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Strasbourg: la fausse bonne idée de la fin du Régime concordataire


Suite à l’affaire de la mosquée Eyyub Sultan à Strasbourg, certains – surtout à gauche – se sont empressés d’exiger la fin du Concordat d’Alsace-Moselle, parfois avec les meilleures intentions du monde. C’est pourtant une fausse bonne idée, qui repose sur l’illusion dangereuse qu’il faudrait traiter toutes les religions de la même façon.


Céline Pina a clairement décrit la situation strasbourgeoise, et le soutien financier colossal que la mairie EELV a décidé d’octroyer à une association islamiste pour bâtir ce qui doit être le double symbole de la conquête progressive de l’Europe par l’islam, et de l’impérialisme turc. Je n’y reviens donc pas.

Ce qui m’intéresse ici, c’est d’analyser les réactions qui partent de ce constat pour demander la fin du Concordat, régime juridique spécifique à l’Alsace-Moselle et dérogatoire de la loi de 1905 relative à la séparation des églises et de l’État.

Un compromis historique pour les anciens sujets du Kaiser

Pour mémoire, ce Concordat est le fruit de circonstances historiques particulières. En 1905,  l’Alsace et la Moselle étaient allemandes : le Reichsland Elsaß-Lothringen. Contrairement à ce que pourraient laisser croire les dessins charmants mais militants de l’Oncle Hansi, la reconquête par la France à l’issue de la première guerre mondiale ne se déroula pas sans heurts : il fallut faire des compromis et des concessions pour que les anciens sujets du Kaiser adoptent (plus ou moins volontiers) leur nouvelle identité de citoyens de la République. Conformément à une promesse du Général Joffre puis du Président Poincarré, l’Alsace-Moselle concerva donc un régime des cultes qui lui est propre, à savoir celui du concordat napoléonien complété par quelques lois allemandes prises pendant la période 1871-1918.

Outre divers particularismes juridiques ouverts à tous (par exemple une version locale du droit d’association, la loi de 1901 ne s’appliquant pas), le Concordat stricto-sensus concerne spécifiquement quatre cultes : catholique, luthérien, réformé, et israélite. Contrairement à ce que l’on imagine parfois, ni les autres églises protestantes (évangéliques, mennonites….) ni les églises orthodoxes (russe, roumaine, grecque….) n’en bénéficient.

L’islam ne fait pas partie des religions concordataires

On peut évidemment critiquer le Concordat pour de nombreuses et légitimes raisons, à condition qu’elles soient cohérentes. Notamment, l’argument naturel selon lequel la loi doit s’appliquer de la même manière sur tout le territoire national devra-t-il intégrer les Outre-Mers et leurs particularismes dans sa réflexion. On peut aussi aspirer à une évolution de ce système : ainsi, à titre personnel je ne verrais aucun inconvénient à ce qu’il soit étendu par exemple au bouddhisme ou aux églises orthodoxes, parfaitement assimilées, ou encore aux associations de libres-penseurs.

Mais partir du cas précis de la compromission d’une municipalité EELV vis-à-vis de l’islamisme pour attaquer le Concordat n’a pas de sens, et voici pourquoi.

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D’abord, il est faux de croire que le régime juridique concordataire serait nécessaire au clientélisme. Les cas sont hélas nombreux qui montrent que des municipalités de tous les bords ou presque trouvent des moyens légaux pour courtiser le communautarisme en général, et la communauté musulmane en particulier. Trappes, par exemple, n’est pas sous régime concordataire, et pourtant la situation y est pire que dans n’importe quelle commune d’Alsace-Moselle. Et l’on pourrait parler de Bobigny, de Grenoble, de Rennes, et j’en passe.

Ensuite, il faut rappeler que l’islam ne fait pas partie des religions concordataires. Il serait pour le moins paradoxal de priver d’avantages concédés depuis longtemps des cultes respectueux des lois françaises, sous prétexte qu’un culte qui n’est pas l’un d’entre eux ne respecte pas ces mêmes lois ! C’est un peu comme si l’on prétendait lutter contre l’insécurité routière en retirant leur permis de conduire à des conducteurs respectueux du code de la route, sous prétexte qu’un chauffard roulant sans permis n’a pas respecté ce code… Certes, le régime juridique d’Alsace-Moselle offre des facilités à tous les cultes, quels qu’ils soient. Mais là encore : les en priver tous alors qu’il n’y en a qu’un seul qui pose problème serait à la fois injuste et dangereux.

Il serait malvenu d’ajouter de nouvelles tensions

Injuste d’abord : je l’ai dit, la situation des cultes respectueux des lois est une véritable question, et il ne serait pas choquant que les bouddhistes, les orthodoxes ou les athées militants se plaignent d’être privés des avantages reconnus aux catholiques, aux luthériens ou aux juifs. En revanche, nul ne peut sérieusement nier qu’aujourd’hui l’islam pose, en France comme partout sur la planète, des problèmes que ne pose aucune autre religion. Entre les attentats, les pressions mondiales contre la liberté d’expression, et la négation quasi-systématique de la liberté de conscience là où les communautés musulmanes disposent d’une influence suffisante pour imposer leur volonté, la liste est aussi longue que sinistre, et il serait pour le moins paradoxal qu’elle soit sans conséquences.

Bien sûr, le militantisme anti-occidental acharné du Pape François comme l’obscurantisme de beaucoup d’évangéliques américains, ou de certains juifs ultra-orthodoxes, nous rappelle que la vigilance est toujours nécessaire, mais enfin ! Même ces évidentes dérives restent insignifiantes en comparaison de tout ce qui est imputable à l’islam – et pas seulement à l’islamisme.

Bien sûr aussi, certains ne manqueront pas de hurler à la discrimination – à tort. Que la loi soit la même pour tous n’implique absolument pas qu’il faille traiter de la même manière ceux qui la violent et ceux qui la respectent. Un culte qui promeut comme référence normative suprême un corpus de règles encourageant l’esclavage sexuel des prisonnières de guerre et la mise à mort des apostats ne saurait prétendre être traité comme une communauté religieuse « normale ».

A lire aussi: Strasbourg: quand Jeanne Barseghian s’abrite derrière le concordat pour financer l’islam politique

Dangereux ensuite : victimes d’une injustice manifeste, les cultes aujourd’hui concordataires ne seraient-ils pas poussés dans les bras d’un « front des religions » unies contre les « laïcards » ? Front évidemment et inévitablement instrumentalisé par les pires fanatiques pour attaquer une laïcité qu’il deviendrait facile de présenter (à tort) comme l’instrument d’un « athéisme d’état » ne disant pas son nom.

Restreignant tous les cultes à cause des dérives d’un seul, la loi sur les « principes républicains » a d’ores et déjà attisé des tensions inutiles. Certaines des absurdités de la gestion de la pandémie de Covid-19 ont fait de même. Il serait malvenu d’en rajouter encore, en menaçant des religions qui n’ont aucun rapport avec la soif de conquête des islamistes, ni avec l’impérialisme turc, et encore moins avec les délires et les compromissions de plus en plus manifestes d’EELV.

Au service d’un idéal plus grand

Plus encore : il serait malvenu de menacer des religions dont les clergés et les fidèles pourraient être des alliés précieux de l’idéal laïque d’émancipation et de dignité, contre les ambitions théocratiques séculaires de l’islam, contre l’influence du néo-sultan, contre l’entreprise de destruction de notre civilisation à laquelle se livre l’extrême-gauche, y compris dans sa forme soi-disant « écologiste », mais aussi contre la marchandisation du monde et de l’Homme aux mains impitoyables des seigneurs de la guerre économique.

Ni le Concordat ni la loi de 1905 ne sauraient être considérés comme des fins en soi. Ce ne sont que des moyens au service d’un idéal plus grand, idéal que partagent les vrais républicains et les courants humanistes de certaines religions – dont celles qui bénéficient aujourd’hui du Concordat. Et il est grand temps que tous ceux qui partagent cet idéal, croyants ou incroyants, s’unissent contre leurs ennemis communs au lieu de se tirer dans les pattes pour des prétextes totalement futiles au regard des vrais enjeux.

Un courrier de soutien à Didier Lemaire

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Parmi les nombreux messages de soutiens reçus par Didier Lemaire, celui-ci, envoyé par Rachid B., 62 ans, l’a particulièrement ému. Causeur le publie tel quel ce matin.


Cher Monsieur,

C’est un fils d’immigrés algériens et musulmans qui tient à vous témoigner sa sympathie après le tourbillon de malentendus, mais surtout la haine et les mauvais procédés dont vous avez été et continuez d’être la cible.

Je vous prie d’accepter l’expression de ma solidarité envers votre personne et votre métier si noble de professeur.

Relire Paul Yonnet

Je suis déjà un vieux monsieur (62 ans), un « chibani », et je partage entièrement non pas votre pessimisme, mais votre constat : la France ni l’Europe ne vivent plus dans la continuité historique de leur culture et de leur civilisation. La cause est entendue, comme l’a prophétisé Spengler il y a déjà un siècle. J’étais pourtant jusqu’à il y a quelques années encore lesté d’un vague espoir de sursaut. En 1993, le sociologue Paul Yonnet essuyait une vague d’hostilité de la part des journalistes bien-pensants dont beaucoup sévissent encore aujourd’hui, après la publication de son Voyage au centre du malaise français. Il faut relire ce qu’en disaient alors les Joffrin, Szafran, Ferry, Jean-Paul Enthoven, Robert Maggiori, Colombani, Françoise Giroud, Gérard Leclerc, etc. 

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Rencontre avec Didier Lemaire: un hussard de la République aux prises avec l’islamisme

Pour y répondre, il écrivait dans Le Débat : « Les choses sont ce qu’elles sont. Je n’écris pas dans la collection Harlequin, ni pour la Bibliothèque rose. Ce livre est un livre sur la mort et sur l’angoisse. De la première à la dernière page, il parle de la mort, de la dilution. Non pas de la mort individuelle, mais de quelque chose de bien pire, de ce qui rend supportable la mort des individus parce qu’elle lui donne un sens, la certitude d’avoir été un maillon de la continuité collective, ce sentiment de sécurité identitaire minimal et proprement humain qui autorise à œuvrer sans développer d’insupportables angoisses sur l’avenir du groupe. » C’était en 1993.

Un mode de vie étranger qui s’impose

On a prétendu vous faire dire que la ville de Trappes serait en quelque sorte « à feu et à sang ». Je suis bien placé pour savoir, comme « musulman d’apparence » vivant dans une HLM parisienne islamisée, que la violence physique n’est pas nécessaire pour imposer un mode de vie et une culture totalement étrangère à la tradition française. Il y a à peine une semaine, tenant un chien en laisse devant l’ascenseur, mon voisin, père de famille tunisien qui se rend tous les jours à la Grande Mosquée toute proche, fort sympathique au demeurant, m’a supplié de ne pas l’approcher : « Si votre chien me frôle, je vais être obligé de refaire mes ablutions », m’a-t-il dit. 

Je vis en rasant les murs, supportant les insultes de gamins qui me surprennent avec une cigarette en période ramadan, me traitent de kouffar parce que je vis seul, etc. 

A lire ensuite, Martin Pimentel: A Trappes nigaud

Il faut aussi supporter la transformation du paysage en plein Paris : femmes enfoulardées, hommes barbus en kamis, etc. 

La « bande-son » aussi faite de dialectes exotiques auxquels on ne peut s’habituer lorsqu’on est amoureux d’une certaine langue qui constitue la vraie patrie. Il faut finir sa vie en exil.

Croyez bien, s’il vous plaît Monsieur, à mon entier soutien et à ma toute cordiale sympathie.

Rachid B.

Île de la Cité/marché aux fleurs: il faut craindre le pire


Villedeparisme. Après avoir entériné la fermeture du marché aux oiseaux, le conseil de Paris poursuit la « réhabilitation » du marché aux fleurs. Ce mot laisse présager une restructuration profonde de ce coin si poétique de la capitale. Quand la mairie de Paris parle d’esthétique, il faut craindre le pire.


Dès que la Mairie de Paris parle de patrimoine, on s’attend au pire. Une crainte plus que jamais justifiée dans le cas du marché aux fleurs – qui abrite le marché aux oiseaux chaque dimanche –, tant les menaces pesant sur cette place Louis-Lépine et ses pavillons fin xixe sont nombreuses et récurrentes. Nous avions été quelques naïfs à penser que la visite de la reine d’Angleterre, en juin 2014, sur ce marché rebaptisé à cette occasion « Marché aux fleurs-Reine Elizabeth-II », lui garantirait une protection éternelle. Las, dès 2016, François Hollande, alors président de la République (si, si, souvenez-vous), confiait à Dominique Perrault, l’architecte qui a commis la BNF-François-Mitterrand, une mission d’étude sur « l’avenir de l’île de la Cité ». Ceux qui ont vu l’exposition de son projet visionnaire à la Conciergerie sont encore en état de choc. Il proposait de raser toute cette place, selon lui scandaleusement sous-exploitée avec ses petits pavillons charmants et désuets, afin d’y construire un cube de verre sur plusieurs étages « à la façon du Crystal Palace ». Tant de modestie n’a pas convaincu et l’idée de transformer l’île-mère de Paris en centre commercial pour touristes a été abandonnée. De toute façon, il n’y a plus de touristes et le marché aux fleurs a pu tranquillement bénéficier de la négligence de la Ville. Comme souvent désormais, il a fallu attendre un état de dégradation avancée pour que le Conseil de Paris vote, en décembre dernier, sa réhabilitation avec « remise dans leur état d’origine des halles patrimoniales » et, pour cela, un budget de près de 5 millions d’euros. Le chantier devrait s’étaler de 2023 à 2025 (flûte, en plein JO).

On pourrait se féliciter de ce vote, mais cette mauvaise habitude de voir le mal partout me pousse à m’interroger sur les intentions réelles de la municipalité. Il suffit de lire son site pour se gratter la joue : « Le projet prévoit aussi de repenser l’usage des lieux pour les commerçants comme pour les visiteurs. Une piétonnisation des abords du marché et de ses allées centrales est prévue, ainsi qu’une végétalisation en pleine terre avec notamment la plantation d’arbres et l’implantation d’un stand de petite restauration. Le règlement du marché, actuellement en régie directe, sera aussi révisé. Enfin, les boîtes sur le quai de Corse devraient être déposées afin de retrouver la vue sur la Seine. »

Végétaliser un marché aux fleurs déjà blotti entre les arbres est une idée rigolote, je doute en revanche que la Préfecture de police voisine accepte la piétonnisation de la rue de la Cité qui la dessert. Couper la circulation quai de Corse ne serait qu’une contrariété de plus infligée aux Parisiens qui, à en juger par le résultat des élections, semblent adorer qu’on leur pourrisse la vie, et supprimer ces « boîtes » ne ferait que mettre quelques fleuristes au chômage. Sauf si le projet de réhabilitation prévoit de construire de nouvelles « halles patrimoniales » ; d’ailleurs, on préfère ne pas imaginer à quoi ressemblera le « stand de petite restauration » ni la nature de celle-ci.

Il est également annoncé le lancement d’un concours d’architectes. S’il est bien question d’une « remise dans leur état d’origine des halles patrimoniales », la supervision du chantier par un architecte des Monuments devrait suffire, non ? Faudrait-il comprendre que cette « remise en état » inclurait quelques mètres d’asphalte supplémentaires et quelques baraques d’architecte pour répondre à la promesse du Conseil de Paris de « repenser l’usage des lieux » ?

Sous la pression, bienvenue, d’une association de défense des animaux, la PAZ (Paris animaux zoopolis), l’Hôtel de Ville a d’ores et déjà commencé à le repenser, cet usage des lieux. Pour entériner la fermeture du marché aux oiseaux, institution remontant au Premier Empire, Christophe Najdovski, le maire adjoint chargé de la condition animale, a déclaré qu’il « était devenu l’épicentre d’un trafic d’oiseaux » et que, « malgré un certain nombre d’actions menées, ces trafics perdurent aujourd’hui ». On peut ici penser à cette expression : « Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage. » La PAZ dénonçait aussi un « vestige d’un autre temps ». Vlan ! Argument imparable, plus fort que les images filmées par L214 dans les abattoirs, et qui motive également ses actions pour fermer le zoo du jardin des Plantes et interdire la pêche dans la Seine.

Dans Les Échos du 26 novembre 2020, Emmanuel Grégoire, premier adjoint du maire de la capitale en charge de l’urbanisme et de l’architecture, annonçait tout de go qu’il y avait un « besoin » de repenser l’esthétique de Paris et qu’à cette fin, un « Manifeste pour une nouvelle esthétique parisienne » présentant la « doctrine » de l’équipe dirigeante verrait le jour au printemps, après une « grande consultation » qui inclura les élèves des classes primaires. Sa prose est un délice : « La mairie veut faire du design l’un des éléments de critères dans les appels d’offres pour les marchés publics […] avec des indications très contraignantes, comme des lignes de grammaires esthétiques ou un référentiel de couleurs imposées. » Pour rassurer les sceptiques, il ajoutait : « Nous essayerons d’aller le plus loin possible. »

Les intentions sont désormais très claires, donc, oui, je m’attends au pire. Toutefois, afin de surmonter cette mauvaise passe, j’envisage de faire appel à l’adjointe au maire en charge de la Résilience.

Signé Conchon!

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Sortie en DVD d’«Une affaire d’hommes» de Nicolas Ribowski, scénario et dialogue de Georges Conchon


Comment a-t-on pu si vite oublier le nom de Georges Conchon (1925-1990)? La postérité est forcément injuste. Dégueulasse même. Elle promeut les médiocres, les bateleurs et les habiles communicants de leur propre œuvre. Tandis que disparaissent des écrits essentiels au fond des boîtes, dans la poussière des bouquinistes, le papier jauni entre les mains et cette odeur tenace de semi-moisi qui prend le nez, Conchon écrivit des romans qui obtinrent pourtant, en leur temps, des distinctions à la pelle: Prix Fénéon 1956 pour Les Honneurs de la guerre, Prix des Libraires 1960 pour La Corrida de la victoire, Prix Goncourt 1964 pour L’État sauvage etc… Et même des romans qui connurent des adaptations au cinéma avec, s’il vous plaît Visconti, Rouffio, Annaud, Girod ou Chéreau (L’Étranger, Sept morts sur ordonnance, La Victoire en chantant, Le Sucre, La Banquière, Lacenaire, etc…).

Conchon démontait les mécanismes les plus complexes, rien ne résistait à son appétit de dissection…

À ma connaissance, aucun comité de défense de Georges Conchon ne s’est constitué pour réparer cette injustice. Alors que d’autres écrivains mineurs ont droit à des campagnes d’affichage dans les rues de Paris et les génuflexions d’une presse culturelle déconsidérée par des années d’errements esthétiques. Que fait également l’Université si prompte d’habitude à colloquer sur les opprimés des Lettres et le moindre dissident politique ayant pondu un poème mal séquencé?

Le contraire d’un idéologue

On peut avancer deux arguments pour expliquer ce désintérêt, voire cette méconnaissance totale pour l’un des piliers de la littérature française dans la deuxième moitié du XXème siècle: Conchon écrivait bien et ses livres s’appuyaient sur une réalité sociale peu reluisante. Il enquêtait, à la manière des Américains, de longs mois, il s’imprégnait à fond d’un sujet afin d’en percevoir toutes les faces obscures, de la décolonisation au marché à terme de marchandises, il démontait les mécanismes les plus complexes, l’Afrique, le sucre ou le pouvoir judiciaire, rien ne résistait à son appétit de dissection.

Il n’avançait jamais avec les œillères de son milieu d’origine. Pour cet homme de gauche, aucun camp n’avait le monopole du cœur. Il distribuait les coups de griffe de chaque côté. C’était le contraire d’un idéologue, son indépendance d’esprit menaçait les affidés du système. À sa parfaite connaissance des thèmes les plus arides du moment, il avait le don inné pour le dialogue. Il préférait utiliser le singulier comme si le pluriel dénaturait sa tapisserie et détraquait sa dramaturgie.

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Le dialogue est un tout, harmonieux et rond, qui façonne une histoire. Conchon écrivait des histoires, de très bonnes histoires inspirées de faits réels qui passionnaient les lecteurs et fascinaient les réalisateurs. C’en était trop pour un seul homme. Un type qui plaît autant est forcément suspect aux yeux des aigris et censeurs de l’édition. Pour couronner le tout, il était Secrétaire des débats au Sénat. Fonctionnaire et écrivain, ami de Carmet et de Gégé, proche de Rocard et ayant été à l’école avec Giscard sous l’Occupation, Auvergnat et prolixe à la fois, pointilleux sur la véracité et doué d’un comique persifleur, humaniste sans être victimaire, doué pour le portrait psychologique et la frise policière, Conchon incarnait cette qualité «France» qui résiste au temps et qui nous manque tant. Il n’avait pas la gueule de l’emploi, pas le genre débraillé ou bohème chic, plutôt rond-de-cuir à la Courteline ou notaire balzacien; lunettes épaisses et costume trois pièces; rigueur vestimentaire et fantaisie littéraire. À son contact, on prend une leçon d’écriture et d’humilité que ce soit sur papier imprimé ou grand écran.

La précision d’une montre suisse

Datant de 1981, « Une affaire d’hommes » avec Claude Brasseur dans le rôle du commissaire Servolle et Jean-Louis Trintignant dans celui du promoteur immobilier Louis Faguet en est une illustration magistrale. Le film ressort en DVD agrémenté d’un entretien exclusif très éclairant avec le réalisateur Nicolas Ribowski. En évoquant le souvenir de Conchon, il file la métaphore horlogère, il parle d’une «Patek Philippe» tellement le scénario et le dialogue entraînent une mécanique implacable. La science narrative de Conchon a la précision d’une montre suisse, elle lance insidieusement le chronomètre de la défiance quand l’amitié vient à dérailler.

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Le film se passe essentiellement à Longchamp dans un peloton de cyclistes amateurs.

Quand l’un des coureurs vient à être accusé du meurtre de sa femme, le groupe vacille. À l’originalité du sujet et la beauté du duel fascinant entre Brasseur et Trintignant, mélange d’endurance et de désamour, «Une affaire d’hommes» vaut pour le décor. Les tours de pistes, les crevaisons et les fringales, l’hiver parisien, la sueur qui colle au cuissard et l’effort sans cesse renouvelé pour améliorer son chrono ou trahir ses amis. Le casting (Jean-Paul Roussillon, Jean Carmet, Eva Darlan, Béatrice Camurat, exceptionnel Patrice Kerbrat sans oublier la présence de Noëlle Châtelet et Elisabeth Huppert) fait de ce film, une référence du genre. Sucer la roue de Conchon n’est pas tromper!

Une affaire d’hommes – Film de Nicolas Ribowski – Scénario et dialogue de Georges Conchon – DVD Studiocanal

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L’école à la maison? Péguy et Stendhal répondent


Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.


L’article 21 de la loi sur le séparatisme visant à restreindre l’instruction à domicile ravive une guerre scolaire qui ne date pas d’hier. L’école laïque a pourtant été célébrée longtemps dans notre littérature comme une référence républicaine, politique mais aussi poétique, de Péguy à Marcel Pagnol en passant par Louis Pergaud. Mais l’école, laïque ou pas, est pour nombre de parents synonyme d’une intrusion dans l’éducation de leurs enfants par des valeurs qu’ils ne partagent pas. Le Monde publie le témoignage d’une mère qui a fait le choix d’éduquer ses trois filles à la maison: « L’État s’autoproclame premier éducateur de nos enfants, mais cela va à l’encontre de tous les textes fondateurs ! » Il est intéressant de voir que Charles Péguy, d’une certaine manière, conforte cette analyse : « Il ne faut pas que l’instituteur soit dans la commune le représentant du gouvernement ; il convient qu’il y soit le représentant de l’humanité ; ce n’est pas un président du Conseil, si considérable que soit un président du Conseil, ce n’est pas une majorité qu’il faut que l’instituteur dans la commune représente. [] Il est le seul et l’inestimable représentant des poètes et des artistes, des philosophes et des savants. » (Œuvres en prose) Pourtant Péguy poursuit : « Mais pour cela, et nous devons avoir le courage de le répéter aux instituteurs, il est indispensable qu’ils se cultivent eux-mêmes ; il ne s’agit pas d’enseigner à tort et à travers. »

Il semble là, par anticipation, répondre aux dérives pédagogistes et à la baisse du niveau des enseignants et des élèves qui sont aussi une des motivations de l’école à domicile. Premières raisons évoquées en effet par les associations : « La formation des enseignants incomplète, le refus du redoublement, l’évolution de la société qui fait que la parole de l’enseignant est moins prise en compte. »

A lire aussi, la tribune d’Anne Coffinier: Voilà pourquoi nous défendrons l’instruction en famille jusqu’à la victoire

Cette résistance fera-t-elle réapparaître dans le roman cette figure du précepteur qui avait disparu au profit de celle de l’instituteur ? Précepteur qu’on voit, par exemple, dans Le Rouge et le Noir avec Julien Sorel. Ce ne serait pas forcément fait pour rassurer les partisans de l’école à la maison : « Les enfants auxquels l’on avait annoncé le nouveau précepteur, accablaient leur mère de questions. Enfin Julien parut. C’était un autre homme. C’eût été mal parler de dire qu’il était grave ; c’était la gravité incarnée. »

Il n’empêche que cette « gravité incarnée » ne l’empêchera pas de devenir l’amant de Madame de Rénal mère. Autant dire que l’école à la maison est à manier avec prudence…

Un film noir beau comme un diamant brut

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Du rififi chez les hommes de Jules Dassin, maître du réalisme social, à revoir sur Arte


Le très beau film noir Du rififi chez les hommes de Jules Dassin (1955) est l’histoire d’un cambriolage qui tourne à la tragédie pour Tony le « Stéphanois » et sa bande de malfrats à la fois rudes et droits.

De retour à la liberté après cinq ans de prison, Tony « le Stéphanois » retrouve ses amis Jo « le Suédois », Mario et César. Pour reconquérir Mado, maquée avec un autre caïd Pierre Grutter, Tony accepte de monter un nouveau coup: le cambriolage d’une célèbre bijouterie parisienne. Le casse, préparé avec minutie et rigueur, réussit à merveille. Mais une erreur du dandy séducteur César va mettre une bande rivale, celle des frères Grutter, à la poursuite du quatuor. 

Un Américain à Paris

Jules Dassin était déjà l’auteur d’excellents films noirs dont Nazi Agent (1942), un thriller d’espionnage avec Conrad Veidt; Les Démons de la liberté (1947), un asphyxiant huis clos, cru et brutal, contant l’évasion d’un pénitencier, avec Burt Lancaster; La Cité sans voiles (1948) superbe portrait de New York, centré sur la recherche d’un monstre criminel ou Les Bas-Fonds de Frisco (1948), un drame social tragique. Jules Dassin se révèle dans cette veine un cinéaste méticuleux et précis construisant une œuvre où l’univers du thriller est fortement marqué par un réalisme social noir.

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Jules Dassin a été dénoncé à la fin des années quarante pour ses sympathies communistes par le cinéaste Edward Dmytryk (le réalisateur de Ouragan sur le Caine, Le Bal des maudits, L’Homme aux colts d’or). Il se retrouve sur la liste noire des maccarthystes.  Le cinéaste doit alors s’exiler en 1949 en Europe, où il tourne à Londres en 1950, l’un de ses chefs-d’œuvre, Les Forbans de la nuit avec Richard Widmark et Gene Tierney. Et c’est à Paris qu’il tourne en 1955 l’une de ses plus belles œuvres : Du rififi chez les hommes

Un roman d’Auguste Le Breton

Le film bénéficie d’un scénario signé par Jules Dassin lui-même mais aussi René Wheeler et Auguste Le Breton qui adapte ainsi son roman éponyme publié en Série Noire. Servi par le superbe noir et blanc contrasté et scintillant du chef-opérateur Philippe Agostini et des interprètes tous excellents, le film est une pure tragédie noire. Jean Servais est impeccable dans le rôle de Tony le Stéphanois, gangster froid, dur et sans pitié mais respectueux des codes des truands. Atteint de tuberculose et désabusé, il mène ce nouveau cambriolage avec brio et reste fidèle à ses amis jusqu’à l’issue fatale. 

La mise en scène virtuose de Jules Dassin, son sens du cadre acéré et du montage sec suivent les codes du film noir américain. Deux séquences d’anthologie: le cambriolage (trente-cinq minutes sans une seule parole) et la scène finale, une fulgurante course automobile. 

A lire ensuite, Basile de Koch: « L’Anomalie »: Maman, j’ai dédoublé l’avion!

Du Rififi chez les hommes est une pierre précieuse filmique qu’offre le cinéaste américain à son nouveau pays d’adoption, la France. Longtemps après la vision du film, la belle complainte mélancolique Du rififi chez les hommes, chantée par Magali Noël à L’Âge d’or, le cabaret des frères Grutter, nous hante. Un film noir qui a influencé sans aucun doute le grand Jean-Pierre Melville pour ses films Le Deuxième souffle, Bob le flambeur ou Le Cercle rouge.

Du Rififi chez les hommes un film de Jules Dassin, France – 1955 – 2h02
Visible sur ARTE le jeudi 1er avril à 13h30 et en replay arte.tv. DVD/BLU RAY Classiques Gaumont

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Ce que Hitler doit au Docteur Trebitsch

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 Le billet du vaurien


Il est toujours agréable de faire une découverte, même si en l’occurrence c’est celle d’un personnage peu recommandable: Arthur Trebitsch (1880-1927). Juif viennois, il a inspiré un roman de Joseph Roth La toile d’araignée (1923) sur le national-socialisme où il figure d’ailleurs sous son vrai nom. Il est surprenant que les historiens qui se sont penchés sur l’histoire du nazisme aient ignoré le docteur Trebitsch qui non seulement influença Hitler, mais finança le parti nazi à ses débuts. Le portrait qu’en fait Joseph Roth le rendrait d’ailleurs plutôt sympathique: avec sa barbe rousse, ses yeux bleus et son physique athlétique, son intelligence supérieure et son excentricité. 

Ma paranoïa et moi

Arthur Trebitsch qui fréquenta le même lycée à Vienne que son ami Otto Weininger, se croyait investi d’une mission: sauver la race nordique du poison juif. Était-il conscient que sa haine du peuple juif relevait de la paranoïa? Vraisemblablement, puisqu’il fit quelques séjours à l’hôpital psychiatrique où on le jugea désespérément normal. Ce qui l’amena dans ses instants de lucidité à écrire un livre au titre accrocheur: Ma paranoïa et moi. Il le publia dans la maison d’édition qu’il avait créée: les éditions Antéa, du nom du géant grec Antée, fils de Poséidon et de la mère de la terre, Gaia. 

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Le chancelier Hitler citait volontiers le géant antique Antée « qui chaque fois qu’il tombait à terre se relevait plus fort encore » et conseillait la lecture de la profession de foi de Trebitsch Esprit et judaïté qui datait de 1919. D’ailleurs, les deux hommes se connaissaient personnellement, non seulement parce qu’ils partageaient la même vision du monde, mais aussi parce que Trebitsch avait créé la branche autrichienne du parti nazi. Comme tout bon paranoïaque, il se méfiait de tous ces serpents juifs qui infiltraient le parti et vérifiait s’ils n’étaient pas circoncis. Même Hitler avait un peu de peine à le prendre au sérieux, tout en affirmant que Trebitsch était capable de démasquer les juifs comme personne ne l’avait fait avant lui. Il songea même à lui confier la fonction de responsable de l’éducation idéologique du peuple allemand occupée par Alfred Rosenberg (encore un Juif selon Trebitsch) avant de l’écarter définitivement.

Toi aussi, tu es juif

Sans doute intimement persuadé que Hitler avait usurpé la place qui lui revenait, il poursuivit néanmoins en solitaire sa lugubre mission allant de ville en ville pour prêcher l’éradication des Juifs. Il parlait devant des centaines de personnes incapables de comprendre un moindre mot de ses harangues. Mais peu lui importait, il avait la certitude d’accomplir par là un acte égal à celui de Luther brûlant la bulle papale. Il tenait également un registre de noms allant de Streicher à Rosenberg, sans omettre Strasser, qui sapaient la cause sacrée à laquelle il se donnait corps et âme. 

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Theodor Lessing, qui l’a bien connu, était frappé par le fait que son délire se concentrait sur un point unique: l’empoisonnement du monde par les Juifs. « Dans tous les autres domaines, ajoute-t-il, il faisait preuve d’une lucidité et d’une logique rares. L’entendre parler était un délice, tant son argumentation était lumineuse. » Mais quand il évoquait les multiples tentatives d’empoisonnement dont il avait été victime, une certaine gêne s’installait. Et quand il exigeait que l’on examinât son sang pour avoir la preuve qu’il était bien un Germain, plus aucun doute n’était permis, il ne pouvait pas se détacher de ce constat: « Toi aussi, tu es juif. » 

Il se considérait d’ailleurs comme un être maudit. « Faut-il voir en lui un homme méprisable ou un homme malheureux ? » se demanda Theodor Lessing quand il apprit sa mort provoquée par une tuberculose miliaire. Trebitsch n’a jamais cru en ce diagnostic. Jusqu’à sa dernière heure, il demeura convaincu que les Juifs, ayant déjoué toutes ses précautions, étaient parvenus à l’empoisonner. Quant à Hitler, il ne fit qu’un bref commentaire: « Je ne sais plus rien de lui. Mais je n’ai pas oublié ce qu’il a écrit. »

Belgique: en route vers la sanocratie

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Quelques jours après la France, la Belgique vient à son tour d’instaurer un nouveau confinement qui ne dit pas son nom, suite à une hausse modérée des contaminations ainsi que des admissions hospitalières et en soins intensifs. Nos voisins se reconfinent pour quatre semaines,
les écoles et commerces ferment, mais les déplacements restent autorisés. 


Les nouvelles mesures prises en Belgique démontrent, s’il le fallait encore, que les indicateurs Covid sont désormais les ordonnateurs en dernière instance de la politique de nos gouvernements, reléguant au second plan tous les autres aspects de la vie et de la gestion des affaires publiques. Dans le même temps, sous les auspices du projet de « Loi Pandémie » visant à fournir une base légale stable aux mesures sanitaires, le plat pays pourrait bien fournir à l’Europe le prototype d’un nouveau régime en passe de s’installer : la sanocratie. 

L’Absurdistan met la Constitution aux oubliettes

Avec 1948 morts par million d’habitant, la Belgique occupe à ce jour la quatrième place du classement mondial des pays avec le plus lourd bilan du Covid-19. Après deux confinements stricts, un couvre-feu – à une heure différente selon les régions – et un arsenal de mesures sanitaires restrictives, attentatoires aux libertés publiques, dépourvues de légitimité démocratique et bien souvent incohérentes –, au point d’avoir fait gagner au pays le surnom d’ «Absurdistan» –, la Belgique est pourtant peu suspecte d’avoir pêché par « laxisme » ou « rassurisme » face au coronavirus. Quoi qu’il en soit, entre les pressions croissantes pour la réouverture de différents secteurs devant les conséquences désastreuses des fermetures d’activité, et la nouvelle instauration d’un « semi-confinement », l’arsenal juridique des interventions gouvernementales pour motif sanitaire est aujourd’hui au centre d’une bataille larvée autour du projet de « Loi Pandémie ».

Le gouvernement belge s’obstine dans une approche qui a été tenue continuellement en échec

Suite au premier épisode épidémique de mars 2020 qui a vu l’octroi de pouvoirs spéciaux au gouvernement, alors en affaires courantes, les mesures sanitaires visant à juguler l’épidémie de Covid-19 ont depuis été établies par arrêtés ministériels, y compris par le nouveau gouvernement De Croo, fraîchement entré en fonction le 1er octobre 2020. C’est notamment le cas des mesures telles que l’imposition du port du masque en extérieur ou dans les transports publics, de la limitation de la « bulle sociale » ou des rassemblements, sous peine de sanction. Ces dispositions se fondent sur plusieurs textes de lois existants : loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile (art. 4) ; la loi sur la fonction de police du 5 août 1992 (art. 11 & 42) ; la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile (art. 181, 182 et 187), autorisant le ministre ou les bourgmestres (maires) à réquisitionner des biens ou des personnes et à restreindre la liberté de circulation. Or, plusieurs juristes ont déjà montré que ces lois ne permettent en aucun cas de fonder les sanctions prévues par les différents arrêtés ministériels instituant les mesures sanitaires précitées. Dès lors, ces arrêtés sont en violation manifeste de la Constitution, laquelle stipule que « Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu’elle prescrit » (art. 12), et que « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi » (art. 14). En vertu de ce principe, au mois de janvier, un individu qui avait été verbalisé pour non-port du masque dans la rue s’était d’ailleurs vu acquitter par le Tribunal de Police de Bruxelles (le Parquet a depuis fait appel, l’affaire est toujours en cours).

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Devant les problèmes juridiques et politiques récurrents que posent ces arrêtés, le gouvernement a déposé début février un avant-projet de loi « relatif aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique », résumé sous l’appellation de « Loi Pandémie ». L’objectif déclaré de ce projet est de rendre une légitimité politique aux mesures sanitaires en renforçant le rôle du Parlement dans leur élaboration et leur mise en place. Intention louable s’il est, qui mettrait fin à l’arbitraire des mesures décidées par les « Comités de Concertation » successifs et des groupes d’experts qui les conseillent, déjà pointés du doigt pour le peu de cas qui y était fait des aspects psychosociaux, éducatifs et culturels, de même que pour les conflits d’intérêt auxquels certains de leurs membres sont exposés. 

Persévérer dans l’erreur… mais en tout légalité

Mais au-delà de la faiblesse de leur base juridique, de l’inconstitutionnalité manifeste de certaines d’entre elles, et de leur absence de légitimité démocratique, c’est aussi la pertinence et la cohérence de ces mesures qui questionne et érode l’adhésion de la population à leur égard. Car on ne peut qu’être frappé par la monotonie et l’indigence des stratégies mises en places par l’exécutif belge : en phase « haute », confinements, fermetures d’activités, restrictions de déplacement, enseignement et travail à distance ; en phase « basse », réouvertures (non sans contraintes et protocoles stricts), activités en présence, contacts et circulation accrus. Voilà, en tout et pour tout, la boîte à outils des décideurs belges. Or, et c’est là le point central du problème, la « Loi Pandémie » en cours d’élaboration ne prévoit aucun revirement stratégique à cet égard, pas plus qu’elle ne propose l’implication du Parlement ni ne s’enquiert de consulter la population d’une façon ou d’une autre pour délibérer de la mise en place de mesures d’une si exceptionnelle gravité. Elle se borne, simplement, à faire avaliser par le Parlement la possibilité pour le gouvernement d’édicter des mesures sanitaires par arrêtés ministériels – reconnaissant ainsi implicitement l’irrégularité de la situation présente –, et ce « en situation d’urgence d’épidémique ». Mais précisément, qu’est-ce donc qu’une situation d’urgence épidémique ? Le texte la définit comme « tout événement qui entraîne ou qui est susceptible d’entraîner une menace grave suite à la présence d’un agent infectieux chez l’Homme ». En dépit d’autres critères venant compléter cette définition (nombre de personnes potentiellement touchées, effet potentiel sur la mortalité, débordement des services de santé, besoins de coordination, reconnaissance par l’OMS etc.), c’est bien, en définitive, le gouvernement qui sonne l’alarme de cette « urgence épidémique », avec pour seule obligation de fournir les chiffres sur lesquels se fonde cette décision. Rien, en revanche, n’est prévu pour en contester la validité ou en stopper la mise en place via une quelconque instance de contrôle. 

À partir de là, tout le reste de la loi ne concerne que les aspects pratiques et administratifs, qui sont presque un copié-collé des dispositions existantes (imposition du port du masque en différents contextes, distanciation sociale obligatoire, limitation de contacts, etc.) et des astreintes prévues en cas de non-respect de celles-ci. En plus d’avoir déjà été épinglé par plusieurs juristes pour son opacité et son manque de précision, et recalé par l’Autorité de protection de données pour absence de garanties suffisantes, ce projet de Loi pêche surtout par l’incroyable indigence stratégique qui le caractérise. Un an après le début de l’épidémie, le gouvernement belge s’obstine dans une approche qui a été tenue continuellement en échec, qui n’affiche aucune plus-value au regard de celle, moins restrictive, conduite dans d’autres pays (Corée du Sud, Taiwan, Suède, ou même Allemagne), et dont les mesures n’ont eu qu’un effet marginal sur la dynamique du Covid-19 dans le pays, au prix d’un coût social, économique et psychologique catastrophique.

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Plusieurs voix du monde scientifique se sont pourtant déjà élevées pour dénoncer le dogme de la gestion de crise actuelle et suggérer d’autres pistes: remise en cause de la pertinence d’appliquer des mesures en population générale plutôt que d’avoir recours à une prophylaxie renforcée pour les personnes à risque ; détection et prise en charge précoce, et utilisation de tests antigéniques rapides, comme le proposait récemment le collectif d’universitaires #CovidRationnel; enfin, et bien évidemment, embauches de personnel et augmentation de la plasticité du système hospitalier. À tout cela, le gouvernement belge est sourd et aveugle. On ne change pas une équipe qui perd, semble-t-il.  

Loi Pandémie: prélude à la sanocratie?

Un débat parlementaire autour de la législation relative aux mesures d’urgence est évidemment essentiel. Toutefois, le projet du gouvernement belge actuel annonce une tendance très dangereuse, qui ne ferait qu’entériner le statu quo et légaliser une gestion arbitraire, incohérente, improvisée, visant indistinctement la population plutôt que les publics-cible, et négligeant les éléments structurels qui permettraient une véritable résilience du système de santé. Le tout au prix d’un piétinement des libertés publiques (liberté de réunion et de circulation, liberté d’entreprendre, droit à l’épanouissement culturel et social, etc.) inédit depuis la seconde guerre mondiale, et d’effets éducatifs et sanitaires à long terme (santé mentale, retards diagnostiques, traitements tardifs d’autres maladies etc.) qui rendent chaque jour le rapport « bénéfices/risques » de ce semi-confinement de plus en plus défavorable. Plus encore : comme le rappelait une récente carte blanche, l’objectif initial de « contenir » la vague épidémique qui nous débordait au printemps 2020 a subrepticement été remplacé par l’objectif de « contrôler le virus » et ses effets collatéraux hors des phases épidémiques…

Ce changement d’optique, qui subordonne pratiquement tous les aspects de la vie en société à la limitation du flux de malades – pour le motif inavoué de pallier l’impéritie des gouvernements passés et présents en matière de santé –, et son mode de gestion « automatisée », hors de tout débat démocratique, nous conduit donc tout droit, mais silencieusement, vers rien moins qu’une nouvelle forme de régime politique. À la « démocratie », où l’intérêt général et la volonté du peuple sont la raison ultime du pouvoir, pourrait bien succéder la « sanocratie », où la « tension minimale sur le système de santé » deviendrait l’alpha et l’omega d’une gestion autoritaire des affaires publiques, au risque de mettre en péril la culture, la sociabilité, l’enseignement, le petit commerce, et avec eux l’essentiel de la civilisation européenne.

Xavier Bertrand peut-il gagner son pari?


Xavier Bertrand a précipité l’annonce de sa candidature pour 2022 cette semaine. Le président du conseil régional des Hauts-de-France, qui a quitté LR en 2017, peut-il espérer l’emporter? Et que va faire son ancienne famille politique? Les analyses de Philippe Bilger


Xavier Bertrand a décidé d’annoncer officiellement sa candidature à l’élection présidentielle. On voit bien pourquoi il était important pour lui de sortir du piège tendu par Emmanuel Macron, consistant à manipuler à sa guise la date des élections régionales prévues en juin et peut-être retardées. Xavier Bertrand aurait été prisonnier de son engagement, assurant qu’il ne serait candidat en 2022 qu’après sa victoire aux régionales. Il a échappé au guêpier. Ce n’est pas dire que l’avenir est forcément rose pour lui et plus généralement pour la droite. Xavier Bertrand se qualifie de « gaulliste social » mais cet adjectif, qui pourrait aujourd’hui ne pas le revendiquer ? Et son gaullisme mettant fortement l’accent sur la faillite régalienne du président n’est pas aux antipodes d’une droite consciente d’elle-même.

N’est pas de Gaulle qui veut

On a le droit, aussi estimable que soit cette personnalité qui sincèrement a jeté par-dessus bord la comédie politicienne, de s’interroger sur sa stratégie. J’entends bien sa volonté de nouer un dialogue direct avec les citoyens, mais n’est pas de Gaulle qui veut. Par ailleurs, si on a bien compris qu’il va « accélérer pour écraser le match » en ayant l’intention de multiplier ses interventions[tooltips content= »«Le président des Hauts-de-France veut multiplier les prises de parole dans les prochaines semaines pour s’imposer à droite», selon le Figaro du 25 mars »](1)[/tooltips], imaginons qu’il ne parvienne pas à se rendre incontournable et soit contraint de réexaminer sa tactique. Certes il a affirmé qu’il ne participerait jamais à une « primaire » parce qu’il est persuadé que LR lui tiendra toujours rigueur de son départ. D’abord ce n’est pas exact et ensuite quelle solution de remplacement pour lui ?

À considérer l’évolution de la hiérarchie officielle de LR, il semble acquis que Xavier Bertrand, quoique à l’extérieur, est déjà mieux perçu et accepté que ceux qui, à l’intérieur, auraient l’adhésion majoritaire des militants, par exemple Bruno Retailleau.

A relire, Philippe Bilger: Les LR se satisferaient-ils d’être une annexe du macronisme?

Que Xavier Bertrand campe sur sa position de refus de la primaire ou du « départage » alors qu’enfin, sous l’égide du président Larcher, un système satisfaisant et efficace va être trouvé et que les oppositions à cet inévitable processus se réduisent jour après jour – Valérie Pécresse a souhaité récemment une primaire la plus large et ouverte possible -, on verrait mal quelle pourrait être la solution de repli pour lui.

Pour battre un président sortant plus de gauche que de droite, Bertrand ne peut pas faire fi de sa famille politique historique

Il serait d’autant plus dans une nasse – sauf à aspirer à un combat solitaire et désespéré – si la primaire apportait sa légitimité à un incontestable vainqueur. Comment concevoir que Xavier Bertrand, conscient de l’échec de sa stratégie personnelle, puisse ne pas tenir compte de l’aura de celui ou de celle qui l’aura emporté lors du départage ? Il se retirerait de la course et le plus probable alors est que lucide et solidaire, il se battrait pour faire gagner la cause de son camp. Dans l’hypothèse contraire qui conduirait LR a prendre acte de l’essor irrésistible de Xavier Bertrand, nul doute qu’une telle configuration rebattrait les cartes de la primaire ou la rendrait même inutile. En définitive, Xavier Bertrand ne pourra faire fi, s’il ne progresse pas, d’une primaire totalement réussie. Et LR devra tenir compte de sa position de force s’il domine le jeu de la droite avant 2022.

Quel que soit le visage de l’avenir, au regard de mes préférences de citoyen, une déperdition serait désastreuse qui ne verrait pas Xavier Bertrand soutenir Bruno Retailleau ou ce dernier ne pas apporter son concours et son influence à Xavier Bertrand. Je n’ai aucun scrupule à les réunir car d’une certaine manière ils le sont déjà, pâtissant d’une hostilité et d’une condescendance communes. On les juge sur une apparence qui ne serait soi-disant pas charismatique. Tant mieux. Rien de plus stimulant pour des ambitieux intelligents que d’être traités comme de « Petit Chose »: cela donne de l’élan et égare les adversaires. L’un et l’autre ne sont pas appréciés par Nicolas Sarkozy et par Christian Jacob qu’il convient de créditer de cette incongruité rare : soutenir ceux qui ne sont pas candidats et entraver celui qui l’est, qui recueille un large assentiment mais ne plaît pas à la nomenklatura: Bruno Retailleau. Il y a là des similitudes, entre Xavier Bertrand et lui, qui ne sont pas insignifiantes. Et qui s’ajouteraient à leur volonté de ne pas vendre la droite au macronisme parce que, Bruno Retailleau l’a justement rappelé le 25 mars sur Sud Radio (vidéo ci-dessous), le président de la République est bien plus de gauche, et pas seulement sur le registre régalien, que de droite.

La droite n’est pas à plaindre. Elle n’est pas morte. Elle n’est même pas moribonde. La seule certitude dans l’immense incertitude politique à venir est que probablement le RN sera au second tour de l’élection présidentielle. La droite n’a pas à être traitée avec commisération, avec une sorte d’apitoiement comme si les autres camps regorgeaient de talents et de vainqueurs plausibles. Pas plus la gauche que l’extrême gauche ou les écologistes ne suscitent l’enthousiasme ! Ils ne sont pas pourvus en candidats sérieux. Quant au président de la République, s’il peut se représenter, le premier tour ne sera pas une partie de plaisir pour lui.

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Je persiste donc : la droite n’est pas à plaindre. Par exemple, Xavier Bertrand, Bruno Retailleau, Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez ou David Lisnard offriraient un choix de qualité. Sans primaire, on jouerait le gagnant aux dés ? Certains m’opposeront qu’on n’imagine aucun de ceux-là président. Mais à observer ceux qui le sont devenus, l’espérance de la droite est-elle absurde ?

Claude Sautet l’alchimiste

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Loin de l’image surannée d’un cinéaste conventionnel, un documentaire d’Arte ainsi que l’essai de Ludovic Maubreuil montrent toute la complexité d’un homme et d’une œuvre qui va bien au-delà d’une peinture de son époque.


Il est bien fini le temps où les critiques considéraient le cinéma de Claude Sautet comme un reflet bourgeois de l’époque giscardienne. Refrain ô combien entendu. Il était temps. En ce mois de mars de cette triste année 2021, on lui rend partout hommage. Netflix a programmé plusieurs de ses films, Arte diffuse le superbe documentaire d’Amine Mestari : Le calme et la dissonance qui fait apparaître un Sautet tout en nuances et complexité, et enfin l’ouvrage de Ludovic Maubreuil Du film noir à l’œuvre au blanc vient de paraître aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. 

Il s’agit d’une analyse très exigeante, universitaire mais singulière : les films de Sautet sont analysés comme une mécanique qui se grippe dans une sorte d’empire des signes, presque ésotériques. « Sa mise en scène, à tout point opposée à celles, sibyllines et creuses de notre temps, se révèle riche de significations secrètes et cependant immédiatement accessibles. Il faut donner tort à ceux qui n’ont jamais vu en son cinéma, qu’aimables analyses sociologiques et académisme bourgeois. »

Dès son premier film « Classe tous risques » en 1960, Sautet fut gêné par la Nouvelle Vague, car ce premier opus sortira très malencontreusement le même jour que A bout de souffle de Godard. Ce n’est que dix ans après, en 1970, grâce au scénariste Jean-Loup Dabadie qu’il rencontre enfin le succès avec Les choses de la vie, même s’il fut boudé à Cannes à une époque où le cinéma devait être explicitement engagé. 

Trio infernal et mécanique huilée

Ce film genèse définira la thématique propre à Sautet: le trio infernal, la trinité qui n’aboutit jamais, mais qui entraîne la faillite du couple. L’empêchement sentimental est au centre de son cinéma. Comme l’écrit Ludovic Maubreuil, « Sautet a toujours pris un malin plaisir à subvertir la classique trame cinématographique: boy meets girl, boy loses girl, boys gets girl back (…) Dans Les Choses de la vie, cette chronologie se voit ainsi perturbée de manière exemplaire: la rupture nous est montrée avant la rencontre et la réconciliation pourtant actée ne se réalise pas. » La construction en flash back crée également une distanciation quasi brechtienne ; les couples, chez Sautet, sont toujours dans un entre deux, se quittent ou n’arrivent pas à communiquer, mais toujours avec délicatesse. Sautet est à la fois délicat et subversif. Piccoli disait de lui qu’il était si angoissé et bouillonnant qu’il était obligé de s’astreindre à beaucoup de rigueur. En effet ses films obéissent à une mécanique très précise et bien huilée, comme pour ne pas se laisser déborder. 

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Pour signifier la faille, annoncer le malheur ou la joie, toujours mezzo voce, le cinéaste envoie des signaux, des petites choses de la vie qui se répètent, des gimmicks. Ainsi, la pluie est de mauvais augure: « C’est une pluie qui surprend, qui tombe dru et qui oblige à s’abriter en urgence mais surtout annonciatrice de tourments, ou plutôt de tournants dans l’histoire. » Au sein du couple, lorsque César rencontre son rival David pour la première fois dans César et Rosalie. Mais la pluie surgit aussi à des moments plus violents, comme lors d’une bagarre entre père et fils (Yves Robert et Patrick Dewaere) dans Un mauvais fils. L’escalier est fatal, comme celui que remonte Yves Montand / Vincent dans Vincent François Paul et les autres, après avoir passé un coup de fil qui lui annonce sa probable faillite. Le feu en revanche, par exemple toujours dans Vincent, François, Paul et les autres, renforce les liens d’amitié. 

Sautet est d’une pudeur sans limite lorsqu’il évoque l’amour dans ses rares moments de grâce. Il ne montre que de brèves étreintes, selon l’expression de Maubreuil, ainsi, dans ce flash back où les couples qui se délitent de Vincent, François, Paul et les autres, sont montrés en train de danser. On sait alors qu’ils se sont aimés un jour. Le cinéma de Sautet est elliptique et c’est une des raisons pour lesquelles il est à mon sens aussi puissant. Mais la mécanique finit toujours par dérailler pour nous mener à la « faille ontologique ». 

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Car le monde de Sautet se fissure sans cesse. Il y a comme une impossibilité d’accomplissement. Le mariage impossible, l’amitié enfuie, les femmes fortes et les hommes «faibles et merveilleux, qui se retirent du jeu avec grâce» comme disait Tennessee Williams. 

Côté sombre et côté doudou

Ludovic Maubreuil convoque l’alchimie, l’ésotérisme et la psychanalyse jungienne, notamment le concept de synchronicité lorsqu’il analyse le côté sombre du cinéaste. Le réalisme en touches qui fait jaillir un mystérieux symbolisme. La dissonance. Cette dissonance qui est parfaitement incarnée dans le personnage de Daniel Auteuil / Stéphane dans Un cœur en hiver, film mal aimé mais peut-être le plus proche finalement de l’âme du cinéaste, et dénué de tout artifice. Stéphane traverse le film comme un fantôme cynique, refusant l’amour d’Emmanuelle Béart / Camille. Chez Sautet, il n’y aura jamais, jusqu’à la fin, d’amour heureux. Cependant, chez ceux de ma génération, Sautet reste un cinéaste réconfortant, un peu « doudou ». Car c’est la France des jours heureux, celle que nous avons connue enfant et qui nous manque cruellement. Le temps des brasseries bruyantes et enfumées, et Piccoli la clope au bec à longueur de films. Avec la petite musique à la fois  lyrique et étouffée de Philippe Sarde. Cette France que chantait aussi Michel Delpech qui fait partie de la bande son de l’époque: « Lorsqu’il est descendu pour acheter des cigarettes, Jean-Pierre savait déjà qu’il ne reviendrait plus jamais » chante-t-il dans Ce lundi-là. Il y a dans ce bout de texte, toute l’essence de celui qui est sans doute un de nos plus grands cinéastes. 

Le calme et la dissonance d’Amine Mestari sur Arte.tv (jusqu’au 1er mai)

Du film noir à l’œuvre au blanc de Ludovic Maubreuil (Pierre Guillaume de Roux)

Claude sautet

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Strasbourg: la fausse bonne idée de la fin du Régime concordataire

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Les travaux de la mosquée Eyyub Sultan à Strasbourg, source de graves tensions avec la Turquie, mars 2021 © Javier Aguilar/EFE/SIPA Numéro de reportage : 01011806_000001

Suite à l’affaire de la mosquée Eyyub Sultan à Strasbourg, certains – surtout à gauche – se sont empressés d’exiger la fin du Concordat d’Alsace-Moselle, parfois avec les meilleures intentions du monde. C’est pourtant une fausse bonne idée, qui repose sur l’illusion dangereuse qu’il faudrait traiter toutes les religions de la même façon.


Céline Pina a clairement décrit la situation strasbourgeoise, et le soutien financier colossal que la mairie EELV a décidé d’octroyer à une association islamiste pour bâtir ce qui doit être le double symbole de la conquête progressive de l’Europe par l’islam, et de l’impérialisme turc. Je n’y reviens donc pas.

Ce qui m’intéresse ici, c’est d’analyser les réactions qui partent de ce constat pour demander la fin du Concordat, régime juridique spécifique à l’Alsace-Moselle et dérogatoire de la loi de 1905 relative à la séparation des églises et de l’État.

Un compromis historique pour les anciens sujets du Kaiser

Pour mémoire, ce Concordat est le fruit de circonstances historiques particulières. En 1905,  l’Alsace et la Moselle étaient allemandes : le Reichsland Elsaß-Lothringen. Contrairement à ce que pourraient laisser croire les dessins charmants mais militants de l’Oncle Hansi, la reconquête par la France à l’issue de la première guerre mondiale ne se déroula pas sans heurts : il fallut faire des compromis et des concessions pour que les anciens sujets du Kaiser adoptent (plus ou moins volontiers) leur nouvelle identité de citoyens de la République. Conformément à une promesse du Général Joffre puis du Président Poincarré, l’Alsace-Moselle concerva donc un régime des cultes qui lui est propre, à savoir celui du concordat napoléonien complété par quelques lois allemandes prises pendant la période 1871-1918.

Outre divers particularismes juridiques ouverts à tous (par exemple une version locale du droit d’association, la loi de 1901 ne s’appliquant pas), le Concordat stricto-sensus concerne spécifiquement quatre cultes : catholique, luthérien, réformé, et israélite. Contrairement à ce que l’on imagine parfois, ni les autres églises protestantes (évangéliques, mennonites….) ni les églises orthodoxes (russe, roumaine, grecque….) n’en bénéficient.

L’islam ne fait pas partie des religions concordataires

On peut évidemment critiquer le Concordat pour de nombreuses et légitimes raisons, à condition qu’elles soient cohérentes. Notamment, l’argument naturel selon lequel la loi doit s’appliquer de la même manière sur tout le territoire national devra-t-il intégrer les Outre-Mers et leurs particularismes dans sa réflexion. On peut aussi aspirer à une évolution de ce système : ainsi, à titre personnel je ne verrais aucun inconvénient à ce qu’il soit étendu par exemple au bouddhisme ou aux églises orthodoxes, parfaitement assimilées, ou encore aux associations de libres-penseurs.

Mais partir du cas précis de la compromission d’une municipalité EELV vis-à-vis de l’islamisme pour attaquer le Concordat n’a pas de sens, et voici pourquoi.

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D’abord, il est faux de croire que le régime juridique concordataire serait nécessaire au clientélisme. Les cas sont hélas nombreux qui montrent que des municipalités de tous les bords ou presque trouvent des moyens légaux pour courtiser le communautarisme en général, et la communauté musulmane en particulier. Trappes, par exemple, n’est pas sous régime concordataire, et pourtant la situation y est pire que dans n’importe quelle commune d’Alsace-Moselle. Et l’on pourrait parler de Bobigny, de Grenoble, de Rennes, et j’en passe.

Ensuite, il faut rappeler que l’islam ne fait pas partie des religions concordataires. Il serait pour le moins paradoxal de priver d’avantages concédés depuis longtemps des cultes respectueux des lois françaises, sous prétexte qu’un culte qui n’est pas l’un d’entre eux ne respecte pas ces mêmes lois ! C’est un peu comme si l’on prétendait lutter contre l’insécurité routière en retirant leur permis de conduire à des conducteurs respectueux du code de la route, sous prétexte qu’un chauffard roulant sans permis n’a pas respecté ce code… Certes, le régime juridique d’Alsace-Moselle offre des facilités à tous les cultes, quels qu’ils soient. Mais là encore : les en priver tous alors qu’il n’y en a qu’un seul qui pose problème serait à la fois injuste et dangereux.

Il serait malvenu d’ajouter de nouvelles tensions

Injuste d’abord : je l’ai dit, la situation des cultes respectueux des lois est une véritable question, et il ne serait pas choquant que les bouddhistes, les orthodoxes ou les athées militants se plaignent d’être privés des avantages reconnus aux catholiques, aux luthériens ou aux juifs. En revanche, nul ne peut sérieusement nier qu’aujourd’hui l’islam pose, en France comme partout sur la planète, des problèmes que ne pose aucune autre religion. Entre les attentats, les pressions mondiales contre la liberté d’expression, et la négation quasi-systématique de la liberté de conscience là où les communautés musulmanes disposent d’une influence suffisante pour imposer leur volonté, la liste est aussi longue que sinistre, et il serait pour le moins paradoxal qu’elle soit sans conséquences.

Bien sûr, le militantisme anti-occidental acharné du Pape François comme l’obscurantisme de beaucoup d’évangéliques américains, ou de certains juifs ultra-orthodoxes, nous rappelle que la vigilance est toujours nécessaire, mais enfin ! Même ces évidentes dérives restent insignifiantes en comparaison de tout ce qui est imputable à l’islam – et pas seulement à l’islamisme.

Bien sûr aussi, certains ne manqueront pas de hurler à la discrimination – à tort. Que la loi soit la même pour tous n’implique absolument pas qu’il faille traiter de la même manière ceux qui la violent et ceux qui la respectent. Un culte qui promeut comme référence normative suprême un corpus de règles encourageant l’esclavage sexuel des prisonnières de guerre et la mise à mort des apostats ne saurait prétendre être traité comme une communauté religieuse « normale ».

A lire aussi: Strasbourg: quand Jeanne Barseghian s’abrite derrière le concordat pour financer l’islam politique

Dangereux ensuite : victimes d’une injustice manifeste, les cultes aujourd’hui concordataires ne seraient-ils pas poussés dans les bras d’un « front des religions » unies contre les « laïcards » ? Front évidemment et inévitablement instrumentalisé par les pires fanatiques pour attaquer une laïcité qu’il deviendrait facile de présenter (à tort) comme l’instrument d’un « athéisme d’état » ne disant pas son nom.

Restreignant tous les cultes à cause des dérives d’un seul, la loi sur les « principes républicains » a d’ores et déjà attisé des tensions inutiles. Certaines des absurdités de la gestion de la pandémie de Covid-19 ont fait de même. Il serait malvenu d’en rajouter encore, en menaçant des religions qui n’ont aucun rapport avec la soif de conquête des islamistes, ni avec l’impérialisme turc, et encore moins avec les délires et les compromissions de plus en plus manifestes d’EELV.

Au service d’un idéal plus grand

Plus encore : il serait malvenu de menacer des religions dont les clergés et les fidèles pourraient être des alliés précieux de l’idéal laïque d’émancipation et de dignité, contre les ambitions théocratiques séculaires de l’islam, contre l’influence du néo-sultan, contre l’entreprise de destruction de notre civilisation à laquelle se livre l’extrême-gauche, y compris dans sa forme soi-disant « écologiste », mais aussi contre la marchandisation du monde et de l’Homme aux mains impitoyables des seigneurs de la guerre économique.

Ni le Concordat ni la loi de 1905 ne sauraient être considérés comme des fins en soi. Ce ne sont que des moyens au service d’un idéal plus grand, idéal que partagent les vrais républicains et les courants humanistes de certaines religions – dont celles qui bénéficient aujourd’hui du Concordat. Et il est grand temps que tous ceux qui partagent cet idéal, croyants ou incroyants, s’unissent contre leurs ennemis communs au lieu de se tirer dans les pattes pour des prétextes totalement futiles au regard des vrais enjeux.

Un courrier de soutien à Didier Lemaire

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Parmi les nombreux messages de soutiens reçus par Didier Lemaire, celui-ci, envoyé par Rachid B., 62 ans, l’a particulièrement ému. Causeur le publie tel quel ce matin.


Cher Monsieur,

C’est un fils d’immigrés algériens et musulmans qui tient à vous témoigner sa sympathie après le tourbillon de malentendus, mais surtout la haine et les mauvais procédés dont vous avez été et continuez d’être la cible.

Je vous prie d’accepter l’expression de ma solidarité envers votre personne et votre métier si noble de professeur.

Relire Paul Yonnet

Je suis déjà un vieux monsieur (62 ans), un « chibani », et je partage entièrement non pas votre pessimisme, mais votre constat : la France ni l’Europe ne vivent plus dans la continuité historique de leur culture et de leur civilisation. La cause est entendue, comme l’a prophétisé Spengler il y a déjà un siècle. J’étais pourtant jusqu’à il y a quelques années encore lesté d’un vague espoir de sursaut. En 1993, le sociologue Paul Yonnet essuyait une vague d’hostilité de la part des journalistes bien-pensants dont beaucoup sévissent encore aujourd’hui, après la publication de son Voyage au centre du malaise français. Il faut relire ce qu’en disaient alors les Joffrin, Szafran, Ferry, Jean-Paul Enthoven, Robert Maggiori, Colombani, Françoise Giroud, Gérard Leclerc, etc. 

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Rencontre avec Didier Lemaire: un hussard de la République aux prises avec l’islamisme

Pour y répondre, il écrivait dans Le Débat : « Les choses sont ce qu’elles sont. Je n’écris pas dans la collection Harlequin, ni pour la Bibliothèque rose. Ce livre est un livre sur la mort et sur l’angoisse. De la première à la dernière page, il parle de la mort, de la dilution. Non pas de la mort individuelle, mais de quelque chose de bien pire, de ce qui rend supportable la mort des individus parce qu’elle lui donne un sens, la certitude d’avoir été un maillon de la continuité collective, ce sentiment de sécurité identitaire minimal et proprement humain qui autorise à œuvrer sans développer d’insupportables angoisses sur l’avenir du groupe. » C’était en 1993.

Un mode de vie étranger qui s’impose

On a prétendu vous faire dire que la ville de Trappes serait en quelque sorte « à feu et à sang ». Je suis bien placé pour savoir, comme « musulman d’apparence » vivant dans une HLM parisienne islamisée, que la violence physique n’est pas nécessaire pour imposer un mode de vie et une culture totalement étrangère à la tradition française. Il y a à peine une semaine, tenant un chien en laisse devant l’ascenseur, mon voisin, père de famille tunisien qui se rend tous les jours à la Grande Mosquée toute proche, fort sympathique au demeurant, m’a supplié de ne pas l’approcher : « Si votre chien me frôle, je vais être obligé de refaire mes ablutions », m’a-t-il dit. 

Je vis en rasant les murs, supportant les insultes de gamins qui me surprennent avec une cigarette en période ramadan, me traitent de kouffar parce que je vis seul, etc. 

A lire ensuite, Martin Pimentel: A Trappes nigaud

Il faut aussi supporter la transformation du paysage en plein Paris : femmes enfoulardées, hommes barbus en kamis, etc. 

La « bande-son » aussi faite de dialectes exotiques auxquels on ne peut s’habituer lorsqu’on est amoureux d’une certaine langue qui constitue la vraie patrie. Il faut finir sa vie en exil.

Croyez bien, s’il vous plaît Monsieur, à mon entier soutien et à ma toute cordiale sympathie.

Rachid B.

Île de la Cité/marché aux fleurs: il faut craindre le pire

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Le marché aux fleurs en 1951. Il anime le quai de Corse depuis le début du XIXe siècle. ©Agip/Bridgeman Images

Villedeparisme. Après avoir entériné la fermeture du marché aux oiseaux, le conseil de Paris poursuit la « réhabilitation » du marché aux fleurs. Ce mot laisse présager une restructuration profonde de ce coin si poétique de la capitale. Quand la mairie de Paris parle d’esthétique, il faut craindre le pire.


Dès que la Mairie de Paris parle de patrimoine, on s’attend au pire. Une crainte plus que jamais justifiée dans le cas du marché aux fleurs – qui abrite le marché aux oiseaux chaque dimanche –, tant les menaces pesant sur cette place Louis-Lépine et ses pavillons fin xixe sont nombreuses et récurrentes. Nous avions été quelques naïfs à penser que la visite de la reine d’Angleterre, en juin 2014, sur ce marché rebaptisé à cette occasion « Marché aux fleurs-Reine Elizabeth-II », lui garantirait une protection éternelle. Las, dès 2016, François Hollande, alors président de la République (si, si, souvenez-vous), confiait à Dominique Perrault, l’architecte qui a commis la BNF-François-Mitterrand, une mission d’étude sur « l’avenir de l’île de la Cité ». Ceux qui ont vu l’exposition de son projet visionnaire à la Conciergerie sont encore en état de choc. Il proposait de raser toute cette place, selon lui scandaleusement sous-exploitée avec ses petits pavillons charmants et désuets, afin d’y construire un cube de verre sur plusieurs étages « à la façon du Crystal Palace ». Tant de modestie n’a pas convaincu et l’idée de transformer l’île-mère de Paris en centre commercial pour touristes a été abandonnée. De toute façon, il n’y a plus de touristes et le marché aux fleurs a pu tranquillement bénéficier de la négligence de la Ville. Comme souvent désormais, il a fallu attendre un état de dégradation avancée pour que le Conseil de Paris vote, en décembre dernier, sa réhabilitation avec « remise dans leur état d’origine des halles patrimoniales » et, pour cela, un budget de près de 5 millions d’euros. Le chantier devrait s’étaler de 2023 à 2025 (flûte, en plein JO).

On pourrait se féliciter de ce vote, mais cette mauvaise habitude de voir le mal partout me pousse à m’interroger sur les intentions réelles de la municipalité. Il suffit de lire son site pour se gratter la joue : « Le projet prévoit aussi de repenser l’usage des lieux pour les commerçants comme pour les visiteurs. Une piétonnisation des abords du marché et de ses allées centrales est prévue, ainsi qu’une végétalisation en pleine terre avec notamment la plantation d’arbres et l’implantation d’un stand de petite restauration. Le règlement du marché, actuellement en régie directe, sera aussi révisé. Enfin, les boîtes sur le quai de Corse devraient être déposées afin de retrouver la vue sur la Seine. »

Végétaliser un marché aux fleurs déjà blotti entre les arbres est une idée rigolote, je doute en revanche que la Préfecture de police voisine accepte la piétonnisation de la rue de la Cité qui la dessert. Couper la circulation quai de Corse ne serait qu’une contrariété de plus infligée aux Parisiens qui, à en juger par le résultat des élections, semblent adorer qu’on leur pourrisse la vie, et supprimer ces « boîtes » ne ferait que mettre quelques fleuristes au chômage. Sauf si le projet de réhabilitation prévoit de construire de nouvelles « halles patrimoniales » ; d’ailleurs, on préfère ne pas imaginer à quoi ressemblera le « stand de petite restauration » ni la nature de celle-ci.

Il est également annoncé le lancement d’un concours d’architectes. S’il est bien question d’une « remise dans leur état d’origine des halles patrimoniales », la supervision du chantier par un architecte des Monuments devrait suffire, non ? Faudrait-il comprendre que cette « remise en état » inclurait quelques mètres d’asphalte supplémentaires et quelques baraques d’architecte pour répondre à la promesse du Conseil de Paris de « repenser l’usage des lieux » ?

Sous la pression, bienvenue, d’une association de défense des animaux, la PAZ (Paris animaux zoopolis), l’Hôtel de Ville a d’ores et déjà commencé à le repenser, cet usage des lieux. Pour entériner la fermeture du marché aux oiseaux, institution remontant au Premier Empire, Christophe Najdovski, le maire adjoint chargé de la condition animale, a déclaré qu’il « était devenu l’épicentre d’un trafic d’oiseaux » et que, « malgré un certain nombre d’actions menées, ces trafics perdurent aujourd’hui ». On peut ici penser à cette expression : « Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage. » La PAZ dénonçait aussi un « vestige d’un autre temps ». Vlan ! Argument imparable, plus fort que les images filmées par L214 dans les abattoirs, et qui motive également ses actions pour fermer le zoo du jardin des Plantes et interdire la pêche dans la Seine.

Dans Les Échos du 26 novembre 2020, Emmanuel Grégoire, premier adjoint du maire de la capitale en charge de l’urbanisme et de l’architecture, annonçait tout de go qu’il y avait un « besoin » de repenser l’esthétique de Paris et qu’à cette fin, un « Manifeste pour une nouvelle esthétique parisienne » présentant la « doctrine » de l’équipe dirigeante verrait le jour au printemps, après une « grande consultation » qui inclura les élèves des classes primaires. Sa prose est un délice : « La mairie veut faire du design l’un des éléments de critères dans les appels d’offres pour les marchés publics […] avec des indications très contraignantes, comme des lignes de grammaires esthétiques ou un référentiel de couleurs imposées. » Pour rassurer les sceptiques, il ajoutait : « Nous essayerons d’aller le plus loin possible. »

Les intentions sont désormais très claires, donc, oui, je m’attends au pire. Toutefois, afin de surmonter cette mauvaise passe, j’envisage de faire appel à l’adjointe au maire en charge de la Résilience.

Signé Conchon!

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Jean-Louis Trintignant et Claude Brasseur dans "Une Affaire d'hommes" de Nicolas Ribowski (1981). Image: jaquette du DVD.

Sortie en DVD d’«Une affaire d’hommes» de Nicolas Ribowski, scénario et dialogue de Georges Conchon


Comment a-t-on pu si vite oublier le nom de Georges Conchon (1925-1990)? La postérité est forcément injuste. Dégueulasse même. Elle promeut les médiocres, les bateleurs et les habiles communicants de leur propre œuvre. Tandis que disparaissent des écrits essentiels au fond des boîtes, dans la poussière des bouquinistes, le papier jauni entre les mains et cette odeur tenace de semi-moisi qui prend le nez, Conchon écrivit des romans qui obtinrent pourtant, en leur temps, des distinctions à la pelle: Prix Fénéon 1956 pour Les Honneurs de la guerre, Prix des Libraires 1960 pour La Corrida de la victoire, Prix Goncourt 1964 pour L’État sauvage etc… Et même des romans qui connurent des adaptations au cinéma avec, s’il vous plaît Visconti, Rouffio, Annaud, Girod ou Chéreau (L’Étranger, Sept morts sur ordonnance, La Victoire en chantant, Le Sucre, La Banquière, Lacenaire, etc…).

Conchon démontait les mécanismes les plus complexes, rien ne résistait à son appétit de dissection…

À ma connaissance, aucun comité de défense de Georges Conchon ne s’est constitué pour réparer cette injustice. Alors que d’autres écrivains mineurs ont droit à des campagnes d’affichage dans les rues de Paris et les génuflexions d’une presse culturelle déconsidérée par des années d’errements esthétiques. Que fait également l’Université si prompte d’habitude à colloquer sur les opprimés des Lettres et le moindre dissident politique ayant pondu un poème mal séquencé?

Le contraire d’un idéologue

On peut avancer deux arguments pour expliquer ce désintérêt, voire cette méconnaissance totale pour l’un des piliers de la littérature française dans la deuxième moitié du XXème siècle: Conchon écrivait bien et ses livres s’appuyaient sur une réalité sociale peu reluisante. Il enquêtait, à la manière des Américains, de longs mois, il s’imprégnait à fond d’un sujet afin d’en percevoir toutes les faces obscures, de la décolonisation au marché à terme de marchandises, il démontait les mécanismes les plus complexes, l’Afrique, le sucre ou le pouvoir judiciaire, rien ne résistait à son appétit de dissection.

Il n’avançait jamais avec les œillères de son milieu d’origine. Pour cet homme de gauche, aucun camp n’avait le monopole du cœur. Il distribuait les coups de griffe de chaque côté. C’était le contraire d’un idéologue, son indépendance d’esprit menaçait les affidés du système. À sa parfaite connaissance des thèmes les plus arides du moment, il avait le don inné pour le dialogue. Il préférait utiliser le singulier comme si le pluriel dénaturait sa tapisserie et détraquait sa dramaturgie.

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Le dialogue est un tout, harmonieux et rond, qui façonne une histoire. Conchon écrivait des histoires, de très bonnes histoires inspirées de faits réels qui passionnaient les lecteurs et fascinaient les réalisateurs. C’en était trop pour un seul homme. Un type qui plaît autant est forcément suspect aux yeux des aigris et censeurs de l’édition. Pour couronner le tout, il était Secrétaire des débats au Sénat. Fonctionnaire et écrivain, ami de Carmet et de Gégé, proche de Rocard et ayant été à l’école avec Giscard sous l’Occupation, Auvergnat et prolixe à la fois, pointilleux sur la véracité et doué d’un comique persifleur, humaniste sans être victimaire, doué pour le portrait psychologique et la frise policière, Conchon incarnait cette qualité «France» qui résiste au temps et qui nous manque tant. Il n’avait pas la gueule de l’emploi, pas le genre débraillé ou bohème chic, plutôt rond-de-cuir à la Courteline ou notaire balzacien; lunettes épaisses et costume trois pièces; rigueur vestimentaire et fantaisie littéraire. À son contact, on prend une leçon d’écriture et d’humilité que ce soit sur papier imprimé ou grand écran.

La précision d’une montre suisse

Datant de 1981, « Une affaire d’hommes » avec Claude Brasseur dans le rôle du commissaire Servolle et Jean-Louis Trintignant dans celui du promoteur immobilier Louis Faguet en est une illustration magistrale. Le film ressort en DVD agrémenté d’un entretien exclusif très éclairant avec le réalisateur Nicolas Ribowski. En évoquant le souvenir de Conchon, il file la métaphore horlogère, il parle d’une «Patek Philippe» tellement le scénario et le dialogue entraînent une mécanique implacable. La science narrative de Conchon a la précision d’une montre suisse, elle lance insidieusement le chronomètre de la défiance quand l’amitié vient à dérailler.

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Le film se passe essentiellement à Longchamp dans un peloton de cyclistes amateurs.

Quand l’un des coureurs vient à être accusé du meurtre de sa femme, le groupe vacille. À l’originalité du sujet et la beauté du duel fascinant entre Brasseur et Trintignant, mélange d’endurance et de désamour, «Une affaire d’hommes» vaut pour le décor. Les tours de pistes, les crevaisons et les fringales, l’hiver parisien, la sueur qui colle au cuissard et l’effort sans cesse renouvelé pour améliorer son chrono ou trahir ses amis. Le casting (Jean-Paul Roussillon, Jean Carmet, Eva Darlan, Béatrice Camurat, exceptionnel Patrice Kerbrat sans oublier la présence de Noëlle Châtelet et Elisabeth Huppert) fait de ce film, une référence du genre. Sucer la roue de Conchon n’est pas tromper!

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L’école à la maison? Péguy et Stendhal répondent

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Charles Péguy. ©Lavoro / Leemage / via AFP

Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.


L’article 21 de la loi sur le séparatisme visant à restreindre l’instruction à domicile ravive une guerre scolaire qui ne date pas d’hier. L’école laïque a pourtant été célébrée longtemps dans notre littérature comme une référence républicaine, politique mais aussi poétique, de Péguy à Marcel Pagnol en passant par Louis Pergaud. Mais l’école, laïque ou pas, est pour nombre de parents synonyme d’une intrusion dans l’éducation de leurs enfants par des valeurs qu’ils ne partagent pas. Le Monde publie le témoignage d’une mère qui a fait le choix d’éduquer ses trois filles à la maison: « L’État s’autoproclame premier éducateur de nos enfants, mais cela va à l’encontre de tous les textes fondateurs ! » Il est intéressant de voir que Charles Péguy, d’une certaine manière, conforte cette analyse : « Il ne faut pas que l’instituteur soit dans la commune le représentant du gouvernement ; il convient qu’il y soit le représentant de l’humanité ; ce n’est pas un président du Conseil, si considérable que soit un président du Conseil, ce n’est pas une majorité qu’il faut que l’instituteur dans la commune représente. [] Il est le seul et l’inestimable représentant des poètes et des artistes, des philosophes et des savants. » (Œuvres en prose) Pourtant Péguy poursuit : « Mais pour cela, et nous devons avoir le courage de le répéter aux instituteurs, il est indispensable qu’ils se cultivent eux-mêmes ; il ne s’agit pas d’enseigner à tort et à travers. »

Il semble là, par anticipation, répondre aux dérives pédagogistes et à la baisse du niveau des enseignants et des élèves qui sont aussi une des motivations de l’école à domicile. Premières raisons évoquées en effet par les associations : « La formation des enseignants incomplète, le refus du redoublement, l’évolution de la société qui fait que la parole de l’enseignant est moins prise en compte. »

A lire aussi, la tribune d’Anne Coffinier: Voilà pourquoi nous défendrons l’instruction en famille jusqu’à la victoire

Cette résistance fera-t-elle réapparaître dans le roman cette figure du précepteur qui avait disparu au profit de celle de l’instituteur ? Précepteur qu’on voit, par exemple, dans Le Rouge et le Noir avec Julien Sorel. Ce ne serait pas forcément fait pour rassurer les partisans de l’école à la maison : « Les enfants auxquels l’on avait annoncé le nouveau précepteur, accablaient leur mère de questions. Enfin Julien parut. C’était un autre homme. C’eût été mal parler de dire qu’il était grave ; c’était la gravité incarnée. »

Il n’empêche que cette « gravité incarnée » ne l’empêchera pas de devenir l’amant de Madame de Rénal mère. Autant dire que l’école à la maison est à manier avec prudence…

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Un film noir beau comme un diamant brut

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"Du Rififi chez les Hommes" (1955) de Jules Dassin avec Marie Sabouret et Jean Servais © SIPA / Numéro de reportage : 00483253_000002

Du rififi chez les hommes de Jules Dassin, maître du réalisme social, à revoir sur Arte


Le très beau film noir Du rififi chez les hommes de Jules Dassin (1955) est l’histoire d’un cambriolage qui tourne à la tragédie pour Tony le « Stéphanois » et sa bande de malfrats à la fois rudes et droits.

De retour à la liberté après cinq ans de prison, Tony « le Stéphanois » retrouve ses amis Jo « le Suédois », Mario et César. Pour reconquérir Mado, maquée avec un autre caïd Pierre Grutter, Tony accepte de monter un nouveau coup: le cambriolage d’une célèbre bijouterie parisienne. Le casse, préparé avec minutie et rigueur, réussit à merveille. Mais une erreur du dandy séducteur César va mettre une bande rivale, celle des frères Grutter, à la poursuite du quatuor. 

Un Américain à Paris

Jules Dassin était déjà l’auteur d’excellents films noirs dont Nazi Agent (1942), un thriller d’espionnage avec Conrad Veidt; Les Démons de la liberté (1947), un asphyxiant huis clos, cru et brutal, contant l’évasion d’un pénitencier, avec Burt Lancaster; La Cité sans voiles (1948) superbe portrait de New York, centré sur la recherche d’un monstre criminel ou Les Bas-Fonds de Frisco (1948), un drame social tragique. Jules Dassin se révèle dans cette veine un cinéaste méticuleux et précis construisant une œuvre où l’univers du thriller est fortement marqué par un réalisme social noir.

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Jules Dassin a été dénoncé à la fin des années quarante pour ses sympathies communistes par le cinéaste Edward Dmytryk (le réalisateur de Ouragan sur le Caine, Le Bal des maudits, L’Homme aux colts d’or). Il se retrouve sur la liste noire des maccarthystes.  Le cinéaste doit alors s’exiler en 1949 en Europe, où il tourne à Londres en 1950, l’un de ses chefs-d’œuvre, Les Forbans de la nuit avec Richard Widmark et Gene Tierney. Et c’est à Paris qu’il tourne en 1955 l’une de ses plus belles œuvres : Du rififi chez les hommes

Un roman d’Auguste Le Breton

Le film bénéficie d’un scénario signé par Jules Dassin lui-même mais aussi René Wheeler et Auguste Le Breton qui adapte ainsi son roman éponyme publié en Série Noire. Servi par le superbe noir et blanc contrasté et scintillant du chef-opérateur Philippe Agostini et des interprètes tous excellents, le film est une pure tragédie noire. Jean Servais est impeccable dans le rôle de Tony le Stéphanois, gangster froid, dur et sans pitié mais respectueux des codes des truands. Atteint de tuberculose et désabusé, il mène ce nouveau cambriolage avec brio et reste fidèle à ses amis jusqu’à l’issue fatale. 

La mise en scène virtuose de Jules Dassin, son sens du cadre acéré et du montage sec suivent les codes du film noir américain. Deux séquences d’anthologie: le cambriolage (trente-cinq minutes sans une seule parole) et la scène finale, une fulgurante course automobile. 

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Du Rififi chez les hommes est une pierre précieuse filmique qu’offre le cinéaste américain à son nouveau pays d’adoption, la France. Longtemps après la vision du film, la belle complainte mélancolique Du rififi chez les hommes, chantée par Magali Noël à L’Âge d’or, le cabaret des frères Grutter, nous hante. Un film noir qui a influencé sans aucun doute le grand Jean-Pierre Melville pour ses films Le Deuxième souffle, Bob le flambeur ou Le Cercle rouge.

Du Rififi chez les hommes un film de Jules Dassin, France – 1955 – 2h02
Visible sur ARTE le jeudi 1er avril à 13h30 et en replay arte.tv. DVD/BLU RAY Classiques Gaumont

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Ce que Hitler doit au Docteur Trebitsch

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Arthur Trebitsch D.R.


 Le billet du vaurien


Il est toujours agréable de faire une découverte, même si en l’occurrence c’est celle d’un personnage peu recommandable: Arthur Trebitsch (1880-1927). Juif viennois, il a inspiré un roman de Joseph Roth La toile d’araignée (1923) sur le national-socialisme où il figure d’ailleurs sous son vrai nom. Il est surprenant que les historiens qui se sont penchés sur l’histoire du nazisme aient ignoré le docteur Trebitsch qui non seulement influença Hitler, mais finança le parti nazi à ses débuts. Le portrait qu’en fait Joseph Roth le rendrait d’ailleurs plutôt sympathique: avec sa barbe rousse, ses yeux bleus et son physique athlétique, son intelligence supérieure et son excentricité. 

Ma paranoïa et moi

Arthur Trebitsch qui fréquenta le même lycée à Vienne que son ami Otto Weininger, se croyait investi d’une mission: sauver la race nordique du poison juif. Était-il conscient que sa haine du peuple juif relevait de la paranoïa? Vraisemblablement, puisqu’il fit quelques séjours à l’hôpital psychiatrique où on le jugea désespérément normal. Ce qui l’amena dans ses instants de lucidité à écrire un livre au titre accrocheur: Ma paranoïa et moi. Il le publia dans la maison d’édition qu’il avait créée: les éditions Antéa, du nom du géant grec Antée, fils de Poséidon et de la mère de la terre, Gaia. 

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Le chancelier Hitler citait volontiers le géant antique Antée « qui chaque fois qu’il tombait à terre se relevait plus fort encore » et conseillait la lecture de la profession de foi de Trebitsch Esprit et judaïté qui datait de 1919. D’ailleurs, les deux hommes se connaissaient personnellement, non seulement parce qu’ils partageaient la même vision du monde, mais aussi parce que Trebitsch avait créé la branche autrichienne du parti nazi. Comme tout bon paranoïaque, il se méfiait de tous ces serpents juifs qui infiltraient le parti et vérifiait s’ils n’étaient pas circoncis. Même Hitler avait un peu de peine à le prendre au sérieux, tout en affirmant que Trebitsch était capable de démasquer les juifs comme personne ne l’avait fait avant lui. Il songea même à lui confier la fonction de responsable de l’éducation idéologique du peuple allemand occupée par Alfred Rosenberg (encore un Juif selon Trebitsch) avant de l’écarter définitivement.

Toi aussi, tu es juif

Sans doute intimement persuadé que Hitler avait usurpé la place qui lui revenait, il poursuivit néanmoins en solitaire sa lugubre mission allant de ville en ville pour prêcher l’éradication des Juifs. Il parlait devant des centaines de personnes incapables de comprendre un moindre mot de ses harangues. Mais peu lui importait, il avait la certitude d’accomplir par là un acte égal à celui de Luther brûlant la bulle papale. Il tenait également un registre de noms allant de Streicher à Rosenberg, sans omettre Strasser, qui sapaient la cause sacrée à laquelle il se donnait corps et âme. 

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Theodor Lessing, qui l’a bien connu, était frappé par le fait que son délire se concentrait sur un point unique: l’empoisonnement du monde par les Juifs. « Dans tous les autres domaines, ajoute-t-il, il faisait preuve d’une lucidité et d’une logique rares. L’entendre parler était un délice, tant son argumentation était lumineuse. » Mais quand il évoquait les multiples tentatives d’empoisonnement dont il avait été victime, une certaine gêne s’installait. Et quand il exigeait que l’on examinât son sang pour avoir la preuve qu’il était bien un Germain, plus aucun doute n’était permis, il ne pouvait pas se détacher de ce constat: « Toi aussi, tu es juif. » 

Il se considérait d’ailleurs comme un être maudit. « Faut-il voir en lui un homme méprisable ou un homme malheureux ? » se demanda Theodor Lessing quand il apprit sa mort provoquée par une tuberculose miliaire. Trebitsch n’a jamais cru en ce diagnostic. Jusqu’à sa dernière heure, il demeura convaincu que les Juifs, ayant déjoué toutes ses précautions, étaient parvenus à l’empoisonner. Quant à Hitler, il ne fit qu’un bref commentaire: « Je ne sais plus rien de lui. Mais je n’ai pas oublié ce qu’il a écrit. »

Belgique: en route vers la sanocratie

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Le Premier ministre belge Alexander De Croo au Parlement, Bruxelles, février 2021 © Shutterstock/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40829357_000001

Quelques jours après la France, la Belgique vient à son tour d’instaurer un nouveau confinement qui ne dit pas son nom, suite à une hausse modérée des contaminations ainsi que des admissions hospitalières et en soins intensifs. Nos voisins se reconfinent pour quatre semaines,
les écoles et commerces ferment, mais les déplacements restent autorisés. 


Les nouvelles mesures prises en Belgique démontrent, s’il le fallait encore, que les indicateurs Covid sont désormais les ordonnateurs en dernière instance de la politique de nos gouvernements, reléguant au second plan tous les autres aspects de la vie et de la gestion des affaires publiques. Dans le même temps, sous les auspices du projet de « Loi Pandémie » visant à fournir une base légale stable aux mesures sanitaires, le plat pays pourrait bien fournir à l’Europe le prototype d’un nouveau régime en passe de s’installer : la sanocratie. 

L’Absurdistan met la Constitution aux oubliettes

Avec 1948 morts par million d’habitant, la Belgique occupe à ce jour la quatrième place du classement mondial des pays avec le plus lourd bilan du Covid-19. Après deux confinements stricts, un couvre-feu – à une heure différente selon les régions – et un arsenal de mesures sanitaires restrictives, attentatoires aux libertés publiques, dépourvues de légitimité démocratique et bien souvent incohérentes –, au point d’avoir fait gagner au pays le surnom d’ «Absurdistan» –, la Belgique est pourtant peu suspecte d’avoir pêché par « laxisme » ou « rassurisme » face au coronavirus. Quoi qu’il en soit, entre les pressions croissantes pour la réouverture de différents secteurs devant les conséquences désastreuses des fermetures d’activité, et la nouvelle instauration d’un « semi-confinement », l’arsenal juridique des interventions gouvernementales pour motif sanitaire est aujourd’hui au centre d’une bataille larvée autour du projet de « Loi Pandémie ».

Le gouvernement belge s’obstine dans une approche qui a été tenue continuellement en échec

Suite au premier épisode épidémique de mars 2020 qui a vu l’octroi de pouvoirs spéciaux au gouvernement, alors en affaires courantes, les mesures sanitaires visant à juguler l’épidémie de Covid-19 ont depuis été établies par arrêtés ministériels, y compris par le nouveau gouvernement De Croo, fraîchement entré en fonction le 1er octobre 2020. C’est notamment le cas des mesures telles que l’imposition du port du masque en extérieur ou dans les transports publics, de la limitation de la « bulle sociale » ou des rassemblements, sous peine de sanction. Ces dispositions se fondent sur plusieurs textes de lois existants : loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile (art. 4) ; la loi sur la fonction de police du 5 août 1992 (art. 11 & 42) ; la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile (art. 181, 182 et 187), autorisant le ministre ou les bourgmestres (maires) à réquisitionner des biens ou des personnes et à restreindre la liberté de circulation. Or, plusieurs juristes ont déjà montré que ces lois ne permettent en aucun cas de fonder les sanctions prévues par les différents arrêtés ministériels instituant les mesures sanitaires précitées. Dès lors, ces arrêtés sont en violation manifeste de la Constitution, laquelle stipule que « Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu’elle prescrit » (art. 12), et que « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi » (art. 14). En vertu de ce principe, au mois de janvier, un individu qui avait été verbalisé pour non-port du masque dans la rue s’était d’ailleurs vu acquitter par le Tribunal de Police de Bruxelles (le Parquet a depuis fait appel, l’affaire est toujours en cours).

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Devant les problèmes juridiques et politiques récurrents que posent ces arrêtés, le gouvernement a déposé début février un avant-projet de loi « relatif aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique », résumé sous l’appellation de « Loi Pandémie ». L’objectif déclaré de ce projet est de rendre une légitimité politique aux mesures sanitaires en renforçant le rôle du Parlement dans leur élaboration et leur mise en place. Intention louable s’il est, qui mettrait fin à l’arbitraire des mesures décidées par les « Comités de Concertation » successifs et des groupes d’experts qui les conseillent, déjà pointés du doigt pour le peu de cas qui y était fait des aspects psychosociaux, éducatifs et culturels, de même que pour les conflits d’intérêt auxquels certains de leurs membres sont exposés. 

Persévérer dans l’erreur… mais en tout légalité

Mais au-delà de la faiblesse de leur base juridique, de l’inconstitutionnalité manifeste de certaines d’entre elles, et de leur absence de légitimité démocratique, c’est aussi la pertinence et la cohérence de ces mesures qui questionne et érode l’adhésion de la population à leur égard. Car on ne peut qu’être frappé par la monotonie et l’indigence des stratégies mises en places par l’exécutif belge : en phase « haute », confinements, fermetures d’activités, restrictions de déplacement, enseignement et travail à distance ; en phase « basse », réouvertures (non sans contraintes et protocoles stricts), activités en présence, contacts et circulation accrus. Voilà, en tout et pour tout, la boîte à outils des décideurs belges. Or, et c’est là le point central du problème, la « Loi Pandémie » en cours d’élaboration ne prévoit aucun revirement stratégique à cet égard, pas plus qu’elle ne propose l’implication du Parlement ni ne s’enquiert de consulter la population d’une façon ou d’une autre pour délibérer de la mise en place de mesures d’une si exceptionnelle gravité. Elle se borne, simplement, à faire avaliser par le Parlement la possibilité pour le gouvernement d’édicter des mesures sanitaires par arrêtés ministériels – reconnaissant ainsi implicitement l’irrégularité de la situation présente –, et ce « en situation d’urgence d’épidémique ». Mais précisément, qu’est-ce donc qu’une situation d’urgence épidémique ? Le texte la définit comme « tout événement qui entraîne ou qui est susceptible d’entraîner une menace grave suite à la présence d’un agent infectieux chez l’Homme ». En dépit d’autres critères venant compléter cette définition (nombre de personnes potentiellement touchées, effet potentiel sur la mortalité, débordement des services de santé, besoins de coordination, reconnaissance par l’OMS etc.), c’est bien, en définitive, le gouvernement qui sonne l’alarme de cette « urgence épidémique », avec pour seule obligation de fournir les chiffres sur lesquels se fonde cette décision. Rien, en revanche, n’est prévu pour en contester la validité ou en stopper la mise en place via une quelconque instance de contrôle. 

À partir de là, tout le reste de la loi ne concerne que les aspects pratiques et administratifs, qui sont presque un copié-collé des dispositions existantes (imposition du port du masque en différents contextes, distanciation sociale obligatoire, limitation de contacts, etc.) et des astreintes prévues en cas de non-respect de celles-ci. En plus d’avoir déjà été épinglé par plusieurs juristes pour son opacité et son manque de précision, et recalé par l’Autorité de protection de données pour absence de garanties suffisantes, ce projet de Loi pêche surtout par l’incroyable indigence stratégique qui le caractérise. Un an après le début de l’épidémie, le gouvernement belge s’obstine dans une approche qui a été tenue continuellement en échec, qui n’affiche aucune plus-value au regard de celle, moins restrictive, conduite dans d’autres pays (Corée du Sud, Taiwan, Suède, ou même Allemagne), et dont les mesures n’ont eu qu’un effet marginal sur la dynamique du Covid-19 dans le pays, au prix d’un coût social, économique et psychologique catastrophique.

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Plusieurs voix du monde scientifique se sont pourtant déjà élevées pour dénoncer le dogme de la gestion de crise actuelle et suggérer d’autres pistes: remise en cause de la pertinence d’appliquer des mesures en population générale plutôt que d’avoir recours à une prophylaxie renforcée pour les personnes à risque ; détection et prise en charge précoce, et utilisation de tests antigéniques rapides, comme le proposait récemment le collectif d’universitaires #CovidRationnel; enfin, et bien évidemment, embauches de personnel et augmentation de la plasticité du système hospitalier. À tout cela, le gouvernement belge est sourd et aveugle. On ne change pas une équipe qui perd, semble-t-il.  

Loi Pandémie: prélude à la sanocratie?

Un débat parlementaire autour de la législation relative aux mesures d’urgence est évidemment essentiel. Toutefois, le projet du gouvernement belge actuel annonce une tendance très dangereuse, qui ne ferait qu’entériner le statu quo et légaliser une gestion arbitraire, incohérente, improvisée, visant indistinctement la population plutôt que les publics-cible, et négligeant les éléments structurels qui permettraient une véritable résilience du système de santé. Le tout au prix d’un piétinement des libertés publiques (liberté de réunion et de circulation, liberté d’entreprendre, droit à l’épanouissement culturel et social, etc.) inédit depuis la seconde guerre mondiale, et d’effets éducatifs et sanitaires à long terme (santé mentale, retards diagnostiques, traitements tardifs d’autres maladies etc.) qui rendent chaque jour le rapport « bénéfices/risques » de ce semi-confinement de plus en plus défavorable. Plus encore : comme le rappelait une récente carte blanche, l’objectif initial de « contenir » la vague épidémique qui nous débordait au printemps 2020 a subrepticement été remplacé par l’objectif de « contrôler le virus » et ses effets collatéraux hors des phases épidémiques…

Ce changement d’optique, qui subordonne pratiquement tous les aspects de la vie en société à la limitation du flux de malades – pour le motif inavoué de pallier l’impéritie des gouvernements passés et présents en matière de santé –, et son mode de gestion « automatisée », hors de tout débat démocratique, nous conduit donc tout droit, mais silencieusement, vers rien moins qu’une nouvelle forme de régime politique. À la « démocratie », où l’intérêt général et la volonté du peuple sont la raison ultime du pouvoir, pourrait bien succéder la « sanocratie », où la « tension minimale sur le système de santé » deviendrait l’alpha et l’omega d’une gestion autoritaire des affaires publiques, au risque de mettre en péril la culture, la sociabilité, l’enseignement, le petit commerce, et avec eux l’essentiel de la civilisation européenne.

Xavier Bertrand peut-il gagner son pari?

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Xavier Bertrand Photo: Hannah Assouline

Xavier Bertrand a précipité l’annonce de sa candidature pour 2022 cette semaine. Le président du conseil régional des Hauts-de-France, qui a quitté LR en 2017, peut-il espérer l’emporter? Et que va faire son ancienne famille politique? Les analyses de Philippe Bilger


Xavier Bertrand a décidé d’annoncer officiellement sa candidature à l’élection présidentielle. On voit bien pourquoi il était important pour lui de sortir du piège tendu par Emmanuel Macron, consistant à manipuler à sa guise la date des élections régionales prévues en juin et peut-être retardées. Xavier Bertrand aurait été prisonnier de son engagement, assurant qu’il ne serait candidat en 2022 qu’après sa victoire aux régionales. Il a échappé au guêpier. Ce n’est pas dire que l’avenir est forcément rose pour lui et plus généralement pour la droite. Xavier Bertrand se qualifie de « gaulliste social » mais cet adjectif, qui pourrait aujourd’hui ne pas le revendiquer ? Et son gaullisme mettant fortement l’accent sur la faillite régalienne du président n’est pas aux antipodes d’une droite consciente d’elle-même.

N’est pas de Gaulle qui veut

On a le droit, aussi estimable que soit cette personnalité qui sincèrement a jeté par-dessus bord la comédie politicienne, de s’interroger sur sa stratégie. J’entends bien sa volonté de nouer un dialogue direct avec les citoyens, mais n’est pas de Gaulle qui veut. Par ailleurs, si on a bien compris qu’il va « accélérer pour écraser le match » en ayant l’intention de multiplier ses interventions[tooltips content= »«Le président des Hauts-de-France veut multiplier les prises de parole dans les prochaines semaines pour s’imposer à droite», selon le Figaro du 25 mars »](1)[/tooltips], imaginons qu’il ne parvienne pas à se rendre incontournable et soit contraint de réexaminer sa tactique. Certes il a affirmé qu’il ne participerait jamais à une « primaire » parce qu’il est persuadé que LR lui tiendra toujours rigueur de son départ. D’abord ce n’est pas exact et ensuite quelle solution de remplacement pour lui ?

À considérer l’évolution de la hiérarchie officielle de LR, il semble acquis que Xavier Bertrand, quoique à l’extérieur, est déjà mieux perçu et accepté que ceux qui, à l’intérieur, auraient l’adhésion majoritaire des militants, par exemple Bruno Retailleau.

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Que Xavier Bertrand campe sur sa position de refus de la primaire ou du « départage » alors qu’enfin, sous l’égide du président Larcher, un système satisfaisant et efficace va être trouvé et que les oppositions à cet inévitable processus se réduisent jour après jour – Valérie Pécresse a souhaité récemment une primaire la plus large et ouverte possible -, on verrait mal quelle pourrait être la solution de repli pour lui.

Pour battre un président sortant plus de gauche que de droite, Bertrand ne peut pas faire fi de sa famille politique historique

Il serait d’autant plus dans une nasse – sauf à aspirer à un combat solitaire et désespéré – si la primaire apportait sa légitimité à un incontestable vainqueur. Comment concevoir que Xavier Bertrand, conscient de l’échec de sa stratégie personnelle, puisse ne pas tenir compte de l’aura de celui ou de celle qui l’aura emporté lors du départage ? Il se retirerait de la course et le plus probable alors est que lucide et solidaire, il se battrait pour faire gagner la cause de son camp. Dans l’hypothèse contraire qui conduirait LR a prendre acte de l’essor irrésistible de Xavier Bertrand, nul doute qu’une telle configuration rebattrait les cartes de la primaire ou la rendrait même inutile. En définitive, Xavier Bertrand ne pourra faire fi, s’il ne progresse pas, d’une primaire totalement réussie. Et LR devra tenir compte de sa position de force s’il domine le jeu de la droite avant 2022.

Quel que soit le visage de l’avenir, au regard de mes préférences de citoyen, une déperdition serait désastreuse qui ne verrait pas Xavier Bertrand soutenir Bruno Retailleau ou ce dernier ne pas apporter son concours et son influence à Xavier Bertrand. Je n’ai aucun scrupule à les réunir car d’une certaine manière ils le sont déjà, pâtissant d’une hostilité et d’une condescendance communes. On les juge sur une apparence qui ne serait soi-disant pas charismatique. Tant mieux. Rien de plus stimulant pour des ambitieux intelligents que d’être traités comme de « Petit Chose »: cela donne de l’élan et égare les adversaires. L’un et l’autre ne sont pas appréciés par Nicolas Sarkozy et par Christian Jacob qu’il convient de créditer de cette incongruité rare : soutenir ceux qui ne sont pas candidats et entraver celui qui l’est, qui recueille un large assentiment mais ne plaît pas à la nomenklatura: Bruno Retailleau. Il y a là des similitudes, entre Xavier Bertrand et lui, qui ne sont pas insignifiantes. Et qui s’ajouteraient à leur volonté de ne pas vendre la droite au macronisme parce que, Bruno Retailleau l’a justement rappelé le 25 mars sur Sud Radio (vidéo ci-dessous), le président de la République est bien plus de gauche, et pas seulement sur le registre régalien, que de droite.

La droite n’est pas à plaindre. Elle n’est pas morte. Elle n’est même pas moribonde. La seule certitude dans l’immense incertitude politique à venir est que probablement le RN sera au second tour de l’élection présidentielle. La droite n’a pas à être traitée avec commisération, avec une sorte d’apitoiement comme si les autres camps regorgeaient de talents et de vainqueurs plausibles. Pas plus la gauche que l’extrême gauche ou les écologistes ne suscitent l’enthousiasme ! Ils ne sont pas pourvus en candidats sérieux. Quant au président de la République, s’il peut se représenter, le premier tour ne sera pas une partie de plaisir pour lui.

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Je persiste donc : la droite n’est pas à plaindre. Par exemple, Xavier Bertrand, Bruno Retailleau, Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez ou David Lisnard offriraient un choix de qualité. Sans primaire, on jouerait le gagnant aux dés ? Certains m’opposeront qu’on n’imagine aucun de ceux-là président. Mais à observer ceux qui le sont devenus, l’espérance de la droite est-elle absurde ?

Claude Sautet l’alchimiste

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Claude Sautet reçoit le César du meilleur réalisateur pour "Un cœur en hiver", 1993 © VILLARD/SIPA Numéro de reportage : 00231251_000025

Loin de l’image surannée d’un cinéaste conventionnel, un documentaire d’Arte ainsi que l’essai de Ludovic Maubreuil montrent toute la complexité d’un homme et d’une œuvre qui va bien au-delà d’une peinture de son époque.


Il est bien fini le temps où les critiques considéraient le cinéma de Claude Sautet comme un reflet bourgeois de l’époque giscardienne. Refrain ô combien entendu. Il était temps. En ce mois de mars de cette triste année 2021, on lui rend partout hommage. Netflix a programmé plusieurs de ses films, Arte diffuse le superbe documentaire d’Amine Mestari : Le calme et la dissonance qui fait apparaître un Sautet tout en nuances et complexité, et enfin l’ouvrage de Ludovic Maubreuil Du film noir à l’œuvre au blanc vient de paraître aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. 

Il s’agit d’une analyse très exigeante, universitaire mais singulière : les films de Sautet sont analysés comme une mécanique qui se grippe dans une sorte d’empire des signes, presque ésotériques. « Sa mise en scène, à tout point opposée à celles, sibyllines et creuses de notre temps, se révèle riche de significations secrètes et cependant immédiatement accessibles. Il faut donner tort à ceux qui n’ont jamais vu en son cinéma, qu’aimables analyses sociologiques et académisme bourgeois. »

Dès son premier film « Classe tous risques » en 1960, Sautet fut gêné par la Nouvelle Vague, car ce premier opus sortira très malencontreusement le même jour que A bout de souffle de Godard. Ce n’est que dix ans après, en 1970, grâce au scénariste Jean-Loup Dabadie qu’il rencontre enfin le succès avec Les choses de la vie, même s’il fut boudé à Cannes à une époque où le cinéma devait être explicitement engagé. 

Trio infernal et mécanique huilée

Ce film genèse définira la thématique propre à Sautet: le trio infernal, la trinité qui n’aboutit jamais, mais qui entraîne la faillite du couple. L’empêchement sentimental est au centre de son cinéma. Comme l’écrit Ludovic Maubreuil, « Sautet a toujours pris un malin plaisir à subvertir la classique trame cinématographique: boy meets girl, boy loses girl, boys gets girl back (…) Dans Les Choses de la vie, cette chronologie se voit ainsi perturbée de manière exemplaire: la rupture nous est montrée avant la rencontre et la réconciliation pourtant actée ne se réalise pas. » La construction en flash back crée également une distanciation quasi brechtienne ; les couples, chez Sautet, sont toujours dans un entre deux, se quittent ou n’arrivent pas à communiquer, mais toujours avec délicatesse. Sautet est à la fois délicat et subversif. Piccoli disait de lui qu’il était si angoissé et bouillonnant qu’il était obligé de s’astreindre à beaucoup de rigueur. En effet ses films obéissent à une mécanique très précise et bien huilée, comme pour ne pas se laisser déborder. 

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Pour signifier la faille, annoncer le malheur ou la joie, toujours mezzo voce, le cinéaste envoie des signaux, des petites choses de la vie qui se répètent, des gimmicks. Ainsi, la pluie est de mauvais augure: « C’est une pluie qui surprend, qui tombe dru et qui oblige à s’abriter en urgence mais surtout annonciatrice de tourments, ou plutôt de tournants dans l’histoire. » Au sein du couple, lorsque César rencontre son rival David pour la première fois dans César et Rosalie. Mais la pluie surgit aussi à des moments plus violents, comme lors d’une bagarre entre père et fils (Yves Robert et Patrick Dewaere) dans Un mauvais fils. L’escalier est fatal, comme celui que remonte Yves Montand / Vincent dans Vincent François Paul et les autres, après avoir passé un coup de fil qui lui annonce sa probable faillite. Le feu en revanche, par exemple toujours dans Vincent, François, Paul et les autres, renforce les liens d’amitié. 

Sautet est d’une pudeur sans limite lorsqu’il évoque l’amour dans ses rares moments de grâce. Il ne montre que de brèves étreintes, selon l’expression de Maubreuil, ainsi, dans ce flash back où les couples qui se délitent de Vincent, François, Paul et les autres, sont montrés en train de danser. On sait alors qu’ils se sont aimés un jour. Le cinéma de Sautet est elliptique et c’est une des raisons pour lesquelles il est à mon sens aussi puissant. Mais la mécanique finit toujours par dérailler pour nous mener à la « faille ontologique ». 

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Car le monde de Sautet se fissure sans cesse. Il y a comme une impossibilité d’accomplissement. Le mariage impossible, l’amitié enfuie, les femmes fortes et les hommes «faibles et merveilleux, qui se retirent du jeu avec grâce» comme disait Tennessee Williams. 

Côté sombre et côté doudou

Ludovic Maubreuil convoque l’alchimie, l’ésotérisme et la psychanalyse jungienne, notamment le concept de synchronicité lorsqu’il analyse le côté sombre du cinéaste. Le réalisme en touches qui fait jaillir un mystérieux symbolisme. La dissonance. Cette dissonance qui est parfaitement incarnée dans le personnage de Daniel Auteuil / Stéphane dans Un cœur en hiver, film mal aimé mais peut-être le plus proche finalement de l’âme du cinéaste, et dénué de tout artifice. Stéphane traverse le film comme un fantôme cynique, refusant l’amour d’Emmanuelle Béart / Camille. Chez Sautet, il n’y aura jamais, jusqu’à la fin, d’amour heureux. Cependant, chez ceux de ma génération, Sautet reste un cinéaste réconfortant, un peu « doudou ». Car c’est la France des jours heureux, celle que nous avons connue enfant et qui nous manque cruellement. Le temps des brasseries bruyantes et enfumées, et Piccoli la clope au bec à longueur de films. Avec la petite musique à la fois  lyrique et étouffée de Philippe Sarde. Cette France que chantait aussi Michel Delpech qui fait partie de la bande son de l’époque: « Lorsqu’il est descendu pour acheter des cigarettes, Jean-Pierre savait déjà qu’il ne reviendrait plus jamais » chante-t-il dans Ce lundi-là. Il y a dans ce bout de texte, toute l’essence de celui qui est sans doute un de nos plus grands cinéastes. 

Le calme et la dissonance d’Amine Mestari sur Arte.tv (jusqu’au 1er mai)

Du film noir à l’œuvre au blanc de Ludovic Maubreuil (Pierre Guillaume de Roux)

Claude sautet

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