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L’apprentissage change de look

Longtemps synonyme de filière pour cancres « dont il faut bien faire quelque chose », l’apprentissage séduit de plus en plus de jeunes dans tous les secteurs, et certains, comme la coiffure, en font même une formation d’excellence.


Dans Chacun pour toi, film réalisé par Jean-Michel Ribes en 1994, un vieux coiffeur (Jean Yanne) sauve du suicide un jeune type déphasé (Albert Dupontel). Ce dernier découvre que son bienfaiteur a été autrefois un virtuose de la coiffure et l’encourage à retrouver sa splendeur passée en participant à un concours international. Dire qu’il le remporte en exécutant une incroyable coiffure « Renaissance » inspirée d’un tableau qu’ils ont vu au Louvre n’est pas divulgâcher une histoire qui puise son intérêt dans le rapport qui unit ces deux hommes, une relation basée sur la transmission, celle du savoir et du regard.

Cette transmission est le fondement d’un savoir-faire « à la française » réputé dans le monde entier mais qui n’a pas, au contraire de la gastronomie, hystérisé les médias : la coiffure. Pourtant, il en va dans l’univers du cheveu comme dans celui de la restauration, il y a les bons et les mauvais, les hauts de gamme et les low cost. Et puis, un brushing réussi est nettement plus glamour qu’une toque.

La maison Maniatis incarne depuis 1974 une certaine idée de la haute coiffure française. Inventeur d’une technique absolument novatrice, celle de la coupe sur cheveux secs, Jean-Marc Maniatis comprend rapidement l’intérêt qu’il a à former ses propres coiffeurs. Outre un enseignement précis, ses apprentis s’approprient une part de l’aura du maître et gagnent en confiance. Celle-ci alimente leur passion du métier et la fierté de représenter l’excellence de la profession.

Le succès est au rendez-vous et cette formation-transmission est devenue une marque de fabrique de la maison. 

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Aujourd’hui, le directeur opérationnel des salons et de la marque Maniatis Paris, Alexandre Protti, mise plus que jamais sur ces jeunes apprentis qui sont « passionnés, motivés et pleins d’énergie ». Et pour dynamiser davantage ses troupes, il a mis sur pied des séances de « training ». Une fois par mois environ, coiffeurs confirmés et apprentis en formation dans ses différents salons se retrouvent durant plusieurs heures, à l’issue de leur journée de travail, pour approfondir davantage la transmission de leur passion commune. Transmettre un savoir-faire, c’est ici aiguiser la mémoire du geste et du coup de ciseau, développer le sens artistique des futures recrues, leur capacité d’initiative mais aussi d’écoute, afin de comprendre au mieux le désir des clientes. Autour de chaque modèle venu se prêter au jeu – et bénéficier d’une coupe gratis ! – un apprenti et un « formateur ». Sous la lumière crue des spots, malgré un fond musical de rigueur et le vrombissement continu des sèche-cheveux, la concentration est totale, et la bonne humeur aussi. Les conseils s’échangent, les gestes sont repris, décomposés et détaillés pour maîtriser le fameux « mèche à mèche » ou les secrets d’une bonne coloration « qui change tout ». Alexandre Protti passe de l’un à l’autre, prodigue lui-même des conseils, manie le peigne, et s’émeut de cette complicité intergénérationnelle. « Certains ont vingt, trente, voire quarante ans de maison, dit-il avant de nous présenter Laura, elle est arrivée à 15 ans en tant qu’apprentie, a passé son brevet professionnel puis a été embauchée comme coiffeuse. À 30 ans, elle est aujourd’hui formatrice et transmet à son tour à des plus jeunes. » Ces trainings sont aussi une sorte de formation continue, une remise à niveau permanente : « Je suis coiffeur depuis cinq ans mais j’apprends toujours », lâche Jonas, appliqué à suivre la coupe qu’exécute son apprenti du jour. Pour Hector, 21 ans, en alternance chez Maniatis dans le cadre de son brevet professionnel, ces échanges entre coiffeurs de tous âges constituent un avantage qu’on ne trouverait pas ailleurs : « Ici, on apprend tout mais en mieux, on prend vraiment une avance que n’ont pas les autres, on gagne plein d’astuces. En plus, on arrive à se projeter dans l’avenir, on se sent concerné par la boîte. »

Autour de chaque modèle, un apprenti et un formateur ©Hannah Assouline

De fait, quand on entre chez Maniatis, on y fait sa carrière. Rares sont les grandes enseignes de coiffure à pouvoir fidéliser aussi bien leurs clients que leurs employés. Même les fameux modèles de ces trainings du soir sont des habitués. « On les fidélise, s’en amuse Alexandre, elles viennent chez nous lorsqu’elles sont étudiantes en tant que modèles, et nous les retrouvons clientes lorsqu’elles entrent dans la vie professionnelle ! »


L’apprentissage en plein boom

Longtemps considéré comme une filière de seconde zone, l’apprentissage acquiert progressivement ses lettres de noblesse par le sérieux de la formation en alternance qu’il permet, et la motivation des jeunes qui en bénéficient. Les employeurs ont saisi le filon, et 2020 a battu un record historique avec plus de 500 000 contrats signés, dont 495 000 dans le secteur privé (principalement des TPE). Malgré la crise, l’apprentissage a ainsi connu une hausse de 40 % en un an. Un accroissement qui témoigne d’une réelle mobilisation des entreprises, encouragées il est vrai par l’État à recruter des apprentis dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution ». Celui-ci prévoit notamment comme avantage une prime de 5 000 euros pour l’embauche d’un mineur et de 8 000 euros pour celle d’un majeur.

La nouveauté est aussi le profil de ces jeunes recrues, car elles sont de plus en plus nombreuses à avoir un niveau d’études supérieures : en 2020, elles étaient 22 % à avoir un niveau bac+2. Les chiffres publiés par le ministère du Travail révèlent une autre surprise : malgré les vagues de Covid et les conséquences que l’on connaît, l’embauche d’apprentis dans l’hôtellerie-restauration a progressé de 6 %.

Sleeping Giants contre Corsaires

Quand des activistes tentent d’assécher les recettes publicitaires des médias de droite en intimidant les annonceurs sur Twitter, ils trouvent sur leur route les Corsaires. Rencontre avec Pierre, leur « amiral ».


C’est une véritable guerre ouverte qui s’orchestre depuis quelques mois maintenant entre deux groupes opposés de cyber activistes : les « Sleepings Giants » et les « Corsaires ». 

L’existence des Sleeping Giants remonte à 2016 aux Etats-Unis. Ils ont fait plier la chaîne « Breitbart news » en s’adressant à ses annonceurs sur les réseaux sociaux et en les accusant de financer un média « pro-Trump ». Ils arrivent en France en 2017 avec une action coup de poing à l’encontre de « Boulevard Voltaire » et se font remarquer à nouveau deux ans plus tard en incitant le groupe Ferrero à retirer les publicités Nutella de l’émission « Zemmour et Naulleau » avant de s’attaquer depuis plusieurs mois à Valeurs Actuelles, à Cnews ou encore au site « France-Soir ».

Les Corsaires contre-attaquent

La méthode est toujours identique : interpeller les marques. D’un ton doucereux, les Sleeping Giants font mine de s’interroger : pourquoi financer des médias « à la ligne éditoriale intolérante et haineuse » ? Ainsi en va-t-il en ce moment pour la marque Intersport épinglée sur Twitter pour son achat d’espaces publicitaires chez Cnews. Si de nombreuses marques préfèrent adopter la stratégie du silence, d’autres n’hésitent pas à s’excuser avant d’assurer, grâce à des community managers zélés, qu’elles ne recommenceront plus : BNP Paribas, BMW, Décathlon ou encore les magasins Leclerc ont tous retiré leurs publicités de CNews. Bilan en un an, la publicité sur CNews a chuté de 40%[1] suite aux actions des Sleeping Giants.

Mais peu après la rentrée 2021, une mystérieuse flotte dénommée « Corsaires » a émergé sur les réseaux sociaux. Se revendiquant « cyber-militants » et inspirés des fameux « Anonymous », les Corsaires ont choisi d’affronter les Sleeping-Giants sur leur propre terrain : les réseaux sociaux.

Pierre (le prénom a été modifié à sa demande), surnommé « l’amiral », a accepté de revenir auprès de nous sur la création du cyber collectif corsaire et les différentes batailles menées depuis quelques mois : « On est des gens de la publicité, du digital et du marketing donc on est concernés par les placements de publicité et on était horrifiés que les Sleeping-Giants disent qu’une marque qui fait de la pub dans un média cautionne forcément la ligne éditoriale de ce média. »

Stratégie novatrice

Ils utilisent donc une stratégie novatrice pour les contrer : « Programmer des bots, ça ne marche plus, il fallait de vrais comptes de vrais gens avec de vrais historiques pour réagir massivement à chaque annonce des Sleeping-Giants. Car ils sont malins et tirent leur force de leur anonymat. Seuls les services marketing ou com des boîtes qu’ils visent les connaissent et prennent à cœur de leur répondre » explique Pierre, lucide. 

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Sur le site des Corsaires, le message est clair : « Les Sleeping Giants menacent le débat d’opinion en France. Découvrez comment mettre fin au chantage des Sleeping Giants ». Bien conçue, l’ interface du site permet de découvrir les exemples de « batailles » en cours et celles déjà remportées en cliquant simplement sur un bouton permettant d’ « accéder à chaque mission ».  

« Nous avons évidemment un environnement numérique surprotégé. Les Corsaires qui ont donné leur contact reçoivent un message d’alerte dès qu’une nouvelle mission se présente à nous, et ils ont juste à appuyer sur un bouton pour obtenir le message type qu’ils peuvent poster sur leurs réseaux sociaux ». Le dernier combat en date oppose les Sleeping Giants et les Corsaires autour de la marque de biscuits apéros « Vico ». Les Sleepings Giants  ont ouvert le feu : « Bonjour @Vico_Officiel, vos spots pub pour #Curly sont diffusés sur #Cnews. Cette chaîne est devenue une chaîne d’opinion nauséabonde dédiée à la promotion d’un candidat condamné pour racisme. Est-ce vraiment ce que vous désirez soutenir avec votre budget ? » Mais ils ont eu la désagréable surprise de voir une riposte des Corsaires : « @Vico_Officiel_ le contrat qui vous lie à vos clients est simple : vos produits doivent les satisfaire. Cela n’a rien à voir avec le fait de diffuser vos pubs sur @CNEWS. Nous voulons de la qualité, pas de la morale. Ne cédez pas aux Sleeping Giants ! ». 

Accompagnés de graphistes improvisant des visuels truculents pour chaque marque, les Corsaires agissent vite et leur nombre grandit : « On est bientôt 4000 et on espère être à 10 000 avant l’été » raconte Pierre. Mais pour lui, le nombre d’adhérents n’est pas forcément ce qui fera la différence : « C’est le principe de guérilla de base, le nombre ne fait pas forcément la loi. Il faut faire comprendre à la société française, quel que soit son bord, que les Sleeping Giants ne dialoguent pas avec les médias, ils veulent démolir sans assumer les pertes d’emplois de journalistes derrière ! ». 

S’exprimer sans se censurer

On pourrait croire que ce sont des zemmouriens convaincus qui se cachent derrière les têtes pensantes des Corsaires. Mais, chez ces cyber activistes, il n’est pas question un seul instant de se revendiquer d’un bord politique : « On a une estime pour les médias quels que soient leurs bords. On lutte contre les Sleeping Giants qui ciblent des médias de droite donc on est forcément assimilés à la droite, mais militons simplement pour que tous les journalistes puissent s’exprimer sans avoir à se censurer ». Prendraient-ils pour autant les armes pour tous les médias sans exception ? « Bien sûr, d’ailleurs on rêve que ça tombe un jour sur un média de gauche pour prouver qu’on veut juste une liberté journalistique ! On se battrait pour Libé évidemment. Un journal est une unité morale certes, mais il y a des gens derrière et on ne peut décemment pas attaquer tout un média ou détruire des emplois par pure vengeance » s’exclame Pierre. Et si certains community managers apeurés agissent avec un peu trop d’empressement, les Corsaires n’hésitent pas à contacter directement leurs supérieurs afin de s’assurer que les marques ont vraiment fait le choix de boycotter un média. Et cela porte ses fruits : suite à ce type d’action, la marque « Loué » a choisi de maintenir ses annonces auprès de Cnews pas plus tard qu’en décembre.

[1] Selon l’Institut Kantar

Circulaire sur l’identité de genre en milieu scolaire: «Il y aura un avant et un après»

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Le 29 septembre 2021, le ministère de l’Éducation nationale a produit une circulaire destinée à définir la conduite à adopter par les professeurs et autres personnels face à des « élèves transgenres » ou « en questionnement de genre ». « La transidentité est un fait qui concerne l’institution scolaire », lit-on ; l’objectif annoncé est d’accueillir au mieux ces élèves en acceptant le changement vers le genre « ressenti », éventuellement en cachant les revendications des élèves à leurs parents, et au besoin en donnant accès à des toilettes différentes ou en modifiant le prénom des enfants sur les cartes scolaires. L’association SOS Éducation, à l’origine d’une note documentée sur le caractère alarmant et dangereux des transitions pédiatriques en plein essor, voit dans cette circulaire l’institutionnalisation de l’idéologie dite « transaffirmative » dans l’école, et a lancé une pétition qui rassemble plus de 13 000 signataires. Entretien avec la déléguée générale de l’association Sophie Audugé.


Causeur. Que contestez-vous dans la circulaire de Jean-Michel Blanquer sur « l’identité de genre en milieu scolaire » ?

Sophie Audugé. La première chose qu’on conteste, c’est que la transidentité soit un fait : en réalité, c’est une idéologie, pas un fait. L’idée affichée de la circulaire, c’est qu’il ne faut pas stigmatiser les enfants qui se poseraient des questions sur leur genre. Mais c’est dans la nature même de l’école de ne pas stigmatiser les enfants, on n’avait pas besoin de faire une circulaire de 11 pages pour un objectif aussi simple. En réalité, cette circulaire n’est pas une circulaire mais un manifeste qui reprend tout le corpus argumentatif de ce qu’on appelle l’idéologie transaffirmative. Il ne s’agit pas seulement de reconnaître les droits des personnes transsexuelles, mais surtout de prendre fait et cause pour le principe d’autodétermination du genre ressenti pour chaque personne – quel que soit son âge. Le genre ressenti est envisagé comme quelque chose qui serait un sentiment profond, presque transcendantal et donc non discutable, où la biologie n’a pas sa place, ni l’état émotionnel ou la période de vie de la personne qui l’exprime ; exit également les bouleversements identitaires de l’adolescence, les situations personnelles, les relations intrafamiliales… Et c’est à ce titre-là que la transidentité n’est pas un fait, mais une idéologie diffusée par des militants qui cherchent à convertir un maximum de personnes. Ce n’est pas un fait biologique, pas un fait scientifique, et à ce titre-là elle n’a pas à rentrer dans l’école. 

 Sophie Audugé

De plus, en France, cette idéologie n’a pas fait l’objet d’un débat public. Dans d’autres pays, comme c’est le cas au Canada par exemple, Justin Trudeau et ses ministres vous disent que la transidentité, c’est le nouveau monde, c’est la nouvelle norme sociale qu’on souhaite appliquer. Ils disent clairement aux parents qui ne sont pas d’accord avec la transidentité que c’est eux le problème, que s’ils ne l’acceptent pas, ils seront responsables des souffrances de leur enfant, et ils leur disent : « mieux vaut avoir un fils transgenre qu’une fille morte », à vous de choisir… Si vous êtes parent au Canada, vous savez que ça se passe comme ça dans l’école et dans la loi. Mais en France, à aucun moment le pouvoir en place n’a dit que la transidentité pouvait être une nouvelle norme sociale et qu’il fallait la reconnaître comme un fait social à l’école. En réalité, cette idéologie s’est infiltrée de manière totalement insidieuse. Quand vous confiez vos enfants à l’école de la République, vous vous attendez à ce qu’elle vous garantisse la protection de vos enfants, dans un cadre dédié à l’enseignement et à la transmission de savoirs. Pas à ce qu’elle fasse passer de tels messages à vos enfants.

Comment en est-on arrivés à institutionnaliser cette idéologie ?

La circulaire institutionnalise effectivement un mouvement qui était déjà entré dans l’école depuis longtemps. Pour être tout à fait honnête, nous aurions tous dû intervenir bien avant, parce que toute la sémantique transaffirmative était déjà en place, déjà relayée par un certain nombre d’interventions faites aux enfants par diverses associations LGBTQ+ ou le Planning familial. Elles diffusent auprès des enfants tout le vocable transaffirmatif, elles distribuent des questionnaires dans les classes en demandant aux élèves s’ils se sentent fille ou garçon, binaire ou non-binaire… on leur dit : si tes parents te « genrent » ou te « mégenrent », c’est un acte de violence que tu peux dénoncer. Ces propos existaient déjà, on le savait, mais pour une raison qu’on ne s’explique pas, l’ensemble de la communauté éducative a considéré que ce n’était pas suffisamment grave pour s’y opposer avec fermeté.  Personne, sans doute, n’avait envisagé que le ministre de l’Éducation nationale prendrait fait et cause pour cette idéologie transaffirmative.

On parle de contagion sociale, de « clusters » dans certains établissements scolaires…

La circulaire fait référence à plusieurs associations de cette mouvance, notamment l’association Le MAG Jeunes LGBT. Or cette association fait partie de la fédération européenne d’associations transaffirmatives IGLYO, qui a produit en novembre 2019 un rapport qui détaille un protocole de lobbying pour infiltrer les politiques publiques et faire passer l’affirmation du genre ressenti dans la loi, avec une volonté affichée de toucher les jeunes. C’est quand même invraisemblable que le ministre de l’Education se fasse le relais des arguments d’une telle association dans sa circulaire. Cette association est agréée par l’Education nationale, elle touche des subventions pour aller dans les écoles servir la bonne parole… Elle a par ailleurs un partenariat avec une marque de cosmétiques plébiscitée par les jeunes, et pas des moindres, Sephora, qui a fait une campagne de communication pour le lancement d’une palette de fards spécifiquement destinée aux personnes transgenres avec un influenceur très suivi sur les réseaux sociaux. N’y a-t-il pas de conflit d’intérêt ? Tout ça pose des questions fondamentales qui n’ont plus rien à voir avec la cause du respect des droits des homosexuels et transsexuels, et encore moins avec l’école. Ce qui se joue là est une modification de norme sociale et un énorme business ! Cela s’est infiltré dans l’école par le biais des associations, et Jean-Michel Blanquer vient d’institutionnaliser cette nouvelle norme à l’école. Il y aura un avant et un après.

Abordons les choses de manière un peu concrète : quelles sont les conséquences de la transition de genre chez les jeunes ? Quelles sont les trois étapes de cette transition que vous décrivez dans votre rapport, et où est-ce qu’on en est en France, sur le plan légal, vis-à-vis de toutes ces démarches ? 

Effectivement, c’est le deuxième point de notre opposition : la première chose, c’est que l’idéologie ne doit pas rentrer dans l’école, et la deuxième chose, c’est qu’elle est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. Notre démarche à SOS Éducation a été de nous documenter très sérieusement afin d’évaluer l’enjeu et les risques du point de vue de l’intérêt supérieur de l’enfant. Les transactivistes n’hésitent pas à faire du chantage au suicide comme on l’a vu avec l’exemple du Canada. Évidemment c’est une question très sérieuse qui nécessite toute notre vigilance. On s’est documentés pour démêler le vrai du faux et avoir un avis le plus objectif possible. 

Ce qui nous permet d’avoir cet avis objectif, c’est qu’un certain nombre de pays – malheureusement pour eux et heureusement pour la France – ont engagé des processus de transition pédiatrique depuis déjà dix ans. Les premiers à engager un tel processus ont été les Pays-Bas, avec un protocole assez pointu, qui partait d’un accompagnement pédopsychiatrique exploratoire assez important. Ce protocole permettait d’accompagner les enfants concernés sur le long terme : l’enjeu était d’évacuer toute autre origine du mal-être qui n’aurait pas été liée à l’incongruence entre son genre ressenti et son sexe de naissance. 

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La dysphorie de genre, c’est un trouble qui est documenté depuis près de 100 ans, avec un profil des personnes concernées bien connu : très majoritairement des garçons, à 66%, et puis, en termes de prévalence, c’était en moyenne un garçon sur 10 000. Ce qui caractérise ce trouble, c’est qu’il intervient très tôt, souvent entre deux et quatre ans, d’où son nom de « dysphorie de genre à déclenchement précoce ». Cela a été étudié sur le long terme, et on voit que les enfants accompagnés se réconcilient avec leur sexe de naissance après l’adolescence dans 70% des cas. Ils vont vivre leur vie de manière assez classique, en étant hétérosexuels ou homosexuels – et d’ailleurs il n’y a pas forcément de relation de l’un à l’autre. Pour ceux dont la dysphorie de genre perdure après la puberté, la question de la balance bénéfices/risques doit être posée, et ceux dont la souffrance est trop forte démarrent un programme de transition par la prise d’hormones. 

Et puis il y a dix ans, ces pays ont commencé à engager plus rapidement des processus de transition chez les enfants. A la suite des campagnes des mouvements transaffirmatifs, la dysphorie de genre a été dépathologisée, avec pour conséquence de mettre fin à l’accompagnement psychopathologique exploratoire qui permettait une attente vigilante et notamment chez les enfants. A partir de là, les enfants ont été rapidement engagés dans la voie de la prise de médicaments, puisque plus personne n’interrogeait leur ressenti de genre. Il s’agissait d’affirmer le genre auto-déclaré et de passer directement à la prise de bloqueurs de puberté, quel que soit l’âge. Mais les médecins et les psychothérapeutes se sont rendu compte que la population des candidats à la transition avait changé et qu’il y avait un emballement des courbes. Des personnalités du monde médical ont commencé à se poser des questions sérieuses. Un certain nombre de lanceurs d’alerte se sont fait entendre par l’intermédiaire de documentaires qui ont fait l’effet d’une bombe en dénonçant le principe de la transition pédiatrique. Il y a plusieurs raisons à leur cri d’alerte : il s’avère que la population n’est plus du tout la même puisqu’il y a aujourd’hui une très grosse majorité de filles (70 à 80%), qui expriment le sentiment d’« être nées dans le mauvais corps » bien plus tard et de manière soudaine, sans aucun antécédent dans l’enfance. On parle de « dysphorie de genre à déclenchement rapide et soudain ». Et dans la très grosse majorité des cas, de 70% à 90% en fonction des médecins, l’origine de la souffrance est d’une toute autre nature, c’est-à-dire que ce qui prime, ce n’est pas le sentiment d’être d’une certaine manière en désaccord avec son sexe de naissance, mais plutôt soit que la jeune fille a un vrai dégoût de son corps, ce qui peut arriver à l’adolescence, on le sait bien, soit qu’elle souffre de troubles psychopathologiques d’une autre nature. Les retours d’expérience de ces pays montrent une surreprésentation de jeunes présentant des troubles autistiques, des troubles post-traumatiques consécutifs à des sévices sexuels, des troubles du développement cognitif, un haut potentiel, des troubles alimentaires… Donc des profils d’enfants qui peuvent avoir tendance à faire des « focus » sur des thèmes, et le thème en question, c’est l’identité de genre, qui devient obsessionnel chez eux.

Un certain nombre de médecins ont en outre affirmé publiquement que les traitements n’avaient jamais été conçus pour des enfants, qu’ils n’avaient aucune mesure à long terme des effets pour une prise à cet âge-là, puisqu’on intervient sur des enfants pour lesquels le développement du cerveau, mais également tout ce qui est lié au rôle des hormones dans la maturité émotionnelle… n’est pas terminé. Tout ça n’a pas fait l’objet d’études sérieuses, et ils ont déclaré avoir de très gros doutes sur l’absence d’effets secondaires d’ampleur sur le développement cérébral et émotionnel. Il y a aussi des effets avérés sur la masse osseuse, et tout un ensemble d’autres conséquences, notamment évidemment la perte de la fertilité. Le caractère éclairé du consentement de l’enfant à de tels traitements, alors même qu’il n’a pas la maturité nécessaire pour prendre des décisions engageant sa vie future – sa volonté peut-être de créer un foyer, d’avoir des enfants… n’est pas recevable. Le collège des pédiatres américains s’est positionné clairement sur l’impossibilité des parents et des enfants à donner un consentement éclairé du fait des incertitudes médicales des traitements. 

On s’est intéressé aussi à la façon dont les enfants entraient dans ce processus mental de conviction de ne pas être nés dans le bon corps. La première étape, c’est celle de la transition sociale. Souvent par le biais des réseaux sociaux, un enfant va commencer à regarder des vidéos, à être lié avec des groupes de personnes qui sont transgenres, et il va limiter son cercle de communication à ces groupes. Il va y trouver tout un ensemble d’arguments en faveur du changement de sexe – on est sur un phénomène très analogue à celui des sectes, c’est ce que disent notamment toutes les détransitionneuses, qui sont plusieurs dizaines de milliers maintenant : elles disent que le discours, globalement, c’est : si tu ne te sens pas bien, c’est sûr que tu n’es pas née dans le bon corps, fais comme moi, tu verras, tu vas pouvoir te découvrir pleinement, choisir qui tu es, il n’y a que toi qui peux le faire et moi qui peux te comprendre. Si ta famille ne te suit pas, c’est qu’elle ne te comprend pas et qu’elle ne t’aime pas. A partir de là déjà, c’est une forme d’enfermement. Et ensuite on va les pousser à engager des actes : d’abord, une adaptation physique et vestimentaire de base, éventuellement les cheveux coupés ou portés longs… Tout ce qui est hyper stéréotypé, en réalité – alors qu’ils prétendent lutter contre les stéréotypes de genre. Après cette première phase, arrive assez vite la question du prénom, puis du pronom, et ensuite de leur utilisation dans le cercle familial et à l’école. Souvent, les jeunes vont commencer à en parler à leurs amis, et ne vont conserver dans leur cercle que les amis qui sont a priori favorables, voire également engagés dans la même démarche – c’est pour cela qu’on parle de contagion sociale, et notamment de « clusters » dans certains établissements scolaires. Les enfants vont donc se rassembler, pratiquer entre eux les prénoms choisis. Potentiellement ensuite l’école va les adopter aussi, en accord ou pas avec le cercle familial. C’est l’étape 1 de la transition, la transition sociale. Une fois que l’enfant est en transition socialement, il est engagé dans un processus qui est difficile à interrompre, comme embarqué dans un train – c’est la formule qui a fait mouche du premier documentaire suédois qui a eu un gros impact, The Trans Train, qui explique que la transition est un train : le premier wagon est la transition sociale, mais une fois qu’on est monté dedans, il est très difficile d’en sortir, puisque les gens autour de vous, mobilisés uniquement sur cette question, vous motivent et vous enferment… C’est un système assez basique sur le plan psychanalytique d’action-récompense. 

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Rapidement va intervenir la deuxième étape, c’est-à-dire la prise de médicaments : d’abord les bloqueurs de puberté pour les plus jeunes, puis à partir de 14-16 ans on va passer directement aux hormones croisées. Viendra ensuite la troisième étape, celle de la chirurgie. 

Au niveau du cas spécifique de la France, on en est où de l’autorisation de tous ces médicaments-là ? 

Pour les médicaments, il faut que les parents soient d’accord et que le médecin considère que le consentement de l’enfant et des parents est éclairé, c’est-à-dire qu’ils ont bien pris conscience des risques et de l’irréversibilité du traitement. Il n’y a rien dans la loi en France qui fixe un âge limite. Il suffit que le mineur ait consulté un psy qui considère que le ressenti de l’enfant n’a pas à être questionné, alors l’endocrinologue va commencer par prescrire des médicaments : c’est le cas du fameux documentaire Petite fille, diffusé sur Arte il y a quelques mois, où le médecin prescrit des bloqueurs de puberté à l’enfant alors qu’il a 6-7 ans. Aujourd’hui il y a des cliniques du genre en France, il faut être clair. Mais la France est arrivée sur tous ces sujets-là plus tard que d’autres pays. Aux Etats-Unis il y en a déjà plus de 100. Ça explose et c’est un véritable marché : il y a d’un côté l’industrie pharmaceutique, les labos qui produisent les hormones etc, et également un énorme marché de chirurgie, du « haut » et du « bas » avec d’énormes enjeux, mais aussi toute la chirurgie esthétique pour féminiser ou masculiniser le visage, notamment le front et le menton. 

Tout ça est extrêmement lourd à tout point de vue, coûteux financièrement (même si les frais sont pris en charge en France par la sécurité sociale au titre des ALD – Affection de Longue Durée…) et avec des effets secondaires sur la santé physique et mentale importants. Et en totale contradiction avec ce que font croire les militants transactivistes aux jeunes, car ils s’attachent à démédicaliser le processus. Toute la stratégie, c’est de ne jamais parler des médicaments, des détails des opérations, et surtout de leurs effets délétères et irréversibles. Sur le document qui est distribué dans les écoles à Marseille par une association transactiviste, par exemple, avec le logo de l’Etat et l’argent des contribuables, il est clairement écrit que vous pouvez faire votre transition, que vous pouvez l’arrêter quand vous voulez, qu’il n’y a aucun effet irréversible… C’est absolument faux. Une jeune fille qui veut devenir un garçon, comme c’est la majorité des cas aujourd’hui, prendra des hormones au moment où les cartilages de son larynx sont en train de se constituer, et elle aura une voix de garçon toute sa vie… Et pour la pilosité c’est pareil. C’est pour cela que dans le documentaire The Trans Train, un médecin dit : « Qui prendra la responsabilité de créer des femmes à barbe ? ». C’est bien tout le sujet. Il y a une volonté de ne pas parler de ces choses-là, mais c’est ça la réalité.

La troisième étape de la transition, c’est la chirurgie. Normalement en France, il y a un consensus pour ne pas en faire avant 18 ans. Dans la réalité des faits, on sait – mais personne ne veut l’assumer – qu’il y a des jeunes filles qui ont eu des mastectomies avant 18 ans. Il y a des jeunes filles qui se sont fait amputer de leur poitrine à 14 ans. Comment cela peut-il être possible ? Eh bien les filles portent des bandages (qu’on appelle des binders) trop serrés, ça leur fait des escarres, ou elles se scarifient la poitrine, ce qui fait que le médecin est légitime à faire une ordonnance qui leur donne accès à la chirurgie. Parce qu’elles mettent leur santé en danger, il devient légitime d’intervenir. Mais il faut bien savoir que tout ça, ce sont des conseils qu’on trouve sur les réseaux sociaux et sur Internet : des groupes sur les réseaux sociaux, des transgenres qui racontent et détaillent leur propre processus, fournissent des listes de médecins qui donnent facilement des hormones, des argumentaires clé en main (« il faut dire qu’à tel âge tu faisais tels cauchemars », etc)… C’est comme ça qu’ils obtiennent l’accès à des traitements sans un véritable accompagnement psychothérapeutique pour s’assurer de l’origine de leur souffrance. 

A votre avis, quel devrait plutôt être le rôle des pouvoirs publics et de l’Education nationale ? Qu’est-ce qu’il faudrait faire aujourd’hui pour avertir sur ces dérives ?

Il faudrait déjà revenir sur la proposition de loi 4785 qui vient d’être validée par la commission paritaire du 14 décembre dernier et ne pas voter la loi avec la mention de la transidentité. Il faut savoir que c’était normalement un projet de loi qui visait à interdire les thérapies de conversion, des pratiques dégradantes et violentes destinées à changer l’orientation sexuelle des personnes homosexuelles. Et les transactivistes ont quand même réussi à ajouter à cette loi les « pratiques visant à modifier l’identité de genre d’une personne ». C’est surréaliste, en plus d’être complètement contradictoire. Pour de nombreux professionnels de santé, la transition de genre peut être considérée comme une « thérapie de conversion ultime », puisqu’un certain nombre de jeunes homosexuels vont préférer être transgenres pour se remettre d’une certaine manière dans la norme… C’est-à-dire qu’on se prépare à voter une loi en France, en procédure accélérée – alors qu’on se demande vraiment bien pourquoi – qui va faire que toute personne qui estime qu’on ne respecte pas son identité de genre pourra éventuellement porter plainte. Les parlementaires ont ajouté que l’interdiction concernant le questionnement du genre ne s’appliquerait pas à un médecin qui conseillerait un patient ou aux parents qui conseilleraient un enfant, mais ça ne vaut rien du tout. Encore une loi floue qui ouvre une boîte de Pandore juridique, et qui surtout rendra plus difficile la protection des enfants sous influence du transactivisme actuel. On n’avait aucune raison d’ajouter ça dans la loi, et c’est encore une preuve de la puissance du lobby transactiviste qui crée des liens personnels avec les parlementaires pour parvenir à changer le droit en faveur de leurs idées. Comme le protocole publié dans le rapport IGLYO le prévoit, il faut s’appuyer sur une cause populaire, acceptée par le grand public, pour faire passer l’idéologie transaffirmative. C’est exactement ce qui a été fait dans cette proposition de loi. 

A lire aussi: Giulia Foïs de France Inter, l’idéologie du genre pour les nuls

Au sujet de l’école, il faudrait déjà faire sortir toutes les associations qui diffusent de telles idéologies, et s’en tenir aux faits. Pour les adolescents, éventuellement présenter ce qu’on sait sur la situation aujourd’hui de contagion sociale qui leur fait croire que la transidentité est un fait et qu’on peut changer de sexe d’un coup de baguette magique sans conséquences graves sur sa santé et sur sa vie. Montrer des documentaires avec les témoignages des médecins, des pédopsychiatres spécialistes du genre, des jeunes qui ont détransitionné et qui regrettent…  Il faut apprendre ce que la science a démontré et pas les discours idéologiques. Il faut leur expliquer le bouleversement identitaire qui se produit à l’adolescence et les difficultés que peuvent ressentir beaucoup de jeunes face à ces chamboulements. Ce n’est pas un trouble, c’est un questionnement normal à l’adolescence qui nécessite de se donner du temps. Pour les plus jeunes, il faut juste leur ficher la paix – il faut les laisser grandir, les laisser s’amuser, et arrêter de leur mettre dans la tête des trucs comme ça. Arrêter de genrer et dégenrer l’espace scolaire, les cours de récréation et je ne sais quelles autres bêtises. Mais laissez les vivre ! A-t-on encore le droit en France d’être une fille garçon manqué ou un garçon qui aime davantage les activités qu’on associe bêtement aux filles ?

Il faut, comme le demande SOS Éducation dans sa pétition, retirer cette circulaire. Et faire un rappel à l’ordre formel et strict : l’accord des deux parents est obligatoire avant de permettre tout changement de prénom à l’école. Les idéologies n’ont pas leur place à l’école et l’idéologie d’affirmation du genre à l’école, sauf à ce que le ministre en apporte la preuve irréfutable, est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.  C’est d’ailleurs pour cela qu’elle plonge les enseignants dans un stress éthique. Que fait l’enseignant qui sait que ce n’est pas bon pour l’enfant ? Il peut tout à fait s’y opposer au motif justement que la circulaire ne fournit pas la preuve qu’affirmer le genre ressenti à l’école est l’intérêt supérieur de l’enfant. Or c’est bien le rôle de l’école édicté dans le code de l’éducation. En tout cas, il faut bien savoir que tout ça crée des tensions à l’école, ça crée des clivages au sein même des équipes. Et le ministre de l’Éducation, en étant complaisant avec des idéologies comme celle-là, contribue à renforcer ces clivages. Et franchement on n’avait pas besoin de ça !

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Céline et la confusion des valeurs

Le cas de Louis-Ferdinand Céline n’est certes pas unique. Il reste toutefois emblématique de la confusion intellectuelle et morale qui gagne, de façon plus ou moins subreptice, tous les domaines de notre civilisation. 


Toutes les époques ont, certes, connu et célébré des créateurs dont l’éthique personnelle  était loin de correspondre à leur vision esthétique. Ainsi le compositeur italien Carlo Gesualdo de Venosa, prince et meurtrier, reste le célèbre auteur de  madrigaux toujours interprétés. À la même époque, mais en peinture, un autre Italien, le Caravage, exerça une grande influence en dépit de ses mœurs sulfureuses. Quant au réalisateur de cinéma Roman Polanski, il défraya récemment la chronique par ses frasques amoureuses, au point de porter ombrage à sa réputation pourtant bien établie. Ce ne sont que quelques exemples, puisés à travers les siècles, de ce divorce, somme toute plus fréquent qu’on ne croit, entre l’homme et l’œuvre.

Le cas Céline

Pour s’en tenir à la seule littérature, Villon n’était pas un enfant de chœur – mais quel poète admirable ! Rousseau, auteur d’Emile ou De l’éducation, plaçait ses enfants à l’Assistance publique. Le marquis de Sade avait des comportements pour le moins répugnants. Plus près de nous, Verlaine et Rimbaud, Jean Genet, voire Aragon, qui « conchiait l’armée française dans sa totalité», n’auraient pu prétendre à un prix de vertu. Autant dire que le talent ne saurait être subordonné à un certificat de bonnes vie et mœurs. Le Contre Sainte-Beuve de Proust aurait,  du reste, pu clore la question : l’auteur de la Recherche y soutient que la vie et l’œuvre d’un auteur sont indépendantes l’une de l’autre. Elles ne sauraient donc être jugées à la même aune. Voilà qui semble relever du simple bon sens. User des mêmes critères pour évaluer les deux, condamner l’œuvre au nom de l’inconduite de son créateur, c’est faire preuve de confusion mentale – ou, pour parler vulgairement, jeter le bébé avec l’eau du bain. Comme écrivait à juste titre le critique Pol Vandromme, « ce serait le plus vain du plus accablant des travaux d’Hercule que de vouloir faire coïncider le génie littéraire et la noblesse humaine ».

Le cas Céline est pourtant venu brouiller les cartes de  manière significative. Plus question de pondération. De nuance. En un mot, de discernement. Céline, c’est le Diable. Le mal absolu. Son seul nom suscite l’horreur – y compris chez ceux qui n’ont jamais lu une ligne de lui. Il est normal de le vouer aux gémonies : une telle sentence coule de source et n’a nul besoin d’être motivée. À l’inverse, soutenir que son génie a renouvelé le roman, qu’il figure parmi les plus grands écrivains français, voilà qui est inadmissible et même inconcevable.

Le parti-pris de Marc Laudelout

Entendons-nous bien : si l’auteur du Voyage peut, à bon droit, être qualifié de génial, pas question, pour autant, d’occulter qu’il fut aussi l’auteur d’ignobles pamphlets pronazis et antisémites. Que sa conduite durant l’Occupation ainsi que certaines facettes de sa personnalité étaient rien moins que sympathiques et suscitent à bon droit dégoût et réprobation. Pourtant, la simple honnêteté oblige à se rendre à l’évidence : pas trace, dans ses romans, d’idéologie  politique nauséabonde. D’apologie de génocide. En revanche, quels que soient les écrits et jusque dans la correspondance, une maîtrise de la langue dans tous ses registres qui force l’admiration. 

Le cas, on le voit bien, n’est pas facile à démêler, surtout lorsqu’il suscite des passions exacerbées et tout à fait irrationnelles. Or, s’il est un homme qui, depuis des décennies, s’efforce  de conserver la tête froide, d’observer, avec un parti-pris de rigueur et d’impartialité, les remous  qui entourent l’écrivain et son œuvre, c’est bien Marc Laudelout. Ce journaliste, éditeur et critique littéraire belge est, à juste titre, considéré comme le meilleur spécialiste de Céline et de ses entours. Il a créé en 1981, un mensuel qu’il dirige et édite toujours, Le Bulletin célinien, consacré à tout ce qui fait, encore aujourd’hui, l’actualité de l’écrivain. La diversité des participants à la revue et la variété des éclairages constituent le gage d’objectivité le meilleur qui soit.

La preuve en est fournie par Céline à hue et à dia. Un florilège de quelque quarante ans de Bulletin célinien, qui retient tant  par la richesse du contenu que par l’équilibre respecté entre le pour et le contre, la droite et la gauche, le hue et le dia. Aucune exclusive, aucune réfutation qui ne soit justifiée et étayée. À travers portraits et témoignages, analyses  d’essais et d’articles, comptes rendus de la réception de l’œuvre au fil des ans, c’est tout un univers qui est évoqué. Le monde des inconditionnels « historiques » de l’écrivain y côtoie celui de  ses adversaires les plus farouches. Ces derniers ne sont certes pas épargnés, mais la rigueur intellectuelle est ici de mise. C’est ce qui rend irremplaçable cette anthologie, fruit d’un travail titanesque. Elle passionnera quiconque ne saurait se satisfaire du manichéisme malsain en vigueur dès lors que le nom de Céline est brandi, telle la muleta du matador sous les naseaux du taureau.

Céline à hue et à dia, de Marc Laudelout, La Nouvelle Librairie.

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Ce qui manque à Zemmour

Eric Zemmour a été condamné à 10 000 euros d’amende pour provocation à la haine raciale par le tribunal correctionnel de Paris, lundi 17 janvier, pour avoir qualifié sur CNews les migrants mineurs isolés de « voleurs », d’« assassins » et de « violeurs » en septembre 2020. Suite à cette condamnation, notre chroniqueur Charles Rojzman estime que le candidat de « Reconquête » doit désormais apprendre à parler à tous ceux issus de l’immigration qu’il peut légitimement effrayer.


Le 29 septembre 2020, lors d’un débat dans l’émission « Face à l’info » sur CNews après un attentat devant les ex-locaux de Charlie Hebdo, Eric Zemmour affirmait : « Ils n’ont rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont, il faut les renvoyer et il ne faut même pas qu’ils viennent. »

Une maladresse qui coûte cher

« C’est une invasion permanente »« c’est un problème de politique d’immigration », avait-il ensuite vociféré dans cette émission dont il était alors chroniqueur. Des « propos méprisants, outrageants », qui montrent « un rejet violent » et une « détestation » de la population immigrée et qui ont franchi « les limites de la liberté d’expression », a estimé la représentante du ministère public.

Eric Zemmour se prête facilement à la caricature qui le montre en esprit mauvais comme le Gargamel des Schtroumpfs qui se frotte les mains à la pensée des tours diaboliques qu’il s’apprête à jouer. Ce personnage raciste, antisémite, islamophobe, sexiste ou homophobe a été fabriqué par les media mainstream et ses détracteurs des réseaux sociaux. Mais qu’en est-il de sa propre responsabilité et de celle de beaucoup de ses partisans ? Maladresse de communication ? Besoin de provoquer pour faire bouger une société française apparemment endormie dans sa soumission au monde tel qu’il va ? Zemmour parle cru d’une réalité que d’autres, plus protégés certainement (ou alors partisans d’une créolisation de la société), minimisent, nient ou même considèrent comme un progrès vers une société plus tolérante et inclusive. 

Ce qui manque à Eric Zemmour, c’est de pas avoir pas l’audace de faire comme Donald Trump lorsqu’il a affirmé avec force à la communauté africaine-américaine qu’ils étaient des Américains comme les autres, aussi capables de réussir dans la société américaine que d’autres, mais qu’ils devaient aussi regarder en face les vices et les fautes au sein de leur communauté. Ce qui manque à Eric Zemmmour, c’est de parler droit dans les yeux aux musulmans de ce pays, à la jeunesse des quartiers, à leurs parents, à tous ceux qui se sentent plus Algériens, Maliens, ou Sénégalais que Français, à tous les immigrés du Maghreb et d’Afrique noire, à toutes les générations nées sur le sol français et qui possèdent la nationalité française. Parler à tous, droit dans les yeux, à ceux qui travaillent et à ceux qui ne travaillent pas, aux gens honnêtes et aux délinquants, à ceux qui veulent réussir et à ceux qui sont assistés, aux femmes, aux hommes, leur parler et leur dire la réalité crue de ce qu’ils font ou ne font pas pour être des Français comme les autres, leurs responsabilités et leurs fautes, leurs vices et bien sûr leurs vertus – car elles existent. 

Ce qui manque à Eric Zemmour, c’est de leur dire qu’il les accueillera volontiers avec amour s’ils acceptent de se fondre dans ce pays, avec gratitude et bonheur, s’ils renoncent à la victimisation que certains encouragent pour les utiliser dans leur combat politique, s’ils chassent de leur sein les brebis galeuses, qu’ils connaissent bien, qu’ils cessent enfin d’écouter les voix qui tentent de les arracher à la communauté nationale. Il faudra aussi qu’il considère leur bonne volonté qui n’est pas toujours reconnue parce qu’ils sont essentialisés de part et d’autre, et qu’il leur demande de l’aider dans son combat contre l’immigration de masse, illégale ou clandestine sans qu’il ne soit plus taxé de racisme et en y voyant leur propre intérêt. 

Ne pas choquer inutilement

Ce qui manque à Zemmour, c’est une certaine finesse de langage qui lui fait dire quand il parle de grand remplacement qu’il ne voit dans la rue que des Noirs et des Arabes, choquant inutilement ceux-là même des Français antillais ou d’origine africaine ou maghrébine qui sont en accord avec ses idées sur l’assimilation, alimentant ainsi les préjugés de racistes véritables, et éloignant de lui des esprits lucides et généreux alors enclins à accepter les caricatures qu’on fait de lui dans la presse.

Ce qui manque à Zemmour, c’est de ne pas voir qu’il ne suffira pas d’arrêter l’immigration de masse légale ou illégale et de changer la façon de gouverner le pays pour retrouver une société saine et indemne de toutes les maladies des sociétés modernes, et qu’il faudra mettre en place une nouvelle éducation civique et populaire des adultes, adaptée à l’époque, et qui aide chacun à retrouver le goût de se projeter dans l’avenir et de vivre le présent avec moins de violences dans les familles et les organisations. La tentation totalitaire ne se limite pas à l’islamisation. Elle est la réponse inévitable à l’addition de tous les malaises sociaux provoqués par la crise multiple du sens, de l’autorité, du travail, du lien que vit la civilisation occidentale. 

L’essence d’une nation

Ce qui manque à Eric Zemmour dans son combat pour l’école, c’est de parler aux enseignants, de leur dire qu’ils ne sont pas seulement des « pédagogistes » qui refusent de transmettre le savoir et la belle histoire de France. Leur dire qu’ils ne peuvent pas le faire dans les conditions qui leur sont imposées et qu’il faudra changer. Il faudra faire une pédagogie de l’autorité et de la responsabilité, et il faudra qu’Eric Zemmour reconnaisse qu’ils font déjà ce qu’ils peuvent pour susciter l’intérêt de gamins malmenés dans leurs familles, dans leur quartiers, soumis à des propagandes diverses, écrasés par la folie du monde adulte. Ce qui manque à Eric Zemmour, c’est d’avoir l’audace de dire aux juifs de France que leurs institutions ne les représentent pas et qu’elles vivent sur les bénéfices que leur assurent leur adhésion aux pouvoirs en place tout comme les dignitaires musulmans le font avec les pays d’origine, leur rappeler tout ce que la France a fait pour les juifs, depuis la Révolution française et Napoléon et même un peu avant au temps de la royauté finissante, qu’elle en a fait des citoyens pour la première fois dans l’histoire et que malgré les antisémitismes, le peuple français a  dans sa majorité courageusement aidé les juifs à rester indemnes de l’horrible persécution de l’Occupation, qu’il leur dise aussi qu’il n’est pas maurassien ou pétainiste mais qu’il cherche à rétablir le réel pour ne pas mariner dans toutes les repentances, qu’il s’excuse enfin s’il a été maladroit et blessant, comme il l’a fait dans sa conversation au téléphone avec les Sandler. 

Il faudra donc qu’Eric Zemmour ne se contente pas de dire qu’il sera le président de tous les Français sans exclusive s’il est élu, mais qu’il le démontre dès aujourd’hui, dans sa campagne pour l’accession au pouvoir suprême en allant voir des publics qui ne l’aiment pas peut-être, qui n’aiment pas en tout cas cet avatar de lui qui a été fabriqué par ses adversaires, qu’il ne se contente plus de parler à ses seuls partisans, à ces foules enthousiastes et honnêtes auxquelles se sont mêlés des groupes qui ne rêvent que d’exclusion et d’intolérance ; qu’il refuse, malgré ou en raison de ses convictions profondes, de faire ce que font tous les politiques qui ne s’adressent qu’à leur clientèle privilégiée et négligent trop souvent ce qui fait l’âme d’une nation. Car, il le sait bien, comme le disait Renan qu’il admire, « l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et que tous aient oublié bien des choses « …

Passe vaccinal: jusqu’à la gauche…

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L’article 5 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen affirme que “nul ne peut être contraint à faire ce que la loi n’ordonne pas.” La Déclaration ayant été intégrée au bloc de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel, ce passe vaccinal, qui devrait entrer en vigueur en fin de semaine, et dont les promoteurs ont reconnu qu’il était une « obligation vaccinale déguisée », ne devrait-il pas être inconstitutionnel ?


Cette affaire de passe vaccinal, qui devrait entrer en vigueur le 20 janvier, alors même que tous les paramètres de l’épidémie reculent, est incompréhensible, pour ne pas dire scandaleuse. On mène aujourd’hui la guerre contre l’ennemi d’hier, et avec les connaissances d’hier. 

Le passe sanitaire pouvait se comprendre quand les variants précédents emplissaient les réanimations, et qu’on pensait que le vaccin réduisait drastiquement la contagiosité, donc que seuls les non-vaccinés transmettaient un virus très dangereux. 

Un bazooka pour tuer une mouche

On sait désormais que le vaccin nous protège des formes graves, mais ne protège pas les autres. Certes, les vaccinés sont légèrement moins contagieux, mais la différence est trop peu significative pour que l’on puisse imputer la circulation du virus aux non-vaccinés. Du reste, Olivier Véran a admis que rien n’arrêterait Omicron. Qui, heureusement, ressemble dans la grande majorité des cas à un gros rhume. Alors que des millions de Français ont été contaminés en quelques semaines, le gouvernement déclare pourtant que, si l’épidémie recule, c’est grâce aux mesures prises à la fin de l’année dernière. Si je comprends bien, on ne peut pas l’arrêter mais c’est grâce à la grande sagesse de nos gouvernants qu’on l’a arrêté. Logique. Il est très probable en effet que l’interdiction de boire et de manger dans les TGV (interdiction ramenée à une autorisation de se sustenter « brièvement ») ait fortement impressionné le virus qui, justement, était tapi dans l’ombre, attendant qu’on ouvre la bouche pour s’y jeter. Faudra songer à nous interdire de parler, sinon brièvement. 

Au final, ce passe voté à contretemps s’apparente à un bazooka pour tuer une mouche. Et en prime il la rate. 

A lire aussi, du même auteur: Moreno, drame de la parité

Toutefois, s’il était seulement inutile, ce ne serait pas grave. Mais il est aussi dangereux pour la vie de la Cité, dès lors qu’il instaure, sans souci de proportionnalité, un nouveau régime de liberté surveillée. Des contraintes souvent absurdes et toujours excessives pèsent sur tous les Français, non-vaccinés et vaccinés, ces derniers étant priés de montrer patte blanche sanitaire à tout bout de champ. Ainsi, alors que l’arrêté imposant le port du masque à l’extérieur en Ile-de-France ayant été retoqué par le Tribunal administratif, on nous en annonce un nouveau, plus précis. Alors que moins de 1% des contaminations ont lieu à l’extérieur, il s’agit, paraît-il, pour le gouvernement, de ne pas perdre la face. En nous obligeant à cacher la nôtre, merci bien ! 

Institutionnalisation de la peur

L’Assemblée nationale a également rétabli la possibilité, pour les restaurateurs et organisateurs de spectacles, de contrôler les identités. Les chefs d’entreprise sont également sommés de devenir les garde-chiourmes de l’ordre sanitaire en vérifiant que chacun a sa dose de télétravail. Qui nous dit que demain, une autre loi n’étendra pas l’obligation du passe à d’autres circonstances ou d’autres tranches d’âge? Et que fera-t-on si un virus beaucoup plus létal nous tombe dessus ? On demandera à l’armée de nous livrer nos repas comme en Chine ? 

Nous assistons à l’institutionnalisation de la peur. Pour ses ardents défenseurs, le passe vaccinal est justifié par l’éventuelle survenue de nouveaux variants plus redoutables. Il y aura peut-être une guerre nucléaire dans dix ans, devons-nous vivre dans des abris ? Nous prémunir contre une invasion de sauterelles géantes ? On voit que le principe de précaution n’est pas seulement inscrit dans la Constitution, il s’est insinué dans nos âmes, nous rendant incapables d’affronter le risque et plus encore l’incertitude.  

Notre numéro en kiosques: Causeur #97: Sarkozy présumé coupable

Enfin, le passe désigne les non-vaccinés comme de mauvais citoyens, qui seront donc mis au pain sec et à l’eau, alors même qu’aucune loi n’impose la vaccination. L’article 5 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen affirme : “Nul ne peut être contraint à faire ce que la loi n’ordonne pas.” CQFD. La Déclaration ayant été intégrée au bloc de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel himself, ce passe, dont les promoteurs ont reconnu qu’il était une « obligation vaccinale déguisée » devrait être inconstitutionnel. 

Le gouvernement est trop trouillard pour imposer la vaccination à ceux qui risquent des formes graves, disons les plus de 55 ans et les patients souffrant de « co-morbidités ». Il invente donc une nouvelle modalité d’interdit entre le légal et l’illégal, qui n’est pas la loi, mais la loi de l’emmerdement maximum.

Propos de Zemmour sur les enfants handicapés: le revers de la polémique

Depuis vendredi, toute la classe politico-médiatique tombe à bras raccourcis sur Eric Zemmour, suite à des propos sur les enfants handicapés, en réalité largement déformés.


Le philosophe Julien Freund avait été profondément marqué par les conséquences d’une torsion de la vérité à laquelle il refusa de prendre part. Pendant la résistance, le chef du groupe auquel il appartenait avait accusé son ancienne maîtresse de collaborer avec la gestapo, après qu’elle eut rompu avec lui ; un procès expéditif fut suivi d’une nuit durant laquelle l’innocente fut violée par les résistants communistes avant d’être exécutée au petit matin. Toute proportion gardée, la méthode du procès expéditif vient encore de faire les preuves de sa praticité, l’écho étant démultiplié dans les médias.

À l’affût d’une faute d’Éric Zemmour, des journalistes et la classe politique se sont précipités sur les mots du candidat quant à l’inclusion de certains enfants handicapés pour se dire choqués en commentant des propos manipulés par leurs soins, chacun des accusateurs trouvant son intérêt dans son indignation feinte. Franchissant ainsi la ligne rouge séparant la décence de l’instrumentalisation d’une cause grave. Libération a même modifié un titre qui pouvait laisser penser que Zemmour avait raison (voir plus bas).

Discutant vendredi avec des professeurs à Honnecourt-sur-Escaut dans l’Aisne, Éric Zemmour avait été interpellé par une enseignante confrontée à la souffrance des enfants handicapés dans ses classes. L’ancien chroniqueur lui avait répondu « qu’il faut effectivement des établissements spécialisés, sauf pour les gens légèrement handicapés évidemment », avant d’ajouter : « pour le reste, oui, je pense que l’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faite aux autres enfants et à ces enfants-là, qui sont, les pauvres, complètement dépassés par les autres enfants. Donc je pense qu’il faut des enseignants spécialisés qui s’en occupent. » Il a depuis précisé qu’il ne parlait pas du handicap physique et craindre que « l’obsession égalitariste soit le paravent de l’abandon des écoles spécialisées ».

Une instrumentalisation politique malvenue et incohérente

De l’extrême gauche à Marine Le Pen, en passant par Valérie Pécresse qui décida en 2018 de piocher 730 000 euros dans le budget handicap de sa région pour financer une consultation sur les autoroutes, tous pratiquent l’indignation ostentatoire. Emmanuel Macron, qui avait récemment parlé d’emmerder les non-vaccinés, a pu tenter de faire oublier ses mots pour l’instant peu rentables en accusant Zemmour de stigmatiser et diviser. L’appui de parents d’enfants handicapés et de personnalités, y compris comme Céline Pina ou Zohra Bitan, aux propos d’Éric Zemmour, est globalement passé sous silence. Idem concernant celui de Marie-Anne Montchamp, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées de 2004 à 2005, que revendique le candidat et qui n’est pas démenti.

Les deux rivales de droite d’Éric Zemmour s’en sont donné à cœur joie, alors que leurs propositions pourraient être comprises comme allant quelque peu dans son sens. Valérie Pécresse déclare dans son programme qu’il faut « mettre en œuvre la scolarisation en milieu ordinaire jusqu’à la fin du collège à chaque fois que c’est possible ». Marine Le Pen affirmait début décembre que « tous les enfants qui peuvent être scolarisés doivent l’être que ce soit en milieu ordinaire ou en ULIS (Unité localisée pour l’inclusion scolaire) ! » Zemmour ne dit pas autre chose, mais avec une formulation renversée : ceux qui ne le peuvent pas seraient plus épanouis dans des établissements adaptés qu’il faut renforcer.

C’est surtout sa critique de l’idéologie de l’inclusion primant le réel qui sert à tenter de faire croire qu’il veut rejeter les enfants handicapés.

Des critiques opportunistes négligeant la réalité

Nul pour rappeler la situation mise en avant par l’enseignante qui faisait part à Zemmour des difficultés. Nul pour se soucier des parents d’enfants atteints de handicaps mentaux contraints de scolariser leurs enfants en Belgique, faute d’écoles spécialisées en France, conséquence de la loi sur l’inclusion. Un reportage de France 2 datant de 2014 [1] témoigne de ces difficultés : des enfants doivent faire des trajets en taxi – y compris depuis Paris – pour rejoindre leurs écoles belges, les frais étant pris en charge par la Sécurité sociale. 3 000 enfants étaient alors concernés. Une situation rappelée ce week-end par le candidat sur France 3 dans l’émission « Dimanche en politique ».

Sur Facebook, l’essayiste de gauche Céline Pina a abondé dans le sens du candidat : « Avant d’enfourcher tout de suite le thème de la dénonciation du 3eme Reich, suite à la proposition d’Éric Zemmour sur le handicap, on peut aussi respirer un coup et ouvrir les yeux sur le fait que tous les handicaps ne peuvent être accueillis à l’école. Notamment les autismes lourds ou les handicaps mentaux. » Mentionnant la souffrance des parents et des enfants confrontés à cette inadaptation, Céline Pina affirme que le discours sur l’inclusion « a été un attrape-gogo et a servi à tous les gouvernements à se donner bonne conscience tout en laissant tomber la problématique du handicap. » Une hypocrisie qui a permis de réaliser de « substantielles économies », relève-t-elle.

Un biais médiatique relevant du parti pris

Si les témoignages de parents d’enfants atteints de handicaps affluent en faveur d’Éric Zemmour sur Twitter ou Youtube, les médias ont choisi de ne retenir que les critiques de certains représentants associatifs. Ont été mises en avant la colère de Jean-Louis Garcia, président national de l’Association pour adultes et jeunes handicapés, parlant de « ségrégation », ainsi que celle de la journaliste Olivia Cattan, présidente de SOS autisme France – et un temps pressentie pour être candidate sous l’étiquette La France insoumise aux législatives de 2017 – dénonçant des propos « discriminatoires » et une « méconnaissance » du candidat sur le sujet.

Ces deux responsables objectent à Zemmour la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Ce renvoi à la loi n’est cependant pas argument d’expérience qui contredirait Zemmour, mais un argument d’autorité alors que c’est cette norme qui engendre le problème.

La présentation biaisée par des médias militants

Les propos ont généralement été restitués par la presse écrite, les autres médias les ont résumés, mais tous ont insisté sur la polémique, souvent en présentant d’emblée Zemmour comme le candidat non pas de Reconquête mais « d’extrême droite », une façon d’indiquer par quel prisme entendre ses dires.

Du côté de Libération, on a carrément remplacé le premier intitulé d’un billet « Scolarisation des élèves handicapés : Et si Zemmour avait raison ? » par « Scolarisation des enfants handicapés : si l’école déraille, Zemmour défaille ». Il ne faudrait pas que des lecteurs survolant les titres pensent mal…

Dans Challenges, Maurice Szafran a signé un éditorial intitulé « Zemmour ou la définition du salaud en politique ». Après avoir assuré que le candidat s’en prenait aux immigrés et aux Juifs, afin de bien convaincre de la nocivité de ses propos sur les enfants handicapés, Szafran a poursuivi sa tentative de convaincre en cherchant à discréditer ses objections par la reductio ad hitlerum et l’émotion : « »Faux procès », clame le candidat raciste, « mots détournés », insiste-t-il. Ses explications a posteriori ne lui servent à rien car cette sortie sur les enfants handicapés a provoqué émotion, chagrin, et colère dans les tréfonds de la société française. » Ainsi présentée, la charge est censée ne pas pouvoir être réfutée.

Que Szafran ait été accusé en mars 2017 par la Société des Journalistes de Challenges de rouler pour Macron et de manquer d’équilibre dans ses papiers ne doit, bien entendu, pas laisser penser qu’une telle attaque est militante…


Lévy sans interdit

Dans cette affaire, notre directrice de la rédaction a surtout vu des indignations à gogo et peu d’arguments…

Retrouvez la chronique d’Elisabeth Lévy chaque matin à 8h10 dans la matinale de Sud Radio.


[1] https://www.youtube.com/watch?v=3AY7_PQq1t0

[Vidéo] Bien sûr, la cancel culture n’existe pas

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La cancel culture n’existe pas ! ce n’est qu’une illusion. Voilà ce qu’une certaine gauche veut nous faire croire.


Il s’agit d’un procédé qu’on appelle le « gaslighting » – ou en français canadien, « le détournement cognitif » – procédé qui consiste à faire accepter à quelqu’un un faux récit pour le convaincre qu’il est un coupable et non une victime.

Ainsi, si vous croyez que la cancel culture existe – que, par exemple, dans les universités, des cours sont suspendus, des invitations à des conférenciers extérieurs annulées, des personnes chassées de leur poste uniquement pour des raisons idéologiques – c’est parce que vous êtes un méchant d’extrême droite qui n’acceptez pas la critique de la part des minorités privées de voix.

C’est Laure Murat qui le dit

En France, le fer de lance de ce gas lighting est Laure Murat, professeurE à l’université de Californie à Los Angeles, qui mène une croisade contre l’existence de la cancel culture.

Déjà, le 1er août 2020, elle a soutenu dans Le Monde qu’il s’agit simplement d’une forme de contestation politique prônée par des minorités « excédées par l’impunité du pouvoir et la passivité des institutions face au racisme, à l’injustice sociale, au sexisme » etc. (J’adore les litanies, mais pas aujourd’hui). Le 1er octobre, dans une interview avec Mediapart, elle maintient que c’est une réponse légitime à l’impunité des dirigeants des pouvoirs publics et de nos institutions qui nient l’existence des rapports de domination entre eux et les minorités.

Maintenant, elle récidive et va plus loin dans un petit livre qui vient de paraître dans une nouvelle collection – sinistre – aux Éditions du Seuil qui nous promet des textes de Thomas Piketty et Clémentine Autain. Le brûlot de Laure Murat s’intitule Qui annule quoi ?, et son message fondamental est que personne n’est annulé – « cancelled ». Au cours de la semaine qui a suivi le colloque anti-woke à la Sorbonne, elle a fait le tour des radios habituelles pour répandre la bonne parole. Lundi 10 janvier, sur France Inter, elle affirme que la cancel culture est une pure invention de l’extrême droite pour dénoncer ce qui est en réalité une « culture de la protestation. » Selon elle, « le concept de cancel culture n’est pas si clair parce qu’il n’existe pas, tout simplement. »

Donc, en 2019, l’université de Cambridge n’a pas annulé le poste de professeur invité qu’elle avait proposé au Canadien Jordan Peterson, coupable de donner des arguments contre l’usage de pronoms « non-binaires » ? En 2020, l’historien Bruce Gilley n’a pas vu annuler par son éditeur un contrat pour la publication de sa biographie d’un fonctionnaire et apologue de l’Empire britannique ? En 2021, l’American Humanist Association n’a pas retiré le titre d’« humaniste de l’année » qu’elle avait décerné, en 1996, au chercheur Richard Dawkins, coupable d’émettre des doutes quant au sexe des personnes transgenres ? Et Klaus Kinzler, professeur à Sciences Po Grenoble, n’a pas été suspendu pour avoir critiqué l’emprise du wokisme sur les programmes de cette institution ?

Dans son petit livre, Laure Murat esquive toute cette question en se focalisant uniquement sur celle des statues déboulonnées par des foules de manifestants. Elle y voit un rejet légitime d’une histoire officielle qui efface les injustices infligées aux minorités par les nations occidentales au cours des siècles.

Premier problème : peut-on vraiment prétendre aujourd’hui qu’il n’y a pas d’études, de publications, de cours qui parlent de ces injustices ? Notre difficulté aujourd’hui consiste en réalité à ne plus pouvoir débattre de ces questions : ceux qui, comme Bruce Gilley, contestent la réduction de l’histoire à une série d’injustices font l’objet de tentatives pour les exclure du débat.

Deuxième problème : peut-on laisser l’écriture de l’histoire à des émeutes de gens en colère dont les connaissances historiques laissent à désirer ? Laure Murat, elle-même historienne, répète comme monnaie courante des assertions qui ne vont pas de soi. En 2020, la statue de Winston Churchill à Londres a été taguée deux fois par des manifestants qui l’ont accusé d’être raciste. Laure Murat approuve, citant sa prétendue responsabilité personnelle dans la famine du Bengale en 1943. Sauf que là il s’agit véritablement d’un mythe, promu d’abord dans un livre complotiste publié en 2010 par une journaliste bengali-américaine dont les données ont été contestées par Amartya Sen, économiste et lauréat du prix Nobel. Si les historiens jugent mal les faits historiques, comment se fier à des foules en colère ?

Troisième problème qui s’applique à tous les cas de cancel culture : nous vivons à une époque où justement il est inacceptable d’avoir un comportement raciste, sexiste ou intolérant. Dans ce contexte, être accusé, même faussement, de racisme, de sexisme ou d’intolérance est comme être traité de pédocriminel : même un innocent voit sa réputation salie de manière permanente. C’est ça, l’injustice profonde de la cancel culture !

On fait tout un fromage des propos du candidat coco à la présidentielle

Nous en avons vu un exemple récent avec Fabien Roussel, candidat du PCF à la présidentielle. Il me semblait déjà le candidat le plus sérieux de toute la gauche – doué de bon sens, clair, humble, sincèrement engagé dans la lutte pour défendre les classes ouvrières. Il a eu le tort de défendre la gastronomie française sous la forme d’ « un bon vin, une bonne viande, un bon fromage. » Son objectif a été de réclamer l’accès de tous les Français à la bonne bouffe. L’extrême gauche islamogauchiste lui est tombée dessus, l’accusant d’être un islamophobe et un nationaliste blanc. Apparemment, s’il vante les mérites de la viande, il ne peut penser qu’au porc, ce qui fait de lui un ennemi de l’islam – mais pas un antisémite, bizarrement. Si jamais il pensait à un steak frites traditionnel et pas au couscous cher à son rival M. Mélenchon, il doit être un nationaliste.

Je dirais même que son statut évident de carnivore constitue non seulement un affront pour tous les végans à la gauche de la gauche, mais un refus implicite de toute la gamme des doctrines du wokisme qui intéressent si peu les classes ouvrières.

Dans son nouveau livre, dont vous trouverez un compte-rendu par Céline Pina dans le numéro actuel de Causeur, Gilles-William Goldnadel pointe la récente perte d’influence du gauchisme culturel sur le peuple. Voilà l’explication : cette gauche culturelle a perdu tout contact avec la réalité de la vie quotidienne des citoyens modestes. La culture dominante à gauche est la « cancel culture » avec ses calomnies et ses affirmations mal étayées.

Mais, bien sûr, la cancel culture n’existe pas !


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Voilà la citation de la semaine :

« On peut discuter avec celui qui sait, on peut discuter avec celui qui ne sait pas, mais le Bouddha lui-même ne saurait discuter avec celui qui croit savoir. » (proposez votre réponse dans les commentaires sous la vidéo, sur Youtube).

Causons ! à la prochaine fois.

Dix ans et toujours rien

À force de chercher, on trouve. À la recherche de l’hypothétique « argent libyen de Sarkozy », les magistrats ont espionné ses conversations. Et découvert qu’il avait envisagé de pistonner un magistrat. Peu importe qu’il ne l’ait jamais fait: pour cette intention supposée, l’ancien président a été condamné en première instance à trois ans de prison, dont un ferme.


12 mars et 28 avril 2012. Juste avant chacun des tours de la présidentielle, Mediapart publie deux documents qui décrivent le financement par la Libye de la campagne de Nicolas Sarkozy cinq ans plus tôt, à hauteur de 50 millions d’euros. L’auteur du premier document, Jean-Charles Brisard, dénonce une « manipulation », dès le 16 mars. Brisard est « sous pression », interprète Mediapart. Son domicile suisse est perquisitionné en mars 2015. Les saisies sont tellement inintéressantes que la justice suisse ne les transmet même à la partie française. Brisard sort du jeu en avril 2016, définitivement hors de cause. Reste le second document, signé de Moussa Koussa, chef du renseignement extérieur libyen. Il démentira ultérieurement avoir écrit cette note.

30 avril 2012. Nicolas Sarkozy porte plainte pour faux contre Mediapart. Sa plainte débouche sur un non-lieu en 2016, confirmé en cassation en 2019. Les expertises ne permettent pas de conclure que la « note libyenne » est « un support fabriqué par montage » ou « altéré par des falsifications ». Elles ne prouvent pas davantage qu’elle est le reflet de la vérité, ni même authentique. Comme les juges le rappellent, on ne leur demandait pas de se prononcer « sur la réalité ou la fausseté des faits dont ce document était censé établir l’existence ». Ils ont prononcé le non-lieu « indépendamment de son contenu ». Reste à savoir pourquoi la justice a accepté que soit expertisé un fichier numérique, et pas un original.

19 décembre 2012. L’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine affirme devant la justice détenir des preuves du financement libyen de la campagne de Sarkozy. Le Libanais est alors mis en examen dans l’enquête conduite par les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, relative à des rétrocommissions sur des ventes de sous-marins au Pakistan, ayant financé la campagne d’Édouard Balladur en 1995 (affaire dite « Karachi »). Renaud Van Ruymbeke transfère les procès-verbaux au parquet, après avoir mis Nicolas Sarkozy hors de cause dans l’affaire Karachi, où son nom avait été cité.

Avril 2013. C’est seulement un an après la publication par Mediapart du document censé prouver le pacte de corruption qu’une information judiciaire contre X pour corruption est ouverte. Elle est confiée aux juges Serge Tournaire et René Grouman. Incarnation supposée de la neutralité, censé instruire « à charge et à décharge », selon l’article 81 du Code de procédure pénale, le juge Tournaire incarne imparfaitement la fonction. Son collègue du pôle financier, Renaud Van Ruymbeke, unanimement respecté, le trouve un peu trop cow-boy et ne parvient pas à travailler avec lui. En 2016, Serge Tournaire a été le seul des trois juges chargés de l’affaire Bygmalion à souhaiter mettre Nicolas Sarkozy en examen dans ce dossier, ce qu’il a fait en vertu d’une règle qui donne une voix prépondérante au premier juge désigné.

Juillet 2013. Boris Boillon, ancien conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, est arrêté gare du Nord avec 350 000 euros et 40 000 dollars en liquide. Il est condamné en 2017 pour blanchiment de fraude fiscale. La piste de l’argent libyen, un moment évoqué, n’a rien donné.

A lire aussi: Causeur #97: Sarkozy présumé coupable

Juillet 2014. Début de l’affaire dite « des écoutes ». Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierry Herzog, sont mis en examen, soupçonnés d’avoir tenté de corrompre un magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, dans l’espoir d’en savoir davantage sur les enquêtes concernant Nicolas Sarkozy. Les éléments à charge proviennent d’écoutes téléphoniques mises en place dans le cadre des investigations sur les présumés financements libyens. La ligne au nom de « Paul Bismuth », ouverte par Nicolas Sarkozy pour brouiller les pistes était, elle aussi, sur écoute. Le procès des écoutes, en mars 2021, met en lumière la démesure des moyens mis en œuvre pour coincer l’ancien président : 3 700 conversations privées écoutées, avec son épouse, ses enfants, ses amis, son avocat, deux commissions rogatoires internationales lancées, la Cour de cassation perquisitionnée pour la première fois de son histoire séculaire…

Sarkozy, Herzog et Azibert sont condamnés en correctionnelle à trois ans de prison dont deux avec sursis pour corruption, trafic d’influence et, pour le magistrat, violation du secret professionnel : dans une conversation enregistrée en 2014, donc, alors que Nicolas Sarkozy avait quitté l’Elysée, il a dit à Thierry Herzog qu’il pourrait pistonner Azibert pour un poste à Monaco, ce qu’il n’a d’ailleurs pas fait. Ils ont fait appel. Cette condamnation, bien entendu, ne dit rien sur la réalité des versements libyens. Au contraire. Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog, discutant sur une ligne qu’ils croient à l’abri des oreilles indiscrètes, n’ont rien raconté de compromettant en rapport avec la Libye. Peut-être parce qu’ils n’ont rien à dire ?

Novembre 2015. Claude Guéant, proche de Nicolas Sarkozy (il a été son directeur de cabinet à l’Intérieur, puis son secrétaire général à l’Élysée), est condamné par le tribunal correctionnel de Paris à deux ans de prison avec sursis et 75 000 euros d’amende pour complicité de détournement de fonds publics. La justice lui reproche de s’être versé des primes en liquide lorsqu’il était à l’Intérieur. Là encore, pas de trace d’argent libyen : les fonds provenaient du ministère. Les perquisitions visant Claude Guéant ont néanmoins mis en évidence de multiples anomalies dans ses comptes personnels, avec de fortes sommes non déclarées de provenance inexpliquée. Une partie pourrait provenir de Libye, par l’intermédiaire de l’homme d’affaires Alexandre Djouhri. En revanche, rien à ce stade n’indique que Nicolas Sarkozy était au courant des malversations de son collaborateur, ni qu’il en a été le bénéficiaire.

Février 2016. Nicolas Sarkozy est mis en examen dans l’affaire Bygmalion, portant sur le financement de sa campagne électorale de 2012. Il est condamné à un an ferme en septembre 2021 (il a fait appel). Toujours pas de trace d’argent libyen, les faits reprochés ne concernent pas la présidentielle 2007.

15 novembre 2016. Mediapart diffuse une vidéo de Ziad Takieddine qui déclare avoir remis « trois valises d’argent libyen » à Nicolas Sarkozy, dont une en main propre, au ministère de l’Intérieur. C’est le début d’un feuilleton dans le feuilleton avec comme personnage principal Ziad Takieddine. Il est mis en examen le 7 décembre 2016 pour complicité de trafic d’influence et de corruption. Il est alors en fuite au Liban, suite à une précédente condamnation à cinq ans ferme par la justice française, dans le cadre de l’affaire Karachi.

D’entretien en audition, de face-à-face en volte-face, Takieddine confirme son absence totale de fiabilité. Dans une instruction ordinaire, il aurait été laissé à la marge

Mars 2018. C’est seulement six ans après les premiers articles de Mediapart que Nicolas Sarkozy est mis en examen par le juge Tournaire pour « corruption passive », « recel de détournement de fonds publics libyens » et « financement illégal de campagne électorale ».

Janvier 2020. Devant les successeurs du juge Tournaire, Aude Buresi et Marc Sommerer, Ziad Takieddine maintient ses déclarations.

Février 2020. Claude Guéant fait condamner Ziad Takieddine pour diffamation, suite à des propos tenus dans l’entretien vidéo diffusé par Mediapart en 2016, où il était question de 5 millions d’euros de pots-de-vin.

12 octobre 2020. Nicolas Sarkozy est mis en examen pour association de malfaiteurs dans l’affaire libyenne, plus de sept ans après l’ouverture de l’enquête. 

11 novembre 2020. Coup de théâtre, Ziad Takieddine fait marche arrière sur BFM-TV et dans Paris Match. Le juge Tournaire lui a, affirme-t-il, prêté « des propos qui sont totalement contraires » à la vérité, « il n’y a pas eu de financement de campagne présidentielle de Sarkozy ». Le 17 novembre, l’intermédiaire déchu envoie au Parquet national financier (PNF) une « sommation interpellative », autrement dit un long mémo, dans lequel il accuse le juge Tournaire de l’avoir manipulé : « Il m’a fait comprendre que si je pouvais accuser M. Sarkozy et sa garde rapprochée, je m’en sortirais la tête haute dans le dossier Karachi et que mes biens me seraient restitués. » Si Takieddine dit vrai, c’est énorme, mais comment faire confiance à un témoin qui dit tout et son contraire ?

14 avril 2021. Ça se complique encore. Interrogé à Beyrouth par les juges d’instruction Aude Buresi et Marc Sommerer, Ziad Takieddine dément le démenti qu’il a fait dans Paris Match… Ses propos « ont été mal tournés par le journaliste », il y a bien eu versement. À cette époque, il est permis de se demander comment les juges peuvent encore accorder du crédit à Ziad Takieddine. En effet, le 14 janvier 2021, à Beyrouth, il a fait devant la juge Buresi une déclaration lunaire, consignée sur un PV que nous avons consulté : « Avec mes relations en Libye, j’ai la possibilité de pouvoir vous amener des originaux de documents compromettant l’équipe Sarkozy dans sa totalité. » Le lot de documents « à lui seul, en original, vaut le succès de votre instruction », ajoute-t-il (ce qui revient à souligner que le succès en question n’est pas encore garanti). Le tout, promet Takieddine,  « sera livré dans les 15 jours ». Le 4 février, le commissaire divisionnaire F. G., de l’ambassade de France à Beyrouth, écrit à la juge Buresi ; la justice libanaise n’a « eu aucune nouvelle de Ziad Takieddine », elle n’a « reçu aucun document ou objet de sa part depuis son audition ».

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Coupable, forcément coupable…

D’entretien en audition, de face-à-face en volte-face, Takieddine confirme son absence totale de fiabilité. Dans une instruction ordinaire, il aurait sans doute été laissé à la marge. Le problème est que sans lui, une grande partie des accusations contre Nicolas Sarkozy s’effondre. Par ailleurs, Takieddine peut peut-être sauver les juges de l’échec, en faisant plonger l’ex-président pour subornation de témoin…

Faire tomber Sarkozy pour subornation de témoin

La subornation de témoin, c’est le nouveau feuilleton dans le feuilleton. En novembre 2020, Paris Match a donc publié l’entretien où Ziad Takieddine opérait un de ces revirements dont il a le secret, démentant avoir versé de l’argent libyen à Nicolas Sarkozy, virage consigné dans sa « sommation interpellative ». La ligne constante de la justice, dans ce dossier, semble être de ne surtout pas creuser lorsque l’intermédiaire libanais accable l’ancien président. Dans le cas contraire, il faut chercher. En l’occurrence, les conditions dans lesquelles a été réalisée l’interview de Match au Liban offrent aux magistrats des possibilités de nuire à leur mis en examen favori. Elle a été visée par Hervé Gattegno, alors directeur des rédactions du Journal du dimanche et de Paris Match, réputé pro-Sarkozy et anti-Mediapart.

Elle a été montée par un étrange attelage : une connaissance de Takieddine nommée Noël Dubus, déjà condamné pour escroquerie ; Michèle Marchand, patronne de l’agence Bestimage, pilier de la presse people et amie de Carla Bruni-Sarkozy ; Arnaud de la Villesbrune, ancien directeur de Publicis ayant travaillé pour la campagne 2012 de Sarkozy, plus un homme d’affaires nommé Pierre Reynaud. Ils sont tous déjà mis en examen pour subornation de témoin, de même qu’une interprète franco-algérienne de 26 ans, Lisa H., qui les accompagnait.

Nicolas Sarkozy sur le plateau du « 20 heures » de TF1, au lendemain de sa mise en examen dans l’affaire du financement libyen de sa campagne, 22 mars 2018.

Noël Dubus avait plusieurs projets plus ou moins réalistes en rapport avec le Liban, où il s’est rendu quatre fois en un peu plus d’un an. Il était question de récupérer des tableaux volés, d’introduire des investisseurs philippins au Liban, et d’acheter des officiels libanais pour obtenir la libération d’un des fils Kadhafi, Hannibal, incarcéré à Beyrouth. Difficile de savoir si ce dernier projet était sérieux ou s’il cachait une tentative d’escroquerie. Les enquêteurs français, d’ailleurs, s’en désintéressent. Ils se concentrent sur les pistes qui pourraient mener à Nicolas Sarkozy, en deux temps. D’abord, il faut prouver que Ziad Takieddine a touché de l’argent pour donner son entretien à Paris Match et pour sa sommation interpellative. Ensuite, il faudrait établir un lien entre Sarkozy et le voyage des Pieds nickelés intermédiaires de Match  au Liban. Pourquoi Nicolas Sarkozy tenterait-il de retourner une girouette comme Takieddine, mystère (et avec des intermédiaires aussi folkloriques, mystère encore plus profond). En lisant les PV d’audition de Lisa H., l’interprète, amie de Noël Dubus, on apprend que Hervé Gattegno avait déjà interrogé Ziad Takieddine en juin 2020 par visioconférence, depuis le Liban. Lisa H., qui y avait assisté, n’était pas là pour traduire, Takieddine parlant couramment le français, mais pour l’apaiser, sur proposition de Noël Dubus. « S’il s’énervait, je devais me mettre derrière [Hervé Gattegno, ndlr], et le fait de voir une femme, il allait se calmer. Ça n’a pas raté. » L’entretien lui-même, souligne Lisa H., « c’était du vent, c’était inutile, il a dû changer au moins trois fois de version ! »

L’objectif, en définitive, est de bloquer la girouette Takieddine dans la direction qui pointe Nicolas Sarkozy. Pour y arriver, il faut absolument se débarrasser de la sommation interpellative qu’il a rédigée le 14 décembre 2020. Elle est catastrophique pour les juges, comme pour Mediapart. Il y déclare entre autres : « J’ai été contacté à cette époque [en 2013, ndlr] après avoir vu le juge Tournaire en off quelques jours avant. Le juge Tournaire m’avait vivement conseillé d’accepter la proposition de Mediapart […]. Lorsque Mediapart est venu pour m’interviewer, j’ai donc arrangé l’histoire afin que cela puisse coller aux désirs du juge mais également de Mediapart, qui insistait beaucoup. »

Ce n’est pas le seul endroit où les pièces versées au dossier montrent une intéressante partie de courte-échelle, les enquêteurs s’appuyant sur Mediapart, qui s’appuie sur les enquêteurs. Par exemple, le 3 juin 2021, un officier de la police judiciaire tente de faire réagir Lisa H. à un article de Mediapart intitulé « Rétractation de Takieddine : la piste de l’argent », publié le 6 avril 2021. Michèle Marchand était du voyage au Liban. Qu’en pense la jeune femme ? Réponse : « Vous êtes, après Karl Laske [de Mediapart, ndlr], la deuxième personne à me poser la question. » Le même Karl Laske, précise Lisa H., a menacé de la signaler au Parquet national financier si elle ne répondait pas à ses questions. Du travail d’équipe pour un objectif commun. S’ils veulent sauver dix ans de travail, Mediapart et les enquêteurs savent ce qu’il leur reste à faire : établir que Takieddine a été payé par Sarkozy pour retourner sa veste. Faute de pouvoir le condamner pour recel d’argent libyen, il faut le faire tomber pour trafic d’influence (Azibert) et subornation de témoin (Takieddine). Affaire à suivre.

Les jeux dangereux d’Elisabeth Moreno

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De la gastronomie identitaire au Monopoly des inégalités… ou comment passer du coq (français) à l’âne (idéologue)


Si nous nous en tenons aux critères de plus en plus « inclusifs » de l’extrême-gauche insoumise et écologiste, l’extrême-droite s’élargit jour après jour et sera bientôt archi-majoritaire dans ce pays. Michel Barnier avait failli être marqué au fer rouge de l’infamie après avoir évoqué la nécessité d’un moratoire sur l’immigration. Malgré lui, Fabien Roussel vient d’entraîner toute une partie de la population vers le côté obscur d’un pétainisme culinaire. Insouciant, le secrétaire général du PCF a en effet twitté « qu’un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c’est la gastronomie française. » (cf. l’article d’Alexis Brunet dans ces colonnes).

Les wokes français aimeraient qu’on n’oublie pas le couscous

Fabien Roussel n’avait pas encore très bien saisi ce que voulait dire le mot « woke ». Il apprend à ses dépens que les wokistes d’extrême-gauche existent : certains l’accusent de faire la promotion d’une alimentation incompatible avec le réchauffement climatique ; d’autres d’avoir une vision identitaire de la gastronomie française et d’être un suprémaciste blanc ; d’autres encore lui demandent de cesser de promouvoir l’alcoolisme. Quelques internautes ont vu dans l’allusion au vin et à la viande (que certains ont immédiatement traduit “viande de porc”) un propos islamophobe. La décolonialiste Françoise Vergès twitte : « Le “C” du parti de Roussel signifie compromission. Aux membres de se désolidariser. » Je connais un autre mot qui commence par “C” et dont les membres, bientôt solidairement mis sur orbite, ne sont pas prêts de s’arrêter de tourner.

A lire aussi, Laurence Simon: Rousseau ou la victoire de la féminité toxique

Sandrine Rousseau, par exemple, toujours parfaite quand il s’agit de lâcher les plus belles bourdes, a déclaré sur LCI que Fabien Roussel excluait une partie de la gastronomie et qu’on peut « être français et adorer le couscous ». Comme tous les accusateurs publics de tous les tribunaux révolutionnaires, Mme Rousseau projette ses obsessions sur une phrase qui ne dit absolument pas ce qu’elle croit (ou aimerait) entendre. Elle sous-entend par conséquent que Fabien Roussel a intentionnellement et racistement omis de décliner tous les plats dans lesquels il y de la viande afin de stigmatiser le couscous, le tajine, la pizza, les tagliatelles à la carbonara et autres spécialités culinaires faisant le bonheur de tous les Français qui restent toutefois attachés à la blanquette de veau, au cassoulet et au coq au vin.

Elisabeth Moreno : Je pense que l’initiative du Monopoly des Inégalités est juste fantastique (…) C’est super, franchement bravo!

Je passe du coq à l’âne : un nouveau jeu vient de faire son apparition. Ce jeu, le Monopoly des Inégalités, a été créé par L’Observatoire des inégalités. Elisabeth Moreno, notre orwellienne ministre à l’Égalité entre les femmes et les hommes, à la Diversité et à l’Égalité des chances, le trouve « fantastique ». Règles : les joueurs tirent une carte qui va déterminer leur personnage rangé dans une catégorie, A, B ou C. Et c’est là que ça devient intéressant : la catégorie A étant « très favorisée », le personnage de cette catégorie est un homme blanc de 55 ans se prénommant Aurel ; il a un salaire de 300 euros et un patrimoine de 2000 euros ; en début de partie il possède deux maisons et a deux dés pour jouer. À l’extrême opposé, en catégorie C, le personnage « défavorisé » s’appelle Mohamed, a un salaire de 100 euros et un patrimoine de 600 euros ; la vie étant décidément trop injuste, il n’a qu’un dé pour avancer. En catégorie B, Meriem est un peu mieux lotie que Mohamed mais porte un très seyant et très couvrant voile bleu sur la carte la représentant. Les concepteurs de ce jeu grotesque mais idéologiquement impeccable précisent : « On a fait une quarantaine d’ateliers et Mohamed n’a jamais gagné la partie. » Comme dans le Monopoly de notre enfance il y a des cartes « événements », mais ici elles servent surtout aux joueurs à « expérimenter l’homophobie, le racisme, les inégalités de revenus. » Exemples : « Vous refusez d’embaucher une femme transgenre. Elle porte plainte pour discrimination. Allez directement en prison et payez cent euros à la banque. » Ou : « Si vous êtes noir ou maghrébin, vous ne pouvez plus acheter de maison jusqu’à ce que vous repassiez par la case Départ. Si vous êtes blanc, rien ne se passe. » Une carte “grève générale” permet une “avancée sociale” et une augmentation de revenus pour Mohamed. La case “redistribution” punit, elle, le joueur « très favorisé » de catégorie A qui tombe dessus en le forçant à donner 100 euros à Mohamed, « pour montrer l’importance des impôts dans la réduction des inégalités ».

La ministre des Sports Roxana Maracineanu et la Ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances (ouf!) Elisabeth Moreno inaugurent une fédération sportive réservée aux homosexuels à Paris, le 13 septembre 2020 © SIPA / Numéro de reportage : 00981107_000028

Mme Moreno est sous le charme de ce jeu débile : « Je pense que l’initiative du Monopoly des Inégalités est juste fantastique pour la simple raison qu’on peut aborder des sujets extrêmement graves et importants de manière ludique et de manière à donner envie aux jeunes de s’intéresser à la question. C’est super, franchement bravo. » La propagande battant son plein dans une Éducation nationale bien décidée à continuer de fabriquer des crétins, ce jeu est destiné aux professeurs qui éprouveront l’envie de « débattre avec leurs élèves des inégalités ». Constance Monnier, “cheffe” de projet à L’Observatoire des inégalités, confirme l’engouement de certains professeurs : « Nous avons eu énormément de demandes d’acquisition du jeu de la part d’enseignants […] qui cherchaient des outils ludiques pour aborder la question des inégalités ou des discriminations. »

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Moreno, drame de la parité

Quel est le rapport entre ce jeu imbécile et les critiques stupides essuyées par Fabien Roussel ? À priori, aucun. Disons simplement que ces deux actualités confirment le constat suivant : nous vivons dans la plus méprisable en même temps que la plus risible des époques de notre histoire. Le coq français, la crête défraichie, se fait déplumer par des ânes idéologues qui alimentent la bêtise dogmatique d’une partie de la classe politique. L’abrutissement semble général. On hésite souvent entre pleurer de rire et pleurer tout court. Et même Fabien Roussel est obligé finalement de le reconnaitre : « C’est hallucinant ! »

La Révolution racialiste, et autres virus idéologiques

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L’apprentissage change de look

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Séance de training dans le salon Maniatis de la rue de Sèvres (Paris 6e). Transmission du geste et d'un savoir-faire. ©Hannah Assouline

Longtemps synonyme de filière pour cancres « dont il faut bien faire quelque chose », l’apprentissage séduit de plus en plus de jeunes dans tous les secteurs, et certains, comme la coiffure, en font même une formation d’excellence.


Dans Chacun pour toi, film réalisé par Jean-Michel Ribes en 1994, un vieux coiffeur (Jean Yanne) sauve du suicide un jeune type déphasé (Albert Dupontel). Ce dernier découvre que son bienfaiteur a été autrefois un virtuose de la coiffure et l’encourage à retrouver sa splendeur passée en participant à un concours international. Dire qu’il le remporte en exécutant une incroyable coiffure « Renaissance » inspirée d’un tableau qu’ils ont vu au Louvre n’est pas divulgâcher une histoire qui puise son intérêt dans le rapport qui unit ces deux hommes, une relation basée sur la transmission, celle du savoir et du regard.

Cette transmission est le fondement d’un savoir-faire « à la française » réputé dans le monde entier mais qui n’a pas, au contraire de la gastronomie, hystérisé les médias : la coiffure. Pourtant, il en va dans l’univers du cheveu comme dans celui de la restauration, il y a les bons et les mauvais, les hauts de gamme et les low cost. Et puis, un brushing réussi est nettement plus glamour qu’une toque.

La maison Maniatis incarne depuis 1974 une certaine idée de la haute coiffure française. Inventeur d’une technique absolument novatrice, celle de la coupe sur cheveux secs, Jean-Marc Maniatis comprend rapidement l’intérêt qu’il a à former ses propres coiffeurs. Outre un enseignement précis, ses apprentis s’approprient une part de l’aura du maître et gagnent en confiance. Celle-ci alimente leur passion du métier et la fierté de représenter l’excellence de la profession.

Le succès est au rendez-vous et cette formation-transmission est devenue une marque de fabrique de la maison. 

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Aujourd’hui, le directeur opérationnel des salons et de la marque Maniatis Paris, Alexandre Protti, mise plus que jamais sur ces jeunes apprentis qui sont « passionnés, motivés et pleins d’énergie ». Et pour dynamiser davantage ses troupes, il a mis sur pied des séances de « training ». Une fois par mois environ, coiffeurs confirmés et apprentis en formation dans ses différents salons se retrouvent durant plusieurs heures, à l’issue de leur journée de travail, pour approfondir davantage la transmission de leur passion commune. Transmettre un savoir-faire, c’est ici aiguiser la mémoire du geste et du coup de ciseau, développer le sens artistique des futures recrues, leur capacité d’initiative mais aussi d’écoute, afin de comprendre au mieux le désir des clientes. Autour de chaque modèle venu se prêter au jeu – et bénéficier d’une coupe gratis ! – un apprenti et un « formateur ». Sous la lumière crue des spots, malgré un fond musical de rigueur et le vrombissement continu des sèche-cheveux, la concentration est totale, et la bonne humeur aussi. Les conseils s’échangent, les gestes sont repris, décomposés et détaillés pour maîtriser le fameux « mèche à mèche » ou les secrets d’une bonne coloration « qui change tout ». Alexandre Protti passe de l’un à l’autre, prodigue lui-même des conseils, manie le peigne, et s’émeut de cette complicité intergénérationnelle. « Certains ont vingt, trente, voire quarante ans de maison, dit-il avant de nous présenter Laura, elle est arrivée à 15 ans en tant qu’apprentie, a passé son brevet professionnel puis a été embauchée comme coiffeuse. À 30 ans, elle est aujourd’hui formatrice et transmet à son tour à des plus jeunes. » Ces trainings sont aussi une sorte de formation continue, une remise à niveau permanente : « Je suis coiffeur depuis cinq ans mais j’apprends toujours », lâche Jonas, appliqué à suivre la coupe qu’exécute son apprenti du jour. Pour Hector, 21 ans, en alternance chez Maniatis dans le cadre de son brevet professionnel, ces échanges entre coiffeurs de tous âges constituent un avantage qu’on ne trouverait pas ailleurs : « Ici, on apprend tout mais en mieux, on prend vraiment une avance que n’ont pas les autres, on gagne plein d’astuces. En plus, on arrive à se projeter dans l’avenir, on se sent concerné par la boîte. »

Autour de chaque modèle, un apprenti et un formateur ©Hannah Assouline

De fait, quand on entre chez Maniatis, on y fait sa carrière. Rares sont les grandes enseignes de coiffure à pouvoir fidéliser aussi bien leurs clients que leurs employés. Même les fameux modèles de ces trainings du soir sont des habitués. « On les fidélise, s’en amuse Alexandre, elles viennent chez nous lorsqu’elles sont étudiantes en tant que modèles, et nous les retrouvons clientes lorsqu’elles entrent dans la vie professionnelle ! »


L’apprentissage en plein boom

Longtemps considéré comme une filière de seconde zone, l’apprentissage acquiert progressivement ses lettres de noblesse par le sérieux de la formation en alternance qu’il permet, et la motivation des jeunes qui en bénéficient. Les employeurs ont saisi le filon, et 2020 a battu un record historique avec plus de 500 000 contrats signés, dont 495 000 dans le secteur privé (principalement des TPE). Malgré la crise, l’apprentissage a ainsi connu une hausse de 40 % en un an. Un accroissement qui témoigne d’une réelle mobilisation des entreprises, encouragées il est vrai par l’État à recruter des apprentis dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution ». Celui-ci prévoit notamment comme avantage une prime de 5 000 euros pour l’embauche d’un mineur et de 8 000 euros pour celle d’un majeur.

La nouveauté est aussi le profil de ces jeunes recrues, car elles sont de plus en plus nombreuses à avoir un niveau d’études supérieures : en 2020, elles étaient 22 % à avoir un niveau bac+2. Les chiffres publiés par le ministère du Travail révèlent une autre surprise : malgré les vagues de Covid et les conséquences que l’on connaît, l’embauche d’apprentis dans l’hôtellerie-restauration a progressé de 6 %.

Sleeping Giants contre Corsaires

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Capture d'écran YouTube des "Corsaires"

Quand des activistes tentent d’assécher les recettes publicitaires des médias de droite en intimidant les annonceurs sur Twitter, ils trouvent sur leur route les Corsaires. Rencontre avec Pierre, leur « amiral ».


C’est une véritable guerre ouverte qui s’orchestre depuis quelques mois maintenant entre deux groupes opposés de cyber activistes : les « Sleepings Giants » et les « Corsaires ». 

L’existence des Sleeping Giants remonte à 2016 aux Etats-Unis. Ils ont fait plier la chaîne « Breitbart news » en s’adressant à ses annonceurs sur les réseaux sociaux et en les accusant de financer un média « pro-Trump ». Ils arrivent en France en 2017 avec une action coup de poing à l’encontre de « Boulevard Voltaire » et se font remarquer à nouveau deux ans plus tard en incitant le groupe Ferrero à retirer les publicités Nutella de l’émission « Zemmour et Naulleau » avant de s’attaquer depuis plusieurs mois à Valeurs Actuelles, à Cnews ou encore au site « France-Soir ».

Les Corsaires contre-attaquent

La méthode est toujours identique : interpeller les marques. D’un ton doucereux, les Sleeping Giants font mine de s’interroger : pourquoi financer des médias « à la ligne éditoriale intolérante et haineuse » ? Ainsi en va-t-il en ce moment pour la marque Intersport épinglée sur Twitter pour son achat d’espaces publicitaires chez Cnews. Si de nombreuses marques préfèrent adopter la stratégie du silence, d’autres n’hésitent pas à s’excuser avant d’assurer, grâce à des community managers zélés, qu’elles ne recommenceront plus : BNP Paribas, BMW, Décathlon ou encore les magasins Leclerc ont tous retiré leurs publicités de CNews. Bilan en un an, la publicité sur CNews a chuté de 40%[1] suite aux actions des Sleeping Giants.

Mais peu après la rentrée 2021, une mystérieuse flotte dénommée « Corsaires » a émergé sur les réseaux sociaux. Se revendiquant « cyber-militants » et inspirés des fameux « Anonymous », les Corsaires ont choisi d’affronter les Sleeping-Giants sur leur propre terrain : les réseaux sociaux.

Pierre (le prénom a été modifié à sa demande), surnommé « l’amiral », a accepté de revenir auprès de nous sur la création du cyber collectif corsaire et les différentes batailles menées depuis quelques mois : « On est des gens de la publicité, du digital et du marketing donc on est concernés par les placements de publicité et on était horrifiés que les Sleeping-Giants disent qu’une marque qui fait de la pub dans un média cautionne forcément la ligne éditoriale de ce média. »

Stratégie novatrice

Ils utilisent donc une stratégie novatrice pour les contrer : « Programmer des bots, ça ne marche plus, il fallait de vrais comptes de vrais gens avec de vrais historiques pour réagir massivement à chaque annonce des Sleeping-Giants. Car ils sont malins et tirent leur force de leur anonymat. Seuls les services marketing ou com des boîtes qu’ils visent les connaissent et prennent à cœur de leur répondre » explique Pierre, lucide. 

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Sur le site des Corsaires, le message est clair : « Les Sleeping Giants menacent le débat d’opinion en France. Découvrez comment mettre fin au chantage des Sleeping Giants ». Bien conçue, l’ interface du site permet de découvrir les exemples de « batailles » en cours et celles déjà remportées en cliquant simplement sur un bouton permettant d’ « accéder à chaque mission ».  

« Nous avons évidemment un environnement numérique surprotégé. Les Corsaires qui ont donné leur contact reçoivent un message d’alerte dès qu’une nouvelle mission se présente à nous, et ils ont juste à appuyer sur un bouton pour obtenir le message type qu’ils peuvent poster sur leurs réseaux sociaux ». Le dernier combat en date oppose les Sleeping Giants et les Corsaires autour de la marque de biscuits apéros « Vico ». Les Sleepings Giants  ont ouvert le feu : « Bonjour @Vico_Officiel, vos spots pub pour #Curly sont diffusés sur #Cnews. Cette chaîne est devenue une chaîne d’opinion nauséabonde dédiée à la promotion d’un candidat condamné pour racisme. Est-ce vraiment ce que vous désirez soutenir avec votre budget ? » Mais ils ont eu la désagréable surprise de voir une riposte des Corsaires : « @Vico_Officiel_ le contrat qui vous lie à vos clients est simple : vos produits doivent les satisfaire. Cela n’a rien à voir avec le fait de diffuser vos pubs sur @CNEWS. Nous voulons de la qualité, pas de la morale. Ne cédez pas aux Sleeping Giants ! ». 

Accompagnés de graphistes improvisant des visuels truculents pour chaque marque, les Corsaires agissent vite et leur nombre grandit : « On est bientôt 4000 et on espère être à 10 000 avant l’été » raconte Pierre. Mais pour lui, le nombre d’adhérents n’est pas forcément ce qui fera la différence : « C’est le principe de guérilla de base, le nombre ne fait pas forcément la loi. Il faut faire comprendre à la société française, quel que soit son bord, que les Sleeping Giants ne dialoguent pas avec les médias, ils veulent démolir sans assumer les pertes d’emplois de journalistes derrière ! ». 

S’exprimer sans se censurer

On pourrait croire que ce sont des zemmouriens convaincus qui se cachent derrière les têtes pensantes des Corsaires. Mais, chez ces cyber activistes, il n’est pas question un seul instant de se revendiquer d’un bord politique : « On a une estime pour les médias quels que soient leurs bords. On lutte contre les Sleeping Giants qui ciblent des médias de droite donc on est forcément assimilés à la droite, mais militons simplement pour que tous les journalistes puissent s’exprimer sans avoir à se censurer ». Prendraient-ils pour autant les armes pour tous les médias sans exception ? « Bien sûr, d’ailleurs on rêve que ça tombe un jour sur un média de gauche pour prouver qu’on veut juste une liberté journalistique ! On se battrait pour Libé évidemment. Un journal est une unité morale certes, mais il y a des gens derrière et on ne peut décemment pas attaquer tout un média ou détruire des emplois par pure vengeance » s’exclame Pierre. Et si certains community managers apeurés agissent avec un peu trop d’empressement, les Corsaires n’hésitent pas à contacter directement leurs supérieurs afin de s’assurer que les marques ont vraiment fait le choix de boycotter un média. Et cela porte ses fruits : suite à ce type d’action, la marque « Loué » a choisi de maintenir ses annonces auprès de Cnews pas plus tard qu’en décembre.

[1] Selon l’Institut Kantar

Circulaire sur l’identité de genre en milieu scolaire: «Il y aura un avant et un après»

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Italie, juin 2021 © Daiano Cristini/Sintesi/SIPA

Le 29 septembre 2021, le ministère de l’Éducation nationale a produit une circulaire destinée à définir la conduite à adopter par les professeurs et autres personnels face à des « élèves transgenres » ou « en questionnement de genre ». « La transidentité est un fait qui concerne l’institution scolaire », lit-on ; l’objectif annoncé est d’accueillir au mieux ces élèves en acceptant le changement vers le genre « ressenti », éventuellement en cachant les revendications des élèves à leurs parents, et au besoin en donnant accès à des toilettes différentes ou en modifiant le prénom des enfants sur les cartes scolaires. L’association SOS Éducation, à l’origine d’une note documentée sur le caractère alarmant et dangereux des transitions pédiatriques en plein essor, voit dans cette circulaire l’institutionnalisation de l’idéologie dite « transaffirmative » dans l’école, et a lancé une pétition qui rassemble plus de 13 000 signataires. Entretien avec la déléguée générale de l’association Sophie Audugé.


Causeur. Que contestez-vous dans la circulaire de Jean-Michel Blanquer sur « l’identité de genre en milieu scolaire » ?

Sophie Audugé. La première chose qu’on conteste, c’est que la transidentité soit un fait : en réalité, c’est une idéologie, pas un fait. L’idée affichée de la circulaire, c’est qu’il ne faut pas stigmatiser les enfants qui se poseraient des questions sur leur genre. Mais c’est dans la nature même de l’école de ne pas stigmatiser les enfants, on n’avait pas besoin de faire une circulaire de 11 pages pour un objectif aussi simple. En réalité, cette circulaire n’est pas une circulaire mais un manifeste qui reprend tout le corpus argumentatif de ce qu’on appelle l’idéologie transaffirmative. Il ne s’agit pas seulement de reconnaître les droits des personnes transsexuelles, mais surtout de prendre fait et cause pour le principe d’autodétermination du genre ressenti pour chaque personne – quel que soit son âge. Le genre ressenti est envisagé comme quelque chose qui serait un sentiment profond, presque transcendantal et donc non discutable, où la biologie n’a pas sa place, ni l’état émotionnel ou la période de vie de la personne qui l’exprime ; exit également les bouleversements identitaires de l’adolescence, les situations personnelles, les relations intrafamiliales… Et c’est à ce titre-là que la transidentité n’est pas un fait, mais une idéologie diffusée par des militants qui cherchent à convertir un maximum de personnes. Ce n’est pas un fait biologique, pas un fait scientifique, et à ce titre-là elle n’a pas à rentrer dans l’école. 

 Sophie Audugé

De plus, en France, cette idéologie n’a pas fait l’objet d’un débat public. Dans d’autres pays, comme c’est le cas au Canada par exemple, Justin Trudeau et ses ministres vous disent que la transidentité, c’est le nouveau monde, c’est la nouvelle norme sociale qu’on souhaite appliquer. Ils disent clairement aux parents qui ne sont pas d’accord avec la transidentité que c’est eux le problème, que s’ils ne l’acceptent pas, ils seront responsables des souffrances de leur enfant, et ils leur disent : « mieux vaut avoir un fils transgenre qu’une fille morte », à vous de choisir… Si vous êtes parent au Canada, vous savez que ça se passe comme ça dans l’école et dans la loi. Mais en France, à aucun moment le pouvoir en place n’a dit que la transidentité pouvait être une nouvelle norme sociale et qu’il fallait la reconnaître comme un fait social à l’école. En réalité, cette idéologie s’est infiltrée de manière totalement insidieuse. Quand vous confiez vos enfants à l’école de la République, vous vous attendez à ce qu’elle vous garantisse la protection de vos enfants, dans un cadre dédié à l’enseignement et à la transmission de savoirs. Pas à ce qu’elle fasse passer de tels messages à vos enfants.

Comment en est-on arrivés à institutionnaliser cette idéologie ?

La circulaire institutionnalise effectivement un mouvement qui était déjà entré dans l’école depuis longtemps. Pour être tout à fait honnête, nous aurions tous dû intervenir bien avant, parce que toute la sémantique transaffirmative était déjà en place, déjà relayée par un certain nombre d’interventions faites aux enfants par diverses associations LGBTQ+ ou le Planning familial. Elles diffusent auprès des enfants tout le vocable transaffirmatif, elles distribuent des questionnaires dans les classes en demandant aux élèves s’ils se sentent fille ou garçon, binaire ou non-binaire… on leur dit : si tes parents te « genrent » ou te « mégenrent », c’est un acte de violence que tu peux dénoncer. Ces propos existaient déjà, on le savait, mais pour une raison qu’on ne s’explique pas, l’ensemble de la communauté éducative a considéré que ce n’était pas suffisamment grave pour s’y opposer avec fermeté.  Personne, sans doute, n’avait envisagé que le ministre de l’Éducation nationale prendrait fait et cause pour cette idéologie transaffirmative.

On parle de contagion sociale, de « clusters » dans certains établissements scolaires…

La circulaire fait référence à plusieurs associations de cette mouvance, notamment l’association Le MAG Jeunes LGBT. Or cette association fait partie de la fédération européenne d’associations transaffirmatives IGLYO, qui a produit en novembre 2019 un rapport qui détaille un protocole de lobbying pour infiltrer les politiques publiques et faire passer l’affirmation du genre ressenti dans la loi, avec une volonté affichée de toucher les jeunes. C’est quand même invraisemblable que le ministre de l’Education se fasse le relais des arguments d’une telle association dans sa circulaire. Cette association est agréée par l’Education nationale, elle touche des subventions pour aller dans les écoles servir la bonne parole… Elle a par ailleurs un partenariat avec une marque de cosmétiques plébiscitée par les jeunes, et pas des moindres, Sephora, qui a fait une campagne de communication pour le lancement d’une palette de fards spécifiquement destinée aux personnes transgenres avec un influenceur très suivi sur les réseaux sociaux. N’y a-t-il pas de conflit d’intérêt ? Tout ça pose des questions fondamentales qui n’ont plus rien à voir avec la cause du respect des droits des homosexuels et transsexuels, et encore moins avec l’école. Ce qui se joue là est une modification de norme sociale et un énorme business ! Cela s’est infiltré dans l’école par le biais des associations, et Jean-Michel Blanquer vient d’institutionnaliser cette nouvelle norme à l’école. Il y aura un avant et un après.

Abordons les choses de manière un peu concrète : quelles sont les conséquences de la transition de genre chez les jeunes ? Quelles sont les trois étapes de cette transition que vous décrivez dans votre rapport, et où est-ce qu’on en est en France, sur le plan légal, vis-à-vis de toutes ces démarches ? 

Effectivement, c’est le deuxième point de notre opposition : la première chose, c’est que l’idéologie ne doit pas rentrer dans l’école, et la deuxième chose, c’est qu’elle est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. Notre démarche à SOS Éducation a été de nous documenter très sérieusement afin d’évaluer l’enjeu et les risques du point de vue de l’intérêt supérieur de l’enfant. Les transactivistes n’hésitent pas à faire du chantage au suicide comme on l’a vu avec l’exemple du Canada. Évidemment c’est une question très sérieuse qui nécessite toute notre vigilance. On s’est documentés pour démêler le vrai du faux et avoir un avis le plus objectif possible. 

Ce qui nous permet d’avoir cet avis objectif, c’est qu’un certain nombre de pays – malheureusement pour eux et heureusement pour la France – ont engagé des processus de transition pédiatrique depuis déjà dix ans. Les premiers à engager un tel processus ont été les Pays-Bas, avec un protocole assez pointu, qui partait d’un accompagnement pédopsychiatrique exploratoire assez important. Ce protocole permettait d’accompagner les enfants concernés sur le long terme : l’enjeu était d’évacuer toute autre origine du mal-être qui n’aurait pas été liée à l’incongruence entre son genre ressenti et son sexe de naissance. 

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La dysphorie de genre, c’est un trouble qui est documenté depuis près de 100 ans, avec un profil des personnes concernées bien connu : très majoritairement des garçons, à 66%, et puis, en termes de prévalence, c’était en moyenne un garçon sur 10 000. Ce qui caractérise ce trouble, c’est qu’il intervient très tôt, souvent entre deux et quatre ans, d’où son nom de « dysphorie de genre à déclenchement précoce ». Cela a été étudié sur le long terme, et on voit que les enfants accompagnés se réconcilient avec leur sexe de naissance après l’adolescence dans 70% des cas. Ils vont vivre leur vie de manière assez classique, en étant hétérosexuels ou homosexuels – et d’ailleurs il n’y a pas forcément de relation de l’un à l’autre. Pour ceux dont la dysphorie de genre perdure après la puberté, la question de la balance bénéfices/risques doit être posée, et ceux dont la souffrance est trop forte démarrent un programme de transition par la prise d’hormones. 

Et puis il y a dix ans, ces pays ont commencé à engager plus rapidement des processus de transition chez les enfants. A la suite des campagnes des mouvements transaffirmatifs, la dysphorie de genre a été dépathologisée, avec pour conséquence de mettre fin à l’accompagnement psychopathologique exploratoire qui permettait une attente vigilante et notamment chez les enfants. A partir de là, les enfants ont été rapidement engagés dans la voie de la prise de médicaments, puisque plus personne n’interrogeait leur ressenti de genre. Il s’agissait d’affirmer le genre auto-déclaré et de passer directement à la prise de bloqueurs de puberté, quel que soit l’âge. Mais les médecins et les psychothérapeutes se sont rendu compte que la population des candidats à la transition avait changé et qu’il y avait un emballement des courbes. Des personnalités du monde médical ont commencé à se poser des questions sérieuses. Un certain nombre de lanceurs d’alerte se sont fait entendre par l’intermédiaire de documentaires qui ont fait l’effet d’une bombe en dénonçant le principe de la transition pédiatrique. Il y a plusieurs raisons à leur cri d’alerte : il s’avère que la population n’est plus du tout la même puisqu’il y a aujourd’hui une très grosse majorité de filles (70 à 80%), qui expriment le sentiment d’« être nées dans le mauvais corps » bien plus tard et de manière soudaine, sans aucun antécédent dans l’enfance. On parle de « dysphorie de genre à déclenchement rapide et soudain ». Et dans la très grosse majorité des cas, de 70% à 90% en fonction des médecins, l’origine de la souffrance est d’une toute autre nature, c’est-à-dire que ce qui prime, ce n’est pas le sentiment d’être d’une certaine manière en désaccord avec son sexe de naissance, mais plutôt soit que la jeune fille a un vrai dégoût de son corps, ce qui peut arriver à l’adolescence, on le sait bien, soit qu’elle souffre de troubles psychopathologiques d’une autre nature. Les retours d’expérience de ces pays montrent une surreprésentation de jeunes présentant des troubles autistiques, des troubles post-traumatiques consécutifs à des sévices sexuels, des troubles du développement cognitif, un haut potentiel, des troubles alimentaires… Donc des profils d’enfants qui peuvent avoir tendance à faire des « focus » sur des thèmes, et le thème en question, c’est l’identité de genre, qui devient obsessionnel chez eux.

Un certain nombre de médecins ont en outre affirmé publiquement que les traitements n’avaient jamais été conçus pour des enfants, qu’ils n’avaient aucune mesure à long terme des effets pour une prise à cet âge-là, puisqu’on intervient sur des enfants pour lesquels le développement du cerveau, mais également tout ce qui est lié au rôle des hormones dans la maturité émotionnelle… n’est pas terminé. Tout ça n’a pas fait l’objet d’études sérieuses, et ils ont déclaré avoir de très gros doutes sur l’absence d’effets secondaires d’ampleur sur le développement cérébral et émotionnel. Il y a aussi des effets avérés sur la masse osseuse, et tout un ensemble d’autres conséquences, notamment évidemment la perte de la fertilité. Le caractère éclairé du consentement de l’enfant à de tels traitements, alors même qu’il n’a pas la maturité nécessaire pour prendre des décisions engageant sa vie future – sa volonté peut-être de créer un foyer, d’avoir des enfants… n’est pas recevable. Le collège des pédiatres américains s’est positionné clairement sur l’impossibilité des parents et des enfants à donner un consentement éclairé du fait des incertitudes médicales des traitements. 

On s’est intéressé aussi à la façon dont les enfants entraient dans ce processus mental de conviction de ne pas être nés dans le bon corps. La première étape, c’est celle de la transition sociale. Souvent par le biais des réseaux sociaux, un enfant va commencer à regarder des vidéos, à être lié avec des groupes de personnes qui sont transgenres, et il va limiter son cercle de communication à ces groupes. Il va y trouver tout un ensemble d’arguments en faveur du changement de sexe – on est sur un phénomène très analogue à celui des sectes, c’est ce que disent notamment toutes les détransitionneuses, qui sont plusieurs dizaines de milliers maintenant : elles disent que le discours, globalement, c’est : si tu ne te sens pas bien, c’est sûr que tu n’es pas née dans le bon corps, fais comme moi, tu verras, tu vas pouvoir te découvrir pleinement, choisir qui tu es, il n’y a que toi qui peux le faire et moi qui peux te comprendre. Si ta famille ne te suit pas, c’est qu’elle ne te comprend pas et qu’elle ne t’aime pas. A partir de là déjà, c’est une forme d’enfermement. Et ensuite on va les pousser à engager des actes : d’abord, une adaptation physique et vestimentaire de base, éventuellement les cheveux coupés ou portés longs… Tout ce qui est hyper stéréotypé, en réalité – alors qu’ils prétendent lutter contre les stéréotypes de genre. Après cette première phase, arrive assez vite la question du prénom, puis du pronom, et ensuite de leur utilisation dans le cercle familial et à l’école. Souvent, les jeunes vont commencer à en parler à leurs amis, et ne vont conserver dans leur cercle que les amis qui sont a priori favorables, voire également engagés dans la même démarche – c’est pour cela qu’on parle de contagion sociale, et notamment de « clusters » dans certains établissements scolaires. Les enfants vont donc se rassembler, pratiquer entre eux les prénoms choisis. Potentiellement ensuite l’école va les adopter aussi, en accord ou pas avec le cercle familial. C’est l’étape 1 de la transition, la transition sociale. Une fois que l’enfant est en transition socialement, il est engagé dans un processus qui est difficile à interrompre, comme embarqué dans un train – c’est la formule qui a fait mouche du premier documentaire suédois qui a eu un gros impact, The Trans Train, qui explique que la transition est un train : le premier wagon est la transition sociale, mais une fois qu’on est monté dedans, il est très difficile d’en sortir, puisque les gens autour de vous, mobilisés uniquement sur cette question, vous motivent et vous enferment… C’est un système assez basique sur le plan psychanalytique d’action-récompense. 

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Rapidement va intervenir la deuxième étape, c’est-à-dire la prise de médicaments : d’abord les bloqueurs de puberté pour les plus jeunes, puis à partir de 14-16 ans on va passer directement aux hormones croisées. Viendra ensuite la troisième étape, celle de la chirurgie. 

Au niveau du cas spécifique de la France, on en est où de l’autorisation de tous ces médicaments-là ? 

Pour les médicaments, il faut que les parents soient d’accord et que le médecin considère que le consentement de l’enfant et des parents est éclairé, c’est-à-dire qu’ils ont bien pris conscience des risques et de l’irréversibilité du traitement. Il n’y a rien dans la loi en France qui fixe un âge limite. Il suffit que le mineur ait consulté un psy qui considère que le ressenti de l’enfant n’a pas à être questionné, alors l’endocrinologue va commencer par prescrire des médicaments : c’est le cas du fameux documentaire Petite fille, diffusé sur Arte il y a quelques mois, où le médecin prescrit des bloqueurs de puberté à l’enfant alors qu’il a 6-7 ans. Aujourd’hui il y a des cliniques du genre en France, il faut être clair. Mais la France est arrivée sur tous ces sujets-là plus tard que d’autres pays. Aux Etats-Unis il y en a déjà plus de 100. Ça explose et c’est un véritable marché : il y a d’un côté l’industrie pharmaceutique, les labos qui produisent les hormones etc, et également un énorme marché de chirurgie, du « haut » et du « bas » avec d’énormes enjeux, mais aussi toute la chirurgie esthétique pour féminiser ou masculiniser le visage, notamment le front et le menton. 

Tout ça est extrêmement lourd à tout point de vue, coûteux financièrement (même si les frais sont pris en charge en France par la sécurité sociale au titre des ALD – Affection de Longue Durée…) et avec des effets secondaires sur la santé physique et mentale importants. Et en totale contradiction avec ce que font croire les militants transactivistes aux jeunes, car ils s’attachent à démédicaliser le processus. Toute la stratégie, c’est de ne jamais parler des médicaments, des détails des opérations, et surtout de leurs effets délétères et irréversibles. Sur le document qui est distribué dans les écoles à Marseille par une association transactiviste, par exemple, avec le logo de l’Etat et l’argent des contribuables, il est clairement écrit que vous pouvez faire votre transition, que vous pouvez l’arrêter quand vous voulez, qu’il n’y a aucun effet irréversible… C’est absolument faux. Une jeune fille qui veut devenir un garçon, comme c’est la majorité des cas aujourd’hui, prendra des hormones au moment où les cartilages de son larynx sont en train de se constituer, et elle aura une voix de garçon toute sa vie… Et pour la pilosité c’est pareil. C’est pour cela que dans le documentaire The Trans Train, un médecin dit : « Qui prendra la responsabilité de créer des femmes à barbe ? ». C’est bien tout le sujet. Il y a une volonté de ne pas parler de ces choses-là, mais c’est ça la réalité.

La troisième étape de la transition, c’est la chirurgie. Normalement en France, il y a un consensus pour ne pas en faire avant 18 ans. Dans la réalité des faits, on sait – mais personne ne veut l’assumer – qu’il y a des jeunes filles qui ont eu des mastectomies avant 18 ans. Il y a des jeunes filles qui se sont fait amputer de leur poitrine à 14 ans. Comment cela peut-il être possible ? Eh bien les filles portent des bandages (qu’on appelle des binders) trop serrés, ça leur fait des escarres, ou elles se scarifient la poitrine, ce qui fait que le médecin est légitime à faire une ordonnance qui leur donne accès à la chirurgie. Parce qu’elles mettent leur santé en danger, il devient légitime d’intervenir. Mais il faut bien savoir que tout ça, ce sont des conseils qu’on trouve sur les réseaux sociaux et sur Internet : des groupes sur les réseaux sociaux, des transgenres qui racontent et détaillent leur propre processus, fournissent des listes de médecins qui donnent facilement des hormones, des argumentaires clé en main (« il faut dire qu’à tel âge tu faisais tels cauchemars », etc)… C’est comme ça qu’ils obtiennent l’accès à des traitements sans un véritable accompagnement psychothérapeutique pour s’assurer de l’origine de leur souffrance. 

A votre avis, quel devrait plutôt être le rôle des pouvoirs publics et de l’Education nationale ? Qu’est-ce qu’il faudrait faire aujourd’hui pour avertir sur ces dérives ?

Il faudrait déjà revenir sur la proposition de loi 4785 qui vient d’être validée par la commission paritaire du 14 décembre dernier et ne pas voter la loi avec la mention de la transidentité. Il faut savoir que c’était normalement un projet de loi qui visait à interdire les thérapies de conversion, des pratiques dégradantes et violentes destinées à changer l’orientation sexuelle des personnes homosexuelles. Et les transactivistes ont quand même réussi à ajouter à cette loi les « pratiques visant à modifier l’identité de genre d’une personne ». C’est surréaliste, en plus d’être complètement contradictoire. Pour de nombreux professionnels de santé, la transition de genre peut être considérée comme une « thérapie de conversion ultime », puisqu’un certain nombre de jeunes homosexuels vont préférer être transgenres pour se remettre d’une certaine manière dans la norme… C’est-à-dire qu’on se prépare à voter une loi en France, en procédure accélérée – alors qu’on se demande vraiment bien pourquoi – qui va faire que toute personne qui estime qu’on ne respecte pas son identité de genre pourra éventuellement porter plainte. Les parlementaires ont ajouté que l’interdiction concernant le questionnement du genre ne s’appliquerait pas à un médecin qui conseillerait un patient ou aux parents qui conseilleraient un enfant, mais ça ne vaut rien du tout. Encore une loi floue qui ouvre une boîte de Pandore juridique, et qui surtout rendra plus difficile la protection des enfants sous influence du transactivisme actuel. On n’avait aucune raison d’ajouter ça dans la loi, et c’est encore une preuve de la puissance du lobby transactiviste qui crée des liens personnels avec les parlementaires pour parvenir à changer le droit en faveur de leurs idées. Comme le protocole publié dans le rapport IGLYO le prévoit, il faut s’appuyer sur une cause populaire, acceptée par le grand public, pour faire passer l’idéologie transaffirmative. C’est exactement ce qui a été fait dans cette proposition de loi. 

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Au sujet de l’école, il faudrait déjà faire sortir toutes les associations qui diffusent de telles idéologies, et s’en tenir aux faits. Pour les adolescents, éventuellement présenter ce qu’on sait sur la situation aujourd’hui de contagion sociale qui leur fait croire que la transidentité est un fait et qu’on peut changer de sexe d’un coup de baguette magique sans conséquences graves sur sa santé et sur sa vie. Montrer des documentaires avec les témoignages des médecins, des pédopsychiatres spécialistes du genre, des jeunes qui ont détransitionné et qui regrettent…  Il faut apprendre ce que la science a démontré et pas les discours idéologiques. Il faut leur expliquer le bouleversement identitaire qui se produit à l’adolescence et les difficultés que peuvent ressentir beaucoup de jeunes face à ces chamboulements. Ce n’est pas un trouble, c’est un questionnement normal à l’adolescence qui nécessite de se donner du temps. Pour les plus jeunes, il faut juste leur ficher la paix – il faut les laisser grandir, les laisser s’amuser, et arrêter de leur mettre dans la tête des trucs comme ça. Arrêter de genrer et dégenrer l’espace scolaire, les cours de récréation et je ne sais quelles autres bêtises. Mais laissez les vivre ! A-t-on encore le droit en France d’être une fille garçon manqué ou un garçon qui aime davantage les activités qu’on associe bêtement aux filles ?

Il faut, comme le demande SOS Éducation dans sa pétition, retirer cette circulaire. Et faire un rappel à l’ordre formel et strict : l’accord des deux parents est obligatoire avant de permettre tout changement de prénom à l’école. Les idéologies n’ont pas leur place à l’école et l’idéologie d’affirmation du genre à l’école, sauf à ce que le ministre en apporte la preuve irréfutable, est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.  C’est d’ailleurs pour cela qu’elle plonge les enseignants dans un stress éthique. Que fait l’enseignant qui sait que ce n’est pas bon pour l’enfant ? Il peut tout à fait s’y opposer au motif justement que la circulaire ne fournit pas la preuve qu’affirmer le genre ressenti à l’école est l’intérêt supérieur de l’enfant. Or c’est bien le rôle de l’école édicté dans le code de l’éducation. En tout cas, il faut bien savoir que tout ça crée des tensions à l’école, ça crée des clivages au sein même des équipes. Et le ministre de l’Éducation, en étant complaisant avec des idéologies comme celle-là, contribue à renforcer ces clivages. Et franchement on n’avait pas besoin de ça !

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Céline et la confusion des valeurs

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Louis-Ferdinand Céline en 1958 Photo: DALMAS/SIPA Numéro de reportage: 00008544_000001

Le cas de Louis-Ferdinand Céline n’est certes pas unique. Il reste toutefois emblématique de la confusion intellectuelle et morale qui gagne, de façon plus ou moins subreptice, tous les domaines de notre civilisation. 


Toutes les époques ont, certes, connu et célébré des créateurs dont l’éthique personnelle  était loin de correspondre à leur vision esthétique. Ainsi le compositeur italien Carlo Gesualdo de Venosa, prince et meurtrier, reste le célèbre auteur de  madrigaux toujours interprétés. À la même époque, mais en peinture, un autre Italien, le Caravage, exerça une grande influence en dépit de ses mœurs sulfureuses. Quant au réalisateur de cinéma Roman Polanski, il défraya récemment la chronique par ses frasques amoureuses, au point de porter ombrage à sa réputation pourtant bien établie. Ce ne sont que quelques exemples, puisés à travers les siècles, de ce divorce, somme toute plus fréquent qu’on ne croit, entre l’homme et l’œuvre.

Le cas Céline

Pour s’en tenir à la seule littérature, Villon n’était pas un enfant de chœur – mais quel poète admirable ! Rousseau, auteur d’Emile ou De l’éducation, plaçait ses enfants à l’Assistance publique. Le marquis de Sade avait des comportements pour le moins répugnants. Plus près de nous, Verlaine et Rimbaud, Jean Genet, voire Aragon, qui « conchiait l’armée française dans sa totalité», n’auraient pu prétendre à un prix de vertu. Autant dire que le talent ne saurait être subordonné à un certificat de bonnes vie et mœurs. Le Contre Sainte-Beuve de Proust aurait,  du reste, pu clore la question : l’auteur de la Recherche y soutient que la vie et l’œuvre d’un auteur sont indépendantes l’une de l’autre. Elles ne sauraient donc être jugées à la même aune. Voilà qui semble relever du simple bon sens. User des mêmes critères pour évaluer les deux, condamner l’œuvre au nom de l’inconduite de son créateur, c’est faire preuve de confusion mentale – ou, pour parler vulgairement, jeter le bébé avec l’eau du bain. Comme écrivait à juste titre le critique Pol Vandromme, « ce serait le plus vain du plus accablant des travaux d’Hercule que de vouloir faire coïncider le génie littéraire et la noblesse humaine ».

Le cas Céline est pourtant venu brouiller les cartes de  manière significative. Plus question de pondération. De nuance. En un mot, de discernement. Céline, c’est le Diable. Le mal absolu. Son seul nom suscite l’horreur – y compris chez ceux qui n’ont jamais lu une ligne de lui. Il est normal de le vouer aux gémonies : une telle sentence coule de source et n’a nul besoin d’être motivée. À l’inverse, soutenir que son génie a renouvelé le roman, qu’il figure parmi les plus grands écrivains français, voilà qui est inadmissible et même inconcevable.

Le parti-pris de Marc Laudelout

Entendons-nous bien : si l’auteur du Voyage peut, à bon droit, être qualifié de génial, pas question, pour autant, d’occulter qu’il fut aussi l’auteur d’ignobles pamphlets pronazis et antisémites. Que sa conduite durant l’Occupation ainsi que certaines facettes de sa personnalité étaient rien moins que sympathiques et suscitent à bon droit dégoût et réprobation. Pourtant, la simple honnêteté oblige à se rendre à l’évidence : pas trace, dans ses romans, d’idéologie  politique nauséabonde. D’apologie de génocide. En revanche, quels que soient les écrits et jusque dans la correspondance, une maîtrise de la langue dans tous ses registres qui force l’admiration. 

Le cas, on le voit bien, n’est pas facile à démêler, surtout lorsqu’il suscite des passions exacerbées et tout à fait irrationnelles. Or, s’il est un homme qui, depuis des décennies, s’efforce  de conserver la tête froide, d’observer, avec un parti-pris de rigueur et d’impartialité, les remous  qui entourent l’écrivain et son œuvre, c’est bien Marc Laudelout. Ce journaliste, éditeur et critique littéraire belge est, à juste titre, considéré comme le meilleur spécialiste de Céline et de ses entours. Il a créé en 1981, un mensuel qu’il dirige et édite toujours, Le Bulletin célinien, consacré à tout ce qui fait, encore aujourd’hui, l’actualité de l’écrivain. La diversité des participants à la revue et la variété des éclairages constituent le gage d’objectivité le meilleur qui soit.

La preuve en est fournie par Céline à hue et à dia. Un florilège de quelque quarante ans de Bulletin célinien, qui retient tant  par la richesse du contenu que par l’équilibre respecté entre le pour et le contre, la droite et la gauche, le hue et le dia. Aucune exclusive, aucune réfutation qui ne soit justifiée et étayée. À travers portraits et témoignages, analyses  d’essais et d’articles, comptes rendus de la réception de l’œuvre au fil des ans, c’est tout un univers qui est évoqué. Le monde des inconditionnels « historiques » de l’écrivain y côtoie celui de  ses adversaires les plus farouches. Ces derniers ne sont certes pas épargnés, mais la rigueur intellectuelle est ici de mise. C’est ce qui rend irremplaçable cette anthologie, fruit d’un travail titanesque. Elle passionnera quiconque ne saurait se satisfaire du manichéisme malsain en vigueur dès lors que le nom de Céline est brandi, telle la muleta du matador sous les naseaux du taureau.

Céline à hue et à dia, de Marc Laudelout, La Nouvelle Librairie.

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Ce qui manque à Zemmour

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Eric Zemmour en meeting à Saint-Quentin (02), 14 janvier 2022 © Christophe Forestier/SIPA

Eric Zemmour a été condamné à 10 000 euros d’amende pour provocation à la haine raciale par le tribunal correctionnel de Paris, lundi 17 janvier, pour avoir qualifié sur CNews les migrants mineurs isolés de « voleurs », d’« assassins » et de « violeurs » en septembre 2020. Suite à cette condamnation, notre chroniqueur Charles Rojzman estime que le candidat de « Reconquête » doit désormais apprendre à parler à tous ceux issus de l’immigration qu’il peut légitimement effrayer.


Le 29 septembre 2020, lors d’un débat dans l’émission « Face à l’info » sur CNews après un attentat devant les ex-locaux de Charlie Hebdo, Eric Zemmour affirmait : « Ils n’ont rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont, il faut les renvoyer et il ne faut même pas qu’ils viennent. »

Une maladresse qui coûte cher

« C’est une invasion permanente »« c’est un problème de politique d’immigration », avait-il ensuite vociféré dans cette émission dont il était alors chroniqueur. Des « propos méprisants, outrageants », qui montrent « un rejet violent » et une « détestation » de la population immigrée et qui ont franchi « les limites de la liberté d’expression », a estimé la représentante du ministère public.

Eric Zemmour se prête facilement à la caricature qui le montre en esprit mauvais comme le Gargamel des Schtroumpfs qui se frotte les mains à la pensée des tours diaboliques qu’il s’apprête à jouer. Ce personnage raciste, antisémite, islamophobe, sexiste ou homophobe a été fabriqué par les media mainstream et ses détracteurs des réseaux sociaux. Mais qu’en est-il de sa propre responsabilité et de celle de beaucoup de ses partisans ? Maladresse de communication ? Besoin de provoquer pour faire bouger une société française apparemment endormie dans sa soumission au monde tel qu’il va ? Zemmour parle cru d’une réalité que d’autres, plus protégés certainement (ou alors partisans d’une créolisation de la société), minimisent, nient ou même considèrent comme un progrès vers une société plus tolérante et inclusive. 

Ce qui manque à Eric Zemmour, c’est de pas avoir pas l’audace de faire comme Donald Trump lorsqu’il a affirmé avec force à la communauté africaine-américaine qu’ils étaient des Américains comme les autres, aussi capables de réussir dans la société américaine que d’autres, mais qu’ils devaient aussi regarder en face les vices et les fautes au sein de leur communauté. Ce qui manque à Eric Zemmmour, c’est de parler droit dans les yeux aux musulmans de ce pays, à la jeunesse des quartiers, à leurs parents, à tous ceux qui se sentent plus Algériens, Maliens, ou Sénégalais que Français, à tous les immigrés du Maghreb et d’Afrique noire, à toutes les générations nées sur le sol français et qui possèdent la nationalité française. Parler à tous, droit dans les yeux, à ceux qui travaillent et à ceux qui ne travaillent pas, aux gens honnêtes et aux délinquants, à ceux qui veulent réussir et à ceux qui sont assistés, aux femmes, aux hommes, leur parler et leur dire la réalité crue de ce qu’ils font ou ne font pas pour être des Français comme les autres, leurs responsabilités et leurs fautes, leurs vices et bien sûr leurs vertus – car elles existent. 

Ce qui manque à Eric Zemmour, c’est de leur dire qu’il les accueillera volontiers avec amour s’ils acceptent de se fondre dans ce pays, avec gratitude et bonheur, s’ils renoncent à la victimisation que certains encouragent pour les utiliser dans leur combat politique, s’ils chassent de leur sein les brebis galeuses, qu’ils connaissent bien, qu’ils cessent enfin d’écouter les voix qui tentent de les arracher à la communauté nationale. Il faudra aussi qu’il considère leur bonne volonté qui n’est pas toujours reconnue parce qu’ils sont essentialisés de part et d’autre, et qu’il leur demande de l’aider dans son combat contre l’immigration de masse, illégale ou clandestine sans qu’il ne soit plus taxé de racisme et en y voyant leur propre intérêt. 

Ne pas choquer inutilement

Ce qui manque à Zemmour, c’est une certaine finesse de langage qui lui fait dire quand il parle de grand remplacement qu’il ne voit dans la rue que des Noirs et des Arabes, choquant inutilement ceux-là même des Français antillais ou d’origine africaine ou maghrébine qui sont en accord avec ses idées sur l’assimilation, alimentant ainsi les préjugés de racistes véritables, et éloignant de lui des esprits lucides et généreux alors enclins à accepter les caricatures qu’on fait de lui dans la presse.

Ce qui manque à Zemmour, c’est de ne pas voir qu’il ne suffira pas d’arrêter l’immigration de masse légale ou illégale et de changer la façon de gouverner le pays pour retrouver une société saine et indemne de toutes les maladies des sociétés modernes, et qu’il faudra mettre en place une nouvelle éducation civique et populaire des adultes, adaptée à l’époque, et qui aide chacun à retrouver le goût de se projeter dans l’avenir et de vivre le présent avec moins de violences dans les familles et les organisations. La tentation totalitaire ne se limite pas à l’islamisation. Elle est la réponse inévitable à l’addition de tous les malaises sociaux provoqués par la crise multiple du sens, de l’autorité, du travail, du lien que vit la civilisation occidentale. 

L’essence d’une nation

Ce qui manque à Eric Zemmour dans son combat pour l’école, c’est de parler aux enseignants, de leur dire qu’ils ne sont pas seulement des « pédagogistes » qui refusent de transmettre le savoir et la belle histoire de France. Leur dire qu’ils ne peuvent pas le faire dans les conditions qui leur sont imposées et qu’il faudra changer. Il faudra faire une pédagogie de l’autorité et de la responsabilité, et il faudra qu’Eric Zemmour reconnaisse qu’ils font déjà ce qu’ils peuvent pour susciter l’intérêt de gamins malmenés dans leurs familles, dans leur quartiers, soumis à des propagandes diverses, écrasés par la folie du monde adulte. Ce qui manque à Eric Zemmour, c’est d’avoir l’audace de dire aux juifs de France que leurs institutions ne les représentent pas et qu’elles vivent sur les bénéfices que leur assurent leur adhésion aux pouvoirs en place tout comme les dignitaires musulmans le font avec les pays d’origine, leur rappeler tout ce que la France a fait pour les juifs, depuis la Révolution française et Napoléon et même un peu avant au temps de la royauté finissante, qu’elle en a fait des citoyens pour la première fois dans l’histoire et que malgré les antisémitismes, le peuple français a  dans sa majorité courageusement aidé les juifs à rester indemnes de l’horrible persécution de l’Occupation, qu’il leur dise aussi qu’il n’est pas maurassien ou pétainiste mais qu’il cherche à rétablir le réel pour ne pas mariner dans toutes les repentances, qu’il s’excuse enfin s’il a été maladroit et blessant, comme il l’a fait dans sa conversation au téléphone avec les Sandler. 

Il faudra donc qu’Eric Zemmour ne se contente pas de dire qu’il sera le président de tous les Français sans exclusive s’il est élu, mais qu’il le démontre dès aujourd’hui, dans sa campagne pour l’accession au pouvoir suprême en allant voir des publics qui ne l’aiment pas peut-être, qui n’aiment pas en tout cas cet avatar de lui qui a été fabriqué par ses adversaires, qu’il ne se contente plus de parler à ses seuls partisans, à ces foules enthousiastes et honnêtes auxquelles se sont mêlés des groupes qui ne rêvent que d’exclusion et d’intolérance ; qu’il refuse, malgré ou en raison de ses convictions profondes, de faire ce que font tous les politiques qui ne s’adressent qu’à leur clientèle privilégiée et négligent trop souvent ce qui fait l’âme d’une nation. Car, il le sait bien, comme le disait Renan qu’il admire, « l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et que tous aient oublié bien des choses « …

Passe vaccinal: jusqu’à la gauche…

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Vaccination à Villeneuve les Bouloc (31), janvier 2022 © FRED SCHEIBER/SIPA

L’article 5 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen affirme que “nul ne peut être contraint à faire ce que la loi n’ordonne pas.” La Déclaration ayant été intégrée au bloc de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel, ce passe vaccinal, qui devrait entrer en vigueur en fin de semaine, et dont les promoteurs ont reconnu qu’il était une « obligation vaccinale déguisée », ne devrait-il pas être inconstitutionnel ?


Cette affaire de passe vaccinal, qui devrait entrer en vigueur le 20 janvier, alors même que tous les paramètres de l’épidémie reculent, est incompréhensible, pour ne pas dire scandaleuse. On mène aujourd’hui la guerre contre l’ennemi d’hier, et avec les connaissances d’hier. 

Le passe sanitaire pouvait se comprendre quand les variants précédents emplissaient les réanimations, et qu’on pensait que le vaccin réduisait drastiquement la contagiosité, donc que seuls les non-vaccinés transmettaient un virus très dangereux. 

Un bazooka pour tuer une mouche

On sait désormais que le vaccin nous protège des formes graves, mais ne protège pas les autres. Certes, les vaccinés sont légèrement moins contagieux, mais la différence est trop peu significative pour que l’on puisse imputer la circulation du virus aux non-vaccinés. Du reste, Olivier Véran a admis que rien n’arrêterait Omicron. Qui, heureusement, ressemble dans la grande majorité des cas à un gros rhume. Alors que des millions de Français ont été contaminés en quelques semaines, le gouvernement déclare pourtant que, si l’épidémie recule, c’est grâce aux mesures prises à la fin de l’année dernière. Si je comprends bien, on ne peut pas l’arrêter mais c’est grâce à la grande sagesse de nos gouvernants qu’on l’a arrêté. Logique. Il est très probable en effet que l’interdiction de boire et de manger dans les TGV (interdiction ramenée à une autorisation de se sustenter « brièvement ») ait fortement impressionné le virus qui, justement, était tapi dans l’ombre, attendant qu’on ouvre la bouche pour s’y jeter. Faudra songer à nous interdire de parler, sinon brièvement. 

Au final, ce passe voté à contretemps s’apparente à un bazooka pour tuer une mouche. Et en prime il la rate. 

A lire aussi, du même auteur: Moreno, drame de la parité

Toutefois, s’il était seulement inutile, ce ne serait pas grave. Mais il est aussi dangereux pour la vie de la Cité, dès lors qu’il instaure, sans souci de proportionnalité, un nouveau régime de liberté surveillée. Des contraintes souvent absurdes et toujours excessives pèsent sur tous les Français, non-vaccinés et vaccinés, ces derniers étant priés de montrer patte blanche sanitaire à tout bout de champ. Ainsi, alors que l’arrêté imposant le port du masque à l’extérieur en Ile-de-France ayant été retoqué par le Tribunal administratif, on nous en annonce un nouveau, plus précis. Alors que moins de 1% des contaminations ont lieu à l’extérieur, il s’agit, paraît-il, pour le gouvernement, de ne pas perdre la face. En nous obligeant à cacher la nôtre, merci bien ! 

Institutionnalisation de la peur

L’Assemblée nationale a également rétabli la possibilité, pour les restaurateurs et organisateurs de spectacles, de contrôler les identités. Les chefs d’entreprise sont également sommés de devenir les garde-chiourmes de l’ordre sanitaire en vérifiant que chacun a sa dose de télétravail. Qui nous dit que demain, une autre loi n’étendra pas l’obligation du passe à d’autres circonstances ou d’autres tranches d’âge? Et que fera-t-on si un virus beaucoup plus létal nous tombe dessus ? On demandera à l’armée de nous livrer nos repas comme en Chine ? 

Nous assistons à l’institutionnalisation de la peur. Pour ses ardents défenseurs, le passe vaccinal est justifié par l’éventuelle survenue de nouveaux variants plus redoutables. Il y aura peut-être une guerre nucléaire dans dix ans, devons-nous vivre dans des abris ? Nous prémunir contre une invasion de sauterelles géantes ? On voit que le principe de précaution n’est pas seulement inscrit dans la Constitution, il s’est insinué dans nos âmes, nous rendant incapables d’affronter le risque et plus encore l’incertitude.  

Notre numéro en kiosques: Causeur #97: Sarkozy présumé coupable

Enfin, le passe désigne les non-vaccinés comme de mauvais citoyens, qui seront donc mis au pain sec et à l’eau, alors même qu’aucune loi n’impose la vaccination. L’article 5 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen affirme : “Nul ne peut être contraint à faire ce que la loi n’ordonne pas.” CQFD. La Déclaration ayant été intégrée au bloc de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel himself, ce passe, dont les promoteurs ont reconnu qu’il était une « obligation vaccinale déguisée » devrait être inconstitutionnel. 

Le gouvernement est trop trouillard pour imposer la vaccination à ceux qui risquent des formes graves, disons les plus de 55 ans et les patients souffrant de « co-morbidités ». Il invente donc une nouvelle modalité d’interdit entre le légal et l’illégal, qui n’est pas la loi, mais la loi de l’emmerdement maximum.

Propos de Zemmour sur les enfants handicapés: le revers de la polémique

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Eric Zemmour en déplacement à Honnecourt-sur-Escaut dans le Nord, où il a présenté son projet pour l'école, 14 janvier 2022 © Christophe Forestier/SIPA

Depuis vendredi, toute la classe politico-médiatique tombe à bras raccourcis sur Eric Zemmour, suite à des propos sur les enfants handicapés, en réalité largement déformés.


Le philosophe Julien Freund avait été profondément marqué par les conséquences d’une torsion de la vérité à laquelle il refusa de prendre part. Pendant la résistance, le chef du groupe auquel il appartenait avait accusé son ancienne maîtresse de collaborer avec la gestapo, après qu’elle eut rompu avec lui ; un procès expéditif fut suivi d’une nuit durant laquelle l’innocente fut violée par les résistants communistes avant d’être exécutée au petit matin. Toute proportion gardée, la méthode du procès expéditif vient encore de faire les preuves de sa praticité, l’écho étant démultiplié dans les médias.

À l’affût d’une faute d’Éric Zemmour, des journalistes et la classe politique se sont précipités sur les mots du candidat quant à l’inclusion de certains enfants handicapés pour se dire choqués en commentant des propos manipulés par leurs soins, chacun des accusateurs trouvant son intérêt dans son indignation feinte. Franchissant ainsi la ligne rouge séparant la décence de l’instrumentalisation d’une cause grave. Libération a même modifié un titre qui pouvait laisser penser que Zemmour avait raison (voir plus bas).

Discutant vendredi avec des professeurs à Honnecourt-sur-Escaut dans l’Aisne, Éric Zemmour avait été interpellé par une enseignante confrontée à la souffrance des enfants handicapés dans ses classes. L’ancien chroniqueur lui avait répondu « qu’il faut effectivement des établissements spécialisés, sauf pour les gens légèrement handicapés évidemment », avant d’ajouter : « pour le reste, oui, je pense que l’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faite aux autres enfants et à ces enfants-là, qui sont, les pauvres, complètement dépassés par les autres enfants. Donc je pense qu’il faut des enseignants spécialisés qui s’en occupent. » Il a depuis précisé qu’il ne parlait pas du handicap physique et craindre que « l’obsession égalitariste soit le paravent de l’abandon des écoles spécialisées ».

Une instrumentalisation politique malvenue et incohérente

De l’extrême gauche à Marine Le Pen, en passant par Valérie Pécresse qui décida en 2018 de piocher 730 000 euros dans le budget handicap de sa région pour financer une consultation sur les autoroutes, tous pratiquent l’indignation ostentatoire. Emmanuel Macron, qui avait récemment parlé d’emmerder les non-vaccinés, a pu tenter de faire oublier ses mots pour l’instant peu rentables en accusant Zemmour de stigmatiser et diviser. L’appui de parents d’enfants handicapés et de personnalités, y compris comme Céline Pina ou Zohra Bitan, aux propos d’Éric Zemmour, est globalement passé sous silence. Idem concernant celui de Marie-Anne Montchamp, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées de 2004 à 2005, que revendique le candidat et qui n’est pas démenti.

Les deux rivales de droite d’Éric Zemmour s’en sont donné à cœur joie, alors que leurs propositions pourraient être comprises comme allant quelque peu dans son sens. Valérie Pécresse déclare dans son programme qu’il faut « mettre en œuvre la scolarisation en milieu ordinaire jusqu’à la fin du collège à chaque fois que c’est possible ». Marine Le Pen affirmait début décembre que « tous les enfants qui peuvent être scolarisés doivent l’être que ce soit en milieu ordinaire ou en ULIS (Unité localisée pour l’inclusion scolaire) ! » Zemmour ne dit pas autre chose, mais avec une formulation renversée : ceux qui ne le peuvent pas seraient plus épanouis dans des établissements adaptés qu’il faut renforcer.

C’est surtout sa critique de l’idéologie de l’inclusion primant le réel qui sert à tenter de faire croire qu’il veut rejeter les enfants handicapés.

Des critiques opportunistes négligeant la réalité

Nul pour rappeler la situation mise en avant par l’enseignante qui faisait part à Zemmour des difficultés. Nul pour se soucier des parents d’enfants atteints de handicaps mentaux contraints de scolariser leurs enfants en Belgique, faute d’écoles spécialisées en France, conséquence de la loi sur l’inclusion. Un reportage de France 2 datant de 2014 [1] témoigne de ces difficultés : des enfants doivent faire des trajets en taxi – y compris depuis Paris – pour rejoindre leurs écoles belges, les frais étant pris en charge par la Sécurité sociale. 3 000 enfants étaient alors concernés. Une situation rappelée ce week-end par le candidat sur France 3 dans l’émission « Dimanche en politique ».

Sur Facebook, l’essayiste de gauche Céline Pina a abondé dans le sens du candidat : « Avant d’enfourcher tout de suite le thème de la dénonciation du 3eme Reich, suite à la proposition d’Éric Zemmour sur le handicap, on peut aussi respirer un coup et ouvrir les yeux sur le fait que tous les handicaps ne peuvent être accueillis à l’école. Notamment les autismes lourds ou les handicaps mentaux. » Mentionnant la souffrance des parents et des enfants confrontés à cette inadaptation, Céline Pina affirme que le discours sur l’inclusion « a été un attrape-gogo et a servi à tous les gouvernements à se donner bonne conscience tout en laissant tomber la problématique du handicap. » Une hypocrisie qui a permis de réaliser de « substantielles économies », relève-t-elle.

Un biais médiatique relevant du parti pris

Si les témoignages de parents d’enfants atteints de handicaps affluent en faveur d’Éric Zemmour sur Twitter ou Youtube, les médias ont choisi de ne retenir que les critiques de certains représentants associatifs. Ont été mises en avant la colère de Jean-Louis Garcia, président national de l’Association pour adultes et jeunes handicapés, parlant de « ségrégation », ainsi que celle de la journaliste Olivia Cattan, présidente de SOS autisme France – et un temps pressentie pour être candidate sous l’étiquette La France insoumise aux législatives de 2017 – dénonçant des propos « discriminatoires » et une « méconnaissance » du candidat sur le sujet.

Ces deux responsables objectent à Zemmour la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Ce renvoi à la loi n’est cependant pas argument d’expérience qui contredirait Zemmour, mais un argument d’autorité alors que c’est cette norme qui engendre le problème.

La présentation biaisée par des médias militants

Les propos ont généralement été restitués par la presse écrite, les autres médias les ont résumés, mais tous ont insisté sur la polémique, souvent en présentant d’emblée Zemmour comme le candidat non pas de Reconquête mais « d’extrême droite », une façon d’indiquer par quel prisme entendre ses dires.

Du côté de Libération, on a carrément remplacé le premier intitulé d’un billet « Scolarisation des élèves handicapés : Et si Zemmour avait raison ? » par « Scolarisation des enfants handicapés : si l’école déraille, Zemmour défaille ». Il ne faudrait pas que des lecteurs survolant les titres pensent mal…

Dans Challenges, Maurice Szafran a signé un éditorial intitulé « Zemmour ou la définition du salaud en politique ». Après avoir assuré que le candidat s’en prenait aux immigrés et aux Juifs, afin de bien convaincre de la nocivité de ses propos sur les enfants handicapés, Szafran a poursuivi sa tentative de convaincre en cherchant à discréditer ses objections par la reductio ad hitlerum et l’émotion : « »Faux procès », clame le candidat raciste, « mots détournés », insiste-t-il. Ses explications a posteriori ne lui servent à rien car cette sortie sur les enfants handicapés a provoqué émotion, chagrin, et colère dans les tréfonds de la société française. » Ainsi présentée, la charge est censée ne pas pouvoir être réfutée.

Que Szafran ait été accusé en mars 2017 par la Société des Journalistes de Challenges de rouler pour Macron et de manquer d’équilibre dans ses papiers ne doit, bien entendu, pas laisser penser qu’une telle attaque est militante…


Lévy sans interdit

Dans cette affaire, notre directrice de la rédaction a surtout vu des indignations à gogo et peu d’arguments…

Retrouvez la chronique d’Elisabeth Lévy chaque matin à 8h10 dans la matinale de Sud Radio.


[1] https://www.youtube.com/watch?v=3AY7_PQq1t0

[Vidéo] Bien sûr, la cancel culture n’existe pas

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La cancel culture n’existe pas ! ce n’est qu’une illusion. Voilà ce qu’une certaine gauche veut nous faire croire.


Il s’agit d’un procédé qu’on appelle le « gaslighting » – ou en français canadien, « le détournement cognitif » – procédé qui consiste à faire accepter à quelqu’un un faux récit pour le convaincre qu’il est un coupable et non une victime.

Ainsi, si vous croyez que la cancel culture existe – que, par exemple, dans les universités, des cours sont suspendus, des invitations à des conférenciers extérieurs annulées, des personnes chassées de leur poste uniquement pour des raisons idéologiques – c’est parce que vous êtes un méchant d’extrême droite qui n’acceptez pas la critique de la part des minorités privées de voix.

C’est Laure Murat qui le dit

En France, le fer de lance de ce gas lighting est Laure Murat, professeurE à l’université de Californie à Los Angeles, qui mène une croisade contre l’existence de la cancel culture.

Déjà, le 1er août 2020, elle a soutenu dans Le Monde qu’il s’agit simplement d’une forme de contestation politique prônée par des minorités « excédées par l’impunité du pouvoir et la passivité des institutions face au racisme, à l’injustice sociale, au sexisme » etc. (J’adore les litanies, mais pas aujourd’hui). Le 1er octobre, dans une interview avec Mediapart, elle maintient que c’est une réponse légitime à l’impunité des dirigeants des pouvoirs publics et de nos institutions qui nient l’existence des rapports de domination entre eux et les minorités.

Maintenant, elle récidive et va plus loin dans un petit livre qui vient de paraître dans une nouvelle collection – sinistre – aux Éditions du Seuil qui nous promet des textes de Thomas Piketty et Clémentine Autain. Le brûlot de Laure Murat s’intitule Qui annule quoi ?, et son message fondamental est que personne n’est annulé – « cancelled ». Au cours de la semaine qui a suivi le colloque anti-woke à la Sorbonne, elle a fait le tour des radios habituelles pour répandre la bonne parole. Lundi 10 janvier, sur France Inter, elle affirme que la cancel culture est une pure invention de l’extrême droite pour dénoncer ce qui est en réalité une « culture de la protestation. » Selon elle, « le concept de cancel culture n’est pas si clair parce qu’il n’existe pas, tout simplement. »

Donc, en 2019, l’université de Cambridge n’a pas annulé le poste de professeur invité qu’elle avait proposé au Canadien Jordan Peterson, coupable de donner des arguments contre l’usage de pronoms « non-binaires » ? En 2020, l’historien Bruce Gilley n’a pas vu annuler par son éditeur un contrat pour la publication de sa biographie d’un fonctionnaire et apologue de l’Empire britannique ? En 2021, l’American Humanist Association n’a pas retiré le titre d’« humaniste de l’année » qu’elle avait décerné, en 1996, au chercheur Richard Dawkins, coupable d’émettre des doutes quant au sexe des personnes transgenres ? Et Klaus Kinzler, professeur à Sciences Po Grenoble, n’a pas été suspendu pour avoir critiqué l’emprise du wokisme sur les programmes de cette institution ?

Dans son petit livre, Laure Murat esquive toute cette question en se focalisant uniquement sur celle des statues déboulonnées par des foules de manifestants. Elle y voit un rejet légitime d’une histoire officielle qui efface les injustices infligées aux minorités par les nations occidentales au cours des siècles.

Premier problème : peut-on vraiment prétendre aujourd’hui qu’il n’y a pas d’études, de publications, de cours qui parlent de ces injustices ? Notre difficulté aujourd’hui consiste en réalité à ne plus pouvoir débattre de ces questions : ceux qui, comme Bruce Gilley, contestent la réduction de l’histoire à une série d’injustices font l’objet de tentatives pour les exclure du débat.

Deuxième problème : peut-on laisser l’écriture de l’histoire à des émeutes de gens en colère dont les connaissances historiques laissent à désirer ? Laure Murat, elle-même historienne, répète comme monnaie courante des assertions qui ne vont pas de soi. En 2020, la statue de Winston Churchill à Londres a été taguée deux fois par des manifestants qui l’ont accusé d’être raciste. Laure Murat approuve, citant sa prétendue responsabilité personnelle dans la famine du Bengale en 1943. Sauf que là il s’agit véritablement d’un mythe, promu d’abord dans un livre complotiste publié en 2010 par une journaliste bengali-américaine dont les données ont été contestées par Amartya Sen, économiste et lauréat du prix Nobel. Si les historiens jugent mal les faits historiques, comment se fier à des foules en colère ?

Troisième problème qui s’applique à tous les cas de cancel culture : nous vivons à une époque où justement il est inacceptable d’avoir un comportement raciste, sexiste ou intolérant. Dans ce contexte, être accusé, même faussement, de racisme, de sexisme ou d’intolérance est comme être traité de pédocriminel : même un innocent voit sa réputation salie de manière permanente. C’est ça, l’injustice profonde de la cancel culture !

On fait tout un fromage des propos du candidat coco à la présidentielle

Nous en avons vu un exemple récent avec Fabien Roussel, candidat du PCF à la présidentielle. Il me semblait déjà le candidat le plus sérieux de toute la gauche – doué de bon sens, clair, humble, sincèrement engagé dans la lutte pour défendre les classes ouvrières. Il a eu le tort de défendre la gastronomie française sous la forme d’ « un bon vin, une bonne viande, un bon fromage. » Son objectif a été de réclamer l’accès de tous les Français à la bonne bouffe. L’extrême gauche islamogauchiste lui est tombée dessus, l’accusant d’être un islamophobe et un nationaliste blanc. Apparemment, s’il vante les mérites de la viande, il ne peut penser qu’au porc, ce qui fait de lui un ennemi de l’islam – mais pas un antisémite, bizarrement. Si jamais il pensait à un steak frites traditionnel et pas au couscous cher à son rival M. Mélenchon, il doit être un nationaliste.

Je dirais même que son statut évident de carnivore constitue non seulement un affront pour tous les végans à la gauche de la gauche, mais un refus implicite de toute la gamme des doctrines du wokisme qui intéressent si peu les classes ouvrières.

Dans son nouveau livre, dont vous trouverez un compte-rendu par Céline Pina dans le numéro actuel de Causeur, Gilles-William Goldnadel pointe la récente perte d’influence du gauchisme culturel sur le peuple. Voilà l’explication : cette gauche culturelle a perdu tout contact avec la réalité de la vie quotidienne des citoyens modestes. La culture dominante à gauche est la « cancel culture » avec ses calomnies et ses affirmations mal étayées.

Mais, bien sûr, la cancel culture n’existe pas !


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Voilà la citation de la semaine :

« On peut discuter avec celui qui sait, on peut discuter avec celui qui ne sait pas, mais le Bouddha lui-même ne saurait discuter avec celui qui croit savoir. » (proposez votre réponse dans les commentaires sous la vidéo, sur Youtube).

Causons ! à la prochaine fois.

Dix ans et toujours rien

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Ziad Takieddine © Hannah Assouline

À force de chercher, on trouve. À la recherche de l’hypothétique « argent libyen de Sarkozy », les magistrats ont espionné ses conversations. Et découvert qu’il avait envisagé de pistonner un magistrat. Peu importe qu’il ne l’ait jamais fait: pour cette intention supposée, l’ancien président a été condamné en première instance à trois ans de prison, dont un ferme.


12 mars et 28 avril 2012. Juste avant chacun des tours de la présidentielle, Mediapart publie deux documents qui décrivent le financement par la Libye de la campagne de Nicolas Sarkozy cinq ans plus tôt, à hauteur de 50 millions d’euros. L’auteur du premier document, Jean-Charles Brisard, dénonce une « manipulation », dès le 16 mars. Brisard est « sous pression », interprète Mediapart. Son domicile suisse est perquisitionné en mars 2015. Les saisies sont tellement inintéressantes que la justice suisse ne les transmet même à la partie française. Brisard sort du jeu en avril 2016, définitivement hors de cause. Reste le second document, signé de Moussa Koussa, chef du renseignement extérieur libyen. Il démentira ultérieurement avoir écrit cette note.

30 avril 2012. Nicolas Sarkozy porte plainte pour faux contre Mediapart. Sa plainte débouche sur un non-lieu en 2016, confirmé en cassation en 2019. Les expertises ne permettent pas de conclure que la « note libyenne » est « un support fabriqué par montage » ou « altéré par des falsifications ». Elles ne prouvent pas davantage qu’elle est le reflet de la vérité, ni même authentique. Comme les juges le rappellent, on ne leur demandait pas de se prononcer « sur la réalité ou la fausseté des faits dont ce document était censé établir l’existence ». Ils ont prononcé le non-lieu « indépendamment de son contenu ». Reste à savoir pourquoi la justice a accepté que soit expertisé un fichier numérique, et pas un original.

19 décembre 2012. L’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine affirme devant la justice détenir des preuves du financement libyen de la campagne de Sarkozy. Le Libanais est alors mis en examen dans l’enquête conduite par les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, relative à des rétrocommissions sur des ventes de sous-marins au Pakistan, ayant financé la campagne d’Édouard Balladur en 1995 (affaire dite « Karachi »). Renaud Van Ruymbeke transfère les procès-verbaux au parquet, après avoir mis Nicolas Sarkozy hors de cause dans l’affaire Karachi, où son nom avait été cité.

Avril 2013. C’est seulement un an après la publication par Mediapart du document censé prouver le pacte de corruption qu’une information judiciaire contre X pour corruption est ouverte. Elle est confiée aux juges Serge Tournaire et René Grouman. Incarnation supposée de la neutralité, censé instruire « à charge et à décharge », selon l’article 81 du Code de procédure pénale, le juge Tournaire incarne imparfaitement la fonction. Son collègue du pôle financier, Renaud Van Ruymbeke, unanimement respecté, le trouve un peu trop cow-boy et ne parvient pas à travailler avec lui. En 2016, Serge Tournaire a été le seul des trois juges chargés de l’affaire Bygmalion à souhaiter mettre Nicolas Sarkozy en examen dans ce dossier, ce qu’il a fait en vertu d’une règle qui donne une voix prépondérante au premier juge désigné.

Juillet 2013. Boris Boillon, ancien conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, est arrêté gare du Nord avec 350 000 euros et 40 000 dollars en liquide. Il est condamné en 2017 pour blanchiment de fraude fiscale. La piste de l’argent libyen, un moment évoqué, n’a rien donné.

A lire aussi: Causeur #97: Sarkozy présumé coupable

Juillet 2014. Début de l’affaire dite « des écoutes ». Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierry Herzog, sont mis en examen, soupçonnés d’avoir tenté de corrompre un magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, dans l’espoir d’en savoir davantage sur les enquêtes concernant Nicolas Sarkozy. Les éléments à charge proviennent d’écoutes téléphoniques mises en place dans le cadre des investigations sur les présumés financements libyens. La ligne au nom de « Paul Bismuth », ouverte par Nicolas Sarkozy pour brouiller les pistes était, elle aussi, sur écoute. Le procès des écoutes, en mars 2021, met en lumière la démesure des moyens mis en œuvre pour coincer l’ancien président : 3 700 conversations privées écoutées, avec son épouse, ses enfants, ses amis, son avocat, deux commissions rogatoires internationales lancées, la Cour de cassation perquisitionnée pour la première fois de son histoire séculaire…

Sarkozy, Herzog et Azibert sont condamnés en correctionnelle à trois ans de prison dont deux avec sursis pour corruption, trafic d’influence et, pour le magistrat, violation du secret professionnel : dans une conversation enregistrée en 2014, donc, alors que Nicolas Sarkozy avait quitté l’Elysée, il a dit à Thierry Herzog qu’il pourrait pistonner Azibert pour un poste à Monaco, ce qu’il n’a d’ailleurs pas fait. Ils ont fait appel. Cette condamnation, bien entendu, ne dit rien sur la réalité des versements libyens. Au contraire. Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog, discutant sur une ligne qu’ils croient à l’abri des oreilles indiscrètes, n’ont rien raconté de compromettant en rapport avec la Libye. Peut-être parce qu’ils n’ont rien à dire ?

Novembre 2015. Claude Guéant, proche de Nicolas Sarkozy (il a été son directeur de cabinet à l’Intérieur, puis son secrétaire général à l’Élysée), est condamné par le tribunal correctionnel de Paris à deux ans de prison avec sursis et 75 000 euros d’amende pour complicité de détournement de fonds publics. La justice lui reproche de s’être versé des primes en liquide lorsqu’il était à l’Intérieur. Là encore, pas de trace d’argent libyen : les fonds provenaient du ministère. Les perquisitions visant Claude Guéant ont néanmoins mis en évidence de multiples anomalies dans ses comptes personnels, avec de fortes sommes non déclarées de provenance inexpliquée. Une partie pourrait provenir de Libye, par l’intermédiaire de l’homme d’affaires Alexandre Djouhri. En revanche, rien à ce stade n’indique que Nicolas Sarkozy était au courant des malversations de son collaborateur, ni qu’il en a été le bénéficiaire.

Février 2016. Nicolas Sarkozy est mis en examen dans l’affaire Bygmalion, portant sur le financement de sa campagne électorale de 2012. Il est condamné à un an ferme en septembre 2021 (il a fait appel). Toujours pas de trace d’argent libyen, les faits reprochés ne concernent pas la présidentielle 2007.

15 novembre 2016. Mediapart diffuse une vidéo de Ziad Takieddine qui déclare avoir remis « trois valises d’argent libyen » à Nicolas Sarkozy, dont une en main propre, au ministère de l’Intérieur. C’est le début d’un feuilleton dans le feuilleton avec comme personnage principal Ziad Takieddine. Il est mis en examen le 7 décembre 2016 pour complicité de trafic d’influence et de corruption. Il est alors en fuite au Liban, suite à une précédente condamnation à cinq ans ferme par la justice française, dans le cadre de l’affaire Karachi.

D’entretien en audition, de face-à-face en volte-face, Takieddine confirme son absence totale de fiabilité. Dans une instruction ordinaire, il aurait été laissé à la marge

Mars 2018. C’est seulement six ans après les premiers articles de Mediapart que Nicolas Sarkozy est mis en examen par le juge Tournaire pour « corruption passive », « recel de détournement de fonds publics libyens » et « financement illégal de campagne électorale ».

Janvier 2020. Devant les successeurs du juge Tournaire, Aude Buresi et Marc Sommerer, Ziad Takieddine maintient ses déclarations.

Février 2020. Claude Guéant fait condamner Ziad Takieddine pour diffamation, suite à des propos tenus dans l’entretien vidéo diffusé par Mediapart en 2016, où il était question de 5 millions d’euros de pots-de-vin.

12 octobre 2020. Nicolas Sarkozy est mis en examen pour association de malfaiteurs dans l’affaire libyenne, plus de sept ans après l’ouverture de l’enquête. 

11 novembre 2020. Coup de théâtre, Ziad Takieddine fait marche arrière sur BFM-TV et dans Paris Match. Le juge Tournaire lui a, affirme-t-il, prêté « des propos qui sont totalement contraires » à la vérité, « il n’y a pas eu de financement de campagne présidentielle de Sarkozy ». Le 17 novembre, l’intermédiaire déchu envoie au Parquet national financier (PNF) une « sommation interpellative », autrement dit un long mémo, dans lequel il accuse le juge Tournaire de l’avoir manipulé : « Il m’a fait comprendre que si je pouvais accuser M. Sarkozy et sa garde rapprochée, je m’en sortirais la tête haute dans le dossier Karachi et que mes biens me seraient restitués. » Si Takieddine dit vrai, c’est énorme, mais comment faire confiance à un témoin qui dit tout et son contraire ?

14 avril 2021. Ça se complique encore. Interrogé à Beyrouth par les juges d’instruction Aude Buresi et Marc Sommerer, Ziad Takieddine dément le démenti qu’il a fait dans Paris Match… Ses propos « ont été mal tournés par le journaliste », il y a bien eu versement. À cette époque, il est permis de se demander comment les juges peuvent encore accorder du crédit à Ziad Takieddine. En effet, le 14 janvier 2021, à Beyrouth, il a fait devant la juge Buresi une déclaration lunaire, consignée sur un PV que nous avons consulté : « Avec mes relations en Libye, j’ai la possibilité de pouvoir vous amener des originaux de documents compromettant l’équipe Sarkozy dans sa totalité. » Le lot de documents « à lui seul, en original, vaut le succès de votre instruction », ajoute-t-il (ce qui revient à souligner que le succès en question n’est pas encore garanti). Le tout, promet Takieddine,  « sera livré dans les 15 jours ». Le 4 février, le commissaire divisionnaire F. G., de l’ambassade de France à Beyrouth, écrit à la juge Buresi ; la justice libanaise n’a « eu aucune nouvelle de Ziad Takieddine », elle n’a « reçu aucun document ou objet de sa part depuis son audition ».

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D’entretien en audition, de face-à-face en volte-face, Takieddine confirme son absence totale de fiabilité. Dans une instruction ordinaire, il aurait sans doute été laissé à la marge. Le problème est que sans lui, une grande partie des accusations contre Nicolas Sarkozy s’effondre. Par ailleurs, Takieddine peut peut-être sauver les juges de l’échec, en faisant plonger l’ex-président pour subornation de témoin…

Faire tomber Sarkozy pour subornation de témoin

La subornation de témoin, c’est le nouveau feuilleton dans le feuilleton. En novembre 2020, Paris Match a donc publié l’entretien où Ziad Takieddine opérait un de ces revirements dont il a le secret, démentant avoir versé de l’argent libyen à Nicolas Sarkozy, virage consigné dans sa « sommation interpellative ». La ligne constante de la justice, dans ce dossier, semble être de ne surtout pas creuser lorsque l’intermédiaire libanais accable l’ancien président. Dans le cas contraire, il faut chercher. En l’occurrence, les conditions dans lesquelles a été réalisée l’interview de Match au Liban offrent aux magistrats des possibilités de nuire à leur mis en examen favori. Elle a été visée par Hervé Gattegno, alors directeur des rédactions du Journal du dimanche et de Paris Match, réputé pro-Sarkozy et anti-Mediapart.

Elle a été montée par un étrange attelage : une connaissance de Takieddine nommée Noël Dubus, déjà condamné pour escroquerie ; Michèle Marchand, patronne de l’agence Bestimage, pilier de la presse people et amie de Carla Bruni-Sarkozy ; Arnaud de la Villesbrune, ancien directeur de Publicis ayant travaillé pour la campagne 2012 de Sarkozy, plus un homme d’affaires nommé Pierre Reynaud. Ils sont tous déjà mis en examen pour subornation de témoin, de même qu’une interprète franco-algérienne de 26 ans, Lisa H., qui les accompagnait.

Nicolas Sarkozy sur le plateau du « 20 heures » de TF1, au lendemain de sa mise en examen dans l’affaire du financement libyen de sa campagne, 22 mars 2018.

Noël Dubus avait plusieurs projets plus ou moins réalistes en rapport avec le Liban, où il s’est rendu quatre fois en un peu plus d’un an. Il était question de récupérer des tableaux volés, d’introduire des investisseurs philippins au Liban, et d’acheter des officiels libanais pour obtenir la libération d’un des fils Kadhafi, Hannibal, incarcéré à Beyrouth. Difficile de savoir si ce dernier projet était sérieux ou s’il cachait une tentative d’escroquerie. Les enquêteurs français, d’ailleurs, s’en désintéressent. Ils se concentrent sur les pistes qui pourraient mener à Nicolas Sarkozy, en deux temps. D’abord, il faut prouver que Ziad Takieddine a touché de l’argent pour donner son entretien à Paris Match et pour sa sommation interpellative. Ensuite, il faudrait établir un lien entre Sarkozy et le voyage des Pieds nickelés intermédiaires de Match  au Liban. Pourquoi Nicolas Sarkozy tenterait-il de retourner une girouette comme Takieddine, mystère (et avec des intermédiaires aussi folkloriques, mystère encore plus profond). En lisant les PV d’audition de Lisa H., l’interprète, amie de Noël Dubus, on apprend que Hervé Gattegno avait déjà interrogé Ziad Takieddine en juin 2020 par visioconférence, depuis le Liban. Lisa H., qui y avait assisté, n’était pas là pour traduire, Takieddine parlant couramment le français, mais pour l’apaiser, sur proposition de Noël Dubus. « S’il s’énervait, je devais me mettre derrière [Hervé Gattegno, ndlr], et le fait de voir une femme, il allait se calmer. Ça n’a pas raté. » L’entretien lui-même, souligne Lisa H., « c’était du vent, c’était inutile, il a dû changer au moins trois fois de version ! »

L’objectif, en définitive, est de bloquer la girouette Takieddine dans la direction qui pointe Nicolas Sarkozy. Pour y arriver, il faut absolument se débarrasser de la sommation interpellative qu’il a rédigée le 14 décembre 2020. Elle est catastrophique pour les juges, comme pour Mediapart. Il y déclare entre autres : « J’ai été contacté à cette époque [en 2013, ndlr] après avoir vu le juge Tournaire en off quelques jours avant. Le juge Tournaire m’avait vivement conseillé d’accepter la proposition de Mediapart […]. Lorsque Mediapart est venu pour m’interviewer, j’ai donc arrangé l’histoire afin que cela puisse coller aux désirs du juge mais également de Mediapart, qui insistait beaucoup. »

Ce n’est pas le seul endroit où les pièces versées au dossier montrent une intéressante partie de courte-échelle, les enquêteurs s’appuyant sur Mediapart, qui s’appuie sur les enquêteurs. Par exemple, le 3 juin 2021, un officier de la police judiciaire tente de faire réagir Lisa H. à un article de Mediapart intitulé « Rétractation de Takieddine : la piste de l’argent », publié le 6 avril 2021. Michèle Marchand était du voyage au Liban. Qu’en pense la jeune femme ? Réponse : « Vous êtes, après Karl Laske [de Mediapart, ndlr], la deuxième personne à me poser la question. » Le même Karl Laske, précise Lisa H., a menacé de la signaler au Parquet national financier si elle ne répondait pas à ses questions. Du travail d’équipe pour un objectif commun. S’ils veulent sauver dix ans de travail, Mediapart et les enquêteurs savent ce qu’il leur reste à faire : établir que Takieddine a été payé par Sarkozy pour retourner sa veste. Faute de pouvoir le condamner pour recel d’argent libyen, il faut le faire tomber pour trafic d’influence (Azibert) et subornation de témoin (Takieddine). Affaire à suivre.

Les jeux dangereux d’Elisabeth Moreno

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D.R.

De la gastronomie identitaire au Monopoly des inégalités… ou comment passer du coq (français) à l’âne (idéologue)


Si nous nous en tenons aux critères de plus en plus « inclusifs » de l’extrême-gauche insoumise et écologiste, l’extrême-droite s’élargit jour après jour et sera bientôt archi-majoritaire dans ce pays. Michel Barnier avait failli être marqué au fer rouge de l’infamie après avoir évoqué la nécessité d’un moratoire sur l’immigration. Malgré lui, Fabien Roussel vient d’entraîner toute une partie de la population vers le côté obscur d’un pétainisme culinaire. Insouciant, le secrétaire général du PCF a en effet twitté « qu’un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c’est la gastronomie française. » (cf. l’article d’Alexis Brunet dans ces colonnes).

Les wokes français aimeraient qu’on n’oublie pas le couscous

Fabien Roussel n’avait pas encore très bien saisi ce que voulait dire le mot « woke ». Il apprend à ses dépens que les wokistes d’extrême-gauche existent : certains l’accusent de faire la promotion d’une alimentation incompatible avec le réchauffement climatique ; d’autres d’avoir une vision identitaire de la gastronomie française et d’être un suprémaciste blanc ; d’autres encore lui demandent de cesser de promouvoir l’alcoolisme. Quelques internautes ont vu dans l’allusion au vin et à la viande (que certains ont immédiatement traduit “viande de porc”) un propos islamophobe. La décolonialiste Françoise Vergès twitte : « Le “C” du parti de Roussel signifie compromission. Aux membres de se désolidariser. » Je connais un autre mot qui commence par “C” et dont les membres, bientôt solidairement mis sur orbite, ne sont pas prêts de s’arrêter de tourner.

A lire aussi, Laurence Simon: Rousseau ou la victoire de la féminité toxique

Sandrine Rousseau, par exemple, toujours parfaite quand il s’agit de lâcher les plus belles bourdes, a déclaré sur LCI que Fabien Roussel excluait une partie de la gastronomie et qu’on peut « être français et adorer le couscous ». Comme tous les accusateurs publics de tous les tribunaux révolutionnaires, Mme Rousseau projette ses obsessions sur une phrase qui ne dit absolument pas ce qu’elle croit (ou aimerait) entendre. Elle sous-entend par conséquent que Fabien Roussel a intentionnellement et racistement omis de décliner tous les plats dans lesquels il y de la viande afin de stigmatiser le couscous, le tajine, la pizza, les tagliatelles à la carbonara et autres spécialités culinaires faisant le bonheur de tous les Français qui restent toutefois attachés à la blanquette de veau, au cassoulet et au coq au vin.

Elisabeth Moreno : Je pense que l’initiative du Monopoly des Inégalités est juste fantastique (…) C’est super, franchement bravo!

Je passe du coq à l’âne : un nouveau jeu vient de faire son apparition. Ce jeu, le Monopoly des Inégalités, a été créé par L’Observatoire des inégalités. Elisabeth Moreno, notre orwellienne ministre à l’Égalité entre les femmes et les hommes, à la Diversité et à l’Égalité des chances, le trouve « fantastique ». Règles : les joueurs tirent une carte qui va déterminer leur personnage rangé dans une catégorie, A, B ou C. Et c’est là que ça devient intéressant : la catégorie A étant « très favorisée », le personnage de cette catégorie est un homme blanc de 55 ans se prénommant Aurel ; il a un salaire de 300 euros et un patrimoine de 2000 euros ; en début de partie il possède deux maisons et a deux dés pour jouer. À l’extrême opposé, en catégorie C, le personnage « défavorisé » s’appelle Mohamed, a un salaire de 100 euros et un patrimoine de 600 euros ; la vie étant décidément trop injuste, il n’a qu’un dé pour avancer. En catégorie B, Meriem est un peu mieux lotie que Mohamed mais porte un très seyant et très couvrant voile bleu sur la carte la représentant. Les concepteurs de ce jeu grotesque mais idéologiquement impeccable précisent : « On a fait une quarantaine d’ateliers et Mohamed n’a jamais gagné la partie. » Comme dans le Monopoly de notre enfance il y a des cartes « événements », mais ici elles servent surtout aux joueurs à « expérimenter l’homophobie, le racisme, les inégalités de revenus. » Exemples : « Vous refusez d’embaucher une femme transgenre. Elle porte plainte pour discrimination. Allez directement en prison et payez cent euros à la banque. » Ou : « Si vous êtes noir ou maghrébin, vous ne pouvez plus acheter de maison jusqu’à ce que vous repassiez par la case Départ. Si vous êtes blanc, rien ne se passe. » Une carte “grève générale” permet une “avancée sociale” et une augmentation de revenus pour Mohamed. La case “redistribution” punit, elle, le joueur « très favorisé » de catégorie A qui tombe dessus en le forçant à donner 100 euros à Mohamed, « pour montrer l’importance des impôts dans la réduction des inégalités ».

La ministre des Sports Roxana Maracineanu et la Ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances (ouf!) Elisabeth Moreno inaugurent une fédération sportive réservée aux homosexuels à Paris, le 13 septembre 2020 © SIPA / Numéro de reportage : 00981107_000028

Mme Moreno est sous le charme de ce jeu débile : « Je pense que l’initiative du Monopoly des Inégalités est juste fantastique pour la simple raison qu’on peut aborder des sujets extrêmement graves et importants de manière ludique et de manière à donner envie aux jeunes de s’intéresser à la question. C’est super, franchement bravo. » La propagande battant son plein dans une Éducation nationale bien décidée à continuer de fabriquer des crétins, ce jeu est destiné aux professeurs qui éprouveront l’envie de « débattre avec leurs élèves des inégalités ». Constance Monnier, “cheffe” de projet à L’Observatoire des inégalités, confirme l’engouement de certains professeurs : « Nous avons eu énormément de demandes d’acquisition du jeu de la part d’enseignants […] qui cherchaient des outils ludiques pour aborder la question des inégalités ou des discriminations. »

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Quel est le rapport entre ce jeu imbécile et les critiques stupides essuyées par Fabien Roussel ? À priori, aucun. Disons simplement que ces deux actualités confirment le constat suivant : nous vivons dans la plus méprisable en même temps que la plus risible des époques de notre histoire. Le coq français, la crête défraichie, se fait déplumer par des ânes idéologues qui alimentent la bêtise dogmatique d’une partie de la classe politique. L’abrutissement semble général. On hésite souvent entre pleurer de rire et pleurer tout court. Et même Fabien Roussel est obligé finalement de le reconnaitre : « C’est hallucinant ! »

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