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Pascal Praud: élu phénomène télé de l’année

Un Praud c'est tout!


Pascal Praud: élu phénomène télé de l’année
Pascal Praud © Canal+

L’animateur le plus attaqué du PAF est un «réac» et un «populiste», selon ses bienveillants confrères qui ne peuvent admettre qu’il est aussi, et surtout, un véritable journaliste.


Sur le modèle du rat des champs et des villes, il existe une autre fable, celle du Praud du matin et du soir. Deux salles, deux ambiances, deux spectacles télévisuels qui ne s’adressent pas au même public. Le matin, à la fraîche, c’est l’actu sanctuarisée, on chasse le scoop, on déflore l’événement, les bottes encore mouillées par la rosée, on réveille la France avec le sentiment d’écrire l’histoire courte.

Je préfère le Praud vespéral, plus propice à l’emphase et à l’emportement verbal, au tacle sauvage et à la nostalgie suintante 

Le sérieux est institutionnalisé, la déontologie se porte à la boutonnière, on brandit sa carte de presse comme Belmondo pointe un flingue de compétition sur l’affiche du Professionnel. Avec une jubilation non feinte. L’esprit carnassier et rancunier du justicier n’est jamais loin. On tend, sans y parvenir, vers cette satanée objectivité qui a ruiné tant de journaux. Ce ne sont pas internet et les réseaux sociaux qui ont tué la grande presse, mais bien l’absence de style et une liberté d’expression cadenassée, un conformisme d’opinion qui a poussé à l’abstentionnisme et à la pêche à la truite.

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Le matin, les politiques ronronnent comme ces vieux diesels fumants avec toujours les mêmes formules poussives à la rescousse et cette mine contrite qui amusait déjà Coluche, il y a quarante ans. Tous ces mauvais acteurs de boulevard sont désespérants de trucs et de poses. Le matin, les invités s’expliquent doctement en se plaignant, les éditorialistes assurent leur pige et les derniers mètres carrés de leur piscine à Ré ou à Propriano, les majorités se félicitent de leur action bienfaitrice, les oppositions rageuses attendent leur tour, la démocratie cahote et le peuple toussote d’indifférence ; tout ce manège moitié sentencieux, moitié ennuyeux s’inscrit dans le folklore balisé de la Ve République. Le téléspectateur boit son café sans trop y croire, pensant aux embouteillages parisiens, à cette foutue réunion de service, aux prochaines vacances en camping-car et aux frais de scolarité du petit dernier.

Dégoût du consensus mou

Depuis la rentrée, il est dans le privé et il veut une paire de mocassins Weston pour son anniversaire. Voilà où mènent l’élévation sociale et l’enseignement libre. Les émissions matinales accompagnent mécaniquement le début d’une journée sans fin pour des millions de travailleurs. Si ce n’est le ton goguenard de Pascal Praud, le facétieux qui vient légèrement vriller cette belle machine médiatique. Par dégoût du consensus mou et sens inné de l’audimat, la sainte horreur des idoles autoproclamées, il mordille les chevilles de ses interlocuteurs, il pousse parfois un coup de gueule, pour le plaisir d’exister mais reste, malgré tout, dans un registre assez conventionnel. Il donne la parole et la reprend aussi vite, réflexe des gens de métier.

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Attendez un peu de voir le phénomène télé de l’année 2021, l’animateur honni, démago, suppôt, réactionnaire, réfractaire, populiste, passéiste, prochainement réprouvé (la liste n’est pas exhaustive) qui s’échauffe. Il se fait les dents et la voix. Il retient ses coups, même si son impulsivité et la saillie drolatique le tenaillent au corps. Certains matins chafouins, il a même des envies d’imitation qu’il réfrène. Le patron regarde. Il ne s’agirait pas de faire fuir les annonceurs. Il est décidément trop tard pour concurrencer les humoristes de la radio. La journée sera longue. Gardons des forces dans ce marathon de l’info, après CNews, il y aura RTL et ses auditeurs à la pelle, un sportif de haut niveau doit ménager ses efforts, ne pas brusquer son rythme cardiaque, ne surtout pas subir une fringale assassine à 20 h 05 quand la bande de Christine K. lui passe le relais. À cet instant précis, l’ombre du Z plane sur l’antenne. Le Hinault de Loire-Atlantique va profiter de l’aspiration. L’érudit footeux part du principe que l’information est une chose trop sérieuse pour la laisser aux seuls journalistes.

Le matin dans « L’Heure des Pros », on réveille la France avec le sentiment d’écrire l’histoire courte © Canal+

Le match du soir n’a pas la même saveur. Vous l’aurez compris, je préfère le Praud vespéral, plus propice à l’emphase et à l’emportement verbal, au tacle sauvage et à la nostalgie suintante, à cet air de comice agricole où les robes à fleurs et les chopines illuminaient le soleil de ma jeunesse, quand la fenaison était une fête de village. Un verre à la main, l’esprit querelleur ou rigolard, on s’apprête à ripailler avec les copains et s’échanger quelques idées générales sur la marche du monde. L’heure est au chambrage et à la mauvaise foi, aux éclats et à la bonne humeur, à cette fraternité qui faisait tout le sel de notre pays.

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Dans ma lointaine province, filles et garçons s’apostrophaient sur une affaire judiciaire, un roman à la mode, un match de foot, une élection, un drame national ou la coupe de cheveux d’un chef de gouvernement. Que ce bouillonnement était sain, nous vivions sans aigreur ni ressentiment. Nous avons échappé au pathétique des grandes déclarations d’imposture. Notre amitié ne sombrait pas dans les jérémiades victimaires. Avec Praud, je retrouve nos élans moqueurs et notre propension à décorseter l’information, quitte à se planter magistralement.

Un chahut bienveillant

Oui, ce soir, il y aura du bruit, des quiproquos, des incohérences, des excès, de la tension, des sorties de piste et beaucoup d’approximations. Également, osons le dire, Praud donnera un éclairage sur une autre réalité mise à distance, souvent engloutie par les médias dans leur obsession de javelliser, d’uniformiser les individus. Appelez ça comme vous voudrez, du poujadisme ou un exercice de vérité, peu importe finalement, l’objet télévisuel proposé par Praud va bien au-delà de cette distinction idéologique. Une chaîne d’info en continu à capitaux privés n’est pas un organisme froid. Personne n’est dupe de ses contraintes et de ses visées commerciales.

Nous sommes des adultes consentants, capables de discerner le bien, le mal, le surjoué, la caricature, le ressort comique, les manœuvres, la colère, les raccourcis et nous avons aussi le droit d’aimer le divertissement politique de Praud. Nous n’en faisons pour autant ni un leader d’opinion ni un gourou conservateur, plutôt un vrai professionnel qui anime les débats avec suffisamment de fougue et une pointe de dérision afin que l’on demeure éveillé devant son poste jusqu’à 20 h 55. Ce n’est pas si fréquent dans le PAF. Le chahut (bienveillant) est salutaire dans un pays qui dévisse sérieusement. On sait par avance que le chef d’orchestre du soir se chamaillera gentiment avec un ex-magistrat ou un communiste palois, qu’on évoquera un bronzage trop voyant ou des sandales processionnelles, que l’on pourra compter sur un avocat normand, roi de la vanne pour ricaner avec sa voisine.

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Pour ceux qui veulent de la componction et des leçons d’humanisme, des programmes de rééducation existent ailleurs, un peu partout. On aime donc le Praud du soir, roublard et tendre, qui distribue la parole avec autorité et un brin de sadisme, et qui n’oublie pas avant tout de faire de la télé. Il est payé pour ça. C’est-à-dire agiter des caractères variés sur un même plateau pour en extraire un spectacle divertissant, agaçant, instructif ou franchement marrant. Le soir, autour de cette table où chaque chroniqueur veut briller, le grand ordonnateur veille au bon déroulement des opérations. Il est taquin, foutraque, provocateur, tantôt démagogue, tantôt irrévérencieux, je l’aime mélancolique et flamboyant dans son costume à rayures craie, imprégné de chansons françaises et de beaux textes, penaud devant l’immense Delon, amoureux de sa femme à la manière de Richard Anthony et meilleur VRP de la revue Service littéraire du bon François Cérésa. Et puis qui ne comprend pas le second degré peut aller se faire foutre.

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Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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