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Stellantis: les actionnaires lisent-ils Bourdaloue?

C’était écrit, la chronique de Jérôme Leroy


« On veut être riche à quelque prix que ce soit ; on veut être riche sans se prescrire de bornes ; et on veut être riche en peu de temps : trois désirs capables de pervertir des saints, trois sources empoisonnées de toutes les injustices dont le monde est rempli. » Allons bon, quel est cet anticapitaliste acharné ? Un porte-parole de la France insoumise qui continue la lutte malgré son élimination au premier tour alors qu’il vient d’apprendre la rémunération de Carlos Tavares, le patron de Stellantis, qui réclame, pour 2021, 66 millions d’euros ?

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Eh bien non, il s’agit de Louis Bourdaloue, prédicateur jésuite (1632-1706), qui déroula son Sermon sur les richesses en 1680, devant les Grands et Louis XIV. À se demander si celui qu’on a appelé « le roi des prédicateurs et le prédicateur des rois » n’a pas été la lecture des actionnaires de Stellantis qui ont refusé à Carlos Tavares cette rémunération. Notamment Olivier de Guerre, président de la société de gestion PhiTrust, qui a déclaré sur BFM Business : « On s’attend à ce qu’il y ait des licenciements importants en Italie et en France compte tenu que les sites de production sont doublés partout. Il y aura probablement dans les services administratifs aussi beaucoup de licenciements, donc, mécaniquement, on pense que les enjeux de la fusion d’un point de vue social sont tellement importants, notamment en France et en Italie, que ce sont des rémunérations un peu décadentes. »

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On appréciera l’euphémisme final et l’adjectif fortement connoté moralement. Mais il est fait aussi appel à une forme de rationalité économique : de tels revenus sont incompatibles avec la situation réelle de l’entreprise, et l’enrichissement sans frein d’un dirigeant se fait forcément aux dépens de salariés menacés, ce que dit aussi Bourdaloue dans son Sermon : « Mais pourquoi, dit un riche, payant bien ce que j’acquiers, et ne faisant tort à personne n’aurais-je pas droit de m’étendre ? Encore une fois, malheur à vous, malheur parce que vouloir toujours s’étendre, et ne nuire à personne, ce sont communément dans la pratique deux volontés contradictoires. »

Et Bourdaloue d’indiquer comment transformer les richesses en « trésors de justice et de sainteté ». C’est assez simple : « Partagez-les avec les pauvres ! » Message cryptomarxiste ? Il faut toujours se méfier des jésuites, regardez le pape François. À moins qu’il ne s’agisse simplement d’une meilleure répartition entre capital et travail, ce que dit souhaiter Gabriel Attal : « Nous, ce qui nous importe, c’est qu’il y ait un meilleur partage de la valeur dans l’entreprise et c’est dans le programme d’Emmanuel Macron. »

Bourdaloue, finalement, serait macroniste ? On peut de nouveau respirer.


Louis Bourdaloue, Sermons choisis, Classiques Garnier, 2021.

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Colette Fellous: en attendant Duras

Amie de Duras, Colette Fellous nous donne aujourd’hui sur elle, avec Le petit foulard de Marguerite D, une biographie impressionniste.


Une jeune actrice déjà célèbre, que je ne nommerai pas, bénéficiant d’une reconnaissance planétaire, évoque ses rôles et dit qu’elle ne se considère pas comme une actrice. Je pense alors qu’elle pourrait jouer Duras. Parce que Duras remettait en cause le narcissisme de l’acteur, le remplaçant même par un non-acteur (Yann Andréa dans L’Homme atlantique), puis par le noir. Depardieu a retenu la leçon. Cette jeune actrice aux cheveux courts et au regard mélancolique pourrait aussi jouer Duras au théâtre. Agatha, ou une autre pièce. Sur la table basse de son salon, il y a la biographie de Truffaut, en poche, écornée, lue et relue. Et aussi Les lieux de Marguerite Duras, aux Éditions de Minuit, couverture jaunie, empreintes de doigt. Mon intuition ne m’a pas trompé. Elle jouera Duras, un jour.

Univers hypnotique

Je rentre chez moi, encore sous le charme des cernes impudiques de la jeune actrice. Dans la boite à lettres, le livre de Colette Fellous, Le petit foulard de Marguerite D. Un signe ? Bien sûr puisque nous sommes avec Duras, la médiumnique romancière. Colette Fellous en parle avec beaucoup de délicatesse, mais tout est délicat dans son livre, fragile, précaire, à l’image de Duras qui voit dans l’invisible, et qui imagine à partir de ses visions.

Colette Fellous évoque les hallucinations de Marguerite, la peur de les sentir revenir, la nuit surtout, « les choses de la nuit ». On est au cœur de la boite noire durassienne. « Elle est magnétique, écrit Collette Fellous à propos de son amie, bouleversante, se laisse submerger par elle-même, n’a pas peur, se relève, recommence. » Visions, obsessions, boue, soleil, musique. Elle les partage. C’est l’écriture répétitive et minimaliste de Duras, son univers hypnotique. On entre dans ses livres et ses films comme on entre dans une pièce où une séance de spiritisme commence. Les thèmes reviennent comme la pluie d’été.

L’amour, la douleur des femmes amoureuses, la rupture, la perte, les cris dans les couloirs, la douleur d’écrire, l’alcool, l’inépuisable douleur de tout. Elle voit ce qui est simplement vrai et qui échappe à l’homme. Longtemps je l’ai lu face à l’océan, dans le crépuscule couleur Campari.

Le fil de la complicité

Colette Fellous nous offre une biographie impressionniste de l’auteur de L’amant, prix Goncourt 1984, dans lequel « je leur ai tout mis », déclare-t-elle, frondeuse. Fellous se souvient : « Avec ce geste de la main qui montrait qu’elle avait jeté volontairement, comme à des bêtes sauvages affamées, tout ce qui était en elle, tout ce qui était épars dans ses autres livres, elle avait agencé les choses autrement et puis elle les avait offertes, si c’est ça qu’ils veulent, alors voilà, je l’ai fait. »

Il y a l’essentiel dans ce court texte. L’enfance de Duras, sa mère, le Mékong, Trouville, Yann Andréa, leur première rencontre, lui 27 ans, elle 66, Godard, Mascolo dit Outa, les robes des personnages, le bruit du sang dans nos veines, le foulard léopard noir et blanc, fil de la complicité, offert par Colette en 1987, portée par Marguerite jusqu’à sa mort en 1996, « le 3 mars, chez elle, vers 8 heures du matin. C’était un dimanche. » Quelques photos illustrent l’ouvrage. J’aime tout particulièrement celle en noir et blanc, page 41. Duras est jeune, elle est belle. La beauté de son visage étonne. Son regard est triste déjà, lointain, son sourire est doux, un peu las, légèrement moqueur. Dans le célèbre incipit de L’amant : « Très vite dans ma vie il a été trop tard. A dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit ans et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. » C’est la clé de son écriture. Sa vie.

Ouverture cachée

Il se peut que la jeune actrice déjà célèbre joue « Elle », personnage d’Agatha, dans la lumière d’hiver, brumeuse et sombre, qui écoute le bruit de la mer. Son regard bleu étincelant soulignerait la force des phrases de Duras et révèlerait l’ouverture cachée sur son œuvre. M.D. à propos d’Agatha : « C’est par le manque qu’on dit les choses, le manque à vivre, le manque à voir. Par le manque de lumière qu’on dit la lumière, le manque de désir qu’on dit le désir, par le manque de l’amour qu’on dit l’amour. Je crois que c’est une règle absolue. »

C’est par le manque de Duras qu’on lit Duras.

Colette Fellous, Le petit foulard de Marguerite D., Gallimard. 112 pages

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L’autoroute de la servitude

En 1944, Friedrich Hayek publiait La Route de la servitude et avançait que l’interventionnisme des élites politiques et des « sachants » finissait toujours par écraser les libertés. Alors que nous sortons d’une autre guerre, sanitaire cette fois, il faut se replonger dans ses réflexions.


Sauf si j’ai raté quelque chose, je ne crois pas que la guerre contre le Covid ait été annoncée comme étant terminée. Et entretemps, la guerre entre la Russie et l’Ukraine a été déclarée, à laquelle les dirigeants européens tentent de faire croire que nos pays ne participent pas malgré les sanctions de plus en plus lourdes et nombreuses infligées à la Russie et malgré les livraisons d’armes massives effectuées au profit du pays bleu et jaune. Or, c’est dans un contexte de guerre qu’a été publié La Route de la servitude, livre politique de Friedrich Hayek sorti en 1944 et présenté par lui comme un ouvrage qu’il était de son devoir d’écrire dans un moment où la guerre justement empêchait ses collègues économistes de réfléchir et de guider l’opinion publique sur les choix d’organisation de la société à venir lorsque la paix serait revenue. Un livre de combat donc, en partie circonstanciel, mais surtout un ouvrage court qui posait des bases de réflexion solides et fixait des principes fondamentaux que son auteur ne ferait que détailler, expliciter et améliorer par la suite.

Une inquiétante mainmise

Si le libéral convaincu que je croyais encore être il y a quinze ans s’était alors délecté de cette lecture, le socialiste-conservateur-libéral[1] que je suis devenu depuis le lirait certainement avec un œil un peu plus critique aujourd’hui. Ma mémoire conserve néanmoins quelques idées-clés qui me paraissent toujours aussi pertinentes et utiles dans la période que nous traversons, marquée par une poussée du fédéralisme européen, de l’autoritarisme sanitaire et du contrôle social. Parmi elles, on trouve une critique en règle des experts, notamment économiques (que Hayek range sous le vocable de « planistes »), qui auraient vocation à déposséder le personnel politique de leur pouvoir, au motif que la vie de la société serait pour ainsi dire une matière scientifique que seuls des spécialistes peuvent discuter et traiter. Derrière les attaques répétées contre le socialisme auxquelles se livre l’auteur, c’est aux « sachants » qui veulent tout régir de manière scientifique qu’il s’en prend : saint-simoniens, marxistes ou continuateurs d’Auguste Comte sont ses cibles de choix, dont on trouve de lointains successeurs 80 ans plus tard dans un monde occidental dont on souligne à l’envi la complexité pour abandonner sa gestion aux seuls experts.

A lire aussi : L’État et le Covid: experts partout, politique nulle part

Le phénomène n’est pas nouveau en Europe, mais à la faveur du Covid et de la guerre en Ukraine, il s’est aggravé dans des proportions inquiétantes qui laissent craindre qu’on ne puisse revenir en arrière. Ce que révèlent le coup d’État discret opéré par Ursula von der Leyen et ses confrères d’une part, et l’omniprésence même plus cachée des consultants et des experts sur à peu près tous les sujets d’autre part, c’est une nouvelle tentative de mainmise sur le pouvoir par une élite intellectuelle et économique qui estime être la seule à savoir ce qui est bon pour la société. La pluralité des théories économiques comme scientifiques devrait nous avertir que la vérité est bien difficile, voire impossible, à déterminer, et nous inciter par conséquent à la plus grande prudence et au maintien du débat ; au lieu de cela, une alliance de certains économistes et certains scientifiques avec la majorité du monde médiatique, politique et judiciaire, vise à faire croire à l’unanimité d’une communauté de ceux qui savent et au caractère indéniable, incontestable, des propositions qu’elle avance pour répondre aux crises et pour gérer la société.

Est-ce que 1984 restera une dystopie ?

Ce qui rend ce constat fait par Hayek en 1944 et par d’autres avant et après lui absolument glaçant, c’est l’état actuel de la technologie. Pour horribles et monstrueux que les totalitarismes du xxème siècle aient été, ils avaient contre eux un manque de sophistication technique qui autorisait quelques failles, quelques interstices : samizdats, marché noir et potagers clandestins étaient encore possibles. Pour les contemporains du nazisme et du stalinisme, le cauchemar était une surveillance absolue contre laquelle rien n’était possible : c’est bien la raison pour laquelle 1984 d’Orwell, outre sa critique assez limpide du régime soviétique, a toujours été considéré comme une dystopie, c’est-à-dire un monde imaginaire et non souhaitable. Est-ce toujours le cas ? Dans un monde où les objets connectés nous espionnent, où les smartphones nous écoutent et où le fichage pour ses opinions politiques ou syndicales est permis, il semble bien que Big Brother soit désormais en place, dans l’indifférence générale, avec la complicité passive de tout un chacun même, et ne soit plus vu comme un mauvais rêve mais une réalité avec laquelle il faut s’accommoder.

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À ceux qui rétorqueront qu’il ne faut pas comparer les totalitarismes du siècle passé avec la société connectée d’aujourd’hui, que l’Union européenne n’est quand même pas la Chine communiste et qu’aujourd’hui, on ne tue ou n’emprisonne plus les opposants au régime en place, on dira deux choses : pour l’instant, et pas besoin de violence physique quand l’asservissement social suffit. Les restrictions très importantes des libertés individuelles que nous subissons depuis quelques années au nom de la sécurité devraient nous alerter collectivement sur notre état avancé de servitude et de dépendance. Il devient urgent de sortir de l’idée formulée par Margaret Thatcher il y a quarante ans, cette fameuse TINA qui sonne tout sauf libérale : quand on prétend que « There Is No Alternative », c’est que la liberté des autres de penser différemment nous exaspère et qu’on a une volonté d’écraser toute divergence sous un unanimisme qu’on pense rendre acceptable en le parant d’un vernis scientifique. Ce combat pour maintenir la pluralité des opinions et des choix est essentiel et doit être mené sans délai, car la dématérialisation de la monnaie qu’on annonce proche, la surveillance accrue de tous les flux de communication et d’information et la convergence de nombreux acteurs pour mettre en place la feuille de route du Great Reset cher à Klaus Schwab le rendront bientôt impossible.

La liberté n’a pas de prix

Un dernier mot concernant Hayek, dont on pourrait penser que, en figure tutélaire du libéralisme contemporain, il est une des sources d’inspiration d’Emmanuel Macron, d’Ursula von der Leyen et de tous les européistes convaincus qui se présentent volontiers comme libéraux ; en fait, on serait bien en peine de savoir ce qu’il penserait du monde d’aujourd’hui, dont le niveau technologique le rend incommensurable au monde de 1944 même si certains aspects étaient déjà en germe. En revanche, voici ce qu’il écrivait en cette année de guerre mondiale : « Il n’y a rien dans les principes du libéralisme qui permettent d’en faire un dogme immuable ; il n’y a pas de règles stables, fixées une fois pour toutes. Il y a un principe fondamental : à savoir que dans la conduite de nos affaires nous devons faire le plus grand usage possible des forces sociales spontanées, et recourir le moins possible à la coercition. »[2] Je peux me tromper bien sûr, et faire une interprétation erronée de ce que j’ai lu, mais il me semble que les dirigeants actuels, publics comme privés, cette élite mondiale qui sait ce qui est bon pour la planète, sont plus du côté des planistes que le penseur austro-britannique pourfendait que de celui des défenseurs de la liberté.

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[1] Petit clin d’œil au livre Comment être socialiste + conservateur + libéral de Leszek Kolakowski publié aux éditions Les Belles Lettres en 2017

[2] Friedrich A. Hayek, La Route de la servitude, Quadrige/PUF, page 20

En compagnie des Jésuites avec Paul Auer

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Malgré un titre peu avenant, le premier roman de Paul Auer, Les Amants de Jésus, est une très agréable surprise.


Fondée en 1540 par Ignace de Loyola, la Compagnie de Jésus, ordre religieux missionnaire et composante de l’Eglise catholique, n’a jamais fait l’unanimité. Ses membres, plus connus sous le nom de Jésuites, ont été moqués par nombre d’écrivains français. Qu’on pense par exemple à Voltaire qui, s’il fut leur élève et confessait volontiers l’admiration qu’il leur avait conservé, ne ratait pas une occasion de les railler, dans son Candide ou dans d’autres écrits. Qu’on pense aussi à Marcel Jouhandeau, à qui l’on doit cette définition dans Chaminadour : « (…) ce que c’est que d’être un jésuite ? – C’est (…) d’apporter un raffinement particulier dans l’art des combinaisons. Par exemple dans l’art de punir ».

Les Jésuites: des religieux haïs

Avant que l’un d’entre eux – Jorge Mario Bergoglio, dit « François » – ne devienne pape à l’issue du conclave de mars 2013, les Jésuites n’avaient toujours pas très bonne presse, comme le rappelle incidemment Paul Auer dans les toutes premières pages des Amants de Jésus. Dans Le Figaro, ils étaient ainsi considérés comme des « communistes sous couvert d’aimer les pauvres », c’est-à-dire aussi mal vus que « le comité catholique contre la faim, soutien des mouvements marxistes en Amérique centrale » pour ce quotidien de la droite bon teint.

Depuis François, ils sont carrément honnis de certaines franges du catholicisme – de « factions » diraient les catholiques abonnés à La Croix, La Vie, Témoignage chrétien ou Golias –. Ils sont plus particulièrement haïs de ce que Paul Auer décrit comme la « nouvelle génération de prêtres fraîchement rasés, parfumés, les cheveux courts, le col romain » : « prêtres de charme, sûrs de leur mission et de leur statut, qui [aiment] écarter les bras et lever les mains pendant que leur chasuble [se gonfle] et que le peuple [s’agenouille], régalé par le son et lumière, les homélies de salon de coiffure » ; « acteurs en représentation tous les dimanches matins » dont il est « impossible de croire une seconde qu’[ils portent] sur leurs épaules le péché du monde, que le sang de l’agneau immolé [coule] dans leurs veines ».

Les détestent aussi, plus encore peut-être que ces « cathos tradis », ceux que l’on appelle les « intégristes » (les « cathos de combat » de Civitas ou les « lefebvristes » de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X). Peut-être parce que le premier d’entre eux, Ignace de Loyola était un « juif marrane », c’est-à-dire un juif séfarade converti au catholicisme. Ou peut-être parce qu’ils croient à la « thèse » selon laquelle les Jésuites auraient participé, aux côtés des francs-maçons, à la chute de l’Ancien Régime, à la subversion des valeurs traditionnelles, soit à un vaste « complot » contre l’Eglise catholique.

Un ordre religieux dynamique

Si la Compagnie de Jésus ne fait pas l’unanimité au sein de ce que Jean-Robert Pitte, dans un passionnant essai de « géographie culturelle » (Tallandier, 2020), appelle « la planète catholique », elle n’en demeure pas moins un ordre particulièrement dynamique, dont le rayonnement intellectuel n’est pas, loin de là, une vue de l’esprit. Pour mieux la connaître, on peut évidemment lire Etudes, sa « revue de culture contemporaine », fondée en 1856 par certains de ses « Pères jésuites ». On peut aussi lire deux autres publications phares : la spirituelle Christus ou la plus temporelle revue Projet, qui s’est récemment dotée d’une pédagogique chaîne YouTube, sur laquelle – entre autres – l’économiste (et prêtre) Gaël Giraud aborde avec clarté des sujets tels que « le projet Hercule » ou la notion d’ « argent magique » chez Emmanuel Macron. Les angles d’attaque et les idées que l’on y croise reflètent l’originalité de la pensée jésuite, qui n’est pas qu’une casuistique améliorée, ce à quoi on l’a réduite de façon caricaturale. Et cela permet aussi de comprendre en quoi, pour d’aucuns, elle n’est peut-être pas toujours « très catholique »

Mais pour mieux approcher cette Compagnie, sa logique et, surtout, son intérêt, qui est grand, le mieux est peut-être de lire Les Amants de Jésus (le cherche-midi, 2021).

L’auteur, en effet, connaît manifestement très bien la Compagnie.

Un roman sur la Compagnie et la France des quarante dernières années

Ceci étant dit, ce n’est pas seulement pour cela qu’il faut lire ce premier roman de l’inconnu que demeure pour l’instant Paul Auer. Les Amants de Jésus se lit d’une traite. C’est en effet volontiers que l’on suit les vicissitudes du héros, un jeune homo féru de mathématiques, issu de cette « bourgeoisie d’origine rurale adhérant à un certain ordre social », dont les représentants vont à la messe, obéissent à « une Eglise dont ils [n’écoutent] pas les sermons, redoutant seulement que le rituel devienne un jour l’occasion d’une vraie prière, partagée et sincère », invoquent « un Dieu dont ils [espèrent] secrètement qu’Il [restera] à jamais muet, comme Il [l’a été] jusqu’à ce jour dans leur vie ». Et qui fait le choix, à la fois délirant et grandiose, d’entrer dans l’ordre pour, à terme – dix ans…-, devenir l’un de ces jésuites qu’il admire, non sans raisons.

Contre toute attente, Paul Auer sait nous tenir en haleine. Peut-être parce qu’il sait écrire, et que son style, à la fois d’un très grand classicisme et résolument moderne, est un plaisir pour les yeux. Peut-être, aussi, parce que Paul Auer ne nous parle pas seulement de la Compagnie de Jésus ou de cette archipelisation théorisée par Jérôme Fourquet et à laquelle l’Eglise catholique n’échappe pas, mais aussi de notre époque ou, du moins, des multiples mutations de la société française des quarante dernières années.

Et qu’il le fait sans crier au déclin, sans nous répéter ad nauseam que « c’était mieux avant », qu’il faut « liquider l’héritage de Vatican II et Mai 68 », que «  ce qu’il faudrait, c’est une bonne guerre ». En racontant, à sa manière, une histoire. Une histoire ni belle ni laide. Que le lecteur, s’il est honnête, se trouvera sans doute surpris, une fois le livre refermé, d’avoir vécue comme si elle avait été la sienne.

Les Amants de Jésus de Paul Auer (Le Cherche-Midi)

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Le Kremlin, pavillon des cancéreux?

Poutine est-il mourant? De nouvelles révélations ont été publiées hier…


Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février, l’état de santé de Vladimir Poutine, 69 ans, fait l’objet de nombreuses spéculations dans la presse occidentale, auxquelles le démenti formel du Secrétaire de presse de président russe Dmitri Peskov fin mars n’a pas mis fin. Boris Karpichkov, un transfuge du KGB en Grande-Bretagne a ainsi déclaré au Sun que son ancien collègue souffre de la maladie de Parkinson ainsi que de « nombreuses » autres maladies, dont la démence.

Selon la chaîne Telegram « Général SVR », prétendument dirigée par un ancien officier des services de renseignements extérieurs russes, Poutine devrait être opéré d’une forme non spécifiée de cancer de façon imminente et, pendant qu’il passerait sur le billard, il serait remplacé par Nikolaï Patrouchev, le secrétaire du Conseil de sécurité de Russie.

La raison principale expliquant ces multiples spéculations est évidente : Poutine a mauvaise mine. Son isolement bizarre et maniaque mille fois commenté et moqué pendant la pandémie de Covid-19, et ses rencontres avec des visiteurs étrangers autour de tables improbables ont aussi jeté de l’huile sur le feu des rumeurs…

Un témoignage inédit d’un oligarque

New Lines Magazine, un nouveau média américain fondé en 2020 qui jouit déjà d’une solide réputation, notamment grâce à sa couverture de la guerre en Ukraine, vient de publier une enquête qui apporte des éléments inédits au débat sur la santé de Poutine. Il s’agit notamment d’un enregistrement audio d’un oligarque russe proche du Kremlin qui décrit Poutine comme étant « sérieusement malade d’un cancer du sang » [1]. Les journalistes de New Lines n’étaient bien entendu pas en mesure de confirmer cette information de manière indépendante, mais ce document sonore de 11 minutes représente un témoignage rare d’une personne ayant des liens avérés avec le gouvernement russe, et, détail important, l’oligarque ne savait pas qu’il était enregistré.

C’est un homme d’affaire occidental spécialisé dans le domaine des investissements à risque qui a enregistré mi-mars la conversation, à l’insu de son interlocuteur. La source reconnait avoir trahi la confiance de son interlocuteur par dégoût de la guerre en Ukraine, sentiment  partagé de toute évidence par l’oligarque. Selon ce dernier, Poutine aurait « absolument ruiné l’économie de la Russie, l’économie de l’Ukraine et de nombreuses autres économies », et, poursuit-il dans l’enregistrement, « le problème [serait] dans sa tête. Seul un fou peut mettre ainsi le monde sens dessus dessous. » New Lines a pu authentifier l’identité et la voix de l’oligarque. Selon le magazine, il se trouve actuellement hors de Russie et figurait en 2021 parmi les 200 hommes les plus riches selon la déclinaison russe du magazine Forbes.

Pendant la conversation enregistrée en mars, l’oligarque affirmerait que « nous espérons tous » que Poutine mourra de son cancer ou bien d’une « intervention » interne, comme un coup d’État, pour épargner à la Russie de nouveaux malheurs. Contacté par New Lines, un ancien haut responsable européen dans le domaine de la sécurité décrit la source comme appartenant à un « cercle étroit de 20 à 30 personnes » que Poutine aurait rencontré en 2014 avant la prise de la Crimée pour « expliquer les motivations de ses actions militaires, et pourquoi c’était la seule option devant lui ». Un autre associé de l’oligarque interrogé par le magazine a ajouté qu’il est toujours bien au fait des rouages de l’administration présidentielle russe.

Un mémo révélant l’embarras du pouvoir

Mais ce n’est pas tout. Le 13 mars, un mémo classé top secret a été envoyé du quartier général du FSB (l’agence russe de sécurité intérieure) à tous les directeurs régionaux. Christo Grozev, le chef des enquêtes du site Bellingcat a confirmé à New Lines magazine que « le document ordonnait aux chefs régionaux de ne pas se fier aux rumeurs concernant l’état de santé du président ». « Les directeurs, ajoute Grozev, ont en outre reçu l’ordre d’empêcher la propagation de ces rumeurs au sein de leurs unités. Cette instruction, sans précédent, a eu l’effet inverse… » Comme au temps de l’URSS, tant que l’État n’affirme pas haut et fort qu’il s’agit d’un mensonge malveillant, rien n’est certain…

Le timing du mémo émis par le FSB est lui aussi intéressant en soi : moins d’un mois avant que Proekt, un média d’investigation russe indépendant, ne publie un exposé montrant que Poutine voyageait régulièrement en Russie en compagnie de médecins spécialistes (chirurgiens de la tête et du cou, traumatologue orthopédique et neurochirurgien spécialisé dans la chirurgie de la thyroïde et du cancer de la thyroïde chez les patients âgés). Le media russe ajoutait que Poutine aurait également adopté des remèdes homéopathiques et des remèdes populaires non scientifiques, tels que les bains remplis de sang de cerf – un détail qui a sans surprise attiré l’attention de nombreux médias occidentaux !

L’oligarque mentionne également dans l’enregistrement des problèmes de dos de Poutine, et suggère qu’ils seraient liés à un cancer du sang. Poutine aurait subi une opération du dos en octobre 2021, une information qu’il n’est pas possible de vérifier.

Interrogée par New Lines, une professeur d’endocrinologie à l’Université d’Oxford déclare que « Poutine a toujours été un homme très en forme, mais qu’au cours des deux dernières années, il semble avoir gonflé au niveau du visage et du cou. » Selon elle, un « phénomène compatible avec l’utilisation de stéroïdes. » Les stéroïdes sont généralement prescrits pour divers types de lymphomes ou de myélome (un cancer des cellules plasmatiques, qui « peut provoquer une maladie osseuse généralisée et affecter définitivement la colonne vertébrale et le dos », selon le professeur). Si le lymphome est généralement un type de cancer du sang plus agressif nécessitant une chimiothérapie lourde qui entraîne la perte des cheveux (ce que Poutine n’a jamais connu), en revanche, le myélome, même dans ses formes les plus agressives, ne nécessite plus nécessairement de chimiothérapie. Il peut souvent être traité entres autres avec des stéroïdes mais peut toutefois entraîner des fractures de compression de la colonne vertébrale.

Quant aux stéroïdes, ils sont connus pour avoir deux effets secondaires courants. Le premier est le risque élevé d’infections, car ils affaiblissement le système immunitaire du malade. Toute personne prenant de fortes doses de stéroïdes aura par exemple beaucoup plus de facilité à contracter le Covid-19, ce qui pourrait expliquer l’extrême prudence de Poutine. Le deuxième effet secondaire ? Un comportement profondément irrationnel ou paranoïaque…


[1] https://newlinesmag.com/reportage/is-putin-sick-or-are-we-meant-to-think-he-is/

Eric Zemmour n’est plus en odeur de diablerie!

Bien que Philippe Bilger ait soutenu Valérie Pécresse lors de l’élection présidentielle, il rend hommage aux indéniables qualités du journaliste, de ses qualités d’analyste à son talent de rhéteur, tout en regrettant sa brutalité dans l’expression. Eric Zemmour est entré dans une forme de normalité politique, selon notre chroniqueur, à lui de se réinventer pour pallier cette relative absence de soufre qui a fait son succès…


Eric Zemmour a fait peur à beaucoup avant le premier tour de l’élection présidentielle et il a eu aussi des admirateurs, des inconditionnels et un public fervent. Rétrospectivement on a eu, comme souvent, les lucides d’après l’action qui ont affirmé qu’ils avaient prévu son piètre résultat. Il était inévitable, paraît-il.

Pour ce qui me concerne, je n’ai jamais varié sur une double conviction. Même si une partie de sa campagne a été brillante, je continue à penser qu’il aurait dû rester l’analyste politique et la bête médiatique qui ont fait l’extraordinaire succès de CNews. Par ailleurs j’ai toujours dit que malgré nos liens amicaux je ne voterais pas pour lui. Il ne suffit pas d’avoir du talent, il fallait aussi savoir proposer aux Français un projet plausible alors que le sien, à cause de son extrémisme, n’était pas opératoire. Le programme de Valérie Pécresse était le bon mais elle péchait par là où Eric Zemmour s’illustrait.

Il est des nôtres, il a bu son verre comme les autres…

Je n’en suis que plus à l’aise aujourd’hui pour dénoncer l’étrange climat dans lequel baignent les informations sur Eric Zemmour. Une sorte de soulagement d’après la bataille. Comme s’il s’était banalisé. D’abord parce que, contrairement à ce qu’imaginaient certains, il a continué son chemin partisan avec Reconquête! Et il va se présenter, sans trop d’espoir d’ailleurs, dans la circonscription de Saint-Tropez. Sa trajectoire prend des couleurs plus acceptables, moins sulfureuses. D’une certaine manière on les entend murmurer : « Il est redevenu des nôtres » !

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Avec quelle trouble satisfaction a-t-on accueilli, par rapport à l’intérêt de sa propre cause, sa demande d’alliance, avec un RN qui l’avait pourtant laissé loin derrière lui, sa violence verbale et humiliante à l’encontre de Marine Le Pen et du RN puis sa déconfiture, enfin son extrême maladresse pour réclamer une union pour les législatives, comme si elle allait de soi, en usant d’un ton qui laissait penser qu’il avait des droits alors que tout au plus il avait des obligations et sans doute, s’il en avait été capable, des excuses à formuler.

Mais, pour le meilleur comme pour le pire, cela n’a jamais été le genre d’Eric Zemmour. Toutes ses erreurs et ses humeurs ont rassuré ses adversaires : il n’était pas différent des autres.

Une aura qui s’évapore?

Après son rêve effondré, auquel il croyait pourtant, on l’a découvert déçu, désarmé, hésitant. Il est trop bon commentateur politique pour se faire des illusions et fantasmer sur un futur qui lui offrirait une merveilleuse compensation au regard d’un présent déprimant. Il sent, il sait que pendant quelque temps au moins il va retomber sur le plancher des vaches et redevenir ordinaire.

C’est ce que je veux signifier par mon titre. Comme d’autres gagnent avec une odeur de sainteté, lui a séduit avec son odeur de diablerie, qu’il cultivait avec un soin tout particulier. Il n’ignorait pas en effet que c’était son originalité et sa chance dans un monde si bienséant. Il était persuadé de la justesse de son extrémisme global et de ses provocations que son art du verbe rendait efficaces et redoutables.

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Cette odeur de diablerie l’a quitté, elle est derrière lui, il doit dorénavant composer avec un personnage qu’il a peu fréquenté : le Eric Zemmour de tous les jours, moins dans la lumière médiatique et politique que dans l’intendance obscure et nécessaire d’une « reconquête » à faire fonctionner et durer.

Puis-je avouer que je n’aime pas trop cette débandade, ce mouvement centrifuge qui conduit des soutiens d’hier à revenir au RN et à brûler ce qu’ils avaient adoré chez Eric Zemmour ! C’est la vie, c’est la politique mais pour être fréquent – on en connaît des exemples plus fameux et plus honteux – ce genre de désertion n’est pas plus acceptable. Cette impression de terre brûlée, de ravissement républicain – quand on voit l’attelage Nupes ! – suscite chez moi un malaise. Comme Eric Zemmour leur a fait peur ! Au point qu’ils oublient ce qu’il avait d’unique.

Cultiver sa singularité…

Alors que sur le plan judiciaire il a connu une victoire justifiée en première instance et en appel pour ses déclarations sur le Maréchal Pétain – malgré un Parquet plus soucieux de démagogie que de liberté d’expression – il est bizarrement attaqué : « Bolloré et Zemmour ont perdu dans les urnes mais gagné sur le terrain médiatique« . En effet, il paraît, pour Alexis Lévrier, historien des médias, que « dès la fin de l’été 2021, chaînes de télé et radios ont donné un écho disproportionné aux moindres faits et gestes d’Eric Zemmour ». J’admets le terme « écho » mais pourquoi disproportionné ? Lors de la promotion de son dernier livre et durant une moitié de la campagne présidentielle, Eric Zemmour a fait passer dans l’espace public, avec vigueur et presque crudité dans l’expression de la vérité et d’un constat alarmiste que personne n’osait faire aussi brutalement, un message sur la France, sa survie, son identité, l’immigration et les cités échappant à la République.

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Même si le tableau était partagé par beaucoup, il n’avait pas forcément raison avec sa globalité sans nuance mais l’essentiel n’était pas là : avant que le pouvoir d’achat prenne la relève, Eric Zemmour a été repris, magnifié ou décrié pour ce qu’il disait. Contre le ronron traditionnel et le verbe politique jamais clair, il avait imposé son ton, sa parole, il avait disait-on ringardisé tous les autres politiciens de droite comme de gauche. La normalité n’était pas son fort. Cela a été la principale raison de son triomphe d’un temps.

Reste à souhaiter pour lui que même sans odeur de diablerie il sache continuer à nous surprendre en inventant, en s’inventant. Il trouvera.

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Un conflit en roue libre

La guerre en Ukraine est sur une mauvaise pente. En cause, l’emballement des Occidentaux submergés par leur émotion. En multipliant les livraisons d’armes lourdes, en délaissant la diplomatie et en rêvant de la défaite de la Russie, ils accumulent dangereusement les erreurs stratégiques…


« Mal réfléchi », ainsi Jean-Pierre Chevènement qualifiait-il les fausses bonnes idées. La guerre en Ukraine en est une, qui a mis Poutine et la Russie dans un sale pétrin. Pas une raison pour pérorer de notre côté. Avec un peu plus de considération pour les intérêts des Russes, une attitude un peu plus raisonnable des Américains et un réel engagement en faveur des efforts franco-allemands il y a sept ans, nous n’en serions pas là.

Avoir commis des erreurs ces dernières années ne constitue pas un blanc-seing pour continuer à en faire. Or c’est ce que nous faisons. La guerre dans le Donbass était régionale. Avec l’invasion de l’Ukraine, la Russie en a fait un conflit Est-Ouest. Nos sanctions et nos livraisons d’armes massives en font une guerre totale (militaire, monétaire, économique) et mondiale, puisque les puissances extérieures à la zone, asiatiques ou du Golfe par exemple, sont contraintes de se positionner par rapport à nos sanctions.

À l’arrivée, nous avons sur les bras une guerre chaude avec une puissance nucléaire et une guerre froide impactant le monde entier. Et la surenchère n’en finit pas. Où allons-nous ? Où voulons-nous aller ? Le savons-nous nous-mêmes ? Je crains fort que la réponse soit négative.

Belligérants à l’insu de leur plein gré

Nos compétents experts en droit international affirment que les livraisons d’armes ne font pas de nous des cobelligérants. Vision rassurante mais purement théorique. On pense forcément l’inverse à Moscou en constatant que l’armée russe est frappée quotidiennement par les armes américaines et européennes. Le chef de la CIA a raison de s’inquiéter du risque croissant d’une frappe nucléaire tactique. En France, Maurice Gourdault-Montagne (MGM, pour les intimes), diplomate sérieux, raisonnable, expérimenté, a tiré des sonnettes d’alarme dans les médias le mois dernier. Sur Europe 1, appelant à la prudence, il a conclu la liste des livraisons d’armes effectuées par un cri du cœur angoissé : « Et quoi, encore ? » Pauvre Maurice…

Depuis son appel à la raison, les livraisons se sont emballées. Après les armes légères, les missiles de toute nature, les véhicules blindés, voici venu le temps des chars, hélicoptères et des avions de chasse. Les quantités livrées sont astronomiques. Au point que les journaux américains s’inquiètent de la rapide diminution des stocks de missiles et autres armes de guerre au sein de l’armée (Bloomberg, 14 avril 2022). Les Ukrainiens en font une consommation massive sur le terrain et les usines de production de missiles n’arrivent pas à suivre la cadence. Du côté des Européens, la situation est pire puisque les stocks sont plus limités, notamment en ce qui concerne les armements d’origine russe que sait manier l’armée ukrainienne. Nous avons probablement tout donné ce que nous pouvions raisonnablement céder aux Ukrainiens.

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L’inflation rhétorique est également galopante. Aux États-Unis, les références à la Seconde Guerre mondiale émergent. Les livraisons d’armes d’aujourd’hui sont comparées à celles faites par les États-Unis au Royaume-Uni en 1941 et 1942. (Les deux situations n’ont absolument rien à voir, mais on s’en moque.) Les généraux à la retraite commencent à évoquer sur les plateaux l’hypothèse de l’envoi de troupes US en Ukraine, chose impensable il y a trois mois. « Et quoi, encore ? »

En ce qui concerne les sanctions, l’emballement est le même. Nous en sommes au sixième ou septième train de sanctions. Au début du mois d’avril, nous avons même inventé une nouvelle raison d’en coller à la Russie. Il a suffi que l’on nous montre des cadavres de civils dans les rues d’une ville évacuée par l’armée russe pour enclencher un nouveau tour d’écrou. Un atroce massacre, comme on en voit hélas dans toutes les guerres, surtout quand elles sont menées par des armées qui ne sont pas connues pour faire dans la dentelle. Ces nouvelles sanctions étaient-elles liées à un nouvel objectif stratégique, un changement de la situation militaire ? Non, elles visaient simplement à répondre à notre émotion télévisuelle. Si, demain, on nous montre des populations russophones de l’Est gisant dans les rues d’une bourgade du Donbass, lèvera-t-on ces mêmes sanctions, selon le principe « un partout, balle au centre » ? Tout cela n’a aucun sens.

Nous ferions mieux de nous poser des questions plus fondamentales. Voulons-nous arrêter cette guerre ? Si oui, par quels moyens ? Les Américains, eux, rêvent d’une défaite humiliante pour les Russes. Toute leur action va dans ce sens. Sommes-nous sur la même ligne ? Quels sont nos objectifs stratégiques, au-delà de la bébête défense du camp du bien contre celui du mal ? Nos sanctions et livraisons d’armes contribuent-elles à nos objectifs ? Quelle est notre vision à long terme de notre relation avec la Russie dans les vingt années à venir ? À ces questions, je ne vois aucune réponse claire, réfléchie et courageusement énoncée. J’espère que mes anciens collègues se les posent et pondent des notes sur le sujet, même si personne ne les lit en haut lieu.

Comme Maurice Gourdault-Montagne, je suis un diplomate professionnel rangé des beaux salons et des couloirs tristes du Quai d’Orsay. J’ai gardé les principes de base du métier : tourner le sujet dans tous les sens et réfléchir à toutes les conséquences possibles d’une décision avant de la prendre. Je ne suis pas certain que cette règle de base s’applique dans le cas présent.

Les images et leur vacarme imposent la décision

Les interventions vidéo du président ukrainien ont probablement plus d’influence sur nos livraisons d’armes que les analyses de la direction des Affaires stratégiques ou du renseignement militaire du ministère de la Défense. Il suffit que le président ukrainien, en « battle dress » devant des sacs de sable, apparaisse sur les écrans, critique publiquement un dirigeant coupable de ne pas livrer assez d’armes (ce fut le tour de notre président la semaine dernière), prononce le mot de génocide et c’est gagné. L’émotion se propage d’une capitale à l’autre. Dans les quarante-huit heures, les capitales européennes annoncent un nouveau lot d’armes livrées à l’Ukraine. Bien joué, l’artiste.

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Volodymyr Zelensky joue bien son rôle et confirme une chose : il faut désormais être un bon comédien pour faire un président efficace. Cet acteur de télévision sait bien mieux que l’ours mal léché de Poutine comment fonctionne la société du spectacle en Occident.

La France dans la nasse

Tout membre permanent du Conseil de sécurité et puissance nucléaire qu’elle soit, la France n’a plus les clés de sa politique étrangère. Ayant décidé de la communautariser au sein de l’UE, la France ne décide plus seule. Elle doit prendre en compte l’opinion de ses partenaires – et s’en enorgueillit. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que nos partenaires ne brillent pas par la subtilité, la profondeur et le caractère raisonnable de leur réflexion.

À ma droite, les États membres de l’UE qui réagissent avant toute autre chose à l’émotion et adoptent des postures morales. Normal. Pour plus de 20 d’entre eux, ils ont délégué les questions diplomatiques et militaires aux États-Unis et à l’OTAN depuis des décennies. Ils n’ont quasiment pas d’armée et leur diplomatie se résume à un alignement sur les positions de Washington, la défense des droits de l’homme et des LGBT (NDR : je ne caricature pas, demandez aux diplomates français en poste à travers le monde). La diplomatie européenne est le fidèle reflet de cette majorité.

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À ma gauche, les États-Unis, dirigés non par un président sénile, mais par de hauts fonctionnaires qui, génération après génération, veulent gagner la guerre des gentils contre les méchants. Il faut aujourd’hui abattre Poutine et mettre à genou la Russie, comme, il y a vingt ans, leurs prédécesseurs ont abattu Saddam Hussein et mis l’Irak à genou ou, il y a vingt-cinq ans, Milosevic et la Serbie. La même mécanique est à l’œuvre, sans retour en arrière possible. Et tant pis pour la casse occasionnée. Les débris n’atteindront pas le territoire américain. Enfin, au-dessus de cette agora, le brouhaha ininterrompu des médias qui amplifient le son dominant et exigent une réponse immédiate, binaire de préférence, aux images chocs.

La France, arrimée au « camp occidental » et membre plein de l’OTAN est prise dans la nasse. Dominique de Villepin qui, au Conseil de sécurité, refuse l’agrément des Nations unies à l’intervention américaine en Irak est le dernier grand exemple de cette souveraineté diplomatique (je me permets un gros mot). La France décidait alors par elle-même, en fonction d’analyses propres et tenait bon quand elle estimait avoir raison. C’était le monde d’avant, forcément moins bien. Aujourd’hui, nous avons bien mieux : « l’Europe puissance » dont la presse nationale célèbre la naissance en Ukraine. Elle marche, la tête haute, aux côtés des faucons américains. (Enfin, plutôt derrière.) Villepin peut aller se rhabiller, tout comme son ancien directeur adjoint de cabinet, un certain Maurice Gourdault-Montagne.

Les 12 travaux de l’Hercule Gaulois

Emmanuel Berl, Pif, Hercule et La France irréelle


Fini les frissons de la descente présidentielle, angoisses de chute sur une piste rouge ou noire.  Pour les législatives, l’heure est au slalom, combiné, chaises musicales et chant des courtisans. Les appareils se partagent les circonscriptions, maroquins, Villa Médicis, Observatoire de l’alimentation, Haute autorité pour la refondation de la simplification de la modernisation. Au pays des merveilles d’une Marianne Lotophage, démagogie et verbiage à tous les étages.

« La politique française me semble évoluer moins comme une histoire que comme une névrose. Son trait dominant, à mon estime, c’est l’affaiblissement progressif du sens du réel qu’elle manifeste, depuis quinze ans. Politique schizophrène (…) Les politiques français peuvent ne pas se soucier du fait, parce qu’au départ, ils ne s’attendaient pas trop à ce qu’il confirmât leurs idées. Les erreurs les plus flagrantes les disqualifient rarement, aux yeux des autres et aux leurs propres, pourvu qu’ils résistent à la tentation de les avouer. Aussi, quand la France rêve, il faut de bien grands malheurs pour la réveiller » (La France irréelle). Publié en 1957, l’essai d’Emmanuel Berl n’a pas pris une ride.

Voyage au bout de la Nupes

Après le Bloc des gauches, le Cartel des gauches, le Front populaire, l’Union de la gauche, la Nupes: Nouvelle Utopie Pour Electeurs Siphonnés. Après le PC et le PS, Jean-Luc Castro prend la tête d’une improbable cordée gaucho-écolo-sociale-démocrate. Ray L’aventura et sa bande de collégiens, moutons bio de Panurge, rebelles retraités de l’éducation nationale, se font des films, nous promettent des jours tout bleus comme nos veines, des nuits rouges comme nos rêves, des heures incandescentes et des minutes blanches…

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Fais comme l’oiseau ; Une belle histoire ; On ira où tu voudras quand tu voudras… Impôt sur les os, Zig ZAD et une faillite vénézuélienne garantie en deux mois. Le hachis Parmentier est réchauffé depuis un an, un siècle, une éternité : VI ème république pour une bifurcation écologique et solidaire, école globale pour l’égalité et l’émancipation, blocage des prix des produits de première nécessité, allocation d’autonomie jeunesse, garantie dignité… Rien sur la coulrophobie et les allergies au gluten ? Le timonier trotskiste déguisé en Géant Vert défend « un impératif de justice écologique, à travers une démarche de planification, pilotée par de nouveaux indicateurs de progrès humain ainsi que la règle verte ». A l’international, le sublime est plus vendeur que Poutine: « Être prêts à ne pas respecter certaines règles (européennes) dans le respect de l’État de droit… Entamer des coopérations altermondialistes pour agir pour un monde qui respecte les droits humains, la démocratie et la lutte contre le dérèglement climatique ». C’est quand qu’on va où ? Contre Pif Mélenchon, Hercule Macron reste droit ses bottes de sept lieux. Glop, glop, pas glop…

Le phénix des hôtes de ces bois

Après En Marche, avant La Résurrection d’Edouard Philippe en 2027, La Réincarnation de Gabriel Attal en 2032, nous enquillons, Ensemble, cinq ans de Renaissance… « Un président nouveau pour un mandat nouveau… une action résolue pour la France et pour l’Europe… un projet clair face aux sirènes d’idéologies et démagogies faciles… », McKinsey &Company, la Metaverse Nation, le Secret de la Licorne et 21 coups de canon tirés des Invalides. 21 comme l’ordre minimal de la quadrature parfaite du carré et les atouts au Tarot. L’Hercule Gaulois a beaucoup de pain sur la tranche.

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(1) Étouffer le lion de Némée(lenchon) à la peau impénétrable (2) Tuer l’hydre populiste (3) Capturer la biche d’Hénin Beaumont (4) Ramener vivant le sanglier des Horizons havrais (5) Nettoyer les écuries d’Augias et les comptes publics (6) Tuer les oiseaux de malheur aux plumes venimeuses (7) Dompter le taureau de la Reconquête (8) Capturer les juments mangeuses d’hommes (9) Rapporter à Birgitta – femme de César et reine des Amazones – la ceinture d’Hippolyte (10) Vaincre le géant Géryon tergeminus (11) Faire pousser des pommes d’or dans les jardins de l’Elysée (12) Descendre aux Enfers et enchaîner Poutine le Cerbère. Hac lupi hac canes. Hercule a mis dix ans. Cinq ans de perdu : il reste un mandat au président, quoi qu’il en doute…

« Et même si c’est pas vrai… »

Les vrais enjeux, périls qui obèrent l’avenir du pays (faillite de l’éducation nationale, crétinisation digitale, écroulement culturel, désindustrialisation, endettement), sont ignorés des programmes et débats électoraux, parasités par des tartufferies corporatistes, un « pourtousisme » démago. Berl est lucide : « L’imposture, ici encore, prend un caractère quasi institutionnel. (…) On fausse les indices, les comptes, les prix, les changes, mais tout le monde le sait. L’imposture triomphante n’a plus pour objet de faire illusion, mais de respecter un certain code de convenances, qui d’ailleurs n’est formulé nulle part (…) Tantôt on insinue qu’on n’aura pas à payer le prix de ce qu’on achète : ‘Cela ne coûtera rien, ce sera payé par l’étranger, par les riches, par des divinités mystérieuses tels que le Crédit ou l’Expansion’. Et tantôt, le plus souvent, on déclare : ‘C’est nécessaire. L’honneur national, la grandeur française, la justice sociale, la solidarité humaine l’exigent. Nous le ferons coûte que coûte’, ce qui, à la vérité, n’a pas de sens et évite d’avouer, de calculer même, le prix réel qu’en fin de compte paiera le peuple ».

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Les gesticulations de faux monnayeurs, coups de gueule de Tartarin, Deux corps du Roi Dagobert, n’abusent personne. Pour sauver la Comédie Française : ne changeons rien pour que tout reste comme avant. « Au théâtre ce soir », les décors sont de Roger Harth de Gaulle, les costumes sont de Donald Cardwell Mitterrand : Le Vison à cinq pattes, Interdit au public, Les affaires sont les affaires, La Facture… « Et même si c’est pas vrai, même si je mens / Si les mots sont usés, légers comme du vent / Et même si notre histoire se termine au matin / J’te promets un moment de fièvre et de douceur / Pas toute la nuit mais quelques heures… ».

Johnny Mélenchon – et en même temps – Emmanuel Hallyday.

Canada: Du privilège blanc au privilège amérindien

Au Canada, l’idéologie décoloniale est en passe de couper la société en deux. Les avantages dont jouissent les descendants d’Amérindiens sont tels – de l’école au travail en passant par la prison – qu’une police généalogique est chargée de débusquer fraudeurs et autres faux autochtones !


Une police généalogique est née

Il existe des pays occidentaux tellement racistes qu’il vaut tout de même mieux ne pas y être trop blanc – question d’image. Laboratoire de toutes les expériences bien-pensantes, faut-il se surprendre que le Canada soit aussi à l’avant-garde d’un courant décolonial nord-américain qui vise moins à créer une société plus égalitaire qu’à désoccidentaliser le continent ? Quarante ans après avoir inscrit le multiculturalisme dans sa Constitution, le pays de l’érable a troqué la méritocratie pour la « racialocratie », un régime où vos origines comptent autant sinon plus que votre curriculum vitae. En France, les « wokes » veulent « décoloniser » la métropole, mais en Amérique, ils veulent « décoloniser » la colonie, ce qui se traduit par la culpabilisation des citoyens d’origine européenne, vus comme de véritables intrus. En 1492, l’Occident n’est-il pas venu souiller ce paradis perdu habité par un bon sauvage écologiste et pacifique ? En Amérique, les immigrés, ce sont les descendants des Européens !

Autodafés wokes

Il ne s’agit pas de condamner le projet de revalorisation des Amérindiens qui entend légitimement réparer le traumatisme de la Conquête. Au Canada, nombreux sont les membres des Premières Nations qui vivent dans la pauvreté et souffrent des séquelles psychologiques engendrées par le déracinement culturel. Les programmes sociaux sont donc les bienvenus pour tenter de guérir les blessures qui peuvent l’être. En revanche, l’idéologie décoloniale portée par la gauche indigéniste s’appuie sur une lecture dogmatique et manichéenne du monde, ce qui donne lieu à de nombreux abus. Une politique revancharde et rancunière envers les « Blancs » est née sous le règne d’un Justin Trudeau qui se targue pourtant de montrer l’exemple en matière de tolérance.

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La nouvelle a rapidement fait le tour du monde : le 7 septembre 2021, 5 000 livres ont été brûlés ou pilonnés par un conseil scolaire de l’Ontario représentant 23 écoles primaires et sept écoles secondaires. La raison invoquée pour procéder à cet autodafé woke : les ouvrages contenaient des stéréotypes et des représentations racistes envers les Premières Nations. Les cendres d’ouvrages d’historiens reconnus, de même que celles de numéros de Tintin, d’Astérix et de Lucky Luke, servirent même d’engrais à un « arbre de la réconciliation » planté à l’occasion d’un rituel néochamanique. Par la suite, des écoliers ont été conviés à visionner la cérémonie de « purification par la flamme ». Le très subtil message lancé aux élèves : les Français et les Anglais qui ont fondé le Canada étaient racistes, et leurs descendants portent encore en eux une vision suprémaciste du monde.

La face cachée du multiculturalisme

Alors qu’il visait officiellement à promouvoir des différences appelées à se mélanger, le multiculturalisme canadien a redessiné des frontières hermétiques entre les groupes. Il maintient artificiellement les communautés dans leurs bulles respectives, comme autant de groupes à protéger de la contamination réciproque. Combiné au projet de réconciliation avec les Autochtones promu par Ottawa, le multiculturalisme justifie même la mise en place de politiques de pureté raciale, mais dans le sens opposé que leur a donné l’histoire. Au Canada, cela fait déjà plusieurs années que des postes sont attribués sur la base de critères raciaux en vertu des programmes de discrimination positive. Mais la mise sur pied d’une police généalogique est beaucoup plus récente.

Aujourd’hui, il n’est plus rare que des historiens mandatés par des organismes publics ou par des journalistes inspectent l’arbre généalogique de gens soupçonnés d’avoir falsifié ou « embelli » leurs origines. Il faut bien s’assurer que les ancêtres de ces individus justifient leurs fonctions. Le paradoxe est monumental : d’un côté, le Canada est accusé de véhiculer un grave « racisme systémique », mais de l’autre, des citoyens ont un avantage à appartenir à une minorité culturelle ou sexuelle, et en particulier à se dire membre d’une tribu autochtone. Si vous pouvez à la fois vous déclarer Amérindien et membre de la communauté LGBT, c’est le gros lot !

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Signe d’un pays où le teint pâle n’est plus très à la mode, les Canadiens sont de plus en plus nombreux à s’inventer des origines extra-européennes pour faire mousser leur carrière, mais aussi à être démasqués dans les médias. La première affaire de faux Autochtone remonte à novembre 2019, lorsque la presse a découvert que la toute première élue amérindienne de la ville de Montréal, Marie-Josée Parent, n’était aucunement autochtone.

Mme Parent avait été chargée du prestigieux dossier de la réconciliation par la très progressiste « mairesse » Valérie Plante, l’équivalent québécois d’Anne Hidalgo. Le Canada gagnait ainsi son Elizabeth Warren, cette sénatrice démocrate américaine, blonde aux yeux bleus, qui s’est présentée toute sa carrière comme une descendante de la tribu Cherokee. En 2019, pour en finir avec les railleries du candidat Donald Trump qui la surnommait Pocahontas, Mme Warren prit l’initiative de prouver scientifiquement ses origines. Les résultats des tests génétiques indiquèrent une origine amérindienne de 1/64 dans une ascendance remontant à six générations et de 1/1024 sur dix générations. Une part ridicule de sang indien, mais jugée suffisante pour se réclamer de l’univers précolombien. Rattrapée par le karma, Mme Warren choqua la tribu Cherokee, à qui elle dut présenter des excuses pour avoir réduit l’appartenance à ce groupe à une affaire purement raciale. Concernant son héritière spirituelle, Marie-Josée Parent, ce sont deux historiens approchés par la télévision d’État qui sont remontés jusqu’au xviie siècle pour s’apercevoir de l’absence d’ancêtre autochtone dans ses ancêtres. « Nos identités à moi et ma sœur vont au-delà d’un arbre généalogique », déclara-t-elle à Radio-Canada pour se défendre. Elle assure encore aujourd’hui se sentir autochtone.

Fraudes à l’identité

L’affaire Marie-Josée Parent en annonçait plusieurs autres du genre. Les histoires de faux Autochtones se sont effectivement multipliées ces dernières années. L’une des plus récentes concerne la directrice scientifique de l’Institut de la santé des Autochtones du Canada, Carrie Bourassa, qui a été suspendue de ses fonctions pour une durée indéterminée. Mme Bourassa se présentait comme issue des peuples métisse, anichinabée et tlingit, alors que des chercheurs ont dévoilé que coulait dans ses veines du très raciste sang européen.

Ironie du sort, Suzy Kies, l’une des principales responsables de l’autodafé woke, a elle aussi vu ses origines remises en question. Alors que la polémique sur la crémation des livres battait son plein, Radio-Canada a révélé que cette « gardienne du savoir autochtone » – comme elle se désigne pompeusement – ne pouvait être considérée comme une Amérindienne en vertu de plusieurs critères officiels. Mme Kies a démissionné de son poste de coprésidente de la Commission des peuples autochtones du Parti libéral que dirige Justin Trudeau.

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« Les universités cherchent à lutter contre la fraude à l’identité autochtone après une série de cas récents », titrait le 16 février dernier le magazine Affaires universitaires. Cependant, ces imposteurs ne sévissent pas seulement dans les institutions publiques et les universités, où de nombreux postes de chercheurs et professeurs sont strictement réservés à de « purs » Autochtones. Depuis quelques années, ces faux Indiens, mais vrais opportunistes, sont aussi légion dans les prisons. Les détenus ont la possibilité de « s’auto-identifier » comme amérindiens, ce qui leur donne le droit de réclamer de la viande de gibier pour leur repas, de manière à honorer leur ancestrale vocation de chasseurs. Un principe d’auto-identification fondé sur le ressenti, défendu par le gouvernement fédéral et qui entre en contradiction avec la pureté du sang réclamée ailleurs. Dans les pénitenciers, les faux et vrais membres des Premières Nations se voient également donner le droit de fréquenter un centre spirituel consacré à l’expression de leur identité mythique. Enfin, le statut d’Autochtone leur permet de recevoir des visites privées durant lesquelles ils peuvent avoir des rapports sexuels, et de faire instruire leur dossier plus rapidement que les détenus « blancs ».

La multiplication des faux Autochtones est bien sûr décriée par un nombre grandissant de « vrais Autochtones », lesquels apprécient peu que leurs privilèges soient étendus à des gens avec qui ils ne partagent pas grand-chose.

Le nombre de personnes se proclamant autochtones ou métisses a littéralement explosé dans les derniers recensements de Statistique Canada. Un phénomène qui traduit autant le refus du métissage que celui de l’héritage européen dans un pays censé exalter les appartenances plurielles.

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Fin de carrières

À Meudon, une merveille architecturale, précieuse pour le patrimoine national, est sur le point d’être détruite pour des raisons pécuniaires. Des collectifs se sont formés et des associations se sont mobilisées pour s’opposer à ce dessein…


Le 9 avril, une manifestation a été organisée à Meudon pour défendre les carrières de la ville – classées en 1986 pour intérêt scientifique – ainsi que la colline Rodin. Une dizaine d’associations se sont mobilisées pour préserver ces sites menacés par un comblement alors qu’ils présentent un triple intérêt : géologique, historique et esthétique. Les travaux devraient démarrer en juin.

Anciennes carrieres de craie de Meudon (Hauts-de-Seine, France)

Si c’est la sécurité publique qui est invoquée pour justifier la destruction de ce monument architectural, cela fait quarante ans que les promoteurs lorgnent sur les terrains municipaux non construits qui surplombent les carrières. La métropole du Grand Paris a déjà lancé un appel à projets pour un ensemble immobilier à venir. La décision de la mairie de combler la moitié des huit kilomètres de galeries représente une perte patrimoniale inestimable.

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C’est au XVIIIe siècle qu’on commence à extraire la craie de ces carrières. Au XIXe, des maîtres carriers construisent des galeries souterraines impressionnantes, dont la hauteur varie entre trois et dix mètres et dont les voûtes prennent des formes variées. Ces crayères produisent le célèbre pigment « Meudon blanc ». Cette exploitation prend fin en 1925, mais les carrières servent de champignonnières jusque dans les années 1970. Pendant la guerre de 1940, les Allemands y font d’importants aménagements. Les sites abritent aussi des richesses paléontologiques : on y trouve des fossiles de mammifères de l’âge tertiaire, comme une dent de coryphodon, un animal amphibie.

La bataille pour sauver les sites a commencé en février 2019, quand la secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, Emmanuelle Wargon, délivre à la commune de Meudon une autorisation spéciale de travaux. Cette autorisation est annulée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise en octobre 2020, mais en juillet 2021 le jugement est à son tour cassé en appel par la cour de Versailles. Drôle de manière de défendre le patrimoine de la France. Un joyau va être comblé, et cela ne nous comble pas.

Stellantis: les actionnaires lisent-ils Bourdaloue?

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Le patron du groupe automobile Stellantis, Carlos Tavares © Fabio Ferrari/AP/SIPA

C’était écrit, la chronique de Jérôme Leroy


« On veut être riche à quelque prix que ce soit ; on veut être riche sans se prescrire de bornes ; et on veut être riche en peu de temps : trois désirs capables de pervertir des saints, trois sources empoisonnées de toutes les injustices dont le monde est rempli. » Allons bon, quel est cet anticapitaliste acharné ? Un porte-parole de la France insoumise qui continue la lutte malgré son élimination au premier tour alors qu’il vient d’apprendre la rémunération de Carlos Tavares, le patron de Stellantis, qui réclame, pour 2021, 66 millions d’euros ?

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Eh bien non, il s’agit de Louis Bourdaloue, prédicateur jésuite (1632-1706), qui déroula son Sermon sur les richesses en 1680, devant les Grands et Louis XIV. À se demander si celui qu’on a appelé « le roi des prédicateurs et le prédicateur des rois » n’a pas été la lecture des actionnaires de Stellantis qui ont refusé à Carlos Tavares cette rémunération. Notamment Olivier de Guerre, président de la société de gestion PhiTrust, qui a déclaré sur BFM Business : « On s’attend à ce qu’il y ait des licenciements importants en Italie et en France compte tenu que les sites de production sont doublés partout. Il y aura probablement dans les services administratifs aussi beaucoup de licenciements, donc, mécaniquement, on pense que les enjeux de la fusion d’un point de vue social sont tellement importants, notamment en France et en Italie, que ce sont des rémunérations un peu décadentes. »

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On appréciera l’euphémisme final et l’adjectif fortement connoté moralement. Mais il est fait aussi appel à une forme de rationalité économique : de tels revenus sont incompatibles avec la situation réelle de l’entreprise, et l’enrichissement sans frein d’un dirigeant se fait forcément aux dépens de salariés menacés, ce que dit aussi Bourdaloue dans son Sermon : « Mais pourquoi, dit un riche, payant bien ce que j’acquiers, et ne faisant tort à personne n’aurais-je pas droit de m’étendre ? Encore une fois, malheur à vous, malheur parce que vouloir toujours s’étendre, et ne nuire à personne, ce sont communément dans la pratique deux volontés contradictoires. »

Et Bourdaloue d’indiquer comment transformer les richesses en « trésors de justice et de sainteté ». C’est assez simple : « Partagez-les avec les pauvres ! » Message cryptomarxiste ? Il faut toujours se méfier des jésuites, regardez le pape François. À moins qu’il ne s’agisse simplement d’une meilleure répartition entre capital et travail, ce que dit souhaiter Gabriel Attal : « Nous, ce qui nous importe, c’est qu’il y ait un meilleur partage de la valeur dans l’entreprise et c’est dans le programme d’Emmanuel Macron. »

Bourdaloue, finalement, serait macroniste ? On peut de nouveau respirer.


Louis Bourdaloue, Sermons choisis, Classiques Garnier, 2021.

Sermons choisis

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Colette Fellous: en attendant Duras

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Amie de Duras, Colette Fellous nous donne aujourd’hui sur elle, avec Le petit foulard de Marguerite D, une biographie impressionniste.


Une jeune actrice déjà célèbre, que je ne nommerai pas, bénéficiant d’une reconnaissance planétaire, évoque ses rôles et dit qu’elle ne se considère pas comme une actrice. Je pense alors qu’elle pourrait jouer Duras. Parce que Duras remettait en cause le narcissisme de l’acteur, le remplaçant même par un non-acteur (Yann Andréa dans L’Homme atlantique), puis par le noir. Depardieu a retenu la leçon. Cette jeune actrice aux cheveux courts et au regard mélancolique pourrait aussi jouer Duras au théâtre. Agatha, ou une autre pièce. Sur la table basse de son salon, il y a la biographie de Truffaut, en poche, écornée, lue et relue. Et aussi Les lieux de Marguerite Duras, aux Éditions de Minuit, couverture jaunie, empreintes de doigt. Mon intuition ne m’a pas trompé. Elle jouera Duras, un jour.

Univers hypnotique

Je rentre chez moi, encore sous le charme des cernes impudiques de la jeune actrice. Dans la boite à lettres, le livre de Colette Fellous, Le petit foulard de Marguerite D. Un signe ? Bien sûr puisque nous sommes avec Duras, la médiumnique romancière. Colette Fellous en parle avec beaucoup de délicatesse, mais tout est délicat dans son livre, fragile, précaire, à l’image de Duras qui voit dans l’invisible, et qui imagine à partir de ses visions.

Colette Fellous évoque les hallucinations de Marguerite, la peur de les sentir revenir, la nuit surtout, « les choses de la nuit ». On est au cœur de la boite noire durassienne. « Elle est magnétique, écrit Collette Fellous à propos de son amie, bouleversante, se laisse submerger par elle-même, n’a pas peur, se relève, recommence. » Visions, obsessions, boue, soleil, musique. Elle les partage. C’est l’écriture répétitive et minimaliste de Duras, son univers hypnotique. On entre dans ses livres et ses films comme on entre dans une pièce où une séance de spiritisme commence. Les thèmes reviennent comme la pluie d’été.

L’amour, la douleur des femmes amoureuses, la rupture, la perte, les cris dans les couloirs, la douleur d’écrire, l’alcool, l’inépuisable douleur de tout. Elle voit ce qui est simplement vrai et qui échappe à l’homme. Longtemps je l’ai lu face à l’océan, dans le crépuscule couleur Campari.

Le fil de la complicité

Colette Fellous nous offre une biographie impressionniste de l’auteur de L’amant, prix Goncourt 1984, dans lequel « je leur ai tout mis », déclare-t-elle, frondeuse. Fellous se souvient : « Avec ce geste de la main qui montrait qu’elle avait jeté volontairement, comme à des bêtes sauvages affamées, tout ce qui était en elle, tout ce qui était épars dans ses autres livres, elle avait agencé les choses autrement et puis elle les avait offertes, si c’est ça qu’ils veulent, alors voilà, je l’ai fait. »

Il y a l’essentiel dans ce court texte. L’enfance de Duras, sa mère, le Mékong, Trouville, Yann Andréa, leur première rencontre, lui 27 ans, elle 66, Godard, Mascolo dit Outa, les robes des personnages, le bruit du sang dans nos veines, le foulard léopard noir et blanc, fil de la complicité, offert par Colette en 1987, portée par Marguerite jusqu’à sa mort en 1996, « le 3 mars, chez elle, vers 8 heures du matin. C’était un dimanche. » Quelques photos illustrent l’ouvrage. J’aime tout particulièrement celle en noir et blanc, page 41. Duras est jeune, elle est belle. La beauté de son visage étonne. Son regard est triste déjà, lointain, son sourire est doux, un peu las, légèrement moqueur. Dans le célèbre incipit de L’amant : « Très vite dans ma vie il a été trop tard. A dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit ans et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. » C’est la clé de son écriture. Sa vie.

Ouverture cachée

Il se peut que la jeune actrice déjà célèbre joue « Elle », personnage d’Agatha, dans la lumière d’hiver, brumeuse et sombre, qui écoute le bruit de la mer. Son regard bleu étincelant soulignerait la force des phrases de Duras et révèlerait l’ouverture cachée sur son œuvre. M.D. à propos d’Agatha : « C’est par le manque qu’on dit les choses, le manque à vivre, le manque à voir. Par le manque de lumière qu’on dit la lumière, le manque de désir qu’on dit le désir, par le manque de l’amour qu’on dit l’amour. Je crois que c’est une règle absolue. »

C’est par le manque de Duras qu’on lit Duras.

Colette Fellous, Le petit foulard de Marguerite D., Gallimard. 112 pages

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L’autoroute de la servitude

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Klaus Schwab, le fondateur et président du Forum économique mondial, au côté de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors de la séance d'ouverture précédant la réunion annuelle du Forum, à Davos, en Suisse, le 20 janvier 2020 © Alessandro della Valle/AP/SIPA

En 1944, Friedrich Hayek publiait La Route de la servitude et avançait que l’interventionnisme des élites politiques et des « sachants » finissait toujours par écraser les libertés. Alors que nous sortons d’une autre guerre, sanitaire cette fois, il faut se replonger dans ses réflexions.


Sauf si j’ai raté quelque chose, je ne crois pas que la guerre contre le Covid ait été annoncée comme étant terminée. Et entretemps, la guerre entre la Russie et l’Ukraine a été déclarée, à laquelle les dirigeants européens tentent de faire croire que nos pays ne participent pas malgré les sanctions de plus en plus lourdes et nombreuses infligées à la Russie et malgré les livraisons d’armes massives effectuées au profit du pays bleu et jaune. Or, c’est dans un contexte de guerre qu’a été publié La Route de la servitude, livre politique de Friedrich Hayek sorti en 1944 et présenté par lui comme un ouvrage qu’il était de son devoir d’écrire dans un moment où la guerre justement empêchait ses collègues économistes de réfléchir et de guider l’opinion publique sur les choix d’organisation de la société à venir lorsque la paix serait revenue. Un livre de combat donc, en partie circonstanciel, mais surtout un ouvrage court qui posait des bases de réflexion solides et fixait des principes fondamentaux que son auteur ne ferait que détailler, expliciter et améliorer par la suite.

Une inquiétante mainmise

Si le libéral convaincu que je croyais encore être il y a quinze ans s’était alors délecté de cette lecture, le socialiste-conservateur-libéral[1] que je suis devenu depuis le lirait certainement avec un œil un peu plus critique aujourd’hui. Ma mémoire conserve néanmoins quelques idées-clés qui me paraissent toujours aussi pertinentes et utiles dans la période que nous traversons, marquée par une poussée du fédéralisme européen, de l’autoritarisme sanitaire et du contrôle social. Parmi elles, on trouve une critique en règle des experts, notamment économiques (que Hayek range sous le vocable de « planistes »), qui auraient vocation à déposséder le personnel politique de leur pouvoir, au motif que la vie de la société serait pour ainsi dire une matière scientifique que seuls des spécialistes peuvent discuter et traiter. Derrière les attaques répétées contre le socialisme auxquelles se livre l’auteur, c’est aux « sachants » qui veulent tout régir de manière scientifique qu’il s’en prend : saint-simoniens, marxistes ou continuateurs d’Auguste Comte sont ses cibles de choix, dont on trouve de lointains successeurs 80 ans plus tard dans un monde occidental dont on souligne à l’envi la complexité pour abandonner sa gestion aux seuls experts.

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Le phénomène n’est pas nouveau en Europe, mais à la faveur du Covid et de la guerre en Ukraine, il s’est aggravé dans des proportions inquiétantes qui laissent craindre qu’on ne puisse revenir en arrière. Ce que révèlent le coup d’État discret opéré par Ursula von der Leyen et ses confrères d’une part, et l’omniprésence même plus cachée des consultants et des experts sur à peu près tous les sujets d’autre part, c’est une nouvelle tentative de mainmise sur le pouvoir par une élite intellectuelle et économique qui estime être la seule à savoir ce qui est bon pour la société. La pluralité des théories économiques comme scientifiques devrait nous avertir que la vérité est bien difficile, voire impossible, à déterminer, et nous inciter par conséquent à la plus grande prudence et au maintien du débat ; au lieu de cela, une alliance de certains économistes et certains scientifiques avec la majorité du monde médiatique, politique et judiciaire, vise à faire croire à l’unanimité d’une communauté de ceux qui savent et au caractère indéniable, incontestable, des propositions qu’elle avance pour répondre aux crises et pour gérer la société.

Est-ce que 1984 restera une dystopie ?

Ce qui rend ce constat fait par Hayek en 1944 et par d’autres avant et après lui absolument glaçant, c’est l’état actuel de la technologie. Pour horribles et monstrueux que les totalitarismes du xxème siècle aient été, ils avaient contre eux un manque de sophistication technique qui autorisait quelques failles, quelques interstices : samizdats, marché noir et potagers clandestins étaient encore possibles. Pour les contemporains du nazisme et du stalinisme, le cauchemar était une surveillance absolue contre laquelle rien n’était possible : c’est bien la raison pour laquelle 1984 d’Orwell, outre sa critique assez limpide du régime soviétique, a toujours été considéré comme une dystopie, c’est-à-dire un monde imaginaire et non souhaitable. Est-ce toujours le cas ? Dans un monde où les objets connectés nous espionnent, où les smartphones nous écoutent et où le fichage pour ses opinions politiques ou syndicales est permis, il semble bien que Big Brother soit désormais en place, dans l’indifférence générale, avec la complicité passive de tout un chacun même, et ne soit plus vu comme un mauvais rêve mais une réalité avec laquelle il faut s’accommoder.

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À ceux qui rétorqueront qu’il ne faut pas comparer les totalitarismes du siècle passé avec la société connectée d’aujourd’hui, que l’Union européenne n’est quand même pas la Chine communiste et qu’aujourd’hui, on ne tue ou n’emprisonne plus les opposants au régime en place, on dira deux choses : pour l’instant, et pas besoin de violence physique quand l’asservissement social suffit. Les restrictions très importantes des libertés individuelles que nous subissons depuis quelques années au nom de la sécurité devraient nous alerter collectivement sur notre état avancé de servitude et de dépendance. Il devient urgent de sortir de l’idée formulée par Margaret Thatcher il y a quarante ans, cette fameuse TINA qui sonne tout sauf libérale : quand on prétend que « There Is No Alternative », c’est que la liberté des autres de penser différemment nous exaspère et qu’on a une volonté d’écraser toute divergence sous un unanimisme qu’on pense rendre acceptable en le parant d’un vernis scientifique. Ce combat pour maintenir la pluralité des opinions et des choix est essentiel et doit être mené sans délai, car la dématérialisation de la monnaie qu’on annonce proche, la surveillance accrue de tous les flux de communication et d’information et la convergence de nombreux acteurs pour mettre en place la feuille de route du Great Reset cher à Klaus Schwab le rendront bientôt impossible.

La liberté n’a pas de prix

Un dernier mot concernant Hayek, dont on pourrait penser que, en figure tutélaire du libéralisme contemporain, il est une des sources d’inspiration d’Emmanuel Macron, d’Ursula von der Leyen et de tous les européistes convaincus qui se présentent volontiers comme libéraux ; en fait, on serait bien en peine de savoir ce qu’il penserait du monde d’aujourd’hui, dont le niveau technologique le rend incommensurable au monde de 1944 même si certains aspects étaient déjà en germe. En revanche, voici ce qu’il écrivait en cette année de guerre mondiale : « Il n’y a rien dans les principes du libéralisme qui permettent d’en faire un dogme immuable ; il n’y a pas de règles stables, fixées une fois pour toutes. Il y a un principe fondamental : à savoir que dans la conduite de nos affaires nous devons faire le plus grand usage possible des forces sociales spontanées, et recourir le moins possible à la coercition. »[2] Je peux me tromper bien sûr, et faire une interprétation erronée de ce que j’ai lu, mais il me semble que les dirigeants actuels, publics comme privés, cette élite mondiale qui sait ce qui est bon pour la planète, sont plus du côté des planistes que le penseur austro-britannique pourfendait que de celui des défenseurs de la liberté.

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[1] Petit clin d’œil au livre Comment être socialiste + conservateur + libéral de Leszek Kolakowski publié aux éditions Les Belles Lettres en 2017

[2] Friedrich A. Hayek, La Route de la servitude, Quadrige/PUF, page 20

En compagnie des Jésuites avec Paul Auer

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© Le Cherche midi

Malgré un titre peu avenant, le premier roman de Paul Auer, Les Amants de Jésus, est une très agréable surprise.


Fondée en 1540 par Ignace de Loyola, la Compagnie de Jésus, ordre religieux missionnaire et composante de l’Eglise catholique, n’a jamais fait l’unanimité. Ses membres, plus connus sous le nom de Jésuites, ont été moqués par nombre d’écrivains français. Qu’on pense par exemple à Voltaire qui, s’il fut leur élève et confessait volontiers l’admiration qu’il leur avait conservé, ne ratait pas une occasion de les railler, dans son Candide ou dans d’autres écrits. Qu’on pense aussi à Marcel Jouhandeau, à qui l’on doit cette définition dans Chaminadour : « (…) ce que c’est que d’être un jésuite ? – C’est (…) d’apporter un raffinement particulier dans l’art des combinaisons. Par exemple dans l’art de punir ».

Les Jésuites: des religieux haïs

Avant que l’un d’entre eux – Jorge Mario Bergoglio, dit « François » – ne devienne pape à l’issue du conclave de mars 2013, les Jésuites n’avaient toujours pas très bonne presse, comme le rappelle incidemment Paul Auer dans les toutes premières pages des Amants de Jésus. Dans Le Figaro, ils étaient ainsi considérés comme des « communistes sous couvert d’aimer les pauvres », c’est-à-dire aussi mal vus que « le comité catholique contre la faim, soutien des mouvements marxistes en Amérique centrale » pour ce quotidien de la droite bon teint.

Depuis François, ils sont carrément honnis de certaines franges du catholicisme – de « factions » diraient les catholiques abonnés à La Croix, La Vie, Témoignage chrétien ou Golias –. Ils sont plus particulièrement haïs de ce que Paul Auer décrit comme la « nouvelle génération de prêtres fraîchement rasés, parfumés, les cheveux courts, le col romain » : « prêtres de charme, sûrs de leur mission et de leur statut, qui [aiment] écarter les bras et lever les mains pendant que leur chasuble [se gonfle] et que le peuple [s’agenouille], régalé par le son et lumière, les homélies de salon de coiffure » ; « acteurs en représentation tous les dimanches matins » dont il est « impossible de croire une seconde qu’[ils portent] sur leurs épaules le péché du monde, que le sang de l’agneau immolé [coule] dans leurs veines ».

Les détestent aussi, plus encore peut-être que ces « cathos tradis », ceux que l’on appelle les « intégristes » (les « cathos de combat » de Civitas ou les « lefebvristes » de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X). Peut-être parce que le premier d’entre eux, Ignace de Loyola était un « juif marrane », c’est-à-dire un juif séfarade converti au catholicisme. Ou peut-être parce qu’ils croient à la « thèse » selon laquelle les Jésuites auraient participé, aux côtés des francs-maçons, à la chute de l’Ancien Régime, à la subversion des valeurs traditionnelles, soit à un vaste « complot » contre l’Eglise catholique.

Un ordre religieux dynamique

Si la Compagnie de Jésus ne fait pas l’unanimité au sein de ce que Jean-Robert Pitte, dans un passionnant essai de « géographie culturelle » (Tallandier, 2020), appelle « la planète catholique », elle n’en demeure pas moins un ordre particulièrement dynamique, dont le rayonnement intellectuel n’est pas, loin de là, une vue de l’esprit. Pour mieux la connaître, on peut évidemment lire Etudes, sa « revue de culture contemporaine », fondée en 1856 par certains de ses « Pères jésuites ». On peut aussi lire deux autres publications phares : la spirituelle Christus ou la plus temporelle revue Projet, qui s’est récemment dotée d’une pédagogique chaîne YouTube, sur laquelle – entre autres – l’économiste (et prêtre) Gaël Giraud aborde avec clarté des sujets tels que « le projet Hercule » ou la notion d’ « argent magique » chez Emmanuel Macron. Les angles d’attaque et les idées que l’on y croise reflètent l’originalité de la pensée jésuite, qui n’est pas qu’une casuistique améliorée, ce à quoi on l’a réduite de façon caricaturale. Et cela permet aussi de comprendre en quoi, pour d’aucuns, elle n’est peut-être pas toujours « très catholique »

Mais pour mieux approcher cette Compagnie, sa logique et, surtout, son intérêt, qui est grand, le mieux est peut-être de lire Les Amants de Jésus (le cherche-midi, 2021).

L’auteur, en effet, connaît manifestement très bien la Compagnie.

Un roman sur la Compagnie et la France des quarante dernières années

Ceci étant dit, ce n’est pas seulement pour cela qu’il faut lire ce premier roman de l’inconnu que demeure pour l’instant Paul Auer. Les Amants de Jésus se lit d’une traite. C’est en effet volontiers que l’on suit les vicissitudes du héros, un jeune homo féru de mathématiques, issu de cette « bourgeoisie d’origine rurale adhérant à un certain ordre social », dont les représentants vont à la messe, obéissent à « une Eglise dont ils [n’écoutent] pas les sermons, redoutant seulement que le rituel devienne un jour l’occasion d’une vraie prière, partagée et sincère », invoquent « un Dieu dont ils [espèrent] secrètement qu’Il [restera] à jamais muet, comme Il [l’a été] jusqu’à ce jour dans leur vie ». Et qui fait le choix, à la fois délirant et grandiose, d’entrer dans l’ordre pour, à terme – dix ans…-, devenir l’un de ces jésuites qu’il admire, non sans raisons.

Contre toute attente, Paul Auer sait nous tenir en haleine. Peut-être parce qu’il sait écrire, et que son style, à la fois d’un très grand classicisme et résolument moderne, est un plaisir pour les yeux. Peut-être, aussi, parce que Paul Auer ne nous parle pas seulement de la Compagnie de Jésus ou de cette archipelisation théorisée par Jérôme Fourquet et à laquelle l’Eglise catholique n’échappe pas, mais aussi de notre époque ou, du moins, des multiples mutations de la société française des quarante dernières années.

Et qu’il le fait sans crier au déclin, sans nous répéter ad nauseam que « c’était mieux avant », qu’il faut « liquider l’héritage de Vatican II et Mai 68 », que «  ce qu’il faudrait, c’est une bonne guerre ». En racontant, à sa manière, une histoire. Une histoire ni belle ni laide. Que le lecteur, s’il est honnête, se trouvera sans doute surpris, une fois le livre refermé, d’avoir vécue comme si elle avait été la sienne.

Les Amants de Jésus de Paul Auer (Le Cherche-Midi)

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Le Kremlin, pavillon des cancéreux?

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Vladimir Poutine, Moscou, 9 mai 2022 © Anton Novoderezhkin/TASS/Sipa US/SIPA

Poutine est-il mourant? De nouvelles révélations ont été publiées hier…


Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février, l’état de santé de Vladimir Poutine, 69 ans, fait l’objet de nombreuses spéculations dans la presse occidentale, auxquelles le démenti formel du Secrétaire de presse de président russe Dmitri Peskov fin mars n’a pas mis fin. Boris Karpichkov, un transfuge du KGB en Grande-Bretagne a ainsi déclaré au Sun que son ancien collègue souffre de la maladie de Parkinson ainsi que de « nombreuses » autres maladies, dont la démence.

Selon la chaîne Telegram « Général SVR », prétendument dirigée par un ancien officier des services de renseignements extérieurs russes, Poutine devrait être opéré d’une forme non spécifiée de cancer de façon imminente et, pendant qu’il passerait sur le billard, il serait remplacé par Nikolaï Patrouchev, le secrétaire du Conseil de sécurité de Russie.

La raison principale expliquant ces multiples spéculations est évidente : Poutine a mauvaise mine. Son isolement bizarre et maniaque mille fois commenté et moqué pendant la pandémie de Covid-19, et ses rencontres avec des visiteurs étrangers autour de tables improbables ont aussi jeté de l’huile sur le feu des rumeurs…

Un témoignage inédit d’un oligarque

New Lines Magazine, un nouveau média américain fondé en 2020 qui jouit déjà d’une solide réputation, notamment grâce à sa couverture de la guerre en Ukraine, vient de publier une enquête qui apporte des éléments inédits au débat sur la santé de Poutine. Il s’agit notamment d’un enregistrement audio d’un oligarque russe proche du Kremlin qui décrit Poutine comme étant « sérieusement malade d’un cancer du sang » [1]. Les journalistes de New Lines n’étaient bien entendu pas en mesure de confirmer cette information de manière indépendante, mais ce document sonore de 11 minutes représente un témoignage rare d’une personne ayant des liens avérés avec le gouvernement russe, et, détail important, l’oligarque ne savait pas qu’il était enregistré.

C’est un homme d’affaire occidental spécialisé dans le domaine des investissements à risque qui a enregistré mi-mars la conversation, à l’insu de son interlocuteur. La source reconnait avoir trahi la confiance de son interlocuteur par dégoût de la guerre en Ukraine, sentiment  partagé de toute évidence par l’oligarque. Selon ce dernier, Poutine aurait « absolument ruiné l’économie de la Russie, l’économie de l’Ukraine et de nombreuses autres économies », et, poursuit-il dans l’enregistrement, « le problème [serait] dans sa tête. Seul un fou peut mettre ainsi le monde sens dessus dessous. » New Lines a pu authentifier l’identité et la voix de l’oligarque. Selon le magazine, il se trouve actuellement hors de Russie et figurait en 2021 parmi les 200 hommes les plus riches selon la déclinaison russe du magazine Forbes.

Pendant la conversation enregistrée en mars, l’oligarque affirmerait que « nous espérons tous » que Poutine mourra de son cancer ou bien d’une « intervention » interne, comme un coup d’État, pour épargner à la Russie de nouveaux malheurs. Contacté par New Lines, un ancien haut responsable européen dans le domaine de la sécurité décrit la source comme appartenant à un « cercle étroit de 20 à 30 personnes » que Poutine aurait rencontré en 2014 avant la prise de la Crimée pour « expliquer les motivations de ses actions militaires, et pourquoi c’était la seule option devant lui ». Un autre associé de l’oligarque interrogé par le magazine a ajouté qu’il est toujours bien au fait des rouages de l’administration présidentielle russe.

Un mémo révélant l’embarras du pouvoir

Mais ce n’est pas tout. Le 13 mars, un mémo classé top secret a été envoyé du quartier général du FSB (l’agence russe de sécurité intérieure) à tous les directeurs régionaux. Christo Grozev, le chef des enquêtes du site Bellingcat a confirmé à New Lines magazine que « le document ordonnait aux chefs régionaux de ne pas se fier aux rumeurs concernant l’état de santé du président ». « Les directeurs, ajoute Grozev, ont en outre reçu l’ordre d’empêcher la propagation de ces rumeurs au sein de leurs unités. Cette instruction, sans précédent, a eu l’effet inverse… » Comme au temps de l’URSS, tant que l’État n’affirme pas haut et fort qu’il s’agit d’un mensonge malveillant, rien n’est certain…

Le timing du mémo émis par le FSB est lui aussi intéressant en soi : moins d’un mois avant que Proekt, un média d’investigation russe indépendant, ne publie un exposé montrant que Poutine voyageait régulièrement en Russie en compagnie de médecins spécialistes (chirurgiens de la tête et du cou, traumatologue orthopédique et neurochirurgien spécialisé dans la chirurgie de la thyroïde et du cancer de la thyroïde chez les patients âgés). Le media russe ajoutait que Poutine aurait également adopté des remèdes homéopathiques et des remèdes populaires non scientifiques, tels que les bains remplis de sang de cerf – un détail qui a sans surprise attiré l’attention de nombreux médias occidentaux !

L’oligarque mentionne également dans l’enregistrement des problèmes de dos de Poutine, et suggère qu’ils seraient liés à un cancer du sang. Poutine aurait subi une opération du dos en octobre 2021, une information qu’il n’est pas possible de vérifier.

Interrogée par New Lines, une professeur d’endocrinologie à l’Université d’Oxford déclare que « Poutine a toujours été un homme très en forme, mais qu’au cours des deux dernières années, il semble avoir gonflé au niveau du visage et du cou. » Selon elle, un « phénomène compatible avec l’utilisation de stéroïdes. » Les stéroïdes sont généralement prescrits pour divers types de lymphomes ou de myélome (un cancer des cellules plasmatiques, qui « peut provoquer une maladie osseuse généralisée et affecter définitivement la colonne vertébrale et le dos », selon le professeur). Si le lymphome est généralement un type de cancer du sang plus agressif nécessitant une chimiothérapie lourde qui entraîne la perte des cheveux (ce que Poutine n’a jamais connu), en revanche, le myélome, même dans ses formes les plus agressives, ne nécessite plus nécessairement de chimiothérapie. Il peut souvent être traité entres autres avec des stéroïdes mais peut toutefois entraîner des fractures de compression de la colonne vertébrale.

Quant aux stéroïdes, ils sont connus pour avoir deux effets secondaires courants. Le premier est le risque élevé d’infections, car ils affaiblissement le système immunitaire du malade. Toute personne prenant de fortes doses de stéroïdes aura par exemple beaucoup plus de facilité à contracter le Covid-19, ce qui pourrait expliquer l’extrême prudence de Poutine. Le deuxième effet secondaire ? Un comportement profondément irrationnel ou paranoïaque…


[1] https://newlinesmag.com/reportage/is-putin-sick-or-are-we-meant-to-think-he-is/

Eric Zemmour n’est plus en odeur de diablerie!

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Éric Zemmour, candidat aux élections législatives dans la 4e circonscription du Var, prononce un discours à Cogolin (83), le 12 mai 2022 © SOPA Images/SIPA

Bien que Philippe Bilger ait soutenu Valérie Pécresse lors de l’élection présidentielle, il rend hommage aux indéniables qualités du journaliste, de ses qualités d’analyste à son talent de rhéteur, tout en regrettant sa brutalité dans l’expression. Eric Zemmour est entré dans une forme de normalité politique, selon notre chroniqueur, à lui de se réinventer pour pallier cette relative absence de soufre qui a fait son succès…


Eric Zemmour a fait peur à beaucoup avant le premier tour de l’élection présidentielle et il a eu aussi des admirateurs, des inconditionnels et un public fervent. Rétrospectivement on a eu, comme souvent, les lucides d’après l’action qui ont affirmé qu’ils avaient prévu son piètre résultat. Il était inévitable, paraît-il.

Pour ce qui me concerne, je n’ai jamais varié sur une double conviction. Même si une partie de sa campagne a été brillante, je continue à penser qu’il aurait dû rester l’analyste politique et la bête médiatique qui ont fait l’extraordinaire succès de CNews. Par ailleurs j’ai toujours dit que malgré nos liens amicaux je ne voterais pas pour lui. Il ne suffit pas d’avoir du talent, il fallait aussi savoir proposer aux Français un projet plausible alors que le sien, à cause de son extrémisme, n’était pas opératoire. Le programme de Valérie Pécresse était le bon mais elle péchait par là où Eric Zemmour s’illustrait.

Il est des nôtres, il a bu son verre comme les autres…

Je n’en suis que plus à l’aise aujourd’hui pour dénoncer l’étrange climat dans lequel baignent les informations sur Eric Zemmour. Une sorte de soulagement d’après la bataille. Comme s’il s’était banalisé. D’abord parce que, contrairement à ce qu’imaginaient certains, il a continué son chemin partisan avec Reconquête! Et il va se présenter, sans trop d’espoir d’ailleurs, dans la circonscription de Saint-Tropez. Sa trajectoire prend des couleurs plus acceptables, moins sulfureuses. D’une certaine manière on les entend murmurer : « Il est redevenu des nôtres » !

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Avec quelle trouble satisfaction a-t-on accueilli, par rapport à l’intérêt de sa propre cause, sa demande d’alliance, avec un RN qui l’avait pourtant laissé loin derrière lui, sa violence verbale et humiliante à l’encontre de Marine Le Pen et du RN puis sa déconfiture, enfin son extrême maladresse pour réclamer une union pour les législatives, comme si elle allait de soi, en usant d’un ton qui laissait penser qu’il avait des droits alors que tout au plus il avait des obligations et sans doute, s’il en avait été capable, des excuses à formuler.

Mais, pour le meilleur comme pour le pire, cela n’a jamais été le genre d’Eric Zemmour. Toutes ses erreurs et ses humeurs ont rassuré ses adversaires : il n’était pas différent des autres.

Une aura qui s’évapore?

Après son rêve effondré, auquel il croyait pourtant, on l’a découvert déçu, désarmé, hésitant. Il est trop bon commentateur politique pour se faire des illusions et fantasmer sur un futur qui lui offrirait une merveilleuse compensation au regard d’un présent déprimant. Il sent, il sait que pendant quelque temps au moins il va retomber sur le plancher des vaches et redevenir ordinaire.

C’est ce que je veux signifier par mon titre. Comme d’autres gagnent avec une odeur de sainteté, lui a séduit avec son odeur de diablerie, qu’il cultivait avec un soin tout particulier. Il n’ignorait pas en effet que c’était son originalité et sa chance dans un monde si bienséant. Il était persuadé de la justesse de son extrémisme global et de ses provocations que son art du verbe rendait efficaces et redoutables.

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Cette odeur de diablerie l’a quitté, elle est derrière lui, il doit dorénavant composer avec un personnage qu’il a peu fréquenté : le Eric Zemmour de tous les jours, moins dans la lumière médiatique et politique que dans l’intendance obscure et nécessaire d’une « reconquête » à faire fonctionner et durer.

Puis-je avouer que je n’aime pas trop cette débandade, ce mouvement centrifuge qui conduit des soutiens d’hier à revenir au RN et à brûler ce qu’ils avaient adoré chez Eric Zemmour ! C’est la vie, c’est la politique mais pour être fréquent – on en connaît des exemples plus fameux et plus honteux – ce genre de désertion n’est pas plus acceptable. Cette impression de terre brûlée, de ravissement républicain – quand on voit l’attelage Nupes ! – suscite chez moi un malaise. Comme Eric Zemmour leur a fait peur ! Au point qu’ils oublient ce qu’il avait d’unique.

Cultiver sa singularité…

Alors que sur le plan judiciaire il a connu une victoire justifiée en première instance et en appel pour ses déclarations sur le Maréchal Pétain – malgré un Parquet plus soucieux de démagogie que de liberté d’expression – il est bizarrement attaqué : « Bolloré et Zemmour ont perdu dans les urnes mais gagné sur le terrain médiatique« . En effet, il paraît, pour Alexis Lévrier, historien des médias, que « dès la fin de l’été 2021, chaînes de télé et radios ont donné un écho disproportionné aux moindres faits et gestes d’Eric Zemmour ». J’admets le terme « écho » mais pourquoi disproportionné ? Lors de la promotion de son dernier livre et durant une moitié de la campagne présidentielle, Eric Zemmour a fait passer dans l’espace public, avec vigueur et presque crudité dans l’expression de la vérité et d’un constat alarmiste que personne n’osait faire aussi brutalement, un message sur la France, sa survie, son identité, l’immigration et les cités échappant à la République.

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Même si le tableau était partagé par beaucoup, il n’avait pas forcément raison avec sa globalité sans nuance mais l’essentiel n’était pas là : avant que le pouvoir d’achat prenne la relève, Eric Zemmour a été repris, magnifié ou décrié pour ce qu’il disait. Contre le ronron traditionnel et le verbe politique jamais clair, il avait imposé son ton, sa parole, il avait disait-on ringardisé tous les autres politiciens de droite comme de gauche. La normalité n’était pas son fort. Cela a été la principale raison de son triomphe d’un temps.

Reste à souhaiter pour lui que même sans odeur de diablerie il sache continuer à nous surprendre en inventant, en s’inventant. Il trouvera.

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Un conflit en roue libre

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Ursula von der Leyen en visite à Boutcha, Ukraine, 8 avril 2022 © Vojtech Darvik Maca/CTK via AP Images/SIPA

La guerre en Ukraine est sur une mauvaise pente. En cause, l’emballement des Occidentaux submergés par leur émotion. En multipliant les livraisons d’armes lourdes, en délaissant la diplomatie et en rêvant de la défaite de la Russie, ils accumulent dangereusement les erreurs stratégiques…


« Mal réfléchi », ainsi Jean-Pierre Chevènement qualifiait-il les fausses bonnes idées. La guerre en Ukraine en est une, qui a mis Poutine et la Russie dans un sale pétrin. Pas une raison pour pérorer de notre côté. Avec un peu plus de considération pour les intérêts des Russes, une attitude un peu plus raisonnable des Américains et un réel engagement en faveur des efforts franco-allemands il y a sept ans, nous n’en serions pas là.

Avoir commis des erreurs ces dernières années ne constitue pas un blanc-seing pour continuer à en faire. Or c’est ce que nous faisons. La guerre dans le Donbass était régionale. Avec l’invasion de l’Ukraine, la Russie en a fait un conflit Est-Ouest. Nos sanctions et nos livraisons d’armes massives en font une guerre totale (militaire, monétaire, économique) et mondiale, puisque les puissances extérieures à la zone, asiatiques ou du Golfe par exemple, sont contraintes de se positionner par rapport à nos sanctions.

À l’arrivée, nous avons sur les bras une guerre chaude avec une puissance nucléaire et une guerre froide impactant le monde entier. Et la surenchère n’en finit pas. Où allons-nous ? Où voulons-nous aller ? Le savons-nous nous-mêmes ? Je crains fort que la réponse soit négative.

Belligérants à l’insu de leur plein gré

Nos compétents experts en droit international affirment que les livraisons d’armes ne font pas de nous des cobelligérants. Vision rassurante mais purement théorique. On pense forcément l’inverse à Moscou en constatant que l’armée russe est frappée quotidiennement par les armes américaines et européennes. Le chef de la CIA a raison de s’inquiéter du risque croissant d’une frappe nucléaire tactique. En France, Maurice Gourdault-Montagne (MGM, pour les intimes), diplomate sérieux, raisonnable, expérimenté, a tiré des sonnettes d’alarme dans les médias le mois dernier. Sur Europe 1, appelant à la prudence, il a conclu la liste des livraisons d’armes effectuées par un cri du cœur angoissé : « Et quoi, encore ? » Pauvre Maurice…

Depuis son appel à la raison, les livraisons se sont emballées. Après les armes légères, les missiles de toute nature, les véhicules blindés, voici venu le temps des chars, hélicoptères et des avions de chasse. Les quantités livrées sont astronomiques. Au point que les journaux américains s’inquiètent de la rapide diminution des stocks de missiles et autres armes de guerre au sein de l’armée (Bloomberg, 14 avril 2022). Les Ukrainiens en font une consommation massive sur le terrain et les usines de production de missiles n’arrivent pas à suivre la cadence. Du côté des Européens, la situation est pire puisque les stocks sont plus limités, notamment en ce qui concerne les armements d’origine russe que sait manier l’armée ukrainienne. Nous avons probablement tout donné ce que nous pouvions raisonnablement céder aux Ukrainiens.

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L’inflation rhétorique est également galopante. Aux États-Unis, les références à la Seconde Guerre mondiale émergent. Les livraisons d’armes d’aujourd’hui sont comparées à celles faites par les États-Unis au Royaume-Uni en 1941 et 1942. (Les deux situations n’ont absolument rien à voir, mais on s’en moque.) Les généraux à la retraite commencent à évoquer sur les plateaux l’hypothèse de l’envoi de troupes US en Ukraine, chose impensable il y a trois mois. « Et quoi, encore ? »

En ce qui concerne les sanctions, l’emballement est le même. Nous en sommes au sixième ou septième train de sanctions. Au début du mois d’avril, nous avons même inventé une nouvelle raison d’en coller à la Russie. Il a suffi que l’on nous montre des cadavres de civils dans les rues d’une ville évacuée par l’armée russe pour enclencher un nouveau tour d’écrou. Un atroce massacre, comme on en voit hélas dans toutes les guerres, surtout quand elles sont menées par des armées qui ne sont pas connues pour faire dans la dentelle. Ces nouvelles sanctions étaient-elles liées à un nouvel objectif stratégique, un changement de la situation militaire ? Non, elles visaient simplement à répondre à notre émotion télévisuelle. Si, demain, on nous montre des populations russophones de l’Est gisant dans les rues d’une bourgade du Donbass, lèvera-t-on ces mêmes sanctions, selon le principe « un partout, balle au centre » ? Tout cela n’a aucun sens.

Nous ferions mieux de nous poser des questions plus fondamentales. Voulons-nous arrêter cette guerre ? Si oui, par quels moyens ? Les Américains, eux, rêvent d’une défaite humiliante pour les Russes. Toute leur action va dans ce sens. Sommes-nous sur la même ligne ? Quels sont nos objectifs stratégiques, au-delà de la bébête défense du camp du bien contre celui du mal ? Nos sanctions et livraisons d’armes contribuent-elles à nos objectifs ? Quelle est notre vision à long terme de notre relation avec la Russie dans les vingt années à venir ? À ces questions, je ne vois aucune réponse claire, réfléchie et courageusement énoncée. J’espère que mes anciens collègues se les posent et pondent des notes sur le sujet, même si personne ne les lit en haut lieu.

Comme Maurice Gourdault-Montagne, je suis un diplomate professionnel rangé des beaux salons et des couloirs tristes du Quai d’Orsay. J’ai gardé les principes de base du métier : tourner le sujet dans tous les sens et réfléchir à toutes les conséquences possibles d’une décision avant de la prendre. Je ne suis pas certain que cette règle de base s’applique dans le cas présent.

Les images et leur vacarme imposent la décision

Les interventions vidéo du président ukrainien ont probablement plus d’influence sur nos livraisons d’armes que les analyses de la direction des Affaires stratégiques ou du renseignement militaire du ministère de la Défense. Il suffit que le président ukrainien, en « battle dress » devant des sacs de sable, apparaisse sur les écrans, critique publiquement un dirigeant coupable de ne pas livrer assez d’armes (ce fut le tour de notre président la semaine dernière), prononce le mot de génocide et c’est gagné. L’émotion se propage d’une capitale à l’autre. Dans les quarante-huit heures, les capitales européennes annoncent un nouveau lot d’armes livrées à l’Ukraine. Bien joué, l’artiste.

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Volodymyr Zelensky joue bien son rôle et confirme une chose : il faut désormais être un bon comédien pour faire un président efficace. Cet acteur de télévision sait bien mieux que l’ours mal léché de Poutine comment fonctionne la société du spectacle en Occident.

La France dans la nasse

Tout membre permanent du Conseil de sécurité et puissance nucléaire qu’elle soit, la France n’a plus les clés de sa politique étrangère. Ayant décidé de la communautariser au sein de l’UE, la France ne décide plus seule. Elle doit prendre en compte l’opinion de ses partenaires – et s’en enorgueillit. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que nos partenaires ne brillent pas par la subtilité, la profondeur et le caractère raisonnable de leur réflexion.

À ma droite, les États membres de l’UE qui réagissent avant toute autre chose à l’émotion et adoptent des postures morales. Normal. Pour plus de 20 d’entre eux, ils ont délégué les questions diplomatiques et militaires aux États-Unis et à l’OTAN depuis des décennies. Ils n’ont quasiment pas d’armée et leur diplomatie se résume à un alignement sur les positions de Washington, la défense des droits de l’homme et des LGBT (NDR : je ne caricature pas, demandez aux diplomates français en poste à travers le monde). La diplomatie européenne est le fidèle reflet de cette majorité.

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À ma gauche, les États-Unis, dirigés non par un président sénile, mais par de hauts fonctionnaires qui, génération après génération, veulent gagner la guerre des gentils contre les méchants. Il faut aujourd’hui abattre Poutine et mettre à genou la Russie, comme, il y a vingt ans, leurs prédécesseurs ont abattu Saddam Hussein et mis l’Irak à genou ou, il y a vingt-cinq ans, Milosevic et la Serbie. La même mécanique est à l’œuvre, sans retour en arrière possible. Et tant pis pour la casse occasionnée. Les débris n’atteindront pas le territoire américain. Enfin, au-dessus de cette agora, le brouhaha ininterrompu des médias qui amplifient le son dominant et exigent une réponse immédiate, binaire de préférence, aux images chocs.

La France, arrimée au « camp occidental » et membre plein de l’OTAN est prise dans la nasse. Dominique de Villepin qui, au Conseil de sécurité, refuse l’agrément des Nations unies à l’intervention américaine en Irak est le dernier grand exemple de cette souveraineté diplomatique (je me permets un gros mot). La France décidait alors par elle-même, en fonction d’analyses propres et tenait bon quand elle estimait avoir raison. C’était le monde d’avant, forcément moins bien. Aujourd’hui, nous avons bien mieux : « l’Europe puissance » dont la presse nationale célèbre la naissance en Ukraine. Elle marche, la tête haute, aux côtés des faucons américains. (Enfin, plutôt derrière.) Villepin peut aller se rhabiller, tout comme son ancien directeur adjoint de cabinet, un certain Maurice Gourdault-Montagne.

Les 12 travaux de l’Hercule Gaulois

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Emmanuel Macron lors de la cérémonie pour la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions à Paris, 10 mai 2022 © Stephane Lemouton / POOL/SIPA

Emmanuel Berl, Pif, Hercule et La France irréelle


Fini les frissons de la descente présidentielle, angoisses de chute sur une piste rouge ou noire.  Pour les législatives, l’heure est au slalom, combiné, chaises musicales et chant des courtisans. Les appareils se partagent les circonscriptions, maroquins, Villa Médicis, Observatoire de l’alimentation, Haute autorité pour la refondation de la simplification de la modernisation. Au pays des merveilles d’une Marianne Lotophage, démagogie et verbiage à tous les étages.

« La politique française me semble évoluer moins comme une histoire que comme une névrose. Son trait dominant, à mon estime, c’est l’affaiblissement progressif du sens du réel qu’elle manifeste, depuis quinze ans. Politique schizophrène (…) Les politiques français peuvent ne pas se soucier du fait, parce qu’au départ, ils ne s’attendaient pas trop à ce qu’il confirmât leurs idées. Les erreurs les plus flagrantes les disqualifient rarement, aux yeux des autres et aux leurs propres, pourvu qu’ils résistent à la tentation de les avouer. Aussi, quand la France rêve, il faut de bien grands malheurs pour la réveiller » (La France irréelle). Publié en 1957, l’essai d’Emmanuel Berl n’a pas pris une ride.

Voyage au bout de la Nupes

Après le Bloc des gauches, le Cartel des gauches, le Front populaire, l’Union de la gauche, la Nupes: Nouvelle Utopie Pour Electeurs Siphonnés. Après le PC et le PS, Jean-Luc Castro prend la tête d’une improbable cordée gaucho-écolo-sociale-démocrate. Ray L’aventura et sa bande de collégiens, moutons bio de Panurge, rebelles retraités de l’éducation nationale, se font des films, nous promettent des jours tout bleus comme nos veines, des nuits rouges comme nos rêves, des heures incandescentes et des minutes blanches…

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Fais comme l’oiseau ; Une belle histoire ; On ira où tu voudras quand tu voudras… Impôt sur les os, Zig ZAD et une faillite vénézuélienne garantie en deux mois. Le hachis Parmentier est réchauffé depuis un an, un siècle, une éternité : VI ème république pour une bifurcation écologique et solidaire, école globale pour l’égalité et l’émancipation, blocage des prix des produits de première nécessité, allocation d’autonomie jeunesse, garantie dignité… Rien sur la coulrophobie et les allergies au gluten ? Le timonier trotskiste déguisé en Géant Vert défend « un impératif de justice écologique, à travers une démarche de planification, pilotée par de nouveaux indicateurs de progrès humain ainsi que la règle verte ». A l’international, le sublime est plus vendeur que Poutine: « Être prêts à ne pas respecter certaines règles (européennes) dans le respect de l’État de droit… Entamer des coopérations altermondialistes pour agir pour un monde qui respecte les droits humains, la démocratie et la lutte contre le dérèglement climatique ». C’est quand qu’on va où ? Contre Pif Mélenchon, Hercule Macron reste droit ses bottes de sept lieux. Glop, glop, pas glop…

Le phénix des hôtes de ces bois

Après En Marche, avant La Résurrection d’Edouard Philippe en 2027, La Réincarnation de Gabriel Attal en 2032, nous enquillons, Ensemble, cinq ans de Renaissance… « Un président nouveau pour un mandat nouveau… une action résolue pour la France et pour l’Europe… un projet clair face aux sirènes d’idéologies et démagogies faciles… », McKinsey &Company, la Metaverse Nation, le Secret de la Licorne et 21 coups de canon tirés des Invalides. 21 comme l’ordre minimal de la quadrature parfaite du carré et les atouts au Tarot. L’Hercule Gaulois a beaucoup de pain sur la tranche.

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(1) Étouffer le lion de Némée(lenchon) à la peau impénétrable (2) Tuer l’hydre populiste (3) Capturer la biche d’Hénin Beaumont (4) Ramener vivant le sanglier des Horizons havrais (5) Nettoyer les écuries d’Augias et les comptes publics (6) Tuer les oiseaux de malheur aux plumes venimeuses (7) Dompter le taureau de la Reconquête (8) Capturer les juments mangeuses d’hommes (9) Rapporter à Birgitta – femme de César et reine des Amazones – la ceinture d’Hippolyte (10) Vaincre le géant Géryon tergeminus (11) Faire pousser des pommes d’or dans les jardins de l’Elysée (12) Descendre aux Enfers et enchaîner Poutine le Cerbère. Hac lupi hac canes. Hercule a mis dix ans. Cinq ans de perdu : il reste un mandat au président, quoi qu’il en doute…

« Et même si c’est pas vrai… »

Les vrais enjeux, périls qui obèrent l’avenir du pays (faillite de l’éducation nationale, crétinisation digitale, écroulement culturel, désindustrialisation, endettement), sont ignorés des programmes et débats électoraux, parasités par des tartufferies corporatistes, un « pourtousisme » démago. Berl est lucide : « L’imposture, ici encore, prend un caractère quasi institutionnel. (…) On fausse les indices, les comptes, les prix, les changes, mais tout le monde le sait. L’imposture triomphante n’a plus pour objet de faire illusion, mais de respecter un certain code de convenances, qui d’ailleurs n’est formulé nulle part (…) Tantôt on insinue qu’on n’aura pas à payer le prix de ce qu’on achète : ‘Cela ne coûtera rien, ce sera payé par l’étranger, par les riches, par des divinités mystérieuses tels que le Crédit ou l’Expansion’. Et tantôt, le plus souvent, on déclare : ‘C’est nécessaire. L’honneur national, la grandeur française, la justice sociale, la solidarité humaine l’exigent. Nous le ferons coûte que coûte’, ce qui, à la vérité, n’a pas de sens et évite d’avouer, de calculer même, le prix réel qu’en fin de compte paiera le peuple ».

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Les gesticulations de faux monnayeurs, coups de gueule de Tartarin, Deux corps du Roi Dagobert, n’abusent personne. Pour sauver la Comédie Française : ne changeons rien pour que tout reste comme avant. « Au théâtre ce soir », les décors sont de Roger Harth de Gaulle, les costumes sont de Donald Cardwell Mitterrand : Le Vison à cinq pattes, Interdit au public, Les affaires sont les affaires, La Facture… « Et même si c’est pas vrai, même si je mens / Si les mots sont usés, légers comme du vent / Et même si notre histoire se termine au matin / J’te promets un moment de fièvre et de douceur / Pas toute la nuit mais quelques heures… ».

Johnny Mélenchon – et en même temps – Emmanuel Hallyday.

Canada: Du privilège blanc au privilège amérindien

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Justin Trudeau signe une loi transférant à la communauté autochtone de Cowessess la responsabilité de l'aide à l'enfance, jusqu'ici assurée par des organismes fédéraux, Canada, 6 juillet 2021 © Kayle Neis / AFP

Au Canada, l’idéologie décoloniale est en passe de couper la société en deux. Les avantages dont jouissent les descendants d’Amérindiens sont tels – de l’école au travail en passant par la prison – qu’une police généalogique est chargée de débusquer fraudeurs et autres faux autochtones !


Une police généalogique est née

Il existe des pays occidentaux tellement racistes qu’il vaut tout de même mieux ne pas y être trop blanc – question d’image. Laboratoire de toutes les expériences bien-pensantes, faut-il se surprendre que le Canada soit aussi à l’avant-garde d’un courant décolonial nord-américain qui vise moins à créer une société plus égalitaire qu’à désoccidentaliser le continent ? Quarante ans après avoir inscrit le multiculturalisme dans sa Constitution, le pays de l’érable a troqué la méritocratie pour la « racialocratie », un régime où vos origines comptent autant sinon plus que votre curriculum vitae. En France, les « wokes » veulent « décoloniser » la métropole, mais en Amérique, ils veulent « décoloniser » la colonie, ce qui se traduit par la culpabilisation des citoyens d’origine européenne, vus comme de véritables intrus. En 1492, l’Occident n’est-il pas venu souiller ce paradis perdu habité par un bon sauvage écologiste et pacifique ? En Amérique, les immigrés, ce sont les descendants des Européens !

Autodafés wokes

Il ne s’agit pas de condamner le projet de revalorisation des Amérindiens qui entend légitimement réparer le traumatisme de la Conquête. Au Canada, nombreux sont les membres des Premières Nations qui vivent dans la pauvreté et souffrent des séquelles psychologiques engendrées par le déracinement culturel. Les programmes sociaux sont donc les bienvenus pour tenter de guérir les blessures qui peuvent l’être. En revanche, l’idéologie décoloniale portée par la gauche indigéniste s’appuie sur une lecture dogmatique et manichéenne du monde, ce qui donne lieu à de nombreux abus. Une politique revancharde et rancunière envers les « Blancs » est née sous le règne d’un Justin Trudeau qui se targue pourtant de montrer l’exemple en matière de tolérance.

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La nouvelle a rapidement fait le tour du monde : le 7 septembre 2021, 5 000 livres ont été brûlés ou pilonnés par un conseil scolaire de l’Ontario représentant 23 écoles primaires et sept écoles secondaires. La raison invoquée pour procéder à cet autodafé woke : les ouvrages contenaient des stéréotypes et des représentations racistes envers les Premières Nations. Les cendres d’ouvrages d’historiens reconnus, de même que celles de numéros de Tintin, d’Astérix et de Lucky Luke, servirent même d’engrais à un « arbre de la réconciliation » planté à l’occasion d’un rituel néochamanique. Par la suite, des écoliers ont été conviés à visionner la cérémonie de « purification par la flamme ». Le très subtil message lancé aux élèves : les Français et les Anglais qui ont fondé le Canada étaient racistes, et leurs descendants portent encore en eux une vision suprémaciste du monde.

La face cachée du multiculturalisme

Alors qu’il visait officiellement à promouvoir des différences appelées à se mélanger, le multiculturalisme canadien a redessiné des frontières hermétiques entre les groupes. Il maintient artificiellement les communautés dans leurs bulles respectives, comme autant de groupes à protéger de la contamination réciproque. Combiné au projet de réconciliation avec les Autochtones promu par Ottawa, le multiculturalisme justifie même la mise en place de politiques de pureté raciale, mais dans le sens opposé que leur a donné l’histoire. Au Canada, cela fait déjà plusieurs années que des postes sont attribués sur la base de critères raciaux en vertu des programmes de discrimination positive. Mais la mise sur pied d’une police généalogique est beaucoup plus récente.

Aujourd’hui, il n’est plus rare que des historiens mandatés par des organismes publics ou par des journalistes inspectent l’arbre généalogique de gens soupçonnés d’avoir falsifié ou « embelli » leurs origines. Il faut bien s’assurer que les ancêtres de ces individus justifient leurs fonctions. Le paradoxe est monumental : d’un côté, le Canada est accusé de véhiculer un grave « racisme systémique », mais de l’autre, des citoyens ont un avantage à appartenir à une minorité culturelle ou sexuelle, et en particulier à se dire membre d’une tribu autochtone. Si vous pouvez à la fois vous déclarer Amérindien et membre de la communauté LGBT, c’est le gros lot !

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Signe d’un pays où le teint pâle n’est plus très à la mode, les Canadiens sont de plus en plus nombreux à s’inventer des origines extra-européennes pour faire mousser leur carrière, mais aussi à être démasqués dans les médias. La première affaire de faux Autochtone remonte à novembre 2019, lorsque la presse a découvert que la toute première élue amérindienne de la ville de Montréal, Marie-Josée Parent, n’était aucunement autochtone.

Mme Parent avait été chargée du prestigieux dossier de la réconciliation par la très progressiste « mairesse » Valérie Plante, l’équivalent québécois d’Anne Hidalgo. Le Canada gagnait ainsi son Elizabeth Warren, cette sénatrice démocrate américaine, blonde aux yeux bleus, qui s’est présentée toute sa carrière comme une descendante de la tribu Cherokee. En 2019, pour en finir avec les railleries du candidat Donald Trump qui la surnommait Pocahontas, Mme Warren prit l’initiative de prouver scientifiquement ses origines. Les résultats des tests génétiques indiquèrent une origine amérindienne de 1/64 dans une ascendance remontant à six générations et de 1/1024 sur dix générations. Une part ridicule de sang indien, mais jugée suffisante pour se réclamer de l’univers précolombien. Rattrapée par le karma, Mme Warren choqua la tribu Cherokee, à qui elle dut présenter des excuses pour avoir réduit l’appartenance à ce groupe à une affaire purement raciale. Concernant son héritière spirituelle, Marie-Josée Parent, ce sont deux historiens approchés par la télévision d’État qui sont remontés jusqu’au xviie siècle pour s’apercevoir de l’absence d’ancêtre autochtone dans ses ancêtres. « Nos identités à moi et ma sœur vont au-delà d’un arbre généalogique », déclara-t-elle à Radio-Canada pour se défendre. Elle assure encore aujourd’hui se sentir autochtone.

Fraudes à l’identité

L’affaire Marie-Josée Parent en annonçait plusieurs autres du genre. Les histoires de faux Autochtones se sont effectivement multipliées ces dernières années. L’une des plus récentes concerne la directrice scientifique de l’Institut de la santé des Autochtones du Canada, Carrie Bourassa, qui a été suspendue de ses fonctions pour une durée indéterminée. Mme Bourassa se présentait comme issue des peuples métisse, anichinabée et tlingit, alors que des chercheurs ont dévoilé que coulait dans ses veines du très raciste sang européen.

Ironie du sort, Suzy Kies, l’une des principales responsables de l’autodafé woke, a elle aussi vu ses origines remises en question. Alors que la polémique sur la crémation des livres battait son plein, Radio-Canada a révélé que cette « gardienne du savoir autochtone » – comme elle se désigne pompeusement – ne pouvait être considérée comme une Amérindienne en vertu de plusieurs critères officiels. Mme Kies a démissionné de son poste de coprésidente de la Commission des peuples autochtones du Parti libéral que dirige Justin Trudeau.

A lire aussi : Les décoloniaux veulent faire table rase du Canada

« Les universités cherchent à lutter contre la fraude à l’identité autochtone après une série de cas récents », titrait le 16 février dernier le magazine Affaires universitaires. Cependant, ces imposteurs ne sévissent pas seulement dans les institutions publiques et les universités, où de nombreux postes de chercheurs et professeurs sont strictement réservés à de « purs » Autochtones. Depuis quelques années, ces faux Indiens, mais vrais opportunistes, sont aussi légion dans les prisons. Les détenus ont la possibilité de « s’auto-identifier » comme amérindiens, ce qui leur donne le droit de réclamer de la viande de gibier pour leur repas, de manière à honorer leur ancestrale vocation de chasseurs. Un principe d’auto-identification fondé sur le ressenti, défendu par le gouvernement fédéral et qui entre en contradiction avec la pureté du sang réclamée ailleurs. Dans les pénitenciers, les faux et vrais membres des Premières Nations se voient également donner le droit de fréquenter un centre spirituel consacré à l’expression de leur identité mythique. Enfin, le statut d’Autochtone leur permet de recevoir des visites privées durant lesquelles ils peuvent avoir des rapports sexuels, et de faire instruire leur dossier plus rapidement que les détenus « blancs ».

La multiplication des faux Autochtones est bien sûr décriée par un nombre grandissant de « vrais Autochtones », lesquels apprécient peu que leurs privilèges soient étendus à des gens avec qui ils ne partagent pas grand-chose.

Le nombre de personnes se proclamant autochtones ou métisses a littéralement explosé dans les derniers recensements de Statistique Canada. Un phénomène qui traduit autant le refus du métissage que celui de l’héritage européen dans un pays censé exalter les appartenances plurielles.

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Fin de carrières

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D.R.

À Meudon, une merveille architecturale, précieuse pour le patrimoine national, est sur le point d’être détruite pour des raisons pécuniaires. Des collectifs se sont formés et des associations se sont mobilisées pour s’opposer à ce dessein…


Le 9 avril, une manifestation a été organisée à Meudon pour défendre les carrières de la ville – classées en 1986 pour intérêt scientifique – ainsi que la colline Rodin. Une dizaine d’associations se sont mobilisées pour préserver ces sites menacés par un comblement alors qu’ils présentent un triple intérêt : géologique, historique et esthétique. Les travaux devraient démarrer en juin.

Anciennes carrieres de craie de Meudon (Hauts-de-Seine, France)

Si c’est la sécurité publique qui est invoquée pour justifier la destruction de ce monument architectural, cela fait quarante ans que les promoteurs lorgnent sur les terrains municipaux non construits qui surplombent les carrières. La métropole du Grand Paris a déjà lancé un appel à projets pour un ensemble immobilier à venir. La décision de la mairie de combler la moitié des huit kilomètres de galeries représente une perte patrimoniale inestimable.

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C’est au XVIIIe siècle qu’on commence à extraire la craie de ces carrières. Au XIXe, des maîtres carriers construisent des galeries souterraines impressionnantes, dont la hauteur varie entre trois et dix mètres et dont les voûtes prennent des formes variées. Ces crayères produisent le célèbre pigment « Meudon blanc ». Cette exploitation prend fin en 1925, mais les carrières servent de champignonnières jusque dans les années 1970. Pendant la guerre de 1940, les Allemands y font d’importants aménagements. Les sites abritent aussi des richesses paléontologiques : on y trouve des fossiles de mammifères de l’âge tertiaire, comme une dent de coryphodon, un animal amphibie.

La bataille pour sauver les sites a commencé en février 2019, quand la secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, Emmanuelle Wargon, délivre à la commune de Meudon une autorisation spéciale de travaux. Cette autorisation est annulée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise en octobre 2020, mais en juillet 2021 le jugement est à son tour cassé en appel par la cour de Versailles. Drôle de manière de défendre le patrimoine de la France. Un joyau va être comblé, et cela ne nous comble pas.