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Camélia Jordana, ou le paradoxe de l’a-comédienne

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Vous vous souvenez, bien sûr, que dans son fameux Paradoxe du comédien, Diderot explique que seul un acteur psychologiquement neutre peut prétendre s’emplir des subtilités d’un personnage complexe. Sinon, argumente-t-il, ses propres qualités étouffent toute possibilité de devenir le rôle qu’on lui assigne… Camélia Jordana, j’en avais un vague souvenir en petite hétaïre maghrébine dans l’excellent film de Lou Jeunet, Curiosa, dont j’ai rendu compte ici même : elle était l’un des modèles que Pierre Louÿs, écrivain et photographe érotomane, amène devant son objectif.

Le Brio - Bande-annonce Image: capture d'écran YouTube.
Le Brio – Bande-annonce Image: capture d’écran YouTube.

C’est donc sans a priori que j’ai regardé en DVD le Brio, où Daniel Auteuil est contraint par l’administration de son université, pour avoir dit d’une façon un peu brutale à ses étudiants les choses telles qu’elles sont, à former une étudiante maghrébine aux subtilités d’un concours de rhétorique.

Pour des raisons commerciales, Camélia Jordana feint de parler racaille…

Le sujet m’intéressait, j’avais moi-même il y a quelques années dirigé deux étudiants marseillais pour le concours du Lyon’s Club — à tel titre qu’ils étaient montés en finale nationale. C’est une gageure, pour un formateur, de se saisir de la terre glaise informe et d’en tirer une statue qui parle. Et pour être informe, Camélia Jordana, dans le film d’Yvan Attal, l’est des ongles aux cheveux.


L’innocente jeune fille a réalisé, il y a peu, que le film au fond racontait comment un vieux mâle blanc faisait sortir du néant intellectuel une petite Maghrébine. Caramba ! Elle avait donc été manipulée par ce vieux satyre d’Auteuil, qui se permettait, en filigrane, de lui donner une leçon de comédie.

Accusé Auteuil, levez-vous !

On sait comment l’esprit vient aux filles. Sans doute Mlle Jordana a enfin trouvé un initiateur doué, parce que trois ans plus tard, elle comprend enfin ce qu’elle a joué : une imbécile qu’un prof de génie emplit temporairement de talent — et sans lequel elle n’existerait même pas.

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Je suspecte Auteuil qui est un grand comédien, d’avoir tout de suite compris quel matériau informe on lui mettait entre les mains — et d’avoir jonglé avec sa partenaire, non sans cruauté. Jordana joue « nature » — elle est intensément elle-même, intensément vide, peu à peu emplie du savoir et des techniques d’un artiste au sommet de son art. Puis c’est comme dans le Pygmalion de George Bernard Shaw : une fois la performance accomplie, on laisse tomber le cobaye dans sa fange originelle. Va chanter des rengaines, petite.

C’est d’ailleurs par la chanson que notre petite bourgeoise d’origine algérienne s’est fait connaître, lors de l’une de ces émissions qu’on appelait autrefois des « radio-crochets ». Elle a séduit son monde en interprétant « What a wonderful world ». Sans vouloir être moi-même cruel, les mélomanes apprécieront le léger décalage entre l’interprétation de la donzelle et celle de Louis Armstrong. L’industrie du disque visant la rentabilité à court terme plus que la promotion des talents, Jordana a récidivé depuis à plusieurs reprises. Elle a ainsi acquis auprès des hilotes une visibilité qui lui a donné le droit de dire de très grosses bêtises. Par exemple…

Camélia et le « racisme systémique » de la police coloniale

« Il y a des milliers de personnes qui ne se sentent pas en sécurité face à un flic. Et j’en fais partie. Aujourd’hui, j’ai les cheveux défrisés, mais quand j’ai les cheveux frisés, je ne me sens pas en sécurité face à un flic en France, vraiment ! Peut-être que si certaines mesures étaient prises plutôt que d’avoir des non-lieux en permanence à chaque fois… » Et d’ajouter qu’en général, « ce sont des hommes qui se font tuer, noirs ou arabes ou simplement pas blancs. »

La demoiselle, qui a vécu une enfance protégée dans le Sud de la France, mais qui pour des raisons commerciales feint de parler racaille, a certainement été bousculée plus souvent qu’à son tour par ces policiers racistes et violents… Puis comme le communautarisme est un créneau limité, qui risquait de l’enfermer dans un segment commercial très étroit, elle a élargi son raisonnement philosophique : « Si j’étais un homme, je demanderais pardon, je questionnerais les peurs, et je prendrais le temps de m’interroger. Car les hommes blancs sont, dans l’inconscient collectif, responsables de tous les maux de la terre. » Ainsi surfe-t-on en même temps sur le décolonialisme, le féminisme, le communautarisme, l’anti-racisme et autres grandes causes contemporaines. La culpabilité me tenaille si fort que déjà je me demande si j’achèverai cette chronique sans me trancher les veines et arroser mon clavier.

Il en est de Camélia Jordana comme d’Aya Nakamura, récemment propulsée par un député LREM ambassadrice de la langue française. L’industrie de la chanson les tire du néant, encaisse rapidement quelques bénéfices, et les renvoie à leur vide existentiel. L’industrie du cinéma les décrète égéries, comme Adèle Haenel, et cessera de s’y intéresser dès que le capital risqué sur leurs têtes ne rapportera plus assez auprès des imbéciles. Notre modernité décrète « stars » des lumignons allumés pour la foire, et les remplace aussi vite par d’autres lucioles. Un vide artificiellement rempli de paillettes retourne très vite au vide. Pour être un acteur de génie, il faut être de la glaise et se modeler à chaque rôle. Il ne suffit pas d’être un petit tas de boue auquel les médias donnent ponctuellement de l’importance, avant de les abandonner dans le caniveau. Allez, Camélia, quelques mois à l’Actor’s Studio, et la lumière viendra peut-être.

La chanteuse Camelia Jordana au défil printemps été 2019 de Louis Vuitton © Jean-Marc HAEDRICH/SIPA Numéro de reportage : 00878376_000040
La chanteuse Camelia Jordana au défilé printemps été 2019 de Louis Vuitton © Jean-Marc HAEDRICH/SIPA Numéro de reportage : 00878376_000040

Cameo: l’application qui permet à Chuck Norris ou Caitlyn Jenner d’arrondir les fins de mois


L’application américaine Cameo propose à ses clients des vidéos personnalisées de leurs stars préférées contre rémunération… Alors que le Covid a aussi réduit l’activité des vedettes d’Hollywood, le service cartonne!


Surprise pour de nombreux internautes corses. Dans une vidéo très spéciale postée sur la page Facebook des commerçants bastiais le 3 janvier, le célèbre Chuck Norris adresse ses meilleurs vœux pour 2021 aux Bastiais !

Une vidéo surprenante du héros de Walker, Texas Ranger

L’acteur karatéka américain de la mythique série Walker, Texas Ranger appelle à soutenir le commerce local et souhaite « Pace e Salute » aux habitants. De quoi remonter le moral après une dure année 2020.

Il faut dire que Chuck n’a pas été choisi par hasard. À l’initiative de Daniel Benedittini, leur président, l’Union des commerçants bastiais a fait appel « à la seule personne capable de tout surmonter pour affronter cette nouvelle année », peut-on lire sur leur Facebook. Mais le « Texas Ranger » ne vole pas au secours des commerçants corses par amour pour l’île de Beauté.

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Des vœux commandés sur internet

La vidéo a été commandée via l’application Cameo. Cette dernière permet de solliciter des stars pour la création de messages personnalisés, à l’occasion de mariages ou d’anniversaires notamment, contre une rémunération qui revient à 75 % à la célébrité et à 25 % à la plate-forme. Il fallait y penser. Elle cartonne depuis le confinement, permettant aux pauvres célébrités d’arrondir leurs fins de mois difficiles. S’y côtoient des stars du sport, de la téléréalité, de la musique et du cinéma. « Pas de tournées, pas de matchs, pas de boulot… Nous leur offrons un moyen de rester en contact avec leurs fans, c’était une façon pour elles de combler ce vide », a affirmé Abbie Sheppard, responsable de la section européenne de Cameo, au média Slate. Un vide qui se comble au prix fort dans certains cas : une prestation de Caitlyn Jenner, présentatrice transgenre de la brillante famille Kardashian, s’élève à 2 300 euros… Loin de ce prix, une prestation de Chuck Norris coûte à la modique somme de 328 euros.

Un petit investissement, bien loin des prix d’une campagne publicitaire classique, qui a permis de faire un joli buzz pour les commerçants bastiais. Reste à savoir si l’invincible Chuck leur portera chance.

Capture d'écran du site de Cameo.
Capture d’écran du site de Cameo.

Supprimer les vols courts : un drame socio-économique pour des résultats climatiques dérisoires


Un rapport publié par Greenpeace prétend que, pour sauver la planète, il faut que l’État s’attaque au secteur aérien en empêchant la reprise des vols courts après la fin de la pandémie. En réalité, cette mesure ne représente rien de moins que le sabordement de tout le secteur.


Préoccupée par l’évolution du climat de notre planète, la puissance publique est sommée de faire la chasse aux combustions contribuant à un réchauffement. Une promesse devrait ainsi être tenue de ne pas laisser l’atmosphère se réchauffer au-delà d’une limite de 2,0 °C fixée dans l’accord de Paris, rabaissée à 1,5 °C selon les injonctions d’experts intergouvernementaux. Pour y parvenir, toutes les pistes sont explorées, y compris les plus dangereuses.

Un secteur aéronautique de plus en plus vertueux

C’est ainsi que, dans un communiqué du 21 janvier, le puissant lobby vert exige par le truchement de Greenpeace France que les avions ne redécollent plus, après avoir été cloués au sol depuis bientôt un an. Un rapport de 26 pages y est consacré. La contribution carbonée de l’aviation est, pour un tiers chacun, faite par les courts, moyens et longs courriers[i]. Ce ne sont pourtant que les vols courts qui sont visés car il serait impopulaire de remettre le trafic des Outre-mer sur des caboteurs et difficile de s’attaquer d’emblée aux vols internationaux et intercontinentaux. Selon Greenpeace, les projets d’extension d’aéroports devraient aussi être abandonnés. Par sa singularité technologique, l’aviation est une cible idéale bien qu’elle ne soit à l’origine que de 2,4 % des émissions carbonées mondiales[ii] – environ sept fois moins que le transport routier et du même ordre de grandeur que le transport maritime. Se posant en leader de la société civile, le lobby écologiste ne manque pas de tomber dans le populisme pour obtenir un impact climatique anecdotique et dérisoire.

Aucune amélioration technique ne sera suffisante ; c’est de suppression dont il doit s’agir

Comme tous les autres, le secteur aérien porterait une responsabilité climatique, mais dans son cas, c’est son sabordement qui est exigé. Les progrès techniques réalisés n’ont pas d’importance, comme par exemple la division par sept des émissions de CO2 par passager-kilomètre au cours des cinquante dernières années. Améliorer encore les moteurs et les aéronefs, guider plus précisément les avions pour écourter leurs trajets, utiliser des carburants non issus de fossiles : aucune perspective de continuer sur cette pente vertueuse n’est du goût des censeurs écologistes puisqu’il en résulte un trafic plus intense pour de plus en plus de gens qui se permettent de voyager, de plus en plus fréquemment et plus loin. Aucune amélioration technique ne sera suffisante ; c’est de suppression dont il doit s’agir, celle des vols courts permettant de mettre le pied dans une porte qui ne se refermera pas de sitôt.

Il n’est pas non plus important que 350 000 personnes travaillent directement ou indirectement dans ce secteur car elles participent à un système de dégradation qu’il faut réduire drastiquement afin de sauver la planète ; n’est-ce pas là un sacrifice nécessaire ? Particulièrement concentrée dans le sud-ouest, fleuron technologique et industriel représentant une filière de 90 000 personnes, l’industrie aéronautique doit donc se réformer, avant tout en fermant ses carnets de commandes.

L’avion, droit fondamental à l’évasion

Depuis quelques décennies, les voyages aériens ne sont plus réservés à une élite et sont consommés par un très grand nombre de Français. Que ce soit pour des déplacements professionnels ou d’agrément, c’est une formidable ouverture au monde appréciée et recherchée par chacun, tous les sondages l’indiquent. Mais le voyage n’est pas qu’un déplacement, c’est aussi un rapprochement entre les gens qui leur fait appréhender les similitudes de sentiments tout comme les différences de modes de vie et de cultures tout autour du monde. Voler fait aussi rêver, même beaucoup de frequent flyers qu’on pourrait croire blasés. Dès que ce sera de nouveau possible, qui ne mettra pas un voyage en avion ou plusieurs en tête de sa liste ? Quoi qu’on en pense, le tourisme de masse est aussi une manifestation de cette envie car parmi les droits fondamentaux des personnes, la liberté de mouvement est l’une des plus chères, au double sens de ce mot depuis bientôt une année.

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Selon Greenpeace et ses compagnons de route ce serait maintenant le rôle de l’État de poser une main encore plus ferme sur le secteur aérien pour l’empêcher de se développer. Est-ce la mission d’un État que de décider de la vertu d’une activité humaine et de la conformité des comportements des voyageurs alors que c’est aux clients de le faire ? Est-ce son rôle de sabrer la liberté de se déplacer à leur guise de personnes ne présentant aucun caractère criminel ?

Prétendue aberration ‘écologique’, les vols intérieurs devraient donc disparaître, au nom d’un bien collectif supérieur dont l’écologisme militant serait le gardien. Ce sont de telles certitudes dont il faut douter.

[i] Brandon Graver, Kevin Zhang, and Dan Rutherford, ‘CO2 Emissions from Commercial Aviation, 2018’, International Council on Clean Transportation, 2019, September, 2019, 13.

[ii] D. S. Lee and others, ‘The Contribution of Global Aviation to Anthropogenic Climate Forcing for 2000 to 2018’, Atmospheric Environment, 244.February 2020 (2021) <https://doi.org/10.1016/j.atmosenv.2020.117834>.

L’Ecole du soupçon infondé


Qu’il y ait des pédophiles dans le corps enseignant est une réalité. Qu’il y en ait fort peu est une autre réalité.


Mais la médiatisation de quelques affaires incite les belles âmes à en voir partout, et à détruire des vies innocentes. Parce que la « parole des enfants », comme disent ceux qui y croient, n’est en rien crédible. Quant à la fiabilité de l’institution, qu’il s’agisse de l’Éducation nationale ou de la machine judiciaire…

Jean-Pascal Vernet était instituteur en maternelle à Barrême, dans les Alpes de Haute Provence. Le 30 avril 2019, il est « suspendu à titre conservatoire » par son administration pour « suspicion d’attitude déviante », sur plainte de parents d’élèves. Il aurait notamment écrit sur le cahier de l’une de ses élèves « Bravo ma princesse ». Un crime…

Deux jours plus tard, le 2 mai, il a mis fin à ses jours. « Preuve de culpabilité », diront les imbéciles et les lyncheurs professionnels.

Une époque propice aux jugements hâtifs

Pas même. Il s’agissait d’une confusion d’identification, « une erreur de copier-coller » visant une autre affaire distincte survenue à Entrevaux, vient de reconnaître l’Inspection académique, presque deux ans plus tard. Jean-Pascal Vernet, « mis en examen et placé sous contrôle judiciaire », n’avait rien fait. Rien. Il est mort.

Bien sûr, des erreurs judiciaires, l’Histoire en a recensé des milliers. Mais certaines périodes, sujettes à une hystérisation concertée, sont plus propices que d’autres aux jugements hâtifs.

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En août 1997, Ségolène Royal, nouvellement nommée ministre déléguée à l’enseignement scolaire et qui voulait à toute force exister sans la lumière de Claude Allègre, ministre en titre, décrétait une croisade anti-pédophilie. « Il faut que la parole se libère », etc. Des dizaines de plaintes arrivent alors au ministère, qui benoîtement les transmet à la Justice. Alors, écoutez bien. En moyenne, chaque année (les chiffres sont ceux de l’Autonome de solidarité, une assurance complémentaire que prennent nombre d’enseignants), huit à dix plaintes étaient alors formulées, dont en moyenne deux ou trois arrivaient en phase judiciaire. C’est toujours trop, mais sur près d’un million d’enseignants à cette époque, ce n’est pas un tsunami.

L’effet Ségolène

L’effet Ségolène ne tarde pas : le nombre de plaintes monte soudain à 120 par an… dont deux ou trois arrivent en phase judiciaire. Le reste, du pipeau, des règlements de comptes, des on-dit, tout l’arsenal de la médisance et de la crédulité.

Un professeur d’EPS au collège de Montmirail, Bernard Hanse, mis en cause par un fabulateur de 14 ans, s’est suicidé sous la pression, alors qu’il n’était coupable de rien. Un mois plus tard, l’adolescent est mis en examen pour dénonciation calomnieuse. Ça n’a pas empêché Mme Royal de faire l’amalgame entre ce drame et des affaires d’inceste et de pédophilie passées sous silence à cause de pressions exercées sur les enfants et leurs familles. « L’affaire n’est pas finie, l’enfant s’est peut-être rétracté sous la pression des adultes, sous le poids d’un suicide, les reproches qui lui avaient été faits d’avoir parlé », déclare-t-elle dans un grand média à une heure de grande écoute. Il fallait sa livre de chair, comme disait Shakespeare, à la ministre déléguée. Une façon de se grandir sur le cadavre d’un enseignant irréprochable. Tous les éléments du dossier ont été réunis par la famille de Bernard Hanse.

Ça m’a donné à tout jamais l’exacte mesure de cette femme qui a prétendu devenir président de la République… J’ai, dans un article ancien, fait le lien entre ces faits et une fiction de Thomas Vinterberg, la Chasse (2012), qui raconte comment un animateur de jardin d’enfants (Mads Mikkelsen, toujours aussi impeccable) est accusé par une petite fille d’attouchements — alors même que nous savons qu’il n’en est rien. Et comment il est pris en chasse par le village où il exerce. On lynche toujours au nom de la vertu — eh bien si c’est ça la vertu, ce n’est pas beau à voir. Pour un peu, on préfèrerait le vice.

La parole des victimes n’est pas sacrée

L’histoire de Bernard Hanse, parmi d’autres, est relatée dans l’enquête de Marie-Monique Robin parue en 2006, l’École du soupçon. L’enquêtrice, dont la méthodologie, dans ce dossier comme sur d’autres, est exemplaire, a récidivé l’année suivante avec un documentaire fort éclairant portant le même titre, et que l’on peut trouver in extenso sur le Net. En résumé, des enquêteurs peuvent faire tout dire à des enfants — et surtout ce qui ne s’est pas passé. Il suffit de savoir poser les questions. Pire : les gosses finissent par être persuadés que leurs affabulations sont la vérité — et comme il y en a encore qui croient qu’un enfant ne peut mentir…

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Alors, se pose une question. Les enfants qui se sont imaginé, à cinq ou six ans, avoir été victimes d’attouchements ou pire, quels adultes deviennent-ils ? Quand ils sont assez grands pour savoir tenir une plume, quelles confessions parfaitement imaginaires mais qu’ils croient vraies ne sont-ils pas capables de rédiger…

La police sait si bien à quel point il faut prendre ces témoignages avec des pincettes qu’elle enquête sérieusement sur les dénonciations avant de les faire entrer en phase judiciaire. C’est ainsi que 80% des plaintes pour viol sont classées — faute de preuves matérielles, et souvent parce qu’elles sont de pures inventions, que le motif en soit la vengeance, le remords, ou la croyance erronée dans la véracité des faits. Voir le fiasco de l’affaire d’Outreau : des vies massacrées parce qu’un juge en mal de notoriété a cru des témoignages douteux. Olivier Moyano, clinicien d’un service de protection judiciaire de la jeunesse, a analysé avec une grande pertinence la construction de cet imaginaire du viol, montrant comment un « fantasme traumatisant réparateur », fantasme d’agression sexuelle, est supposé « réparer l’effet traumatique au long cours du fantasme incestueux ravivé par l’entrée dans l’adolescence ». Mais enfin, m’ont récemment dit des étudiantes, une femme ne peut pas mentir…

Oui, certainement…

Rappelons enfin que l’aveu même des coupables — cet aveu que l’on appelait autrefois « la reine des preuves », et que l’on extorquait avec des moyens parfois abominables — n’est pas une preuve. Des individus perturbés, épuisés par des jours d’interrogatoire, peuvent avouer des crimes qu’ils n’ont jamais eu la possibilité matérielle de commettre — quitte à se rétracter plus tard. En attendant, sur les réseaux sociaux qui servent désormais de tribunal populaire instantané, les bonnes âmes se déchaînent, et quelques affaires répugnantes et sans équivoque entraînent des condamnations en chaîne sur de parfaits innocents… Comme disait le regretté Reiser : « On vit une époque formidable ».

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Révolutions arabes, printemps israélien


Dix ans après l’immolation qui a enflammé la Tunisie, de nombreux pays arabes sont toujours K.-O. L’euphorie de l’hiver 2011 n’a abouti ni à une démocratie libérale ni à une théocratie islamiste, mais à un chaos politique et à un désastre économique dont Israël est le principal vainqueur.


En 1972, Edward Lorenz, un météorologue américain, donne une conférence intitulée « Prédictibilité : le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? » Cette métaphore est à l’origine de ce qu’on appelle « l’effet papillon » : un phénomène ou un événement infime et lointain déclenche une réaction en chaîne dont les conséquences sont aussi importantes qu’insoupçonnées. Loin du Texas et du Brésil, au Moyen-Orient, le battement d’ailes du papillon a pris la forme d’un soufflet. Le 17 décembre 2010, une policière municipale de la bourgade tunisienne de Sidi Bouzid gifle Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant de fruits et légumes. Humilié et désespéré, ce dernier s’immole par le feu. Quatre semaines plus tard, Zine el-Abidine Ben Ali, successeur de Bourguiba et président depuis 1987, fuit le pays sous la pression de la rue. Encore un mois plus tard, place Tahrir, au Caire, une foule en liesse célèbre la démission de Hosni Moubarak après trente ans de pouvoir. Enfin, trois mois après la gifle, trois États arabes – la Syrie, la Libye et le Yémen – s’écroulent et le pouvoir de leurs dirigeants vacille.

Bernard Guetta, pas un grand visionnaire

Le 2 février, dans les pages opinion de Libération, Bernard Guetta jubile. « Où est passée cette guerre des civilisations qui devait marquer le XXIe siècle et où sont passées les antiennes sur l’incompatibilité entre islam et démocratie ? » ironise-t-il. On entend siffler le train de l’histoire et la quasi-totalité des journalistes et des commentateurs n’entendent surtout pas le rater. En cette année 2011, aucun espoir ne semble trop fou, aucun avenir trop radieux. C’est le printemps et ça sent le jasmin.

Cependant, plusieurs semaines avant l’immolation de Bouazizi, l’atmosphère en Tunisie était déjà bouillonnante grâce à un nouvel acteur : les réseaux sociaux. En quelques années, ces gadgets d’étudiants nés dans les campus américains pour faciliter la drague ont réussi là où les simples blogs avaient échoué : en permettant la mise en relation de chacun avec tous, ils ont court-circuité les médias institutionnels.

En novembre 2010, WikiLeaks, fondé quatre ans auparavant par un groupe d’activistes web autour de l’Australien Julian Assange, a divulgué presque un quart de million de télégrammes diplomatiques du Département d’État américain. Sufian Belhadj, un jeune Belgo-Tunisien, a traduit en français et en arabe, puis publié sur sa page Facebook les câbles dans lesquels les diplomates américains décrivaient l’étendue et la profondeur de la corruption du président Ben Ali et de son clan. Le succès a été fulgurant. L’atmosphère à Tunis était déjà à la colère et à la frustration au moment où la goutte d’eau de Sidi Bouzid fait déborder le vase. Les réseaux sociaux ont joué un rôle dans les révolutions arabes : ils ont préparé les esprits, permis la création de réseaux militants, mobilisé les foules et informé les médias.

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Dix ans plus tard, l’euphorie technologique n’est pas plus de mise que le lyrisme politique de ce printemps. La trajectoire personnelle de Julian Assange est une parabole de l’évolution du cybermonde. Le chevalier blanc de la liberté de 2010 est en 2021 une épave hirsute et mentalement atteinte qui risque de passer le reste de sa vie en prison. Pour le web, c’est pareil. En réalité, le ver du marché et du pouvoir était dans le fruit depuis le début. Dès qu’il a été clair que la technologie était à la fois une source de profits potentiels considérables et une arme puissante, donc une menace tout aussi puissante, les États comme les multinationales s’y sont intéressés et le merveilleux espace d’émancipation annoncé est devenu un instrument de profits, de contrôle et de manipulation. Personne ne croit plus au « journalisme citoyen » sur lequel on ne tarissait pas d’éloges en 2011. Toute parole, toute image, tout fait est accueilli avec méfiance et noyé dans un contenu produit par des bots, des mercenaires des réseaux sociaux ou des justiciers en chambre.

À quelques exceptions près, c’est à la faillite de l’État en tant qu’institution à laquelle nous avons assisté dans le monde arabe

Reste qu’en ce début 2011, ce sont les réseaux sociaux qui imposent leur vision qui, diffusée ensuite par les médias, chaînes d’info en continu en tête, gagne vite les chancelleries, pourtant nourries – ou supposées l’être – par les services de renseignement et les réseaux diplomatiques. À Paris, il semble que l’intuition du gouvernement français de l’époque ait plutôt été de résister à l’enthousiasme général. En 2002-2003, le bon sens et une connaissance fine du monde arabe ont conduit la France à douter de la capacité des États-Unis à transformer l’Irak en démocratie libérale en le débarrassant de Saddam Hussein. En 2011, le premier réflexe à Paris est d’aider les forces en place pour éviter le chaos. Le 12 janvier, devant l’Assemblée nationale, la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, propose à la police tunisienne le savoir-faire français pour « régler les situations sécuritaires ». C’est le tollé. La vidéo enflamme les réseaux sociaux. « Merci la France ! » ironisent des internautes tunisiens. En France, Nicolas Dupont-Aignan ne trouve pas de qualificatif assez sévère pour la ministre, tandis que, selon Daniel Cohn-Bendit, « Madame Alliot-Marie a démontré que la France demeure le paillasson du président Ben Ali ». À ses accusateurs qui, quarante-huit heures avant la fuite de Ben Ali, annoncent déjà une démocratie libérale portée par une jeunesse arabe elle-même menée par l’avant-garde éclairée des cybermilitants, la ministre répond : « On ne doit pas s’ériger en donneurs de leçons. »

Retour à la case départ

À Washington, la communication est mieux maîtrisée mais, pour le reste, c’est le brouillard. Quelques jours après la fuite de Ben Ali, alors que les manifestations se sont étendues à l’Égypte, Barack Obama lâche l’allié de trente ans de l’Amérique, celui qui en octobre 1981 avait assuré dans des circonstances dramatiques la succession d’Anouar el-Sadate. Dans ses mémoires, l’ex-président raconte que le Premier ministre israélien Netanyahu insistait au contraire sur l’importance vitale du maintien de l’ordre et de la stabilité en Égypte car sinon, disait-il, « nous aurons l’Iran là-bas en moins de deux ».

Obama n’a pas tenu compte de ces avertissements. L’enthousiasme de l’homme l’a emporté sur la prudence de l’homme d’État, président de la première puissance mondiale, de surcroît. Il espérait – comme beaucoup à l’époque – que, débarrassé de Moubarak, l’Égypte trouverait la voie de la démocratie. Résultat, la brève expérience démocratique de l’Égypte prendra fin après deux ans et demi par un retour à la case départ.

De gauche à droite : Abdullatif Al-Zayani, ministre des Affaires étrangères de Bahreïn, Benjamin Netanyahu, Premier ministre israélien, Donald Trump, président des États-Unis, et Abdullah Bin Zayed Al-Nahyan, ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis, brandissent les traités de paix tout juste signés à la Maison-Blanche, Washington, 15 septembre 2020. © Tia Dufour / Handout / Anadolu Agency / AFP
De gauche à droite : Abdullatif Al-Zayani, ministre des Affaires étrangères
de Bahreïn, Benjamin Netanyahu, Premier ministre israélien, Donald Trump,
président des États-Unis, et Abdullah Bin Zayed Al-Nahyan, ministre des Affaires
étrangères des Émirats arabes unis, brandissent les traités de paix tout juste
signés à la Maison-Blanche, Washington, 15 septembre 2020.
© Tia Dufour / Handout / Anadolu Agency / AFP

Cependant, au moment où il lâchait Moubarak, Obama accueillait fraîchement le projet libyen concocté par Nicolas Sarkozy et David Cameron. Son intuition lui soufflait que c’était une erreur. Il s’est laissé entraîner par l’optimisme de ses équipes et alliés. On peut donc conclure qu’Obama n’avait pas une « stratégie progressiste globale » visant à aider partout les papillons de la démocratie à émerger des chrysalides dictatoriales. En septembre 2013, dans la droite ligne de sa propre position sur la Libye, Obama n’a pas respecté la ligne rouge qu’il avait tracée en promettant d’attaquer la Syrie si le régime de Bachar Al-Assad utilisait des armes chimiques contre son propre peuple. La lucidité de l’homme d’État a pris le dessus à mesure que la réalité du monde arabe se dévoilait et qu’il devenait patent que, dans certains pays arabes, les drapeaux et autres attributs de souveraineté n’étaient qu’un décor de cinéma, des cache-misère politiques.

À l’exception de la Tunisie qui a réussi à construire dans la douleur et la déception une démocratie fragile, la vague de protestations a invariablement conduit au chaos. La Syrie, la Libye et le Yémen ont sombré dans des guerres civiles et le Liban a fini par plier sous le poids de la désintégration syrienne. L’Égypte a remplacé un vieux général par un plus jeune, et dans la plupart des pays de la région, les régimes en place – la Jordanie, le Maroc et les monarchies de la péninsule arabique – ont survécu notamment grâce à des systèmes politiques s’appuyant sur d’autres formes de légitimité que le social-nationalisme panarabe. Bref, ceux qui s’en sortent plus ou moins sont soit les pays où la nation, comme corps politique, existe (Algérie, Égypte), soit des monarchies où une mystique dynastique et religieuse incarnée cimente le corps social mieux que les idéologies, les imaginaires et les discours creux issus du nassérisme.

À quelques exceptions près, c’est à la faillite de l’État en tant qu’institution à laquelle nous avons assisté dans le monde arabe. En Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen et en Libye, il n’existe plus vraiment. L’État égyptien a beaucoup de mal à exercer sa souveraineté dans le Sinaï, mini « zone tribale » à quelques dizaines de kilomètres du canal de Suez. En Tunisie et en Algérie, l’État se porte à peine mieux, sans parler des deux Palestine, celles de Ramallah et de Gaza. Et cette faillite explique le bilan plus que mitigé de l’islam politique. Un phénomène qu’on a du mal à voir ici, en raison de ses succès chez nous.

La résolution du conflit israélo-palestionien n’est plus le postulat de base de tout

L’islam politique, dont le principal « logiciel » prêt à télécharger est celui des Frères musulmans, n’a pas gagné. Certes, très rapidement, le « printemps arabe » a cédé la place à un « hiver islamiste ». Cependant, l’arrivée au pouvoir des fréristes en Tunisie (Ennahda) et en Égypte (Mohamed Morsi) n’a été qu’une parenthèse vite renfermée. L’islam politique dans les pays arabes reste donc dans sa situation préprintanière : force d’opposition aux régimes en place et organisations terroristes non étatiques comme Al-Qaida et Daech. Quarante-deux ans après la révolution iranienne et malgré le tsunami qui s’est abattu sur eux en 2011, les Arabes sunnites n’ont pas créé de véritable théocratie. Ainsi sommes-nous en présence non pas d’un, mais de deux espoirs déçus : celui d’une démocratie libérale arabe d’un côté, celui d’un califat ou d’une théocratie sunnite de l’autre. On peut même avancer qu’en matière de gouvernance, la leçon du printemps arabe est que ce qui ne marche pas par la force échouera par la violence.

Il y a dix ans encore, le postulat de base de la diplomatie mondiale était que la résolution du conflit israélo-palestinien était la clé de tous les problèmes du Moyen-Orient. C’est ce qu’affirmait avec un aveuglement stupéfiant l’ophtalmologue de Damas dans un entretien au Wall Street Journal, publié le 31 janvier 2011. Commentant la chute de Ben Ali et la crise égyptienne, Bachar Al-Assad livre le secret de la résilience syrienne : les Égyptiens paient la paix avec Israël, tandis que les Syriens récoltent les fruits mûrs de la résistance farouche à l’entité sioniste. Quelques semaines plus tard, c’est le réel qui le gifle. Aujourd’hui, le tas de ruines dépeuplé dont il est le président n’est que l’ombre de la Syrie héritée de son père. Début 2021, l’armée syrienne, dernière force importante hostile aux frontières d’Israël, est écrasée et aucun chef de diplomatie ne peut honnêtement soutenir qu’une solution au conflit israélo-palestinien conduira à la stabilisation et à la paix au Moyen-Orient.

La décennie chaotique et sanglante qui vient de s’achever a non seulement écarté la question palestinienne de l’ordre du jour géostratégique, elle a également renforcé les liens entre Israël et l’Égypte, et ouvert la voie à une normalisation avec d’autres pays arabes. Bahreïn, les Émirats arabes unis, Oman et le Maroc ont rejoint la Jordanie et l’Égypte, tandis que l’Arabie saoudite comme le Soudan basculent vers une alliance avec l’ancien ennemi. Et tout cela sans que pour le moment la « rue arabe » s’y montre particulièrement hostile.

La liste des perdants et des espoirs douchés du printemps arabe est longue. Celle des gagnants est courte. Elle contient notamment un nom surprenant : Israël. Au milieu d’un vaste champ de ruines politiques allant de l’océan Atlantique à l’océan Indien, c’est l’État le plus performant et la nation la plus avancée politiquement qui sortent renforcés. C’est le secret : une nation n’est pas une confédération ni même une fédération de familles, de clans ou de groupes ethniques et religieux. Hors la nation, point d’État. Et hors de l’État, point de salut.

BD: Claire Bretécher est partie il y a un an déjà…

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L’intégrale de la dessinatrice Claire Bretécher, disparue il y a presqu’un an, sort en deux volumes chez Dargaud


Au risque de déplaire aux féministes, j’ose avancer une théorie à rebrousse-poil, celle de la beauté comme moyen d’accession essentiel à la culture, à l’imaginaire et à la dissidence. Le physique comme porte d’entrée à l’Œuvre. Ne parlons pas tout de suite du texte, de l’imprimé, de la pensée, tout ce qui accessoirise la personne, cette patine sociale et intellectuelle qui drape un corps et lui fait perdre une grande part de sa vérité, de son suc aussi. Ne soyons pas sentencieux et vains, grandiloquents et ridicules, à vouloir toujours déconstruire le monde et se rendre finalement moins intéressants que l’on est.

Une beauté sans artifices

Restons d’abord sur ce qui frappe le regard et coupe la respiration, sur cette première image qui, longtemps après, envahit l’esprit et commence son travail d’emprise. Car, il suffit d’avoir vu, une seule fois, Claire Bretécher (1940-2020) à la télé dans les années 70 ou 80, bien avant d’avoir lu ses dessins dans Pilote ou l’Obs, d’avoir entendu les prénoms Cellulite et Agrippine pour connaître un émoi sincère et ravageur. Pour être littéralement ferré, oui, pris au piège d’une beauté qui ne truque pas, qui n’enjolive pas le réel à des fins mercantiles et lui fait prendre des chemins trop directs, trop convenus. C’est toute la différence entre « jolie » et « belle ».

La dessinatrice Claire Brétécher en train de dessiner, mars 1972 © DANIEL LEFEVRE / INA
La dessinatrice Claire Brétécher en train de dessiner, mars 1972 © DANIEL LEFEVRE / INA

Dans un star-system déjà frelaté, le milieu de la bande-dessinée n’échappant pas aux mœurs vulgaires de la Variété française, Bretécher exprimait une désobéissance jouissive et un sens de l’abandon délicieux. Dès le début de sa carrière et, au fil de sa notoriété grandissante, elle ne cilla pas devant la caméra. Son naturel s’imposait sans artifices. La beauté est cruelle et injuste, elle ne se claironne pas. Elle apparaît sans crier gare, elle insulte les bonnes manières, on ne peut que l’admettre et se soumettre. Paupières basses, front mangé par une large frange, cette accro au shopping fixe l’objectif de ses lèvres fines. Elle ne parle pas encore, et pourtant nous avons non pas le sentiment mais la certitude qu’elle nous plaira, qu’elle nous enchantera, qu’elle nous amusera, qu’elle sera différente des autres. Pour l’instant, on ne sait même pas qu’elle dessine. Elle pourrait chanter, jouer la comédie, écrire ou taper à la machine, être dactylo ou aristo, caissière ou banquière, diplômée ou illettrée, nous nous en moquerions complètement. Elle nous plaît, voilà tout. Les rayons de sa beauté nous irradient et nous brûlons devant cette icône dont le mot même, trop outrancier, ferait carrément marrer.

Désengagement vindicatif, ironie rigolarde…

Un observateur attentif aurait pu déceler dans son attitude que je qualifierais de dilettantisme souverain, une trace de timidité habilement masquée par un tempérament plus entier, pas bravache, plutôt cette férocité intérieure qui anime les grands artistes. Un déluge sous-terrain qu’on tente de canaliser. Des influences disparates : le dégoût amusé, le désengagement vindicatif et cependant l’envie d’entrer dans l’arène médiatique sans prendre l’uniforme du militantisme, se méfiant des poses et des idéologies en cours. Pour l’heure, je me répète, on ne sait rien d’elle. Bretécher est une sorte de Stéphane Audran, moins corsetée, ignorant le tailleur chabrolien, ou de Marlène Jobert méfiante, sur ses gardes, cossarde sur les bords. Ne vous fiez pas au débraillé savamment orchestré de Claire. Là aussi, elle anticipera les modes à venir, du « casual chic » à l’ethnique sapée. Elle va maintenant parler.

Et là, ce que sa beauté laissait présager, une sauvagerie contenue, une ironie rigolarde, sa voix nous donne, par saccades, des moments d’intenses jubilations. Je pourrais l’écouter des heures. Il y a des vibratos qui nous emportent ailleurs, très loin. Jamais banale, toujours lucide. L’art de botter en touche et pourtant de ne pas trahir son ambition profonde. Réactionnaire par anarchisme goguenard, Claire était une Sylvie Joly qui ne jouait pas. De son enfance nantaise, bourgeoise et pieuse, elle avait conservé une certaine modulation de fréquence, un pincement amusé et le second degré comme arme de défense massive. Le meilleur moyen pour les belles femmes de faire fuir les prétentieux et les petits malins. Il faut l’entendre prononcer cette phrase à la télévision suisse en 1977 dans un célèbre portrait : « A l’époque, j’étais professeur auxiliaire de dessin à Pontoise ». Cette simple phrase nous touche et nous foudroie. Elle est parfaite d’équilibre et de pudeur, elle charrie tant de souvenirs. Claire incarnait ma France, celle qui faisait la chasse au sérieux et à l’explication oisive. Alors, je le confesse, bien avant d’avoir lu ses dessins qui paraissent aujourd’hui dans un coffret contenant deux tomes, bien avant qu’elle me donne son avis sur le sexe, le couple, la religion, la psychanalyse, l’argent, l’écologie ou le travail, qu’elle défende l’honneur de Goscinny ou qu’elle soit, ironie du sort, adoubée par les intellos de la rive gauche, je l’aimais déjà, à la première seconde.

L’intégrale de Claire Bretécher – 1968 – 2018 – Dargaud.

Humanistes en peau de lapin

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Philippe Bilger en a soupé de tous les pseudo humanistes. Il pousse ici un coup de gueule, derrière lequel chacun pourra mettre les noms qu’il souhaite…


Ils nous ont sali l’humanisme : je leur en veux.
Au caractère universel de la morale ils ont opposé la subversion de leur idéologie.
Au respect inconditionnel des valeurs fondamentales, le relativisme partisan.
À l’aspiration légitime à l’égalité des sexes, un féminisme guerrier et totalitaire.
À la détestation du racisme, la dénonciation de l’homme blanc et un antiracisme obsédé par la confrontation des races (terme honni qu’ils ne cessent pas d’actualiser).
À la liberté d’expression, la censure explicite ou implicite de ce qui n’était pas leur pensée.
À l’exigence d’une morale publique irréprochable, le refrain d’une politique contrainte de se salir les mains.
Au désir de sécurité, l’accusation honteuse de populisme.
Au service du peuple, l’infinie condescendance des élites sûres d’elles mais oublieuses de trop de quotidiennetés.
À la volonté de favoriser ou de restaurer l’allure républicaine, la seule nostalgie de de Gaulle.
À la défense responsable et sans complaisance de la police et de la justice, la haine systématique de la première et une ignorance politisée au sujet de la seconde.
Au respect d’une culture à la fois populaire et intelligemment élitiste, la démagogie d’activités, de spectacles et de créations indignes de la beauté et parfois même de la dignité.
Au souci de la langue, une dévastation constante et trop souvent grossière du verbe.
À l’amour de la France, un repliement mesquin sur le pré carré ou une dilution dans le grand Tout mondial.
À la passion des débats et de la contradiction des idées, le déchaînement de paroles partiales, sans écoute de l’autre réuni dans le même opprobre que son opinion.
À la volonté de mettre en lumière les meilleurs, un délitement considérant la médiocrité ou l’inscription facile dans l’air du temps comme les seuls atouts qui seraient à notre portée.
À une critique artistique honnête, le clientélisme effréné laissant le talent au second plan pour ne s’occuper que de la connivence.
À une citoyenneté à la fois lucide et capable d’évoluer, des inconditionnalités constituant notre pays en blocs et présumant coupable le pouvoir, quoi qu’il fasse ou ne fasse pas.
À une démocratie de progrès et d’apaisement, le prurit de tensions et de guerres civiles rentrées.
À un nouveau monde promis sans cesse, la lassante habitude de pratiques et de dévoiements dégradés en normalité acceptable.
À l’étendue de ce qui manque, un déclinisme désespérant ou des utopies dangereuses.

Il serait faux de résumer ces multiples antagonismes au combat classique entre la droite et la gauche et leurs extrêmes. Peut-être davantage entre ceux que le réel n’indispose pas et ceux qui prétendent faire table rase de tout.

Dans la multitude des registres humain, social, politique, culturel et judiciaire, on tente de ne pas faire sombrer nos valeurs dans leur caricature ou leur instrumentalisation. On les préserve de l’idéologie qui parcellise au bénéfice de l’universel qui rassemble.

Ils nous ont sali l’humanisme. Je leur en veux.

Le mal du siècle


L’historien Ivan Jablonka s’interroge sur sa « garçonnité », la crise du masculin dans les sociétés occidentales ne l’effraie pas outre mesure


L’air du temps est au « malaise dans le masculin .» Après #Meetoo, il fallait s’y attendre. Ainsi l’historien Ivan Jablonka s’interroge-t-il, dans Un garçon comme vous et moi, paru au Seuil, sur sa garçonnité, à travers un « parcours de genre » à la croisée de l’histoire, des sciences sociales et de la littérature. Le titre du premier chapitre « Je ne suis pas un mâle » résonne comme un programme. A travers « un nous-garçons », c’est l’intimité individuelle et sociale d’une génération que l’auteur entend peindre.

Jablonka, la « socio-histoire » au service de l’indifférenciation des sexes

Né, en 1973, d’une famille de la petite bourgeoisie parisienne, d’origine polonaise, rien ne nous est épargné, année après année, des étapes de la vie, des faits et gestes de ce garçon choyé, fait pour donner du nakhès,— du gain social— à ses parents. Adolescent angoissé, sur qui pèse le poids d’une judéité douloureuse, Jablonka, très bon élève, jouant volontiers « au pauvre Ivan », a une sensibilité de fille : il ne sait pas draguer et croit au pouvoir des mots plutôt que des muscles. Plus tard, il écrit des alexandrins, se dessale du côté de Clamart, aime l’opéra. Rien que de flatteur. Vulnérabilité, narcissisme, désir d’être aimé—une forme de malheur sans laquelle on n’est pas un enfant du siècle — Jablonka récuse déjà un destin que la société façonne de son diktat sexiste, à travers l’école, le foot et le service militaire. Un jour, au lycée, il déclare, à un camarade de Terminale : « O Marc, continue ! J’aime ta présence masculine et racée ». Rigolade des copains qui consignent la phrase dans leur bêtisier. Et le futur auteur d’Un homme juste de voir là le climat homophobe du lycée. Cette « gêne dans la garçonnité » tiendrait-elle à une « déphallisation » du corps due au naturisme de vacances à la Bédoul ? A la déstabilisation d’un père due à sa souffrance d’orphelin ? En réalité, le malaise genré de l’auteur tient à la génération Goldorak (1980) de Récré A2 et de Candie. Il ne se sent pas assigné à une garçonnité prédatrice et séductrice à travers les préjugés genrés de la société. Le mâle dominant ? Très peu pour lui.

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Loin du mentir-vrai, du moins en apparence, cette socio-histoire s’appuie sur de nombreux documents : journal des parents et journal intime, témoignages, « traces » multiples. Photos, dessins, stylos, boucle de cheveux, tout est archivé à la fin du livre. Point d’orgue d’une analyse, commencée à 36 ans, ou produit lancé sur le marché juteux de la déconstruction, cette histoire de trouble dans le genre aguichera sans doute les étudiants du professeur ainsi qu’un public féminin.

La théorie du genre s’impose dans nos facs

Très claire, en tout cas, est l’ambition de « l’être-à-pénis devenu puissant socialement » qui s’est fort bien accommodé, pour faire carrière, de la préséance masculine, enracinée dans l’université, tout comme Bourdieu, qui n’a jamais relativisé son discours de dominant au sein du Collège de France. De même que, pour la génération Goldorak, il fallait être homme pour réussir, à qui veut réussir, à présent, à l’université, la littérature de et sur le genre s’impose. Deuxième ambition revendiquée  par Jablonka : la création dans les sciences sociales. L’auteur de Les grands-parents que je n’ai pas eus est convaincu d’avoir dérégulé, par ses choix d’historien, tant l’académisme des disciplines que sa propre masculinité, en traitant de sujets « pas convenables » : les enfants abandonnés, les filles-mères, les êtres sans importance, les victimes anonymes. Il pourra ajouter bientôt les « nous-orphelins », garçons et filles, privés, de par la loi, à leur naissance, de leur carte d’identité[tooltips content= »La fabrique d’orphelins, Marie-Hélène Verdier, Tequi, 2019 NDLR »](1)[/tooltips].

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Après « la valence différentielle des sexes » de Françoise Héritier et La Domination masculine de Bourdieu, cette socio-histoire de la garçonnité ouvrira-t-elle les portes du Collège de France à l’insatiable Jablonka ? Les féministes veillent. Un concept tout neuf s’offre en tout cas à notre écrivain : celui de « la déli-délo », ce jeu mixte charmant, variante du jeu de chat, évoqué dans un chapitre, qui rend compte des mille et une nuances du masculin et du féminin.

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Les coups d’Etat permanents


L’éditorial de février d’Elisabeth Lévy


J’ignore à quelle sauce nous sommes claquemurés à l’heure où vous lisez ces lignes – confinera, confinera pas, semi-confinera, chacune de ces hypothèses a été, à un moment ou à un autre, présentée comme une certitude. Mais la seule certitude, c’est qu’on aura droit aux ausweis et aux 135 boules. Il est peu probable que l’exécutif soit parvenu à faire fléchir le corps médical et à arracher à son inflexibilité sanitaire quelques concessions à la vie. Le 26 janvier, le Premier ministre a déclaré, dans son outrageant sabir d’énarque, qu’il « prioriserait » toujours la santé. La santé contre la vie ? Soyons rassurés, nous mourrons guéris.

Tout au long du mois de janvier, scientifiques et politiques se sont livré une guerre à la fois tonitruante et feutrée, tonitruante parce qu’elle se déroule à coups de déclarations choc sur les plateaux de télévision, feutrée parce que tout le monde feint de ne pas la voir. Entre le gouvernement et ses conseillers scientifiques, le « vous en êtes un autre » est de rigueur. N’empêche, quand le Pr Delfraissy réclame que l’on interdise ceci et que l’on ferme cela, on se demande qui gouverne la France. Il serait abusif de parler d’un coup d’État médical, car dans cette crise sanitaire, les politiques, tétanisés par les comptes qu’ils auront à rendre, ont renoncé au pouvoir. Les médecins n’ont eu qu’à le prendre.

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Ces derniers ne sont pas les seuls à mettre au défi les institutions représentatives. Dans le fascinant entretien qu’il a accordé à Jeremy Stubbs (page 21-23), Christopher Caldwell montre comment, aux États-Unis, la législation sur les droits civiques de 1964 est devenue, au fil des décisions de justice, une crypto-constitution qui supplante le texte sacré des Pères fondateurs et soumet toute la vie publique aux exigences des minorités.

Un processus comparable est à l’œuvre en France où des forces extra-parlementaires fomentent des putschs à bas bruit, sapant l’armature juridique invisible qui soutient notre société et disputant leurs prérogatives aux gouvernements issus des urnes.

Nombre de ces attentats à l’équilibre des pouvoirs sont à mettre au compte des « autorités administratives indépendantes », dont le nom en forme d’oxymore résume l’ambiguïté diabolique. Dépourvues de toute légitimité et ne procédant que d’elles-mêmes une fois nommées, elles ont la faculté d’affecter significativement nos vies, nos libertés et nos imaginaires. Investi d’un pouvoir de police du PAF, le CSA décide de ce que nous devons voir et entendre pour notre édification morale. À cette fin, il compte inlassablement, comme les Shadoks pompaient : les femmes, les handicapés, les transgenres, les Noirs, les gros, les Arabes, bref, tous les racisés et/ou discriminés, dont il conclut invariablement qu’ils ne sont pas assez nombreux sur nos écrans.

Le Défenseur des droits est tout aussi nuisible, et tout aussi acquis aux lubies minoritaires. C’est en réalité, le défenseur de la France McDo – venez comme vous êtes. Son dernier exploit est d’avoir soutenu, fin décembre, le port du burkini, sur saisine du CCIF, association dissoute le 2 décembre pour cause de séparatisme. En somme, un bras armé de l’État met en œuvre le programme d’une association déclarée hors-la-loi par ce même État. Ma main droite vote une loi pour défendre la République, ma main gauche encourage ses adversaires. Ce n’est plus du grand écart, mais de la schizophrénie.

Ce n’est pas tout. Transformées en machines de guerre, toujours au service de la même idéologie différentialiste et multiculti, des associations antiracistes et anti-discriminations en tout genre parviennent également à faire plier à leur profit l’ordre constitutionnel. Investies du droit d’aller en justice et ne se privant pas de l’exercer, elles font de tout contentieux individuel l’étendard de leur cause, érigeant par la jurisprudence des interdits et prescriptions qui dessinent une nouvelle prophylaxie sociale.

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Or, grâce à la loi de modernisation de la Justice votée en 2016, ces associations ont la faculté de lancer des actions collectives pour obliger le gouvernement à mettre en œuvre telle ou telle politique. En 2019, quatre organisations de défense de l’environnement ont assigné le gouvernement pour « inaction climatique ». Le 27 janvier, six ONG ont mis le gouvernement français en demeure de faire cesser dans les quatre mois « les contrôles d’identité discriminatoires, pratique stigmatisante, humiliante et dégradante pour toutes les personnes qui en sont victimes en France ». Faute de quoi elles saisiront un juge pour qu’il enjoigne l’État de procéder à des réformes. Elles réclament une modification du Code de procédure pénale, l’établissement d’un récépissé lors des contrôles et la création d’un mécanisme de plainte indépendant : rien de moins en somme, que la mainmise sur notre politique policière. On peut toujours rêver que le gouvernement les enverra sur les roses.

Il n’est pas anodin que les plaignantes soient de grandes boutiques internationales qui carburent au post-national et défendent le droit à tout des individus-rois contre les États, même démocratiques. Il y a notamment Amnesty International, qui pense que les droits de l’homme sont plus menacés en France qu’au Soudan, et la Fondation Soros, où l’on tient pour raciste notre interdiction du voile islamique à l’école. Or, les voilà qui prétendent exercer un droit de regard sur l’action de nos forces de l’ordre. De quoi je me mêle ? À ce compte-là, on préfère encore que la politique de la France se fasse à la corbeille.

P.-S. À compter de ce mois, l’avant-dernière page du journal sera la galerie du photographe Antoine Schneck qui publiera dans chaque numéro le portrait d’un intellectuel. Qu’il soit le bienvenu. Bien avant que l’actualité ne nous impose une « une » sur l’affaire Finkielkraut, nous avions décidé d’inaugurer cette série avec notre « maître à penser par nous-mêmes » (formule de Cyril Bennasar).

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Le « Bondy Blog » et Edwy Plenel, une histoire d’amour jamais déçu

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Le Bondy Blog fête ses «15 ans de reportages dans les quartiers» en sortant un livre intitulé Jusqu’à quand? (Éditions Fayard). Edwy Plenel en a écrit la préface et y fait l’éloge d’un journalisme qui lui ressemble: idéologique, militant et opportuniste.


Pour mémoire, le Bondy Blog a été créé en 2005, pendant les émeutes dans les banlieues. Ce média en ligne aurait pu légitimement représenter un jeune journalisme donnant la parole aux habitants des dites banlieues mais, rapidement, le site se transforme en machine à dénoncer le supposé racisme d’État, l’islamophobie, les discriminations des musulmans, et à relativiser ou nier la délinquance, le sexisme et l’antisémitisme qui minent certains quartiers. Le militantisme va remplacer le journalisme, et la détestation de la France s’accommoder à la sauce de l’antiracisme de carnaval et du fantasme islamophobe. Mais pouvait-il en aller autrement pour un site « indépendant » subventionné en partie par l’Open Society Foundation de George Soros ?

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Le site qui a révélé Mehdi Meklat

En 2017, l’affaire Mehdi Meklat, alias Marcelin Deschamps, révéla d’une certaine manière la duplicité du média associatif en même temps que la complaisance de certains milieux médiatiques et politiques à son endroit. Christiane Taubira, qui adulait le « kid » du Bondy Blog, sombra dans « une consternation aussi profonde qu’un cratère atomique » quand elle découvrit sa face cachée. Sur France Inter, Sonia Devillers, d’habitude si prompte à tordre le bras des “méchants”, minimisa : « Cette affaire mérite-t-elle autant de battage médiatique ? Non. » Mais « des voix extrêmes n’attendaient que ça pour cracher à la fois sur la banlieue et sur les médias ». De son côté, Mediapart affinait les réflexions de la journaliste : « Une coalition numérique allant de la fachosphère au Printemps Républicain est à la manœuvre pour, en attaquant le fils prodige du Bondy Blog, détruire tout ce qu’il est censé incarner. »

Mehdi Meklat sur le plateau de Quotidien, 20 novembre 2018 / Capture d'écran TMC
Mehdi Meklat sur le plateau de Quotidien, 20 novembre 2018 / Capture d’écran TMC

Pour sa préface de Jusqu’à quand ? le fondateur de Mediapart fait montre d’un lyrisme en toc qui n’est pas sans rappeler certains élans taubiraniens. Ça se voudrait hugolien ; c’est seulement démagogique, c’est-à-dire plenelien. Résumé et extraits : en 2005, Edwy Plenel avait « honte de [sa] profession. » Il assistait « à cette défaite : des médias qui, pour la plupart, gobaient les mensonges du pouvoir » et qui « accompagnaient la diabolisation des quartiers populaires. » Heureusement, « le surgissement du Bondy Blog a sauvé l’honneur du métier. »

Détruire pour reconstruire?

Élans de pacotille et analogies plus que douteuses s’empilent : les émeutes de 2005 ont été « un appel à construire », une « envie d’être enfin admis au banquet républicain », l’équivalent « des révoltes de 1830, 1848 et 1871. » Les propriétaires des voitures incendiées, les pompiers caillassés, les policiers accueillis avec des mortiers et les habitants des cités cadenassées par les délinquants et/ou les islamistes apprécieront la description idyllique d’Edwy Plenel. Bien entendu, ce dernier évoque la guerre d’Algérie. Thèses postcolonialistes en bandoulière, il dénonce « l’inconscient colonial de nos dirigeants ». Avec la componction conforme à sa formation trotsko-casuistique, il souligne la « rigueur informative (du Bondy Blog) qui parfois en remontra à d’autres médias, aveuglés par leurs préjugés. » Enivré par sa prose, il conclut : « L’aventure du Bondy Blog […] n’a pas seulement sauvé l’honneur du journalisme, mais aussi honoré la France, telle qu’elle est, telle qu’elle vit, telle qu’elle s’invente. » Hic ! Le moins que l’on puisse dire c’est qu’Edwy Plenel ne met pas l’honneur du journalisme français bien haut.

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Plenel n’évoque la France que quand il peut la salir

Quant à la France, il ne la nomme que dès qu’il s’agit de la salir. Il suffit de se souvenir de ses propos tenus quelques jours seulement après les assassinats des membres de Charlie-Hebdo à la tribune d’un débat co-animé avec son ami et allié Tariq Ramadan pour comprendre que l’objectif de Plenel, à savoir détruire coûte que coûte la société française, s’accommode très bien des alliances les plus douteuses et les plus dangereuses. Toute honte bue, Edwy Plenel était présent au “défilé contre l’islamophobie” en novembre 2019 aux côtés du CCIF et de Marwan Muhammad faisant scander des Allahou Akbar à quelques mètres du Bataclan. Sur le Club de Médiapart, les blogs qui soutiennent Tariq Ramadan, disent des policiers qui ont abattu l’assassin de Samuel Paty qu’ils sont des « barbares », dénoncent “l’islamophobie d’État”, ou assument un antisémitisme à peine masqué, ne lui font pas peur. Au contraire. Montrez à M. Plenel un moyen d’avilir ce pays ou certains de ses habitants, et soyez assuré de le voir dans la minute s’atteler aux tâches les plus basses et accepter en son sein médiatique les propos les plus douteux. Mme L., professeur de droit, peut en témoigner, elle qui, après avoir tenu des propos certes scabreux sur les religions, a reçu récemment de très sérieuses menaces de mort suite à la divulgation de son nom par… Mediapart.

Edwy Plenel se mire dans le Bondy Blog comme dans un miroir : il reconnaît la hargne idéologique et revancharde et la détestation de la France qui alimentent les articles des élèves comme du maître. Le Bondy Blog n’est jamais qu’un petit Médiapart des cités adepte des procédés du maître, ce que ce dernier reconnaît avec toute l’humilité dont il est capable. Ce journaliste pense de lui-même qu’il est un « mythe »[tooltips content= »Selon des propos rapportés par Philippe Cohen et Pierre Péan dans La face cachée du Monde, Mille et une nuits, 2003″](1)[/tooltips] pour toute une génération de journalistes, et regarde ceux du Bondy Blog comme les dignes héritiers du journalisme qu’il affectionne: « froid, distant et tranchant comme le serait une lame aiguisée. »[tooltips content= »Chroniques marranes, Stock, 2007″](2)[/tooltips] Finalement, l’ancien admirateur de l’organisation terroriste qui assassina les athlètes israéliens en 1972 sera resté fidèle à ses premières amours trotskystes. Et son désir de détruire la société française reste intact.

Camélia Jordana, ou le paradoxe de l’a-comédienne

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Racisé ou LGBT, la relève des comédiens français est assurée ! Camélia Jordana et Vincent Deudienne, août 2020 © Jean Michel Nossant/SIPA Numéro de reportage : 00979047_000007

Vous vous souvenez, bien sûr, que dans son fameux Paradoxe du comédien, Diderot explique que seul un acteur psychologiquement neutre peut prétendre s’emplir des subtilités d’un personnage complexe. Sinon, argumente-t-il, ses propres qualités étouffent toute possibilité de devenir le rôle qu’on lui assigne… Camélia Jordana, j’en avais un vague souvenir en petite hétaïre maghrébine dans l’excellent film de Lou Jeunet, Curiosa, dont j’ai rendu compte ici même : elle était l’un des modèles que Pierre Louÿs, écrivain et photographe érotomane, amène devant son objectif.

Le Brio - Bande-annonce Image: capture d'écran YouTube.
Le Brio – Bande-annonce Image: capture d’écran YouTube.

C’est donc sans a priori que j’ai regardé en DVD le Brio, où Daniel Auteuil est contraint par l’administration de son université, pour avoir dit d’une façon un peu brutale à ses étudiants les choses telles qu’elles sont, à former une étudiante maghrébine aux subtilités d’un concours de rhétorique.

Pour des raisons commerciales, Camélia Jordana feint de parler racaille…

Le sujet m’intéressait, j’avais moi-même il y a quelques années dirigé deux étudiants marseillais pour le concours du Lyon’s Club — à tel titre qu’ils étaient montés en finale nationale. C’est une gageure, pour un formateur, de se saisir de la terre glaise informe et d’en tirer une statue qui parle. Et pour être informe, Camélia Jordana, dans le film d’Yvan Attal, l’est des ongles aux cheveux.


L’innocente jeune fille a réalisé, il y a peu, que le film au fond racontait comment un vieux mâle blanc faisait sortir du néant intellectuel une petite Maghrébine. Caramba ! Elle avait donc été manipulée par ce vieux satyre d’Auteuil, qui se permettait, en filigrane, de lui donner une leçon de comédie.

Accusé Auteuil, levez-vous !

On sait comment l’esprit vient aux filles. Sans doute Mlle Jordana a enfin trouvé un initiateur doué, parce que trois ans plus tard, elle comprend enfin ce qu’elle a joué : une imbécile qu’un prof de génie emplit temporairement de talent — et sans lequel elle n’existerait même pas.

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Je suspecte Auteuil qui est un grand comédien, d’avoir tout de suite compris quel matériau informe on lui mettait entre les mains — et d’avoir jonglé avec sa partenaire, non sans cruauté. Jordana joue « nature » — elle est intensément elle-même, intensément vide, peu à peu emplie du savoir et des techniques d’un artiste au sommet de son art. Puis c’est comme dans le Pygmalion de George Bernard Shaw : une fois la performance accomplie, on laisse tomber le cobaye dans sa fange originelle. Va chanter des rengaines, petite.

C’est d’ailleurs par la chanson que notre petite bourgeoise d’origine algérienne s’est fait connaître, lors de l’une de ces émissions qu’on appelait autrefois des « radio-crochets ». Elle a séduit son monde en interprétant « What a wonderful world ». Sans vouloir être moi-même cruel, les mélomanes apprécieront le léger décalage entre l’interprétation de la donzelle et celle de Louis Armstrong. L’industrie du disque visant la rentabilité à court terme plus que la promotion des talents, Jordana a récidivé depuis à plusieurs reprises. Elle a ainsi acquis auprès des hilotes une visibilité qui lui a donné le droit de dire de très grosses bêtises. Par exemple…

Camélia et le « racisme systémique » de la police coloniale

« Il y a des milliers de personnes qui ne se sentent pas en sécurité face à un flic. Et j’en fais partie. Aujourd’hui, j’ai les cheveux défrisés, mais quand j’ai les cheveux frisés, je ne me sens pas en sécurité face à un flic en France, vraiment ! Peut-être que si certaines mesures étaient prises plutôt que d’avoir des non-lieux en permanence à chaque fois… » Et d’ajouter qu’en général, « ce sont des hommes qui se font tuer, noirs ou arabes ou simplement pas blancs. »

La demoiselle, qui a vécu une enfance protégée dans le Sud de la France, mais qui pour des raisons commerciales feint de parler racaille, a certainement été bousculée plus souvent qu’à son tour par ces policiers racistes et violents… Puis comme le communautarisme est un créneau limité, qui risquait de l’enfermer dans un segment commercial très étroit, elle a élargi son raisonnement philosophique : « Si j’étais un homme, je demanderais pardon, je questionnerais les peurs, et je prendrais le temps de m’interroger. Car les hommes blancs sont, dans l’inconscient collectif, responsables de tous les maux de la terre. » Ainsi surfe-t-on en même temps sur le décolonialisme, le féminisme, le communautarisme, l’anti-racisme et autres grandes causes contemporaines. La culpabilité me tenaille si fort que déjà je me demande si j’achèverai cette chronique sans me trancher les veines et arroser mon clavier.

Il en est de Camélia Jordana comme d’Aya Nakamura, récemment propulsée par un député LREM ambassadrice de la langue française. L’industrie de la chanson les tire du néant, encaisse rapidement quelques bénéfices, et les renvoie à leur vide existentiel. L’industrie du cinéma les décrète égéries, comme Adèle Haenel, et cessera de s’y intéresser dès que le capital risqué sur leurs têtes ne rapportera plus assez auprès des imbéciles. Notre modernité décrète « stars » des lumignons allumés pour la foire, et les remplace aussi vite par d’autres lucioles. Un vide artificiellement rempli de paillettes retourne très vite au vide. Pour être un acteur de génie, il faut être de la glaise et se modeler à chaque rôle. Il ne suffit pas d’être un petit tas de boue auquel les médias donnent ponctuellement de l’importance, avant de les abandonner dans le caniveau. Allez, Camélia, quelques mois à l’Actor’s Studio, et la lumière viendra peut-être.

La chanteuse Camelia Jordana au défil printemps été 2019 de Louis Vuitton © Jean-Marc HAEDRICH/SIPA Numéro de reportage : 00878376_000040
La chanteuse Camelia Jordana au défilé printemps été 2019 de Louis Vuitton © Jean-Marc HAEDRICH/SIPA Numéro de reportage : 00878376_000040

Cameo: l’application qui permet à Chuck Norris ou Caitlyn Jenner d’arrondir les fins de mois

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© D.R. – Leemage

L’application américaine Cameo propose à ses clients des vidéos personnalisées de leurs stars préférées contre rémunération… Alors que le Covid a aussi réduit l’activité des vedettes d’Hollywood, le service cartonne!


Surprise pour de nombreux internautes corses. Dans une vidéo très spéciale postée sur la page Facebook des commerçants bastiais le 3 janvier, le célèbre Chuck Norris adresse ses meilleurs vœux pour 2021 aux Bastiais !

Une vidéo surprenante du héros de Walker, Texas Ranger

L’acteur karatéka américain de la mythique série Walker, Texas Ranger appelle à soutenir le commerce local et souhaite « Pace e Salute » aux habitants. De quoi remonter le moral après une dure année 2020.

Il faut dire que Chuck n’a pas été choisi par hasard. À l’initiative de Daniel Benedittini, leur président, l’Union des commerçants bastiais a fait appel « à la seule personne capable de tout surmonter pour affronter cette nouvelle année », peut-on lire sur leur Facebook. Mais le « Texas Ranger » ne vole pas au secours des commerçants corses par amour pour l’île de Beauté.

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Des vœux commandés sur internet

La vidéo a été commandée via l’application Cameo. Cette dernière permet de solliciter des stars pour la création de messages personnalisés, à l’occasion de mariages ou d’anniversaires notamment, contre une rémunération qui revient à 75 % à la célébrité et à 25 % à la plate-forme. Il fallait y penser. Elle cartonne depuis le confinement, permettant aux pauvres célébrités d’arrondir leurs fins de mois difficiles. S’y côtoient des stars du sport, de la téléréalité, de la musique et du cinéma. « Pas de tournées, pas de matchs, pas de boulot… Nous leur offrons un moyen de rester en contact avec leurs fans, c’était une façon pour elles de combler ce vide », a affirmé Abbie Sheppard, responsable de la section européenne de Cameo, au média Slate. Un vide qui se comble au prix fort dans certains cas : une prestation de Caitlyn Jenner, présentatrice transgenre de la brillante famille Kardashian, s’élève à 2 300 euros… Loin de ce prix, une prestation de Chuck Norris coûte à la modique somme de 328 euros.

Un petit investissement, bien loin des prix d’une campagne publicitaire classique, qui a permis de faire un joli buzz pour les commerçants bastiais. Reste à savoir si l’invincible Chuck leur portera chance.

Capture d'écran du site de Cameo.
Capture d’écran du site de Cameo.

Supprimer les vols courts : un drame socio-économique pour des résultats climatiques dérisoires

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Paulo Amorim/Sipa USA/SIPA SIPAUSA30194096_000003

Un rapport publié par Greenpeace prétend que, pour sauver la planète, il faut que l’État s’attaque au secteur aérien en empêchant la reprise des vols courts après la fin de la pandémie. En réalité, cette mesure ne représente rien de moins que le sabordement de tout le secteur.


Préoccupée par l’évolution du climat de notre planète, la puissance publique est sommée de faire la chasse aux combustions contribuant à un réchauffement. Une promesse devrait ainsi être tenue de ne pas laisser l’atmosphère se réchauffer au-delà d’une limite de 2,0 °C fixée dans l’accord de Paris, rabaissée à 1,5 °C selon les injonctions d’experts intergouvernementaux. Pour y parvenir, toutes les pistes sont explorées, y compris les plus dangereuses.

Un secteur aéronautique de plus en plus vertueux

C’est ainsi que, dans un communiqué du 21 janvier, le puissant lobby vert exige par le truchement de Greenpeace France que les avions ne redécollent plus, après avoir été cloués au sol depuis bientôt un an. Un rapport de 26 pages y est consacré. La contribution carbonée de l’aviation est, pour un tiers chacun, faite par les courts, moyens et longs courriers[i]. Ce ne sont pourtant que les vols courts qui sont visés car il serait impopulaire de remettre le trafic des Outre-mer sur des caboteurs et difficile de s’attaquer d’emblée aux vols internationaux et intercontinentaux. Selon Greenpeace, les projets d’extension d’aéroports devraient aussi être abandonnés. Par sa singularité technologique, l’aviation est une cible idéale bien qu’elle ne soit à l’origine que de 2,4 % des émissions carbonées mondiales[ii] – environ sept fois moins que le transport routier et du même ordre de grandeur que le transport maritime. Se posant en leader de la société civile, le lobby écologiste ne manque pas de tomber dans le populisme pour obtenir un impact climatique anecdotique et dérisoire.

Aucune amélioration technique ne sera suffisante ; c’est de suppression dont il doit s’agir

Comme tous les autres, le secteur aérien porterait une responsabilité climatique, mais dans son cas, c’est son sabordement qui est exigé. Les progrès techniques réalisés n’ont pas d’importance, comme par exemple la division par sept des émissions de CO2 par passager-kilomètre au cours des cinquante dernières années. Améliorer encore les moteurs et les aéronefs, guider plus précisément les avions pour écourter leurs trajets, utiliser des carburants non issus de fossiles : aucune perspective de continuer sur cette pente vertueuse n’est du goût des censeurs écologistes puisqu’il en résulte un trafic plus intense pour de plus en plus de gens qui se permettent de voyager, de plus en plus fréquemment et plus loin. Aucune amélioration technique ne sera suffisante ; c’est de suppression dont il doit s’agir, celle des vols courts permettant de mettre le pied dans une porte qui ne se refermera pas de sitôt.

Il n’est pas non plus important que 350 000 personnes travaillent directement ou indirectement dans ce secteur car elles participent à un système de dégradation qu’il faut réduire drastiquement afin de sauver la planète ; n’est-ce pas là un sacrifice nécessaire ? Particulièrement concentrée dans le sud-ouest, fleuron technologique et industriel représentant une filière de 90 000 personnes, l’industrie aéronautique doit donc se réformer, avant tout en fermant ses carnets de commandes.

L’avion, droit fondamental à l’évasion

Depuis quelques décennies, les voyages aériens ne sont plus réservés à une élite et sont consommés par un très grand nombre de Français. Que ce soit pour des déplacements professionnels ou d’agrément, c’est une formidable ouverture au monde appréciée et recherchée par chacun, tous les sondages l’indiquent. Mais le voyage n’est pas qu’un déplacement, c’est aussi un rapprochement entre les gens qui leur fait appréhender les similitudes de sentiments tout comme les différences de modes de vie et de cultures tout autour du monde. Voler fait aussi rêver, même beaucoup de frequent flyers qu’on pourrait croire blasés. Dès que ce sera de nouveau possible, qui ne mettra pas un voyage en avion ou plusieurs en tête de sa liste ? Quoi qu’on en pense, le tourisme de masse est aussi une manifestation de cette envie car parmi les droits fondamentaux des personnes, la liberté de mouvement est l’une des plus chères, au double sens de ce mot depuis bientôt une année.

A lire aussi : Vous avez honte de prendre l’avion? Bientôt des trains de nuit vous aideront à ne plus vous sentir coupable!

Selon Greenpeace et ses compagnons de route ce serait maintenant le rôle de l’État de poser une main encore plus ferme sur le secteur aérien pour l’empêcher de se développer. Est-ce la mission d’un État que de décider de la vertu d’une activité humaine et de la conformité des comportements des voyageurs alors que c’est aux clients de le faire ? Est-ce son rôle de sabrer la liberté de se déplacer à leur guise de personnes ne présentant aucun caractère criminel ?

Prétendue aberration ‘écologique’, les vols intérieurs devraient donc disparaître, au nom d’un bien collectif supérieur dont l’écologisme militant serait le gardien. Ce sont de telles certitudes dont il faut douter.

[i] Brandon Graver, Kevin Zhang, and Dan Rutherford, ‘CO2 Emissions from Commercial Aviation, 2018’, International Council on Clean Transportation, 2019, September, 2019, 13.

[ii] D. S. Lee and others, ‘The Contribution of Global Aviation to Anthropogenic Climate Forcing for 2000 to 2018’, Atmospheric Environment, 244.February 2020 (2021) <https://doi.org/10.1016/j.atmosenv.2020.117834>.

L’Ecole du soupçon infondé

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Campagne de prévention adressée aux pédophiles des Criavs (Centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles). Image D.R.

Qu’il y ait des pédophiles dans le corps enseignant est une réalité. Qu’il y en ait fort peu est une autre réalité.


Mais la médiatisation de quelques affaires incite les belles âmes à en voir partout, et à détruire des vies innocentes. Parce que la « parole des enfants », comme disent ceux qui y croient, n’est en rien crédible. Quant à la fiabilité de l’institution, qu’il s’agisse de l’Éducation nationale ou de la machine judiciaire…

Jean-Pascal Vernet était instituteur en maternelle à Barrême, dans les Alpes de Haute Provence. Le 30 avril 2019, il est « suspendu à titre conservatoire » par son administration pour « suspicion d’attitude déviante », sur plainte de parents d’élèves. Il aurait notamment écrit sur le cahier de l’une de ses élèves « Bravo ma princesse ». Un crime…

Deux jours plus tard, le 2 mai, il a mis fin à ses jours. « Preuve de culpabilité », diront les imbéciles et les lyncheurs professionnels.

Une époque propice aux jugements hâtifs

Pas même. Il s’agissait d’une confusion d’identification, « une erreur de copier-coller » visant une autre affaire distincte survenue à Entrevaux, vient de reconnaître l’Inspection académique, presque deux ans plus tard. Jean-Pascal Vernet, « mis en examen et placé sous contrôle judiciaire », n’avait rien fait. Rien. Il est mort.

Bien sûr, des erreurs judiciaires, l’Histoire en a recensé des milliers. Mais certaines périodes, sujettes à une hystérisation concertée, sont plus propices que d’autres aux jugements hâtifs.

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En août 1997, Ségolène Royal, nouvellement nommée ministre déléguée à l’enseignement scolaire et qui voulait à toute force exister sans la lumière de Claude Allègre, ministre en titre, décrétait une croisade anti-pédophilie. « Il faut que la parole se libère », etc. Des dizaines de plaintes arrivent alors au ministère, qui benoîtement les transmet à la Justice. Alors, écoutez bien. En moyenne, chaque année (les chiffres sont ceux de l’Autonome de solidarité, une assurance complémentaire que prennent nombre d’enseignants), huit à dix plaintes étaient alors formulées, dont en moyenne deux ou trois arrivaient en phase judiciaire. C’est toujours trop, mais sur près d’un million d’enseignants à cette époque, ce n’est pas un tsunami.

L’effet Ségolène

L’effet Ségolène ne tarde pas : le nombre de plaintes monte soudain à 120 par an… dont deux ou trois arrivent en phase judiciaire. Le reste, du pipeau, des règlements de comptes, des on-dit, tout l’arsenal de la médisance et de la crédulité.

Un professeur d’EPS au collège de Montmirail, Bernard Hanse, mis en cause par un fabulateur de 14 ans, s’est suicidé sous la pression, alors qu’il n’était coupable de rien. Un mois plus tard, l’adolescent est mis en examen pour dénonciation calomnieuse. Ça n’a pas empêché Mme Royal de faire l’amalgame entre ce drame et des affaires d’inceste et de pédophilie passées sous silence à cause de pressions exercées sur les enfants et leurs familles. « L’affaire n’est pas finie, l’enfant s’est peut-être rétracté sous la pression des adultes, sous le poids d’un suicide, les reproches qui lui avaient été faits d’avoir parlé », déclare-t-elle dans un grand média à une heure de grande écoute. Il fallait sa livre de chair, comme disait Shakespeare, à la ministre déléguée. Une façon de se grandir sur le cadavre d’un enseignant irréprochable. Tous les éléments du dossier ont été réunis par la famille de Bernard Hanse.

Ça m’a donné à tout jamais l’exacte mesure de cette femme qui a prétendu devenir président de la République… J’ai, dans un article ancien, fait le lien entre ces faits et une fiction de Thomas Vinterberg, la Chasse (2012), qui raconte comment un animateur de jardin d’enfants (Mads Mikkelsen, toujours aussi impeccable) est accusé par une petite fille d’attouchements — alors même que nous savons qu’il n’en est rien. Et comment il est pris en chasse par le village où il exerce. On lynche toujours au nom de la vertu — eh bien si c’est ça la vertu, ce n’est pas beau à voir. Pour un peu, on préfèrerait le vice.

La parole des victimes n’est pas sacrée

L’histoire de Bernard Hanse, parmi d’autres, est relatée dans l’enquête de Marie-Monique Robin parue en 2006, l’École du soupçon. L’enquêtrice, dont la méthodologie, dans ce dossier comme sur d’autres, est exemplaire, a récidivé l’année suivante avec un documentaire fort éclairant portant le même titre, et que l’on peut trouver in extenso sur le Net. En résumé, des enquêteurs peuvent faire tout dire à des enfants — et surtout ce qui ne s’est pas passé. Il suffit de savoir poser les questions. Pire : les gosses finissent par être persuadés que leurs affabulations sont la vérité — et comme il y en a encore qui croient qu’un enfant ne peut mentir…

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Alors, se pose une question. Les enfants qui se sont imaginé, à cinq ou six ans, avoir été victimes d’attouchements ou pire, quels adultes deviennent-ils ? Quand ils sont assez grands pour savoir tenir une plume, quelles confessions parfaitement imaginaires mais qu’ils croient vraies ne sont-ils pas capables de rédiger…

La police sait si bien à quel point il faut prendre ces témoignages avec des pincettes qu’elle enquête sérieusement sur les dénonciations avant de les faire entrer en phase judiciaire. C’est ainsi que 80% des plaintes pour viol sont classées — faute de preuves matérielles, et souvent parce qu’elles sont de pures inventions, que le motif en soit la vengeance, le remords, ou la croyance erronée dans la véracité des faits. Voir le fiasco de l’affaire d’Outreau : des vies massacrées parce qu’un juge en mal de notoriété a cru des témoignages douteux. Olivier Moyano, clinicien d’un service de protection judiciaire de la jeunesse, a analysé avec une grande pertinence la construction de cet imaginaire du viol, montrant comment un « fantasme traumatisant réparateur », fantasme d’agression sexuelle, est supposé « réparer l’effet traumatique au long cours du fantasme incestueux ravivé par l’entrée dans l’adolescence ». Mais enfin, m’ont récemment dit des étudiantes, une femme ne peut pas mentir…

Oui, certainement…

Rappelons enfin que l’aveu même des coupables — cet aveu que l’on appelait autrefois « la reine des preuves », et que l’on extorquait avec des moyens parfois abominables — n’est pas une preuve. Des individus perturbés, épuisés par des jours d’interrogatoire, peuvent avouer des crimes qu’ils n’ont jamais eu la possibilité matérielle de commettre — quitte à se rétracter plus tard. En attendant, sur les réseaux sociaux qui servent désormais de tribunal populaire instantané, les bonnes âmes se déchaînent, et quelques affaires répugnantes et sans équivoque entraînent des condamnations en chaîne sur de parfaits innocents… Comme disait le regretté Reiser : « On vit une époque formidable ».

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Révolutions arabes, printemps israélien

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Homs, Syrie, 19 septembre 2016. © AFP PHOTO / LOUAI BESHARA

Dix ans après l’immolation qui a enflammé la Tunisie, de nombreux pays arabes sont toujours K.-O. L’euphorie de l’hiver 2011 n’a abouti ni à une démocratie libérale ni à une théocratie islamiste, mais à un chaos politique et à un désastre économique dont Israël est le principal vainqueur.


En 1972, Edward Lorenz, un météorologue américain, donne une conférence intitulée « Prédictibilité : le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? » Cette métaphore est à l’origine de ce qu’on appelle « l’effet papillon » : un phénomène ou un événement infime et lointain déclenche une réaction en chaîne dont les conséquences sont aussi importantes qu’insoupçonnées. Loin du Texas et du Brésil, au Moyen-Orient, le battement d’ailes du papillon a pris la forme d’un soufflet. Le 17 décembre 2010, une policière municipale de la bourgade tunisienne de Sidi Bouzid gifle Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant de fruits et légumes. Humilié et désespéré, ce dernier s’immole par le feu. Quatre semaines plus tard, Zine el-Abidine Ben Ali, successeur de Bourguiba et président depuis 1987, fuit le pays sous la pression de la rue. Encore un mois plus tard, place Tahrir, au Caire, une foule en liesse célèbre la démission de Hosni Moubarak après trente ans de pouvoir. Enfin, trois mois après la gifle, trois États arabes – la Syrie, la Libye et le Yémen – s’écroulent et le pouvoir de leurs dirigeants vacille.

Bernard Guetta, pas un grand visionnaire

Le 2 février, dans les pages opinion de Libération, Bernard Guetta jubile. « Où est passée cette guerre des civilisations qui devait marquer le XXIe siècle et où sont passées les antiennes sur l’incompatibilité entre islam et démocratie ? » ironise-t-il. On entend siffler le train de l’histoire et la quasi-totalité des journalistes et des commentateurs n’entendent surtout pas le rater. En cette année 2011, aucun espoir ne semble trop fou, aucun avenir trop radieux. C’est le printemps et ça sent le jasmin.

Cependant, plusieurs semaines avant l’immolation de Bouazizi, l’atmosphère en Tunisie était déjà bouillonnante grâce à un nouvel acteur : les réseaux sociaux. En quelques années, ces gadgets d’étudiants nés dans les campus américains pour faciliter la drague ont réussi là où les simples blogs avaient échoué : en permettant la mise en relation de chacun avec tous, ils ont court-circuité les médias institutionnels.

En novembre 2010, WikiLeaks, fondé quatre ans auparavant par un groupe d’activistes web autour de l’Australien Julian Assange, a divulgué presque un quart de million de télégrammes diplomatiques du Département d’État américain. Sufian Belhadj, un jeune Belgo-Tunisien, a traduit en français et en arabe, puis publié sur sa page Facebook les câbles dans lesquels les diplomates américains décrivaient l’étendue et la profondeur de la corruption du président Ben Ali et de son clan. Le succès a été fulgurant. L’atmosphère à Tunis était déjà à la colère et à la frustration au moment où la goutte d’eau de Sidi Bouzid fait déborder le vase. Les réseaux sociaux ont joué un rôle dans les révolutions arabes : ils ont préparé les esprits, permis la création de réseaux militants, mobilisé les foules et informé les médias.

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Dix ans plus tard, l’euphorie technologique n’est pas plus de mise que le lyrisme politique de ce printemps. La trajectoire personnelle de Julian Assange est une parabole de l’évolution du cybermonde. Le chevalier blanc de la liberté de 2010 est en 2021 une épave hirsute et mentalement atteinte qui risque de passer le reste de sa vie en prison. Pour le web, c’est pareil. En réalité, le ver du marché et du pouvoir était dans le fruit depuis le début. Dès qu’il a été clair que la technologie était à la fois une source de profits potentiels considérables et une arme puissante, donc une menace tout aussi puissante, les États comme les multinationales s’y sont intéressés et le merveilleux espace d’émancipation annoncé est devenu un instrument de profits, de contrôle et de manipulation. Personne ne croit plus au « journalisme citoyen » sur lequel on ne tarissait pas d’éloges en 2011. Toute parole, toute image, tout fait est accueilli avec méfiance et noyé dans un contenu produit par des bots, des mercenaires des réseaux sociaux ou des justiciers en chambre.

À quelques exceptions près, c’est à la faillite de l’État en tant qu’institution à laquelle nous avons assisté dans le monde arabe

Reste qu’en ce début 2011, ce sont les réseaux sociaux qui imposent leur vision qui, diffusée ensuite par les médias, chaînes d’info en continu en tête, gagne vite les chancelleries, pourtant nourries – ou supposées l’être – par les services de renseignement et les réseaux diplomatiques. À Paris, il semble que l’intuition du gouvernement français de l’époque ait plutôt été de résister à l’enthousiasme général. En 2002-2003, le bon sens et une connaissance fine du monde arabe ont conduit la France à douter de la capacité des États-Unis à transformer l’Irak en démocratie libérale en le débarrassant de Saddam Hussein. En 2011, le premier réflexe à Paris est d’aider les forces en place pour éviter le chaos. Le 12 janvier, devant l’Assemblée nationale, la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, propose à la police tunisienne le savoir-faire français pour « régler les situations sécuritaires ». C’est le tollé. La vidéo enflamme les réseaux sociaux. « Merci la France ! » ironisent des internautes tunisiens. En France, Nicolas Dupont-Aignan ne trouve pas de qualificatif assez sévère pour la ministre, tandis que, selon Daniel Cohn-Bendit, « Madame Alliot-Marie a démontré que la France demeure le paillasson du président Ben Ali ». À ses accusateurs qui, quarante-huit heures avant la fuite de Ben Ali, annoncent déjà une démocratie libérale portée par une jeunesse arabe elle-même menée par l’avant-garde éclairée des cybermilitants, la ministre répond : « On ne doit pas s’ériger en donneurs de leçons. »

Retour à la case départ

À Washington, la communication est mieux maîtrisée mais, pour le reste, c’est le brouillard. Quelques jours après la fuite de Ben Ali, alors que les manifestations se sont étendues à l’Égypte, Barack Obama lâche l’allié de trente ans de l’Amérique, celui qui en octobre 1981 avait assuré dans des circonstances dramatiques la succession d’Anouar el-Sadate. Dans ses mémoires, l’ex-président raconte que le Premier ministre israélien Netanyahu insistait au contraire sur l’importance vitale du maintien de l’ordre et de la stabilité en Égypte car sinon, disait-il, « nous aurons l’Iran là-bas en moins de deux ».

Obama n’a pas tenu compte de ces avertissements. L’enthousiasme de l’homme l’a emporté sur la prudence de l’homme d’État, président de la première puissance mondiale, de surcroît. Il espérait – comme beaucoup à l’époque – que, débarrassé de Moubarak, l’Égypte trouverait la voie de la démocratie. Résultat, la brève expérience démocratique de l’Égypte prendra fin après deux ans et demi par un retour à la case départ.

De gauche à droite : Abdullatif Al-Zayani, ministre des Affaires étrangères de Bahreïn, Benjamin Netanyahu, Premier ministre israélien, Donald Trump, président des États-Unis, et Abdullah Bin Zayed Al-Nahyan, ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis, brandissent les traités de paix tout juste signés à la Maison-Blanche, Washington, 15 septembre 2020. © Tia Dufour / Handout / Anadolu Agency / AFP
De gauche à droite : Abdullatif Al-Zayani, ministre des Affaires étrangères
de Bahreïn, Benjamin Netanyahu, Premier ministre israélien, Donald Trump,
président des États-Unis, et Abdullah Bin Zayed Al-Nahyan, ministre des Affaires
étrangères des Émirats arabes unis, brandissent les traités de paix tout juste
signés à la Maison-Blanche, Washington, 15 septembre 2020.
© Tia Dufour / Handout / Anadolu Agency / AFP

Cependant, au moment où il lâchait Moubarak, Obama accueillait fraîchement le projet libyen concocté par Nicolas Sarkozy et David Cameron. Son intuition lui soufflait que c’était une erreur. Il s’est laissé entraîner par l’optimisme de ses équipes et alliés. On peut donc conclure qu’Obama n’avait pas une « stratégie progressiste globale » visant à aider partout les papillons de la démocratie à émerger des chrysalides dictatoriales. En septembre 2013, dans la droite ligne de sa propre position sur la Libye, Obama n’a pas respecté la ligne rouge qu’il avait tracée en promettant d’attaquer la Syrie si le régime de Bachar Al-Assad utilisait des armes chimiques contre son propre peuple. La lucidité de l’homme d’État a pris le dessus à mesure que la réalité du monde arabe se dévoilait et qu’il devenait patent que, dans certains pays arabes, les drapeaux et autres attributs de souveraineté n’étaient qu’un décor de cinéma, des cache-misère politiques.

À l’exception de la Tunisie qui a réussi à construire dans la douleur et la déception une démocratie fragile, la vague de protestations a invariablement conduit au chaos. La Syrie, la Libye et le Yémen ont sombré dans des guerres civiles et le Liban a fini par plier sous le poids de la désintégration syrienne. L’Égypte a remplacé un vieux général par un plus jeune, et dans la plupart des pays de la région, les régimes en place – la Jordanie, le Maroc et les monarchies de la péninsule arabique – ont survécu notamment grâce à des systèmes politiques s’appuyant sur d’autres formes de légitimité que le social-nationalisme panarabe. Bref, ceux qui s’en sortent plus ou moins sont soit les pays où la nation, comme corps politique, existe (Algérie, Égypte), soit des monarchies où une mystique dynastique et religieuse incarnée cimente le corps social mieux que les idéologies, les imaginaires et les discours creux issus du nassérisme.

À quelques exceptions près, c’est à la faillite de l’État en tant qu’institution à laquelle nous avons assisté dans le monde arabe. En Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen et en Libye, il n’existe plus vraiment. L’État égyptien a beaucoup de mal à exercer sa souveraineté dans le Sinaï, mini « zone tribale » à quelques dizaines de kilomètres du canal de Suez. En Tunisie et en Algérie, l’État se porte à peine mieux, sans parler des deux Palestine, celles de Ramallah et de Gaza. Et cette faillite explique le bilan plus que mitigé de l’islam politique. Un phénomène qu’on a du mal à voir ici, en raison de ses succès chez nous.

La résolution du conflit israélo-palestionien n’est plus le postulat de base de tout

L’islam politique, dont le principal « logiciel » prêt à télécharger est celui des Frères musulmans, n’a pas gagné. Certes, très rapidement, le « printemps arabe » a cédé la place à un « hiver islamiste ». Cependant, l’arrivée au pouvoir des fréristes en Tunisie (Ennahda) et en Égypte (Mohamed Morsi) n’a été qu’une parenthèse vite renfermée. L’islam politique dans les pays arabes reste donc dans sa situation préprintanière : force d’opposition aux régimes en place et organisations terroristes non étatiques comme Al-Qaida et Daech. Quarante-deux ans après la révolution iranienne et malgré le tsunami qui s’est abattu sur eux en 2011, les Arabes sunnites n’ont pas créé de véritable théocratie. Ainsi sommes-nous en présence non pas d’un, mais de deux espoirs déçus : celui d’une démocratie libérale arabe d’un côté, celui d’un califat ou d’une théocratie sunnite de l’autre. On peut même avancer qu’en matière de gouvernance, la leçon du printemps arabe est que ce qui ne marche pas par la force échouera par la violence.

Il y a dix ans encore, le postulat de base de la diplomatie mondiale était que la résolution du conflit israélo-palestinien était la clé de tous les problèmes du Moyen-Orient. C’est ce qu’affirmait avec un aveuglement stupéfiant l’ophtalmologue de Damas dans un entretien au Wall Street Journal, publié le 31 janvier 2011. Commentant la chute de Ben Ali et la crise égyptienne, Bachar Al-Assad livre le secret de la résilience syrienne : les Égyptiens paient la paix avec Israël, tandis que les Syriens récoltent les fruits mûrs de la résistance farouche à l’entité sioniste. Quelques semaines plus tard, c’est le réel qui le gifle. Aujourd’hui, le tas de ruines dépeuplé dont il est le président n’est que l’ombre de la Syrie héritée de son père. Début 2021, l’armée syrienne, dernière force importante hostile aux frontières d’Israël, est écrasée et aucun chef de diplomatie ne peut honnêtement soutenir qu’une solution au conflit israélo-palestinien conduira à la stabilisation et à la paix au Moyen-Orient.

La décennie chaotique et sanglante qui vient de s’achever a non seulement écarté la question palestinienne de l’ordre du jour géostratégique, elle a également renforcé les liens entre Israël et l’Égypte, et ouvert la voie à une normalisation avec d’autres pays arabes. Bahreïn, les Émirats arabes unis, Oman et le Maroc ont rejoint la Jordanie et l’Égypte, tandis que l’Arabie saoudite comme le Soudan basculent vers une alliance avec l’ancien ennemi. Et tout cela sans que pour le moment la « rue arabe » s’y montre particulièrement hostile.

La liste des perdants et des espoirs douchés du printemps arabe est longue. Celle des gagnants est courte. Elle contient notamment un nom surprenant : Israël. Au milieu d’un vaste champ de ruines politiques allant de l’océan Atlantique à l’océan Indien, c’est l’État le plus performant et la nation la plus avancée politiquement qui sortent renforcés. C’est le secret : une nation n’est pas une confédération ni même une fédération de familles, de clans ou de groupes ethniques et religieux. Hors la nation, point d’État. Et hors de l’État, point de salut.

BD: Claire Bretécher est partie il y a un an déjà…

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Claire Bretécher, 1987 © BENAROCH/SIPA Numéro de reportage : 00150090_000001

L’intégrale de la dessinatrice Claire Bretécher, disparue il y a presqu’un an, sort en deux volumes chez Dargaud


Au risque de déplaire aux féministes, j’ose avancer une théorie à rebrousse-poil, celle de la beauté comme moyen d’accession essentiel à la culture, à l’imaginaire et à la dissidence. Le physique comme porte d’entrée à l’Œuvre. Ne parlons pas tout de suite du texte, de l’imprimé, de la pensée, tout ce qui accessoirise la personne, cette patine sociale et intellectuelle qui drape un corps et lui fait perdre une grande part de sa vérité, de son suc aussi. Ne soyons pas sentencieux et vains, grandiloquents et ridicules, à vouloir toujours déconstruire le monde et se rendre finalement moins intéressants que l’on est.

Une beauté sans artifices

Restons d’abord sur ce qui frappe le regard et coupe la respiration, sur cette première image qui, longtemps après, envahit l’esprit et commence son travail d’emprise. Car, il suffit d’avoir vu, une seule fois, Claire Bretécher (1940-2020) à la télé dans les années 70 ou 80, bien avant d’avoir lu ses dessins dans Pilote ou l’Obs, d’avoir entendu les prénoms Cellulite et Agrippine pour connaître un émoi sincère et ravageur. Pour être littéralement ferré, oui, pris au piège d’une beauté qui ne truque pas, qui n’enjolive pas le réel à des fins mercantiles et lui fait prendre des chemins trop directs, trop convenus. C’est toute la différence entre « jolie » et « belle ».

La dessinatrice Claire Brétécher en train de dessiner, mars 1972 © DANIEL LEFEVRE / INA
La dessinatrice Claire Brétécher en train de dessiner, mars 1972 © DANIEL LEFEVRE / INA

Dans un star-system déjà frelaté, le milieu de la bande-dessinée n’échappant pas aux mœurs vulgaires de la Variété française, Bretécher exprimait une désobéissance jouissive et un sens de l’abandon délicieux. Dès le début de sa carrière et, au fil de sa notoriété grandissante, elle ne cilla pas devant la caméra. Son naturel s’imposait sans artifices. La beauté est cruelle et injuste, elle ne se claironne pas. Elle apparaît sans crier gare, elle insulte les bonnes manières, on ne peut que l’admettre et se soumettre. Paupières basses, front mangé par une large frange, cette accro au shopping fixe l’objectif de ses lèvres fines. Elle ne parle pas encore, et pourtant nous avons non pas le sentiment mais la certitude qu’elle nous plaira, qu’elle nous enchantera, qu’elle nous amusera, qu’elle sera différente des autres. Pour l’instant, on ne sait même pas qu’elle dessine. Elle pourrait chanter, jouer la comédie, écrire ou taper à la machine, être dactylo ou aristo, caissière ou banquière, diplômée ou illettrée, nous nous en moquerions complètement. Elle nous plaît, voilà tout. Les rayons de sa beauté nous irradient et nous brûlons devant cette icône dont le mot même, trop outrancier, ferait carrément marrer.

Désengagement vindicatif, ironie rigolarde…

Un observateur attentif aurait pu déceler dans son attitude que je qualifierais de dilettantisme souverain, une trace de timidité habilement masquée par un tempérament plus entier, pas bravache, plutôt cette férocité intérieure qui anime les grands artistes. Un déluge sous-terrain qu’on tente de canaliser. Des influences disparates : le dégoût amusé, le désengagement vindicatif et cependant l’envie d’entrer dans l’arène médiatique sans prendre l’uniforme du militantisme, se méfiant des poses et des idéologies en cours. Pour l’heure, je me répète, on ne sait rien d’elle. Bretécher est une sorte de Stéphane Audran, moins corsetée, ignorant le tailleur chabrolien, ou de Marlène Jobert méfiante, sur ses gardes, cossarde sur les bords. Ne vous fiez pas au débraillé savamment orchestré de Claire. Là aussi, elle anticipera les modes à venir, du « casual chic » à l’ethnique sapée. Elle va maintenant parler.

Et là, ce que sa beauté laissait présager, une sauvagerie contenue, une ironie rigolarde, sa voix nous donne, par saccades, des moments d’intenses jubilations. Je pourrais l’écouter des heures. Il y a des vibratos qui nous emportent ailleurs, très loin. Jamais banale, toujours lucide. L’art de botter en touche et pourtant de ne pas trahir son ambition profonde. Réactionnaire par anarchisme goguenard, Claire était une Sylvie Joly qui ne jouait pas. De son enfance nantaise, bourgeoise et pieuse, elle avait conservé une certaine modulation de fréquence, un pincement amusé et le second degré comme arme de défense massive. Le meilleur moyen pour les belles femmes de faire fuir les prétentieux et les petits malins. Il faut l’entendre prononcer cette phrase à la télévision suisse en 1977 dans un célèbre portrait : « A l’époque, j’étais professeur auxiliaire de dessin à Pontoise ». Cette simple phrase nous touche et nous foudroie. Elle est parfaite d’équilibre et de pudeur, elle charrie tant de souvenirs. Claire incarnait ma France, celle qui faisait la chasse au sérieux et à l’explication oisive. Alors, je le confesse, bien avant d’avoir lu ses dessins qui paraissent aujourd’hui dans un coffret contenant deux tomes, bien avant qu’elle me donne son avis sur le sexe, le couple, la religion, la psychanalyse, l’argent, l’écologie ou le travail, qu’elle défende l’honneur de Goscinny ou qu’elle soit, ironie du sort, adoubée par les intellos de la rive gauche, je l’aimais déjà, à la première seconde.

L’intégrale de Claire Bretécher – 1968 – 2018 – Dargaud.

Humanistes en peau de lapin

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Philippe Bilger. Photo D.R.

Philippe Bilger en a soupé de tous les pseudo humanistes. Il pousse ici un coup de gueule, derrière lequel chacun pourra mettre les noms qu’il souhaite…


Ils nous ont sali l’humanisme : je leur en veux.
Au caractère universel de la morale ils ont opposé la subversion de leur idéologie.
Au respect inconditionnel des valeurs fondamentales, le relativisme partisan.
À l’aspiration légitime à l’égalité des sexes, un féminisme guerrier et totalitaire.
À la détestation du racisme, la dénonciation de l’homme blanc et un antiracisme obsédé par la confrontation des races (terme honni qu’ils ne cessent pas d’actualiser).
À la liberté d’expression, la censure explicite ou implicite de ce qui n’était pas leur pensée.
À l’exigence d’une morale publique irréprochable, le refrain d’une politique contrainte de se salir les mains.
Au désir de sécurité, l’accusation honteuse de populisme.
Au service du peuple, l’infinie condescendance des élites sûres d’elles mais oublieuses de trop de quotidiennetés.
À la volonté de favoriser ou de restaurer l’allure républicaine, la seule nostalgie de de Gaulle.
À la défense responsable et sans complaisance de la police et de la justice, la haine systématique de la première et une ignorance politisée au sujet de la seconde.
Au respect d’une culture à la fois populaire et intelligemment élitiste, la démagogie d’activités, de spectacles et de créations indignes de la beauté et parfois même de la dignité.
Au souci de la langue, une dévastation constante et trop souvent grossière du verbe.
À l’amour de la France, un repliement mesquin sur le pré carré ou une dilution dans le grand Tout mondial.
À la passion des débats et de la contradiction des idées, le déchaînement de paroles partiales, sans écoute de l’autre réuni dans le même opprobre que son opinion.
À la volonté de mettre en lumière les meilleurs, un délitement considérant la médiocrité ou l’inscription facile dans l’air du temps comme les seuls atouts qui seraient à notre portée.
À une critique artistique honnête, le clientélisme effréné laissant le talent au second plan pour ne s’occuper que de la connivence.
À une citoyenneté à la fois lucide et capable d’évoluer, des inconditionnalités constituant notre pays en blocs et présumant coupable le pouvoir, quoi qu’il fasse ou ne fasse pas.
À une démocratie de progrès et d’apaisement, le prurit de tensions et de guerres civiles rentrées.
À un nouveau monde promis sans cesse, la lassante habitude de pratiques et de dévoiements dégradés en normalité acceptable.
À l’étendue de ce qui manque, un déclinisme désespérant ou des utopies dangereuses.

Il serait faux de résumer ces multiples antagonismes au combat classique entre la droite et la gauche et leurs extrêmes. Peut-être davantage entre ceux que le réel n’indispose pas et ceux qui prétendent faire table rase de tout.

Dans la multitude des registres humain, social, politique, culturel et judiciaire, on tente de ne pas faire sombrer nos valeurs dans leur caricature ou leur instrumentalisation. On les préserve de l’idéologie qui parcellise au bénéfice de l’universel qui rassemble.

Ils nous ont sali l’humanisme. Je leur en veux.

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Le mal du siècle

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Ivan Jablonka se définit comme un garçon-fille © BALTEL/SIPA Numéro de reportage : 00930783_000022

L’historien Ivan Jablonka s’interroge sur sa « garçonnité », la crise du masculin dans les sociétés occidentales ne l’effraie pas outre mesure


L’air du temps est au « malaise dans le masculin .» Après #Meetoo, il fallait s’y attendre. Ainsi l’historien Ivan Jablonka s’interroge-t-il, dans Un garçon comme vous et moi, paru au Seuil, sur sa garçonnité, à travers un « parcours de genre » à la croisée de l’histoire, des sciences sociales et de la littérature. Le titre du premier chapitre « Je ne suis pas un mâle » résonne comme un programme. A travers « un nous-garçons », c’est l’intimité individuelle et sociale d’une génération que l’auteur entend peindre.

Jablonka, la « socio-histoire » au service de l’indifférenciation des sexes

Né, en 1973, d’une famille de la petite bourgeoisie parisienne, d’origine polonaise, rien ne nous est épargné, année après année, des étapes de la vie, des faits et gestes de ce garçon choyé, fait pour donner du nakhès,— du gain social— à ses parents. Adolescent angoissé, sur qui pèse le poids d’une judéité douloureuse, Jablonka, très bon élève, jouant volontiers « au pauvre Ivan », a une sensibilité de fille : il ne sait pas draguer et croit au pouvoir des mots plutôt que des muscles. Plus tard, il écrit des alexandrins, se dessale du côté de Clamart, aime l’opéra. Rien que de flatteur. Vulnérabilité, narcissisme, désir d’être aimé—une forme de malheur sans laquelle on n’est pas un enfant du siècle — Jablonka récuse déjà un destin que la société façonne de son diktat sexiste, à travers l’école, le foot et le service militaire. Un jour, au lycée, il déclare, à un camarade de Terminale : « O Marc, continue ! J’aime ta présence masculine et racée ». Rigolade des copains qui consignent la phrase dans leur bêtisier. Et le futur auteur d’Un homme juste de voir là le climat homophobe du lycée. Cette « gêne dans la garçonnité » tiendrait-elle à une « déphallisation » du corps due au naturisme de vacances à la Bédoul ? A la déstabilisation d’un père due à sa souffrance d’orphelin ? En réalité, le malaise genré de l’auteur tient à la génération Goldorak (1980) de Récré A2 et de Candie. Il ne se sent pas assigné à une garçonnité prédatrice et séductrice à travers les préjugés genrés de la société. Le mâle dominant ? Très peu pour lui.

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Loin du mentir-vrai, du moins en apparence, cette socio-histoire s’appuie sur de nombreux documents : journal des parents et journal intime, témoignages, « traces » multiples. Photos, dessins, stylos, boucle de cheveux, tout est archivé à la fin du livre. Point d’orgue d’une analyse, commencée à 36 ans, ou produit lancé sur le marché juteux de la déconstruction, cette histoire de trouble dans le genre aguichera sans doute les étudiants du professeur ainsi qu’un public féminin.

La théorie du genre s’impose dans nos facs

Très claire, en tout cas, est l’ambition de « l’être-à-pénis devenu puissant socialement » qui s’est fort bien accommodé, pour faire carrière, de la préséance masculine, enracinée dans l’université, tout comme Bourdieu, qui n’a jamais relativisé son discours de dominant au sein du Collège de France. De même que, pour la génération Goldorak, il fallait être homme pour réussir, à qui veut réussir, à présent, à l’université, la littérature de et sur le genre s’impose. Deuxième ambition revendiquée  par Jablonka : la création dans les sciences sociales. L’auteur de Les grands-parents que je n’ai pas eus est convaincu d’avoir dérégulé, par ses choix d’historien, tant l’académisme des disciplines que sa propre masculinité, en traitant de sujets « pas convenables » : les enfants abandonnés, les filles-mères, les êtres sans importance, les victimes anonymes. Il pourra ajouter bientôt les « nous-orphelins », garçons et filles, privés, de par la loi, à leur naissance, de leur carte d’identité[tooltips content= »La fabrique d’orphelins, Marie-Hélène Verdier, Tequi, 2019 NDLR »](1)[/tooltips].

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Après « la valence différentielle des sexes » de Françoise Héritier et La Domination masculine de Bourdieu, cette socio-histoire de la garçonnité ouvrira-t-elle les portes du Collège de France à l’insatiable Jablonka ? Les féministes veillent. Un concept tout neuf s’offre en tout cas à notre écrivain : celui de « la déli-délo », ce jeu mixte charmant, variante du jeu de chat, évoqué dans un chapitre, qui rend compte des mille et une nuances du masculin et du féminin.

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Les coups d’Etat permanents

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La journaliste Élisabeth Lévy © Photo: Pierre Olivier

L’éditorial de février d’Elisabeth Lévy


J’ignore à quelle sauce nous sommes claquemurés à l’heure où vous lisez ces lignes – confinera, confinera pas, semi-confinera, chacune de ces hypothèses a été, à un moment ou à un autre, présentée comme une certitude. Mais la seule certitude, c’est qu’on aura droit aux ausweis et aux 135 boules. Il est peu probable que l’exécutif soit parvenu à faire fléchir le corps médical et à arracher à son inflexibilité sanitaire quelques concessions à la vie. Le 26 janvier, le Premier ministre a déclaré, dans son outrageant sabir d’énarque, qu’il « prioriserait » toujours la santé. La santé contre la vie ? Soyons rassurés, nous mourrons guéris.

Tout au long du mois de janvier, scientifiques et politiques se sont livré une guerre à la fois tonitruante et feutrée, tonitruante parce qu’elle se déroule à coups de déclarations choc sur les plateaux de télévision, feutrée parce que tout le monde feint de ne pas la voir. Entre le gouvernement et ses conseillers scientifiques, le « vous en êtes un autre » est de rigueur. N’empêche, quand le Pr Delfraissy réclame que l’on interdise ceci et que l’on ferme cela, on se demande qui gouverne la France. Il serait abusif de parler d’un coup d’État médical, car dans cette crise sanitaire, les politiques, tétanisés par les comptes qu’ils auront à rendre, ont renoncé au pouvoir. Les médecins n’ont eu qu’à le prendre.

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Ces derniers ne sont pas les seuls à mettre au défi les institutions représentatives. Dans le fascinant entretien qu’il a accordé à Jeremy Stubbs (page 21-23), Christopher Caldwell montre comment, aux États-Unis, la législation sur les droits civiques de 1964 est devenue, au fil des décisions de justice, une crypto-constitution qui supplante le texte sacré des Pères fondateurs et soumet toute la vie publique aux exigences des minorités.

Un processus comparable est à l’œuvre en France où des forces extra-parlementaires fomentent des putschs à bas bruit, sapant l’armature juridique invisible qui soutient notre société et disputant leurs prérogatives aux gouvernements issus des urnes.

Nombre de ces attentats à l’équilibre des pouvoirs sont à mettre au compte des « autorités administratives indépendantes », dont le nom en forme d’oxymore résume l’ambiguïté diabolique. Dépourvues de toute légitimité et ne procédant que d’elles-mêmes une fois nommées, elles ont la faculté d’affecter significativement nos vies, nos libertés et nos imaginaires. Investi d’un pouvoir de police du PAF, le CSA décide de ce que nous devons voir et entendre pour notre édification morale. À cette fin, il compte inlassablement, comme les Shadoks pompaient : les femmes, les handicapés, les transgenres, les Noirs, les gros, les Arabes, bref, tous les racisés et/ou discriminés, dont il conclut invariablement qu’ils ne sont pas assez nombreux sur nos écrans.

Le Défenseur des droits est tout aussi nuisible, et tout aussi acquis aux lubies minoritaires. C’est en réalité, le défenseur de la France McDo – venez comme vous êtes. Son dernier exploit est d’avoir soutenu, fin décembre, le port du burkini, sur saisine du CCIF, association dissoute le 2 décembre pour cause de séparatisme. En somme, un bras armé de l’État met en œuvre le programme d’une association déclarée hors-la-loi par ce même État. Ma main droite vote une loi pour défendre la République, ma main gauche encourage ses adversaires. Ce n’est plus du grand écart, mais de la schizophrénie.

Ce n’est pas tout. Transformées en machines de guerre, toujours au service de la même idéologie différentialiste et multiculti, des associations antiracistes et anti-discriminations en tout genre parviennent également à faire plier à leur profit l’ordre constitutionnel. Investies du droit d’aller en justice et ne se privant pas de l’exercer, elles font de tout contentieux individuel l’étendard de leur cause, érigeant par la jurisprudence des interdits et prescriptions qui dessinent une nouvelle prophylaxie sociale.

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Or, grâce à la loi de modernisation de la Justice votée en 2016, ces associations ont la faculté de lancer des actions collectives pour obliger le gouvernement à mettre en œuvre telle ou telle politique. En 2019, quatre organisations de défense de l’environnement ont assigné le gouvernement pour « inaction climatique ». Le 27 janvier, six ONG ont mis le gouvernement français en demeure de faire cesser dans les quatre mois « les contrôles d’identité discriminatoires, pratique stigmatisante, humiliante et dégradante pour toutes les personnes qui en sont victimes en France ». Faute de quoi elles saisiront un juge pour qu’il enjoigne l’État de procéder à des réformes. Elles réclament une modification du Code de procédure pénale, l’établissement d’un récépissé lors des contrôles et la création d’un mécanisme de plainte indépendant : rien de moins en somme, que la mainmise sur notre politique policière. On peut toujours rêver que le gouvernement les enverra sur les roses.

Il n’est pas anodin que les plaignantes soient de grandes boutiques internationales qui carburent au post-national et défendent le droit à tout des individus-rois contre les États, même démocratiques. Il y a notamment Amnesty International, qui pense que les droits de l’homme sont plus menacés en France qu’au Soudan, et la Fondation Soros, où l’on tient pour raciste notre interdiction du voile islamique à l’école. Or, les voilà qui prétendent exercer un droit de regard sur l’action de nos forces de l’ordre. De quoi je me mêle ? À ce compte-là, on préfère encore que la politique de la France se fasse à la corbeille.

P.-S. À compter de ce mois, l’avant-dernière page du journal sera la galerie du photographe Antoine Schneck qui publiera dans chaque numéro le portrait d’un intellectuel. Qu’il soit le bienvenu. Bien avant que l’actualité ne nous impose une « une » sur l’affaire Finkielkraut, nous avions décidé d’inaugurer cette série avec notre « maître à penser par nous-mêmes » (formule de Cyril Bennasar).

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Le « Bondy Blog » et Edwy Plenel, une histoire d’amour jamais déçu

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Edwy Plenel se considère comme un mythe vivant © BALTEL/SIPA Numéro de reportage : 00872954_000036

Le Bondy Blog fête ses «15 ans de reportages dans les quartiers» en sortant un livre intitulé Jusqu’à quand? (Éditions Fayard). Edwy Plenel en a écrit la préface et y fait l’éloge d’un journalisme qui lui ressemble: idéologique, militant et opportuniste.


Pour mémoire, le Bondy Blog a été créé en 2005, pendant les émeutes dans les banlieues. Ce média en ligne aurait pu légitimement représenter un jeune journalisme donnant la parole aux habitants des dites banlieues mais, rapidement, le site se transforme en machine à dénoncer le supposé racisme d’État, l’islamophobie, les discriminations des musulmans, et à relativiser ou nier la délinquance, le sexisme et l’antisémitisme qui minent certains quartiers. Le militantisme va remplacer le journalisme, et la détestation de la France s’accommoder à la sauce de l’antiracisme de carnaval et du fantasme islamophobe. Mais pouvait-il en aller autrement pour un site « indépendant » subventionné en partie par l’Open Society Foundation de George Soros ?

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Le site qui a révélé Mehdi Meklat

En 2017, l’affaire Mehdi Meklat, alias Marcelin Deschamps, révéla d’une certaine manière la duplicité du média associatif en même temps que la complaisance de certains milieux médiatiques et politiques à son endroit. Christiane Taubira, qui adulait le « kid » du Bondy Blog, sombra dans « une consternation aussi profonde qu’un cratère atomique » quand elle découvrit sa face cachée. Sur France Inter, Sonia Devillers, d’habitude si prompte à tordre le bras des “méchants”, minimisa : « Cette affaire mérite-t-elle autant de battage médiatique ? Non. » Mais « des voix extrêmes n’attendaient que ça pour cracher à la fois sur la banlieue et sur les médias ». De son côté, Mediapart affinait les réflexions de la journaliste : « Une coalition numérique allant de la fachosphère au Printemps Républicain est à la manœuvre pour, en attaquant le fils prodige du Bondy Blog, détruire tout ce qu’il est censé incarner. »

Mehdi Meklat sur le plateau de Quotidien, 20 novembre 2018 / Capture d'écran TMC
Mehdi Meklat sur le plateau de Quotidien, 20 novembre 2018 / Capture d’écran TMC

Pour sa préface de Jusqu’à quand ? le fondateur de Mediapart fait montre d’un lyrisme en toc qui n’est pas sans rappeler certains élans taubiraniens. Ça se voudrait hugolien ; c’est seulement démagogique, c’est-à-dire plenelien. Résumé et extraits : en 2005, Edwy Plenel avait « honte de [sa] profession. » Il assistait « à cette défaite : des médias qui, pour la plupart, gobaient les mensonges du pouvoir » et qui « accompagnaient la diabolisation des quartiers populaires. » Heureusement, « le surgissement du Bondy Blog a sauvé l’honneur du métier. »

Détruire pour reconstruire?

Élans de pacotille et analogies plus que douteuses s’empilent : les émeutes de 2005 ont été « un appel à construire », une « envie d’être enfin admis au banquet républicain », l’équivalent « des révoltes de 1830, 1848 et 1871. » Les propriétaires des voitures incendiées, les pompiers caillassés, les policiers accueillis avec des mortiers et les habitants des cités cadenassées par les délinquants et/ou les islamistes apprécieront la description idyllique d’Edwy Plenel. Bien entendu, ce dernier évoque la guerre d’Algérie. Thèses postcolonialistes en bandoulière, il dénonce « l’inconscient colonial de nos dirigeants ». Avec la componction conforme à sa formation trotsko-casuistique, il souligne la « rigueur informative (du Bondy Blog) qui parfois en remontra à d’autres médias, aveuglés par leurs préjugés. » Enivré par sa prose, il conclut : « L’aventure du Bondy Blog […] n’a pas seulement sauvé l’honneur du journalisme, mais aussi honoré la France, telle qu’elle est, telle qu’elle vit, telle qu’elle s’invente. » Hic ! Le moins que l’on puisse dire c’est qu’Edwy Plenel ne met pas l’honneur du journalisme français bien haut.

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Plenel n’évoque la France que quand il peut la salir

Quant à la France, il ne la nomme que dès qu’il s’agit de la salir. Il suffit de se souvenir de ses propos tenus quelques jours seulement après les assassinats des membres de Charlie-Hebdo à la tribune d’un débat co-animé avec son ami et allié Tariq Ramadan pour comprendre que l’objectif de Plenel, à savoir détruire coûte que coûte la société française, s’accommode très bien des alliances les plus douteuses et les plus dangereuses. Toute honte bue, Edwy Plenel était présent au “défilé contre l’islamophobie” en novembre 2019 aux côtés du CCIF et de Marwan Muhammad faisant scander des Allahou Akbar à quelques mètres du Bataclan. Sur le Club de Médiapart, les blogs qui soutiennent Tariq Ramadan, disent des policiers qui ont abattu l’assassin de Samuel Paty qu’ils sont des « barbares », dénoncent “l’islamophobie d’État”, ou assument un antisémitisme à peine masqué, ne lui font pas peur. Au contraire. Montrez à M. Plenel un moyen d’avilir ce pays ou certains de ses habitants, et soyez assuré de le voir dans la minute s’atteler aux tâches les plus basses et accepter en son sein médiatique les propos les plus douteux. Mme L., professeur de droit, peut en témoigner, elle qui, après avoir tenu des propos certes scabreux sur les religions, a reçu récemment de très sérieuses menaces de mort suite à la divulgation de son nom par… Mediapart.

Edwy Plenel se mire dans le Bondy Blog comme dans un miroir : il reconnaît la hargne idéologique et revancharde et la détestation de la France qui alimentent les articles des élèves comme du maître. Le Bondy Blog n’est jamais qu’un petit Médiapart des cités adepte des procédés du maître, ce que ce dernier reconnaît avec toute l’humilité dont il est capable. Ce journaliste pense de lui-même qu’il est un « mythe »[tooltips content= »Selon des propos rapportés par Philippe Cohen et Pierre Péan dans La face cachée du Monde, Mille et une nuits, 2003″](1)[/tooltips] pour toute une génération de journalistes, et regarde ceux du Bondy Blog comme les dignes héritiers du journalisme qu’il affectionne: « froid, distant et tranchant comme le serait une lame aiguisée. »[tooltips content= »Chroniques marranes, Stock, 2007″](2)[/tooltips] Finalement, l’ancien admirateur de l’organisation terroriste qui assassina les athlètes israéliens en 1972 sera resté fidèle à ses premières amours trotskystes. Et son désir de détruire la société française reste intact.