Difficile d’échapper à l’information. Dans l’affaire des écoutes, en première instance, Nicolas Sarkozy a été condamné le 1er mars à trois ans de prison (dont un an ferme) pour corruption et trafic d’influence. Il a fait appel de cette décision. Pour la première fois, un ancien président est condamné à de la prison ferme.
Depuis que l’information est tombée, rédactions de presse et simples citoyens s’interrogent. Assiste-t-on à une décision de justice politique ? Les juges sont-ils de nouveau en train de choisir à la place des citoyens pour qui ils pourront voter ? Ce n’est pas aussi simple, ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas grave. La condamnation de Sarkozy dans l’affaire des écoutes est un « produit juridique dérivé » de l’enquête sur le supposé financement de la campagne électorale de 2007. Cette affaire a été rendue publique par Mediapart pendant la campagne présidentielle de 2012 par deux publications, la première le 12 mars 2012, la deuxième le 28 avril, c’est-à-dire à une semaine du deuxième tour. On peut supposer que déjà à cette étape-là, des personnes liées à notre système de justice alimentaient l’enquête journalistique de Mediapart. On peut même émettre l’hypothèse que les dates de publications avaient été choisies pour des critères autres que journalistiques.
Ensuite tout s’enchaîne: d’un côté on n’arrive pas à prouver que Kadhafi avait financé Sarkozy – et s’il l’avait fait, pourquoi ne l’avait-il pas dit lui-même pendant les longs mois écoulés entre le moment où la France a initié la guerre contre la Libye et le moment où il a été tué ? – de l’autre on pousse Sarkozy à la faute. Car ce dernier, voulant se renseigner sur ce qui se tramait – peut-on le lui reprocher ? – aurait commis – cela reste à être définitivement prouvé – des fautes.
Ce n’est pas simplement qu’après Cahuzac et Fillon, la justice ait voulu montrer à une opinion publique qui ne l’a pas à la bonne qu’elle n’hésitait jamais à se montrer « exemplaire » et intraitable avec les élites. C’est toute une affaire qui commence il y a une décennie avec le soi-disant financement libyen de la campagne de 2007, publiée par hasard cinq ans plus tard au pire moment pour Sarkozy et les différentes démarches de la justice depuis qui sont en cause.
Elisabeth Lévy, directrice de la rédaction de Causeur, revenait ce matin à la radio sur le verdict de cette affaire. Elle a critiqué une décision « scandaleuse » et « inquiétante », dans laquelle le doute ne profite plus à l’accusé, puis a évoqué l’avenir politique de Nicolas Sarkozy. Nous vous proposons d’écouter son intervention sur Sud Radio ci-dessous:
Je me souviens d’un temps, pas si éloigné, où l’on disait qu’il fallait lutter contre « l’invisibilisation des femmes ». On pourrait penser que la lutte contre la précarité menstruelle constituerait par excellence une occasion de mener cette action, de singulariser la situation des étudiantes parmi les étudiants, en levant ce qu’il est convenu d’appeler le « tabou des règles ». Pourtant, le 23 février au soir, on pouvait entendre sur France Info l’interview de la représentante d’un syndicat étudiant qui se réjouissait de l’initiative gouvernementale sans jamais employer le féminin ! « Les étudiants, ils » vont pouvoir accéder à des protections périodiques gratuites. La seule variation qu’elle s’autorisât fut l’emploi de l’expression « les personnes menstruées ». Par un suprême paradoxe, cette mesure saluée par les féministes semblait ne pas concerner les femmes. Cette disposition qui donnait à voir la spécificité de la condition féminine devenait une occasion nouvelle d’invisibiliser les femmes. Par souci d’englober large, de ne pas « binariser le discours », on assiste au grand retour en force du « masculin qui l’emporte sur le féminin » dans le discours même de ceux qui dénoncent ce principe grammatical! Parce que les hommes transgenres (« assignés femmes à la naissance ») ont leurs règles, on renonce à parler des règles au féminin. Une bonne féministe dirait: « même ça, les hommes l’ont colonisé ! »
Seulement voilà, une féministe qui s’insurgerait que l’on parle des règles au masculin risque de tomber sous le coup d’un verdict que l’on voit doucement s’imposer dans le paysage idéologique et qui pourrait bien, un jour, avoir raison du féminisme : « vous êtes une TERF » (trans-exclusionay radical féminist). Par exemple, si vous pensez que la gratuité des protections menstruelles est une grande avancée pour les droits des femmes, vous êtes une TERF. Elle est une avancée pour les droits des « personnes menstruées ».
Ainsi, sur Europe 1, le vice-président de la FAGE (fédération des associations étudiantes) précise:
Les discussions que nous avons eues avec Frédérique Vidal étaient sur la nécessité de lever le tabou sur les protections menstruelles et de les mettre dans des lieux de passage, et pas juste enfermées dans les toilettes pour femmes, puisque certains hommes ont leurs règles comme les personnes transgenres, mais aussi les personnes non-binaires
« Certains hommes ont leurs règles ». Il ne faut pas rigoler parce que, tout le monde s’en souvient, la romancière J.K. Rowling a déclenché un énorme scandale en se gaussant de l’expression « personnes menstruées » et en suggérant qu’on dise tout simplement « femmes ». On l’a traitée de TERF. Elle l’avait bien cherché.
Le vice-président de la FAGE dit aussi que les « personnes non-binaires » ont leurs règles. Pour rappel, non-binaire, c’est comme lui (ou elle ? ou ni l’un ni l’autre?) à 02:31, mais je crois que personne ne l’a oublié… euh… oubliée… (enfin merci de m’indiquer l’accord pour les non-binaires).
Alors, sauf surprise de la nature, lui (?) n’a pas ses règles, tout non-binaire qu’il soit, car au-delà de son identité de genre et conformément à son expression de genre, son corps est quand même celui d’un mâle. Donc quand Anna Prado de Oliveira, vice-président de la Fage, dit que les personnes non-binaires ont leurs règles, elle opère une généralisation abusive (autorisée, apparemment: c’est à n’y rien comprendre) puisque seules les non-binaires femelles sont concernées.
Pardon, Anna, c’est « il ». De fait, Anna Prado de Oliveira incarne elle-même cette volatilité des genres. J’avais du mal à croire que sa désignation comme « vice-président de la FAGE » relevât d’une volonté de préserver le masculin aux titres, tendance très vieille école, beaucoup trop réac pour ce profil d’engagement. Selon les sources (et jusque sur son CV en ligne), la fluidité est permanente : « étudiante », « élu », « animateur », « membre active ». Les modes d’expression non discriminants cohabitent aussi dans ses écrits sur les réseaux : « les étudiants et les étudiantes » (très tradi, le masculin avant le féminin) ; « les étudiant.e.s » (qui fait plus moderne). Et comme toujours avec l’écriture inclusive, vient le moment où l’on fatigue et où, malgré toute sa bonne volonté, emporté (ée ?) par la puissance du slogan, on commet la boulette:
Vous l’avez ? C’est « tou.te.s » qu’il fallait écrire.
Qu’une femme soit désignée au masculin dans un article de presse est conforme à une requête de l’AJL (Association des journalistes LGBTetc.) qui demande que les personnes interrogées puissent choisir comment on doit les désigner. Il est mal venu, en effet, de « mégenrer » son interlocuteur, comme le montre la mésaventure de Daniel Schneidermann. La réciproque n’est pas vraie, semble-t-il, puisque le coco non-binaire, qui aimerait qu’on ne confonde pas « identité de genre et expression de genre » (« sinon on va mal partir »), considère que Daniel Schneidermann est un homme (il l’appelle « monsieur »), au risque de le « mégenrer ». Le remodelage idéologique de la langue demande une attention de tous les instants et ses promoteurs, comme on le voit, que ce soit à l’écrit ou à l’oral, ont tôt fait de tomber dans les pièges qu’ils voudraient tendre aux autres.
L’idée n’est évidemmentpas de se moquer des personnes qui portent leur corps comme un fardeau: c’est d’ailleurs, pour des raisons multiples, le cas de beaucoup de gens. Mais il faut opposer une résistance ferme à tous les individus aux théories dangereuses qui tentent de fractionner l’humanité en une multiplicité d’« identités » sacrées et antagonistes.
Heureusement, malgré la veille active de l’AJL, toute la profession journalistique ne semble pas bien au fait des dernières innovations en la matière. Nos journalistes en sont restés à un féminisme planplan qui se réjouit que l’accès à des protections périodiques gratuites favorise l’égalité des chances entre hommes et femmes. Mais parler des femmes au masculin sous prétexte que certaines sont en fait des hommes, voilà qui n’est pas encore passé dans les mœurs. Je dis « pas encore » parce que je ne doute pas de l’évolution des choses et que je doute fortement de la capacité de résistance de nos gens de presse, face à l’atmosphère de procès stalinien que les idéologues de l’« identité de genre » savent instaurer avec la complicité d’idiots terrorisés.
Pour l’instant, satisfaisons-nous des petits (des derniers ?) sursauts de bon sens: à l’instar de France Inter, tous les médias ont titré sur la gratuité des protections périodiques « pour toutes les étudiantes ».
Et Julien Pasquet, peu suspect de défendre des positions réactionnaires, personnage bien-dans-les-clous rachetant l’image crypto-nazie que certains attachent désormais à la chaîne CNews, exprime avec candeur sa révolte face à cette image diffusée par l’UNEF:
« Pourquoi étudiant-point-e-point-s ? Que je sache, les protections périodiques ne concernent que les femmes ! » Ignore-t-il ce qu’a valu à J.K. Rowling une telle réaction ? L’heure tardive de son émission l’a sans aucun doute sauvé d’un mot-dièse « transphobie ordinaire sur CNews ». Et dans la mesure où il n’est pas nécessaire d’être une femme pour être féministe, on ne voit pas ce qui interdirait à quelques « transactivistes » mécontents de traiter de TERF un brave petit journaliste exprimant une vérité indiscutable. Enfin, naguère indiscutable.
Rappelons que dans la vidéo du désormais célèbre « je ne suis pas un homme, monsieur », Daniel Schneidermann s’interrogeait sur l’absence de femmes sur son plateau. Or, à partir du moment où l’un des participants (et pourquoi pas tous?) se considère comme non-binaire, le débat n’a plus lieu d’être. La multiplicité des identités de genres possibles rend obsolète la volonté d’équilibrer la proportion d’hommes et de femmes; quel critère doit-on examiner? Après tout, une femme transgenre étant une femme au même titre qu’une autre, on peut avoir quatre hommes sur un plateau, dont deux sont en fait des femmes transgenres et le tour est joué. L’égalité est respectée. Sauf que non.
Les féministes ont du souci à se faire car même le Planning Familial semple être passé à l’ennemi: on se rappelle la polémique suscitée par l’idée de « tomber enceint.e » en décembre dernier. Le 27 février, voulant clarifier sa position face à des féministes déçues et critiques, le Planning Familial publie sur les réseaux le texte suivant : Les réactions des internautes sont édifiantes. Refus de l’écriture dite inclusive, refus d’être étiquetée cis-genre, colère face à la « trahison » du Planning Familial… mais aussi remerciements:
Ces féministes obsédées par la transphobie planteront elles-mêmes le dernier clou dans le cercueil du féminisme.
Rarement l’hypocrisie, individuelle et collective, aura atteint de tels niveaux. Le gouvernement et les citoyens sont parcourus d’une grande ferveur altruiste : protégeons les personnes âgées ! Veillons sur nos vieux !
Oui…
Procédons par ordre, et commençons par l’amont.
Nous sommes tellement altruistes que nous avons convaincus nos parents d’aller mourir en EHPAD, loin de nous. Mourir, oui — parce qu’on n’en sort que les pieds devant. Lisez le magnifique roman de Jacques Chauviré, Passage des émigrants : un fils bien intentionné (et désireux de s’approprier le logement de ses parents) convainc ses père et mère d’aller dans une « maison de retraite », comme on disait encore en 1977. Elle y mourra, et lui aussi — et tous deux « émigrent » de bâtiment en bâtiment, au fur et à mesure de l’accumulation de leurs bobos, jusqu’au mouroir qui est la destination finale de tous. L’auteur était médecin gériatre, il raconte (merveilleusement) ce qu’il a vu et tenté d’accompagner au mieux des années durant.
Certes, nos vieux parents sont parfois atteints de pathologies peu compatibles avec le maintien à la maison. Certes, la vie moderne et l’exiguïté des logements empêchent souvent de les prendre avec soi. Mais combien ne sont là que « pour leur bien » — ou faut-il écrire « pour leurs biens » ?
D’autant que cela revient cher, un EHPAD. En moyenne, 1977€ par mois (tarif 2018) — avec de fortes disparités selon les régions, 1616 € dans la Meuse (ah, mourir dans la Meuse, c’est mourir deux fois !), 3154 € à Paris ou dans les Hauts-de-Seine. Et que pour cette somme (qui permet de s’installer en pension complète dans un hôtel convenable des Alpes, ou de s’inscrire dans une croisière autour du monde avec des prestations convenables (surtout au tarif 3000 !) et une assistance médicale au cas où, on donne à manger à « nos vieux » les saloperies indigestes dont certains se sont indignés. « Une tasse de soupe (même pas un bol), un ramequin de semoule, une compote industrielle, un morceau de fromage industriel pour enfant et deux tranches de pain industriel ». Byzance !
Ah, mais tous ces excès alimentaires sont « validés par la diététicienne », clame un EHPAD breton. J’espère qu’elle est assez bien payée pour s’asseoir sur sa conscience.
J’aime faire la cuisine. Je sais ce que ça coûte, de bien manger quand on sait cuisiner — une dizaine d’euros par jour pour deux personnes. 300 € par mois — allez, 400 si vous voulez manger de la viande tous les jours : daubes de joues, bourguignons, pot-au-feu, coustillous comme on dit aussi chez moi (des travers de porc), terrines de queue-de-bœuf, hauts de côtes d’agneau en ragoûts, etc.
Le reste, bien sûr, de ce que paient nos vieux dans les EHPAD, c’est l’intendance, les soins éventuels, le salaire des personnels (pourtant mal payés) — et les profits des firmes qui contrôlent ces mouroirs.
Et je n’évoquerai que pour mémoire la conception très personnelle que les EHPAD ont de l’hygiène et de la liberté de mouvement. Il y a des prisons plus ouvertes. Et on y mange mieux.
Alors le coronavirus débarqua pour aiguiser notre altruisme.
Les visites sont interdites — mais pas le travail des personnels contaminés. Le Covid est devenu dans les hôpitaux la première des maladies nosocomiales : vous y allez pour quelques examens de routine, pour une opération bénigne ou des soins urgents, vous en sortez par la morgue. Et vous n’aurez même pas eu la consolation de revoir vos proches, interdits de séjour. On les tue pour leur bien, et dans une solitude qui les tue deux fois (et alors, dans la Meuse…). Pareil dans les EHPAD. Ah mais avec le vaccin tout s’arrangera: ils mourront un mois plus tard, de ne pas voir leurs proches, de ne pas pouvoir discuter avec leurs amis au sein de l’établissement, d’être parqués comme des détenus dans leurs chambres, et de bouffer de la merde.
Ce qui a fait passer la bête verticale de l’étape simiesque à l’étape humaine, c’est l’invention des rites funéraires. Nous sommes ceux qui s’occupent des morts — au lieu de les manger, comme autrefois. Le gouvernement, en édictant des règles « pour le bien » des vieillards, les tue une première fois — avant de les laisser mourir pour le compte.
Des plaintes ont déjà été déposées. J’espère qu’elles seront nombreuses.
Quand j’entends les fanatiques du masque, du couvre-feu et du confinement réclamer des mesures encore plus drastiques « pour sauver la vie de nos vieux », il me vient l’envie de ressortir la boîte à claques. Les personnes âgées meurent des conditions qu’on leur impose, et encore mieux que les jeunes, qui paraît-il dépriment. Que d’articles sur la déprime des étudiants ! Combien sur l’extinction programmée des vieux ?
Ils sont les premiers (et presque les seuls) touchés gravement par l’épidémie. En moyenne, le Covid leur fait perdre six mois de vie — ça, c’est pour le quantitatif. Mais du côté du qualitatif, l’absence de leurs proches, la solitude imposée à des personnes qui par définition ont perdu peu à peu tous leurs amis (c’est cela, vieillir, c’est voir son monde disparaître), les conditions de confort très approximatif, pas un geste tendre, pas un baiser, cela vous tue bien plus sûrement qu’un virus.
Et je n’évoquerai que pour mémoire le conseil de ce responsable de la Santé préconisant, au moment des fêtes, de faire manger Papy et Mamie à la cuisine, loin des enfants. Ces temps-ci, les salopards se ramassent à la pelle.
Nous transmutons nos angoisses en pseudo-altruisme (« c’est pour les vieux ! »), afin de nous donner bonne conscience à moindres frais. C’est immonde. Nous savions d’expérience immémoriale que les épidémies induisent des comportements irrationnels. Mais là, notre égocentrisme se donne le prétexte de la rationalité pour étaler sa suffisance.
Parce que notre altruisme est, comme souvent, un égoïsme non assumé. Nous ne sauverons pas des personnes très âgées atteintes de pathologies diverses. Mais nous pouvons les aider dans les derniers mois, les derniers jours, à partir entourées de l’affection des leurs. Nous pouvons leur rendre les derniers devoirs — cela aussi, c’est interdit par le règlement interne des EHPAD et des hôpitaux. Sinon, comme le dit fort bien la rabine Delphine Horvilleur, ces morts nous demanderont des comptes « à travers les vivants ».
Et je le dis très clairement : ceux qui me lisent et qui ne sont pas d’accord avec ces vérités d’évidence, qu’ils soient membres du gouvernement ou simples quidams, ne sont pas humains.
Trente ans jour pour jour que le décès de Serge Gainsbourg nous était annoncé, à l’âge de soixante-deux ans. Si « le temps ronge l’amour comme l’acide », il n’a pas entamé ma quasi-dévotion pour Serge. Mais dieu que la tâche est difficile de m’atteler à une chronique pour honorer sa mémoire sans la trahir. D’autant plus que cela fait une semaine que je lis des papiers plus intéressants les uns que les autres à son sujet. Notamment, il faut leur rendre justice, un excellent dossier dans Les Inrocks, qui ont déterré une très belle interview accordée par l’artiste en 1989: « En ligne de mire je n’avais pas le bonheur », lit-on en exergue. « Qui peut savoir jusqu’au fond des choses est malheureux » a-t-il écrit dans Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve, chanson écrite pour Jane et qu’il utilisait lorsqu’il s’agissait de mettre son cœur à nu. Cependant, dans cette interview, il se livre (gitanes) sans filtre sur son enfance, ses complexes, ses peines et son succès.
Art mineur, art majeur
Tout le monde se souvient de ce numéro d’anthologie d’Apostrophe et de son engueulade avec Guy Béart, arts majeurs versus arts mineurs. La peinture, la poésie, la musique classique pour Gainsbourg étaient des arts majeurs. Pas la chanson. Faiseur d’art mineur donc, et d’art pour les mineures, car c’est France Gall avec Poupée de cire poupée de son qui le propulsa vers la célébrité, lui qui était si à l’étroit dans son costume de poète maudit Rive Gauche.
Bernanos disait qu’il était resté à jamais fidèle à l’enfant qu’il fut. Serge Gainsbourg resta à jamais fidèle au petit Lucien Ginsburg, cet enfant qui désirait avant tout satisfaire son père, pianiste, et comme lui, on le sait peu, peintre contrarié. Au sujet des leçons de piano que lui imposait son père, il déclare : « J’avais un mouchoir à gauche du clavier car je savais pertinemment qu’à chaque leçon j’allais me faire engueuler. Je faisais une fausse note sur les gammes et… Il avait une voix assez âpre, j’étais blessé et je me mettais à pleurer. Mais c’était un bon professeur. Son ambition était de me faire faire ce que lui voulait faire. De la peinture ».
CQFD. La légende veut que, lors de son exil de la Russie vers la France en Transsibérien, Ginsburg père se fit voler une toile qu’il avait peinte pour une femme aimée. Nul n’ignore que Gainsbourg brûla toutes les siennes. Et plus tard n’eut de cesse que d’offrir ses mots en chansons, tantôt subtils, tantôt déchirants, aux femmes de sa vie.
À défaut de génie…
Il comprit qu’il ne pourrait jamais être un peintre ou un musicien de génie. Alors il se fit poète, presque à son corps défendant. Mais aussi « groupie », terme que je préfère à celui de plagiaire dont beaucoup l’accusèrent. « J’aime la grande musique, moi je fais de la musiquette, donc j’emprunte » déclara-t-il. Notamment Chopin, grand amour de son père, dont il utilisa des morceaux pour ses chansons les plus personnelles. Le prélude n°4, opus 28 pour Jane B, l’Étude n°3 opus 10 pour Inceste de citron (on n’ose imaginer le tollé que cette chanson aurait provoqué aujourd’hui) ou l’Étude n°9 opus 10 pour le bouleversant Dépression au-dessus du jardin. Chopin reste en famille.
Il rend hommage à la peinture surréaliste en se composant un décor à la Dali rue de Verneuil, murs noirs, objets précieux et insolites. Le terme de dandy est aujourd’hui bien galvaudé, mais une chose est sûre, Gainsbourg en était un. Jane lui apporta, avec les Repetto et les jeans usés, une désinvolture qui lui manquait et qu’il incarna comme le prince en exil qu’il était.
Ce juif russe fut dès son plus jeune âge un adorateur de la langue française, sa seule patrie finalement. « Le langage le plus beau, celui que je maîtrise le mieux, c’est le français ». Cet amour, les mots le lui rendirent au centuple. Il a su les magnifier, les torturer pour en faire jaillir des mystères, les faire rimer comme personne n’aurait osé. Dans une émission de variétés de 1978, où au piano avec Michel Berger il déclare vouloir donner des leçons de prosodie à ce dernier, auteur compositeur fort honorable au demeurant, il dit : « Au départ, je ne sais jamais où je vais, je pars des mots, de rimes impossibles comme les rimes en ex », puis entonne le fabuleux morceau écrit pour Françoise Hardy Comment te dire adieu : « Sous aucun prétexte je ne veux/ avoir de réflexes malheureux/ derrière un kleenex je saurais mieux/ comment te dire adieu ».
Le poète malgré-lui
De ses modèles littéraires, il sut retenir deux leçons.
Le sens du néologisme de Rimbaud : « elle s’y coca colle un doigt qui en arrêt sur la corolle » (Variations sur Marilou) dansson disque chef-d’œuvre L’homme à la tête de chou (1976).
Le sens de la nostalgie d’Apollinaire : « De tous ces dessins d’enfants que n’ai-je pu préserver la fraîcheur de l’inédit »(Marilou sous la neige), toujours dans le même album. La Lou d’Apollinaire, la Marilou de Gainsbourg. La boucle est bouclée. Et il savait aussi, comment le disait Colette : « écrire comme personne, avec les mots de tout le monde». Il le prouve dans une de ses plus belles chansons : Dépression au-dessus du jardin : « Tu as lâché ma main, de l’été c’est la fin, les fleurs ont perdu leur parfum ».
Et il y aurait tant et tant à dire sur Gainsbourg poète…
La Marseillaise et l’étoile jaune
Ce petit juif russe, que la France de Pétain a failli sacrifier, vouait pourtant un amour sans bornes à son pays d’adoption. On le voit dans l’épisode mythique de la Marseillaise en reggae lorsqu’il fut menacé à Strasbourg par les paras. Droit dans ses bottes, mais cependant tremblant, débarrassé de toute pose cynique, il entonne notre hymne national d’une voix étonnamment puissante. « J’ai redonné à la Marseillaise son sens initial. » Tout compte fait, certainement un des plus beaux hommages jamais rendus à notre pays.
Et sa judéité dans tout ça ? Il la tenait comme à distance, car il en avait certainement souffert, son « étoile de sheriff » disait-il. Cependant, lors de la guerre des Six Jours, il composa à la demande de l’ambassade d’Israël à Paris Le sable d’Israël pour soutenir les troupes de Tsahal. Cette chanson, il ne la renia jamais, malgré ce qu’affirment certains, terrorisés à l’idée que Gainsbourg fut sioniste. Non seulement il ne la renia pas, mais il affirma « tenir par ses racines ». Serge Gainsbourg, qui disait avoir occulté certains épisodes de sa vie, put enfin accueillir le petit Lucien Ginsburg à qui on fit porter l’étoile jaune.
La vidéo tronquée diffusée en novembre par Loopsider et le contexte politico-médiatique de dénonciation générale de la police nationale ont joué contre les forces de l’ordre. Une vidéo d’un syndicaliste interroge de grosses manipulations. L’analyse de Philippe Bilger.
Enfin! On attendait depuis si longtemps qu’aux accusations univoques de certains médias et de telle ou telle officine diffusant des vidéos tronquées contre la police, celle-ci puisse opposer la vérité de la réalité de son comportement. C’est fait dorénavant avec « Touche pas à mon flic ».
En préambule, je tiens à préciser qu’on n’a pas à parler des « violences légitimes » de la police, mais de l’usage de la force par cette dernière qui en a le monopole, tandis que ceux qui lui résistent et l’agressent commettent eux « des violences illégitimes ».
Le « flic » de terrain et responsable syndicaliste policier qui durant quinze minutes s’exprime dans la vidéo de « Touche pas à mon flic » démonte de manière convaincante le travail très orienté du site Loopsider et du journaliste David Perrotin sur l’affaire concernant Michel Zecler, survenue le 26 novembre 2020. Construction d’autant plus impressionnante qu’elle s’accompagne d’une musique « anxiogène » et d’un mode accéléré pour les images.
Mais, grâce à cette vidéo policière qui montre TOUT et est très regardée, nous constatons qu’une version partiale et incomplète de l’interpellation de Michel Zecler a été diffusée et que les informations chiffrées communiquées pour faire sensation sont gravement faussées.
Une équipe au sous-sol
Loopsider parle d’une centaine de coups, on en dénombre quarante, et la scène ne dure pas vingt minutes mais cinq. Surtout ses modalités sont révélatrices, dans ce lieu très étroit et restreint, de la résistance constante et difficile à maîtriser de Zecler qui ne cherche qu’à gagner du temps pour se faire « assister » par son équipe au sous-sol. Probablement aussi ce n’est pas seulement « une odeur de cannabis » qui est en cause, mais quelque chose de plus transgressif puisqu’on remarque le geste de l’un des acolytes jetant quelque chose au sol.
Ces rectifications substantielles sont décisives même si elles n’interdisent pas une autre appréciation que celle du syndicaliste policier. En tout cas elles mettent à bas la sélection à charge, qui n’a pour but, comme d’habitude, que de favoriser la présomption de culpabilité qui pour Loopsider comme pour Mediapart doit inéluctablement peser sur la police. On choisit, on sélectionne une séquence dans tout le réel, on s’indigne et on stimule la meute qui n’est que trop heureuse de stigmatiser par principe les fonctionnaires de police et de sanctifier en tout la victime.
Un petit festival de démagogie politique et médiatique
Cette partialité est tellement fréquente qu’on peut l’observer dans toutes les empoignades qui mettent aux prises les policiers ou les gendarmes avec des transgresseurs refusant leur interpellation et parfois parvenant un temps à fuir. Par exemple celle ayant conduit à la mort d’Adama Traoré. Le système est redoutable qui ne nous montre jamais l’ensemble des événements, la réalité factuelle dans toute sa plénitude en amont, de sorte que le citoyen chauffé à blanc par des politiques et des médias manipulés et irresponsables ne peut en toute bonne foi que cracher sur les forces de l’ordre. C’est d’une absolue malhonnêteté.
J’avais déjà décrit cette perversion dans un billet du 17 août 2018 (Vive la police malgré tout !) à la suite d’une course poursuite mortelle où un jeune policier avait continué à suivre de sa propre initiative une personne qui s’était soustraite à un contrôle routier. Puis qui avait accéléré pour renverser la patrouille de trois policiers.
La réalité de l’affaire Zecler aurait dû conduire le président de la République à s’abstenir ou au moins à retarder son intervention démagogique évoquant « sa honte. » Elle nous aurait évité le ridicule de ces indignations sportives (Mbappé, Griezmann) et artistiques trop contentes de s’illustrer par un conformisme précipité et ignorant. J’avoue que moi-même, mais dans la nuance, je me suis laissé aller jusqu’à admettre cette possible dérive policière.
L’affaire Zecler, perçue comme unilatéralement honteuse à l’origine, pourrait engendrer d’heureux effets. Si à chaque polémique biaisée et fragmentaire, délibérément infidèle au réel, on pouvait dorénavant opposer une authentique transparence…
Le syndicat de policiers derrière la vidéo dépose une plainte contre Loopsider
Cette avancée serait d’autant plus nécessaire qu’on annonce et qu’on constate déjà de nouvelles bouffées de violences « antiflics », entre les commissariats attaqués, les embuscades et les rébellions. Je mentionne que 5412 policiers ont été blessés en mission en 2020 et qu’il aurait été utile de connaître le détail de ces agressions.
« Touche pas à mon flic » a déposé plainte, par l’entremise de son avocat, Me Gilles-William Goldnadel, contre Loopsider et David Perrotin pour altération d’un document privé en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité et pour atteinte à la présomption d’innocence. J’espère que le parquet de Paris sera aussi prompt à ordonner une enquête dans cette affaire qu’il l’a été pour d’autres causes douteuses ou non. Ce serait une formidable « première » susceptible de mettre un frein à de grossières manipulations.
Comme c’était prévisible, David Perrotin a répliqué en incriminant « un syndicat de police d’extrême droite ». Le problème n’est pas là, mais sur l’intégrité d’une diffusion : honnêteté professionnelle ou esprit partisan ?
La moindre des choses, si la seconde branche était validée, serait, pour le président de la République et les médias, de s’excuser parce qu’ils ont été trompés et qu’ils ont réagi et informé sans savoir.
Liberté de la presse versus propagande d’État? Le véritable état de guerre froide qui existe entre le Parti communiste chinois et certains gouvernements occidentaux s’exprime aujourd’hui à travers une guerre des ondes entre Londres et Pékin. Récit.
Le 4 février, la chaîne de télévision chinoise CGTN (China Global Television Network) a perdu son autorisation de diffusion au Royaume-Uni. Pour quel motif ? Parce que cette chaîne serait « contrôlée par le Parti communiste chinois. » Dans un communiqué, l’Ofcom, l’équivalent britannique du CSA, a expliqué que le droit d’émettre avait été accordé à la société Star China Media Limited, mais que cette entité n’exerçait pas de responsabilité éditoriale sur le contenu diffusé par CGTN. Or, selon les règles de l’Ofcom, le détenteur d’une autorisation doit être responsable des politiques éditoriales d’une chaîne et décider au jour le jour du contenu de ses programmes. En réalité, cette responsabilité serait exercée par une autre entité, la China Global Television Network Corporation, qui elle-même serait entièrement sous le contrôle du Parti communiste chinois. Selon le droit britannique de la radiodiffusion, un média de ce type ne peut pas être contrôlé par un parti politique.
L’Ofcom aurait accordé à CGTN un délai important pour lui permettre de régulariser sa situation, mais la chaîne n’en aurait pas profité.
Représailles immédiates
Comme on pouvait s’y attendre, la Chine a immédiatement promis des représailles. Une semaine plus tard, BBC World News était interdite d’émettre sur le territoire chinois. La chaîne y était accessible jusqu’alors presque exclusivement dans les hôtels internationaux.
L’Administration nationale de la radio et de la télévision, organe de l’état chinois, a motivé sa décision en prétendant que la chaîne d’État britannique avaient enfreint ses règles qui stipulent que tout reportage doit être « factuel et juste » et « non préjudiciable aux intérêts nationaux de la Chine. » Le gouvernement communiste s’était déjà plaint de la manière dont la BBC avait couvert les manifestations pour la démocratie à Hong Kong, la gestion chinoise de la pandémie et la persécution de la minorité ouïgoure. De façon symétrique, l’Ofcom britannique s’était plaint de la couverture de ces mêmes événements à Hong Kong par CGTN.
Dominic Raab, le Secrétaire d’État aux Affaires étrangères britannique, a qualifié la décision chinoise d’« atteinte inacceptable à la liberté de la presse. » Son homologue américain a également condamné la Chine, y voyant une campagne plus générale contre la liberté de la presse. Cette partie de ping-pong perpétuelle entre Pékin, Londres et Washington, montre l’importance centrale du contrôle de l’information.
Le 6 mars se tiendront en Côte d’Ivoire des élections législatives éclairantes à plus d’un titre.
Au lendemain de la réélection d’Alassane Ouattara, elles devraient renseigner sur l’état de la démocratie dans le pays, mais aussi sur celui d’une opposition qu’il fallait bien, jusqu’à récemment, qualifier de fantoche, puisqu’elle avait décidé de boycotter la présidentielle d’octobre. Si cette dernière devrait cette fois défendre ses chances, elle pèche toujours par son caractère morcelé, mais aussi et surtout par l’outrance de ses reproches à l’égard du pouvoir en place, reproches lui tenant bien souvent lieu de seul programme politique. La Côte d’Ivoire ne mérite-t-elle pas mieux?
Le fait n’est pas nouveau : l’opposition ivoirienne, quand elle cherche à peser dans le débat démocratique, le fait essentiellement en tirant à boulets rouges sur l’administration Ouattara. Directement ou via ses émissaires. L’opposition s’oppose, et alors ? Difficile de le lui reprocher. La particularité des adversaires du RHDP, le parti présidentiel, est cependant qu’ils ne font que cela, s’opposer, ayant renoncé à se montrer constructifs, ne proposant rien ou presque.
Presque, car lorsqu’il s’agit de brosser un tableau crépusculaire de la Côte d’Ivoire, reconnaissons aux contempteurs de Ouattara un certain talent d’imagination. Ainsi, dans un papier publié le 19 février sur le site de Causeur, le journaliste franco-camerounais Charles Onana, auteur par le passé d’ouvrages pro-Gbagbo, affirme que le pays émerge de 20 ans « de chaos politique et de guerre civile sanglante ». Ah bon ? Depuis le départ de Laurent Gbagbo et l’arrivée d’Alassane Ouattara au pouvoir, en 2011, le pays flirte pourtant avec une croissance à deux chiffres, se classe régulièrement parmi les meilleures progressions du classement Doing business de la Banque mondiale, attirant les investissements étrangers à tours de bras. Pas vraiment la marque d’un pays « à feu et à sang »…
L’économie ivoirienne à l’avenant
L’honnêteté intellectuelle exige que l’on reconnaisse le rôle d’Alassane Ouattara dans les progrès économiques réalisés par la Côte d’Ivoire. Son bilan est en effet l’un des plus solides de l’histoire du pays, à tel point que la dernière décennie est souvent qualifiée de « second miracle ivoirien » par les observateurs. Alors qu’en 2011, l’économie s’était contractée de 4,8 % avec les soubresauts de la crise socio-politique, la croissance a repris de plus belle et a affiché sur les dernières années l’un des plus forts niveaux au monde. Selon les données du Fonds monétaire international (FMI), le PIB a progressé en moyenne de 8 % entre 2011 et 2018.
Aujourd’hui, le pays est l’un des plus dynamiques de l’Afrique de l’Ouest et pèse pour près de 40% du PIB de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA). Il est vrai que l’embellie économique ne profite pas encore à toutes les couches de la population, notamment dans les zones rurales. Mais on ne peut pas balayer d’un revers de la main les efforts de l’exécutif pour rendre la croissance plus inclusive. En 2013, le salaire minimum a ainsi été augmenté de 60%, passant de 36 000 Francs CFA à 60 000, alors qu’il n’avait pas été revalorisé depuis 18 ans.
Président surtout par « devoir citoyen »
Si les adversaires politiques avancent que la conservation du poste de chef d’État est la seule ambition d’Alassane Ouattara, il faut rappeler qu’à 79 ans, l’homme n’a plus rien à prouver, ne cherchant qu’à maintenir ses acquis. C’est d’ailleurs ce que la nomination du défunt Premier ministre Amadou Gon Coulibaly comme candidat initial du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie etla Paix (RHDP) à l’élection présidentielle du 31 octobre devait lui permettre de faire. Avec celui qu’il surnommait son fils, Ouattara avait trouvé un remplaçant idéal. Le décès brutal de celui-ci le 8 juillet, à quelques mois de l’élection, ne lui a pas laissé d’autre choix que de se présenter pour continuer de faire vivre son projet politique.
Même si la campagne électorale s’est déroulée sur fond de fortes tensions, le chaos que prédisaient certains n’a pas eu lieu. Le pays a connu des troubles qui se sont soldés par la mort de plus de 80 personnes, mais ils sont largement dus à l’opposition, justement, qui au lieu de défendre ses chances dans les urnes a préféré, par la voix de son leader Henri Konan Bédié, en appeler à la « désobéissance civile ». Toujours est-il qu’après avoir boycotté les élections législatives de décembre 2011 et de décembre 2016 ainsi que la dernière présidentielle, l’opposition semble déterminée à prendre sa place dans cette nouvelle joute électorale.
Qui a peur de l’opposition ivoirienne?
Pour renouveler les 255 membres de l’Assemblée nationale du pays, les calculs politiques vont bon train. S’il est déjà acquis que l’opposition participera à ce scrutin, les interrogations demeurent sur sa tangibilité, tant elle semble davantage affairée à se tirer dans les pattes qu’à proposer à ses militants la cohésion et le programme politique qu’ils sont en droit d’attendre.
Ainsi, l’incapacité de l’opposition à présenter des listes communes pour tenter de briguer davantage de sièges se manifeste par exemple dans la circonscription de Gagnoa, où le Front populaire ivoirien (FPI) pro-Gbagbo et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié ne feront pas front-commun. Et si le PDCI et Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS), la plateforme des formations pro-Gbagbo, présenteront des candidats communs dans la plupart des 205 circonscriptions, cette union devra affronter un autre bloc d’opposition, celui du Front Populaire Ivoirien (FPI) pro Pascal Affi N’Guessan. Sans compter le COJEP de Charles Blé Goudé, l’UDPCI d’Albert Toikeusse Mabri, et Agir de Martial Ahipeaud qui présenteront des candidatures uniques, dénonçant la mainmise des deux partis historiques (FPI et PDCI) dans le choix des candidats. Soit autant de chances, pour l’opposition, de ne pas parvenir à obtenir beaucoup de sièges face à un RHDP uni, déterminé, en ordre de bataille.
Afin de poursuivre son objectif affiché de servir la Côte d’Ivoire, l’opposition ivoirienne serait inspirée de commencer par l’aider à ériger un multipartisme digne de ce nom, en irriguant le débat politique d’idées plutôt que de récriminations sans fin, quand il ne s’agit pas de contre-vérités éhontées à l’encontre du bilan de la majorité. Elle ferait mieux, également, de proposer un visage uni face au RHDP, qu’il est facile de taxer d’hégémoniste alors qu’il se contente de se présenter à ses électeurs de façon claire et ordonnée face à des adversaires brouillons, à la feuille de route illisible. La nation éburnéenne se cherche toujours une opposition digne de ce nom.
Un texte de Nicolas Leblond, maître de conférences de droit privé et Éric Desmons, professeur de droit public
Assiste-t-on à un coup d’État des personnels de santé ? À une tentative de putsch médical, malgré la résistance tardive du président de la République aux oukases du Conseil scientifique ? Depuis la décision présidentielle, annoncée par le Premier ministre, de ne pas confiner la population française pour une troisième fois, l’offensive de certains médecins médiatiques dénonçant ce qu’ils estiment être une folie et réclamant urgemment un nouveau confinement a repris, justifiée désormais par l’objectif « zéro Covid ». Pourtant, les décideurs publics n’obtempèrent plus, ou en rechignant, et en jetant un œil inquiet sur une société civile à bout de nerfs. C’est même un dialogue de sourds qui semble s’instaurer. D’un côté les courtisans ébahis louent les lumières du chef de l’État (« un jour, il pourra briguer l’agrégation d’immunologie », s’extasie le président de l’Assemblée nationale). De l’autre on campe sur ses positions : la faculté, qui sait bien mieux que tout le monde, ne se laissera pas faire. On croirait entendre Céline dans sa thèse de doctorat en médecine sur l’hygiéniste Semmelweis : « Quant à répondre point par point aux arguments qui paraissent tous décisifs à nos détracteurs, il faut y renoncer, car nous ne parlons pas le même langage ». Le langage de l’épidémiologie n’est pas celui de la politique, mais il n’échappe à personne que certains médecins veulent s’en saisir.
Les experts pestent de voir le pouvoir leur échapper
Pour appuyer leur revendication, les médecins qui sont partisans du reconfinement n’hésitent pas à convoquer l’argument d’autorité : la Vérité scientifique ne saurait mentir et ce confinement est nécessaire parce qu’il est inéluctable. Il serait en effet seul en mesure de contrecarrer l’épidémie (même si certains scientifiques comme le professeur Ioannidis ont pu montrer l’inefficacité de cette stratégie). Ces médecins prennent néanmoins la précaution de dire que la décision ne leur appartient pas et qu’évidemment, d’autres aspects doivent être pris en compte comme les questions économiques, sociales, psychologiques… Mais on ne peut s’empêcher de voir dans leurs réactions et revendications la frustration de ceux qui ayant eu le pouvoir et le voyant leur échapper, tentent de le récupérer. L’occasion leur est donnée de prétendre à un rang supérieur – ou jugé tel – à celui de simples techniciens de la santé.
La décision qu’ils réclament à cors et à cris met sous une lumière crue les rapports entre la médecine – et l’on pourrait dire la science en général – et l’art de gouverner, en période exceptionnelle. On observe à cette occasion non seulement une confusion entre les domaines de la politique et de la médecine, ce qui est normal jusqu’à un certain point si l’on s’en tient à l’objet sur lequel portent les décisions à prendre, mais qui l’est moins lorsqu’est invoquée l’autorité de la science pour imposer des choix stratégiques. Mutatis mutandis – et ce n’est pas pour rien qu’un temps le président de la République se plut à parler de guerre contre le virus -, on retrouve les problématiques qui se posent en temps de conflit, entre tactique et stratégie, autorité militaire et autorité civile : qui des militaires ou des civils doit arraisonner la direction politique de la guerre ? On connaît la réponse que fit Clemenceau pour réaffirmer la supériorité de l’autorité politique dans la conduite des opérations ainsi qu’une forme de séparation des pouvoirs, garante du fonctionnement démocratique des institutions : celle des experts et celle des politiques, de la supériorité de ces derniers, notamment parce qu’ils ont, normalement, à rendre compte des décisions qu’ils prennent.
Le confinement réduit la vie à sa dimension biologique
Puisqu’il s’agit de politique, il convient d’identifier l’objectif que ces apôtres du confinement poursuivent. Bien sûr, de façon immédiate, ils affirment qu’ils veulent éviter à la fois des décès et la saturation du système de santé. Qui pourrait être contre un tel objectif ? En écoutant et en lisant ces médecins, on s’aperçoit qu’ils prennent pour modèle la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou certains pays asiatiques qui eux, poursuivent explicitement l’objectif « 0 Covid ». Toutefois, outre que les pays pris en exemple sont des îles ou des pays moins soucieux des libertés que le nôtre, le SARS-Cov-2 appartient à la famille des coronavirus dont l’histoire a montré qu’ils sont endémiques. Il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement du SARS-CoV-2. Dans ces conditions, le confinement et la stratégie « 0 covid » que ces médecins réclament apparaissent sous un autre jour : face à ce virus qui persistera, il faudra se résoudre à confiner sans cesse et à restreindre considérablement nos libertés les plus élémentaires. Loin d’un modèle humaniste, ces médecins proposent un projet social fondé sur la réduction de notre vie à sa dimension biologique. Certes, ces médecins disent du confinement qu’il n’est pas la solution et que celle-ci réside dans la vaccination. Mais dans le même temps, ils indiquent que la vaccination pourrait ne pas être efficace face aux nouveaux variants et qu’en conséquence, il faudra continuer à pratiquer ces fameux « gestes barrières », au premier rang desquels se situe la « distanciation sociale » et donc, le confinement. On comprend alors que si ces médecins réclament si fortement le confinement, c’est qu’il leur apparaît comme une panacée et un nouveau modèle social : celui d’un monde dépourvu de maladies et donc, de malades.
Pour reprendre Michel Foucault, nous sommes arrivés à l’âge de la « bio-politique », celui où « le biologique se réfléchit dans le politique » : le pouvoir s’exerce désormais davantage sur des corps que l’on discipline que sur des sujets auxquels on commande ; il « prend en charge la vie », qui devient ainsi l’enjeu des luttes politiques et la valeur cardinale des sociétés contemporaines (d’où les enjeux considérables autour de la santé publique). Comme Hobbes l’avait parfaitement analysé au XVIIe siècle, la conservation de soi, au sens biologique du terme, est désormais la finalité du contrat social puisque la plus puissante des passions individuelles sur laquelle se construit la politique est la peur de la mort, ou le désir de se conserver en vie. Dans l’ordre des préoccupations, la vie nue prend le pas sur la vie qualifiée et le « vivre bien » se réfugie dans la bonne santé. Ce projet, pavé de bonnes intentions, apparaît comme une sorte d’extension de la politique ducare– du « soin mutuel » – dont la science médicale révèlerait la loi naturelle, comme jadis les jurisconsultes le faisaient pour le droit. Mais il faut voir que ce que promet ce despotisme éclairé et hygiéniste n’est pas un projet émancipateur : on préconise en effet d’enfermer plutôt que libérer, de contrôler plutôt que d’émanciper. Hobbes prend le pas sur Rousseau, en somme. Et, pour s’en inquiéter, l’on pourrait ici plagier ce dernier : on peut vivre en bonne santé dans un cachot, mais « en est-ce assez pour s’y trouver bien ? ».
Un précautionnisme bourgeois ?
Ce modèle, par l’ampleur de ce qu’il modifierait dans nos vies, doit être assumé pour être discuté, et l’argument d’autorité complètement évacué. Cela est d’autant plus nécessaire que les mois qui viennent de s’écouler l’ont montré : la vérité scientifique n’existe pas et la politique des experts est toujours partielle, voire partiale. Or, on peut justement déceler un jeu de pouvoir dans la posture adoptée par ces médecins : certains, souvent les plus médiatisés, ne renoncent pas à faire croire que leur science permet de trouver « la » solution à la pandémie qui nous menace. Il y a à n’en pas douter un réflexe corporatiste dans cet appel au confinement face à un pouvoir qui par ses décisions, essaie de ménager les autres aspects de la vie sociale et économique. Pour faire passer le remède, ces médecins « confinistes » jouent sur la corde de l’émotion et de la peur pour rendre légitime la mesure qu’ils préconisent : c’est que des gens meurent, ce que personne ne contestera – dans quelles proportions, il est en vérité difficile de l’évaluer, malgré les décomptes officiels quotidiens dont le moindre des effets est d’entretenir un climat d’angoisse permanente.
Mais si les décès dus au covid sont insupportables à ces médecins, comme ils aiment à le dire, quels sont ceux qui, à leurs yeux, sont au contraire supportables ? Quelle est finalement, d’après eux, la bonne façon de mourir ? On en vient même à s’interroger sur le caractère tout simplement acceptable de la mort pour ces médecins. Cette volonté de confiner à tout prix révèle en creux une peur de la vie et de ses risques, en même temps que le rêve d’une société enfin domestiquée, au sens profond du terme. C’est ce que le philosophe Matthew Crawford nomme le « précautionnisme », à savoir « la détermination à éliminer tout risque de la vie, […] sensibilité nettement bourgeoise ». Caricature pourront répondre ces médecins. Possible… Mais s’ils ne veulent pas qu’on leur prête ces mauvaises intentions, qu’ils tombent enfin le masque ! Et qu’ils méditent encore Céline, toujours dans sa thèse de médecine : « L’heure trop triste vient toujours où le Bonheur, cette confiance absurde et superbe dans la vie, fait place à la Vérité dans le cœur humain ».
Le concept d’islamo-gauchisme provoque chez certains journalistes et commentateurs une défiance immédiate et des critiques virulentes.
Le lien entre les deux idéologies-religions n’est pourtant pas nouveau, ils ont des racines communes. Les similitudes entre le communisme et l’islamisme en sont la preuve, dans le dogme et le mode de fonctionnement en particulier. Deux formes de totalitarisme. Plus que des cousins, des frères. Voici quelques explications.
De retour de Russie, en 1920, le philosophe britannique Bertrand Russell remarque les ressemblances entre l’idéologie marxiste-léniniste et l’islam : « Le bolchevisme combine les caractéristiques de la Révolution française et celles de la levée de l’islam, (…) avec des dogmes définis et des écritures révélées. La religion de Mahomet et le bolchevisme sont des religions pratiques, sociales, non spirituelles et soucieuses de gagner l’empire de ce monde ». (Pratique et théorie du bolchevisme, 1920)[tooltips content= »Cité par Thierry Wolton dans Une histoire mondiale du communisme (tome III, Les Complices), Grasset »](1)[/tooltips]. Russell a vu juste il y a cent ans. Plus tard, l’historien et sociologue Maxime Rodinson définira l’islam comme « un communisme avec Dieu ».
Le communisme est une religion d’État
Si, à la base de l’islamisme il y a une religion d’inspiration divine, nombreux sont les spécialistes qui considèrent le communisme comme une religion d’État. D’un côté le Coran et la charia, de l’autre le Manifeste de Marx et les directives du Parti. Les textes imposent aux êtres humains une manière de vivre qui doit suivre absolument, pour l’un les préceptes religieux, pour l’autre les règles de l’idéologie. Tout écart est puni, par l’enfermement, la torture ou la mort. Les deux ont la prétention d’offrir le bien être absolu à tous mais pour cela il faut éliminer les « ennemis du peuple ». C’est-à-dire les représentants du monde libre, de la démocratie capitaliste, de tous ceux qui ne se conforment pas aux normes religieuses ou idéologiques. Ou aux deux, car l’islam est à la fois une religion et une idéologie. Il n’accepte aucun pouvoir différent, séculier, il est au-dessus de toutes les lois. En fait, les sourates sont les lois. Celles du communisme sont, elles, élaborées selon les dogmes marxistes. Elles ne protègent pas les individus, elles en font les serviteurs du marxisme-léninisme. On voit que, islam et communisme, le but est le même : faire émerger un « homme nouveau », un parfait musulman ou un parfait citoyen, les deux façonnés par la religion ou le Parti. L’objectif est la société parfaite, d’un côté celle qui respecte à la lettre la doctrine islamiste, de l’autre celle qui réalise l’utopie socialiste.
Les similitudes sont tout aussi frappantes dans les coulisses de ces nobles ambitions, qui abritent la machine répressive, un appareil très perfectionné de contrôle, de censure et de châtiment impitoyable. Son fonctionnement est totalitaire: on purge et on élimine. On donne des exemples, on condamne et on punit ouvertement, sur la place publique. Procès publics, repentance publique des innocents, mises au pilori et exécutions à grand spectacle, lapidations devant la foule en colère… les scènes se ressemblent, sous Mao et sous la charia. Les deux idéologies-religions doivent êtres pures, toute autre forme de culture censurée ou, mieux, détruite. Les enfants sont dressés, endoctrinés, mis au travail, enfermés s’il le faut. En ce qui concerne les femmes cependant, avantage Mao : elles ne sont pas discriminées. Aucun interdit ne les frappe en tant que femmes. Ni en tant que travailleuses au service du bien-être des masses. Ni bien entendu en tant que victimes du goulag, du laogaï ou des génocides. L’islam ne leur laisse, dans la société, que ce statut de victimes.
La conversion ou la mort
Autre terrain de rencontre, le terrorisme. On sait aujourd’hui, après l’ouverture des archives, que l’URSS et les pays de l’Est, anciennement communistes, ont soutenu, financé et abrité de nombreux terroristes islamistes. Carlos, l’un des plus célèbres, a affirmé : « L’islam et le marxisme-léninisme sont les deux écoles dans lesquelles j’ai puisé le meilleur de mes analyses » (L’islam révolutionnaire, du Rocher, 2003). Des dictateurs comme Kadhafi ou Bachar el-Assad ont sévi avec l’aide de l’URSS et des dictatures communistes. La frange terroriste palestinienne a été financée et armée par Moscou, comme de nombreuses organisations islamistes en Afrique. A-t-on oublié le rôle joué par les « conseillers » soviétiques en Algérie lors de l’indépendance et la catastrophe économique qui a suivi, jusqu’au basculement du pays vers la guerre civile ? Le marxisme s’est développé comme le djihadisme, avec des milices et organisations paramilitaires qui ont agi, comme le font les islamistes, un peu partout dans le monde afin de déstabiliser des pays et des continents, de l’Amérique latine à l’Asie, en passant par l’Afrique. L’Europe, avec ses organisations terroristes d’extrême gauche des années 1960-1970, n’y pas échappé.
Communisme et islamisme sont l’un comme l’autre des ennemis de notre civilisation. Ils veulent notre conversion ou notre mort. L’islam n’accepte pas l’apostasie, le communisme ne tolère pas le renoncement idéologique. Aucune tolérance n’est acceptée. Entre les deux, il y a surtout des affinités et très peu de différences. Ce sont les pires ennemis (avec le nazisme) du monde libre et il faut les combattre en permanence.
La fin du communisme a laissé le champ libre à l’islamisme qui a trouvé un terreau extrêmement propice. Les gauchistes s’y retrouvent avec aisance, croyant ainsi perpétuer l’utopie marxiste. Il n’y a pas la moindre raison valable de contester le concept d’islamo-gauchisme.
Une Anglaise ayant vécu dans le Paris de la Restauration et de la monarchie de Juillet a laissé des mémoires inédits oubliés dans une malle après sa mort en 1918. Publiés récemment, ils nous plongent dans une France où on faisait la queue pour voir Hernani à la Comédie-Française et où l’on croisait Flaubert sur la plage.
Dans une malle oubliée, de l’autre côté de la Manche, dormait un ensemble de documents manuscrits proprement enchantés. Partiellement publiés aujourd’hui, ils libèrent, comme un flacon ancien, l’envoûtant parfum qu’ils contenaient, le témoignage d’une Anglaise sur deux écrivains majeurs du XIXe siècle, Gustave Flaubert et Victor Hugo. Ce livre remarquable[tooltips content= »Gertrude Tennant, Mes souvenirs sur Hugo et Flaubert (éd. Yvan Leclerc et Florence Naugrette, trad. Florence Naugrette et Danielle Wargny, postface Jean-Marc Hovasse), De Fallois, 2020. »](1)[/tooltips] nous permet de croire que la France est toujours une patrie littéraire.
Gertrude, née Collier et devenue par mariage Gertrude Tennant (1819-1918), est arrivée en France, à Honfleur, à l’âge de cinq ans, au printemps 1825. Son père, Henry Theodosius Browne Collier, avait décidé ce déménagement dans la hâte, malgré son mépris des Français, les tenant pour un peuple sale, régicide et mécréant. Les Collier s’installèrent à Paris. Ils y demeurèrent vingt ans. Le spectacle de la rue, le charme des habitants, leur vivacité d’esprit, tout cela plut infiniment à Gertrude. Elle devint francophone et francophile.
Flaubert en demi-dieu marin
Flaubert tout d’abord : on a gardé l’image d’un homme au torse puissant, à la mine austère, chauve largement sur le front, les lèvres dissimulées par une moustache épaisse, et une tristesse inconsolable dans les yeux. Viking neurasthénique, rosissant comme un fiancé jamais déclaré devant la princesse Mathilde, il semblait un ours encombré de lui-même. À 20 ans, son dieu littéraire se nomme Victor Hugo. C’est également l’auteur français préféré de Gertrude Collier.
Gertrude et sa sœur Henriette font la connaissance de Caroline et de son frère, Gustave, étudiant en droit, sur la plage de Trouville. Caroline est belle, distante, sérieuse, douée pour tout. Quant à Gustave : « Grand, mince, doté d’un corps parfait [il est] totalement indifférent aux convenances et aux bonnes manières […]. Le jeune homme et son terre-neuve avaient l’air de passer le plus clair de leur temps dans la mer. » Gustave et Gertrude entretiendront une longue correspondante ici révélée[tooltips content= »Germaine n’apprécia nullement Madame Bovary ; elle en fit même reproche à Flaubert, gênée du comportement immoral d’Emma. Pourtant, Mgr Dupanloup, parlant d’expérience, ne s’en offusqua point, lui. À Dumas fils, qui l’interroge : « Comment trouvez-vous Madame Bovary ? », il répond sobrement : « Un chef-d’œuvre, monsieur… oui, un chef-d’œuvre, pour ceux qui ont confessé en province. » (Edmond de Goncourt, Journal, 16 novembre 1875). »](2)[/tooltips]. Gustave-de-Normandie y démontre une puissante mélancolie dans l’évocation des ombres qui peuplent sa mémoire et de « cette plaisanterie bouffonne qu’on appelle la vie » (lettre à Ernest Chevalier).
Hugo ? Connais pas !
Le 25 février 1830, la petite Anglaise passe avec son père devant la Comédie-Française. La foule se presse, une pièce de Victor Hugo, Hernani, y sera jouée : avec cette œuvre naît le drame romantique. L’enfant demande à Henry Theodosius s’il connaît Victor Hugo : « Jamais entendu parler de ce type. Un violoneux français, je suppose », répond-il avec dédain. Commentaire de Gertrude : « Mon père, officier de la marine anglaise […] s’enorgueillissait de ne pas savoir un seul mot de français, et pensait sincèrement qu’un seul Anglais valait bien une demi-douzaine de Français. » Gertrude ne se doutait pas que le hasard lui avait fait croiser la grande histoire littéraire, ni qu’elle deviendrait une fervente admiratrice du « violoneux ».
Elle retrouve Victor Hugo, en particulier à Guernesey, en 1862, où l’écrivain proscrit réside de 1856 à 1870. C’est un autre personnage, plus affable, un homme d’intérieur dont elle juge le goût extravagant, un séducteur : « Sa voix […] était si mélodieuse, riche et sonore que le français, parlé par lui, paraissait une nouvelle langue ! » Définitivement installée à Londres, Gertrude tient l’un des salons les plus réputés de son temps. Elle se fait mémorialiste, sans intention d’être publiée. Elle meurt presque centenaire, et l’on oublie ses écritures au fond d’une malle.
D.R.
[Entretien]
Entretien avec Yvan Leclerc et Florence Naugrette qui ont dirigé l’édition des lettres et souvenirs de Gertrude Tennant.
Causeur. Y a-t-il vraiment une malle ?
Yvan Leclerc. Oui, je l’ai vue, et j’ai vu le grenier où elle se trouvait. J’avais été informé de son existence par l’excellent David Waller[tooltips content= »David Waller, La Vie extraordinaire de Mrs Tennant, grande figure littéraire de l’ère victorienne, Buchet Chastel, 2011. »](3)[/tooltips], alors qu’il écrivait sa biographie de Gertrude, en 2006. Je me suis rendu en Angleterre, en 2015, dans cette ferme du Surrey, où l’on élève des moutons, habitée par l’arrière-petite-fille de Gertrude Tennant. Et j’ai ouvert la malle au trésor : un journal intime, des agendas, des lettres de Henry James, d’Oscar Wilde, celles de Flaubert, les deux mémoires de Gertrude sur Victor Hugo et Gustave Flaubert que nous reproduisons. Je lis très mal l’anglais, mais il était aisé de saisir l’importance de ces documents, aussi me suis-je employé à convaincre les propriétaires de ne pas les disperser. Gertrude y démontre les qualités d’une diariste vraiment douée, alors que le texte de fiction dans lequel elle romance son idylle avec Flaubert est plutôt décevant.
Elle a laissé un roman, où il est question d’un baiser… Dites-nous tout : que s’est-il passé entre ce demi-dieu barbare et arrogant et la belle Anglaise ?
Florence Naugrette. On ne sait rien de précis, mais sans doute pas plus qu’un baiser. Flaubert fréquente les prostituées ; dans son esprit, les frontières sont fixées définitivement : il y a les femmes pour le plaisir, et les autres. Gertrude et sa sœur, issues d’une famille honorable, appartiennent à la seconde catégorie. Un baiser « fougueux » a – peut-être – été échangé à Paris, l’année suivante, où ils se retrouvent un soir, à l’Opéra. On peut l’imaginer grâce à ce roman, lui aussi présent dans la malle, très mièvre, dépourvu du charme de ses notes. La soirée à l’Opéra est réelle, attestée par les écrits de Gertrude et de Gustave. Flaubert avait un béguin plus prononcé pour Henriette, la sœur. Gertrude en a-t-elle éprouvé de la jalousie ? On le soupçonne à certains indices, mais rien ne prouve que Flaubert a suscité une rivalité amoureuse entre elles.
Cela dit, leurs jeux de séduction n’ont visiblement pas outrepassé les limites du flirt. On peut le déduire du conseil que lui adresse Maxime Du Camp dans une lettre du 30 septembre 1851 : « Fous Gertrude, fous Henriette ! » Cet ordre impérieux démontre qu’il ne l’avait pas fait. Peu de temps après, les deux sœurs, de respectables anglicanes, se marièrent…
Difficile d’échapper à l’information. Dans l’affaire des écoutes, en première instance, Nicolas Sarkozy a été condamné le 1er mars à trois ans de prison (dont un an ferme) pour corruption et trafic d’influence. Il a fait appel de cette décision. Pour la première fois, un ancien président est condamné à de la prison ferme.
Depuis que l’information est tombée, rédactions de presse et simples citoyens s’interrogent. Assiste-t-on à une décision de justice politique ? Les juges sont-ils de nouveau en train de choisir à la place des citoyens pour qui ils pourront voter ? Ce n’est pas aussi simple, ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas grave. La condamnation de Sarkozy dans l’affaire des écoutes est un « produit juridique dérivé » de l’enquête sur le supposé financement de la campagne électorale de 2007. Cette affaire a été rendue publique par Mediapart pendant la campagne présidentielle de 2012 par deux publications, la première le 12 mars 2012, la deuxième le 28 avril, c’est-à-dire à une semaine du deuxième tour. On peut supposer que déjà à cette étape-là, des personnes liées à notre système de justice alimentaient l’enquête journalistique de Mediapart. On peut même émettre l’hypothèse que les dates de publications avaient été choisies pour des critères autres que journalistiques.
Ensuite tout s’enchaîne: d’un côté on n’arrive pas à prouver que Kadhafi avait financé Sarkozy – et s’il l’avait fait, pourquoi ne l’avait-il pas dit lui-même pendant les longs mois écoulés entre le moment où la France a initié la guerre contre la Libye et le moment où il a été tué ? – de l’autre on pousse Sarkozy à la faute. Car ce dernier, voulant se renseigner sur ce qui se tramait – peut-on le lui reprocher ? – aurait commis – cela reste à être définitivement prouvé – des fautes.
Ce n’est pas simplement qu’après Cahuzac et Fillon, la justice ait voulu montrer à une opinion publique qui ne l’a pas à la bonne qu’elle n’hésitait jamais à se montrer « exemplaire » et intraitable avec les élites. C’est toute une affaire qui commence il y a une décennie avec le soi-disant financement libyen de la campagne de 2007, publiée par hasard cinq ans plus tard au pire moment pour Sarkozy et les différentes démarches de la justice depuis qui sont en cause.
Elisabeth Lévy, directrice de la rédaction de Causeur, revenait ce matin à la radio sur le verdict de cette affaire. Elle a critiqué une décision « scandaleuse » et « inquiétante », dans laquelle le doute ne profite plus à l’accusé, puis a évoqué l’avenir politique de Nicolas Sarkozy. Nous vous proposons d’écouter son intervention sur Sud Radio ci-dessous:
Je me souviens d’un temps, pas si éloigné, où l’on disait qu’il fallait lutter contre « l’invisibilisation des femmes ». On pourrait penser que la lutte contre la précarité menstruelle constituerait par excellence une occasion de mener cette action, de singulariser la situation des étudiantes parmi les étudiants, en levant ce qu’il est convenu d’appeler le « tabou des règles ». Pourtant, le 23 février au soir, on pouvait entendre sur France Info l’interview de la représentante d’un syndicat étudiant qui se réjouissait de l’initiative gouvernementale sans jamais employer le féminin ! « Les étudiants, ils » vont pouvoir accéder à des protections périodiques gratuites. La seule variation qu’elle s’autorisât fut l’emploi de l’expression « les personnes menstruées ». Par un suprême paradoxe, cette mesure saluée par les féministes semblait ne pas concerner les femmes. Cette disposition qui donnait à voir la spécificité de la condition féminine devenait une occasion nouvelle d’invisibiliser les femmes. Par souci d’englober large, de ne pas « binariser le discours », on assiste au grand retour en force du « masculin qui l’emporte sur le féminin » dans le discours même de ceux qui dénoncent ce principe grammatical! Parce que les hommes transgenres (« assignés femmes à la naissance ») ont leurs règles, on renonce à parler des règles au féminin. Une bonne féministe dirait: « même ça, les hommes l’ont colonisé ! »
Seulement voilà, une féministe qui s’insurgerait que l’on parle des règles au masculin risque de tomber sous le coup d’un verdict que l’on voit doucement s’imposer dans le paysage idéologique et qui pourrait bien, un jour, avoir raison du féminisme : « vous êtes une TERF » (trans-exclusionay radical féminist). Par exemple, si vous pensez que la gratuité des protections menstruelles est une grande avancée pour les droits des femmes, vous êtes une TERF. Elle est une avancée pour les droits des « personnes menstruées ».
Ainsi, sur Europe 1, le vice-président de la FAGE (fédération des associations étudiantes) précise:
Les discussions que nous avons eues avec Frédérique Vidal étaient sur la nécessité de lever le tabou sur les protections menstruelles et de les mettre dans des lieux de passage, et pas juste enfermées dans les toilettes pour femmes, puisque certains hommes ont leurs règles comme les personnes transgenres, mais aussi les personnes non-binaires
« Certains hommes ont leurs règles ». Il ne faut pas rigoler parce que, tout le monde s’en souvient, la romancière J.K. Rowling a déclenché un énorme scandale en se gaussant de l’expression « personnes menstruées » et en suggérant qu’on dise tout simplement « femmes ». On l’a traitée de TERF. Elle l’avait bien cherché.
Le vice-président de la FAGE dit aussi que les « personnes non-binaires » ont leurs règles. Pour rappel, non-binaire, c’est comme lui (ou elle ? ou ni l’un ni l’autre?) à 02:31, mais je crois que personne ne l’a oublié… euh… oubliée… (enfin merci de m’indiquer l’accord pour les non-binaires).
Alors, sauf surprise de la nature, lui (?) n’a pas ses règles, tout non-binaire qu’il soit, car au-delà de son identité de genre et conformément à son expression de genre, son corps est quand même celui d’un mâle. Donc quand Anna Prado de Oliveira, vice-président de la Fage, dit que les personnes non-binaires ont leurs règles, elle opère une généralisation abusive (autorisée, apparemment: c’est à n’y rien comprendre) puisque seules les non-binaires femelles sont concernées.
Pardon, Anna, c’est « il ». De fait, Anna Prado de Oliveira incarne elle-même cette volatilité des genres. J’avais du mal à croire que sa désignation comme « vice-président de la FAGE » relevât d’une volonté de préserver le masculin aux titres, tendance très vieille école, beaucoup trop réac pour ce profil d’engagement. Selon les sources (et jusque sur son CV en ligne), la fluidité est permanente : « étudiante », « élu », « animateur », « membre active ». Les modes d’expression non discriminants cohabitent aussi dans ses écrits sur les réseaux : « les étudiants et les étudiantes » (très tradi, le masculin avant le féminin) ; « les étudiant.e.s » (qui fait plus moderne). Et comme toujours avec l’écriture inclusive, vient le moment où l’on fatigue et où, malgré toute sa bonne volonté, emporté (ée ?) par la puissance du slogan, on commet la boulette:
Vous l’avez ? C’est « tou.te.s » qu’il fallait écrire.
Qu’une femme soit désignée au masculin dans un article de presse est conforme à une requête de l’AJL (Association des journalistes LGBTetc.) qui demande que les personnes interrogées puissent choisir comment on doit les désigner. Il est mal venu, en effet, de « mégenrer » son interlocuteur, comme le montre la mésaventure de Daniel Schneidermann. La réciproque n’est pas vraie, semble-t-il, puisque le coco non-binaire, qui aimerait qu’on ne confonde pas « identité de genre et expression de genre » (« sinon on va mal partir »), considère que Daniel Schneidermann est un homme (il l’appelle « monsieur »), au risque de le « mégenrer ». Le remodelage idéologique de la langue demande une attention de tous les instants et ses promoteurs, comme on le voit, que ce soit à l’écrit ou à l’oral, ont tôt fait de tomber dans les pièges qu’ils voudraient tendre aux autres.
L’idée n’est évidemmentpas de se moquer des personnes qui portent leur corps comme un fardeau: c’est d’ailleurs, pour des raisons multiples, le cas de beaucoup de gens. Mais il faut opposer une résistance ferme à tous les individus aux théories dangereuses qui tentent de fractionner l’humanité en une multiplicité d’« identités » sacrées et antagonistes.
Heureusement, malgré la veille active de l’AJL, toute la profession journalistique ne semble pas bien au fait des dernières innovations en la matière. Nos journalistes en sont restés à un féminisme planplan qui se réjouit que l’accès à des protections périodiques gratuites favorise l’égalité des chances entre hommes et femmes. Mais parler des femmes au masculin sous prétexte que certaines sont en fait des hommes, voilà qui n’est pas encore passé dans les mœurs. Je dis « pas encore » parce que je ne doute pas de l’évolution des choses et que je doute fortement de la capacité de résistance de nos gens de presse, face à l’atmosphère de procès stalinien que les idéologues de l’« identité de genre » savent instaurer avec la complicité d’idiots terrorisés.
Pour l’instant, satisfaisons-nous des petits (des derniers ?) sursauts de bon sens: à l’instar de France Inter, tous les médias ont titré sur la gratuité des protections périodiques « pour toutes les étudiantes ».
Et Julien Pasquet, peu suspect de défendre des positions réactionnaires, personnage bien-dans-les-clous rachetant l’image crypto-nazie que certains attachent désormais à la chaîne CNews, exprime avec candeur sa révolte face à cette image diffusée par l’UNEF:
« Pourquoi étudiant-point-e-point-s ? Que je sache, les protections périodiques ne concernent que les femmes ! » Ignore-t-il ce qu’a valu à J.K. Rowling une telle réaction ? L’heure tardive de son émission l’a sans aucun doute sauvé d’un mot-dièse « transphobie ordinaire sur CNews ». Et dans la mesure où il n’est pas nécessaire d’être une femme pour être féministe, on ne voit pas ce qui interdirait à quelques « transactivistes » mécontents de traiter de TERF un brave petit journaliste exprimant une vérité indiscutable. Enfin, naguère indiscutable.
Rappelons que dans la vidéo du désormais célèbre « je ne suis pas un homme, monsieur », Daniel Schneidermann s’interrogeait sur l’absence de femmes sur son plateau. Or, à partir du moment où l’un des participants (et pourquoi pas tous?) se considère comme non-binaire, le débat n’a plus lieu d’être. La multiplicité des identités de genres possibles rend obsolète la volonté d’équilibrer la proportion d’hommes et de femmes; quel critère doit-on examiner? Après tout, une femme transgenre étant une femme au même titre qu’une autre, on peut avoir quatre hommes sur un plateau, dont deux sont en fait des femmes transgenres et le tour est joué. L’égalité est respectée. Sauf que non.
Les féministes ont du souci à se faire car même le Planning Familial semple être passé à l’ennemi: on se rappelle la polémique suscitée par l’idée de « tomber enceint.e » en décembre dernier. Le 27 février, voulant clarifier sa position face à des féministes déçues et critiques, le Planning Familial publie sur les réseaux le texte suivant : Les réactions des internautes sont édifiantes. Refus de l’écriture dite inclusive, refus d’être étiquetée cis-genre, colère face à la « trahison » du Planning Familial… mais aussi remerciements:
Ces féministes obsédées par la transphobie planteront elles-mêmes le dernier clou dans le cercueil du féminisme.
Rarement l’hypocrisie, individuelle et collective, aura atteint de tels niveaux. Le gouvernement et les citoyens sont parcourus d’une grande ferveur altruiste : protégeons les personnes âgées ! Veillons sur nos vieux !
Oui…
Procédons par ordre, et commençons par l’amont.
Nous sommes tellement altruistes que nous avons convaincus nos parents d’aller mourir en EHPAD, loin de nous. Mourir, oui — parce qu’on n’en sort que les pieds devant. Lisez le magnifique roman de Jacques Chauviré, Passage des émigrants : un fils bien intentionné (et désireux de s’approprier le logement de ses parents) convainc ses père et mère d’aller dans une « maison de retraite », comme on disait encore en 1977. Elle y mourra, et lui aussi — et tous deux « émigrent » de bâtiment en bâtiment, au fur et à mesure de l’accumulation de leurs bobos, jusqu’au mouroir qui est la destination finale de tous. L’auteur était médecin gériatre, il raconte (merveilleusement) ce qu’il a vu et tenté d’accompagner au mieux des années durant.
Certes, nos vieux parents sont parfois atteints de pathologies peu compatibles avec le maintien à la maison. Certes, la vie moderne et l’exiguïté des logements empêchent souvent de les prendre avec soi. Mais combien ne sont là que « pour leur bien » — ou faut-il écrire « pour leurs biens » ?
D’autant que cela revient cher, un EHPAD. En moyenne, 1977€ par mois (tarif 2018) — avec de fortes disparités selon les régions, 1616 € dans la Meuse (ah, mourir dans la Meuse, c’est mourir deux fois !), 3154 € à Paris ou dans les Hauts-de-Seine. Et que pour cette somme (qui permet de s’installer en pension complète dans un hôtel convenable des Alpes, ou de s’inscrire dans une croisière autour du monde avec des prestations convenables (surtout au tarif 3000 !) et une assistance médicale au cas où, on donne à manger à « nos vieux » les saloperies indigestes dont certains se sont indignés. « Une tasse de soupe (même pas un bol), un ramequin de semoule, une compote industrielle, un morceau de fromage industriel pour enfant et deux tranches de pain industriel ». Byzance !
Ah, mais tous ces excès alimentaires sont « validés par la diététicienne », clame un EHPAD breton. J’espère qu’elle est assez bien payée pour s’asseoir sur sa conscience.
J’aime faire la cuisine. Je sais ce que ça coûte, de bien manger quand on sait cuisiner — une dizaine d’euros par jour pour deux personnes. 300 € par mois — allez, 400 si vous voulez manger de la viande tous les jours : daubes de joues, bourguignons, pot-au-feu, coustillous comme on dit aussi chez moi (des travers de porc), terrines de queue-de-bœuf, hauts de côtes d’agneau en ragoûts, etc.
Le reste, bien sûr, de ce que paient nos vieux dans les EHPAD, c’est l’intendance, les soins éventuels, le salaire des personnels (pourtant mal payés) — et les profits des firmes qui contrôlent ces mouroirs.
Et je n’évoquerai que pour mémoire la conception très personnelle que les EHPAD ont de l’hygiène et de la liberté de mouvement. Il y a des prisons plus ouvertes. Et on y mange mieux.
Alors le coronavirus débarqua pour aiguiser notre altruisme.
Les visites sont interdites — mais pas le travail des personnels contaminés. Le Covid est devenu dans les hôpitaux la première des maladies nosocomiales : vous y allez pour quelques examens de routine, pour une opération bénigne ou des soins urgents, vous en sortez par la morgue. Et vous n’aurez même pas eu la consolation de revoir vos proches, interdits de séjour. On les tue pour leur bien, et dans une solitude qui les tue deux fois (et alors, dans la Meuse…). Pareil dans les EHPAD. Ah mais avec le vaccin tout s’arrangera: ils mourront un mois plus tard, de ne pas voir leurs proches, de ne pas pouvoir discuter avec leurs amis au sein de l’établissement, d’être parqués comme des détenus dans leurs chambres, et de bouffer de la merde.
Ce qui a fait passer la bête verticale de l’étape simiesque à l’étape humaine, c’est l’invention des rites funéraires. Nous sommes ceux qui s’occupent des morts — au lieu de les manger, comme autrefois. Le gouvernement, en édictant des règles « pour le bien » des vieillards, les tue une première fois — avant de les laisser mourir pour le compte.
Des plaintes ont déjà été déposées. J’espère qu’elles seront nombreuses.
Quand j’entends les fanatiques du masque, du couvre-feu et du confinement réclamer des mesures encore plus drastiques « pour sauver la vie de nos vieux », il me vient l’envie de ressortir la boîte à claques. Les personnes âgées meurent des conditions qu’on leur impose, et encore mieux que les jeunes, qui paraît-il dépriment. Que d’articles sur la déprime des étudiants ! Combien sur l’extinction programmée des vieux ?
Ils sont les premiers (et presque les seuls) touchés gravement par l’épidémie. En moyenne, le Covid leur fait perdre six mois de vie — ça, c’est pour le quantitatif. Mais du côté du qualitatif, l’absence de leurs proches, la solitude imposée à des personnes qui par définition ont perdu peu à peu tous leurs amis (c’est cela, vieillir, c’est voir son monde disparaître), les conditions de confort très approximatif, pas un geste tendre, pas un baiser, cela vous tue bien plus sûrement qu’un virus.
Et je n’évoquerai que pour mémoire le conseil de ce responsable de la Santé préconisant, au moment des fêtes, de faire manger Papy et Mamie à la cuisine, loin des enfants. Ces temps-ci, les salopards se ramassent à la pelle.
Nous transmutons nos angoisses en pseudo-altruisme (« c’est pour les vieux ! »), afin de nous donner bonne conscience à moindres frais. C’est immonde. Nous savions d’expérience immémoriale que les épidémies induisent des comportements irrationnels. Mais là, notre égocentrisme se donne le prétexte de la rationalité pour étaler sa suffisance.
Parce que notre altruisme est, comme souvent, un égoïsme non assumé. Nous ne sauverons pas des personnes très âgées atteintes de pathologies diverses. Mais nous pouvons les aider dans les derniers mois, les derniers jours, à partir entourées de l’affection des leurs. Nous pouvons leur rendre les derniers devoirs — cela aussi, c’est interdit par le règlement interne des EHPAD et des hôpitaux. Sinon, comme le dit fort bien la rabine Delphine Horvilleur, ces morts nous demanderont des comptes « à travers les vivants ».
Et je le dis très clairement : ceux qui me lisent et qui ne sont pas d’accord avec ces vérités d’évidence, qu’ils soient membres du gouvernement ou simples quidams, ne sont pas humains.
Trente ans jour pour jour que le décès de Serge Gainsbourg nous était annoncé, à l’âge de soixante-deux ans. Si « le temps ronge l’amour comme l’acide », il n’a pas entamé ma quasi-dévotion pour Serge. Mais dieu que la tâche est difficile de m’atteler à une chronique pour honorer sa mémoire sans la trahir. D’autant plus que cela fait une semaine que je lis des papiers plus intéressants les uns que les autres à son sujet. Notamment, il faut leur rendre justice, un excellent dossier dans Les Inrocks, qui ont déterré une très belle interview accordée par l’artiste en 1989: « En ligne de mire je n’avais pas le bonheur », lit-on en exergue. « Qui peut savoir jusqu’au fond des choses est malheureux » a-t-il écrit dans Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve, chanson écrite pour Jane et qu’il utilisait lorsqu’il s’agissait de mettre son cœur à nu. Cependant, dans cette interview, il se livre (gitanes) sans filtre sur son enfance, ses complexes, ses peines et son succès.
Art mineur, art majeur
Tout le monde se souvient de ce numéro d’anthologie d’Apostrophe et de son engueulade avec Guy Béart, arts majeurs versus arts mineurs. La peinture, la poésie, la musique classique pour Gainsbourg étaient des arts majeurs. Pas la chanson. Faiseur d’art mineur donc, et d’art pour les mineures, car c’est France Gall avec Poupée de cire poupée de son qui le propulsa vers la célébrité, lui qui était si à l’étroit dans son costume de poète maudit Rive Gauche.
Bernanos disait qu’il était resté à jamais fidèle à l’enfant qu’il fut. Serge Gainsbourg resta à jamais fidèle au petit Lucien Ginsburg, cet enfant qui désirait avant tout satisfaire son père, pianiste, et comme lui, on le sait peu, peintre contrarié. Au sujet des leçons de piano que lui imposait son père, il déclare : « J’avais un mouchoir à gauche du clavier car je savais pertinemment qu’à chaque leçon j’allais me faire engueuler. Je faisais une fausse note sur les gammes et… Il avait une voix assez âpre, j’étais blessé et je me mettais à pleurer. Mais c’était un bon professeur. Son ambition était de me faire faire ce que lui voulait faire. De la peinture ».
CQFD. La légende veut que, lors de son exil de la Russie vers la France en Transsibérien, Ginsburg père se fit voler une toile qu’il avait peinte pour une femme aimée. Nul n’ignore que Gainsbourg brûla toutes les siennes. Et plus tard n’eut de cesse que d’offrir ses mots en chansons, tantôt subtils, tantôt déchirants, aux femmes de sa vie.
À défaut de génie…
Il comprit qu’il ne pourrait jamais être un peintre ou un musicien de génie. Alors il se fit poète, presque à son corps défendant. Mais aussi « groupie », terme que je préfère à celui de plagiaire dont beaucoup l’accusèrent. « J’aime la grande musique, moi je fais de la musiquette, donc j’emprunte » déclara-t-il. Notamment Chopin, grand amour de son père, dont il utilisa des morceaux pour ses chansons les plus personnelles. Le prélude n°4, opus 28 pour Jane B, l’Étude n°3 opus 10 pour Inceste de citron (on n’ose imaginer le tollé que cette chanson aurait provoqué aujourd’hui) ou l’Étude n°9 opus 10 pour le bouleversant Dépression au-dessus du jardin. Chopin reste en famille.
Il rend hommage à la peinture surréaliste en se composant un décor à la Dali rue de Verneuil, murs noirs, objets précieux et insolites. Le terme de dandy est aujourd’hui bien galvaudé, mais une chose est sûre, Gainsbourg en était un. Jane lui apporta, avec les Repetto et les jeans usés, une désinvolture qui lui manquait et qu’il incarna comme le prince en exil qu’il était.
Ce juif russe fut dès son plus jeune âge un adorateur de la langue française, sa seule patrie finalement. « Le langage le plus beau, celui que je maîtrise le mieux, c’est le français ». Cet amour, les mots le lui rendirent au centuple. Il a su les magnifier, les torturer pour en faire jaillir des mystères, les faire rimer comme personne n’aurait osé. Dans une émission de variétés de 1978, où au piano avec Michel Berger il déclare vouloir donner des leçons de prosodie à ce dernier, auteur compositeur fort honorable au demeurant, il dit : « Au départ, je ne sais jamais où je vais, je pars des mots, de rimes impossibles comme les rimes en ex », puis entonne le fabuleux morceau écrit pour Françoise Hardy Comment te dire adieu : « Sous aucun prétexte je ne veux/ avoir de réflexes malheureux/ derrière un kleenex je saurais mieux/ comment te dire adieu ».
Le poète malgré-lui
De ses modèles littéraires, il sut retenir deux leçons.
Le sens du néologisme de Rimbaud : « elle s’y coca colle un doigt qui en arrêt sur la corolle » (Variations sur Marilou) dansson disque chef-d’œuvre L’homme à la tête de chou (1976).
Le sens de la nostalgie d’Apollinaire : « De tous ces dessins d’enfants que n’ai-je pu préserver la fraîcheur de l’inédit »(Marilou sous la neige), toujours dans le même album. La Lou d’Apollinaire, la Marilou de Gainsbourg. La boucle est bouclée. Et il savait aussi, comment le disait Colette : « écrire comme personne, avec les mots de tout le monde». Il le prouve dans une de ses plus belles chansons : Dépression au-dessus du jardin : « Tu as lâché ma main, de l’été c’est la fin, les fleurs ont perdu leur parfum ».
Et il y aurait tant et tant à dire sur Gainsbourg poète…
La Marseillaise et l’étoile jaune
Ce petit juif russe, que la France de Pétain a failli sacrifier, vouait pourtant un amour sans bornes à son pays d’adoption. On le voit dans l’épisode mythique de la Marseillaise en reggae lorsqu’il fut menacé à Strasbourg par les paras. Droit dans ses bottes, mais cependant tremblant, débarrassé de toute pose cynique, il entonne notre hymne national d’une voix étonnamment puissante. « J’ai redonné à la Marseillaise son sens initial. » Tout compte fait, certainement un des plus beaux hommages jamais rendus à notre pays.
Et sa judéité dans tout ça ? Il la tenait comme à distance, car il en avait certainement souffert, son « étoile de sheriff » disait-il. Cependant, lors de la guerre des Six Jours, il composa à la demande de l’ambassade d’Israël à Paris Le sable d’Israël pour soutenir les troupes de Tsahal. Cette chanson, il ne la renia jamais, malgré ce qu’affirment certains, terrorisés à l’idée que Gainsbourg fut sioniste. Non seulement il ne la renia pas, mais il affirma « tenir par ses racines ». Serge Gainsbourg, qui disait avoir occulté certains épisodes de sa vie, put enfin accueillir le petit Lucien Ginsburg à qui on fit porter l’étoile jaune.
La vidéo tronquée diffusée en novembre par Loopsider et le contexte politico-médiatique de dénonciation générale de la police nationale ont joué contre les forces de l’ordre. Une vidéo d’un syndicaliste interroge de grosses manipulations. L’analyse de Philippe Bilger.
Enfin! On attendait depuis si longtemps qu’aux accusations univoques de certains médias et de telle ou telle officine diffusant des vidéos tronquées contre la police, celle-ci puisse opposer la vérité de la réalité de son comportement. C’est fait dorénavant avec « Touche pas à mon flic ».
En préambule, je tiens à préciser qu’on n’a pas à parler des « violences légitimes » de la police, mais de l’usage de la force par cette dernière qui en a le monopole, tandis que ceux qui lui résistent et l’agressent commettent eux « des violences illégitimes ».
Le « flic » de terrain et responsable syndicaliste policier qui durant quinze minutes s’exprime dans la vidéo de « Touche pas à mon flic » démonte de manière convaincante le travail très orienté du site Loopsider et du journaliste David Perrotin sur l’affaire concernant Michel Zecler, survenue le 26 novembre 2020. Construction d’autant plus impressionnante qu’elle s’accompagne d’une musique « anxiogène » et d’un mode accéléré pour les images.
Mais, grâce à cette vidéo policière qui montre TOUT et est très regardée, nous constatons qu’une version partiale et incomplète de l’interpellation de Michel Zecler a été diffusée et que les informations chiffrées communiquées pour faire sensation sont gravement faussées.
Une équipe au sous-sol
Loopsider parle d’une centaine de coups, on en dénombre quarante, et la scène ne dure pas vingt minutes mais cinq. Surtout ses modalités sont révélatrices, dans ce lieu très étroit et restreint, de la résistance constante et difficile à maîtriser de Zecler qui ne cherche qu’à gagner du temps pour se faire « assister » par son équipe au sous-sol. Probablement aussi ce n’est pas seulement « une odeur de cannabis » qui est en cause, mais quelque chose de plus transgressif puisqu’on remarque le geste de l’un des acolytes jetant quelque chose au sol.
Ces rectifications substantielles sont décisives même si elles n’interdisent pas une autre appréciation que celle du syndicaliste policier. En tout cas elles mettent à bas la sélection à charge, qui n’a pour but, comme d’habitude, que de favoriser la présomption de culpabilité qui pour Loopsider comme pour Mediapart doit inéluctablement peser sur la police. On choisit, on sélectionne une séquence dans tout le réel, on s’indigne et on stimule la meute qui n’est que trop heureuse de stigmatiser par principe les fonctionnaires de police et de sanctifier en tout la victime.
Un petit festival de démagogie politique et médiatique
Cette partialité est tellement fréquente qu’on peut l’observer dans toutes les empoignades qui mettent aux prises les policiers ou les gendarmes avec des transgresseurs refusant leur interpellation et parfois parvenant un temps à fuir. Par exemple celle ayant conduit à la mort d’Adama Traoré. Le système est redoutable qui ne nous montre jamais l’ensemble des événements, la réalité factuelle dans toute sa plénitude en amont, de sorte que le citoyen chauffé à blanc par des politiques et des médias manipulés et irresponsables ne peut en toute bonne foi que cracher sur les forces de l’ordre. C’est d’une absolue malhonnêteté.
J’avais déjà décrit cette perversion dans un billet du 17 août 2018 (Vive la police malgré tout !) à la suite d’une course poursuite mortelle où un jeune policier avait continué à suivre de sa propre initiative une personne qui s’était soustraite à un contrôle routier. Puis qui avait accéléré pour renverser la patrouille de trois policiers.
La réalité de l’affaire Zecler aurait dû conduire le président de la République à s’abstenir ou au moins à retarder son intervention démagogique évoquant « sa honte. » Elle nous aurait évité le ridicule de ces indignations sportives (Mbappé, Griezmann) et artistiques trop contentes de s’illustrer par un conformisme précipité et ignorant. J’avoue que moi-même, mais dans la nuance, je me suis laissé aller jusqu’à admettre cette possible dérive policière.
L’affaire Zecler, perçue comme unilatéralement honteuse à l’origine, pourrait engendrer d’heureux effets. Si à chaque polémique biaisée et fragmentaire, délibérément infidèle au réel, on pouvait dorénavant opposer une authentique transparence…
Le syndicat de policiers derrière la vidéo dépose une plainte contre Loopsider
Cette avancée serait d’autant plus nécessaire qu’on annonce et qu’on constate déjà de nouvelles bouffées de violences « antiflics », entre les commissariats attaqués, les embuscades et les rébellions. Je mentionne que 5412 policiers ont été blessés en mission en 2020 et qu’il aurait été utile de connaître le détail de ces agressions.
« Touche pas à mon flic » a déposé plainte, par l’entremise de son avocat, Me Gilles-William Goldnadel, contre Loopsider et David Perrotin pour altération d’un document privé en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité et pour atteinte à la présomption d’innocence. J’espère que le parquet de Paris sera aussi prompt à ordonner une enquête dans cette affaire qu’il l’a été pour d’autres causes douteuses ou non. Ce serait une formidable « première » susceptible de mettre un frein à de grossières manipulations.
Comme c’était prévisible, David Perrotin a répliqué en incriminant « un syndicat de police d’extrême droite ». Le problème n’est pas là, mais sur l’intégrité d’une diffusion : honnêteté professionnelle ou esprit partisan ?
La moindre des choses, si la seconde branche était validée, serait, pour le président de la République et les médias, de s’excuser parce qu’ils ont été trompés et qu’ils ont réagi et informé sans savoir.
Liberté de la presse versus propagande d’État? Le véritable état de guerre froide qui existe entre le Parti communiste chinois et certains gouvernements occidentaux s’exprime aujourd’hui à travers une guerre des ondes entre Londres et Pékin. Récit.
Le 4 février, la chaîne de télévision chinoise CGTN (China Global Television Network) a perdu son autorisation de diffusion au Royaume-Uni. Pour quel motif ? Parce que cette chaîne serait « contrôlée par le Parti communiste chinois. » Dans un communiqué, l’Ofcom, l’équivalent britannique du CSA, a expliqué que le droit d’émettre avait été accordé à la société Star China Media Limited, mais que cette entité n’exerçait pas de responsabilité éditoriale sur le contenu diffusé par CGTN. Or, selon les règles de l’Ofcom, le détenteur d’une autorisation doit être responsable des politiques éditoriales d’une chaîne et décider au jour le jour du contenu de ses programmes. En réalité, cette responsabilité serait exercée par une autre entité, la China Global Television Network Corporation, qui elle-même serait entièrement sous le contrôle du Parti communiste chinois. Selon le droit britannique de la radiodiffusion, un média de ce type ne peut pas être contrôlé par un parti politique.
L’Ofcom aurait accordé à CGTN un délai important pour lui permettre de régulariser sa situation, mais la chaîne n’en aurait pas profité.
Représailles immédiates
Comme on pouvait s’y attendre, la Chine a immédiatement promis des représailles. Une semaine plus tard, BBC World News était interdite d’émettre sur le territoire chinois. La chaîne y était accessible jusqu’alors presque exclusivement dans les hôtels internationaux.
L’Administration nationale de la radio et de la télévision, organe de l’état chinois, a motivé sa décision en prétendant que la chaîne d’État britannique avaient enfreint ses règles qui stipulent que tout reportage doit être « factuel et juste » et « non préjudiciable aux intérêts nationaux de la Chine. » Le gouvernement communiste s’était déjà plaint de la manière dont la BBC avait couvert les manifestations pour la démocratie à Hong Kong, la gestion chinoise de la pandémie et la persécution de la minorité ouïgoure. De façon symétrique, l’Ofcom britannique s’était plaint de la couverture de ces mêmes événements à Hong Kong par CGTN.
Dominic Raab, le Secrétaire d’État aux Affaires étrangères britannique, a qualifié la décision chinoise d’« atteinte inacceptable à la liberté de la presse. » Son homologue américain a également condamné la Chine, y voyant une campagne plus générale contre la liberté de la presse. Cette partie de ping-pong perpétuelle entre Pékin, Londres et Washington, montre l’importance centrale du contrôle de l’information.
Le 6 mars se tiendront en Côte d’Ivoire des élections législatives éclairantes à plus d’un titre.
Au lendemain de la réélection d’Alassane Ouattara, elles devraient renseigner sur l’état de la démocratie dans le pays, mais aussi sur celui d’une opposition qu’il fallait bien, jusqu’à récemment, qualifier de fantoche, puisqu’elle avait décidé de boycotter la présidentielle d’octobre. Si cette dernière devrait cette fois défendre ses chances, elle pèche toujours par son caractère morcelé, mais aussi et surtout par l’outrance de ses reproches à l’égard du pouvoir en place, reproches lui tenant bien souvent lieu de seul programme politique. La Côte d’Ivoire ne mérite-t-elle pas mieux?
Le fait n’est pas nouveau : l’opposition ivoirienne, quand elle cherche à peser dans le débat démocratique, le fait essentiellement en tirant à boulets rouges sur l’administration Ouattara. Directement ou via ses émissaires. L’opposition s’oppose, et alors ? Difficile de le lui reprocher. La particularité des adversaires du RHDP, le parti présidentiel, est cependant qu’ils ne font que cela, s’opposer, ayant renoncé à se montrer constructifs, ne proposant rien ou presque.
Presque, car lorsqu’il s’agit de brosser un tableau crépusculaire de la Côte d’Ivoire, reconnaissons aux contempteurs de Ouattara un certain talent d’imagination. Ainsi, dans un papier publié le 19 février sur le site de Causeur, le journaliste franco-camerounais Charles Onana, auteur par le passé d’ouvrages pro-Gbagbo, affirme que le pays émerge de 20 ans « de chaos politique et de guerre civile sanglante ». Ah bon ? Depuis le départ de Laurent Gbagbo et l’arrivée d’Alassane Ouattara au pouvoir, en 2011, le pays flirte pourtant avec une croissance à deux chiffres, se classe régulièrement parmi les meilleures progressions du classement Doing business de la Banque mondiale, attirant les investissements étrangers à tours de bras. Pas vraiment la marque d’un pays « à feu et à sang »…
L’économie ivoirienne à l’avenant
L’honnêteté intellectuelle exige que l’on reconnaisse le rôle d’Alassane Ouattara dans les progrès économiques réalisés par la Côte d’Ivoire. Son bilan est en effet l’un des plus solides de l’histoire du pays, à tel point que la dernière décennie est souvent qualifiée de « second miracle ivoirien » par les observateurs. Alors qu’en 2011, l’économie s’était contractée de 4,8 % avec les soubresauts de la crise socio-politique, la croissance a repris de plus belle et a affiché sur les dernières années l’un des plus forts niveaux au monde. Selon les données du Fonds monétaire international (FMI), le PIB a progressé en moyenne de 8 % entre 2011 et 2018.
Aujourd’hui, le pays est l’un des plus dynamiques de l’Afrique de l’Ouest et pèse pour près de 40% du PIB de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA). Il est vrai que l’embellie économique ne profite pas encore à toutes les couches de la population, notamment dans les zones rurales. Mais on ne peut pas balayer d’un revers de la main les efforts de l’exécutif pour rendre la croissance plus inclusive. En 2013, le salaire minimum a ainsi été augmenté de 60%, passant de 36 000 Francs CFA à 60 000, alors qu’il n’avait pas été revalorisé depuis 18 ans.
Président surtout par « devoir citoyen »
Si les adversaires politiques avancent que la conservation du poste de chef d’État est la seule ambition d’Alassane Ouattara, il faut rappeler qu’à 79 ans, l’homme n’a plus rien à prouver, ne cherchant qu’à maintenir ses acquis. C’est d’ailleurs ce que la nomination du défunt Premier ministre Amadou Gon Coulibaly comme candidat initial du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie etla Paix (RHDP) à l’élection présidentielle du 31 octobre devait lui permettre de faire. Avec celui qu’il surnommait son fils, Ouattara avait trouvé un remplaçant idéal. Le décès brutal de celui-ci le 8 juillet, à quelques mois de l’élection, ne lui a pas laissé d’autre choix que de se présenter pour continuer de faire vivre son projet politique.
Même si la campagne électorale s’est déroulée sur fond de fortes tensions, le chaos que prédisaient certains n’a pas eu lieu. Le pays a connu des troubles qui se sont soldés par la mort de plus de 80 personnes, mais ils sont largement dus à l’opposition, justement, qui au lieu de défendre ses chances dans les urnes a préféré, par la voix de son leader Henri Konan Bédié, en appeler à la « désobéissance civile ». Toujours est-il qu’après avoir boycotté les élections législatives de décembre 2011 et de décembre 2016 ainsi que la dernière présidentielle, l’opposition semble déterminée à prendre sa place dans cette nouvelle joute électorale.
Qui a peur de l’opposition ivoirienne?
Pour renouveler les 255 membres de l’Assemblée nationale du pays, les calculs politiques vont bon train. S’il est déjà acquis que l’opposition participera à ce scrutin, les interrogations demeurent sur sa tangibilité, tant elle semble davantage affairée à se tirer dans les pattes qu’à proposer à ses militants la cohésion et le programme politique qu’ils sont en droit d’attendre.
Ainsi, l’incapacité de l’opposition à présenter des listes communes pour tenter de briguer davantage de sièges se manifeste par exemple dans la circonscription de Gagnoa, où le Front populaire ivoirien (FPI) pro-Gbagbo et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié ne feront pas front-commun. Et si le PDCI et Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS), la plateforme des formations pro-Gbagbo, présenteront des candidats communs dans la plupart des 205 circonscriptions, cette union devra affronter un autre bloc d’opposition, celui du Front Populaire Ivoirien (FPI) pro Pascal Affi N’Guessan. Sans compter le COJEP de Charles Blé Goudé, l’UDPCI d’Albert Toikeusse Mabri, et Agir de Martial Ahipeaud qui présenteront des candidatures uniques, dénonçant la mainmise des deux partis historiques (FPI et PDCI) dans le choix des candidats. Soit autant de chances, pour l’opposition, de ne pas parvenir à obtenir beaucoup de sièges face à un RHDP uni, déterminé, en ordre de bataille.
Afin de poursuivre son objectif affiché de servir la Côte d’Ivoire, l’opposition ivoirienne serait inspirée de commencer par l’aider à ériger un multipartisme digne de ce nom, en irriguant le débat politique d’idées plutôt que de récriminations sans fin, quand il ne s’agit pas de contre-vérités éhontées à l’encontre du bilan de la majorité. Elle ferait mieux, également, de proposer un visage uni face au RHDP, qu’il est facile de taxer d’hégémoniste alors qu’il se contente de se présenter à ses électeurs de façon claire et ordonnée face à des adversaires brouillons, à la feuille de route illisible. La nation éburnéenne se cherche toujours une opposition digne de ce nom.
Un texte de Nicolas Leblond, maître de conférences de droit privé et Éric Desmons, professeur de droit public
Assiste-t-on à un coup d’État des personnels de santé ? À une tentative de putsch médical, malgré la résistance tardive du président de la République aux oukases du Conseil scientifique ? Depuis la décision présidentielle, annoncée par le Premier ministre, de ne pas confiner la population française pour une troisième fois, l’offensive de certains médecins médiatiques dénonçant ce qu’ils estiment être une folie et réclamant urgemment un nouveau confinement a repris, justifiée désormais par l’objectif « zéro Covid ». Pourtant, les décideurs publics n’obtempèrent plus, ou en rechignant, et en jetant un œil inquiet sur une société civile à bout de nerfs. C’est même un dialogue de sourds qui semble s’instaurer. D’un côté les courtisans ébahis louent les lumières du chef de l’État (« un jour, il pourra briguer l’agrégation d’immunologie », s’extasie le président de l’Assemblée nationale). De l’autre on campe sur ses positions : la faculté, qui sait bien mieux que tout le monde, ne se laissera pas faire. On croirait entendre Céline dans sa thèse de doctorat en médecine sur l’hygiéniste Semmelweis : « Quant à répondre point par point aux arguments qui paraissent tous décisifs à nos détracteurs, il faut y renoncer, car nous ne parlons pas le même langage ». Le langage de l’épidémiologie n’est pas celui de la politique, mais il n’échappe à personne que certains médecins veulent s’en saisir.
Les experts pestent de voir le pouvoir leur échapper
Pour appuyer leur revendication, les médecins qui sont partisans du reconfinement n’hésitent pas à convoquer l’argument d’autorité : la Vérité scientifique ne saurait mentir et ce confinement est nécessaire parce qu’il est inéluctable. Il serait en effet seul en mesure de contrecarrer l’épidémie (même si certains scientifiques comme le professeur Ioannidis ont pu montrer l’inefficacité de cette stratégie). Ces médecins prennent néanmoins la précaution de dire que la décision ne leur appartient pas et qu’évidemment, d’autres aspects doivent être pris en compte comme les questions économiques, sociales, psychologiques… Mais on ne peut s’empêcher de voir dans leurs réactions et revendications la frustration de ceux qui ayant eu le pouvoir et le voyant leur échapper, tentent de le récupérer. L’occasion leur est donnée de prétendre à un rang supérieur – ou jugé tel – à celui de simples techniciens de la santé.
La décision qu’ils réclament à cors et à cris met sous une lumière crue les rapports entre la médecine – et l’on pourrait dire la science en général – et l’art de gouverner, en période exceptionnelle. On observe à cette occasion non seulement une confusion entre les domaines de la politique et de la médecine, ce qui est normal jusqu’à un certain point si l’on s’en tient à l’objet sur lequel portent les décisions à prendre, mais qui l’est moins lorsqu’est invoquée l’autorité de la science pour imposer des choix stratégiques. Mutatis mutandis – et ce n’est pas pour rien qu’un temps le président de la République se plut à parler de guerre contre le virus -, on retrouve les problématiques qui se posent en temps de conflit, entre tactique et stratégie, autorité militaire et autorité civile : qui des militaires ou des civils doit arraisonner la direction politique de la guerre ? On connaît la réponse que fit Clemenceau pour réaffirmer la supériorité de l’autorité politique dans la conduite des opérations ainsi qu’une forme de séparation des pouvoirs, garante du fonctionnement démocratique des institutions : celle des experts et celle des politiques, de la supériorité de ces derniers, notamment parce qu’ils ont, normalement, à rendre compte des décisions qu’ils prennent.
Le confinement réduit la vie à sa dimension biologique
Puisqu’il s’agit de politique, il convient d’identifier l’objectif que ces apôtres du confinement poursuivent. Bien sûr, de façon immédiate, ils affirment qu’ils veulent éviter à la fois des décès et la saturation du système de santé. Qui pourrait être contre un tel objectif ? En écoutant et en lisant ces médecins, on s’aperçoit qu’ils prennent pour modèle la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou certains pays asiatiques qui eux, poursuivent explicitement l’objectif « 0 Covid ». Toutefois, outre que les pays pris en exemple sont des îles ou des pays moins soucieux des libertés que le nôtre, le SARS-Cov-2 appartient à la famille des coronavirus dont l’histoire a montré qu’ils sont endémiques. Il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement du SARS-CoV-2. Dans ces conditions, le confinement et la stratégie « 0 covid » que ces médecins réclament apparaissent sous un autre jour : face à ce virus qui persistera, il faudra se résoudre à confiner sans cesse et à restreindre considérablement nos libertés les plus élémentaires. Loin d’un modèle humaniste, ces médecins proposent un projet social fondé sur la réduction de notre vie à sa dimension biologique. Certes, ces médecins disent du confinement qu’il n’est pas la solution et que celle-ci réside dans la vaccination. Mais dans le même temps, ils indiquent que la vaccination pourrait ne pas être efficace face aux nouveaux variants et qu’en conséquence, il faudra continuer à pratiquer ces fameux « gestes barrières », au premier rang desquels se situe la « distanciation sociale » et donc, le confinement. On comprend alors que si ces médecins réclament si fortement le confinement, c’est qu’il leur apparaît comme une panacée et un nouveau modèle social : celui d’un monde dépourvu de maladies et donc, de malades.
Pour reprendre Michel Foucault, nous sommes arrivés à l’âge de la « bio-politique », celui où « le biologique se réfléchit dans le politique » : le pouvoir s’exerce désormais davantage sur des corps que l’on discipline que sur des sujets auxquels on commande ; il « prend en charge la vie », qui devient ainsi l’enjeu des luttes politiques et la valeur cardinale des sociétés contemporaines (d’où les enjeux considérables autour de la santé publique). Comme Hobbes l’avait parfaitement analysé au XVIIe siècle, la conservation de soi, au sens biologique du terme, est désormais la finalité du contrat social puisque la plus puissante des passions individuelles sur laquelle se construit la politique est la peur de la mort, ou le désir de se conserver en vie. Dans l’ordre des préoccupations, la vie nue prend le pas sur la vie qualifiée et le « vivre bien » se réfugie dans la bonne santé. Ce projet, pavé de bonnes intentions, apparaît comme une sorte d’extension de la politique ducare– du « soin mutuel » – dont la science médicale révèlerait la loi naturelle, comme jadis les jurisconsultes le faisaient pour le droit. Mais il faut voir que ce que promet ce despotisme éclairé et hygiéniste n’est pas un projet émancipateur : on préconise en effet d’enfermer plutôt que libérer, de contrôler plutôt que d’émanciper. Hobbes prend le pas sur Rousseau, en somme. Et, pour s’en inquiéter, l’on pourrait ici plagier ce dernier : on peut vivre en bonne santé dans un cachot, mais « en est-ce assez pour s’y trouver bien ? ».
Un précautionnisme bourgeois ?
Ce modèle, par l’ampleur de ce qu’il modifierait dans nos vies, doit être assumé pour être discuté, et l’argument d’autorité complètement évacué. Cela est d’autant plus nécessaire que les mois qui viennent de s’écouler l’ont montré : la vérité scientifique n’existe pas et la politique des experts est toujours partielle, voire partiale. Or, on peut justement déceler un jeu de pouvoir dans la posture adoptée par ces médecins : certains, souvent les plus médiatisés, ne renoncent pas à faire croire que leur science permet de trouver « la » solution à la pandémie qui nous menace. Il y a à n’en pas douter un réflexe corporatiste dans cet appel au confinement face à un pouvoir qui par ses décisions, essaie de ménager les autres aspects de la vie sociale et économique. Pour faire passer le remède, ces médecins « confinistes » jouent sur la corde de l’émotion et de la peur pour rendre légitime la mesure qu’ils préconisent : c’est que des gens meurent, ce que personne ne contestera – dans quelles proportions, il est en vérité difficile de l’évaluer, malgré les décomptes officiels quotidiens dont le moindre des effets est d’entretenir un climat d’angoisse permanente.
Mais si les décès dus au covid sont insupportables à ces médecins, comme ils aiment à le dire, quels sont ceux qui, à leurs yeux, sont au contraire supportables ? Quelle est finalement, d’après eux, la bonne façon de mourir ? On en vient même à s’interroger sur le caractère tout simplement acceptable de la mort pour ces médecins. Cette volonté de confiner à tout prix révèle en creux une peur de la vie et de ses risques, en même temps que le rêve d’une société enfin domestiquée, au sens profond du terme. C’est ce que le philosophe Matthew Crawford nomme le « précautionnisme », à savoir « la détermination à éliminer tout risque de la vie, […] sensibilité nettement bourgeoise ». Caricature pourront répondre ces médecins. Possible… Mais s’ils ne veulent pas qu’on leur prête ces mauvaises intentions, qu’ils tombent enfin le masque ! Et qu’ils méditent encore Céline, toujours dans sa thèse de médecine : « L’heure trop triste vient toujours où le Bonheur, cette confiance absurde et superbe dans la vie, fait place à la Vérité dans le cœur humain ».
Le concept d’islamo-gauchisme provoque chez certains journalistes et commentateurs une défiance immédiate et des critiques virulentes.
Le lien entre les deux idéologies-religions n’est pourtant pas nouveau, ils ont des racines communes. Les similitudes entre le communisme et l’islamisme en sont la preuve, dans le dogme et le mode de fonctionnement en particulier. Deux formes de totalitarisme. Plus que des cousins, des frères. Voici quelques explications.
De retour de Russie, en 1920, le philosophe britannique Bertrand Russell remarque les ressemblances entre l’idéologie marxiste-léniniste et l’islam : « Le bolchevisme combine les caractéristiques de la Révolution française et celles de la levée de l’islam, (…) avec des dogmes définis et des écritures révélées. La religion de Mahomet et le bolchevisme sont des religions pratiques, sociales, non spirituelles et soucieuses de gagner l’empire de ce monde ». (Pratique et théorie du bolchevisme, 1920)[tooltips content= »Cité par Thierry Wolton dans Une histoire mondiale du communisme (tome III, Les Complices), Grasset »](1)[/tooltips]. Russell a vu juste il y a cent ans. Plus tard, l’historien et sociologue Maxime Rodinson définira l’islam comme « un communisme avec Dieu ».
Le communisme est une religion d’État
Si, à la base de l’islamisme il y a une religion d’inspiration divine, nombreux sont les spécialistes qui considèrent le communisme comme une religion d’État. D’un côté le Coran et la charia, de l’autre le Manifeste de Marx et les directives du Parti. Les textes imposent aux êtres humains une manière de vivre qui doit suivre absolument, pour l’un les préceptes religieux, pour l’autre les règles de l’idéologie. Tout écart est puni, par l’enfermement, la torture ou la mort. Les deux ont la prétention d’offrir le bien être absolu à tous mais pour cela il faut éliminer les « ennemis du peuple ». C’est-à-dire les représentants du monde libre, de la démocratie capitaliste, de tous ceux qui ne se conforment pas aux normes religieuses ou idéologiques. Ou aux deux, car l’islam est à la fois une religion et une idéologie. Il n’accepte aucun pouvoir différent, séculier, il est au-dessus de toutes les lois. En fait, les sourates sont les lois. Celles du communisme sont, elles, élaborées selon les dogmes marxistes. Elles ne protègent pas les individus, elles en font les serviteurs du marxisme-léninisme. On voit que, islam et communisme, le but est le même : faire émerger un « homme nouveau », un parfait musulman ou un parfait citoyen, les deux façonnés par la religion ou le Parti. L’objectif est la société parfaite, d’un côté celle qui respecte à la lettre la doctrine islamiste, de l’autre celle qui réalise l’utopie socialiste.
Les similitudes sont tout aussi frappantes dans les coulisses de ces nobles ambitions, qui abritent la machine répressive, un appareil très perfectionné de contrôle, de censure et de châtiment impitoyable. Son fonctionnement est totalitaire: on purge et on élimine. On donne des exemples, on condamne et on punit ouvertement, sur la place publique. Procès publics, repentance publique des innocents, mises au pilori et exécutions à grand spectacle, lapidations devant la foule en colère… les scènes se ressemblent, sous Mao et sous la charia. Les deux idéologies-religions doivent êtres pures, toute autre forme de culture censurée ou, mieux, détruite. Les enfants sont dressés, endoctrinés, mis au travail, enfermés s’il le faut. En ce qui concerne les femmes cependant, avantage Mao : elles ne sont pas discriminées. Aucun interdit ne les frappe en tant que femmes. Ni en tant que travailleuses au service du bien-être des masses. Ni bien entendu en tant que victimes du goulag, du laogaï ou des génocides. L’islam ne leur laisse, dans la société, que ce statut de victimes.
La conversion ou la mort
Autre terrain de rencontre, le terrorisme. On sait aujourd’hui, après l’ouverture des archives, que l’URSS et les pays de l’Est, anciennement communistes, ont soutenu, financé et abrité de nombreux terroristes islamistes. Carlos, l’un des plus célèbres, a affirmé : « L’islam et le marxisme-léninisme sont les deux écoles dans lesquelles j’ai puisé le meilleur de mes analyses » (L’islam révolutionnaire, du Rocher, 2003). Des dictateurs comme Kadhafi ou Bachar el-Assad ont sévi avec l’aide de l’URSS et des dictatures communistes. La frange terroriste palestinienne a été financée et armée par Moscou, comme de nombreuses organisations islamistes en Afrique. A-t-on oublié le rôle joué par les « conseillers » soviétiques en Algérie lors de l’indépendance et la catastrophe économique qui a suivi, jusqu’au basculement du pays vers la guerre civile ? Le marxisme s’est développé comme le djihadisme, avec des milices et organisations paramilitaires qui ont agi, comme le font les islamistes, un peu partout dans le monde afin de déstabiliser des pays et des continents, de l’Amérique latine à l’Asie, en passant par l’Afrique. L’Europe, avec ses organisations terroristes d’extrême gauche des années 1960-1970, n’y pas échappé.
Communisme et islamisme sont l’un comme l’autre des ennemis de notre civilisation. Ils veulent notre conversion ou notre mort. L’islam n’accepte pas l’apostasie, le communisme ne tolère pas le renoncement idéologique. Aucune tolérance n’est acceptée. Entre les deux, il y a surtout des affinités et très peu de différences. Ce sont les pires ennemis (avec le nazisme) du monde libre et il faut les combattre en permanence.
La fin du communisme a laissé le champ libre à l’islamisme qui a trouvé un terreau extrêmement propice. Les gauchistes s’y retrouvent avec aisance, croyant ainsi perpétuer l’utopie marxiste. Il n’y a pas la moindre raison valable de contester le concept d’islamo-gauchisme.
Une Anglaise ayant vécu dans le Paris de la Restauration et de la monarchie de Juillet a laissé des mémoires inédits oubliés dans une malle après sa mort en 1918. Publiés récemment, ils nous plongent dans une France où on faisait la queue pour voir Hernani à la Comédie-Française et où l’on croisait Flaubert sur la plage.
Dans une malle oubliée, de l’autre côté de la Manche, dormait un ensemble de documents manuscrits proprement enchantés. Partiellement publiés aujourd’hui, ils libèrent, comme un flacon ancien, l’envoûtant parfum qu’ils contenaient, le témoignage d’une Anglaise sur deux écrivains majeurs du XIXe siècle, Gustave Flaubert et Victor Hugo. Ce livre remarquable[tooltips content= »Gertrude Tennant, Mes souvenirs sur Hugo et Flaubert (éd. Yvan Leclerc et Florence Naugrette, trad. Florence Naugrette et Danielle Wargny, postface Jean-Marc Hovasse), De Fallois, 2020. »](1)[/tooltips] nous permet de croire que la France est toujours une patrie littéraire.
Gertrude, née Collier et devenue par mariage Gertrude Tennant (1819-1918), est arrivée en France, à Honfleur, à l’âge de cinq ans, au printemps 1825. Son père, Henry Theodosius Browne Collier, avait décidé ce déménagement dans la hâte, malgré son mépris des Français, les tenant pour un peuple sale, régicide et mécréant. Les Collier s’installèrent à Paris. Ils y demeurèrent vingt ans. Le spectacle de la rue, le charme des habitants, leur vivacité d’esprit, tout cela plut infiniment à Gertrude. Elle devint francophone et francophile.
Flaubert en demi-dieu marin
Flaubert tout d’abord : on a gardé l’image d’un homme au torse puissant, à la mine austère, chauve largement sur le front, les lèvres dissimulées par une moustache épaisse, et une tristesse inconsolable dans les yeux. Viking neurasthénique, rosissant comme un fiancé jamais déclaré devant la princesse Mathilde, il semblait un ours encombré de lui-même. À 20 ans, son dieu littéraire se nomme Victor Hugo. C’est également l’auteur français préféré de Gertrude Collier.
Gertrude et sa sœur Henriette font la connaissance de Caroline et de son frère, Gustave, étudiant en droit, sur la plage de Trouville. Caroline est belle, distante, sérieuse, douée pour tout. Quant à Gustave : « Grand, mince, doté d’un corps parfait [il est] totalement indifférent aux convenances et aux bonnes manières […]. Le jeune homme et son terre-neuve avaient l’air de passer le plus clair de leur temps dans la mer. » Gustave et Gertrude entretiendront une longue correspondante ici révélée[tooltips content= »Germaine n’apprécia nullement Madame Bovary ; elle en fit même reproche à Flaubert, gênée du comportement immoral d’Emma. Pourtant, Mgr Dupanloup, parlant d’expérience, ne s’en offusqua point, lui. À Dumas fils, qui l’interroge : « Comment trouvez-vous Madame Bovary ? », il répond sobrement : « Un chef-d’œuvre, monsieur… oui, un chef-d’œuvre, pour ceux qui ont confessé en province. » (Edmond de Goncourt, Journal, 16 novembre 1875). »](2)[/tooltips]. Gustave-de-Normandie y démontre une puissante mélancolie dans l’évocation des ombres qui peuplent sa mémoire et de « cette plaisanterie bouffonne qu’on appelle la vie » (lettre à Ernest Chevalier).
Hugo ? Connais pas !
Le 25 février 1830, la petite Anglaise passe avec son père devant la Comédie-Française. La foule se presse, une pièce de Victor Hugo, Hernani, y sera jouée : avec cette œuvre naît le drame romantique. L’enfant demande à Henry Theodosius s’il connaît Victor Hugo : « Jamais entendu parler de ce type. Un violoneux français, je suppose », répond-il avec dédain. Commentaire de Gertrude : « Mon père, officier de la marine anglaise […] s’enorgueillissait de ne pas savoir un seul mot de français, et pensait sincèrement qu’un seul Anglais valait bien une demi-douzaine de Français. » Gertrude ne se doutait pas que le hasard lui avait fait croiser la grande histoire littéraire, ni qu’elle deviendrait une fervente admiratrice du « violoneux ».
Elle retrouve Victor Hugo, en particulier à Guernesey, en 1862, où l’écrivain proscrit réside de 1856 à 1870. C’est un autre personnage, plus affable, un homme d’intérieur dont elle juge le goût extravagant, un séducteur : « Sa voix […] était si mélodieuse, riche et sonore que le français, parlé par lui, paraissait une nouvelle langue ! » Définitivement installée à Londres, Gertrude tient l’un des salons les plus réputés de son temps. Elle se fait mémorialiste, sans intention d’être publiée. Elle meurt presque centenaire, et l’on oublie ses écritures au fond d’une malle.
D.R.
[Entretien]
Entretien avec Yvan Leclerc et Florence Naugrette qui ont dirigé l’édition des lettres et souvenirs de Gertrude Tennant.
Causeur. Y a-t-il vraiment une malle ?
Yvan Leclerc. Oui, je l’ai vue, et j’ai vu le grenier où elle se trouvait. J’avais été informé de son existence par l’excellent David Waller[tooltips content= »David Waller, La Vie extraordinaire de Mrs Tennant, grande figure littéraire de l’ère victorienne, Buchet Chastel, 2011. »](3)[/tooltips], alors qu’il écrivait sa biographie de Gertrude, en 2006. Je me suis rendu en Angleterre, en 2015, dans cette ferme du Surrey, où l’on élève des moutons, habitée par l’arrière-petite-fille de Gertrude Tennant. Et j’ai ouvert la malle au trésor : un journal intime, des agendas, des lettres de Henry James, d’Oscar Wilde, celles de Flaubert, les deux mémoires de Gertrude sur Victor Hugo et Gustave Flaubert que nous reproduisons. Je lis très mal l’anglais, mais il était aisé de saisir l’importance de ces documents, aussi me suis-je employé à convaincre les propriétaires de ne pas les disperser. Gertrude y démontre les qualités d’une diariste vraiment douée, alors que le texte de fiction dans lequel elle romance son idylle avec Flaubert est plutôt décevant.
Elle a laissé un roman, où il est question d’un baiser… Dites-nous tout : que s’est-il passé entre ce demi-dieu barbare et arrogant et la belle Anglaise ?
Florence Naugrette. On ne sait rien de précis, mais sans doute pas plus qu’un baiser. Flaubert fréquente les prostituées ; dans son esprit, les frontières sont fixées définitivement : il y a les femmes pour le plaisir, et les autres. Gertrude et sa sœur, issues d’une famille honorable, appartiennent à la seconde catégorie. Un baiser « fougueux » a – peut-être – été échangé à Paris, l’année suivante, où ils se retrouvent un soir, à l’Opéra. On peut l’imaginer grâce à ce roman, lui aussi présent dans la malle, très mièvre, dépourvu du charme de ses notes. La soirée à l’Opéra est réelle, attestée par les écrits de Gertrude et de Gustave. Flaubert avait un béguin plus prononcé pour Henriette, la sœur. Gertrude en a-t-elle éprouvé de la jalousie ? On le soupçonne à certains indices, mais rien ne prouve que Flaubert a suscité une rivalité amoureuse entre elles.
Cela dit, leurs jeux de séduction n’ont visiblement pas outrepassé les limites du flirt. On peut le déduire du conseil que lui adresse Maxime Du Camp dans une lettre du 30 septembre 1851 : « Fous Gertrude, fous Henriette ! » Cet ordre impérieux démontre qu’il ne l’avait pas fait. Peu de temps après, les deux sœurs, de respectables anglicanes, se marièrent…