le peuple demeuré troupeau aura seulement changé de tondeurs. Ô, pensée d’un autre âge ! Cela fait bien des années que l’institution a abandonné ce vieux projet émancipateur : fabriquer des citoyens adultes, aptes à penser par eux-mêmes, chez lesquels l’esprit de responsabilité aura été développé à part égale de celui de liberté, est une mode qui a passé. Nous en sommes désormais revenus au régime éprouvé que le philosophe russe connaissait : celui de l’éternelle minorité, dans lequel l’adulte ne l’est jamais qu’à titre sursitaire, et se voit d’ailleurs quotidiennement traité comme s’il ne l’était pas.

Le risque démocratique est-il encore admissible?

C’est qu’entre-temps, le totalitarisme nazi a eu lieu, et que nos sociétés occidentales demeurent sous l’émotion des horreurs qu’il a produites. Or, cette dimension d’abord charnelle qu’ont conservé pour nous ces événements historiques a réactivé, pour tout ce qui touche à cette période, des logiques de pur et d’impur. Qu’une chose, quelle qu’elle soit, ait un point de contact avec le nazisme, sa vérité se résume alors à cette intersection, son Être devient indissociable de l’horreur génocidaire ; la penser « innocemment » cesse d’être possible, son premier visage est désormais – toujours – celui de sa parenté avec le Mal[2].

Aussi, parmi les irréparables dégâts causés par l’hitlérisme, faut-il encore compter ceux liés aux mots et aux idées dont il a pour longtemps vicié l’emploi, par son compagnonnage radioactif ; et d’abord, à la démocratie comme confiance placée sans réserves dans l’instruction, et dans l’homme ordinaire qui en a bénéficié. A cette foi, en effet, le nazisme a fait rétrospectivement se succéder l’effroi ; or, la démocratie ne va de soi qu’en régime de banalité du bien. Si, au contraire, la loi véritable est celle de la banalité du mal, une société peut-elle encore prendre le risque de la démocratie ? A des adultes intellectuellement émancipés, mais toujours susceptibles de replonger dans l’ignominie, ne vaut-il pas mieux alors préférer le maintien des individus dans une certaine minorité de l’esprit, qui les rendra plus perméables aux clichés ? C’est, à bien des égards, le choix que me paraît avoir opéré l’époque, dans sa substitution de colos vaguement érudites aux anciens cloîtres consacrés au seul culte du savoir.

L’adulte à l’école de l’enfant

Dans cette philosophie nouvelle, l’école n’est plus pensée comme un sas, entre la famille et le monde, entre l’enfance et la majorité, où l’élève est soustrait au Dehors et arraché à lui-même ; au contraire, cette étanchéité, cet hermétisme, cette extraction même, quintessencient ce qu’on entend détruire. L’école, précisément, doit devenir l’espace rieur où le petit d’homme n’a jamais à se quitter, et peut demeurer en permanence dans la fidélité à lui-même ; perméable aux parents (c’est-à-dire à la famille) comme aux enjeux idéologiques du moment (c’est-à-dire au tumulte du monde) ; ouvert sur le jeu (c’est-à-dire sur l’enfance) comme sur l’univers de l’entreprise (c’est-à-dire sur l’âge adulte). Son objet n’est plus l’expérience de la coupure et de la séparation, la distanciation d’avec son Moi ; mais le métissage des extérieurs, et l’arraisonnement à soi.

L’école, alors, de lieu clos, se fait continuum ; et la frontière entre l’adulte et l’enfant se brouille. On n’est plus très sûr de savoir qui doit faire la leçon à qui. Le maître surplombe-t-il vraiment l’élève ? N’ont-ils pas réciproquement beaucoup à s’apprendre ? Dans les matières nouvelles désignées comme vitales par l’école réformée, n’est-ce pas plutôt aux adultes de ressortir leurs cahiers, et à leurs enfants de faire cours[3] ? Certes, ils n’ont qu’une vague idée de l’orthographe et de la syntaxe, et leur vocabulaire ne dépasse pas 300 mots ; mais ne maîtrisent-ils pas le tri sélectif ? N’ont-ils pas déjà appris à déconstruire maints préjugés de genre et de race ?

Le refus du dressage est un refus paradoxal de la liberté

La France, nous a-t-on rapporté récemment avec les résultats de l’enquête TIMSS 2019, dévisse en matières scientifiques au primaire et au collège ; et de nombreux médias – jusqu’au Monde ! – ont cru devoir s’alarmer de voir nos élèves de 4ème n’exhiber plus, en mathématiques, que le niveau alors arboré, en 1995, par leurs homologues de 5ème. Cet effroi général m’a, je l’avoue, bien surpris. Parmi toutes ces voix – et il y en avait de progressistes – , nulle en effet n’a énoncé cette évidence qui aurait pourtant rasséréné chacun : savoir, qu’il y a belle lurette que de tels tests ne sont plus adaptés aux enseignements dispensés par notre école ; et que toutes ces enquêtes ne sont jamais configurées que pour des systèmes d’instruction antédiluviens, où l’on croit encore que connaître ses tables de multiplication est utile au citoyen. Non, interrogeons nos enfants sur les notions que notre école fait travailler, cuisinons-les sur le développement durable, les vertus du métissage, et nous les verrons à nouveau truster les premières places de ces classements iniques.

« Parmi les victimes de la liberté [l’emploi du mot « licence » eût été ici plus juste], les formes, et dans tous les sens du terme, le style. Tout ce qui exige un dressage, des observances d’abord inexplicables, des reprises infinies ; tout ce qui mène par contrainte d’une liberté de refuser l’obstacle à la liberté supérieure de le franchir », consignait encore Valéry. Or, précisément, quels sont les enseignements les plus rigoureusement astreints à l’observance stricte des formes, sinon l’orthographe et la syntaxe, en matière « littéraire », et les mathématiques, en matière scientifique ? Notre école moderne est toute entière fondée sur le refus du dressage, comme maltraitance insupportable perpétrée à l’égard du Moi de l’enfant ; mais comment s’étonner, alors, que la chute du niveau scolaire trouve d’abord à s’illustrer par des prestations minables en ces domaines ? Le paradoxe, en effet, c’est qu’il faut être arraché à soi pour s’y voir ensuite rendu ; mais comment faire entendre une telle vérité ?

L’abstention généreuse

Le malheur de notre époque, c’est que les demi-habiles ont pris le pouvoir, et que tous leurs efforts pour paver des paradis n’aboutissent chaque fois qu’à des enfers, en matière éducative comme en matière de « vivre-ensemble » d’ailleurs. Le motif est systématiquement le même : il consiste à croire en l’existence d’un Autre, avec une majuscule – l’Enfant, mais aussi l’Étranger –, formant avec ses semblables un univers autonome, vis-à-vis duquel, par égard même, nous devons nous abstenir de toute ingérence, pour ne pas leur inoculer notre poison.

Dans l’adulte, dans le natif occidental, gît en effet quelque chose de contagieux, une corruption d’où le mal est sorti[4] et dont la communauté autogestionnaire de l’Autre doit être préservée, si on n’en veut pas vicier irrémédiablement la pureté et l’harmonie. Aussi, par humanitarisme même, faut-il demeurer au seuil de ces mondes, pour ne pas provoquer leur fatale dénaturation. Ce qu’on eût autrefois rangé dans la catégorie des démissions et des lâchetés devient alors l’incarnation même du cœur et du souci généreux. Être altruiste désormais, ce n’est plus s’investir, c’est s’abstenir. Renoncer à avoir pour autrui une exigence – c’est-à-dire une ambition – ne marque plus le désintérêt, ou la désaffection ; mais témoigne au contraire de l’amour qu’on lui porte.

La neutralité devient alors l’horizon indépassable : et vis-à-vis de l’enfant, vis-à-vis de l’étranger, il ne s’agit plus d’être un parent ou un pays singuliers, mais un parent quelconque, et un pays quelconque, ayant le degré d’abstraction et de généralité mobilisé pour les démonstrations mathématiques. La préservation de la virginité ontologique de l’Autre est à ce prix. Il nous faut devenir page blanche, pour l’enfant, et terre vierge, pour l’étranger. L’adulte et le natif ne sont plus des figures à imiter, des référents culturels avec lesquels coïncider un jour, pour le nouveau-né et le nouveau-venu ; à bien des égards au contraire, ces modèles viciés ne constituent plus que leur passé – eux, sont l’avenir  –.

Le refus de la continuité du monde

Arendt écrivait : « avec la conception et la naissance, les parents n’ont pas seulement donné la vie à leurs enfants ; ils les ont en même temps introduits dans un monde. En les éduquant, ils assument la responsabilité de la vie et du développement de l’enfant, mais aussi celle de la continuité du monde […] [Car] ce monde aussi a besoin d’une protection qui l’empêche d’être dévasté et détruit par la vague des nouveaux venus qui déferle sur lui à chaque nouvelle génération. »

Mais aimons-nous encore assez notre monde pour en vouloir assurer la continuité ? Y sommes-nous encore assez attachés pour refuser le contractualisme culturel qu’on nous propose, et affirmer qu’à côté de la démocratie des vivants, existe aussi une démocratie des morts, qui nous inscrit une filiation qui n’est pas à choisir, mais qui nous est prescrite ? Avons-nous encore, sur notre propre sol, une civilisation à transmettre et le désir de la voir se perpétuer, ou sommes-nous mûrs pour le multiculturalisme, c’est-à-dire pour la soustraction de la terre à l’Histoire, et la concurrence libre et non faussée des allégeances et des mœurs ?

Chacun, désormais, peut constater les résultats édifiants de 45 années de démission, à l’école et aux frontières. Saurons-nous, pourtant, renoncer à la licence, et assumer le devoir de continuité civilisationnelle qui nous incombe ? Le doute est plus que jamais permis, même si notre pays, à d’autres carrefours de l’Histoire, a su démontrer qu’il avait le sens du sursaut…

[1]Donc, d’abord, à devenir tel.

[2]J’ai à cet égard en mémoire l’interrogation, effarante de stupidité, posée par Ruth Elkrief au candidat Jean-Frédéric Poisson, lors du second débat de la primaire de la droite et du centre : « Jean-Frédéric Poisson, vous, vous voulez un ministère de l’instruction publique, et cette appellation elle date de 1828, elle a même été reprise sous Vichy. Est-ce que c’est la nostalgie qui fera avancer le jeune en 2017 ? » Fermez le ban ! Que Vichy ait pu appeler ainsi un ministère suffisait à disqualifier toute entreprise consistant à définir si l’État doit avoir part à l’éducation des enfants, ou à leur seule instruction – belle question dont on pourrait d’ailleurs dire que la modernité l’a résolue en établissant que l’État doit intervenir toujours davantage dans l’éducation de l’enfant, et toujours moins dans son instruction.

[3]A cet égard, on connaissait depuis longtemps le fameux conseil prodigué par la vieille femme au Zarathoustra de Nietzsche, dans son commerce avec le sexe opposé. Mais l’on ignorait encore, jusqu’à l’avènement de l’inénarrable Greta, sa transposition au monde des adultes. Une version actualisée par notre prophétesse adolescente n’est pas encore prévue, mais je propose déjà : « Tu vas chez les adultes ? N’oublie pas le fouet ! »

[4]Nazi bien sûr ; mais encore colonial, esclavagiste, et aujourd’hui, faustien, anti-écologique.

La traductrice française de Charles Manson

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© Photo: Hannah Assouline

Longtemps exception féminine dans le monde du journalisme rock, Laurence Romance fait connaître en France les figures mythiques et sulfureuses de l’histoire de cette révolution
culturelle, dont ce musicien raté des sixties, devenu célèbre pour avoir orchestré le meurtre de Sharon Tate et d’autres, Charles Manson. Portrait.


Laurence Romance me reçoit dans sa chambre, « d’enfant de la forêt » comme elle se plaît à qualifier son antre, version féminine du repaire du Des Esseintes de Huysmans : ambiance gothique et plafond étoilé qui rappelle sa féminité de petit lutin rock’n’roll. Morticia Addams meets Suzi Quatro. Cette enfant du rock apporte sa fraîcheur au sein du milieu très masculin du journalisme musical, peut-être même l’a-t-elle bouleversé.

Charles Manson, ungrateful dead

Le prétexte de notre rencontre, c’est l’ouvrage qu’elle a traduit, Charles Manson par lui-même, publié par les éditions Séguier en mai 2019 pour le cinquantième anniversaire du terrifiant imbroglio qui fit exploser l’Amérique du « Summer of Love ». Ce sont des entretiens que le mythe le plus sulfureux et diabolique engendré par l’Amérique a accordés en prison.

Dans sa bibliothèque, on croise Huysmans, mais aussi Léon Bloy ou Villiers de L’Isle-Adam et son Ève future…

Dans cet ultime témoignage et témoignage ultime, Manson se raconte sans filtre, de son enfance fracassée à la nuit sanglante où Sharon Tate, parmi d’autres sacrifiés, perdit deux vies : la sienne et celle de son bébé. Derrière ses aveux qu’il arrange forcément à sa sauce, c’est une histoire de l’Amérique qui se dessine, de la vie sordide des oubliés du rêve américain à la flamboyance hollywoodienne qui lui parut pendant un temps accessible. Cette rencontre de deux mondes, comme un précipité chimique qui finit en tragédie barbare, est très bien analysée par Simon Liberati dans California Girls. Ce drame, écrit-il dans la préface, est « le fruit d’une mauvaise alchimie, la rencontre d’un musicien intelligent et rêveur au cœur plein de rancune et de l’été de l’amour qui amena des jeunes filles bien élevées à abandonner leurs vies bourgeoises et à le suivre sur des sentiers qui ne menaient nulle part dans cette Californie encore pleine de sortilèges du vieil Hollywood et du diabolisme indien ». Les sortilèges maléfiques de Manson – que Dennis Wilson, beau gosse et batteur des Beach Boys, qualifiait de « sorcier » (wizard) – ont aspergé de soufre et de sang le nouvel Hollywood des hippies.

Laurence Romance, 2020 © Photo: Hannah Assouline
Laurence Romance, 2020 © Photo: Hannah Assouline

Après des années de prison, notamment pour proxénétisme, Manson débarque en Californie, passant sans transition du monde corseté des fifties au monde débridé des sixties, qu’il devine fait pour lui. Il organise une communauté de gamines en perdition vite soumises à son talent pour la tchatche et le sexe. D’après ceux qui l’ont approché, ce petit bonhomme de 1,54 mètre est manipulateur, séducteur, charismatique au point de charmer les musiciens les plus en vue de l’époque, dont Dennis Wilson.

Charlie a une obsession : devenir musicien. Ayant infiltré le sérail de Los Angeles, il croit que son heure est venue, mais, incarcéré pendant des années, il a raté la décennie qui a bouleversé le rock’n’roll. Les jeunes ne vibrent plus au son d’Elvis, mais des Doors ou de Grateful Dead. Encore une fois, il est laissé pour compte. Et comme le chante Neil Young dans Revolution Blues, « he can’t take rejection » (« il ne supporte pas d’être rejeté »).

C’est sans doute se venger des puissants d’Hollywood que le diablotin aux yeux déments a envoyé sa « family », les filles « engouroutées » et droguées, perpétrer un des crimes les plus macabres du xxe siècle. La machine à fantasmes a accouché de nombreuses hypothèses. On a dit qu’il était à la solde de la CIA, payé pour détruire le mouvement hippie, que la tuerie n’avait été qu’un banal règlement de comptes pour une affaire de drogue ou encore qu’il voulait libérer Bobby Beausoleil, emprisonné quelques mois plus tôt pour le meurtre d’un professeur de musique.

Finalement, peu importe. « Puisque rien n’est vrai tout est permis », proclamaient les Magiciens du Chaos, des disciples d’Aleistair Crowley, sorcier sataniste pop. Perdant maléfique qui mit en scène le chaos de la société américaine, Manson aurait pu en faire sa devise.

Si Laurence Romance, qui a réalisé la dernière interview filmée de Kurt Cobain et traduit son journal intime, s’est intéressée à Manson, c’est par fascination pour le mythe, pas pour le personnage. Lorsque celui-ci meurt en 2017, elle découvre que les entretiens parus en 1986 aux États-Unis n’ont pas été traduits en France et se démène pour trouver un éditeur.

Romance vient d’un coin perdu de France, une région de marais à proximité de Saint-Omer dans le Pas-de-Calais, Manson de l’Ohio, en plein Midwest. Deux endroits que l’on qualifierait aujourd’hui de périphériques. Tous les deux sont issus d’un milieu populaire. La comparaison s’arrête là.

Les parents de la future compagne de Nick Kent, légendaire journaliste de rock british, tenaient un café. Elle en a gardé sa gouaille ainsi qu’une certaine connaissance de l’alcoolisme et des bagarres qu’il provoque, qui explique peut-être son goût pour le metal, mouvement musical extrême. Après le lycée qu’elle quitte avant le bac, elle va vivre à Lille où elle enchaîne des petits boulots, d’ouvreuse de cinéma à vendeuse de barbes à papa. Elle connaît ensuite le chemin classique qui mène à la gloire ou pas. Chanteuse dans un groupe lillois, Radio Romance, qui lui inspire son pseudo, elle se lance à la conquête de Paris où, parrainée par l’incontournable Patrick Eudeline, elle devient la madame rock de Libération sous la direction de Bayon. Elle prête aussi sa plume, volontiers acide, à Best, Rock & Folk, aux Inrocks, ainsi qu’à Rolling Stone où elle traite des sujets de société. Laurence aime virevolter, de journaux en journaux, de sujets légers en interviews cultes, de la presse écrite à la télé. Cheveux vermillon et tenues gothiques pop, elle est connue du grand public pour « Rock Express », l’émission qu’elle a présentée sur M6 pendant cinq ans, ce qui lui vaut d’être traitée de vendue par les gardiens du temple.

Mais le rock est loin d’être sa seule vie. Comme beaucoup de protagonistes du dernier âge d’or du rock’n’roll, elle voue un culte aux auteurs fantastiques et gothiques ainsi qu’à la littérature dite décadente de la fin du xixe. Dans sa bibliothèque, on croise Huysmans, mais aussi Léon Bloy ou Villiers de L’Isle-Adam et son Ève future. Sa préférence va cependant à Rémy de Gourmont, obscur bibliothécaire qui déploie dans Sixtine, roman de la vie cérébrale, son idéalisme désenchanté.

Chez Romance, la vitalité l’a emporté sur le désenchantement. Elle se consacre aujourd’hui à la traduction, notamment celle des ouvrages du British de sa vie, Nick Kent, dont elle a fait paraître un recueil d’articles, The Dark Stuff : l’envers du décor, et l’autobiographie, Apathy For the Devil, publiée en France avec le sous-titre Les seventies, voyage au cœur des ténèbres.

Cette « branleuse » comme elle se qualifie, a découvert un peu ébahie via les réseaux sociaux qu’elle était devenue une « passeuse » pour les nouvelles générations. Après s’être plongée pendant des années dans les ténèbres mansoniennes, elle envisage d’écrire son autobiographie.

Charles Manson par lui-même, propos recueillis par Nuel Emmons (trad. Laurence Romance), Séguier, 2019.

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Photo: Hannah Assouline
Photo: Hannah Assouline

Frédéric Rouvillois: l’automne du «Penser printemps»

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Frédéric Rouvillois, professeur de droit public et écrivain © Hannah Assouline

Pour l’historien et essayiste conservateur, auteur de Liquidation, Emmanuel Macron et le saint-simonisme (Le Cerf, 2020), Emmanuel Macron incarne mieux que personne le monde dans lequel nous vivons: on ne sait pas où on va, mais on avance bien. Dans le sillage du saint-simonisme, notre président, derrière une façade démocratique, met en place une oligarchie d’experts. Entretien


Causeur. Pour vous, Macron est un continuateur du comte de Saint-Simon (1760-1825). Peut-être faut-il rafraîchir la mémoire de quelques lecteurs (et de votre servante). Peut-on dire que les saint-simoniens sont les ancêtres des élites mondialisées ?

Frédéric Rouvillois. En tout cas, ils annoncent certaines de ces élites mondialisées qui réalisent la fusion du libéralisme et du socialisme, plus exactement d’un libéralisme encadré et d’un socialisme inégalitaire. En un sens, le saint-simonisme est une sorte de religion théorisée par Saint-Simon dans son dernier ouvrage, Le Nouveau Christianisme (1825), avec une église et une morale presque droit-de-l’hommiste, qui substitue aux fois anciennes, supposées mensongères, une religion de l’Homme s’émancipant par l’économie de la misère et de l’ignorance, et accédant à l’âge d’or.

Mais le saint-simonisme est avant tout une idéologie de la mobilité, de la fluidité et de la compétition, avec l’idée que chacun doit repartir de zéro pour se lancer dans la compétition à corps perdu, en fonction de ses « capacités ».

La compétition, que ce soit pour les femmes, le pouvoir et l’argent, est l’un des moteurs de l’existence humaine, bien avant l’époque moderne.

Je ne prétends pas que nous devrions vivre comme les moutons d’un troupeau bêlant de concert. Mais pour le saint-simonisme, la vie et l’histoire du monde se résument à cette compétition, l’objectif de chaque individu étant d’être « à sa place » dans la cordée. Le postulat de Saint-Simon, « à chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses œuvres », implique à certains égards une table rase indéfiniment répétée, puisque pour que chacun parte sur la même ligne que tous les autres, il faudrait éliminer non seulement le patrimoine matériel accumulé au sein de chaque famille, mais aussi le patrimoine culturel… Le système éducatif jacobin imaginé par Robespierre préconisait que les enfants soient retirés de leur famille pour qu’ils ne soient pas pervertis, qu’ils grandissent ensemble jusqu’à l’âge adulte pour pouvoir participer de manière égalitaire à la République. Je ne dis pas qu’en prônant l’école à trois ans et la suppression de l’école à la maison, mon collègue Blanquer soit exactement dans la même optique, mais il y a quand même quelque chose de cela.

À lire aussi: Pierre Vermeren: «L’État de droit est en train d’asphyxier la démocratie»

Pourquoi rattacher Emmanuel Macron à Saint-Simon plutôt qu’à Marx ? Marx aussi installe le primat de l’économie après tout.

Et pourquoi rattacher le pape à Jésus-Christ plutôt qu’à saint Paul ? Eh bien, parce que saint Paul est un disciple de Jésus-Christ ! Or, s’agissant de la place de l’économie et de la conception de l’Histoire, Marx est très largement un disciple de Saint-Simon, comme il le reconnaît volontiers. En outre, il y a dans la problématique macronienne du dépassement de la politique par l’économie un évident lien de parenté avec Saint-Simon. Enfin, il y a chez Macron cette dimension libérale indéniable dont vous conviendrez qu’on peut difficilement la rattacher au Manifeste du Parti communiste.

Qualifieriez-vous le macronisme d’utopie ?

À certains égards, oui. Comme le saint-simonisme, il rêve d’une sorte de réconciliation universelle à laquelle on parviendra en dépassant ou en surmontant les différences (entre riches et pauvres, hommes et femmes, etc.). Libérés des conflits, les hommes seront libres d’agir selon leur volonté et de réussir selon leurs talents. Il y aura donc autant d’histoires que d’êtres humains : c’est la fin de l’Histoire.

Ces quelques rappels étant faits, venons-en aux reproches ! À vous lire, on dirait que la seule alternative au monde liquide décrit par Zygmunt Bauman est l’ordre ancien et immuable dans lequel la naissance était déterminante. Si l’histoire n’avait pas opéré de liquidations successives, nous serions encore dans les cavernes.

Ne me caricaturez pas trop ! Évidemment qu’il faut de la souplesse. Récuser la liquidation universelle et permanente, reconnaître le rôle structurant des limites ou des frontières ne signifie pas qu’on veut mettre des limites partout, et à tout. Si la tradition n’est pas en évolution permanente, elle se suicide. Quant au vrai but du conservateur, ce n’est pas de conserver la totalité de ce qui existe, mais de reconnaître qu’il y a dans le passé des choses qui sont bonnes, d’autres qui le sont moins et de faire un tri. Il est contraint à un devoir d’inventaire permanent. De son côté, le saint-simonisme, y compris dans sa version macronienne, valorise le mouvement en tant que tel. Ce qu’il faut c’est être « en marche », changer, être dans le « trans », le passage. Et si l’islam inquiète Macron, c’est moins parce qu’il menace une certaine identité française, que parce qu’il fait obstacle à la société liquide et dépourvue de repères fixes rêvée par Saint-Simon.

En attendant, « à chacun selon ses capacités », c’est la définition de la méritocratie. Vous dénoncez le gouvernement des experts, mais je me rappelle les Gilets jaunes affirmant que n’importe qui est capable de gouverner. Désolée, je ne leur aurais pas confié la boutique ! On ne peut pas se passer d’une forme de légitimité rationnelle.

Je ne nie évidemment pas le rôle des experts, des scientifiques, des universitaires – dont je fais partie. Ce que je reproche à Macron c’est de nous jouer le grand air de la démocratie citoyenne. Les saint-simoniens au moins assumaient leurs idées : ils établissaient clairement une hiérarchie entre ceux qui ne savent rien, et qu’il faut par conséquent écarter du pouvoir, et ceux qui savent, à qui il incombe de diriger à proportion de leur savoir : Cédric Villani président, en somme, en attendant l’intronisation de la prochaine médaille Fields. La méritocratie des experts, c’est l’aristocratie du savoir qui entraîne, chez les saint-simoniens, une oligarchie du pouvoir. En soi, la chose n’est pas forcément négative, je ne me sens pas personnellement une appétence démocratique faramineuse. Ce qui est plus gênant, c’est d’être dans le faux-semblant, de mettre en place cette aristocratie sans l’assumer tout en faisant croire que l’on est toujours dans une perspective parfaitement démocratique ! Notre fameuse convention citoyenne pour le climat s’inscrit dans cette logique : on fait croire que c’est le peuple qui parle, alors que derrière la scène, les experts prennent les décisions, avant que le président ne déclare à Brut, le 4 décembre, que ce n’est pas « parce que les 150 citoyens ont écrit un truc que c’est la Bible, ou le Coran ».

Notre politique sanitaire actuelle – et le sacro-saint principe de précaution sur lequel elle est fondée – renvoie au « corps glorieux » de Saint-Simon.

En effet, les saint-simoniens voulaient réconcilier l’esprit et la matière. C’est ce qu’ils appelaient « la réhabilitation de la chair » : tout un programme !

La religion de l’homme exige que tout soit fait pour que son corps, sa vie matérielle ou physique soient préservés

Ambition louable…

C’est vous qui le dites… En tous cas, cela peut évoluer vers un hygiénisme fanatique. De nombreux médecins entouraient du reste les saint-simoniens, tout comme Macron aujourd’hui. En 1832, lors de l’épidémie de choléra à Paris, ils n’hésitent d’ailleurs pas à préconiser une dictature sanitaire assumée comme telle. La religion de l’homme exige que tout soit fait pour que son corps, sa vie matérielle ou physique soient préservés, « quoi qu’il en coûte », comme dirait qui vous savez… Quand on ne croit plus qu’en l’homme, il faut absolument sauver ça, sinon tout est fichu. Or, comme le montre Olivier Rey dans L’Idolâtrie de la vie, plus l’État donne, plus cela crée de frustrations qui engendrent à leur tour une nouvelle demande, qui entraîne plus d’intervention de l’État et ainsi de suite.

D’une façon générale, vous semblez partir du principe que tout vient d’en haut et vous oubliez la demande sociale qui est à la fois une demande de protection, d’ouverture et de flexibilité. Les gouvernés aussi font du « en même temps ». La doctrine macrono-simonienne n’est-elle pas la plus adaptée à l’individu roi qui veut que ses droits lui soient garantis tout en ayant accès à ce qui se passe à l’autre bout de la planète ?

En effet, si Emmanuel Macron a gagné la présidentielle, ce n’est pas juste parce qu’il était là à ce moment-là, que Hollande avait fait preuve de son incapacité et que Fillon avait les mains sales. Macron correspond tout à fait à notre époque. Le nouveau monde dont il parle, c’est celui qu’on a devant les yeux. Je serais étonné qu’il ne soit pas réélu en 2022, car il est dans le sens de l’Histoire, comme les disciples de Saint-Simon l’étaient au moment de la révolution industrielle. Dans le sens du vent. Mais je doute que ce vent soit toujours bon pour notre pays.

En tout cas, les peuples ne veulent plus de modernisation à marche forcée. Peut-on dire que le saint-simonisme, que vous créditez aussi de plusieurs réalisations, a accompli sa mission historique ?

C’est une question de marxiste ! Effectivement, si l’Europe de Jean Monnet ne me fait pas vibrer, le saint-simonisme a sans doute fait des choses utiles. Pour autant, je ne pense pas qu’il y ait une « mission historique » du saint-simonisme. Ni d’aucune doctrine d’ailleurs !

Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825). © Bridgeman Images/Leemage
Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825). © Bridgeman Images/Leemage

Justement, Emmanuel Macron n’est-il pas plus complexe que ce que vous pensez ? Avant même le tournant de ces derniers mois, il avait une certaine prétention à la verticalité, là où le saint-simonisme consacre le triomphe de l’horizontalité. Bref, on ne peut pas le réduire à l’utilitarisme.

Il l’a montré en choisissant le Louvre pour son premier discours de président. C’était étonnant, et assez séduisant. Il y a chez lui une forme de verticalité, un sens de la culture, même s’il explique « en même temps » que la culture française n’existe pas, un sens du spirituel, même si dans son livre Révolution (2016), il oublie complètement les interrogations religieuses de sa propre jeunesse. Sa seule incursion dans ce domaine consiste à expliquer que les religions sont des obscurantismes allant à l’encontre des Lumières : référence d’ailleurs omniprésente dans son discours, et qui le replace dans une généalogie plus longue.

À lire aussi, Sami Biasoni: La «Grande Réinitialisation»: le monde d’avant en pire

Macron n’a-t-il pas été rattrapé par le réel, c’est-à-dire par l’anthropologie ? Aujourd’hui, il semble comprendre qu’il y a bien une nation et un peuple français, il parle des frontières, il fait son aggiornamento sur l’islamisme. J’ai beaucoup de mal à croire qu’il n’y ait que de la communication, du paraître, dans ce nouveau cours.

Je ne sais pas quelle est la sincérité de son propos, qui a connu sur ce point nombre de sinuosités. À certains moments, il semble habité par l’histoire de France, à d’autres, plus fréquents, il paraît dominé par sa vision européiste, ou bien il évoque la souveraineté de la France tout en croyant d’abord en celle de l’Europe, donnant l’impression de faire des variations autour d’un thème fixe, comme quelqu’un qui ferait des circonvolutions en trottinette sans sortir de la piste cyclable.

Avec le coronavirus et le « séparatisme » islamiste, Emmanuel Macron met en veilleuse certaines de ses convictions

Peut-être, mais l’homme nouveau n’est pas apparu par miracle, il y a toujours des gens attachés à des territoires, des langues et des histoires particulières. Que cela lui plaise ou pas, Macron est capable de le comprendre et d’en tirer les conséquences.

Je ne pense pas que quelques attentats, aussi atroces soient-ils, suffisent à faire basculer aussi radicalement un homme doté depuis si longtemps de cette colonne vertébrale idéologique qu’est le saint-simonisme. Charles Perrault, l’un des premiers grands progressistes de la fin du xviie siècle, compare l’Histoire à un fleuve qui traverse parfois des grottes souterraines pour ressortir plus loin, encore plus puissant. Je ne crois pas que le Macron nouveau, qui parle avec émotion de la France, de son histoire, de sa culture, soit le Macron définitif, ni même le véritable. Avec le coronavirus et le « séparatisme » islamiste, il met en veilleuse certaines de ses convictions – mais dès que les choses iront mieux, on retrouvera le progressiste qui constitue le « Macron profond ».

Yuriy: une indignation à la mesure de notre impuissance?

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Sur son compte Instagram, la mère du jeune a donné des nouvelles plus rassurantes le 26 janvier. Capture d'écran Instgram

Alors que la résolution de l’affaire semble au point mort – pas d’interpellations à cette heure – l’Elysée a apporté son soutien à la malheureuse victime de ce qui ressemble à un règlement de comptes. Pour le magistrat honoraire Philippe Bilger, quand bien même cette affaire est éminemment médiatique, le président a tort de choisir les victimes à choyer. Selon lui, c’est “tout le monde ou personne, Monsieur le président !”


Rien ne donne plus le sentiment de l’inéquité républicaine que des interventions présidentielles partielles, partiales, tactiquement ciblées au lieu d’être globales et sans la moindre arrière-pensée. Le président s’était beaucoup ému auprès de Michel Zecler de ce que celui-ci avait dit avoir subi et dont des traces sur son visage attestaient la réalité. Récemment, à la suite du lynchage dont Yuriy a été victime de la part de dix voyous dans le quartier de Beaugrenelle le 15 janvier, le président s’est à nouveau manifesté en prenant langue avec la mère de ce jeune homme âgé de quinze ans.

Une agression dont nous aurions ignoré l’existence sans la fuite de la vidéo

Il convient de noter que cette agression n’a été rendue publique que grâce aux réseaux sociaux: un compte anonyme a diffusé ces secondes d’une extrême violence. Faut-il s’en féliciter? ou regretter par avance que, connu ou demeuré inconnu, ce scandaleux épisode aboutira ni plus ni moins aux mêmes conséquences : une indignation aussi vive que l’impuissance sera forte ?

A lire ensuite: L’augmentation de l’insécurité dans les campagnes est sensible, malgré les confinements!

Capture d’écran de la vidéo extrêmement violente du lynchage

Yuriy a même été gratifié de soutiens sportifs et médiatiques qui en général allaient plus volontiers vers ceux que la police aurait maltraités[tooltips content= »Le footballeur Antoine Griezmann ou le comédien Omar Sy par exemple NDLR »](1)[/tooltips]. On ne peut que se réjouir de ce changement de cap : les voyous, mineurs ou non, ne sont plus pris pour des victimes! Yuriy se serait trouvé malencontreusement pris dans un affrontement de deux bandes rivales, dont l’une venue de Vanves, à Paris, vers 18 heures 30, sans la moindre crainte d’une quelconque intervention policière.

Une affaire encore entourée d’ombres

Actuellement on ne sait pas trop ce qu’il en est de l’implication ou non de Yuriy dans cette affaire – on nous affirme qu’il s’agit d’un adolescent très calme et tranquille, pourquoi pas? – mais je relève que le président s’est précipité pour consoler sa mère et je note que les amis de Yuriy se réfugient dans le silence. Il n’y a que Raquel Garrido, dont l’idéologie fait d’elle une extralucide, pour tout savoir puisqu’elle dénonce « les charognards d’extrême droite ». La volupté d’accabler en totale ignorance, cela ne se refuse pas !


Le président de la République n’est absolument pas dans son rôle en choisissant ses victimes. S’il considère que son attention et sa compassion doivent ostensiblement être offertes, il me semble que, quitte à se prétendre grand consolateur, Emmanuel Macron doit l’être avec toutes les victimes. C’est tout ou rien. Que pensent actuellement tous les laissés-pour-compte de l’indifférence présidentielle ? Il est trop facile de se donner bonne conscience en téléphonant à une mère, comme si cet épisode affreux ne résultait pas, d’une certaine manière, de la carence d’une politique globale de sécurité dont deux de ses ministres et lui-même sont responsables devant les Français. Je téléphone donc je n’y suis pour rien!

Comme si la parole présidentielle permettait de passer à autre chose

Échec qui se suffit à lui-même, qui n’a pas besoin pour être aggravé de considérations sur les immigrés, les Français d’origine étrangère ou les étrangers. Victimes de notre incurie pénale, ils le sont tous également. Pour les coupables, il conviendra d’en tirer les conséquences. Le président de la République, agissant si confortablement – quelques mots et le tour est joué -, se prive, par les sélections qu’il opère et les discriminations qu’on lui recommande, du constat d’une insupportable réalité. Toutes ces victimes qui chaque jour révèlent une criminalité en hausse, une délinquance violente de la part de bandes de mineurs, si elles étaient prises en compte par la mansuétude présidentielle comme Michel Zecler et Yuriy l’ont été, ne lui permettraient plus ce rôle hypocrite de bon samaritain tardif. Il serait obligé de faire face à cette France du malheur et de la violence : plus de compatir au compte-gouttes!

Ne sélectionnons pas parmi les victimes!

Ces sinistrés de l’insécurité et du laxisme ne surgissent pas de rien mais d’une politique gangrenée par une philosophie pénale sans ressort et un cynisme tactique. Tout pour 2022 mais avec tant de retard !

A lire aussi, du même auteur: Lieuron et Aulnay-sous-Bois: notre laxisme sur le banc des accusés

Monsieur le Président, si vous tenez à tout prix à persuader les Français que vous avez du cœur et que vous les aimez – contrairement à la charge cinglante de Michel Onfray qui vous reproche de n’être proche ni de la France ni des Français – cessez de sélectionner comme un grand seigneur les douleurs qui rapportent mais penchez-vous sur toutes ! Vous nous persuaderez ainsi que votre compassion est sincère, ne fait pas de tri et révèle une authentique sensibilité.

Alors, de grâce, monsieur le président, tout le monde ou personne !

Sur la violence gratuite en France: Adolescents hyper-violents, témoignages et analyse

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Le regard d’Elisabeth Lévy

Hier au micro de Sud Radio, Elisabeth Lévy livrait ses premières observations sur l’affaire. Causeur vous propose de retrouver son intervention. Regardez:

Respect des principes de la République: quand parlera-t-on enfin de respect de la France?

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Discours du Président Macron sur la lutte contre les séparatismes, les Mureaux, octobre 2020 © Eric TSCHAEN/POOL/SIPA Numéro de reportage : 00984047_000010

L’assassinat de Samuel Paty semblait avoir offert à Emmanuel Macron un bref moment de lucidité. Force est pourtant de constater que les remèdes proposés par le projet de loi confortant le respect des principes de la République font appel à deux concepts inappropriés et mal compris pour combattre l’islamisme: les valeurs de la République et la laïcité.


Employés à tort et à travers depuis des décennies, ils n’ont jamais empêché l’accroissement de l’islam culturel dans l’espace public ni permis de contenir la poussée de l’islamisme. Le Mouvement Conservateur rappelle dans Le Manifeste du conservatisme que bien que la France soit une République laïque, elle ne s’y réduit pas et constitue aussi un espace culturel et civilisationnel distinct dont la protection et la promotion doivent être le fil rouge de l’action politique.

Il est intéressant de noter que le projet de loi actuellement en discussion à l’Assemblée Nationale met l’accent sur le respect des principes de la République mais ne mentionne jamais le respect de la France. Elle n’y est d’ailleurs citée que six fois, contre 49 fois pour les mots « République » et « républicains ». Or, c’est la France qui est en danger et qui a besoin d’être protégée, la république n’étant qu’un régime politique. Là où on cherche à réaffirmer les valeurs et les principes de la République, c’est plutôt ce qui caractérise la France, ses us et coutumes ainsi que son mode de vie qui devraient être rappelés et confortés. Ils sont d’ailleurs les meilleurs outils dont nous disposons pour lutter efficacement contre l’islamisme : si ce dernier est un projet civilisationnel, alors c’est avec l’affirmation de notre propre civilisation que nous devons mener le combat. La Commission d’enquête du Sénat l’a souligné en juillet dernier : « Les islamistes cherchent à peser sur la vie quotidienne et le rapport aux autres des Français de confession musulmane et des musulmans étrangers résidant en France, pour leur imposer une orthopraxie, des pratiques vestimentaires, alimentaires, rituelles, mais surtout une norme de comportement et de rapports entre les hommes et les femmes, afin de les séparer du reste de la population française. » C’est ainsi que, petit à petit, la société civile est islamisée et que le séparatisme prend forme. Battons-nous donc à armes égales pour que la France soit enfin capable de contrer le développement de l’Islam culturel et ses dérives totalitaires qui cherchent à régenter les modes de vie et qui se développent en marge du djihad terroriste. 

La République s’accommode très bien de régimes islamistes: la République islamiste d’Iran a beau être une théocratie régie par la Charia, elle n’en répond pas moins aux critères d’une république!

À chaque fois que le gouvernement tente de s’atteler à la lourde tâche qu’est la lutte contre l’islamisme, il en appelle aux valeurs de la République et à ses principes. Or, la démarche est bancale et laisse dubitatif. La république n’est stricto sensu qu’un régime politique dans lequel le pouvoir est accordé par le corps social – par opposition au pouvoir héréditaire. La république n’est porteuse d’aucune essence ni d’aucun message normatif, culturel ou civilisationnel ; elle n’est même pas garante de la démocratie ! Elle s’accommode d’ailleurs très bien de régimes islamistes : la République islamiste d’Iran a beau être une théocratie régie par la Charia, elle n’en répond pas moins aux critères d’une république. On a donc du mal à voir en quoi l’affirmation des principes régissant la République, un simple régime politique, serait la réponse appropriée au projet islamiste qui est un projet civilisationnel. Avons-nous déjà vu le Royaume-Uni en appeler aux principes de la monarchie constitutionnelle ou la Suisse aux principes confédéraux pour lutter contre l’islamisme ? Non.

L’appel ad nauseam aux valeurs et aux principes de la République est problématique, car ils peuvent toujours se discuter. L’exemple du voile islamique est éloquent : c’est au nom de la liberté que des femmes s’y opposent ou le portent ! Les valeurs de la République, que personne ne prend le soin de définir, sont toujours relatives et dépendent de l’interprétation subjective que chacun en fait ; elles ne semblent donc pas être les meilleurs outils dont nous disposons pour lutter contre l’islamisme. L’enjeu est ailleurs. Il réside davantage dans l’affirmation de ce que nous sommes et de notre identité. Les us et coutumes de la France, son mode de vie, ses traditions, ce qui la caractérise d’un point de vue anthropologique et civilisationnel sont des données objectives consacrées par l’histoire et qui ne souffrent aucune discussion ou interprétation possible. Cessons de tergiverser sur des valeurs abstraites et ayons le courage d’opposer à nos ennemis qui nous sommes objectivement. D’autant plus que notre héritage, notre culture et notre civilisation sont pétris d’ouverture, de tolérance, d’égalité entre les hommes et les femmes, en tout point opposées au projet politique de l’islamisme. L’enjeu est bel et bien de refuser certaines coutumes venues d’ailleurs qui ne correspondent tout simplement pas au mode de vie français et aux principes qui les inspirent. 

Cette tendance à faire appel à des concepts désincarnés pour lutter contre l’islamisme se retrouve aussi dans le recours à la laïcité, y compris dans le présent projet de loi où elle est rappelée dès l’exposé des motifs. Or, la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État ne visait qu’à protéger le pouvoir politique de l’influence de l’Église. Le principe de laïcité ne permettra pas de lutter contre l’Islam culturel et politique, car la loi de 1905 concerne l’État alors que le totalitarisme islamique exerce une emprise et une influence qui vise la société civile. Convoquer la laïcité, tel un réflexe pavlovien, à chaque fois que l’islamisme se rappelle à nous, est donc insuffisant.

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On en vient finalement à s’interroger : est-il devenu interdit de parler de la France ? Quarante années de gauchisme politique ont rendu tabou tout lien d’enracinement et de rapport charnel des Français avec leur pays, son histoire, ses traditions, et ce qui le caractérise. Parler des valeurs de la République, de ses principes, de la laïcité, sont finalement autant de moyens de tourner autour du pot pour ne pas avoir à parler de ce qui est réellement essentiel : que ce n’est pas la République qui est attaquée, mais la France en tant qu’espace civilisationnel. On en vient aussi à ne plus pouvoir nommer le réel. L’islamisme n’est mentionné que deux fois dans le projet de loi, et toujours dans le cadre plus large des « séparatismes », dont l’emploi du pluriel par souci de non-discrimination relève d’un terrible manque de courage pour nommer l’ennemi.  

C’est une approche conservatrice, celle de la réappropriation et de l’affirmation de notre héritage culturel façonné par notre tradition gréco-romaine et nos racines chrétiennes qui peut relever l’immense défi auquel l’Occident est confronté. C’est une urgence vitale de refuser la soumission au multiculturalisme et à l’immigrationnisme, ces deux dogmes progressistes qui empêchent d’ouvrir les yeux sur une réalité qui crève pourtant les yeux : la protection de la Nation exige la défense des frontières pour mettre fin au chaos migratoire, car la France a le droit de choisir qui elle souhaite accueillir sur son territoire. Parce que l’immigration est majoritairement de culture musulmane, elle est un défi civilisationnel pour que la France reste la France. Seule une politique de l’enracinement permettra de répondre à l’instinct de conservation qui anime les Français, un instinct de résistance et de courage qui appelle une volonté politique portée par un amour inconditionnel de la France.

Les absents ont toujours raison

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© Soleil

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !


On aura tout essayé. Orchestres réduits pour respecter le mètre barrière, public masqué un siège sur deux, pièces abrégées sans entracte, concerts à 17 heures pour tenir le couvre-feu. Quand Monsieur Jean a interdit les spectacles, Madame Roselyne a trouvé l’astuce : « Certaines activités professionnelles peuvent continuer dès lors qu’il n’y a pas de public. » À la différence du confinement n° 1, le confinement n° 2 autorisait ainsi les tournages, les répétitions à huis clos, les enregistrements, tout ce qui se passe de public.

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Tout le monde s’est mis à streamer

Alors on y est allé franco. L’Opéra de Paris, au point mort depuis un an, a enregistré l’intégralité du Ring : quinze heures de Wagner sur France Musique pour les adieux du chef Philippe Jordan, hop c’est dans la boîte. Tout le monde s’est mis à streamer en espérant que Madame Roselyne tiendrait la caisse à défaut de la barre. L’Opéra-Comique a aiguillé vers son site internet la tragédie de Rameau que les artistes répétaient depuis septembre. Au lieu de Donizetti, la Scala de Milan s’est fendue d’un gala All-Star avec incrustations 3D et garde-robe Armani. Les Forces musicales, regroupement d’une cinquantaine d’orchestres et de théâtres lyriques, nous ont fait « L’amour de loin », premier festival d’opéras, concerts et ballets en ligne 100 % made in France…

Quelquefois, on se marre : l’Opéra de Rennes nous a pomponné une joyeuse Dame blanche (le tube que brame Tintin ivre dans Le Crabe aux pinces d’or). Quelquefois moins : Lohengrin envoyé de Berlin sur Arte c’était, comment dire ? Arte. Dans tous les cas, on piaffe. On s’énerve. Ces salles vides, ce silence, cette absence ! Cet absentiel diraient nos technolâtres qui viennent d’inventer la notion de présence comme cas particulier, quasi trouble à l’ordre public.

Exception viennoise

Tous les cas sauf un : le traditionnel concert du Nouvel An à Vienne. Suite de polkas et de valses moitié kitsch moitié punch, instituée par les nazis en Quarante, mais jugée pacificatrice par les Alliés et maintenue sans pause depuis lors au même titre que la fête des mères ou le beaujolais nouveau. Évidemment, la cage dorée du Musikverein, vide elle aussi, fait un peu peur. Mais ce concert-là ne s’adresse qu’accessoirement au public local. Télévisé depuis 1958, il touche plus de 50 millions d’âmes dans une centaine de pays. Avec ou sans auditoire, ce 1er janvier 2021, qui aura senti la différence ?

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Roselyne Bachelot à Deauville le 4 septembre 2020 © Jacques BENAROCH/SIPA Numéro de reportage: 00979862_000173.
Roselyne Bachelot à Deauville le 4 septembre 2020 © Jacques BENAROCH/SIPA
Numéro de reportage: 00979862_000173.

Prêts pour l’absentiel participatif généralisé?

Un seul hic : le bis. Après le programme officiel (famille Strauss et compatriotes), le chef dirige les premières mesures du Beau Danube bleu, que le public interrompt en applaudissant, l’orchestre s’arrête et crie « prosit Neujahr ! », « bonne année ! », le chef reprend alors son Danube, jusqu’au bout. Rituel immuable. Or là, pas de public, pas d’applaudissements, pas de tradition. Pas de tradition ? À Vienne ? Jamais vu ça. Le Philharmonique a donc trouvé la parade. Vendredi 1er à 11 h 15, si vous vouliez applaudir, vous vous inscriviez sur son site et allumiez votre smartphone ou votre ordinateur. « Les applaudissements à la fin de chaque moitié de concert retentiront en direct dans le Musikverein grâce à la sono et seront également audibles dans la retransmission TV. » Plus fort : « Ceux qui le souhaitent pourront envoyer une photo créative au préalable pour partager leur enthousiasme. Certaines photos seront diffusées pendant les applaudissements. » Prêts pour l’absentiel participatif généralisé ? Cinq, quatre, trois, deux, un… Bonne année !