La tectonique des mots: suprémacisme, alt-right, internationale blanche…
Le terme « white supremacy », dont l’usage remonterait à au moins 1824, désigne une forme de domination politique et sociale que les Blancs s’arrogeraient le droit d’imposer, si nécessaire par la violence, aux autres groupes ethniques. Dans les discours médiatique et intellectuel, l’épithète « suprémaciste » désigne des courants hétérogènes, du racisme anti-Noir des États américains du Sud, dont l’expression historique la plus infâme est le Klu Klux Klan, fondé au milieu des années 1860, à l’héritage fasciste et nazi dont se réclament différents groupuscules nationalistes et identitaires tant en Europe qu’outre-Atlantique.
Le vocabulaire progressiste a élargi et banalisé le champ d’application de « suprémaciste ». Le mot désigne désormais un racisme « systémique » qui serait pratiqué implicitement par tous les Blancs à l’égard de toutes les personnes « de couleur ». Cette dilution du terme vient des campus américains où, à partir des années 1980, on a vu se développer la critical race theory, ou « théorie critique de la race », qui prétend que tous les Blancs jouissent d’un statut privilégié, qui serait profondément inscrit dans les structures sociales, économiques et légales des nations modernes. Selon cet usage, un Klansman, un néonazi, Donald Trump et même un ouvrier blanc de gauche seraient tous des suprémacistes blancs.
L’alt-right adopte une forme d’identity politics (« politique identitaire »), calquée précisément sur celle des minorités ethniques et sexuelles…
À partir de 2008, un nouveau terme s’invite dans ce paysage sémantique déjà assez confus, « alt-right », dont la paternité est parfois attribuée à l’intellectuel américain Paul Gottfried. Mais le mot est surtout lancé par le militant d’extrême droite Richard B. Spencer, créateur du webzine Alternative Right, en 2010[tooltips content= »Paul Gottfried, « Don’t call me the “godfather” of those altright neo-nazis. I’m jewish », National Post, 17 avril2018 ; George Hawley, Making Sense of the Alt-Right, Columbia University Press, 2017″](1)[/tooltips]. L’alt-right désigne une nébuleuse de mouvements très variés qui partagent un même rejet du conservatisme de la droite traditionnelle. Largement constitués de militants jeunes, branchés sur les médias sociaux, adeptes de provocations en ligne voire de cyberharcèlement, ces mouvements pratiquent un radicalisme décomplexé qui se pose en ennemi absolu de tous les courants progressistes, du néoféminisme à la théorie du genre et, bien entendu, la critical race theory.
L’alt-right adopte une forme d’identity politics (« politique identitaire »), calquée précisément sur celle des minorités ethniques et sexuelles, pour défendre les valeurs et les besoins d’une « race blanche ». Elle déboule sur la scène médiatique en 2016, lors de la campagne présidentielle américaine, surtout grâce aux reportages de Breitbart News, dont Steve Bannon a été le président exécutif. Très pro-Trump, ces militants appartenant à des courants très disparates sont reniés par le Donald juste après son élection ; en août 2017, celui-ci se sépare également de Steve Bannon, qui avait été son conseiller à la Maison-Blanche.
Dans son nouveau livre documenté et référencé, Suprémacistes :l’enquête mondiale chez les gourous de la droite identitaire (Plon, 2020), l’universitaire Philippe-Joseph Salazar, philosophe et spécialiste de rhétorique politique, a interviewé un large éventail de ces penseurs américains ou européens que les médias présentent comme des « suprémacistes blancs » et qui, surtout, sont typiques de l’alt-right. Allant à leur rencontre chez eux, à Washington, Vienne ou Copenhague, il montre que, contrairement à ce qu’on pourrait supposer, beaucoup d’entre eux ne se réclament pas d’une prétendue supériorité de la race blanche qu’il faudrait imposer aux autres ethnies, mais d’une spécificité blanche qu’il serait vital de préserver. Ils sont en faveur d’un séparatisme entre les races, plutôt que de la suprématie de l’une d’entre elles par rapport aux autres. Refusant la voie du terrorisme, ils se distinguent des anciens nationalismes européens, confinés chacun dans les limites de son territoire national, repliés chacun sur une identité ethnique particulière. Ils aspirent à une identité extraterritoriale, regroupant tous les Blancs où qu’ils vivent, dans une véritable « internationale blanche ».
[1]. Paul Gottfried, « Don’t call me the “godfather” of those altright neo-nazis. I’m jewish », National Post, 17 avril2018 ; George Hawley, Making Sense of the Alt-Right, Columbia University Press, 2017.
Dimanche, le Parisien a publié une « une » proprement dégueulasse et je pèse mes mots
En gros titre, on pouvait lire: « Inceste. Duhamel, l’homme cloîtré ». En photo, on voit le politologue, enfin on suppose que c’est lui car il est masqué et coiffé d’une casquette. La légende nous apprend qu’il s’agit d’ « Olivier Duhamel sortant son chien rue de Bièvre à Paris, où il est domicilié. »
L’information, c’est que Duhamel possède un chien (qu’on ne voit pas mais on croit le Parisien sur parole) et que ce chien a des besoins naturels.
L’article est à l’avenant: Duhamel vit reclus. En marchant, il jette parfois un coup d’œil à droite, à gauche, derrière lui. Hier, une dame est venue chercher le chien pour le ramener à 17 heures. Avant il mangeait dans tel restau italien. Bref, une avalanche de scoops! En somme, les deux limiers du Parisien espionnent le politologue déchu et ils s’en vantent. Ils harcèlent les voisins, laissant entendre que Duhamel bénéficie d’une omerta, comme si la délation était un devoir (et qu’auraient-ils à dénoncer) ? C’est du grand journalisme d’investigation. Dans les poubelles.
Appétit de guillotine
Ce n’est pas seulement dénué de tout intérêt. Cette « une » est un véritable appel au lynchage. Sachant que la rue de Bièvre fait 150 mètres de long, autant placarder des affiches barrées de la mention Wanted ou la photo de Duhamel surmontée d’une cible. Que veulent-ils, qu’on lui crache dessus dans la rue comme c’est arrivé à Cahuzac ? Qu’un croisé de l’enfance maltraitée fasse justice lui-même ?
On sent entre les lignes un appétit de guillotine, une excitation à la vue du sang. Les deux scribouillards glosent sur ce quartier peuplé de figures de la mitterrandie – sans doute y a-t-il derrière ces façades bourgeoises un complot de satanistes pédophiles. Voir un puissant à terre, quoi de plus excitant ?
On me dira que le Parisien n’est pas le seul à pratiquer ce journalisme de caniveau. Mais à ce point de cynisme, c’est rare. Certes, Paris Match était allé traquer Matzneff dans son hôtel italien, ce qui n’était vraiment pas glorieux. Au moins n’avaient-ils pas donné le nom de la ville où s’était réfugié l’écrivain.
Avec Duhamel, tout est permis
L’excellent Jean-Baptiste Roques, rédacteur en chef de Front Populaire, me souffle que, depuis l’enlèvement du petit-fils Peugeot en 1960, dont les ravisseurs avaient découvert l’adresse dans les journaux, il existe dans les médias une sorte de gentleman’s agreement : on ne divulgue pas les adresses. D’ailleurs, quand des internautes malveillants diffusent celle d’une journaliste, toute la profession hurle. Et on suppose que Bernard Arnault, propriétaire du Parisien, n’apprécierait guerre qu’on dévoile la sienne. Mais avec Duhamel, tout est permis. Il n’a plus de vie privée, plus de droits, même pas celui de sortir de chez lui. On a plus de compassion pour un assassin. Alors, un coup de chapeau à l’avocat Jean Veil grâce à qui l’article contient quatre lignes d’humanité : « Je n’excuse pas Olivier. Ce qu’il a fait est grave et condamnable. Mais il reste mon ami ». Un peu d’honneur ne nuit pas.
Suivant les traces de Jean Clair, Benjamin Olivennes rappelle, à rebours des avant-gardes institutionnelles, qu’un autre art contemporain est possible. Continuateurs de Bonnard, Balthus, Lucian Freud, Hopper, beaucoup d’artistes n’ont pas renoncé à la figuration ni renié les maîtres anciens. Ils sont boudés par le circuit officiel des marchands internationaux et des collections publiques.
Causeur. Pourquoi écrire, aujourd’hui, une autre histoire de l’art ?
Benjamin Olivennes. En suivant ma curiosité personnelle et mon goût pour la peinture, j’ai lu, fréquenté les galeries et les musées, et découvert des tendances artistiques négligées par la « grande histoire » de l’art moderne et contemporain. J’ai écrit le livre que j’aurais souhaité pouvoir lire au début de mes explorations, une sorte de guide vers un autre XXe siècle et même un autre XXIe siècle.
Doit-on aussi y voir une réaction à ce qu’on nous assène à travers un discours politique, artistique ou journalistique ?
Je ne me satisfaisais pas de l’art contemporain officiel qui nous est proposé par les grandes institutions publiques, dans les foires d’art internationales où l’on retrouve les mêmes noms et les mêmes tendances désespérantes.
Cet art officiel est le reflet de notre monde. Jeff Koons est aussi américain en Amérique que français en France…
L’univers de l’art contemporain est très globalisé. Les galeries, les artistes et leurs collectionneurs sont les mêmes à Art Basel, à New York ou à Londres – une production fade, aseptisée, facilement exportable. A contrario, les artistes véritables, ceux dont l’œuvre constitue un effort pour représenter le monde, expriment toujours quelque chose du lieu dont ils viennent. Ce sont les collines toscanes qu’on voit au fond des tableaux de Léonard de Vinci.
Pourquoi les artistes « véritables » seraient-ils ceux qui représentent leur paysage (natal) ? N’est-ce pas réducteur que d’attendre, aujourd’hui, des « collines toscanes » sous le pinceau d’un peintre italien ?
Les artistes représentent le monde, mais le monde, c’est toujours un peu vaste. Vous remarquerez que très souvent ils en viennent donc à représenter un coin du monde : l’Upper East Side pour Woody Allen, le Bordelais pour Mauriac… Même quand Rembrandt peint des scènes bibliques, il représente en réalité ses modèles du quartier juif d’Amsterdam.
À vous entendre, le seul art véritable ne peut être que figuratif. N’est-ce pas une vision un peu datée ?
Au contraire c’est l’idée qu’un art pourrait ne pas être figuratif, c’est-à-dire ne rien rappeler du monde extérieur, qui est datée. Même un tableau abstrait évoque quelque chose du réel : les réalités primordiales et supérieures que Kandinsky voulait représenter, la ligne d’horizon chez Rothko, des oiseaux chez Hantaï …On n’échappe pas à la mimesis.
Qui sont les artistes qui composent cette autre histoire de l’art contemporain ?
On nous a appris que l’art prend au xxe siècle le chemin des avant-gardes, qui l’entraîne inexorablement vers l’abstraction, puis le conceptuel. C’est une histoire qui existe mais, tout au long du siècle, on trouve des artistes importants qui ne vont pas dans le sens de la dernière avant-garde. Et ces artistes se reconnaissent entre eux, se regardent et se vivent comme les passeurs d’une longue tradition. Si je devais nommer les étapes les plus importantes de cette autre histoire, je citerais Bonnard et Vuillard en France, Hopper aux États-Unis, Morandi en Italie, puis après-guerre Balthus et Giacometti, mais aussi des Anglais comme Bacon ou Lucian Freud.
Vous ne pouvez pas dire que ce sont des inconnus, boudés par la critique !
Ils se sont progressivement imposés, contre les critiques, auprès du public cultivé, mais on les voit encore comme des individualités isolées. Pourtant ils forment une histoire continue, un enchaînement cohérent. Je raconte cette histoire et je tente de montrer qu’elle s’est poursuivie, en France, avec des artistes qui, à partir des années 1960, sont, eux, bien moins connus. Je pense à Sam Szafran, qui est un peintre majeur, célébré dans un petit milieu de connaisseurs, mais qui mériterait une reconnaissance bien plus grande. Seulement il a eu le tort de vivre dans un pays, la France, qui n’était plus en mesure d’accepter sa peinture.
On se rappelle sa rétrospective annulée à Beaubourg…
En 2000, alors qu’il était encore vivant, sa rétrospective prévue au centre Pompidou a été annulée à la faveur d’un changement de direction. Cela n’arrive jamais. L’époque se flatte d’accepter toutes les productions artistiques et de ne plus faire l’erreur qui a été faite à l’époque de Van Gogh ; or on a ici affaire à un cas réel de mécompréhension ou de censure.
Vous êtes très sensible à la transmission, à la filiation, bref à la continuité qui traverse toute l’histoire de l’art. On a toujours copié et respecté les maîtres anciens.
Et notamment dans les périodes les plus créatives de l’histoire de l’art. La Renaissance, ce fut la redécouverte de l’art de l’Antiquité et la volonté de l’imiter. À partir de cette époque, la formation du peintre est fondée sur la copie et l’admiration des maîtres. Tous les grands novateurs se sont vécus comme des héritiers et se sont nourris de l’art du passé. Ils comprenaient le lien évident entre la connaissance de l’histoire et l’originalité de la création. Goya a fait des copies gravées de tableaux de Vélasquez. Picasso comme Matisse puisaient leur art dans celui du passé. Manet a copié Chardin, Matisse aussi, Lucian Freud aussi – et non pas pendant ses années de formation, mais encore à 80 ans ! Je doute que les grandes stars de l’art contemporain, qui détournent La Joconde, par exemple, soient aujourd’hui capables de la refaire, ce à quoi s’efforce le copiste, ce à quoi s’efforçaient les Degas et Cézanne qui allaient tous les jours copier au Louvre.
Quel intérêt de le faire encore aujourd’hui ? Pourquoi un artiste devrait-il avoir la maîtrise d’un Degas pour être un artiste ?
Pourquoi Miles Davis se passe-t-il les Suites pour violoncelle de Bach quand il travaille sur On the Corner ? Pourquoi McCartney écoute-t-il les Concertos brandebourgeois en composant Penny Lane ? Qu’on soit peintre, footballeur, chef cuisinier ou journaliste, il ne me semble pas inutile d’étudier les plus belles réussites de sa discipline, pour peu qu’on soit un peu ambitieux et qu’on veuille égaler lesdites réussites.
Il est courant d’entendre qu’on ne peut plus peindre comme avant, après les horreurs du xxe siècle. Vous, vous dites précisément le contraire. Pourquoi ?
Il est normal et compréhensible que le XXe siècle, dans son horreur, ait marqué tous les bons esprits, et que ceux-ci se soient dit que rien ne pourrait être comme avant. Le cas paroxystique est la très célèbre phrase d’Adorno sur l’impossibilité de la poésie après Auschwitz. La guerre de 14-18, les camps nazis, Hiroshima, la décolonisation, le goulag ont mis fin à la confiance en soi-même que pouvait avoir l’Occident. Et de plus, les grandes avant-gardes ont également contribué à l’idée d’une cassure définitive. L’humanisme traditionnel et avec lui la mimêsis ou les idées de vérité ou de beauté sont sortis ébranlés de ce siècle, et on peut le comprendre.
Mais je crois qu’au contraire ces notions doivent être maintenues, elles sont la réponse que nous pouvons opposer à cette crise générale du sens. Il nous faut maintenir notre confiance, presque désespérée, dans ce que l’Europe a été depuis au moins cinq siècles.
Ainsi la Shoah me semble avoir plus à voir avec un monde abstrait et déshumanisé, et donc appeler davantage la figuration du visage humain comme réponse, envers et contre tout, que l’inverse. L’œuvre de Sam Szafran, rescapé de la rafle du Vél’ d’Hiv en est un bel exemple. On peut dire la même chose d’Avigdor Arikha, qui fut aussi déporté, et de Lucian Freud qui, comme son grand-père Sigmund, échappa à l’extermination parce qu’il était en Angleterre. Ces grands artistes figuratifs avaient conscience, dans leur chair, de ce qu’avait été le XXe siècle, et la réponse qu’ils y ont donnée ne fut pas l’abstraction et l’avant-garde.
Est-ce à dire qu’il faut rejeter les avant-gardes en bloc ? C’est un peu sommaire…
Les rejeter, peut-être pas, mais ne pas leur laisser occuper tout l’espace du xxe siècle, sûrement. C’est même un service qu’on rend aux avant-gardes à venir. Aujourd’hui, Damien Hirst rend hommage à Bonnard, mais jusqu’à une période très récente, Bonnard était vu comme un impressionniste égaré à l’ère du cubisme et de l’abstraction, et un peintre bourgeois.
Malgré la globalisation de la production artistique et de son marché, vous vous entêtez à croire en l’existence d’un art français.
Tout à fait. À cause des nombreuses circulations qui ont eu lieu au XXe siècle, il est tentant de croire à l’idée d’un art d’avant-garde et international ; et donc de croire que ce qui est national est provincial et arriéré. C’est très mal connaître l’histoire de la peinture. Plus on l’étudie, plus on peut y voir les échos entre artistes d’un même pays, et ce, à travers le temps. Un historien d’art qui tombe sur un tableau anonyme dans une brocante peut, à l’œil nu, deviner sa nationalité. Le XXe siècle n’a pas aboli ces traditions nationales et celles-ci sont un repère pour les artistes eux-mêmes (ce qui n’empêche pas bien sûr les influences étrangères). De Chirico, le peintre qui a le plus marqué Apollinaire et André Breton, se voyait comme un peintre italien, un peintre des villes italiennes, de Turin et de Ferrare – comme l’avait bien compris Antonioni.
En France, nous avons du mal avec l’idée d’écoles nationales. Il faut dire que notre tradition, c’est précisément l’universalisme et l’esprit d’abstraction, c’est-à-dire le refus des traditions ! Il faut se décentrer un peu pour comprendre que l’universalisme français… est très français. Nous ne le voyons pas nécessairement, mais dans le musée mondial, l’école française existe, elle se voit, comme la peinture suisse ou la peinture danoise. Et si les grands peintres du monde entier sont venus à Paris, c’est par amour pour cette peinture française. C’était vrai pour Van Gogh, pour Picasso, mais aussi plus récemment pour un Arikha.
Et comment définiriez-vous cet art français ?
En citant les peintres collectionnés par Picasso ! Sa collection (que l’on peut admirer aujourd’hui au dernier étage de son musée, à Paris) est un exemple de ce que l’on considérait, à son époque, comme le parangon de l’art français : les impressionnistes, Cézanne, mais aussi Courbet, Corot, Chardin, Le Nain et on peut imaginer qu’il ne lui aurait pas déplu d’avoir Poussin ou Fouquet. Pour les peintres et les connaisseurs des années 1900-1920, ces artistes représentaient l’épine dorsale de la peinture française, et ils avaient raison de le penser. Malgré les variations au fil du temps et les particularités individuelles, on peut reconnaître en eux des constantes : la peinture de paysages, de modèles ou d’objets du quotidien, humbles, ordinaires. Une pudeur et une sérénité, une absence de spectaculaire, qui sont dans le même temps organisées par l’architecture, la mathématique, le formalisme. L’ici-bas devenu géométrie. Poussin incarne tout cela, il est le fondateur de l’école française. Si l’on regarde de près son Diogène jetant son écuelle (au Louvre), ses sous-bois et ses rivières sont déjà des Courbet ou des Corot. Et on aperçoit la Sainte-Victoire au bas de son Saint Paul.
Vous avez 30 ans, vous enseignez à Columbia (New York), y est-il facile de s’opposer aux modes artistiques ?
J’exprime mes goûts et mon sentiment d’injustice. Il y a une tradition de peinture immense qui n’est pas assez connue en France. J’exprime aussi une inquiétude : beaucoup de gens de ma génération ne se reconnaissent pas dans l’art contemporain, et on les comprend. Dès lors, ils se détournent de l’art tout court. Car il n’y a pas de meilleur moyen pour rencontrer l’art du passé que de fréquenter l’art du présent, d’aller et venir entre les deux. C’est parce qu’on lit Houellebecq qui évoque Huysmans qu’on va lire Huysmans… Ce lien entre le grand art du passé et celui, inconnu, du présent, est en train d’être coupé. C’est cela qui m’inquiète.
On peut aussi lire Huysmans sans avoir lu Houellebecq ! Pas besoin de passer par la création contemporaine pour connaître l’art ancien…
Si vous le dites. Mais c’est une attitude d’antiquaire. C’est se résoudre à l’idée que notre époque n’a plus rien à produire.
Jean Clair est, à plusieurs reprises, cité dans votre livre. Doit-on y voir une filiation ?
Je ne suis pas conservateur de musée ou historien d’art, mais il m’a beaucoup influencé. Je l’ai découvert en commençant mon exploration du monde de la peinture et j’ai lu à peu près tout ce que je pouvais de lui. Les grandes expositions qu’il a dirigées (« Mélancolie », « Identité et Altérité ») représentent, osons le mot, un apport décisif à l’humanité. Jean Clair a beaucoup fait pour qu’on connaisse certains grands peintres négligés du XXe siècle. Je rappelle par exemple qu’il a été l’un des premiers à montrer Klimt et Schiele en France ! Mais il restait des choses à dire, et j’ai suivi sa voie.
Benjamin Olivennes, L’Autre Art contemporain : vrais artistes et fausses valeurs, Grasset, 2021.
Eric Zemmour sur Cnews et Laure Adler sur France inter évoluent dans deux univers parallèles
Selon l’IFOP, 22% des 18-30 ans disent ne pas se reconnaître en tant qu’homme ou femme.
Après s’être réjouie de ce que les théories de Judith Butler s’enseignent désormais dans les universités du monde entier, quoique pas encore assez en France, Adler demande au youtubeur de livrer son analyse sur le sondage qui empêche Zemmour de dormir…
Le 13 janvier sur CNews, Éric Zemmour met en garde contre ce phénomène susceptible de saper les bases de la société. À la manœuvre, selon lui, les militants féministes et homosexuels en guerre contre les stéréotypes et le patriarcat, des médias complices avides d’histoires croustillantes et le marché, lequel a intérêt à voir se développer des sociétés déstructurées. L’intellectuel préféré de la droite s’enflamme : « Dans les pays et civilisations étrangères, beaucoup de gens sont contents et nous regardent avec un mélange de mépris et de pitié. Ils se disent que l’Occident c’est terminé et qu’on va pouvoir le liquider ! » Devant les yeux écarquillés de la journaliste Christine Kelly, il propose de supprimer les départements d’études de genre de nos universités.
Laure Adler ne semble pas avoir entendu son appel. À 20 heures le même jour sur France Inter, elle devise avec l’universitaire Ivan Jablonka et le youtubeur Dany Caligula. Ici, on applaudit à la déconstruction des sexes redoutée par Zemmour. Les trois compères observent avec enthousiasme que notre époque invite chacun à « se réinventer ». Présentant son dernier récit autobiographique, Jablonka s’attaque à l’étude de sa « garçonnité du point de vue de la socio-histoire ». Enfant, il était un « garçon-fille socialisé dans le masculin ». Hypersensible, il pouvait à la fois jouer au foot et être ému par Candy dans Récré A2. Après s’être réjouie de ce que les théories de Judith Butler s’enseignent désormais dans les universités du monde entier, quoique pas encore assez en France, Adler demande au youtubeur de livrer son analyse sur le sondage qui empêche Zemmour de dormir. Pour Caligula, 22 % est une sous-estimation. Et d’ajouter que les hommes ont « le droit à la féminité. C’est ce qui pousse plein de gens à remettre en question des millénaires de binarité. » Il voit l’avenir en rose : « Si on est tous ensemble, on va être plus forts, avoir une dialectique plus forte, et on va tout simplement faire naître une humanité plus forte. »
À partir des années 1930, sous l’impulsion d’Andreï Jdanov, secrétaire général dans les rangs des bolcheviks, compagnon de route et très proche collaborateur de Staline, l’art et la culture doivent jouer un rôle essentiel dans l’éducation idéologique des masses. Les intellectuels, les artistes, les journalistes ne doivent nullement s’éloigner de leur fonction d’« ingénieurs des âmes », tout écart étant puni comme il se doit : la censure de l’auteur, l’interdiction d’écrire et de créer, le bannissement, l’arrestation, le goulag ou même la condamnation à mort. Il n’y qu’une Vérité – socialiste – et qu’une culture, la culture officielle dictée par le Parti et qui exprime le « réalisme socialiste », sous le contrôle des censeurs, des apparatchiks propagandistes et autres sbires à la solde de Jdanov. À la fin de la guerre, le jdanovisme a profondément imprégné la campagne anti-occidentale que l’URSS et les autres pays communistes ont menée pendant toute la période de la guerre froide, bien après la mort de Jdanov en 1948.
Antiracisme, théorie du genre: une seule vérité?
Bien sûr, on ne peut établir de comparaison avec qui se passe actuellement dans certains pays d’Occident, notamment en Amérique. Cependant, certains signes font sursauter. Par exemple, lorsque le nouveau président américain, Joe Biden, suggère, à l’occasion de son discours d’investiture, qu’il existe une seule « vérité », il faut comprendre le « progressisme », et que ceux qui sont contre sont aussi les ennemis de l’Amérique, le message a de forts relents d’idéologie. Il s’appuie sur une très grande partie de l’Amérique politique, culturelle, universitaire et des médias qui ont nettement pris le virage de la pensée correcte. Statues déboulonnées, noms de rues changées, intellectuels et professeurs mis au pilori, les actions de « nettoyage » de la culture sont de plus en plus nombreuses et n’ont pas beaucoup à envier au jdanovisme des années 1930 qui honnissait et censurait tout ce qui était considéré comme appartenant à la « culture bourgeoise ».
D’ailleurs, les premiers décrets de Joe Biden témoignent bien de sa politique « progressiste » avec par exemple l’annulation de la Commission 1776 mise en place par Trump. Cette commission venait de rappeler les principes fondateurs de la nation et de la Révolution américaine, en réaction aux délires révisionnistes du Projet 1619 du New York Times pour lequel cette Révolution n’avait eu d’autre but que de préserver l’esclavage. Dans la même veine, il a signé un décret dans lequel, au nom de la lutte contre les discriminations, il nie les différences entre les genres et préconise que les enfants soient éclairés contre les « stéréotypes sexuels ». Dans le domaine du sport, entre autres, il n’y aura plus de différences ou séparation hommes/femmes. Biden réintroduit la discrimination positive des années Obama, source de nombreuses tensions et inégalités dans le secteur de l’éducation et sur le marché du travail. Lorsqu’il a dévoilé la composition de son cabinet, Joe Biden a insisté sur la « diversité » de ses membres. Il n’a pas été question de compétences mais de différences ethniques.
Awomen
Parallèlement, à la Chambre des représentants, la présidente Nancy Pelosi a fait voter de nouvelles directives en matière de langue. Des mots tels que « lui-même » et « elle-même » doivent être remplacés par un seul : « eux-mêmes ». Rayés, les mots « père », « mère », « fils », « fille », « frère », « sœur », « oncle », « tante » et d’autres termes familiaux : seuls sont admis, et admissibles, « parent », « enfant » et « sibling » (pas de traduction exacte en français). Mme Pelosi a aussi créé un nouveau « comité restreint sur les disparités économiques et l’équité dans la croissance », dont le vrai rôle est de justifier des impôts plus élevés et un État plus interventionniste. La séance à la Chambre s’est terminée par un « Amen » suivi de … « Awomen ». De quoi y perdre littéralement son hébreu…
Parmi les mesures qui rappellent les purges soviétiques figurent celles prises par plusieurs universités américaines. Harvard refuse les étudiants asiatiques et privilégie les afro-américains. L’Université de Chicago introduit des cours obligatoires de « culture noire ». Même les écoles s’y mettent. À San Francisco, pas moins de 44 écoles ont changé de nom. Fin janvier, le San Francisco Unified School District (SFUSD) a décidé ce chambardement pour obéir à des critères « progressistes et antiracistes ». Virés des frontispices, Abraham Lincoln, George Washington, Thomas Jefferson, Daniel Webster, Paul Revere… Leur tort ? Ils n’ont pas combattu l’esclavage (les censeurs ont visiblement oublié que Lincoln a bien mené la guerre qui a mis fin à l’esclavage) et leur engagement politique n’aurait pas été suffisamment « progressiste ». Parmi les victimes de la purge figure aussi Diane Feinstein, qui est encore en vie, ancienne sénatrice et maire de San Francisco. Elle avait commis le crime, lorsqu’elle était encore en fonction, de remettre en place le drapeau des Confédérés vandalisé dans un musée. Mieux encore, on a décrété que les admissions sur concours dans ces écoles de San Francisco étaient ni plus ni moins… racistes. La minorité noire n’étant pas suffisamment représentée, le concours a été supprimé. L’admission se fait désormais selon des critères raciaux. Le réalisme socialiste éliminait, lui aussi, ceux qui n’avaient pas des origines « saines », c’est-à-dire ouvrières ou paysannes…
Vandalisme progressiste
Les noms de rues et même d’universités sont remplacés par d’autres noms qui ne « portent pas atteinte à la dignité des minorités ». Thomas Jefferson, Benjamin Franklin et Christophe Colomb (dont la statue a été abattue même dans la ville de… Columbus-Ohio) sont les victimes du vandalisme progressiste et deviennent des parias au pays de la pureté idéologique et raciale.
Au moins aussi grave, certains médias apportent leur contribution à la diffusion de cette politique, quand ils ne l’encouragent pas. Des éditorialistes sont obligés de démissionner pour avoir écrit et publié des articles qui ne correspondent pas aux doctrines à la mode. Comme James Bennet, chef de la rubrique Opinion du New York Times, parce qu’il a publié une tribune d’un sénateur républicain et conservateur. Un éditorialiste célèbre du Philadephia Inquirer, Stan Wischnowski, a été lui aussi contraint à la démission parce qu’il avait choisi un titre jugé offensant à l’égard des militants Black Lives Matter qui vandalisent des immeubles : « Buildings Matter, too » (« Les Immeubles comptent aussi… »). Le journal a d’ailleurs fait son mea culpa pour l’avoir publié. On comprend aisément par qui. Une autre éditorialiste du New York Times, Bari Weiss, est partie à cause de la pression que lui faisaient subir ses collègues et de la censure de gauche qui l’empêchait de faire correctement son travail. Elle n’était pas assez « progressiste ».
Le célèbre The New York Times vient de proposer à l’administration Biden de mettre sur pied une « agence » ou un « groupe de travail centralisé » pour lutter, en collaboration avec les grands réseaux sociaux, contre la « désinformation » et « l’extrémisme », c’est-à-dire contre tout ce qui n’est pas conforme à la propagande officielle. Avec à sa tête un « reality czar », il s’agirait de contrôler l’information et les idées « subversives », de décider de ce qui est correct et de ce qui ne l’est pas. Reste à trouver cet apparatchik capable d’imposer le réalisme progressiste. Il doit bien y avoir quelque part parmi les grandes consciences de la juste cause, un apparatchik capable d’être aussi efficace que le sinistre Jdanov.
Peut-être avez-vous oublié Jeremy Bentham (1748-1832), l’un des très grands théoriciens de l’utilitarisme et du libéralisme. En 1791, il édite le système du Panoptique, une prison pensée pour que chaque détenu soit sous le regard de gardiens invisibles, perpétuellement présents, sans savoir s’il est ou non observé. À partir d’une tour centrale, le regard plonge sur toutes les cellules. Quelques prisons ont été réalisées selon ce principe, à Autun en France, à Kilmainham en Irlande, et particulièrement le Presidio Modelo à Cuba. George Orwell s’est inspiré de cette théorie en imaginant ce qu’une technique moderne d’écrans et de caméras permettrait à un régime fascisant. Efficacité maximale pour un coût bien moindre que celui des prisons classiques. Michel Foucault, qui pourtant ne connaissait pas les technologies les plus récentes (il est mort en 1984) y voyait « le rêve paranoïaque de notre société, la vérité paranoïaque de notre société ».
La liberté c’est l’esclavage
Nous y sommes. Un coup d’Etat s’est déroulé sous nos yeux sans que nous y prêtions attention. Pire: il a très largement notre approbation. La Boétie expliquait déjà au XVIe siècle (oui, ça vaut le coup, de lire !) que toute servitude bien pensée devient volontaire. Et que l’esclave, mis en condition, appellera sa servitude « liberté » — tout comme Orwell énonce les grands principes de Big Brother, entre autres « La liberté, c’est l’esclavage ».
Ce coup d’État s’est déroulé non sous la cravache d’un général ivre de puissance, mais sous la houlette des technologies de l’information.
Un remarquable article tout récent de Shoshana Zuboff, professeur émérite à Harvard et auteur de The Age of Surveillance Capitalism (2018) explique en détail dans le New York Times le processus de cet asservissement auquel est soumise une population mondiale enthousiaste. Elle dit que cela fait 42 ans qu’elle observe l’émergence du règne digital en tant que force active de la civilisation de l’information — son grand âge lui permet un recul que nos démocraties modernes, obnubilées par l’instant et oublieuses de l’Histoire (qui n’est plus enseignée) prennent rarement.
Trump censuré
Les métaphores usuelles ont un sens. Le « Web », c’est une toile — comme celle de l’araignée, pour capter les papillons. Le « Net », c’est un réseau — un filet, en français cynégétique, celui avec lequel on attrape les petits oiseaux. Les uns et les autres se croient encore libres jusqu’au moment où ils sont dévorés.
C’est ce que l’auteur appelle le capitalisme de surveillance. « Reposant sur la force de leurs capacités de contrôle et pour la sauvegarde des profits engendrés par ce même contrôle, les nouveaux empires ont bâti un coup d’Etat épistémologique anti-démocratique caractérisé par une concentration sans précédent du savoir intime de chacun de nous et le pouvoir incommensurable issu d’un tel savoir ».
Ce savoir se définit par trois questions : Qui sait ? Qui décide qui sait ? Qui décide qui décide qui sait ? Le capitalisme moderne détient les réponses à ces trois questions. C’est l’essence de son coup d’Etat.
À parler de l’éventualité d’un coup d’Etat mené par Donald Trump, on a occulté le coup d’Etat réel, qui a consisté à gommer le président des Etats-Unis, interdit de communication par Facebook et Twitter. Au mépris du Ier amendement — au nom duquel l’ex-président vient d’être exempté de toute responsabilité par le Sénat.
Ce coup d’Etat est passé par quatre phases distinctes.
Premier temps : appropriation des vies individuelles comme ressources d’information. Puis, second temps, montée des inégalités selon ce que vous représentez en termes de potentialités économiques. Les algorithmes, à ce stade, définissent l’intérêt que l’on vous portera. L’information sur l’âge, par exemple, permet de vous inclure dans un segment précis et de vous adresser des publicités juteuses — du Viagra pour tous aux douches aménagées en passant par les ascenseurs greffés à vos escaliers. La troisième étape — nous en sommes là — est celle du chaos produit par des structures de désinformation — la présente épidémie est un exemple frappant. Le quatrième temps sera l’institutionnalisation de la domination des acteurs majeurs — les GAFAM et ce qui orbite autour de ces compagnies majeures —, voués à terme à remplacer les structures démocratiques. Personne n’a élu Jeff Bezos (Amazon), Bill Gates (Microsoft), Larry Page et Sergey Brin (Google), Tim Cook (Apple) ou Mark Zuckerberg (Facebook). Mais ils ont le pouvoir effectif, et leur poids financier, outre le financement direct d’hommes politiques, leur permet de contrôler n’importe quel gouvernement — voire de le faire élire, afin de conserver une façade derrière laquelle les vrais maîtres s’en donnent à cœur joie. Nous militons éventuellement pour le renforcement des contrôles aux frontières, sans réaliser que pour les géants du Net, il n’y a pas de cyber-frontière, et que le marché global définit ses propres critères de pénétration et de rejet.
De ce point de vue, l’islamisme hostile aux Etats démocratiques est parfaitement compatible avec le cyber-marché. Après tout, les fanatiques aussi sont des consommateurs.
L’exception anti-terroriste est devenue la règle
Nous pouvons opter pour une société démocratique, ou pour une société de surveillance, mais pas pour les deux. Le grand combat a commencé : ce sera l’affaire de cette décade qui commence.
Dans l’appropriation de la démocratie par les grandes sociétés, tout est utilisé. Le 11 septembre impliqua une surveillance générale aisément acceptée. Les agences d’espionnage durent se rallier à des entreprises privées pour espionner partout dans le monde, bien au delà des contraintes constitutionnelles ou légales. L’exception anti-terroriste est devenue la règle. Que les responsables américains accusent Huawei de stocker des informations sur les citoyens américains est une plaisanterie, quand on sait que la CIA en fait autant au niveau mondial depuis deux décennies au moins.
La beauté de la métaphore « Web » tient au schéma neuronique de la Toile. Se connecter, c’est connecter d’autres « amis », c’est étendre l’empire du Bien (on suppose que le Mal, lui, cherche à se dissimuler). Comme aux premiers temps du capitalisme, il y a collusion entre l’impératif économique et l’impératif moral.
D’où le puritanisme (on sait les liens de l’éthique protestante et de l’esprit du capitalisme, pour reprendre le titre du plus important ouvrage de Max Weber) de ces géants du contrôle. Un algorithme est sans humour ni nuance. Les seins de la Liberté guidant le peuple sont proscrits par Facebook. C’est amusant, et anecdotique. Mais des milliers de mots sont sous surveillance : notre liberté d’expression s’arrête là où l’ont décidé les marchands qui nous gouvernent, et qui décident de qui mettre en place, à l’échelon gouvernemental, pour ne pas heurter le business.
Ces sociétés sont en train de nous démantibuler
Voilà déjà longtemps que nous avons appris à nous arrêter aux feux rouges, sans que la présence d’un agent soit nécessaire. Un système informatisé régit notre conduite. Il en est de même au niveau de l’information : des robots décident désormais de ce qu’il nous est loisible de dire ou de croire. Toute critique des traitements anti-Covid recommandés par les grandes compagnies saute automatiquement. Nous pouvons bien nous gausser des Chinois qui n’oseraient plus une opinion négative sur Xi Jinping. Contester Pfizer ou dire du Bien de Didier Raoult nous fait basculer automatiquement dans l’empire du Mal. Se promener sur les sites de QAnon — même pour information — nous signale à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), nous apprend le Figaro. En revanche, vous pouvez impunément fréquenter le site de l’« influenceuse » Léna Situations, qui fait la promotion de la marque Zara — et acheter son livre. C’est sans danger.
Seule une insurrection démocratique (mais voilà : on est parvenu à faire croire que l’insurrection est par essence anti-démocratique) peut renverser le cours des événements. Il faut démanteler les Gafam, parce que ces compagnies sont en train de nous démantibuler. Le capitalisme à l’ancienne avait brisé certains des trusts qui s’étaient constitués dans la foulée de la révolution industrielle. C’est ainsi que la Standard Oil fut éparpillée façon puzzle en 1911, ou AT&T en 1982. Mais c’est fini. Les procédures lancées contre IBM ou Microsoft furent abandonnées. Apple est aujourd’hui poursuivi pour entente illicite avec d’autres éditeurs numériques — qui ont accepté de payer une amende préventive pour éviter justement des sanctions plus lourdes. Une goutte d’eau dans leurs bénéfices.
Les gouvernements sont impuissants parce qu’ils ont été mis en place par ces structures supra-nationales. C’est aux peuples de reprendre le pouvoir — mais s’il préfère surfer sur Facebook ou s’indigner sur Twitter…
Le 4 février, le tribunal d’Anvers en Belgique a rendu son verdict à l’encontre des quatre auteurs de l’attentat déjoué le 30 juin 2018 à Villepinte. Assadollah Assadi, le diplomate-terroriste a été condamné à 20 ans de réclusion pour tentative d’attentat terroriste avec l’intention de tuer et activités au sein d’une entité terroriste. Le procès fait monter la tension entre la Belgique, la France et l’Allemagne d’un côté, et l’Iran de l’autre.
30 juin 2018, à Anvers la police belge procède à l’arrestation de Nassimeh Naami et Amir Saadouni, un couple belgo-iranien. Dans leur voiture, les policiers découvrent 500 grammes de TATP (un explosif relativement facile à fabriquer et à dissimuler) et un plan précis des lieux où se tient le jour même la rencontre internationale annuelle pour un Iran libre et démocratique à Villepinte, en banlieue parisienne.
La conférence est organisée par le CNRI (Conseil national de la Résistance iranienne), un organisme composé des opposants de la première heure au régime théocratique d’Iran. Elle accueille plus de 25 000 participants et des personnalités politiques et médiatiques du monde entier. Maryam Radjavi, présidente du mouvement, est plus particulièrement visée par ce projet d’attentat.
L’immunité diplomatique autrichienne n’est pas valable en Allemagne…
Au même moment, sur une route de Bavière, la police allemande interpelle Assadollah Assadi, diplomate iranien en poste à l’ambassade de Vienne, fortement soupçonné de participer au complot. Dans son véhicule, les autorités allemandes découvrent un carnet avec les codes de communication de l’opération, l’instruction de la mise en application de la bombe ainsi que les noms de nombreux agents iraniens en Europe. Assadi et ses supérieurs pensaient pouvoir profiter sans scrupule de l’immunité diplomatique. Las, celle-ci n’était valable que sur le territoire autrichien, pas en Allemagne, où il a été interpellé. Une précision qui a son importance.
Des mois d’enquête suivant les arrestations ont permis aux autorités belges et allemandes de démontrer l’existence d’un réseau de cellules dormantes sur tout le territoire européen, dont Assadi avait la charge pour le compte du Vevak, ministère des Renseignements et de la Sécurité nationale et principale agence de renseignement iraniens. Il a été notamment prouvé que les agents impliqués dans ce projet terroriste avaient perçu au moins 450 000€ et qu’ils avaient multiplié les voyages à Téhéran. Il a également été établi qu’Assadollah Assadi s’est servi de son passeport diplomatique pour faire venir les 500 grammes de TATP depuis l’Iran, et ensuite les transmettre à Nassimeh Naami et Amir Saadouni. De surcroît, l’enquête a conclu qu’Assadi et ses agents ont eu le feu vert des plus hauts organes décisionnels du pays. Les procureurs belges n’ont pas hésité à parler de terrorisme d’État.
Le cynisme et la mauvaise foi du pouvoir iranien
Depuis l’arrestation d’Assadollah Assadi, le ministre des Affaires étrangères iranien Djavad Zarif n’a cessé de manipuler l’opinion. Il a évoqué un coup monté et invoqué systématiquement l’argument de l’immunité diplomatique de son diplomate, niant la légalité de son arrestation et de son procès. Comble du cynisme, la diplomatie iranienne est allé jusqu’à dénoncer les conditions d’emprisonnement inhumaines d’Assadi. Quand on connaît le chef du pouvoir judiciaire du régime, Ebrahim Raïssi, et le ministre de la Justice, Alireza Avayi, deux hommes qui ont un rôle prépondérant dans le massacre de prisonniers politiques en 1988, sans oublier la mascarade que les mollahs appellent « justice », on a envie de rire de cette mauvaise foi ahurissante.
Toujours est-il que le régime n’a pas supporté l’idée que ses agissements soient dévoilés alors même que les mollahs jouissent d’une quasi-impunité, offerte par les atermoiements et la faiblesse diplomatique de l’Union Européenne à leur égard sur fond de tensions avec l’administration Trump autour des accords sur le nucléaire. Depuis, le régime iranien fait ce qu’il sait faire de mieux depuis 1979 : le chantage. Un comité spécial regroupant différents services à Téhéran a directement menacé la Belgique de représailles si elle condamnait Assadollah Assadi. Récemment, Ahmad Reza Djalali, médecin irano-suédois et professeur de l’Université libre flamande de Bruxelles, arrêté en 2016 au cours d’une mission à Téhéran, a été jugé pour espionnage au profit d’Israël et condamné à mort. Après presque quatre années passées à l’isolement, étrangement, sa condamnation a été annoncée au début du procès d’Assadi en Belgique. Le message était clair. Ce n’est pas le seul envoyé par les mollahs. À l’automne 2020, c’est l’architecte germano-iranienne à la retraite Nahid Taghavi, qui a été placée au secret à la prison d’Evin, dans des conditions de détention d’un autre âge. Un message adressé à l’Allemagne responsable de l’arrestation du diplomate Assadi. En 2019, Rouhollah Zam, réfugié en France depuis 2012, se fait piéger en Irak par les Gardiens de la révolution. Après avoir été contraint à des aveux télévisés, il a été reconnu coupable de « délits contre la sécurité du pays », « espionnage » au profit de la France, insulte au « caractère sacré de l’islam » et pendu le 12 décembre 2020. En matière de négociations par la peur, le régime d’Iran sait y faire. Reste à savoir si l’Union Européenne va enfin réagir avec fermeté ou si elle va encore se soumettre aux chantages des mollahs.
Des policiers ont été violemment pris à partie ce samedi 13 février à Poissy, dans les Yvelines. Des dizaines d’individus ont lancé projectiles et mortier d’artifice, selon BFMTV.
À Poissy, dans le quartier Beauregard, une trentaine de voyous ont agressé des policiers qui intervenaient légitimement avec des tirs de mortiers en criant : tuez-les !
« Tuez-les, Tuez-les! »
Un guet-apens tendu à des #policiers.
Comme solution, la @Defenseurdroits promeut la création de zones sans contrôles d’identité, c’est à dire de « non droit ».
Mme @clairehedon, ces habitants ne sont pas des sous-citoyens.
Ils ont le droit à la sécurité! pic.twitter.com/4H22LVYjIB
C’est à Poissy, c’est en France et nous sommes en République. On ne pourra pas dire, pour se consoler, que le maire a de l’humanisme écologique à revendre et que sa faiblesse serait responsable de la chienlit. C’est le contraire. Le maire de Poissy, Karl Olive, n’est pas naïf sur le plan de l’ordre et de la sécurité et il tente de faire tout ce qu’il peut dans le cadre municipal actuel pour favoriser dans sa ville la tranquillité publique. Pourtant c’est dans sa commune que la police a ainsi été attaquée.
Les voyous ne réagissaient même pas à une action des forces de l’ordre, ils les attendaient et en quelque sorte d’initiative, sans l’ombre d’une crainte, ils s’en sont pris à elles en hurlant leurs menaces de mort. Qui s’indigne véritablement face à ces séquences odieuses qui font douter de notre démocratie, de sa vigueur, de son courage ?
Sans vouloir abuser de la dérision, il est alors surréaliste de voir Gérald Darmanin et Marlène Schiappa s’intéresser ostensiblement au sort d’une victime agressée dans la rue avec son bébé et qui n’a pas pu déposer plainte. Il est rétrospectivement amer d’avoir entendu le ministre de l’Intérieur traiter avec une forme de condescendance la présidente du RN qui sonnait un tocsin factuellement pas si absurde, ne lui en déplaise ainsi qu’à son prédécesseur Christophe Castaner ou au garde des Sceaux.
Parce que le scandale de cette agression collective s’est déroulée à Poissy, en France, et que pourtant, apparemment, nous avons un gouvernement. Certes ce dernier ne peut pas tout faire mais d’abord il pourrait faire plus en apportant d’emblée un soutien systématique à la police victime de ces violences qui n’éprouvent même plus le besoin de se dissimuler.
L’arrogance des agresseurs, avec la certitude guère démentie de leur impunité, est révélatrice d’un climat où l’Etat ne fait plus peur, où l’autorité et l’omnipotence en l’occurrence dévoyées sont passées de l’autre côté de la société. La police est à la fois abandonnée et stigmatisée parce qu’elle se serait abstenue, aurait réagi trop tard, ou en manquant d’urbanité face à des voyous. Ces derniers sont d’autant plus sûrs de leur fait abject qu’ils sont protégés par leur masse qui rend quasiment impossible la démonstration de toute responsabilité individuelle. Et par cette certitude navrante que la police est trop souvent impuissante puisque, face aux menaces, aux jets divers et aux atteintes physiques, elle n’a pratiquement pas le droit d’user de ce que la loi l’autorise à mettre en œuvre. Cette configuration d’échec est d’autant plus préoccupante qu’elle crée un grave déséquilibre, sur le plan judiciaire, entre ceux qui sont sans cesse exonérés, les pires, et les quelques policiers soupçonnés de violences illégitimes qui font l’objet – et c’est heureux – d’enquêtes, d’informations et parfois de renvois devant une juridiction.
Si on examine dans le détail les cinq situations qui permettent, depuis la loi du 28 février 2017 commune à la police et à la gendarmerie, l’usage des armes à feu, on constate d’abord qu’elles ne sont pas très éloignées de la notion ancienne de légitime défense mais que surtout elles sont très rarement concrétisées dans la pratique.
On pourrait s’en féliciter si des polémiques ne naissaient pas pourtant à chaque fois que légitimement la police les applique et que surtout cette dernière n’était pas littéralement tétanisée, à cause d’une choquante suspicion préventive politique, sociale et médiatique, par l’obligation d’user de ses armes ; et donc de ne jamais oser se défendre ou défendre autrui malgré la permission de la loi.
Les voyous sont tout-puissants avec l’illimité de leur haine violente et la police se limite parce qu’elle sait qu’une présomption de culpabilité pèserait sur elle malgré le fait justificatif prévu par la loi de 2017.
Pourtant ce qui a été perpétré est à Poissy, en France et paraît-il dans un Etat de droit. Mais il est vrai que sa conception et sa définition en font la propriété exclusive des transgresseurs – le comble : la Défenseur des droits veut des zones sans contrôle policier ! – et ne sauraient supporter le réarmement de notre pays face au pire qui quotidiennement sévit. Si j’avais approuvé le principe initial du Beauvau de la sécurité, ce n’était pas pour qu’il s’enlise dans des débats vains. Le réel, le vrai, l’éprouvant, la terrifiante et effective hostilité à l’encontre de la police n’ont pas été invités.
Pendant les tables rondes, il y a eu Poissy, en France, en République.
Le Ministre de l’Intérieur a réagit à l’évènement devant les journalistes
Policiers attaqués à Poissy: pour Gérald Darmanin, »agresser un policier, c’est agresser la République » pic.twitter.com/EY7Hxbhixr
À Toulouse avenue de Fronton, la villa de l’octogénaire Roland n’a pu être débarrassée de ses squatteurs jeudi 11 février que grâce à la mobilisation de citoyens. L’impuissance de l’autorité publique est éclatante dans cette histoire, comme dans d’autres évènements récents. Aurélien Marq pousse un coup de gueule.
Toulouse, 2021. Roland, 88 ans. Il voudrait vendre sa maison pour rejoindre son épouse, Odile, placée dans un Ehpad. Mais la maison est squattée, et face aux squatteurs – ouvertement soutenus par l’extrême-gauche – la loi est complice, et l’État a fait le choix de l’impuissance.
Après cinq mois interminables, les squatteurs ont enfin fui sous la pression de volontaires se relayant devant les grilles de la petite propriété. Roland a pu retrouver sa maison : la détermination populaire a fait ce que n’a pas fait un état démissionnaire et lâche.
L’inquiétant Bassem Braïki
Mais regardons de plus près ce qui s’est passé. Il y a eu une authentique mobilisation citoyenne, des appels aux dons, des relais sur les réseaux sociaux, un admirable élan de solidarité. Des Français ont pris sur eux de palier l’incurie des pouvoirs publics, comme au début de la pandémie de Covid-19 (lorsque des gens cousaient eux-mêmes des masques et venaient les offrir aux soignants ou aux policiers pendant que le gouvernement affirmait que les masques ne servaient à rien). J’aimerais m’arrêter là, et célébrer un peuple se réappropriant enfin une parcelle de la souveraineté qui est la sienne, au nom d’une cause juste et par élan de sympathie pour un brave homme.
Mais hélas, il n’y a pas eu que ça. La mobilisation en faveur de Roland doit beaucoup à Bassem Braïki, influenceur (170 000 abonnés sur YouTube) communautariste, machiste, racialiste et complotiste, qui a appelé avec succès ses affidés à mettre la pression sur les squatteurs. Et il semblerait qu’en parallèle, les dealers du quartier aient fait comprendre aux squatteurs que l’attention médiatique et policière qu’ils attiraient devenait gênante pour le business.
Désespérant!
Rien d’étonnant.
Nous sommes dans un pays où une milice de suprémacistes raciaux peut interdire une pièce de théâtre et menacer la rédaction d’un journal sans que jamais l’Etat n’envisage de la dissoudre. Un pays où le même État, en revanche, s’empresse d’essayer de faire taire ceux qui appellent au respect de la loi et des frontières, mais bien sûr regarde ailleurs lorsque des associations apportent un soutien actif aux passeurs de migrants coupables de trafic d’êtres humains. Un pays où c’est un imam qui a dirigé les négociations de paix entre bandes armées à Dijon, pendant que les forces de l’ordre préféraient s’occuper à facturer 135€ la participation à tout rassemblement d’ampleur – enfin, sauf s’il s’agissait d’une manifestation hurlant la haine de la France, des Blancs ou des Juifs, ça, ça passe sans problème, et sous les applaudissements de médias de gauche.
Mais ne désespérons pas, braves gens ! Notre ministre de l’Intérieur a fièrement annoncé que 13 personnes avaient été interpellées suite aux menaces proférées contre Mila. Résultat peu reluisant au bout de presque un an, quand on sait que la jeune femme a comptabilisé plus de 30 000 menaces de viol et de mort. Allez, plus que 29 987 ! Si l’État poursuit son extraordinaire mobilisation et garde ce rythme, on en a pour… à peine 2 300 ans.
Vendredi, les 36e Victoires de la musique, retransmises par France 2 depuis la Scène Musicale, ont créé le malaise. Seul Benjamin Biolay a sauvé une soirée placée sous le signe du woke et du mauvais goût. Causeur a regardé la cérémonie pour vous.
De la même manière que l’Art s’est transmué en divertissement (le critère de rentabilité s’étant substitué à la mise en avant de toute singularité créative), et que l’idée d’un 21 Juin harmonieux a laissé place dans nos rues à la Fête du Bruit, les Victoires de la Musique nous ont offert, comme à leur habitude, un spectacle peu reluisant.
Mariage parfait entre militantisme woke et mauvais goût
Le prix de l’Artiste féminine de l’année pouvait-il échapper à Pomme, qui la veille de la cérémonie avait dénoncé dans une tribune sur Mediapart les « violences patriarcales », « harcèlements, agressions et viols » perpétrés par des « hommes cisgenre » ? Personne ne doutait non plus qu’Yseult remporterait celui de Révélation féminine. Quelques jours plus tôt, l’artiste se questionnait : « On doit quelque chose à la France, mais qu’est-ce qu’on doit en fait ? […] On ne voit pas ce que l’on nous a pris ou ce que l’on a pris à nos parents, c’est-à-dire la dignité, le respect et l’empathie ! »
À la traîne face aux Américains dans la transformation numérique du marché du disque, les producteurs français d’une industrie erratique et pas vraiment épargnée par les scandales sexuels choisissent, à l’instar du cinéma hexagonal, de surfer sur les crispations tout en flattant les minorités. Étrange, quand on lit qu’une femme sur trois dit avoir été victime de harcèlement sexuel au sein même des labels.
Nos artistes créent le malaise
Les artistes féministes, les fossoyeurs de la langue française et autres chantres du racialisme ne se contentant plus d’une vengeance sur nos tympans, nous avons également subi des attaques visuelles particulièrement éprouvantes, avec par exemple Aya Nakamura et son featuring en combinaison orange sur fond de lit géant. Il y eut aussi Yseult, ses « Soyons fiers » et « Notre colère est légitime », accompagnée de son ballet à la chorégraphie déstructurée mais savamment racisé – véritable ode à la diversité, dont le recrutement des danseurs ne respecta vraisemblablement pas le principe de mélange qu’il est censé défendre.
Camélia Jordana, qui a en sa possession le trousseau de clefs de tous les plateaux TV, compléta le tableau. L’intervention pimentée et le doigt d’honneur de Jean-Louis Aubert – certains internautes se sont demandé si le bar de La Seine Musicale n’avait pas obtenu une dérogation pour servir de l’alcool – auront permis d’apporter une certaine légèreté, ou, pour d’autres, un nouveau sentiment de malaise. À travers une prestation aboutie en comparaison de ses concurrents, le lauréat Benjamin Biolay aura le temps d’une chanson soufflé une poésie sobre, lancinante, et au final salvatrice sur le marasme cathodique.
L’industrie musicale, et ses représentants légitimes qui façonnent les Victoires, souffrent de bien des maux. Tout d’abord, une fâcheuse tendance à sélectionner les artistes en les alignant sur le discours ambiant et les revendications du moment. Or, si musique et politique font parfois bon ménage – on peut se référer aux deux « Bob » Dylan et Marley, à Bruce Springsteen, ou même encore Noir Désir –, c’est à condition que les revendications soient adossées à un talent certain. Des messages politiques forts et nécessaires ont été scandés depuis plus de cinquante ans, dénonçant les inégalités, le racisme ou la place des homosexuels ; mais ils étaient jusqu’ici portés par le génie musical, et jamais ne cédaient à la tentation victimaire.
Autres symptômes à déplorer : le mimétisme face aux Etats-Unis – la culture se faisant entertainment –, l’opportunisme où la recherche du buzz guide toute démarche artistique. Par ailleurs, le désir de diversité des majors du disque cause des dommages collatéraux, comme la quasi-disparition du rock dans la culture des jeunes, et la promotion de certains styles – en l’occurrence la musique urbaine – se fait inéluctablement au détriment d’autres courants. On peut déplorer ce choix en constatant, d’après l’étude du très sérieux Projet Voltaire portant sur les 15-25 ans, que les amateurs de rap ont d’importantes lacunes en orthographe, contrairement à ceux qui s’abreuvent d’indie, de rock ou de métal.
Alors peut-on encore parler de Victoires, en proposant un tel visage, et tandis que la musique s’est en quelque sorte tue ?
La tectonique des mots: suprémacisme, alt-right, internationale blanche…
Le terme « white supremacy », dont l’usage remonterait à au moins 1824, désigne une forme de domination politique et sociale que les Blancs s’arrogeraient le droit d’imposer, si nécessaire par la violence, aux autres groupes ethniques. Dans les discours médiatique et intellectuel, l’épithète « suprémaciste » désigne des courants hétérogènes, du racisme anti-Noir des États américains du Sud, dont l’expression historique la plus infâme est le Klu Klux Klan, fondé au milieu des années 1860, à l’héritage fasciste et nazi dont se réclament différents groupuscules nationalistes et identitaires tant en Europe qu’outre-Atlantique.
Le vocabulaire progressiste a élargi et banalisé le champ d’application de « suprémaciste ». Le mot désigne désormais un racisme « systémique » qui serait pratiqué implicitement par tous les Blancs à l’égard de toutes les personnes « de couleur ». Cette dilution du terme vient des campus américains où, à partir des années 1980, on a vu se développer la critical race theory, ou « théorie critique de la race », qui prétend que tous les Blancs jouissent d’un statut privilégié, qui serait profondément inscrit dans les structures sociales, économiques et légales des nations modernes. Selon cet usage, un Klansman, un néonazi, Donald Trump et même un ouvrier blanc de gauche seraient tous des suprémacistes blancs.
L’alt-right adopte une forme d’identity politics (« politique identitaire »), calquée précisément sur celle des minorités ethniques et sexuelles…
À partir de 2008, un nouveau terme s’invite dans ce paysage sémantique déjà assez confus, « alt-right », dont la paternité est parfois attribuée à l’intellectuel américain Paul Gottfried. Mais le mot est surtout lancé par le militant d’extrême droite Richard B. Spencer, créateur du webzine Alternative Right, en 2010[tooltips content= »Paul Gottfried, « Don’t call me the “godfather” of those altright neo-nazis. I’m jewish », National Post, 17 avril2018 ; George Hawley, Making Sense of the Alt-Right, Columbia University Press, 2017″](1)[/tooltips]. L’alt-right désigne une nébuleuse de mouvements très variés qui partagent un même rejet du conservatisme de la droite traditionnelle. Largement constitués de militants jeunes, branchés sur les médias sociaux, adeptes de provocations en ligne voire de cyberharcèlement, ces mouvements pratiquent un radicalisme décomplexé qui se pose en ennemi absolu de tous les courants progressistes, du néoféminisme à la théorie du genre et, bien entendu, la critical race theory.
L’alt-right adopte une forme d’identity politics (« politique identitaire »), calquée précisément sur celle des minorités ethniques et sexuelles, pour défendre les valeurs et les besoins d’une « race blanche ». Elle déboule sur la scène médiatique en 2016, lors de la campagne présidentielle américaine, surtout grâce aux reportages de Breitbart News, dont Steve Bannon a été le président exécutif. Très pro-Trump, ces militants appartenant à des courants très disparates sont reniés par le Donald juste après son élection ; en août 2017, celui-ci se sépare également de Steve Bannon, qui avait été son conseiller à la Maison-Blanche.
Dans son nouveau livre documenté et référencé, Suprémacistes :l’enquête mondiale chez les gourous de la droite identitaire (Plon, 2020), l’universitaire Philippe-Joseph Salazar, philosophe et spécialiste de rhétorique politique, a interviewé un large éventail de ces penseurs américains ou européens que les médias présentent comme des « suprémacistes blancs » et qui, surtout, sont typiques de l’alt-right. Allant à leur rencontre chez eux, à Washington, Vienne ou Copenhague, il montre que, contrairement à ce qu’on pourrait supposer, beaucoup d’entre eux ne se réclament pas d’une prétendue supériorité de la race blanche qu’il faudrait imposer aux autres ethnies, mais d’une spécificité blanche qu’il serait vital de préserver. Ils sont en faveur d’un séparatisme entre les races, plutôt que de la suprématie de l’une d’entre elles par rapport aux autres. Refusant la voie du terrorisme, ils se distinguent des anciens nationalismes européens, confinés chacun dans les limites de son territoire national, repliés chacun sur une identité ethnique particulière. Ils aspirent à une identité extraterritoriale, regroupant tous les Blancs où qu’ils vivent, dans une véritable « internationale blanche ».
[1]. Paul Gottfried, « Don’t call me the “godfather” of those altright neo-nazis. I’m jewish », National Post, 17 avril2018 ; George Hawley, Making Sense of the Alt-Right, Columbia University Press, 2017.
Dimanche, le Parisien a publié une « une » proprement dégueulasse et je pèse mes mots
En gros titre, on pouvait lire: « Inceste. Duhamel, l’homme cloîtré ». En photo, on voit le politologue, enfin on suppose que c’est lui car il est masqué et coiffé d’une casquette. La légende nous apprend qu’il s’agit d’ « Olivier Duhamel sortant son chien rue de Bièvre à Paris, où il est domicilié. »
L’information, c’est que Duhamel possède un chien (qu’on ne voit pas mais on croit le Parisien sur parole) et que ce chien a des besoins naturels.
L’article est à l’avenant: Duhamel vit reclus. En marchant, il jette parfois un coup d’œil à droite, à gauche, derrière lui. Hier, une dame est venue chercher le chien pour le ramener à 17 heures. Avant il mangeait dans tel restau italien. Bref, une avalanche de scoops! En somme, les deux limiers du Parisien espionnent le politologue déchu et ils s’en vantent. Ils harcèlent les voisins, laissant entendre que Duhamel bénéficie d’une omerta, comme si la délation était un devoir (et qu’auraient-ils à dénoncer) ? C’est du grand journalisme d’investigation. Dans les poubelles.
Appétit de guillotine
Ce n’est pas seulement dénué de tout intérêt. Cette « une » est un véritable appel au lynchage. Sachant que la rue de Bièvre fait 150 mètres de long, autant placarder des affiches barrées de la mention Wanted ou la photo de Duhamel surmontée d’une cible. Que veulent-ils, qu’on lui crache dessus dans la rue comme c’est arrivé à Cahuzac ? Qu’un croisé de l’enfance maltraitée fasse justice lui-même ?
On sent entre les lignes un appétit de guillotine, une excitation à la vue du sang. Les deux scribouillards glosent sur ce quartier peuplé de figures de la mitterrandie – sans doute y a-t-il derrière ces façades bourgeoises un complot de satanistes pédophiles. Voir un puissant à terre, quoi de plus excitant ?
On me dira que le Parisien n’est pas le seul à pratiquer ce journalisme de caniveau. Mais à ce point de cynisme, c’est rare. Certes, Paris Match était allé traquer Matzneff dans son hôtel italien, ce qui n’était vraiment pas glorieux. Au moins n’avaient-ils pas donné le nom de la ville où s’était réfugié l’écrivain.
Avec Duhamel, tout est permis
L’excellent Jean-Baptiste Roques, rédacteur en chef de Front Populaire, me souffle que, depuis l’enlèvement du petit-fils Peugeot en 1960, dont les ravisseurs avaient découvert l’adresse dans les journaux, il existe dans les médias une sorte de gentleman’s agreement : on ne divulgue pas les adresses. D’ailleurs, quand des internautes malveillants diffusent celle d’une journaliste, toute la profession hurle. Et on suppose que Bernard Arnault, propriétaire du Parisien, n’apprécierait guerre qu’on dévoile la sienne. Mais avec Duhamel, tout est permis. Il n’a plus de vie privée, plus de droits, même pas celui de sortir de chez lui. On a plus de compassion pour un assassin. Alors, un coup de chapeau à l’avocat Jean Veil grâce à qui l’article contient quatre lignes d’humanité : « Je n’excuse pas Olivier. Ce qu’il a fait est grave et condamnable. Mais il reste mon ami ». Un peu d’honneur ne nuit pas.
Benjamin Olivennes, publie "L’Autre Art contemporain: vrais artistes et fausses valeurs" (Grasset). Photo: Hannah Assouline.
Suivant les traces de Jean Clair, Benjamin Olivennes rappelle, à rebours des avant-gardes institutionnelles, qu’un autre art contemporain est possible. Continuateurs de Bonnard, Balthus, Lucian Freud, Hopper, beaucoup d’artistes n’ont pas renoncé à la figuration ni renié les maîtres anciens. Ils sont boudés par le circuit officiel des marchands internationaux et des collections publiques.
Causeur. Pourquoi écrire, aujourd’hui, une autre histoire de l’art ?
Benjamin Olivennes. En suivant ma curiosité personnelle et mon goût pour la peinture, j’ai lu, fréquenté les galeries et les musées, et découvert des tendances artistiques négligées par la « grande histoire » de l’art moderne et contemporain. J’ai écrit le livre que j’aurais souhaité pouvoir lire au début de mes explorations, une sorte de guide vers un autre XXe siècle et même un autre XXIe siècle.
Doit-on aussi y voir une réaction à ce qu’on nous assène à travers un discours politique, artistique ou journalistique ?
Je ne me satisfaisais pas de l’art contemporain officiel qui nous est proposé par les grandes institutions publiques, dans les foires d’art internationales où l’on retrouve les mêmes noms et les mêmes tendances désespérantes.
Cet art officiel est le reflet de notre monde. Jeff Koons est aussi américain en Amérique que français en France…
L’univers de l’art contemporain est très globalisé. Les galeries, les artistes et leurs collectionneurs sont les mêmes à Art Basel, à New York ou à Londres – une production fade, aseptisée, facilement exportable. A contrario, les artistes véritables, ceux dont l’œuvre constitue un effort pour représenter le monde, expriment toujours quelque chose du lieu dont ils viennent. Ce sont les collines toscanes qu’on voit au fond des tableaux de Léonard de Vinci.
Pourquoi les artistes « véritables » seraient-ils ceux qui représentent leur paysage (natal) ? N’est-ce pas réducteur que d’attendre, aujourd’hui, des « collines toscanes » sous le pinceau d’un peintre italien ?
Les artistes représentent le monde, mais le monde, c’est toujours un peu vaste. Vous remarquerez que très souvent ils en viennent donc à représenter un coin du monde : l’Upper East Side pour Woody Allen, le Bordelais pour Mauriac… Même quand Rembrandt peint des scènes bibliques, il représente en réalité ses modèles du quartier juif d’Amsterdam.
À vous entendre, le seul art véritable ne peut être que figuratif. N’est-ce pas une vision un peu datée ?
Au contraire c’est l’idée qu’un art pourrait ne pas être figuratif, c’est-à-dire ne rien rappeler du monde extérieur, qui est datée. Même un tableau abstrait évoque quelque chose du réel : les réalités primordiales et supérieures que Kandinsky voulait représenter, la ligne d’horizon chez Rothko, des oiseaux chez Hantaï …On n’échappe pas à la mimesis.
Qui sont les artistes qui composent cette autre histoire de l’art contemporain ?
On nous a appris que l’art prend au xxe siècle le chemin des avant-gardes, qui l’entraîne inexorablement vers l’abstraction, puis le conceptuel. C’est une histoire qui existe mais, tout au long du siècle, on trouve des artistes importants qui ne vont pas dans le sens de la dernière avant-garde. Et ces artistes se reconnaissent entre eux, se regardent et se vivent comme les passeurs d’une longue tradition. Si je devais nommer les étapes les plus importantes de cette autre histoire, je citerais Bonnard et Vuillard en France, Hopper aux États-Unis, Morandi en Italie, puis après-guerre Balthus et Giacometti, mais aussi des Anglais comme Bacon ou Lucian Freud.
Vous ne pouvez pas dire que ce sont des inconnus, boudés par la critique !
Ils se sont progressivement imposés, contre les critiques, auprès du public cultivé, mais on les voit encore comme des individualités isolées. Pourtant ils forment une histoire continue, un enchaînement cohérent. Je raconte cette histoire et je tente de montrer qu’elle s’est poursuivie, en France, avec des artistes qui, à partir des années 1960, sont, eux, bien moins connus. Je pense à Sam Szafran, qui est un peintre majeur, célébré dans un petit milieu de connaisseurs, mais qui mériterait une reconnaissance bien plus grande. Seulement il a eu le tort de vivre dans un pays, la France, qui n’était plus en mesure d’accepter sa peinture.
On se rappelle sa rétrospective annulée à Beaubourg…
En 2000, alors qu’il était encore vivant, sa rétrospective prévue au centre Pompidou a été annulée à la faveur d’un changement de direction. Cela n’arrive jamais. L’époque se flatte d’accepter toutes les productions artistiques et de ne plus faire l’erreur qui a été faite à l’époque de Van Gogh ; or on a ici affaire à un cas réel de mécompréhension ou de censure.
Vous êtes très sensible à la transmission, à la filiation, bref à la continuité qui traverse toute l’histoire de l’art. On a toujours copié et respecté les maîtres anciens.
Et notamment dans les périodes les plus créatives de l’histoire de l’art. La Renaissance, ce fut la redécouverte de l’art de l’Antiquité et la volonté de l’imiter. À partir de cette époque, la formation du peintre est fondée sur la copie et l’admiration des maîtres. Tous les grands novateurs se sont vécus comme des héritiers et se sont nourris de l’art du passé. Ils comprenaient le lien évident entre la connaissance de l’histoire et l’originalité de la création. Goya a fait des copies gravées de tableaux de Vélasquez. Picasso comme Matisse puisaient leur art dans celui du passé. Manet a copié Chardin, Matisse aussi, Lucian Freud aussi – et non pas pendant ses années de formation, mais encore à 80 ans ! Je doute que les grandes stars de l’art contemporain, qui détournent La Joconde, par exemple, soient aujourd’hui capables de la refaire, ce à quoi s’efforce le copiste, ce à quoi s’efforçaient les Degas et Cézanne qui allaient tous les jours copier au Louvre.
Quel intérêt de le faire encore aujourd’hui ? Pourquoi un artiste devrait-il avoir la maîtrise d’un Degas pour être un artiste ?
Pourquoi Miles Davis se passe-t-il les Suites pour violoncelle de Bach quand il travaille sur On the Corner ? Pourquoi McCartney écoute-t-il les Concertos brandebourgeois en composant Penny Lane ? Qu’on soit peintre, footballeur, chef cuisinier ou journaliste, il ne me semble pas inutile d’étudier les plus belles réussites de sa discipline, pour peu qu’on soit un peu ambitieux et qu’on veuille égaler lesdites réussites.
Il est courant d’entendre qu’on ne peut plus peindre comme avant, après les horreurs du xxe siècle. Vous, vous dites précisément le contraire. Pourquoi ?
Il est normal et compréhensible que le XXe siècle, dans son horreur, ait marqué tous les bons esprits, et que ceux-ci se soient dit que rien ne pourrait être comme avant. Le cas paroxystique est la très célèbre phrase d’Adorno sur l’impossibilité de la poésie après Auschwitz. La guerre de 14-18, les camps nazis, Hiroshima, la décolonisation, le goulag ont mis fin à la confiance en soi-même que pouvait avoir l’Occident. Et de plus, les grandes avant-gardes ont également contribué à l’idée d’une cassure définitive. L’humanisme traditionnel et avec lui la mimêsis ou les idées de vérité ou de beauté sont sortis ébranlés de ce siècle, et on peut le comprendre.
Mais je crois qu’au contraire ces notions doivent être maintenues, elles sont la réponse que nous pouvons opposer à cette crise générale du sens. Il nous faut maintenir notre confiance, presque désespérée, dans ce que l’Europe a été depuis au moins cinq siècles.
Ainsi la Shoah me semble avoir plus à voir avec un monde abstrait et déshumanisé, et donc appeler davantage la figuration du visage humain comme réponse, envers et contre tout, que l’inverse. L’œuvre de Sam Szafran, rescapé de la rafle du Vél’ d’Hiv en est un bel exemple. On peut dire la même chose d’Avigdor Arikha, qui fut aussi déporté, et de Lucian Freud qui, comme son grand-père Sigmund, échappa à l’extermination parce qu’il était en Angleterre. Ces grands artistes figuratifs avaient conscience, dans leur chair, de ce qu’avait été le XXe siècle, et la réponse qu’ils y ont donnée ne fut pas l’abstraction et l’avant-garde.
Est-ce à dire qu’il faut rejeter les avant-gardes en bloc ? C’est un peu sommaire…
Les rejeter, peut-être pas, mais ne pas leur laisser occuper tout l’espace du xxe siècle, sûrement. C’est même un service qu’on rend aux avant-gardes à venir. Aujourd’hui, Damien Hirst rend hommage à Bonnard, mais jusqu’à une période très récente, Bonnard était vu comme un impressionniste égaré à l’ère du cubisme et de l’abstraction, et un peintre bourgeois.
Malgré la globalisation de la production artistique et de son marché, vous vous entêtez à croire en l’existence d’un art français.
Tout à fait. À cause des nombreuses circulations qui ont eu lieu au XXe siècle, il est tentant de croire à l’idée d’un art d’avant-garde et international ; et donc de croire que ce qui est national est provincial et arriéré. C’est très mal connaître l’histoire de la peinture. Plus on l’étudie, plus on peut y voir les échos entre artistes d’un même pays, et ce, à travers le temps. Un historien d’art qui tombe sur un tableau anonyme dans une brocante peut, à l’œil nu, deviner sa nationalité. Le XXe siècle n’a pas aboli ces traditions nationales et celles-ci sont un repère pour les artistes eux-mêmes (ce qui n’empêche pas bien sûr les influences étrangères). De Chirico, le peintre qui a le plus marqué Apollinaire et André Breton, se voyait comme un peintre italien, un peintre des villes italiennes, de Turin et de Ferrare – comme l’avait bien compris Antonioni.
En France, nous avons du mal avec l’idée d’écoles nationales. Il faut dire que notre tradition, c’est précisément l’universalisme et l’esprit d’abstraction, c’est-à-dire le refus des traditions ! Il faut se décentrer un peu pour comprendre que l’universalisme français… est très français. Nous ne le voyons pas nécessairement, mais dans le musée mondial, l’école française existe, elle se voit, comme la peinture suisse ou la peinture danoise. Et si les grands peintres du monde entier sont venus à Paris, c’est par amour pour cette peinture française. C’était vrai pour Van Gogh, pour Picasso, mais aussi plus récemment pour un Arikha.
Et comment définiriez-vous cet art français ?
En citant les peintres collectionnés par Picasso ! Sa collection (que l’on peut admirer aujourd’hui au dernier étage de son musée, à Paris) est un exemple de ce que l’on considérait, à son époque, comme le parangon de l’art français : les impressionnistes, Cézanne, mais aussi Courbet, Corot, Chardin, Le Nain et on peut imaginer qu’il ne lui aurait pas déplu d’avoir Poussin ou Fouquet. Pour les peintres et les connaisseurs des années 1900-1920, ces artistes représentaient l’épine dorsale de la peinture française, et ils avaient raison de le penser. Malgré les variations au fil du temps et les particularités individuelles, on peut reconnaître en eux des constantes : la peinture de paysages, de modèles ou d’objets du quotidien, humbles, ordinaires. Une pudeur et une sérénité, une absence de spectaculaire, qui sont dans le même temps organisées par l’architecture, la mathématique, le formalisme. L’ici-bas devenu géométrie. Poussin incarne tout cela, il est le fondateur de l’école française. Si l’on regarde de près son Diogène jetant son écuelle (au Louvre), ses sous-bois et ses rivières sont déjà des Courbet ou des Corot. Et on aperçoit la Sainte-Victoire au bas de son Saint Paul.
Vous avez 30 ans, vous enseignez à Columbia (New York), y est-il facile de s’opposer aux modes artistiques ?
J’exprime mes goûts et mon sentiment d’injustice. Il y a une tradition de peinture immense qui n’est pas assez connue en France. J’exprime aussi une inquiétude : beaucoup de gens de ma génération ne se reconnaissent pas dans l’art contemporain, et on les comprend. Dès lors, ils se détournent de l’art tout court. Car il n’y a pas de meilleur moyen pour rencontrer l’art du passé que de fréquenter l’art du présent, d’aller et venir entre les deux. C’est parce qu’on lit Houellebecq qui évoque Huysmans qu’on va lire Huysmans… Ce lien entre le grand art du passé et celui, inconnu, du présent, est en train d’être coupé. C’est cela qui m’inquiète.
On peut aussi lire Huysmans sans avoir lu Houellebecq ! Pas besoin de passer par la création contemporaine pour connaître l’art ancien…
Si vous le dites. Mais c’est une attitude d’antiquaire. C’est se résoudre à l’idée que notre époque n’a plus rien à produire.
Jean Clair est, à plusieurs reprises, cité dans votre livre. Doit-on y voir une filiation ?
Je ne suis pas conservateur de musée ou historien d’art, mais il m’a beaucoup influencé. Je l’ai découvert en commençant mon exploration du monde de la peinture et j’ai lu à peu près tout ce que je pouvais de lui. Les grandes expositions qu’il a dirigées (« Mélancolie », « Identité et Altérité ») représentent, osons le mot, un apport décisif à l’humanité. Jean Clair a beaucoup fait pour qu’on connaisse certains grands peintres négligés du XXe siècle. Je rappelle par exemple qu’il a été l’un des premiers à montrer Klimt et Schiele en France ! Mais il restait des choses à dire, et j’ai suivi sa voie.
Benjamin Olivennes, L’Autre Art contemporain : vrais artistes et fausses valeurs, Grasset, 2021.
Eric Zemmour sur Cnews et Laure Adler sur France inter évoluent dans deux univers parallèles
Selon l’IFOP, 22% des 18-30 ans disent ne pas se reconnaître en tant qu’homme ou femme.
Après s’être réjouie de ce que les théories de Judith Butler s’enseignent désormais dans les universités du monde entier, quoique pas encore assez en France, Adler demande au youtubeur de livrer son analyse sur le sondage qui empêche Zemmour de dormir…
Le 13 janvier sur CNews, Éric Zemmour met en garde contre ce phénomène susceptible de saper les bases de la société. À la manœuvre, selon lui, les militants féministes et homosexuels en guerre contre les stéréotypes et le patriarcat, des médias complices avides d’histoires croustillantes et le marché, lequel a intérêt à voir se développer des sociétés déstructurées. L’intellectuel préféré de la droite s’enflamme : « Dans les pays et civilisations étrangères, beaucoup de gens sont contents et nous regardent avec un mélange de mépris et de pitié. Ils se disent que l’Occident c’est terminé et qu’on va pouvoir le liquider ! » Devant les yeux écarquillés de la journaliste Christine Kelly, il propose de supprimer les départements d’études de genre de nos universités.
Laure Adler ne semble pas avoir entendu son appel. À 20 heures le même jour sur France Inter, elle devise avec l’universitaire Ivan Jablonka et le youtubeur Dany Caligula. Ici, on applaudit à la déconstruction des sexes redoutée par Zemmour. Les trois compères observent avec enthousiasme que notre époque invite chacun à « se réinventer ». Présentant son dernier récit autobiographique, Jablonka s’attaque à l’étude de sa « garçonnité du point de vue de la socio-histoire ». Enfant, il était un « garçon-fille socialisé dans le masculin ». Hypersensible, il pouvait à la fois jouer au foot et être ému par Candy dans Récré A2. Après s’être réjouie de ce que les théories de Judith Butler s’enseignent désormais dans les universités du monde entier, quoique pas encore assez en France, Adler demande au youtubeur de livrer son analyse sur le sondage qui empêche Zemmour de dormir. Pour Caligula, 22 % est une sous-estimation. Et d’ajouter que les hommes ont « le droit à la féminité. C’est ce qui pousse plein de gens à remettre en question des millénaires de binarité. » Il voit l’avenir en rose : « Si on est tous ensemble, on va être plus forts, avoir une dialectique plus forte, et on va tout simplement faire naître une humanité plus forte. »
À partir des années 1930, sous l’impulsion d’Andreï Jdanov, secrétaire général dans les rangs des bolcheviks, compagnon de route et très proche collaborateur de Staline, l’art et la culture doivent jouer un rôle essentiel dans l’éducation idéologique des masses. Les intellectuels, les artistes, les journalistes ne doivent nullement s’éloigner de leur fonction d’« ingénieurs des âmes », tout écart étant puni comme il se doit : la censure de l’auteur, l’interdiction d’écrire et de créer, le bannissement, l’arrestation, le goulag ou même la condamnation à mort. Il n’y qu’une Vérité – socialiste – et qu’une culture, la culture officielle dictée par le Parti et qui exprime le « réalisme socialiste », sous le contrôle des censeurs, des apparatchiks propagandistes et autres sbires à la solde de Jdanov. À la fin de la guerre, le jdanovisme a profondément imprégné la campagne anti-occidentale que l’URSS et les autres pays communistes ont menée pendant toute la période de la guerre froide, bien après la mort de Jdanov en 1948.
Antiracisme, théorie du genre: une seule vérité?
Bien sûr, on ne peut établir de comparaison avec qui se passe actuellement dans certains pays d’Occident, notamment en Amérique. Cependant, certains signes font sursauter. Par exemple, lorsque le nouveau président américain, Joe Biden, suggère, à l’occasion de son discours d’investiture, qu’il existe une seule « vérité », il faut comprendre le « progressisme », et que ceux qui sont contre sont aussi les ennemis de l’Amérique, le message a de forts relents d’idéologie. Il s’appuie sur une très grande partie de l’Amérique politique, culturelle, universitaire et des médias qui ont nettement pris le virage de la pensée correcte. Statues déboulonnées, noms de rues changées, intellectuels et professeurs mis au pilori, les actions de « nettoyage » de la culture sont de plus en plus nombreuses et n’ont pas beaucoup à envier au jdanovisme des années 1930 qui honnissait et censurait tout ce qui était considéré comme appartenant à la « culture bourgeoise ».
D’ailleurs, les premiers décrets de Joe Biden témoignent bien de sa politique « progressiste » avec par exemple l’annulation de la Commission 1776 mise en place par Trump. Cette commission venait de rappeler les principes fondateurs de la nation et de la Révolution américaine, en réaction aux délires révisionnistes du Projet 1619 du New York Times pour lequel cette Révolution n’avait eu d’autre but que de préserver l’esclavage. Dans la même veine, il a signé un décret dans lequel, au nom de la lutte contre les discriminations, il nie les différences entre les genres et préconise que les enfants soient éclairés contre les « stéréotypes sexuels ». Dans le domaine du sport, entre autres, il n’y aura plus de différences ou séparation hommes/femmes. Biden réintroduit la discrimination positive des années Obama, source de nombreuses tensions et inégalités dans le secteur de l’éducation et sur le marché du travail. Lorsqu’il a dévoilé la composition de son cabinet, Joe Biden a insisté sur la « diversité » de ses membres. Il n’a pas été question de compétences mais de différences ethniques.
Awomen
Parallèlement, à la Chambre des représentants, la présidente Nancy Pelosi a fait voter de nouvelles directives en matière de langue. Des mots tels que « lui-même » et « elle-même » doivent être remplacés par un seul : « eux-mêmes ». Rayés, les mots « père », « mère », « fils », « fille », « frère », « sœur », « oncle », « tante » et d’autres termes familiaux : seuls sont admis, et admissibles, « parent », « enfant » et « sibling » (pas de traduction exacte en français). Mme Pelosi a aussi créé un nouveau « comité restreint sur les disparités économiques et l’équité dans la croissance », dont le vrai rôle est de justifier des impôts plus élevés et un État plus interventionniste. La séance à la Chambre s’est terminée par un « Amen » suivi de … « Awomen ». De quoi y perdre littéralement son hébreu…
Parmi les mesures qui rappellent les purges soviétiques figurent celles prises par plusieurs universités américaines. Harvard refuse les étudiants asiatiques et privilégie les afro-américains. L’Université de Chicago introduit des cours obligatoires de « culture noire ». Même les écoles s’y mettent. À San Francisco, pas moins de 44 écoles ont changé de nom. Fin janvier, le San Francisco Unified School District (SFUSD) a décidé ce chambardement pour obéir à des critères « progressistes et antiracistes ». Virés des frontispices, Abraham Lincoln, George Washington, Thomas Jefferson, Daniel Webster, Paul Revere… Leur tort ? Ils n’ont pas combattu l’esclavage (les censeurs ont visiblement oublié que Lincoln a bien mené la guerre qui a mis fin à l’esclavage) et leur engagement politique n’aurait pas été suffisamment « progressiste ». Parmi les victimes de la purge figure aussi Diane Feinstein, qui est encore en vie, ancienne sénatrice et maire de San Francisco. Elle avait commis le crime, lorsqu’elle était encore en fonction, de remettre en place le drapeau des Confédérés vandalisé dans un musée. Mieux encore, on a décrété que les admissions sur concours dans ces écoles de San Francisco étaient ni plus ni moins… racistes. La minorité noire n’étant pas suffisamment représentée, le concours a été supprimé. L’admission se fait désormais selon des critères raciaux. Le réalisme socialiste éliminait, lui aussi, ceux qui n’avaient pas des origines « saines », c’est-à-dire ouvrières ou paysannes…
Vandalisme progressiste
Les noms de rues et même d’universités sont remplacés par d’autres noms qui ne « portent pas atteinte à la dignité des minorités ». Thomas Jefferson, Benjamin Franklin et Christophe Colomb (dont la statue a été abattue même dans la ville de… Columbus-Ohio) sont les victimes du vandalisme progressiste et deviennent des parias au pays de la pureté idéologique et raciale.
Au moins aussi grave, certains médias apportent leur contribution à la diffusion de cette politique, quand ils ne l’encouragent pas. Des éditorialistes sont obligés de démissionner pour avoir écrit et publié des articles qui ne correspondent pas aux doctrines à la mode. Comme James Bennet, chef de la rubrique Opinion du New York Times, parce qu’il a publié une tribune d’un sénateur républicain et conservateur. Un éditorialiste célèbre du Philadephia Inquirer, Stan Wischnowski, a été lui aussi contraint à la démission parce qu’il avait choisi un titre jugé offensant à l’égard des militants Black Lives Matter qui vandalisent des immeubles : « Buildings Matter, too » (« Les Immeubles comptent aussi… »). Le journal a d’ailleurs fait son mea culpa pour l’avoir publié. On comprend aisément par qui. Une autre éditorialiste du New York Times, Bari Weiss, est partie à cause de la pression que lui faisaient subir ses collègues et de la censure de gauche qui l’empêchait de faire correctement son travail. Elle n’était pas assez « progressiste ».
Le célèbre The New York Times vient de proposer à l’administration Biden de mettre sur pied une « agence » ou un « groupe de travail centralisé » pour lutter, en collaboration avec les grands réseaux sociaux, contre la « désinformation » et « l’extrémisme », c’est-à-dire contre tout ce qui n’est pas conforme à la propagande officielle. Avec à sa tête un « reality czar », il s’agirait de contrôler l’information et les idées « subversives », de décider de ce qui est correct et de ce qui ne l’est pas. Reste à trouver cet apparatchik capable d’imposer le réalisme progressiste. Il doit bien y avoir quelque part parmi les grandes consciences de la juste cause, un apparatchik capable d’être aussi efficace que le sinistre Jdanov.
Peut-être avez-vous oublié Jeremy Bentham (1748-1832), l’un des très grands théoriciens de l’utilitarisme et du libéralisme. En 1791, il édite le système du Panoptique, une prison pensée pour que chaque détenu soit sous le regard de gardiens invisibles, perpétuellement présents, sans savoir s’il est ou non observé. À partir d’une tour centrale, le regard plonge sur toutes les cellules. Quelques prisons ont été réalisées selon ce principe, à Autun en France, à Kilmainham en Irlande, et particulièrement le Presidio Modelo à Cuba. George Orwell s’est inspiré de cette théorie en imaginant ce qu’une technique moderne d’écrans et de caméras permettrait à un régime fascisant. Efficacité maximale pour un coût bien moindre que celui des prisons classiques. Michel Foucault, qui pourtant ne connaissait pas les technologies les plus récentes (il est mort en 1984) y voyait « le rêve paranoïaque de notre société, la vérité paranoïaque de notre société ».
La liberté c’est l’esclavage
Nous y sommes. Un coup d’Etat s’est déroulé sous nos yeux sans que nous y prêtions attention. Pire: il a très largement notre approbation. La Boétie expliquait déjà au XVIe siècle (oui, ça vaut le coup, de lire !) que toute servitude bien pensée devient volontaire. Et que l’esclave, mis en condition, appellera sa servitude « liberté » — tout comme Orwell énonce les grands principes de Big Brother, entre autres « La liberté, c’est l’esclavage ».
Ce coup d’État s’est déroulé non sous la cravache d’un général ivre de puissance, mais sous la houlette des technologies de l’information.
Un remarquable article tout récent de Shoshana Zuboff, professeur émérite à Harvard et auteur de The Age of Surveillance Capitalism (2018) explique en détail dans le New York Times le processus de cet asservissement auquel est soumise une population mondiale enthousiaste. Elle dit que cela fait 42 ans qu’elle observe l’émergence du règne digital en tant que force active de la civilisation de l’information — son grand âge lui permet un recul que nos démocraties modernes, obnubilées par l’instant et oublieuses de l’Histoire (qui n’est plus enseignée) prennent rarement.
Trump censuré
Les métaphores usuelles ont un sens. Le « Web », c’est une toile — comme celle de l’araignée, pour capter les papillons. Le « Net », c’est un réseau — un filet, en français cynégétique, celui avec lequel on attrape les petits oiseaux. Les uns et les autres se croient encore libres jusqu’au moment où ils sont dévorés.
C’est ce que l’auteur appelle le capitalisme de surveillance. « Reposant sur la force de leurs capacités de contrôle et pour la sauvegarde des profits engendrés par ce même contrôle, les nouveaux empires ont bâti un coup d’Etat épistémologique anti-démocratique caractérisé par une concentration sans précédent du savoir intime de chacun de nous et le pouvoir incommensurable issu d’un tel savoir ».
Ce savoir se définit par trois questions : Qui sait ? Qui décide qui sait ? Qui décide qui décide qui sait ? Le capitalisme moderne détient les réponses à ces trois questions. C’est l’essence de son coup d’Etat.
À parler de l’éventualité d’un coup d’Etat mené par Donald Trump, on a occulté le coup d’Etat réel, qui a consisté à gommer le président des Etats-Unis, interdit de communication par Facebook et Twitter. Au mépris du Ier amendement — au nom duquel l’ex-président vient d’être exempté de toute responsabilité par le Sénat.
Ce coup d’Etat est passé par quatre phases distinctes.
Premier temps : appropriation des vies individuelles comme ressources d’information. Puis, second temps, montée des inégalités selon ce que vous représentez en termes de potentialités économiques. Les algorithmes, à ce stade, définissent l’intérêt que l’on vous portera. L’information sur l’âge, par exemple, permet de vous inclure dans un segment précis et de vous adresser des publicités juteuses — du Viagra pour tous aux douches aménagées en passant par les ascenseurs greffés à vos escaliers. La troisième étape — nous en sommes là — est celle du chaos produit par des structures de désinformation — la présente épidémie est un exemple frappant. Le quatrième temps sera l’institutionnalisation de la domination des acteurs majeurs — les GAFAM et ce qui orbite autour de ces compagnies majeures —, voués à terme à remplacer les structures démocratiques. Personne n’a élu Jeff Bezos (Amazon), Bill Gates (Microsoft), Larry Page et Sergey Brin (Google), Tim Cook (Apple) ou Mark Zuckerberg (Facebook). Mais ils ont le pouvoir effectif, et leur poids financier, outre le financement direct d’hommes politiques, leur permet de contrôler n’importe quel gouvernement — voire de le faire élire, afin de conserver une façade derrière laquelle les vrais maîtres s’en donnent à cœur joie. Nous militons éventuellement pour le renforcement des contrôles aux frontières, sans réaliser que pour les géants du Net, il n’y a pas de cyber-frontière, et que le marché global définit ses propres critères de pénétration et de rejet.
De ce point de vue, l’islamisme hostile aux Etats démocratiques est parfaitement compatible avec le cyber-marché. Après tout, les fanatiques aussi sont des consommateurs.
L’exception anti-terroriste est devenue la règle
Nous pouvons opter pour une société démocratique, ou pour une société de surveillance, mais pas pour les deux. Le grand combat a commencé : ce sera l’affaire de cette décade qui commence.
Dans l’appropriation de la démocratie par les grandes sociétés, tout est utilisé. Le 11 septembre impliqua une surveillance générale aisément acceptée. Les agences d’espionnage durent se rallier à des entreprises privées pour espionner partout dans le monde, bien au delà des contraintes constitutionnelles ou légales. L’exception anti-terroriste est devenue la règle. Que les responsables américains accusent Huawei de stocker des informations sur les citoyens américains est une plaisanterie, quand on sait que la CIA en fait autant au niveau mondial depuis deux décennies au moins.
La beauté de la métaphore « Web » tient au schéma neuronique de la Toile. Se connecter, c’est connecter d’autres « amis », c’est étendre l’empire du Bien (on suppose que le Mal, lui, cherche à se dissimuler). Comme aux premiers temps du capitalisme, il y a collusion entre l’impératif économique et l’impératif moral.
D’où le puritanisme (on sait les liens de l’éthique protestante et de l’esprit du capitalisme, pour reprendre le titre du plus important ouvrage de Max Weber) de ces géants du contrôle. Un algorithme est sans humour ni nuance. Les seins de la Liberté guidant le peuple sont proscrits par Facebook. C’est amusant, et anecdotique. Mais des milliers de mots sont sous surveillance : notre liberté d’expression s’arrête là où l’ont décidé les marchands qui nous gouvernent, et qui décident de qui mettre en place, à l’échelon gouvernemental, pour ne pas heurter le business.
Ces sociétés sont en train de nous démantibuler
Voilà déjà longtemps que nous avons appris à nous arrêter aux feux rouges, sans que la présence d’un agent soit nécessaire. Un système informatisé régit notre conduite. Il en est de même au niveau de l’information : des robots décident désormais de ce qu’il nous est loisible de dire ou de croire. Toute critique des traitements anti-Covid recommandés par les grandes compagnies saute automatiquement. Nous pouvons bien nous gausser des Chinois qui n’oseraient plus une opinion négative sur Xi Jinping. Contester Pfizer ou dire du Bien de Didier Raoult nous fait basculer automatiquement dans l’empire du Mal. Se promener sur les sites de QAnon — même pour information — nous signale à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), nous apprend le Figaro. En revanche, vous pouvez impunément fréquenter le site de l’« influenceuse » Léna Situations, qui fait la promotion de la marque Zara — et acheter son livre. C’est sans danger.
Seule une insurrection démocratique (mais voilà : on est parvenu à faire croire que l’insurrection est par essence anti-démocratique) peut renverser le cours des événements. Il faut démanteler les Gafam, parce que ces compagnies sont en train de nous démantibuler. Le capitalisme à l’ancienne avait brisé certains des trusts qui s’étaient constitués dans la foulée de la révolution industrielle. C’est ainsi que la Standard Oil fut éparpillée façon puzzle en 1911, ou AT&T en 1982. Mais c’est fini. Les procédures lancées contre IBM ou Microsoft furent abandonnées. Apple est aujourd’hui poursuivi pour entente illicite avec d’autres éditeurs numériques — qui ont accepté de payer une amende préventive pour éviter justement des sanctions plus lourdes. Une goutte d’eau dans leurs bénéfices.
Les gouvernements sont impuissants parce qu’ils ont été mis en place par ces structures supra-nationales. C’est aux peuples de reprendre le pouvoir — mais s’il préfère surfer sur Facebook ou s’indigner sur Twitter…
Le 4 février, le tribunal d’Anvers en Belgique a rendu son verdict à l’encontre des quatre auteurs de l’attentat déjoué le 30 juin 2018 à Villepinte. Assadollah Assadi, le diplomate-terroriste a été condamné à 20 ans de réclusion pour tentative d’attentat terroriste avec l’intention de tuer et activités au sein d’une entité terroriste. Le procès fait monter la tension entre la Belgique, la France et l’Allemagne d’un côté, et l’Iran de l’autre.
30 juin 2018, à Anvers la police belge procède à l’arrestation de Nassimeh Naami et Amir Saadouni, un couple belgo-iranien. Dans leur voiture, les policiers découvrent 500 grammes de TATP (un explosif relativement facile à fabriquer et à dissimuler) et un plan précis des lieux où se tient le jour même la rencontre internationale annuelle pour un Iran libre et démocratique à Villepinte, en banlieue parisienne.
La conférence est organisée par le CNRI (Conseil national de la Résistance iranienne), un organisme composé des opposants de la première heure au régime théocratique d’Iran. Elle accueille plus de 25 000 participants et des personnalités politiques et médiatiques du monde entier. Maryam Radjavi, présidente du mouvement, est plus particulièrement visée par ce projet d’attentat.
L’immunité diplomatique autrichienne n’est pas valable en Allemagne…
Au même moment, sur une route de Bavière, la police allemande interpelle Assadollah Assadi, diplomate iranien en poste à l’ambassade de Vienne, fortement soupçonné de participer au complot. Dans son véhicule, les autorités allemandes découvrent un carnet avec les codes de communication de l’opération, l’instruction de la mise en application de la bombe ainsi que les noms de nombreux agents iraniens en Europe. Assadi et ses supérieurs pensaient pouvoir profiter sans scrupule de l’immunité diplomatique. Las, celle-ci n’était valable que sur le territoire autrichien, pas en Allemagne, où il a été interpellé. Une précision qui a son importance.
Des mois d’enquête suivant les arrestations ont permis aux autorités belges et allemandes de démontrer l’existence d’un réseau de cellules dormantes sur tout le territoire européen, dont Assadi avait la charge pour le compte du Vevak, ministère des Renseignements et de la Sécurité nationale et principale agence de renseignement iraniens. Il a été notamment prouvé que les agents impliqués dans ce projet terroriste avaient perçu au moins 450 000€ et qu’ils avaient multiplié les voyages à Téhéran. Il a également été établi qu’Assadollah Assadi s’est servi de son passeport diplomatique pour faire venir les 500 grammes de TATP depuis l’Iran, et ensuite les transmettre à Nassimeh Naami et Amir Saadouni. De surcroît, l’enquête a conclu qu’Assadi et ses agents ont eu le feu vert des plus hauts organes décisionnels du pays. Les procureurs belges n’ont pas hésité à parler de terrorisme d’État.
Le cynisme et la mauvaise foi du pouvoir iranien
Depuis l’arrestation d’Assadollah Assadi, le ministre des Affaires étrangères iranien Djavad Zarif n’a cessé de manipuler l’opinion. Il a évoqué un coup monté et invoqué systématiquement l’argument de l’immunité diplomatique de son diplomate, niant la légalité de son arrestation et de son procès. Comble du cynisme, la diplomatie iranienne est allé jusqu’à dénoncer les conditions d’emprisonnement inhumaines d’Assadi. Quand on connaît le chef du pouvoir judiciaire du régime, Ebrahim Raïssi, et le ministre de la Justice, Alireza Avayi, deux hommes qui ont un rôle prépondérant dans le massacre de prisonniers politiques en 1988, sans oublier la mascarade que les mollahs appellent « justice », on a envie de rire de cette mauvaise foi ahurissante.
Toujours est-il que le régime n’a pas supporté l’idée que ses agissements soient dévoilés alors même que les mollahs jouissent d’une quasi-impunité, offerte par les atermoiements et la faiblesse diplomatique de l’Union Européenne à leur égard sur fond de tensions avec l’administration Trump autour des accords sur le nucléaire. Depuis, le régime iranien fait ce qu’il sait faire de mieux depuis 1979 : le chantage. Un comité spécial regroupant différents services à Téhéran a directement menacé la Belgique de représailles si elle condamnait Assadollah Assadi. Récemment, Ahmad Reza Djalali, médecin irano-suédois et professeur de l’Université libre flamande de Bruxelles, arrêté en 2016 au cours d’une mission à Téhéran, a été jugé pour espionnage au profit d’Israël et condamné à mort. Après presque quatre années passées à l’isolement, étrangement, sa condamnation a été annoncée au début du procès d’Assadi en Belgique. Le message était clair. Ce n’est pas le seul envoyé par les mollahs. À l’automne 2020, c’est l’architecte germano-iranienne à la retraite Nahid Taghavi, qui a été placée au secret à la prison d’Evin, dans des conditions de détention d’un autre âge. Un message adressé à l’Allemagne responsable de l’arrestation du diplomate Assadi. En 2019, Rouhollah Zam, réfugié en France depuis 2012, se fait piéger en Irak par les Gardiens de la révolution. Après avoir été contraint à des aveux télévisés, il a été reconnu coupable de « délits contre la sécurité du pays », « espionnage » au profit de la France, insulte au « caractère sacré de l’islam » et pendu le 12 décembre 2020. En matière de négociations par la peur, le régime d’Iran sait y faire. Reste à savoir si l’Union Européenne va enfin réagir avec fermeté ou si elle va encore se soumettre aux chantages des mollahs.
Des policiers ont été violemment pris à partie ce samedi 13 février à Poissy, dans les Yvelines. Des dizaines d’individus ont lancé projectiles et mortier d’artifice, selon BFMTV.
À Poissy, dans le quartier Beauregard, une trentaine de voyous ont agressé des policiers qui intervenaient légitimement avec des tirs de mortiers en criant : tuez-les !
« Tuez-les, Tuez-les! »
Un guet-apens tendu à des #policiers.
Comme solution, la @Defenseurdroits promeut la création de zones sans contrôles d’identité, c’est à dire de « non droit ».
Mme @clairehedon, ces habitants ne sont pas des sous-citoyens.
Ils ont le droit à la sécurité! pic.twitter.com/4H22LVYjIB
C’est à Poissy, c’est en France et nous sommes en République. On ne pourra pas dire, pour se consoler, que le maire a de l’humanisme écologique à revendre et que sa faiblesse serait responsable de la chienlit. C’est le contraire. Le maire de Poissy, Karl Olive, n’est pas naïf sur le plan de l’ordre et de la sécurité et il tente de faire tout ce qu’il peut dans le cadre municipal actuel pour favoriser dans sa ville la tranquillité publique. Pourtant c’est dans sa commune que la police a ainsi été attaquée.
Les voyous ne réagissaient même pas à une action des forces de l’ordre, ils les attendaient et en quelque sorte d’initiative, sans l’ombre d’une crainte, ils s’en sont pris à elles en hurlant leurs menaces de mort. Qui s’indigne véritablement face à ces séquences odieuses qui font douter de notre démocratie, de sa vigueur, de son courage ?
Sans vouloir abuser de la dérision, il est alors surréaliste de voir Gérald Darmanin et Marlène Schiappa s’intéresser ostensiblement au sort d’une victime agressée dans la rue avec son bébé et qui n’a pas pu déposer plainte. Il est rétrospectivement amer d’avoir entendu le ministre de l’Intérieur traiter avec une forme de condescendance la présidente du RN qui sonnait un tocsin factuellement pas si absurde, ne lui en déplaise ainsi qu’à son prédécesseur Christophe Castaner ou au garde des Sceaux.
Parce que le scandale de cette agression collective s’est déroulée à Poissy, en France, et que pourtant, apparemment, nous avons un gouvernement. Certes ce dernier ne peut pas tout faire mais d’abord il pourrait faire plus en apportant d’emblée un soutien systématique à la police victime de ces violences qui n’éprouvent même plus le besoin de se dissimuler.
L’arrogance des agresseurs, avec la certitude guère démentie de leur impunité, est révélatrice d’un climat où l’Etat ne fait plus peur, où l’autorité et l’omnipotence en l’occurrence dévoyées sont passées de l’autre côté de la société. La police est à la fois abandonnée et stigmatisée parce qu’elle se serait abstenue, aurait réagi trop tard, ou en manquant d’urbanité face à des voyous. Ces derniers sont d’autant plus sûrs de leur fait abject qu’ils sont protégés par leur masse qui rend quasiment impossible la démonstration de toute responsabilité individuelle. Et par cette certitude navrante que la police est trop souvent impuissante puisque, face aux menaces, aux jets divers et aux atteintes physiques, elle n’a pratiquement pas le droit d’user de ce que la loi l’autorise à mettre en œuvre. Cette configuration d’échec est d’autant plus préoccupante qu’elle crée un grave déséquilibre, sur le plan judiciaire, entre ceux qui sont sans cesse exonérés, les pires, et les quelques policiers soupçonnés de violences illégitimes qui font l’objet – et c’est heureux – d’enquêtes, d’informations et parfois de renvois devant une juridiction.
Si on examine dans le détail les cinq situations qui permettent, depuis la loi du 28 février 2017 commune à la police et à la gendarmerie, l’usage des armes à feu, on constate d’abord qu’elles ne sont pas très éloignées de la notion ancienne de légitime défense mais que surtout elles sont très rarement concrétisées dans la pratique.
On pourrait s’en féliciter si des polémiques ne naissaient pas pourtant à chaque fois que légitimement la police les applique et que surtout cette dernière n’était pas littéralement tétanisée, à cause d’une choquante suspicion préventive politique, sociale et médiatique, par l’obligation d’user de ses armes ; et donc de ne jamais oser se défendre ou défendre autrui malgré la permission de la loi.
Les voyous sont tout-puissants avec l’illimité de leur haine violente et la police se limite parce qu’elle sait qu’une présomption de culpabilité pèserait sur elle malgré le fait justificatif prévu par la loi de 2017.
Pourtant ce qui a été perpétré est à Poissy, en France et paraît-il dans un Etat de droit. Mais il est vrai que sa conception et sa définition en font la propriété exclusive des transgresseurs – le comble : la Défenseur des droits veut des zones sans contrôle policier ! – et ne sauraient supporter le réarmement de notre pays face au pire qui quotidiennement sévit. Si j’avais approuvé le principe initial du Beauvau de la sécurité, ce n’était pas pour qu’il s’enlise dans des débats vains. Le réel, le vrai, l’éprouvant, la terrifiante et effective hostilité à l’encontre de la police n’ont pas été invités.
Pendant les tables rondes, il y a eu Poissy, en France, en République.
Le Ministre de l’Intérieur a réagit à l’évènement devant les journalistes
Policiers attaqués à Poissy: pour Gérald Darmanin, »agresser un policier, c’est agresser la République » pic.twitter.com/EY7Hxbhixr
À Toulouse avenue de Fronton, la villa de l’octogénaire Roland n’a pu être débarrassée de ses squatteurs jeudi 11 février que grâce à la mobilisation de citoyens. L’impuissance de l’autorité publique est éclatante dans cette histoire, comme dans d’autres évènements récents. Aurélien Marq pousse un coup de gueule.
Toulouse, 2021. Roland, 88 ans. Il voudrait vendre sa maison pour rejoindre son épouse, Odile, placée dans un Ehpad. Mais la maison est squattée, et face aux squatteurs – ouvertement soutenus par l’extrême-gauche – la loi est complice, et l’État a fait le choix de l’impuissance.
Après cinq mois interminables, les squatteurs ont enfin fui sous la pression de volontaires se relayant devant les grilles de la petite propriété. Roland a pu retrouver sa maison : la détermination populaire a fait ce que n’a pas fait un état démissionnaire et lâche.
L’inquiétant Bassem Braïki
Mais regardons de plus près ce qui s’est passé. Il y a eu une authentique mobilisation citoyenne, des appels aux dons, des relais sur les réseaux sociaux, un admirable élan de solidarité. Des Français ont pris sur eux de palier l’incurie des pouvoirs publics, comme au début de la pandémie de Covid-19 (lorsque des gens cousaient eux-mêmes des masques et venaient les offrir aux soignants ou aux policiers pendant que le gouvernement affirmait que les masques ne servaient à rien). J’aimerais m’arrêter là, et célébrer un peuple se réappropriant enfin une parcelle de la souveraineté qui est la sienne, au nom d’une cause juste et par élan de sympathie pour un brave homme.
Mais hélas, il n’y a pas eu que ça. La mobilisation en faveur de Roland doit beaucoup à Bassem Braïki, influenceur (170 000 abonnés sur YouTube) communautariste, machiste, racialiste et complotiste, qui a appelé avec succès ses affidés à mettre la pression sur les squatteurs. Et il semblerait qu’en parallèle, les dealers du quartier aient fait comprendre aux squatteurs que l’attention médiatique et policière qu’ils attiraient devenait gênante pour le business.
Désespérant!
Rien d’étonnant.
Nous sommes dans un pays où une milice de suprémacistes raciaux peut interdire une pièce de théâtre et menacer la rédaction d’un journal sans que jamais l’Etat n’envisage de la dissoudre. Un pays où le même État, en revanche, s’empresse d’essayer de faire taire ceux qui appellent au respect de la loi et des frontières, mais bien sûr regarde ailleurs lorsque des associations apportent un soutien actif aux passeurs de migrants coupables de trafic d’êtres humains. Un pays où c’est un imam qui a dirigé les négociations de paix entre bandes armées à Dijon, pendant que les forces de l’ordre préféraient s’occuper à facturer 135€ la participation à tout rassemblement d’ampleur – enfin, sauf s’il s’agissait d’une manifestation hurlant la haine de la France, des Blancs ou des Juifs, ça, ça passe sans problème, et sous les applaudissements de médias de gauche.
Mais ne désespérons pas, braves gens ! Notre ministre de l’Intérieur a fièrement annoncé que 13 personnes avaient été interpellées suite aux menaces proférées contre Mila. Résultat peu reluisant au bout de presque un an, quand on sait que la jeune femme a comptabilisé plus de 30 000 menaces de viol et de mort. Allez, plus que 29 987 ! Si l’État poursuit son extraordinaire mobilisation et garde ce rythme, on en a pour… à peine 2 300 ans.
Vendredi, les 36e Victoires de la musique, retransmises par France 2 depuis la Scène Musicale, ont créé le malaise. Seul Benjamin Biolay a sauvé une soirée placée sous le signe du woke et du mauvais goût. Causeur a regardé la cérémonie pour vous.
De la même manière que l’Art s’est transmué en divertissement (le critère de rentabilité s’étant substitué à la mise en avant de toute singularité créative), et que l’idée d’un 21 Juin harmonieux a laissé place dans nos rues à la Fête du Bruit, les Victoires de la Musique nous ont offert, comme à leur habitude, un spectacle peu reluisant.
Mariage parfait entre militantisme woke et mauvais goût
Le prix de l’Artiste féminine de l’année pouvait-il échapper à Pomme, qui la veille de la cérémonie avait dénoncé dans une tribune sur Mediapart les « violences patriarcales », « harcèlements, agressions et viols » perpétrés par des « hommes cisgenre » ? Personne ne doutait non plus qu’Yseult remporterait celui de Révélation féminine. Quelques jours plus tôt, l’artiste se questionnait : « On doit quelque chose à la France, mais qu’est-ce qu’on doit en fait ? […] On ne voit pas ce que l’on nous a pris ou ce que l’on a pris à nos parents, c’est-à-dire la dignité, le respect et l’empathie ! »
À la traîne face aux Américains dans la transformation numérique du marché du disque, les producteurs français d’une industrie erratique et pas vraiment épargnée par les scandales sexuels choisissent, à l’instar du cinéma hexagonal, de surfer sur les crispations tout en flattant les minorités. Étrange, quand on lit qu’une femme sur trois dit avoir été victime de harcèlement sexuel au sein même des labels.
Nos artistes créent le malaise
Les artistes féministes, les fossoyeurs de la langue française et autres chantres du racialisme ne se contentant plus d’une vengeance sur nos tympans, nous avons également subi des attaques visuelles particulièrement éprouvantes, avec par exemple Aya Nakamura et son featuring en combinaison orange sur fond de lit géant. Il y eut aussi Yseult, ses « Soyons fiers » et « Notre colère est légitime », accompagnée de son ballet à la chorégraphie déstructurée mais savamment racisé – véritable ode à la diversité, dont le recrutement des danseurs ne respecta vraisemblablement pas le principe de mélange qu’il est censé défendre.
Camélia Jordana, qui a en sa possession le trousseau de clefs de tous les plateaux TV, compléta le tableau. L’intervention pimentée et le doigt d’honneur de Jean-Louis Aubert – certains internautes se sont demandé si le bar de La Seine Musicale n’avait pas obtenu une dérogation pour servir de l’alcool – auront permis d’apporter une certaine légèreté, ou, pour d’autres, un nouveau sentiment de malaise. À travers une prestation aboutie en comparaison de ses concurrents, le lauréat Benjamin Biolay aura le temps d’une chanson soufflé une poésie sobre, lancinante, et au final salvatrice sur le marasme cathodique.
L’industrie musicale, et ses représentants légitimes qui façonnent les Victoires, souffrent de bien des maux. Tout d’abord, une fâcheuse tendance à sélectionner les artistes en les alignant sur le discours ambiant et les revendications du moment. Or, si musique et politique font parfois bon ménage – on peut se référer aux deux « Bob » Dylan et Marley, à Bruce Springsteen, ou même encore Noir Désir –, c’est à condition que les revendications soient adossées à un talent certain. Des messages politiques forts et nécessaires ont été scandés depuis plus de cinquante ans, dénonçant les inégalités, le racisme ou la place des homosexuels ; mais ils étaient jusqu’ici portés par le génie musical, et jamais ne cédaient à la tentation victimaire.
Autres symptômes à déplorer : le mimétisme face aux Etats-Unis – la culture se faisant entertainment –, l’opportunisme où la recherche du buzz guide toute démarche artistique. Par ailleurs, le désir de diversité des majors du disque cause des dommages collatéraux, comme la quasi-disparition du rock dans la culture des jeunes, et la promotion de certains styles – en l’occurrence la musique urbaine – se fait inéluctablement au détriment d’autres courants. On peut déplorer ce choix en constatant, d’après l’étude du très sérieux Projet Voltaire portant sur les 15-25 ans, que les amateurs de rap ont d’importantes lacunes en orthographe, contrairement à ceux qui s’abreuvent d’indie, de rock ou de métal.
Alors peut-on encore parler de Victoires, en proposant un tel visage, et tandis que la musique s’est en quelque sorte tue ?