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Belgique: en route vers la sanocratie

Gouvernement De Croo: on ne change pas une équipe qui perd


Belgique: en route vers la sanocratie
Le Premier ministre belge Alexander De Croo au Parlement, Bruxelles, février 2021 © Shutterstock/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40829357_000001

Quelques jours après la France, la Belgique vient à son tour d’instaurer un nouveau confinement qui ne dit pas son nom, suite à une hausse modérée des contaminations ainsi que des admissions hospitalières et en soins intensifs. Nos voisins se reconfinent pour quatre semaines,
les écoles et commerces ferment, mais les déplacements restent autorisés. 


Les nouvelles mesures prises en Belgique démontrent, s’il le fallait encore, que les indicateurs Covid sont désormais les ordonnateurs en dernière instance de la politique de nos gouvernements, reléguant au second plan tous les autres aspects de la vie et de la gestion des affaires publiques. Dans le même temps, sous les auspices du projet de « Loi Pandémie » visant à fournir une base légale stable aux mesures sanitaires, le plat pays pourrait bien fournir à l’Europe le prototype d’un nouveau régime en passe de s’installer : la sanocratie. 

L’Absurdistan met la Constitution aux oubliettes

Avec 1948 morts par million d’habitant, la Belgique occupe à ce jour la quatrième place du classement mondial des pays avec le plus lourd bilan du Covid-19. Après deux confinements stricts, un couvre-feu – à une heure différente selon les régions – et un arsenal de mesures sanitaires restrictives, attentatoires aux libertés publiques, dépourvues de légitimité démocratique et bien souvent incohérentes –, au point d’avoir fait gagner au pays le surnom d’ «Absurdistan» –, la Belgique est pourtant peu suspecte d’avoir pêché par « laxisme » ou « rassurisme » face au coronavirus. Quoi qu’il en soit, entre les pressions croissantes pour la réouverture de différents secteurs devant les conséquences désastreuses des fermetures d’activité, et la nouvelle instauration d’un « semi-confinement », l’arsenal juridique des interventions gouvernementales pour motif sanitaire est aujourd’hui au centre d’une bataille larvée autour du projet de « Loi Pandémie ».

Le gouvernement belge s’obstine dans une approche qui a été tenue continuellement en échec

Suite au premier épisode épidémique de mars 2020 qui a vu l’octroi de pouvoirs spéciaux au gouvernement, alors en affaires courantes, les mesures sanitaires visant à juguler l’épidémie de Covid-19 ont depuis été établies par arrêtés ministériels, y compris par le nouveau gouvernement De Croo, fraîchement entré en fonction le 1er octobre 2020. C’est notamment le cas des mesures telles que l’imposition du port du masque en extérieur ou dans les transports publics, de la limitation de la « bulle sociale » ou des rassemblements, sous peine de sanction. Ces dispositions se fondent sur plusieurs textes de lois existants : loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile (art. 4) ; la loi sur la fonction de police du 5 août 1992 (art. 11 & 42) ; la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile (art. 181, 182 et 187), autorisant le ministre ou les bourgmestres (maires) à réquisitionner des biens ou des personnes et à restreindre la liberté de circulation. Or, plusieurs juristes ont déjà montré que ces lois ne permettent en aucun cas de fonder les sanctions prévues par les différents arrêtés ministériels instituant les mesures sanitaires précitées. Dès lors, ces arrêtés sont en violation manifeste de la Constitution, laquelle stipule que « Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu’elle prescrit » (art. 12), et que « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi » (art. 14). En vertu de ce principe, au mois de janvier, un individu qui avait été verbalisé pour non-port du masque dans la rue s’était d’ailleurs vu acquitter par le Tribunal de Police de Bruxelles (le Parquet a depuis fait appel, l’affaire est toujours en cours).

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Devant les problèmes juridiques et politiques récurrents que posent ces arrêtés, le gouvernement a déposé début février un avant-projet de loi « relatif aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique », résumé sous l’appellation de « Loi Pandémie ». L’objectif déclaré de ce projet est de rendre une légitimité politique aux mesures sanitaires en renforçant le rôle du Parlement dans leur élaboration et leur mise en place. Intention louable s’il est, qui mettrait fin à l’arbitraire des mesures décidées par les « Comités de Concertation » successifs et des groupes d’experts qui les conseillent, déjà pointés du doigt pour le peu de cas qui y était fait des aspects psychosociaux, éducatifs et culturels, de même que pour les conflits d’intérêt auxquels certains de leurs membres sont exposés. 

Persévérer dans l’erreur… mais en tout légalité

Mais au-delà de la faiblesse de leur base juridique, de l’inconstitutionnalité manifeste de certaines d’entre elles, et de leur absence de légitimité démocratique, c’est aussi la pertinence et la cohérence de ces mesures qui questionne et érode l’adhésion de la population à leur égard. Car on ne peut qu’être frappé par la monotonie et l’indigence des stratégies mises en places par l’exécutif belge : en phase « haute », confinements, fermetures d’activités, restrictions de déplacement, enseignement et travail à distance ; en phase « basse », réouvertures (non sans contraintes et protocoles stricts), activités en présence, contacts et circulation accrus. Voilà, en tout et pour tout, la boîte à outils des décideurs belges. Or, et c’est là le point central du problème, la « Loi Pandémie » en cours d’élaboration ne prévoit aucun revirement stratégique à cet égard, pas plus qu’elle ne propose l’implication du Parlement ni ne s’enquiert de consulter la population d’une façon ou d’une autre pour délibérer de la mise en place de mesures d’une si exceptionnelle gravité. Elle se borne, simplement, à faire avaliser par le Parlement la possibilité pour le gouvernement d’édicter des mesures sanitaires par arrêtés ministériels – reconnaissant ainsi implicitement l’irrégularité de la situation présente –, et ce « en situation d’urgence d’épidémique ». Mais précisément, qu’est-ce donc qu’une situation d’urgence épidémique ? Le texte la définit comme « tout événement qui entraîne ou qui est susceptible d’entraîner une menace grave suite à la présence d’un agent infectieux chez l’Homme ». En dépit d’autres critères venant compléter cette définition (nombre de personnes potentiellement touchées, effet potentiel sur la mortalité, débordement des services de santé, besoins de coordination, reconnaissance par l’OMS etc.), c’est bien, en définitive, le gouvernement qui sonne l’alarme de cette « urgence épidémique », avec pour seule obligation de fournir les chiffres sur lesquels se fonde cette décision. Rien, en revanche, n’est prévu pour en contester la validité ou en stopper la mise en place via une quelconque instance de contrôle. 

À partir de là, tout le reste de la loi ne concerne que les aspects pratiques et administratifs, qui sont presque un copié-collé des dispositions existantes (imposition du port du masque en différents contextes, distanciation sociale obligatoire, limitation de contacts, etc.) et des astreintes prévues en cas de non-respect de celles-ci. En plus d’avoir déjà été épinglé par plusieurs juristes pour son opacité et son manque de précision, et recalé par l’Autorité de protection de données pour absence de garanties suffisantes, ce projet de Loi pêche surtout par l’incroyable indigence stratégique qui le caractérise. Un an après le début de l’épidémie, le gouvernement belge s’obstine dans une approche qui a été tenue continuellement en échec, qui n’affiche aucune plus-value au regard de celle, moins restrictive, conduite dans d’autres pays (Corée du Sud, Taiwan, Suède, ou même Allemagne), et dont les mesures n’ont eu qu’un effet marginal sur la dynamique du Covid-19 dans le pays, au prix d’un coût social, économique et psychologique catastrophique.

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Plusieurs voix du monde scientifique se sont pourtant déjà élevées pour dénoncer le dogme de la gestion de crise actuelle et suggérer d’autres pistes: remise en cause de la pertinence d’appliquer des mesures en population générale plutôt que d’avoir recours à une prophylaxie renforcée pour les personnes à risque ; détection et prise en charge précoce, et utilisation de tests antigéniques rapides, comme le proposait récemment le collectif d’universitaires #CovidRationnel; enfin, et bien évidemment, embauches de personnel et augmentation de la plasticité du système hospitalier. À tout cela, le gouvernement belge est sourd et aveugle. On ne change pas une équipe qui perd, semble-t-il.  

Loi Pandémie: prélude à la sanocratie?

Un débat parlementaire autour de la législation relative aux mesures d’urgence est évidemment essentiel. Toutefois, le projet du gouvernement belge actuel annonce une tendance très dangereuse, qui ne ferait qu’entériner le statu quo et légaliser une gestion arbitraire, incohérente, improvisée, visant indistinctement la population plutôt que les publics-cible, et négligeant les éléments structurels qui permettraient une véritable résilience du système de santé. Le tout au prix d’un piétinement des libertés publiques (liberté de réunion et de circulation, liberté d’entreprendre, droit à l’épanouissement culturel et social, etc.) inédit depuis la seconde guerre mondiale, et d’effets éducatifs et sanitaires à long terme (santé mentale, retards diagnostiques, traitements tardifs d’autres maladies etc.) qui rendent chaque jour le rapport « bénéfices/risques » de ce semi-confinement de plus en plus défavorable. Plus encore : comme le rappelait une récente carte blanche, l’objectif initial de « contenir » la vague épidémique qui nous débordait au printemps 2020 a subrepticement été remplacé par l’objectif de « contrôler le virus » et ses effets collatéraux hors des phases épidémiques…

Ce changement d’optique, qui subordonne pratiquement tous les aspects de la vie en société à la limitation du flux de malades – pour le motif inavoué de pallier l’impéritie des gouvernements passés et présents en matière de santé –, et son mode de gestion « automatisée », hors de tout débat démocratique, nous conduit donc tout droit, mais silencieusement, vers rien moins qu’une nouvelle forme de régime politique. À la « démocratie », où l’intérêt général et la volonté du peuple sont la raison ultime du pouvoir, pourrait bien succéder la « sanocratie », où la « tension minimale sur le système de santé » deviendrait l’alpha et l’omega d’une gestion autoritaire des affaires publiques, au risque de mettre en péril la culture, la sociabilité, l’enseignement, le petit commerce, et avec eux l’essentiel de la civilisation européenne.



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