Durant des siècles, l’art du pamphlet a aiguisé l’esprit français. Piquer, égratigner ou assassiner par le verbe un adversaire nécessite un talent que ne partagent pas tous les littérateurs. Dans un savoureux florilège, François Bazin présente son panthéon personnel. L’ai-je bien descendu ? Les politiques dans le viseur des écrivains (Bouquins, 2022).
Le pamphlet est une sorte de jeu de massacre qui remonte au XVIIe siècle, au cardinal de Retz précisément, père fondateur du genre, dixit François Bazin, l’auteur de cette anthologie de textes d’écrivains destinés à flétrir, moquer, voire fesser certains acteurs du monde politique.
Après Retz, puis le duc de Saint-Simon, le libelle assassin va faire fortune pour devenir une fantaisie littéraire assez courue. On voit alors les esprits les plus fins se disputer la clef du champ de tir. Un casse-pipe beaucoup moins fréquenté de nos jours, hélas, malheureuse époque où pèse un climat d’offuscation permanent qui nous astreint tous à une prudente bienveillance quasi obligatoire, car les fleurets sont mouchetés par la menace procédurière. Le pamphlétaire peut encore aboyer, mais il est prié de porter muselière. Pourtant, tout le plaisir du croquis vachard est là, dans l’ardeur mise à mordre ! Attention, la volonté de faire mal ne suffit pas, encore faut-il y mettre du style, et c’est sans doute pourquoi la droite littéraire a prospéré dans l’exercice avec une férocité gourmande.
D’ailleurs, François Bazin puise largement dans ce groupe d’écrivains – Rebatet, Barrès, Maurras, Buisson, Léon Daudet, Morand notamment – pour composer, en partie, la liste des 56 auteurs qui peuplent son livre. On y trouve les vieux routiers, comme Balzac, Hugo, Céline, Bernanos, Giono, Mauriac, Stendhal, etc., quelques contemporains inattendus, comme Bayrou et Montebourg, ainsi que des trouvailles telles la comtesse de Boigne et sa saisissante peinture de Chateaubriand en prince égotique, ou Karl Marx qui voit dans Bonaparte un « grave polichinelle ». On y croise aussi de très brillants sujets, pourvus de plumes taillées pour l’abordage : Jean-Edern Hallier et sa véhémente Lettre ouverte au colin froid (pauvre Giscard !), Jean Cau (VGE : « Il a une case de trop »), Philippe Alexandre (Barre : « Il veut faire croire qu’il a du caractère alors qu’il n’a que des emportements »), Matthieu Galey (Mitterrand : « Un petit saurien en costume beige » ; Edgar Faure : « Simple raquette à renvoyer la parole »), Stéphane Denis (Chevènement : « Cet homme droit s’exprimait en courbes »), et bien d’autres encore qui ont le génie de la formule homicide et sont sans pitié pour leur cible.
Ces pistoleros font mouche à tous les coups. Si les autres tirent souvent à côté, c’est qu’ils n’y mettent pas assez de hargne ni de vivacité, car pour toucher, l’assaut doit être vif, bref et cinglant, comme celui d’un mousquetaire… Quand le billet est réussi, c’est une véritable gifle qu’un homme du peuple inflige à un parlementaire, un ministre ou un président. Ce soufflet, c’est l’orgueil de notre République ! Ah ! Si seulement l’essai de François Bazin pouvait nous aider à retrouver le goût des moqueries fines et de l’esprit de chicane ! Quand recroisera-t-on le fer avec la plume, comme jadis on le faisait avec l’épée ?
François Bazin, L’ai-je bien descendu ? Les politiques dans le viseur des écrivains, Bouquins, 2022.
D’après l’éditorialiste Thomas Legrand, si Zemmour a perdu, c’est à cause de… Bolloré. Et pas du tout à cause de la campagne digne d’une république bananière que nous venons de vivre…
Thomas Legrand, éditorialiste politique de France Inter et bobo autoproclamé qui déclarait en 2018 que « le bobo est à l’aise avec la mondialisation et s’intéresse peu à l’entre-deux, la nation » [1], a expliqué mardi dernier les raisons de la défaite d’Éric Zemmour. Il y en a deux, d’après lui : Poutine et surtout… Bolloré.
Quel problème d’identité française ?
Passons rapidement sur l’explication Poutine, avancée par Zemmour lui-même, pour ne retenir que la conclusion de l’éditorialiste, une charge obtuse contre l’idée de nation et d’identité s’appuyant sur une « vérité » qui reste à démontrer : « Que le candidat d’extrême-droite se soit à ce point trompé sur ce que le nationalisme et l’identitarisme produit toujours – brutalité et malheur – a détourné nombre d’électeurs simplement conservateurs. »
Si Zemmour a perdu, selon le journaliste, c’est surtout parce qu’il a « surdimensionné » le problème identitaire, en particulier avec son discours sur l’immigration, et a finalement confondu « le bruit que produisait […] son écosystème médiatique identitaire (sic) avec la réalité », celle d’une immigration heureuse uniquement dévalorisée par les « écrans “bollorisés” ». Raison principale pour laquelle, selon lui, les villes n’ont pas voté pour Zemmour et peu pour Le Pen, malgré « l’auto intoxication (sic) des journaux et télés réactionnaires ».
Quels sont ces journaux et télés qui méritent le qualificatif de « réactionnaires » ? Le ton utilisé par Legrand pourrait laisser croire que ces journaux et ces télés occupent de loin la plus grande place sur la scène médiatique. À part CNews et Valeurs actuelles, que Thomas Legrand tacle régulièrement sans jamais manquer de les ranger dans la case « extrême-droite », à quels autres organes de presse fait allusion notre journaliste france-intérien ? On ne sait pas. Il ne sait pas non plus – ou plutôt il sait très bien ce qu’il fait : sa formulation vague laisse planer le doute mais, en vérité, il n’ignore pas que les médias dominants, l’audiovisuel public en tête, a minutieusement participé à la victoire d’Emmanuel Macron. Le pluralisme médiatique français est une fable : la presse française est essentiellement libérale-libertaire, européiste, progressiste et wokiste.
Une presse archi-favorable au président sortant
L’Observatoire du Journalisme s’est ainsi amusé à établir le rapport de force médiatique (non exhaustif mais significatif) entre les deux-tours de la présidentielle. Il n’y a pas photo :
– Quotidiens et magazines pro-Macron : Le Monde, Libération, L’Opinion, L’Humanité, Les Échos, La Croix, la majorité de la presse régionale. Le Point, L’Obs, L’Express, Télérama, Courrier International, Paris-Match, Elle, la presque totalité de la presse féminine.
– Télévisions et radios pro-Macron : tout l’audiovisuel public, le groupe TF1, M6, Arte, BFMTV et, plus subtilement, la majorité des grandes radios privées.
– Échappent à la propagande : Valeurs actuelles, Marianne, CNews, et quelques médias comme Radio Courtoisie, Sud Radio ou TV Libertés.
Si Zemmour était parvenu au second tour, la répartition aurait été à peu près la même. Nous aurions peut-être eu droit en plus à l’équivalent du dessin répugnant qui servit de couverture au Courrier International (qui fait partie du Groupe Le Monde) lors des élections de 2002 et qui représentait une caricature de Français avec béret, petite moustache hitlérienne, bouteille de rouge marquée de la croix gammée et baguette de pain faisant un salut nazi, pour illustrer le titre : “France, l’Europe te regarde (Le monde aussi).”
À ceux qui se sont posé la question de savoir pour quelles raisons Emmanuel Macron n’a pas fait campagne avant le premier tour de l’élection présidentielle, il est facile de donner une partie de la réponse : parce que les médias dominants l’ont fait, d’une manière ou d’une autre, à sa place. En omettant de faire le bilan du quinquennat macronien et en chargeant comme une mule le « polémiste d’extrême-droite », Thomas Legrand et ses confrères ont délibérément soutenu le candidat Macron en empêchant le débat. Aucun des sujets qui auraient pu entacher la nouvelle candidature de Macron n’a véritablement émergé : ni la vente à l’encan des bijoux industriels de la France (Alstom, Lafarge, etc.), ni la catastrophique fermeture de Fessenheim, ni la dette abyssale, ni l’influence de plus en plus grande de l’UE sur le destin de la France, ni les accointances des membres les plus importants du cabinet Mc Kinsey avec le président, ni les propos contradictoires de ce dernier sur le nucléaire, la colonisation, la culture française, le voile islamique. L’insécurité grandissante, le problème migratoire, l’école en faillite, l’écroulement civilisationnel, tous ces sujets fondamentaux que le candidat Zemmour avait à cœur de mettre sur la table ont été irrémédiablement balayés d’un revers de main sous les accusations de xénophobie, d’islamophobie, d’élitisme et de nationalisme rappelant « les heures les plus sombres de l’histoire ».
Ce n’est pas « la faute à Bolloré » si Éric Zemmour a échoué. Comme ce n’est pas seulement la faute à Marine Le Pen si elle a perdu. Rien n’aura été plus obscène que l’évidente collusion de la majorité de la presse avec le pouvoir en place pour soi-disant « faire barrage à l’extrême-droite ». La courbette à ce niveau-là, moi je dis que ça devient gênant. Le Billet d’Honneur (ou de Déshonneur, c’est selon) est décerné, une fois de plus, à « l’odieux visuel du sevice public » (Gilles-William Goldnadel), organisme rémunéré par l’ensemble des Français mais dont la moitié d’entre eux sont méprisés par des journalistes et des humoristes qui ne cachent plus leur détestation pour ces Français qui ne votent pas comme il faut.
Nupes, ça a de la gueule
Si « l’extrême-droite » doit être combattue coûte que coûte, l’extrême-gauche a droit à certaines faveurs. Après avoir ciré les mocassins macroniens, Thomas Legrand nettoie un peu les croquenots mélenchonistes. Il comprend, explique-t-il dans son billet du 4 mai après de subtiles circonlocutions, « l’idée de cet accord » entre LFI, EELV et les restes du PS et du PC. Finalement, dit-il, cela « a presque de la gueule ». Je peine à imaginer quelle gueule, du point de vue de Thomas Legrand, aurait pu avoir un accord entre le RN et Reconquête ! Je suppose qu’après avoir épuisé toutes les références nazifiantes, il aurait évoqué les “gueules cassées” de la Grande Guerre, victimes de l’esprit nationaliste de gens qui croyaient encore, les malheureux, que l’idée de nation – comme « âme et principe spirituel » (Renan) – est celle qui doit gouverner l’histoire et le destin des peuples européens.
Aux yeux du prêtre radiophonique Thomas Legrand, cette idée de nation est aussi baroque que celle qui laisse penser que cette âme française pourrait être corrompue par un problème d’intégration des immigrés. Le seul problème d’intégration, disait-il déjà lors de son homélie du 10 mai 2022, est celui « des Français de souche vivant dans ces zones rurales ou périurbaines sans étrangers et sans diversité ethnique. […] Cette France vieillissante, effrayée par la représentation d’un monde urbain métissé. […] Cette population qui se sent exclue d’un monde qui semble en expansion, d’un monde qui accepte mieux la différence tout simplement parce qu’elle la connaît mieux. » Mélenchon – et, en vérité, la majorité des représentants politiques et médiatiques, de Macron à Rousseau et de L’Obs au Monde – pensent la même chose. Qu’il y ait encore quelques minuscules endroits « bollorisés » où l’on puisse penser autrement, voilà qui ne convient ni à Thomas Legrand en particulier, ni aux médias « pluralistes » en général.
[1] Entretien donné au Temps, le 22 octobre 2018, à l’occasion de la sortie de son livre Les 100 mots du bobo, écrit en collaboration avec Laure Watrin, paru aux éditions PUF.
Éric Zemmour vient d’annoncer sa candidature aux législatives dans la 4e circonscription du Var. Gageons que le candidat de droite, malheureux à la présidentielle, s’assurera que les gendarmes de Saint-Tropez surveillent et verbalisent toute baigneuse en burqini cet été! Dans d’autres circonscriptions, le parti «Reconquête» envoie des candidats qui se veulent la parfaite antithèse du mélenchonisme tellement à la mode depuis quelques jours. Petite revue des troupes.
Reconquête! a le sens des symboles, et c’est une excellente chose : le constat de Marc Bloch est toujours d’actualité, il ne faut pas laisser aux ennemis de la France « le soin de ressusciter les antiques péans. »
Aussi, le parti d’Eric Zemmour n’a-t-il pas choisi par hasard ses représentants aux élections législatives, dont certains – on pense par exemple à Patrick Jardin, dont la fille Nathalie a été assassinée au Bataclan – sont en eux-mêmes infiniment plus signifiants que n’importe quelle promesse électorale. Beaucoup de ceux qui s’opposent à ce que « la France reste la France » ne s’y sont pas trompés, et Libération par exemple a consacré tout un article à accuser des pires turpitudes les candidats investis par Reconquête!, du racisme au nazisme en passant par le complotisme. Se voir ainsi attaqué par le journal qui fit l’éloge des Khmers Rouges et de la pédophilie, et affirma qu’il n’y avait pas de terroristes islamistes parmi les migrants, peut être interprété comme un gage de qualité, finalement !
Deux des candidats de Reconquête!, notamment, forment avec leurs opposants du Nupes (l’alliance islamisto-gaucho-woke du « butin de guerre » de Bouteldja !) des contrastes qui en disent bien plus que tous les débats politiques : des duels archétypaux à l’état pur. Bruno Attal face à Taha Bouhafs – du moins jusqu’au désistement de celui-ci. Et Damien Rieu envoyé dans la région où opère le militant no border Cédric Herrou.
À Vénissieux, un candidat défendant l’honneur de la police nationale
À droite, donc, Bruno Attal. Policier, doté d’une solide expérience de terrain, le grand public l’a découvert lorsqu’il a soigneusement démonté et démontré l’instrumentalisation anti-police de l’affaire Michel Zecler – allant courageusement à contre-courant de l’emballement politico-médiatique, d’Emmanuel Macron à Aya Nakamura.
A gauche, jusqu’à son renoncement, Taha Bouhafs : « journaliste » devenu célèbre pour avoir dénoncé des faits imaginaires (le fameux « mort de Tolbiac » et les CRS « épongeant le sang des étudiants à l’intérieur de la Fac pour ne laisser aucune trace »). Et depuis, injures racistes à l’encontre de Linda Kebbab, propos anti-israéliens (évoquant « la Palestine de la mer au Jourdain »), Zemmour traité de « sous-humain », l’équipe de Charlie Hebdo de « pouilleux », participation à une manifestation en brandissant une fausse tête de Marine Le Pen au bout d’une pique, etc. Taha Bouhafs ne sera finalement pas investi, mais le concert de ceux qui accusent un harcèlement d’extrême-droite d’être cause de ce renoncement (du moins jusqu’à ce que ce message devienne difficile audible, même dans les médias les mieux intentionnés à l’égard de la gauche) et visent à transformer le failli candidat en ersatz de martyr est un beau florilège des islamo-gauchistes du pays, à commencer par Mélenchon en personne (et comme le souligne Florence Bergeaud-Blackler, depuis Bruxelles, les Frères Musulmans ne sont pas en reste).
🇪🇺Les Frères européens à Bruxelles sont généralement discrets sur les élections nationales. Ils réagissent ici publiquement au retrait de Taha Bouafs, confirmant qu'ils demeurent de solides appuis pour Mélenchon et l'extrême gauche aux élections législatives pic.twitter.com/x8eFBlIal1
— Florence Bergeaud-Blackler (@FBBlackler) May 10, 2022
Voilà pour la 14ème circonscription du Rhône (Vénissieux) – et le Nupes se rattrape ailleurs du désistement de Taha Bouhafs avec d’autres candidats hauts en couleurs, comme Leïla Ivorra qui avait elle aussi été à l’origine de mensonges éhontés sur Tolbiac, et l’inénarrable Nicolas Cadène, fossoyeur de la laïcité pendant huit ans avec les bénédictions successives de François Hollande et d’Emmanuel Macron.
L’identitaire Damien Rieu déployé près de la frontière italienne
Passons à la 4ème circonscription des Alpes Maritimes (Menton). Deux personnalités seront présentes, elles ont en commun la détermination à agir, et le fait d’avoir été relaxées à l’issue de procès médiatiques. Pour le reste, tout les oppose.
À droite, Damien Rieu : très engagé dans le combat médiatique et culturel, mais aussi concrètement avec le blocage du Col de l’Échelle, pour empêcher l’entrée de migrants illégaux (au grand dam de l’État, qui s’offusqua de voir que des particuliers tentaient d’assurer la mission qui aurait dû être celle des services publics, mais que ceux-ci négligeaient). Il a été le porte-parole de feu Génération Identitaire, organisation dissoute par Gérald Darmanin en 2021.
À ce sujet, une brève mais nécessaire digression : on peut avoir des réserves envers Génération Identitaire, mais un cas concret résume parfaitement la situation. Le 13 juin 2020, une manifestation du clan Traoré (théoriquement illégale pour cause de Covid, mais tolérée par l’exécutif) a permis l’étalage décomplexé de la haine de la police et de la France (et on se souvient aussi des cris antisémites qui y furent entendus), sous couvert « d’anti-racisme » et du slogan « Black Lives Matter ». Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner, venait d’expliquer que « l’émotion dépasse les règles juridiques » pour justifier sa soumission à la famille du détenu à la fourchette, et envisageait même sérieusement de mettre un genou à terre devant ce « Black Lives Matter à la française ». Et voilà que Génération Identitaire vint troubler ce bel unanimisme du wokisme triomphant en déployant sur le toit d’un immeuble, au-dessus de la manifestation, une banderole : « Justice pour les victimes du racisme anti-blanc #Whitelivesmatter ». Alors on peut bien sûr faire la fine bouche et regretter qu’ils aient écrit #WhiteLivesMatter plutôt que l’universaliste #AllLivesMatter, seulement voilà : aucun de ceux qui auraient préféré #AllLivesMatter n’a eu le courage de faire ce qu’a fait Génération Identitaire (cette critique valant évidemment au premier chef pour l’auteur de ces lignes), et au #BlackLivesMatter des Traoré, courtisés par un gouvernement indigne et des médias complaisants, mieux vaut peut-être opposer quelque chose de ferme que ne rien opposer du tout.
Sur son chemin, M. Rieu trouvera dans la région le militant d’extrême gauche Cédric Herrou : auteur d’un célèbre « délit de solidarité », c’est-à-dire concrètement passeur faisant entrer illégalement des migrants en France, pour des raisons idéologiques. Ce qui lui valut sans surprise une invitation à France inter et à Cannes, une notoriété flatteuse et quelques prix délivrés par des associations bien en cour (Médaille de la ville de Grenoble, Prix de la Licra…). Car bien sûr, alors que ceux qui voudraient préserver notre nation et notre civilisation sont vilipendés comme des monstres, les militants No Border, parfois complices de passeurs mafieux, sont célébrés comme des héros ! Ainsi va la France, qui oublie de se poser l’excellente question de Douglas Murray : « pourquoi l’Europe serait le seul endroit au monde qui appartienne à tout le monde ? »
Naturellement, le cercle de la raison autoproclamé aura de cette confrontation archétypale une lecture opportuniste, et tentera de se présenter comme le seul recours possible entre deux extrêmes. C’est là évidemment une présentation fallacieuse et mensongère : l’extrême-centre, dans tous les domaines évoqués, est résolument « progressiste ». Entre le macronisme et la Nupes, il y a une différence de degré mais pas de nature.
En matière de politique pénale, jamais l’idéologie perverse du juge Baudot n’aura été à ce point triomphante, pour s’en convaincre il n’est qu’à voir la situation du jeune policier contraint d’ouvrir le feu sur le Pont Neuf, ou de cet agriculteur lui aussi obligé de tirer pour protéger sa fille et sa maison. Et en matière d’immigration, le bilan d’Emmanuel Macron est conforme à son projet, donc catastrophique, et l’impuissance de l’État face à l’immigration illégale manifeste. Enfin, si l’islamogauchisme de la Nupes est fréquemment dénoncé, n’oublions pas qu’Emmanuel Macron s’est extasié devant la « beauté » d’une femme voilée se disant féministe, et que, sous sa présidence, l’UE et ses affidés n’ont eu de cesse de promouvoir le hijab. Il est donc bien hypocrite que les soutiens du président critiquent maintenant les propos de la Nupes en faveur du burkini ! Et on pourrait encore multiplier les exemples….
Au moins, les enjeux sont clairs. En juin les électeurs auront dans toutes les circonscriptions évoquées le choix, la France devra ensuite assumer.
Face à la « nouvelle gauche » de Mélenchon, le maire de Cannes veut inventer une droite nouvelle. Pour renaître de ses cendres, LR doit imposer un projet opposé autant au transnationalisme de Macron qu’à l’islamo-gauchisme des Insoumis, et surtout rompre avec le social-étatisme qui détruit l’État. Propos recueillis par Elisabeth Lévy…
Causeur. Même avant même le début de la guerre en Ukraine, cette campagne n’a guère suscité de passions. Comment l’expliquez-vous ?
David Lisnard. Je ne sais pas l’expliquer. Comme nous l’avons écrit il y a quatre ans dans Refaire communauté, pour en finir avec l’incivisme, nous sommes face à une grave remise en cause des fondements mêmes de la démocratie dont une des expressions est l’abstention assez élevée. Une partie de la population se désintéresse de la politique et une minorité continue à s’y intéresser sur les réseaux sociaux ou sur les chaînes d’info, mais par l’outrance et l’invective. C’est le fruit du nihilisme de l’époque qui est lui-même la conséquence du relativisme, lequel consiste à dire qu’aucune civilisation, aucun système de valeurs ne prévaut moralement, que tout se vaut. Si tout se vaut alors rien ne vaut : la démocratie n’est pas si importante ; voter, on a mieux à faire… Cela finit par une sorte de consumérisme politique. Comme dans un rayon de supermarché, on choisit au dernier moment, sans trop savoir pourquoi. D’où le désintérêt pour le débat et le dénigrement des porteurs d’idées.
Dans un récent entretien au Point, Patrick Buisson explique que Macron et Le Pen sont les candidats de la post-politique.
C’est juste. Des phénomènes conjoncturels comme le Covid et la guerre en Ukraine n’ont été que des catalyseurs d’une dépolitisation – que Raphaël Llorca avait appelé la « neutralisation de la vie politique » – voulue notamment par Emmanuel Macron. C’est aussi le fruit de la faiblesse des alternatives proposées.
Sans nier l’importance du pouvoir d’achat, il ne résume pas les préoccupations des gens. Pendant l’automne, Éric Zemmour a imposé avec succès des questions régaliennes, identitaires, qui ont ensuite été évacuées. L’idée même d’intérêt général aurait-elle déserté les consciences ?
C’est plus complexe que cela. Dans ce que je vis au quotidien dans ma commune, je vois une multitude d’expressions de dévouement au service de l’intérêt général, et tous les maires vous diront la même chose. Certes, le politique doit répondre à la question de l’avoir – le pouvoir d’achat et les salaires en période d’inflation, problème sous-estimé qui va nous exploser à la figure dans quelques mois – mais parallèlement, elle doit s’adresser à l’être.
Dans cette élection, ceux qui ont été en tête sont ceux qui avaient une ligne. Chez Marine Le Pen, il y a une forme de nationalisme populiste qui s’exprime à travers une vision étatiste, qui n’est absolument pas la mienne, mais qui est claire. Emmanuel Macron est dans un clientélisme d’État caché derrière le paravent du « quoi qu’il en coûte ». C’est une forme de démagogie sophistiquée défendue par les élites, qui s’y retrouvent à court terme. Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour ont plus parlé à l’être. Chez eux, il y a du récit, de l’épopée. Ils ont de la culture, une facilité d’élocution, et certaines idées dangereuses. Cette élection cristallise l’existence d’un pôle autour de la patrie, avec Le Pen, d’un pôle opportuniste et très conformiste avec Macron et d’un retour de la gauche, avec un pôle extrémiste autour de Mélenchon.
Je suis conservateur au sens anglo-saxon du terme. Cependant, quand j’entends un mot en « isme », je me méfie. Comme le disait Jean-François Revel, « l’idéologie, c’est ce qui réfléchit à votre place »…
Dans l’entre-deux-tours on nous a bassinés avec l’extrême droite, mais personne ne fait le reproche à Mélenchon d’être d’extrême gauche, une famille politique qui n’a pas non plus à être fière de son histoire.
Non seulement personne ne lui fait le reproche d’être d’extrême gauche, mais il y a eu une course sans vergogne au mélenchonisme ! Il faut au contraire démonter l’argumentaire de Jean-Luc Mélenchon, car il séduit la jeunesse et risque de créer une dynamique très dangereuse : un antirépublicanisme qui se revendique de la République mais qui est anti-universaliste, wokiste, racialiste, anticapitaliste. Dès avant le premier tour, Macron, dont on surestime la capacité conceptuelle et sous-estime la capacité tactique, a compris qu’il y avait une gauche orpheline et a repris le slogan de Poutou, en parlant d’une prime de 6 000 euros – et pourquoi pas 20 000 ? Avec une telle surenchère, il joue avec le feu ! En attendant, il s’est retrouvé face à quelqu’un qui n’a pas su gérer le défi du débat de second tour, lequel a été l’expression ultime de la dépolitisation.
On a vu renaître la gauche, pourtant le clivage droite/gauche ne structure plus la vie politique. Comment peut-on définir le nouveau clivage ?
D’abord, sans clivage, point de démocratie. Le mythe de la réunion des bonnes volontés compétentes est une matrice totalitaire. Ceci étant, depuis trente ans, les lignes de clivage sont brouillées. Elles étaient claires à l’époque du mur de Berlin où on avait un clivage capitalisme/communisme. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase transitoire où l’enjeu est de proposer un clivage utile au pays. Hélas, celui qui a été poussé est le clivage progressistes/nationalistes. Je ne le pense pas pertinent. Il n’embrasse pas la vie politique ; en revanche, il peut l’embraser.
Pourquoi ?
Il y a d’abord un clivage sociologique. Mitterrand disait avec raison qu’il fallait mettre en adéquation la politique et la sociologie. Les personnes à faibles revenus ont voté Marine Le Pen en premier et Jean-Luc Mélenchon en deuxième ; tandis que la France des revenus plus élevés, après avoir voté François Fillon en 2017, s’est partagée entre Emmanuel Macron et Éric Zemmour. À Cannes, c’est flagrant. Quand le pays va revenir aux réalités budgétaires, quand on verra que le crédit facile disparaît et qu’il faut réduire une dépense publique à laquelle nous sommes accoutumés, le réveil sera brutal. Plus on demande à l’État, plus on est capricieux et moins on est content. Il va y avoir des phénomènes de violence nourris par la frustration, le ressentiment et le sentiment d’injustice. Cette opposition sociologique entretient beaucoup de compatriotes dans une posture victimaire.
Notre devoir, pour la paix civile, la concorde nationale, est de créer des débats utiles qui correspondent à des enjeux politiques. Avec Nouvelle Énergie, j’essaie de développer une offre issue de mon vécu d’ancien petit commerçant et de maire, qui se décline sur trois axes. D’abord, comment créer une prospérité économique par la liberté et la responsabilité ? Ce qui flingue le pays, c’est qu’on n’encourage pas la responsabilité et qu’on ne sanctionne pas l’irresponsabilité.
Ensuite, l’ordre juste, pour reprendre l’expression de Ségolène Royal en 2007. Il faut retrouver de l’effectivité dans la politique publique, notamment sur le plan régalien, en sortant de la grandiloquence des mots et de l’impuissance des actes. C’est une priorité. Quand on élit un chef de l’État, il faut qu’il cheffe l’État. Or Macron cheffe la société.
Enfin, mon troisième axe, c’est l’unité de la nation par la culture, le partage des grandes œuvres de l’esprit, celles qui résistent au temps. Je suis pour le progrès, mais pas pour le progressisme. Je pense qu’il y a un espace pour cette offre politique.
Quel clivage souhaitez-vous imposer ?
C’est entre le wokisme, le relativisme et le nihilisme, d’un côté, et la construction d’une ambition française fidèle à l’universalisme républicain, à son histoire et tournée vers l’avenir, au sein d’une Europe réaliste et organisée comme instrument de puissance, de l’autre.
Ce que vous décrivez s’appelle « conservatisme », pourquoi esquivez-vous le mot ?
Je pense qu’il faut absolument conserver ce qui est bien. Je suis donc conservateur au sens anglo-saxon du terme. Cependant, quand j’entends un mot en « isme », je me méfie. Comme le disait Jean-François Revel, « l’idéologie, c’est ce qui réfléchit à votre place ».
Entre les deux tours, la totalité de la classe médiatique, une grande partie de la classe politique y compris à LR, le Medef, les artistes, les sportifs, Sarkozy, le Parti communiste, et même les Premiers ministres portugais, espagnol et allemand ont recréé le prétendu front républicain. Vous n’avez pas participé à cette quinzaine antifa…
Ceux-là mêmes qui appelaient à faire barrage ont fait sauter les digues par leur inconséquence. Il y a eu une volonté du pouvoir en place d’ériger Marine Le Pen en adversaire principale. C’est d’autant plus stupéfiant qu’un Darmanin, il y a un an, lui reprochait sa mollesse. Cette dialectique est dangereuse, car elle finira par faire gagner l’extrémisme, mais peut-être pas celui qu’on croit : ce sera l’extrémisme de gauche.
Ceux qui affirment que le RN n’est pas républicain n’expriment-ils pas un certain mépris de classe ?
Bien sûr ! Comme il y a eu du mépris de classe pour les Gilets jaunes première génération. Je combats les idées du RN, que je juge étatistes, irréalistes et socialistes sur le plan économique. Sans parler des ambiguïtés sur la Russie et l’Ukraine. Mais si je me suis battu pour que tous les principaux candidats aient leurs parrainages, ce n’est pas pour dire après coup qu’ils sont antirépublicains ! Si c’était le cas, ils ne devraient pas être autorisés à concourir. On ne peut pas les faire monter de façon volontaire et tactique, et dire en même temps qu’ils ne sont pas républicains. Personne n’y croit vraiment.
Comment expliquez-vous la piètre performance de Valérie Pécresse ? Pourquoi les anciens électeurs sarkozystes n’ont-ils pas voté LR ?
Il y a eu des éléments de circonstance, comme l’impossibilité d’avoir un débat alors que tous les médias focalisaient sur la guerre en Ukraine. Le champ émotionnel avait pris le dessus. Il faut aussi évoquer le Covid et cette atonie civique dont nous parlions au début. Et la cristallisation s’est faite, plus tard, autour des trois offres les plus simples, les plus lisibles. Enfin, il y a eu un réflexe de vote utile catalysé par les sondages. Une partie de l’électorat de droite n’est pas allé voter, et l’autre partie a voté Macron comme garant d’une certaine sécurité en période de crise. La droite populaire est partie chez Le Pen et une partie de la droite des classes moyennes est partie chez Zemmour. Tous ces phénomènes ont été une machine à broyer le débat. Si ce débat n’a pas lieu aux législatives, ça finira dans la rue. L’enjeu est majeur.
Tout de même, comment expliquer qu’une France majoritairement à droite réélise Macron ?
La droite dite républicaine n’a pas réussi à incarner une alternative crédible, à être audible face à un président sortant qui a tout fait pendant cinq ans pour faire émerger des oppositions radicales à gauche comme à droite, comme garanties de sa réélection. Nous n’avons pas su nous distinguer suffisamment et avons laissé partir l’électorat traditionnel de droite chez Macron d’un côté, chez Zemmour ou Le Pen de l’autre. Une fois la droite classique éliminée, le scénario rêvé d’Emmanuel Macron est advenu avec un second tour qui lui assurait la victoire.
Vous voulez réconcilier la sociologie et la politique, mais il faut aussi réconcilier l’idéologie et la politique. Les juppéo-macronistes et les wauquiezo-zemmouriens défendent des conceptions radicalement opposées de la nation, du monde et de l’Europe. L’éclatement possible du parti ne serait-il pas une œuvre salutaire de clarification ?
Ce que vous dites vaut également pour Le Pen et Macron. Chez Macron, c’est le « en même temps » permanent. Pourtant les macronistes se retrouvent derrière « le progressisme face aux forces de la réaction ». Au RN, il y a de grosses contradictions, mais ils arrivent malgré tout à avoir une identité politique, puisqu’ils veulent incarner « la nation face à ceux qui la menacent. »
On rencontre ces phénomènes dans tous les mouvements politiques. Entre les laïques républicains sincères et les écolos gauchistes, le parti socialiste en est le meilleur exemple.
Comment allez-vous vous distinguer de Macron et de Le Pen ?
Il faut incarner la rupture avec le social-étatisme. L’État doit être respecté, il doit être fort, mais ses administrations doivent être efficaces au service des habitants. Nous devons incarner une société de l’élévation des individus, de la nation, de la culture, de l’industrie, porter un projet de refondation de la France ! Je vais y travailler, avec LR et Nouvelle Énergie, sur les trois piliers que j’ai évoqués. L’urgence, c’est l’éducation ! Je viens d’un milieu où on acceptait de galérer, d’avoir les huissiers à la maison, mais où il était scandaleux que les enfants ne reçoivent pas une instruction publique de qualité. Au nom de l’égalitarisme, la France a le système en réalité le plus injuste, le plus inéquitable. Les gens des catégories sociales supérieures savent très bien où scolariser leurs enfants mais, avec la carte scolaire, on assigne les enfants des classes populaires et moyennes à résidence et au déterminisme social. Ce que j’appelle la société augmentée passe par une grande politique d’instruction publique, une grande ambition nationale pour la science, la mobilisation d’une Europe-puissance pour des projets de coopération sur la transition énergétique, le nucléaire…
Sauf qu’à 27, elle n’est pas près d’arriver votre Europe-puissance. Rêvez-vous, comme Macron, d’une Europe fédérale ?
Non. Macron pense que les nations sont dépassées, il est surtout transnationaliste. Qu’il y ait une Commission européenne, ça ne me dérange pas si c’est au service des États, mais je ne tolère pas que la Commission nous dise ce qu’il faut faire en Ukraine. Macron a une approche utilitaire de la nation, moi j’ai une approche utilitaire de l’Europe.
Pourriez-vous travailler avec quelqu’un comme Zemmour ?
Je sais gré à Éric Zemmour d’avoir remis la question civilisationnelle et culturelle au cœur de la politique. Mais il y a de grandes différences entre nous. Déjà, et c’est fondamental, il est jacobin et je suis plus girondin et libéral. Ensuite, je ne crois pas aux alliances tactiques. Je leur préfère les effets d’entraînement. Les alliances, c’est du rapport de forces et si nous devons discuter avec quelqu’un, il nous faut d’abord redevenir fort ! Autre point, Éric Zemmour s’est opposé à l’accueil des réfugiés ukrainiens, parce qu’il est prisonnier de son schéma de pensée, selon lequel, si on accueille les Ukrainiens, on accueille tout le monde. Mais non ! Nous pouvons décider d’accueillir qui on veut, notamment des diasporas dues à la guerre ou à un changement de régime et je pense que nous devons accueillir les Ukrainiens.
Votre parti, Nouvelle Énergie, va-t-il présenter des candidats ou êtes-vous toujours à LR ?
Je suis à LR et je crois en notre avenir avec une profonde évolution. Dans l’immédiat, un certain nombre de candidats LR me demandent de les soutenir aux législatives, ce que je fais volontiers.
Donc aux législatives, LR y va seul. Avec quel leadership ?
Christian Jacob est le patron de LR et a donné la ligne. Et chaque candidat va mener sa propre campagne. L’ancrage local sera déterminant. Et puis nous avons beaucoup de talents et de personnalités de qualité comme Jean Leonetti, Bruno Retailleau, Éric Ciotti, Gérard Larcher, Laurent Wauquiez, François-Xavier Bellamy, David Denjean et tant d’autres. À nous de porter des idées, des grands enjeux et des convictions. Nous devons montrer qu’une politique de justice passe par la construction de places de prison et par l’exécution des peines, qu’une politique de l’environnement passe par le nucléaire, l’hydroélectrique et l’hydrogène, qu’une politique de pouvoir d’achat doit procéder d’une politique de croissance économique, car autrement on finit par faire cocus les gens avec de l’argent public qui n’existe pas… Il faut être clair face à Emmanuel Macron qui restera le président des dettes : environnementale, financière, culturelle et industrielle. Nous devons aussi être déterminés face à l’islamisme. Ceux qui trouvaient Le Pen trop molle il y a un an, expliquent aujourd’hui qu’on peut porter un voile dans la rue et être féministe ! Enfin, le prochain clivage sera contre la nouvelle gauche menée par Jean-Luc Mélenchon, j’en suis convaincu. Il faut donc qu’il y ait en face une nouvelle droite.
Cela se doublera peut-être d’un clivage entre girondins et jacobins, pour ne pas dire entre Paris et la province.
C’est majeur ! J’avais alerté Macron à ce sujet. On nous flatte quand il le faut, mais en réalité on nous enlève du pouvoir, de la responsabilité. Si cela continue, il y aura une révolte des élus locaux.
Croyez-vous possible que Macron n’obtienne pas une majorité en juin ?
Il ne faut pas oublier 1988. Mitterrand met une vraie claque électorale à Chirac, et à la fin il rate la majorité absolue de quatre sièges. Il est donc possible que Macron n’ait pas la majorité absolue. D’autant plus que les cinquante nuances de macronie vont maintenant s’exprimer avec beaucoup plus d’intensité.
Avec notre système, quelqu’un qui a 28 % au premier tour peut appliquer son programme après le second tour et les législatives sans devoir négocier de compromis. N’est-ce pas l’origine de nos blocages politiques ?
La démocratie doit concilier le peuple et le pouvoir. Aujourd’hui le peuple ne se sent pas décisionnaire et la décision politique s’applique de moins en moins. De même que la IVe République est morte du régime des partis, la Ve République peut périr du régime des technocrates. Pour que le pouvoir procède du peuple, on doit réduire les missions de l’État et permettre au niveau local de prendre des décisions, tout en restant attachés à l’État-nation tel que nous le connaissons en France. Il y a un problème évident de représentativité au plan national qui ne tient pas tant au mode de scrutin qu’à la pratique du pouvoir.
L’interdiction du cumul des mandats n’est-elle pas une réforme stupide ?
Aujourd’hui, tout le monde dit en off que c’était une bêtise. La capacité d’être à la fois parlementaire et maire permettait d’établir un lien entre le national et le local. À présent, quand on est maire, on peut en arriver à être viscéralement contre le pouvoir central et quand on appartient au pouvoir central, on prend sûrement les maires pour des ploucs…
Zemmour a fait de la progression de l’islamisme, nourrie par l’immigration, un combat prioritaire. Certaines villes sont d’ores et déjà complètement islamisées. La France peut-elle encore supporter cinq ans d’islamisation ?
Non, car il y a un risque de libanisation, dû en partie à la dynamique islamiste des Frères musulmans qui font de l’entrisme, mais plus à la faiblesse spirituelle de notre nation. Mais contrairement à Éric Zemmour, je pense qu’il me faut emmener dans ce combat les jeunes musulmans français qui ne sont pas islamistes. Il est vrai cependant que, lorsque 75 % jeunes de culture musulmane disent rejeter la laïcité et pensent que les lois de l’islam doivent l’emporter sur celles de la République, il y a un problème. Notre faiblesse vient de cette espèce de relativisme dont le point culminant a été Mai 68. Il faut savoir définir ce qui nous unit en France.
Dans ma ville, nous avons mis en place des cours de grec et de latin et même des cours de philosophie sur le périscolaire, et l’éducation artistique et culturelle est systématique. Dans les quartiers d’immigration, ces cours sont complets tout de suite. Les parents, essentiellement originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, inscrivent leurs enfants en grec et en latin parce qu’ils savent qu’une bonne instruction est la condition de leur épanouissement. Il y a dans ces familles des parents fiers d’être Français et une reconnaissance que, malheureusement, on ne retrouve pas chez les jeunes en général.
Oui, il faut enseigner à tous que notre civilisation a produit la raison critique, l’égalité homme/femme, qu’elle permet à l’individu de ne pas être assigné à un seul élément de son identité : c’est quelque chose de grand ! Et cela ne se limite pas au respect des « valeurs de la République », qui devient une ritournelle. Les lois de la République sont un tuyau, et il faut un contenu, un contenu spirituel qui est l’héritage de la pensée aristotélicienne, du droit romain, de la culture judéo-chrétienne, de l’esprit des Lumières. Je sais que c’est possible mais cela passe par une instruction publique régénérée et puissante. Et souhaitons que tous les enfants se sentent dépositaires du classicisme du XVIIe siècle, qu’ils soient fiers du château de Versailles et des Daft Punk qui ont révolutionné la musique électro. Et puis, parallèlement, chacun doit savoir que, quand on est voyou, on est sanctionné quelle que soit son origine ou sa classe sociale et que, quand on est méritant, on est récompensé. La justice effective est indispensable parallèlement à l’ambition. Comme l’écrivait Arendt, « c’est dans vide de la pensée que s’inscrit le mal ».
Le policier qui le 24 avril avait tiré sur une voiture qui fonçait sur ses collègues après un refus d’obtempérer a été mis en examen pour « homicide volontaire ». Cette inculpation, qui va au-delà des réquisitions du Parquet, a fait réagir les syndicats de police, qui ont organisé des manifestations de protestation. Notre chroniqueur revient sur la chaîne d’événements qui a conduit à cette situation, et s’interroge sur les règles françaises de la légitime défense.
Le Procureur de la République, après la fusillade sanglante du Pont-Neuf le 24 avril au soir, avait ouvert une information judiciaire pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » et déferré l’agent à l’issue d’une garde à vue de quarante-huit heures. Les magistrats instructeurs ont retenu une qualification juridique des faits plus lourde que celle requise par le parquet. Les deux morts sont deux dealers, deux frères de 25 et 31 ans, et le blessé, à l’arrière du véhicule, est apparemment un client.
Le premier réflexe est de s’étonner d’une telle mise en examen. Après tout, la profession de truand expose à certains inconvénients — par exemple celui de mourir jeune et de mort violente. « Bien fait », diront certains. Mais les règles de la légitime défense, en France, sont complexes et cette inculpation est logique.
Pour démêler le vrai des on-dit et des opinions toutes faites, j’ai demandé son avis à Philippe N***, qui durant 40 ans de carrière dans la police, à Paris puis Marseille, a connu bien des situations similaires et peut analyser à froid les événements.
Jean-Paul Brighelli. Quel a été apparemment le déroulé des faits ?
Philippe N***. La voiture, qui était garée à contresens au niveau du Vert-Galant, a forcé un barrage et foncé sur les policiers. Rappelons que le 24 avril était le soir des élections, et que la police avait manifestement été mise en alerte pour contenir toute émotion populaire. Ça, c’est pour le climat. C’est ce qui explique aussi que le policier ait été équipé d’un fusil d’assaut HKG36. Il faut savoir que traditionnellement de telles armes ne sont jamais chargées à fond (donc tout au plus une dizaine de balles dans un chargeur qui en contient vingt-cinq), et doivent être réglées sur un tir au coup par coup, et non en rafale.
Une précision au passage. Cette arme, ainsi que le Sig, ont été généralisés en 2002. En fait, après les émeutes en banlieue de 1995, quelques grosses têtes au ministère se sont dit qu’il fallait équiper les troupes pour affronter une situation d’émeute ou de guerre civile — oui, déjà en 2002. On ne parlait pas de terrorisme, à l’époque. Ni de voyous surarmés. Mais de jeunes émeutiers.
La logique d’intervention est la suivante : celui qui a une arme longue est en retrait ; un intervenant s’approche du véhicule côté conducteur, un autre côté passager, un troisième est en retrait, en protection. Il se tient sur le côté — à 14 heures — pour couvrir ses collègues qui demandent au conducteur de s’arrêter.
Evidemment, la voiture n’est pas allée forcément tout droit, et il semble qu’elle se soit dirigée frontalement vers le policier. Ce dernier, voyant que la voiture fonçait, a eu le réflexe de tirer — il faut bien réaliser que tout cela se passe très vite.
On peut s’étonner que son arme ait manifestement été réglée sur un tir en rafale, puisqu’on a relevé une dizaine d’impacts. À cette distance — quelques mètres —, ce n’est pas un exploit que de grouper six balles sur dix sur une cible très proche — même si elle était en mouvement.
Le policier est mis en examen, mais il n’est pas suspendu…
Il est effectivement placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction de porter une arme, d’exercer une fonction en contact avec le public, et d’entrer en contact avec le service auquel il appartient. Autrement dit, il est confiné dans un emploi de bureau, en attendant les conclusions de l’enquête. Il touche son plein salaire. Qu’il soit inculpé est un processus normal. Les magistrats instruisent normalement sur la qualification la plus importante. Ça ne présume en rien de la qualification finale. On paie les musiciens à la fin du bal, n’est-ce pas… Et cela ne présage en rien de la sanction éventuelle dont déciderait un jury, si cela devait déboucher sur un procès d’assises — où de toute façon la Cour peut requalifier les faits.
Quant aux manifestations syndicales… Les syndicats, depuis les manifestations spontanées de policiers en 2016 puis en 2020, ont tendance à anticiper, de peur de voir leurs troupes s’autonomiser davantage. C’est plus de la gesticulation qu’une protestation fondée.
Pourquoi est-il inculpé d’homicide volontaire ?
Nous entrons là dans les arcanes de la légitime défense, dont les règles ont été modifiées en 2017 — suite à l’attaque du Bataclan. Il s’est alors agi d’unifier les pratiques, jusqu’alors distinctes, de la police et de la gendarmerie : jusque-là, seuls les gendarmes, qui sont un corps d’armée, pouvaient faire usage de leur arme lorsqu’ils n’avaient pas d’autre moyen de défendre le périmètre qui leur avait été confié.
« Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent, outre les cas mentionnés à l’article L. 211-9, faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée :
« 1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ;
« 2° Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ;
« 3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;
« 4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;
« 5° Dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes. »
Si je comprends bien, on ne peut en aucun cas anticiper — il faut attendre d’être agressé, et éventuellement mort, pour riposter…
Notez que la police a su parfois s’affranchir des règles. La mort de Mesrine, abattu sans sommations en 1979, était techniquement un assassinat — et pourtant, Broussard a été félicité par le ministre, Christian Bonnet, et a bâti la suite de sa brillante carrière sur cette élimination. La gauche n’est pas en reste : en 1985, le leader indépendantiste kanak Eloi Machoro et son ami Marcel Nonnaro sont abattus à 400m de distance par le GIGN — sur ordre de Pierre Joxe. Enfin, si vous vous rappelez l’affaire « Human bomb », Erick Schmitt a été abattu par le RAID, sur ordre de Charles Pasqua, alors qu’il avait été drogué par des pizzas assaisonnées aux tranquillisants. Rien de « strictement proportionné » dans ces trois événements.
Les trois cas ne poseraient aujourd’hui aucun problème. Mais même lorsque la législation était plus restrictive, on jugeait de l’opportunité des poursuites — l’opportunité politique, s’entend.
Alors, un délit de fuite fait-il partie de ces situations où les occupants d’une voiture « sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui » ?
Il faut savoir qu’on observe en France un refus d’obtempérer toutes les 20mn. 26 000 par an. Le bilan varie de de 0 à 3 morts parmi les forces de l’ordre par an. C’est triste pour ceux à qui ça arrive, mais c’est statistiquement dérisoire. Pas de quoi en conclure qu’il faudrait tirer 26 000 fois… Ce qui, avec de mauvais tireurs, et en tirant une fois sur dix, ferait quand même 260 morts par an.
D’où les réticences juridiques et pratiques.
Quant aux raisons qui poussent les gens à refuser de s’arrêter… Pensez au nombre de gens qui roulent sans permis (770 000, estime-t-on), ou sans assurance, ou bourrés, ou drogués, ou sans contrôle technique — ou mineurs…
Alors, peut-on faire évoluer la légitime défense vers sa version américaine ?
En France on considère la réalité de la menace. Aux Etats-Unis, on considère sa potentialité. La proportionnalité de la riposte n’est pas la même non plus… Aux Etats-Unis, les policiers ont déjà l’arme au poing lorsqu’ils demandent à une voiture de s’arrêter — et tirent sans sommations dès qu’ils trouvent suspect le comportement du conducteur — une situation particulièrement bien illustrée dans ce film de procédure policière qu’est Night Shift (Patrouille de nuit, de Joel Souza, 2019). Mais au-delà, n’importe quel citoyen (encore que les règles soient assez différentes d’un Etat à l’autre) peut défendre par les armes son intégrité physique, ou son bien ou sa voiture, considérés l’un et l’autre comme des extensions de sa personne. C’est ce que l’on appelle là-bas la loi Stand your ground, ou la Doctrine du château. D’où le fait que les maisons n’ont pas de barrière : si vous piétinez une pelouse, vous vous mettez en danger de mort. Rappelez-vous ce qui est arrivé en 1992 au jeune étudiant japonais Yoshi Hattori. Invité à une fête d’Halloween, perdu dans une banlieue où toutes les maisons se ressemblent, il a tenté de demander son chemin — et a été abattu par le propriétaire de la maison à laquelle il a frappé, parce qu’il tenait à la main une caméra qui pouvait être une arme. Le tireur a été blanchi par le jury qui l’a jugé — mais condamné à de très importants dommages et intérêts qui l’ont positivement ruiné.
L’extension de la notion de légitime défense vers le modèle américain impliquerait l’accès aux armes de toute la population — ce qui fut le cas en France jusqu’en 1939. Les problèmes qui se poseraient alors seraient à mon sens plus lourds que nos interrogations présentes sur la légitime défense…
Reste que la légitime défense est le seul cas, dans l’arsenal judiciaire français, où la charge de la preuve appartient à l’accusé et à sa défense… Que les juristes aient tordu la loi commune (la preuve incombe à l’accusation) pour ce cas précis témoigne de la gêne que suscite cette notion complexe de légitime défense.
La droite dite « républicaine » ne devrait pas désespérer. Les pieds au fond du trou, on ne peut que rebondir. Même si, selon notre chroniqueur Philippe Bilger, les mauvais tours joués par Nicolas Sarkozy à sa famille politique sont à déplorer.
L’inquiétude manifestée sur le futur de LR, lors de l’excellente matinale de Patrick Roger sur Sud Radio, par ce dernier et le chroniqueur Eric Revel, peut se comprendre mais pour ma part je ne serai pas aussi pessimiste. Certes, la défaite humiliante de Valérie Pécresse a mis immédiatement ce parti dans un désastre qu’il pressentait – mais non à un tel niveau d’échec. Je vois cependant des motifs d’espoir dans une situation où le pire a été atteint et où on n’a pas d’autre choix que de résister ou de trahir. Demeurer fidèle à ses convictions – la certitude qu’une droite intelligemment républicaine et conservatrice n’est pas soluble dans le macronisme – ou servir ses intérêts à court terme en ennoblissant ces migrations avec de prétendues analyses objectives.
70 députés, ce ne serait pas rien
Les projections pour les futures élections législatives ne mettent évidemment pas LR au même niveau que Renaissance ou même que Nupes mais évoquent tout de même une possibilité de 70 députés, ce qui n’est pas rien et constituerait un socle susceptible de devenir un fer de lance, un aiguillon, une opposition inventive et stimulante.
Surtout – et cet élément est capital – les étranges et discutables manœuvres de Nicolas Sarkozy ces derniers mois, son absence de soutien à la candidate de son camp, sa promiscuité de longue date, à la fois tactique et narcissique, avec le président Macron et, en définitive, sa trahison invitant la droite à passer avec arme et bagages, par pur pragmatisme électoral, dans une probable majorité qui lui fera perdre sa singularité et son identité, ont permis enfin de lever l’illusion d’un Sarkozy tutélaire, admiré à proportion de ses échecs et malgré son rôle constamment trouble, et je ne parle pas que du plan judiciaire ! LR va pouvoir inaugurer une période de réflexion et d’action où, le roi étant nu, sa liberté sera totale pour inventer son avenir.
Comment ne pas se réjouir en constatant le faible écho de l’appel de Nicolas Sarkozy à rejoindre le « en même temps » macronien si peu désirable et si peu exemplaire quand on voit comme l’éthique compte peu pour choisir les candidats Renaissance ?
Tout démontre paradoxalement que la fuite de quelques transfuges qui prétendent donner des leçons à proportion de leur mauvaise conscience, loin d’affaiblir le parti déserté, renforce au contraire celui-ci dans l’orgueil de son identité et de son caractère irremplaçable dans le paysage démocratique. En effet, depuis quelques semaines je suis frappé par l’émergence d’une démarche collective qui ne perd plus de temps en s’interrogeant sur la nécessité de LR mais cherche seulement à se rendre plus efficace en veillant à une incarnation éclatante de cette droite républicaine dont le programme au fond devrait être très simple : un humanisme généreux, une maîtrise régalienne exemplaire, tout ce que n’a pas été le macronisme. Le social plus l’autorité de l’Etat. Le refus absolu du « deux poids deux mesures ». La mise en œuvre d’une Justice, d’une équité et d’un courage politique irriguant l’ensemble de la société et les pratiques du pouvoir.
À examiner tous ceux qui ont l’ambition de succéder à Christian Jacob qui a sauvé tant bien que mal les meubles mais sans briller, LR n’a vraiment pas à rougir du vivier au sein duquel le choix de sa future présidence se fera. Quel inventaire en effet, sans que je méconnaisse le caractère hétérogène de celui-ci par rapport au futur dont on rêve pour LR ! Eric Ciotti, Bruno Retailleau, François-Xavier Bellamy, Julien Aubert, David Lisnard, Rachida Dati, Aurélien Pradié, Laurent Wauquiez qui aurait de bonnes chances pour avoir mis de l’eau apaisante dans son vin urticant : cette liste a de l’allure. LR n’a plus besoin de Nicolas Sarkozy.
Minoritaires demain – qu’ils changent de nom ou pas – mais, j’en suis persuadé, plus forts parce qu’enfin délestés du mythe du « parrain » et contraints de penser et de gagner par eux-mêmes. Parce qu’ils ne vont plus douter d’eux. Fierté de la droite, refus du salmigondis au pouvoir.
Demain soir, le célèbre opéra de Richard Strauss est donné à l’opéra Bastille. Il reste six représentations.
Deux heures de lyrisme incandescent, d’hystérie morbide, d’éréthisme libidinal. Deux heures de frénésie pulsionnelle coulée dans une étoffe orchestrale rutilante, capiteuse, traversée de discordants mouvements de valses, de modulations dissonantes, de bouleversantes stridulations vocales. Dans la fosse, un effectif de plus d’une centaine de musiciens !
Opéra convulsif s’il en est, Elektra fut reçu, à sa création à Dresde en 1909, par des huées, des sifflements d’indignation – on a du mal à le croire ! Quatre ans après Salomé, fulguration orientaliste de moins d’une heure tirée de la pièce d’Oscar Wilde, Richard Strauss (1864-1949) entreprend d’adapter la tragédie de Sophocle pour la scène lyrique, sur la base d’une pièce ultra « fin-de-siècle », du plus extrême raffinement, écrite par un jeune auteur autrichien, Hugo von Hofmannsthal, de dix ans son cadet. Pièce à la représentation de laquelle le compositeur avait assisté, au Deutsche Theater de Berlin, en 1904, dans une mise en scène d’avant-garde signée d’un type alors âgé de moins de trente ans, Max Reinhardt, lui aussi promis à une immense célébrité. Point de départ d’une collaboration Strauss-Hofmannsthal qui se poursuivra jusqu’à la mort de l’écrivain, en 1929 : Le Chevalier à la rose, Ariane à Naxos, La femme sans ombre – autant de futurs chef d’œuvres… En attendant, Strauss coupe rageusement dans ce texte au style trop faisandé à son goût, pour condenser l’action et accroître la tension. Quitte à commander quelques vers de liaison à son librettiste en herbe. Dans un article lumineux inséré dans le programme du présent spectacle, le compositeur et musicologue Karol Beffa avance que « ce qui naît de cette rencontre (…), ce n’est pas l’ensauvagement de la musique ni un opéra barbare, c’est un ressaisissement de l’esprit tragique ».
De fait, c’est à la louche qu’Elektra puise au chaudron en ébullition de la fable grecque – la fameuse saga mythologique des Atrides : Electre fomentant sa vengeance contre sa mère Clytemnestre qui, aidée de son amant Egisthe, a immolé son père Agamemnon ; Chrysothemis, sœur d’Electre, exhortant celle-ci à déguerpir avant que leur génitrice ne l’enchaîne ; Oreste, le frère exilé sur ordre de Clytemnestre, qu’on croyait mort, mais qui réapparait pour être in fine le bras de la vengeance… A la hache, s’il vous plaît ! Le tragique à l’état pur.
Dans une lettre, Hofmannsthal écrit à Strauss qu’Elektra est « un composé de nuit et de lumière, noir et clair. » Reprise pour la première fois à l’Opéra-Bastille ce mois de mai, la fabuleuse mise en scène imaginée par le canadien Robert Carsen en 2013 tient compte de cette remarque pour ainsi dire à la lettre. Se faisant scrupule de congédier absolument ce cossu décoratif qui, trop souvent, charge les scénographies lyriques d’un fatras d’éléments oiseux, Carsen trace un subtil réseau de sens où se répondent costumes, lumières, architecture du plateau, chorégraphie et gestuelle, selon une économie de moyens attentive à esquiver l’anecdotique, le superflu, le clinquant. Envahie par la nuit, sa régie restitue, dans une osmose intelligente, cette essence primitive, ce climat de démence asilaire qui fait d’Electre un animal déchaîné, à travers un décor unique qui encage les protagonistes dans un puit anthracite dont une noria de pythies grifferont de leurs ongles le terreau fuligineux de son sol ; la tombe béante d’Agamemnon y est creusée comme une blessure ouverte, sépulture souterraine occupant le centre de cette arène – sans autre échappatoire que la mort.
Au soir de la première, sous la baguette plus sensiblement volcanique que pétrie d’onctuosité du Russe Seymon Bychkov (lequel a récemment dirigé Elektra à Vienne), la soprano finlandaise a dû remplacer au pied levé dans le rôle de Chrysothemis la franco-sud africaine Elza van den Heever, souffrante. Dans sa magnifique corpulence drapée de deuil, la soprano américaine Christine Goerke habite quant à elle une Electre d’une densité stupéfiante – puissance vocale, vibrato ravageur, graves qui donnent le frisson. L’islandais Tomas Tomasson dans Oreste, tout comme la soprano allemande Angela Denoke (qui campe une Clytemnestre étrangement immaculée et singulièrement juvénile, en robe blanche, telle une icône réchappée du premier Septième art) ont été associés à juste titre au triomphe qu’a fait le public, ce 10 mai, à un spectacle inoubliable à tous égards. Il reste six représentations. A bon entendeur.
Elektra. Tragédie en un acte de Richard Strauss, sur un livret de Hugo von Hoffmansthal. Orchestre et chœurs de l’Opéra de Paris. Direction Seymon Bychkov ( 10/22 mai) et Case Scaglione ( 26 mai/1er juin). Mise en scène : Robert Carsen. Avec Christine Goerke, Angela Denoke, Elza van den Heever, Gerhard Siegel, Tomas Tomasson…Durée : 1h45.
Opéra-Bastille. Les 13, 16, 19, 26 mai à 20h ; les 22 et 29 mai à 14h30.
Un documentaire inédit d’Élisabeth Lenchener, première diffusion samedi soir…
Parce que « le monde ne nous a pas pardonné le mal qu’il nous a fait et qu’Israël dérange », le philosophe franco-israélien Michaël Bar Zvi a, toute sa vie, été un militant inlassable de la cause et de la pensée sioniste. Avec les armes – il a été officier de Tsahal – et surtout avec les mots – il aimait provoquer pour mieux défendre la terre d’Israël, « sa demeure ».
Un disciple d’Emmanuel Levinas et de Pierre Boutang
Dans le documentaire « Michaël Bar Zvi, l’Ami, le Mensch », la réalisatrice Élisabeth Lenchener brosse le portrait de cet homme, son ami de 30 ans, et à travers lui retrace l’épopée du sionisme, ce mouvement né au XIXe siècle pour donner aux juifs « un Etat, une armée, des frontières », et qui aboutira, après la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, à la création de l’État d’Israël le 14 mai 1948.
Réalisé à partir de nombreuses archives, complétées par des interviews de proches, dont certains contradicteurs, ce film nous permet de découvrir Michaël Bar Zvi, homme pudique au regard bleu perçant, disparu en 2018 et d’interroger le sionisme sur lequel « on ne peut pas rester neutre ». Pourquoi le sionisme ? Parce que « pendant la Shoah, les juifs ont été privés de deux choses, la terre et la guerre, deux droits fondamentaux », dit ce fils de déporté, disciple des philosophes Emmanuel Levinas et de Pierre Boutang.
Pour assurer la « pérennité du peuple juif il fallait créerune société juive dans un État moderne qui assumeson héritage », poursuit celui qui a fait son alyah à l’âge de 25 ans.
Ce film est militant, à l’image de sa réalisatrice, mais il n’élude pas les sujets de contradiction. Comme lorsque l’ancien ambassadeur d’Israël en France, Daniel Shek, évoque la gauche israélienne « tout aussi sioniste que n’importe qui avec sa volonté de se séparer des Palestiniens et de faire la paix ». Ou quand Michaël Bar Zvi évoque les antisionistes, qu’ils soient juifs religieux ou islamo-gauchistes.
Dans un insert, le film rappelle la phrase de Vladimir Jankélévitch: « L’antisionisme c’est la permission d’être démocratiquement antisémite ».
Hommage sensible et sincère
Olivier Véron, éditeur de Michaël Bar Zvi, raconte que le père du philosophe aurait préféré le voir bottier comme lui pour avoir un métier qui lui sauve la vie dans les camps, au cas où… Mais avant de mourir, il lui fera ce compliment : « Toi, au moins, tu as su mettre la philosophie au service de ton peuple ».
Élisabeth Lenchener, qui s’est déjà illustrée par de nombreux portraits documentaires, notamment de Delphine Horvilleur, Serge et Beate Klarsfeld, René Frydman, Bernard Kouchner… se livre ici à un nouvel exercice intimiste et didactique. « Le jour de sa mort, nous dit-elle, devant son cercueil, j’ai ressenti la nécessité fulgurante d’immortaliser la pensée, l’œuvre et l’originalité de Michaël Bar Zvi.Car ainsi qu’il le dit dans le film « lejudaïsme est une altérité et son secret est sa transmissibilité ». »
Cet hommage sensible et sincère propose aussi un nouvel éclairage sur le sionisme, ce courant politique et philosophique encore trop largement méconnu, seule utopie du XIXe siècle qui se soit incarnée dans la réalité.
Samedi 14 mai 2022 à 22h30, sur la chaîne Toute L’Histoire (réseaux câblés et satellite).
La journaliste d’Al Jazeera a été tuée ce matin à Jénine, en Cisjordanie. L’AFP et tous les grands médias indiquent qu’elle a été victime de tirs israéliens. L’enquête sera compliquée.
Shireen Abu Akleh, 51 ans, une journaliste expérimentée et bien connue de la chaîne qatarie Al-Jazeera, correspondante en Israël et en Cisjordanie, a été tuée mercredi matin le 11 mai lors d’un échange de tirs entre des forces de l’armée israélienne et des hommes armés palestiniens dans le camp de réfugiés de Jenin. Pour la chaîne comme pour l’autorité palestinienne, il n’y a pas de doute : la journaliste, vêtue d’un gilet pare-balles siglé « Press » a été assassinée par Israël. Un autre journaliste palestinien, Ali Saudi, qui était à côté d’Abu Akleh, a été légèrement blessé lors de ces échanges de tirs.
Palestienne, reporter star de la chaîne qatari @AlJazeera Shiren Abu Akleh @ShireenNasri – 15 ans à couvrir le conflit au PO – a été tuée ce matin à Jénine en Cisjordanie – selon sa rédaction elle a été victime d’un tir israélien pic.twitter.com/0SFjVNrVB4
La journaliste, blessée en haut du corps (selon certains témoins et une vidéo circulant sur les réseaux sociaux, dans la tête), a été évacuée vers un hôpital local où elle est décédée peu de temps après. Son corps a été porté par des hommes armés palestiniens et il n’est pas clair s’il sera autopsié.
Israël prudent
Côté israélien, la réaction est plus mesurée. Selon le général Kochav, porte-parole de l’armée, on ne peut pas exclure la possibilité que Madame Abu Akleh ait été touchée par des tirs israéliens, mais il est beaucoup plus vraisemblable que ce soit des tirs palestiniens qui l’aient tuée. Si, toutefois, ajouta-t-il ce matin, une erreur était commise par les soldats, Tsahal la reconnaitra clairement.
Pour étayer ses propos, le général Kochav a mentionné que dans l’une des vidéos de l’incident, on peut voir un Palestinien armé en train de tirer, et une autre personne crier que quelqu’un est touché. Or, aucun Israélien impliqué dans l’opération n’a été touché. L’hypothèse est donc que les Palestiniens aient pris les deux journalistes portant gilets par balles et casques pour des militaires israéliens.
Shireen Abu Akleh, la correspondante d'Al-Jazeera, "probablement" tuée par des tirs palestiniens, déclare le Premier ministre israélien #AFPpic.twitter.com/qlvUo3Be4c
Naftali Bennett, le Premier ministre israélien, a appelé l’autorité palestinienne à mener une enquête commune pour déterminer l’origine des tirs fatals. Le lieu de l’incident et le corps de la victime étant sous contrôle palestinien, il sera difficile de sortir de la guerre de versions sans le concours des Palestiniens à l’enquête. Or, Madame Abu Akleh étant citoyenne américaine et travaillant pour une chaîne qatarie, l’affaire est politiquement très sensible. Pour rappel, le chef de l’État-major israélien s’est entretenu le mois dernier avec son homologue qatari à Doha. Ainsi, dans un contexte où le Hamas domine Gaza et l’ordre du jour palestinien, et cherche à déstabiliser la coalition de Naftali Bennett, une bavure israélienne est une occasion en or pour l’autorité palestinienne permettant de reprendre (un peu) du poil de la bête.
Cette affaire n’est pas sans rappeler celle deMohammed al-Durah, déclenchéepar la diffusion sur France 2 d’un reportage du journaliste Charles Enderlin sur la mort d’un enfant palestinien de 12 ans, tué par balles le 30 septembre 2000 au début de la seconde intifada, lors d’échanges de tirs dans le nord de la bande de Gaza entre les forces palestiniennes et l’armée israélienne.
Vieux de deux mois déjà, le conflit russo-ukrainien ne semble pas près de se conclure. Ni la Russie, ni l’Ukraine, ne semblent avoir les moyens militaires de l’emporter. Et aucune solution politique ne se dessine. La justification russe d’un prétendu « encerclement » par l’OTAN à son agression ne résiste pas à un examen sérieux.
La guerre est devenue un face à face dévastateur et sanglant dans le Donbass qui pourrait se prolonger des mois, voire des années. Cependant, ce conflit a déjà fait deux vainqueurs: l’OTAN et les Etats-Unis ! L’Alliance atlantique, moribonde il y a quelques années, est redevenue incontournable et va accueillir probablement deux nouveaux membres, la Finlande et la Suède. L’ironie majeure de ce renforcement est que ces deux pays vont doubler la longueur des frontières russes partagées avec l’OTAN, alors que c’est, entre autres, pour contrer l’encerclement supposé de son pays par les forces atlantiques que Poutine a déclenché sa guerre… Effet inverse de celui recherché !
Les Etats-Unis qui fournissent à l’Ukraine armes, équipements et entrainement ont fait, sur le terrain, par soldats ukrainiens interposés, la démonstration de la qualité de leur matériel et de leur efficacité militaire. Ils pourront continuer de vendre leurs armes et leur protection aux pays européens, ainsi même que leur gaz naturel, tandis que leur grand rival de la guerre froide se retrouve empêtré dans un conflit durable, isolé sur la scène internationale et ciblé par des sanctions économiques débilitantes à très long terme.
Cette nouvelle réalité enrage d’ailleurs les zélés de l’anti-américanisme primaire qui se vengent comme ils peuvent en déversant leur haine de l’Amérique sur les ondes et les réseaux sociaux.
Certains n’hésitent pas à prétendre que si l’Amérique sort première gagnante de ce conflit c’est bien sûr parce qu’elle avait tout manigancé à l’avance. Ce conflit serait le résultat d’une « manipulation » américaine ! Il aurait été « orchestré » par les Etats-Unis ! Le vrai responsable, à les croire, c’est le grand satan américain. Ainsi, Vladimir Poutine, l’ex-espion du KGB et du FSB, homme retors, froid et calculateur, se serait fait berner par Joe Biden, le vieux pantin démocrate gaffeur aux capacités cognitives incertaines… Ahurissante analyse qui rassemble dans un même camp les ennemis de l’Amérique, l’extrême gauche radicale, l’extrême droite nationaliste, et même des terroristes islamistes.
Les États-Unis comme fauteurs de guerre, une idée très répandue
En Chine, le Quotidien du peuple qui est l’organe du Parti Communiste écrit : « Derrière la crise en Ukraine se cache l’ombre de l’hégémonie américaine. L’expansion de l’OTAN vers l’est, menée par les États-Unis, est à l’origine de la crise en Ukraine. Les États-Unis sont l’initiateur de la crise. »
La Corée du Nord reprend la voix de son maître : « La cause profonde de la crise ukrainienne réside dans l’autoritarisme et l’arbitraire des États-Unis… (leur) politique de suprématie militaire au mépris de la demande légitime de la Russie pour sa sécurité. Tout est de la faute des États-Unis. »
Au Liban, Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah déclarait récemment « L’Amérique est responsable de ce qui se passe en Ukraine. Elle a fait de la provocation, n’a pas aidé pour trouver une solution diplomatique et n’a rien fait pour arrêter la guerre. »
En Israël, le parti communiste a condamné « l’agression de l’OTAN qui sert les États-Unis bellicistes. » « Quiconque ignore la provocation des États-Unis par le biais de l’OTAN a tort et se trompe » a précisé son représentant à la Knesset, le parlement israélien.
En Italie, l’agence de presse altermondialiste Pressenza ne dit rien d’autre : « Ce dont nous sommes témoins est la conséquence de 30 ans d’agression américaine contre la Russie avec le soutien de l’Europe. »
En France, Éric Zemmour, a estimé Vladimir Poutine «coupable » du déclenchement du conflit, mais «pas le seul responsable». « Les responsables c’est l’OTAN qui n’a cessé de s’étendre, a-t-il dit, les Français, les Allemands, les Américains, qui n’ont pas fait respecter les accords de Minsk et qui n’ont cessé d’étendre l’OTAN pour qu’elle soit autour de la Russie comme une sorte d’encerclement. »
Nikola Mirkovic, auteur de l’Amérique Empire, ouvrage dénonçant « l’impérialisme américain » a tenu à peu près les mêmes propos au politologue anti-islamiste Alexandre Del Valle : « Les Etats-Unis ont fait monter les tensions avec la Russie… et ont tenté d’utiliser l’Ukraine comme un coin entre la Russie et l’Europe… en Ukraine, l’ingérence des Etats-Unis et d’autres pays européens a été un grand facteur de déstabilisation. » Le même Alexandre del Valle a développé la thèse du « piège tendu par les Etats-Unis qui ont agité le chiffon rouge d’une Ukraine dans l’OTAN pour pousser Poutine à intervenir » dans un long entretien au site suisse Les Observateurs.
Aux États-Unis même, la thèse de la responsabilité occidentale a été mise en avant par John Mearsheimer, professeur à l’université de Chicago et tenant de l’école « réaliste » en politique étrangère, dans une interview à l’hebdomadaire de la gauche socio-libérale américaine The New Yorker : « Je pense que tout a commencé au sommet de l’OTAN de Bucarest en 2008, avec l’annonce que la Géorgie et l’Ukraine deviendraient membres de l’OTAN. Les Russes ont indiqué à cette époque que cela constituerait pour eux une menace existentielle et qu’ils s’y opposeraient… Néanmoins les occidentaux ont continué de transformer l’Ukraine en bastion occidental à la frontière russe… L’expansion de l’OTAN, et l’expansion de l’Union européenne, sont au coeur de cette stratégie, tout comme la volonté de faire de l’Ukraine une démocratie libérale pro-américaine, ce qui du point de vue russe est une menace existentielle. »
La Russie, responsable et coupable
Nul doute que si la Russie était parvenue à renverser le régime de Kiev en quelques jours, comme elle l’escomptait, ces mêmes analystes auraient loué la stratégie et l’audace du maître du Kremlin. Le « piège américain » n’est invoqué que pour masquer la monumentale erreur de Vladimir Poutine qui a surestimé les capacités de son armée, et sous-estimé celles de son adversaire.
Dans ce conflit, choisi, et provoqué par Moscou, il n’y a pas eu de « piège américain », pas plus qu’il n’y a eu de « responsabilité de l’OTAN ». D’ailleurs pour justifier son intervention contre l’Ukraine, la Russie n’a pas parlé de l’OTAN. Elle a parlé du besoin de « démilitariser » et « dénazifier » l’Ukraine par une « opération militaire spéciale ». En choisissant un tel motif Poutine a révélé la réalité de sa motivation. Toutes ces années passées l’OTAN n’a été qu’un prétexte utilisé par Vladimir Poutine pour préserver à la Russie un droit de regard sur ses voisins proches, « droit de regard » auquel elle n’a justement pas droit… Pas plus qu’aucun autre pays indépendant n’a de « droit de regard » sur la politique intérieure ou étrangère d’un autre pays indépendant, fût-il son voisin.
Voici donc les mythes russes sur les agressions de l’OTAN démasqués.
Premier mythe, l’encerclement. La Russie prétend que les puissances occidentales cherchent à « encercler » son territoire et que les bases de l’OTAN tout au long de sa frontière ouest n’ont d’autre objectif que de permettre cet encerclement. Il suffit de regarder une carte pour réaliser que cet argument ne tient pas la route. La Russie est le plus vaste pays du monde. Elle couvre a elle seule 11% de la surface terrestre de la planète. Elle est deux fois plus vaste que les Etats-Unis continentaux. Sa superficie est trente fois supérieure à celle de la France et elle compte plus de vingt mille kilomètres de frontières. Elle partage ses frontières terrestres avec quatorze pays, dont seulement cinq sont aujourd’hui membres de l’OTAN. Ce qui représente mille deux cents kilomètres de frontières communes avec l’OTAN. Soit un vingtième de ses frontières totales. Les trois pays ayant les plus longues frontières avec la Russie sont le Kazakhstan, la Mongolie et la Chine.
Second mythe, l’OTAN est une puissance hostile vouée à vassaliser la Russie. L’OTAN est une alliance défensive fondée en 1949 pour contenir l’expansionnisme soviétique. Cette alliance a vu son mandat prolongé au-delà de la guerre froide, précisément pour protéger les ex-républiques soviétiques nouvellement indépendantes d’un quelconque revirement politique à Moscou. L’OTAN ne s’est pas montrée hostile envers la Russie mais l’a, au contraire, incluse dans des actions communes – au Kosovo, en Afghanistan et dans la Corne de l’Afrique, sous mandat de l’Onu – et a cherché à l’intégrer dans un nouvel ensemble eurasiatique et transatlantique allant de San Francisco à Vladivostok. Tentatives d’ouvertures rejetées par la Russie, notamment à partir des années 2000 et l’arrivée à la présidence de Vladimir Poutine.
Troisième mythe, l’OTAN serait revenue sur sa promesse de ne pas s’étendre à l’Est. Cette promesse est un vrai mythe. Elle n’existe pas et n’a jamais été faite à la Russie. Elle n’apparait dans aucun texte ou traité ! Les partisans de cette thèse font référence à des discussions ayant eu lieu du temps de l’Union soviétique, entre le président Gorbatchev et le secrétaire d’Etat américain de l’époque James Baker. Ces discussions portaient sur la réunification allemande et remontent au printemps 1991, alors que l’Union soviétique existait encore et qu’un certain nombre de pays d’Europe de l’Est lui étaient liés dans le cadre du Pacte de Varsovie. Tout empiétement sur cet ensemble aurait été une agression. Mais une fois l’Union soviétique dissoute, le pacte de Varsovie également dissout et ses ex-membres devenus des pays indépendants ces derniers avaient toute liberté et légitimité de rechercher des alliances internationales y compris celle de l’OTAN. Ce qui fut le cas.
Dans ce contexte, loin de provoquer la Russie, l’OTAN a attendu près de dix ans pour laisser rentrer ces pays. Le premier « round » d’intégration d’anciens pays de l’Est est intervenu en 1999, au sommet de Washington, avec l’intégration de la Pologne, de la Hongrie et de la République Tchèque. Cinq ans plus tard, en 2004, au sommet d’Istanbul, sept nouveaux pays européens furent accueillis au sein de l’Alliance atlantique (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie ). Certains pays ont alors pris soin de faire approuver cette entrée par référendum auprès de leur population.
Quatrième mythe : L’OTAN a cherché à isoler la Russie et à la marginaliser sur la scène internationale. C’est faux. Dès 1991 l’OTAN a ouvert un « partenariat pour la paix » avec la Russie. En 1997 la Russie et l’OTAN ont signé un Acte fondateur pour des relations mutuelles, pour la coopération et pour la sécurité, établissant un Conseil Permanent OTAN-Russie, et initiant une coopération dans le domaine de la lutte anti-terroriste et contre le trafic de drogue. Cette coopération s’est prolongée au-delà de 2008 en dépit de l’invasion de la Géorgie par la Russie. Cette coopération a été suspendue à partir de 2014 suite à l’annexion de la Crimée par la Russie.
Cinquième mythe : L’OTAN a commencé ses actes d’agression contre la Russie lors du sommet de Bucarest en 2008. La réalité est exactement inverse. Lors de ce sommet, qui s’est tenu au mois d’avril, l’OTAN a repoussé les processus d’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine, préférant évoquer une « vocation » à intégrer l’alliance sans toutefois mettre une date sur cette possible entrée. Cette décision fut prise au nom de l’apaisement. Justement pour ne pas froisser Moscou et donner l’impression d’une quelconque agressivité de l’Alliance. En langage diplomatique une promesse d’intégration, non accompagnée d’une date butoir, c’est un report sine die. En 2008, l’OTAN n’a pas provoqué la Russie de Vladimir Poutine. L’OTAN a au contraire plié devant Poutine. Car en tant que pays indépendants, l’Ukraine et la Géorgie auraient du avoir toute liberté de déposer leur candidature si tel était leur souhait.
Poutine a d’ailleurs interprété ce report comme un aveu de faiblesse. Quelques mois plus tard, en août 2008, il n’hésitait pas à envahir la Géorgie pour prendre le contrôle d’une partie de son territoire, l’Ossétie du Sud. Cette occupation du territoire géorgien par la Russie est parfaitement illégale mais elle dure toujours et prive la Géorgie d’une véritable indépendance ! C’est exactement la même tactique que celle employée en Ukraine, en Moldavie et ailleurs : soutenir des éléments russophones pour justifier une présence militaire et garder dans le giron russe une ancienne république soviétique officiellement indépendante depuis trente ans…
Au regard de l’évolution de la guerre russo-ukrainienne, il apparaît de plus en plus clairement que l’OTAN ne fut qu’un prétexte et que le véritable objectif de Vladimir Poutine est la reconstitution d’un empire Russe, dont il considère que l’Ukraine fait partie. Au même titre d’ailleurs que les pays baltes et d’autres pays d’Europe de l’Est… Ce qui laisse augurer d’autres engagements militaires !
Ces pays l’ont bien compris et c’est pour se prémunir contre toute agression russe que, depuis le début du conflit, ils se sont tournés vers les Etats-Unis pour leur protection, leur armement, leur entrainement militaire et même leur approvisionnement énergétique.
Pour commencer, l’Allemagne a passé commande de trente-cinq avions furtifs F-35, construits par la firme Lockheed Martin aux Etats-Unis. Une commande évaluée à 3,5 milliards de dollars. Berlin prévoit d’assortir cette commande de l’achat de quinze appareils euro-fighters construits par une consortium européen avec Airbus en son sein. Olaf Scholz, le chancelier allemand, a également assuré que son pays allait investir plus de cent milliards d’euros et consacrer plus de 2% de son budget à la défense. C’est ce que demandaient les Américains depuis quinze ans, sans être parvenus à l’obtenir (excepté Donald Trump qui avait menacé de quitter l’OTAN si les partenaires européens, à commencer par les Allemands, ne payaient pas « leur part » du budget de l’alliance).
La Finlande et la Suisse, deux pays neutres et non-membres de l’OTAN, ont également passé commande d’avions F-35. Or cet appareil a l’avantage d’offrir une interopérabilité avec les forces de l’OTAN, ce qui souligne de la part de ces pays, notamment la Finlande, une volonté d’intégrer l’alliance atlantique…
De son côté, la Pologne a passé commande de 250 chars M1A2 Abrams aux Etats-Unis. Commande approuvée sans tarder par le Pentagone.
L’Allemagne réarme
Le président américain Joe Biden a annoncé une hausse de 4% du budget militaire américain pour le porter à 812 milliards de dollars, soit 40% de toutes les dépenses militaires dans le monde.
Les Allemands affirment également vouloir se désengager de leur dépendance envers le gaz russe. Le projet de gazoduc sous-marin entre la Russie et l’Allemagne, Nord-Stream 2, a été abandonné. Les Allemands devront trouver du gaz ailleurs. Tout comme la Pologne et la Bulgarie, qui se sont vu supprimer tout approvisionnement russe. Ces pays ont désormais le choix entre plusieurs alternatives : le Qatar, l’Algérie, le Turkménistan et… les États-Unis !
Les Etats-Unis sont en effet un nouvel acteur majeur sur le marché du gaz, avec leur gaz naturel liquéfié (GNL), et depuis le début du conflit les Européens sont devenus les premiers importateurs de ce gaz. Les sanctions contre la Russie, qui resteront inévitablement en place à l’issue du conflit, garantissent aux Etats-Unis un marché captif pour des années.
Les Etats-Unis possèdent les cinquièmes plus importantes réserves de gaz naturel au monde (après la Russie, l’Iran, le Qatar et le Turkménistan), et ils sont actuellement le premier producteur mondial de gaz avec près de mille milliards de mètres cubes par an, loin devant la Russie (650 milliards de m3 environ) et l’Iran (250 milliards de m3).
Une partie de cette production est exportée en dépit du fait que les Etats-Unis continuent d’importer d’énormes quantités de gaz et de pétrole pour leur propre consommation. D’ailleurs, à la veille de la guerre en Ukraine, ils importaient près d’un million de barils de pétrole brut de Russie tous les jours.
Mais Vladimir Poutine a été victime de son propre hubris. Involontairement, l’ancien apparatchik du KGB a rendu un service inestimable à Joe Biden, dont la présidence est par ailleurs désastreuse, et aux Etats-Unis. Il a enrichi la machine de guerre américaine, il a renforcé la cohésion européenne autour des Etats-Unis et il a fait de l’Amérique plus que jamais la « nation essentielle ».
Durant des siècles, l’art du pamphlet a aiguisé l’esprit français. Piquer, égratigner ou assassiner par le verbe un adversaire nécessite un talent que ne partagent pas tous les littérateurs. Dans un savoureux florilège, François Bazin présente son panthéon personnel. L’ai-je bien descendu ? Les politiques dans le viseur des écrivains (Bouquins, 2022).
Le pamphlet est une sorte de jeu de massacre qui remonte au XVIIe siècle, au cardinal de Retz précisément, père fondateur du genre, dixit François Bazin, l’auteur de cette anthologie de textes d’écrivains destinés à flétrir, moquer, voire fesser certains acteurs du monde politique.
Après Retz, puis le duc de Saint-Simon, le libelle assassin va faire fortune pour devenir une fantaisie littéraire assez courue. On voit alors les esprits les plus fins se disputer la clef du champ de tir. Un casse-pipe beaucoup moins fréquenté de nos jours, hélas, malheureuse époque où pèse un climat d’offuscation permanent qui nous astreint tous à une prudente bienveillance quasi obligatoire, car les fleurets sont mouchetés par la menace procédurière. Le pamphlétaire peut encore aboyer, mais il est prié de porter muselière. Pourtant, tout le plaisir du croquis vachard est là, dans l’ardeur mise à mordre ! Attention, la volonté de faire mal ne suffit pas, encore faut-il y mettre du style, et c’est sans doute pourquoi la droite littéraire a prospéré dans l’exercice avec une férocité gourmande.
D’ailleurs, François Bazin puise largement dans ce groupe d’écrivains – Rebatet, Barrès, Maurras, Buisson, Léon Daudet, Morand notamment – pour composer, en partie, la liste des 56 auteurs qui peuplent son livre. On y trouve les vieux routiers, comme Balzac, Hugo, Céline, Bernanos, Giono, Mauriac, Stendhal, etc., quelques contemporains inattendus, comme Bayrou et Montebourg, ainsi que des trouvailles telles la comtesse de Boigne et sa saisissante peinture de Chateaubriand en prince égotique, ou Karl Marx qui voit dans Bonaparte un « grave polichinelle ». On y croise aussi de très brillants sujets, pourvus de plumes taillées pour l’abordage : Jean-Edern Hallier et sa véhémente Lettre ouverte au colin froid (pauvre Giscard !), Jean Cau (VGE : « Il a une case de trop »), Philippe Alexandre (Barre : « Il veut faire croire qu’il a du caractère alors qu’il n’a que des emportements »), Matthieu Galey (Mitterrand : « Un petit saurien en costume beige » ; Edgar Faure : « Simple raquette à renvoyer la parole »), Stéphane Denis (Chevènement : « Cet homme droit s’exprimait en courbes »), et bien d’autres encore qui ont le génie de la formule homicide et sont sans pitié pour leur cible.
Ces pistoleros font mouche à tous les coups. Si les autres tirent souvent à côté, c’est qu’ils n’y mettent pas assez de hargne ni de vivacité, car pour toucher, l’assaut doit être vif, bref et cinglant, comme celui d’un mousquetaire… Quand le billet est réussi, c’est une véritable gifle qu’un homme du peuple inflige à un parlementaire, un ministre ou un président. Ce soufflet, c’est l’orgueil de notre République ! Ah ! Si seulement l’essai de François Bazin pouvait nous aider à retrouver le goût des moqueries fines et de l’esprit de chicane ! Quand recroisera-t-on le fer avec la plume, comme jadis on le faisait avec l’épée ?
François Bazin, L’ai-je bien descendu ? Les politiques dans le viseur des écrivains, Bouquins, 2022.
D’après l’éditorialiste Thomas Legrand, si Zemmour a perdu, c’est à cause de… Bolloré. Et pas du tout à cause de la campagne digne d’une république bananière que nous venons de vivre…
Thomas Legrand, éditorialiste politique de France Inter et bobo autoproclamé qui déclarait en 2018 que « le bobo est à l’aise avec la mondialisation et s’intéresse peu à l’entre-deux, la nation » [1], a expliqué mardi dernier les raisons de la défaite d’Éric Zemmour. Il y en a deux, d’après lui : Poutine et surtout… Bolloré.
Quel problème d’identité française ?
Passons rapidement sur l’explication Poutine, avancée par Zemmour lui-même, pour ne retenir que la conclusion de l’éditorialiste, une charge obtuse contre l’idée de nation et d’identité s’appuyant sur une « vérité » qui reste à démontrer : « Que le candidat d’extrême-droite se soit à ce point trompé sur ce que le nationalisme et l’identitarisme produit toujours – brutalité et malheur – a détourné nombre d’électeurs simplement conservateurs. »
Si Zemmour a perdu, selon le journaliste, c’est surtout parce qu’il a « surdimensionné » le problème identitaire, en particulier avec son discours sur l’immigration, et a finalement confondu « le bruit que produisait […] son écosystème médiatique identitaire (sic) avec la réalité », celle d’une immigration heureuse uniquement dévalorisée par les « écrans “bollorisés” ». Raison principale pour laquelle, selon lui, les villes n’ont pas voté pour Zemmour et peu pour Le Pen, malgré « l’auto intoxication (sic) des journaux et télés réactionnaires ».
Quels sont ces journaux et télés qui méritent le qualificatif de « réactionnaires » ? Le ton utilisé par Legrand pourrait laisser croire que ces journaux et ces télés occupent de loin la plus grande place sur la scène médiatique. À part CNews et Valeurs actuelles, que Thomas Legrand tacle régulièrement sans jamais manquer de les ranger dans la case « extrême-droite », à quels autres organes de presse fait allusion notre journaliste france-intérien ? On ne sait pas. Il ne sait pas non plus – ou plutôt il sait très bien ce qu’il fait : sa formulation vague laisse planer le doute mais, en vérité, il n’ignore pas que les médias dominants, l’audiovisuel public en tête, a minutieusement participé à la victoire d’Emmanuel Macron. Le pluralisme médiatique français est une fable : la presse française est essentiellement libérale-libertaire, européiste, progressiste et wokiste.
Une presse archi-favorable au président sortant
L’Observatoire du Journalisme s’est ainsi amusé à établir le rapport de force médiatique (non exhaustif mais significatif) entre les deux-tours de la présidentielle. Il n’y a pas photo :
– Quotidiens et magazines pro-Macron : Le Monde, Libération, L’Opinion, L’Humanité, Les Échos, La Croix, la majorité de la presse régionale. Le Point, L’Obs, L’Express, Télérama, Courrier International, Paris-Match, Elle, la presque totalité de la presse féminine.
– Télévisions et radios pro-Macron : tout l’audiovisuel public, le groupe TF1, M6, Arte, BFMTV et, plus subtilement, la majorité des grandes radios privées.
– Échappent à la propagande : Valeurs actuelles, Marianne, CNews, et quelques médias comme Radio Courtoisie, Sud Radio ou TV Libertés.
Si Zemmour était parvenu au second tour, la répartition aurait été à peu près la même. Nous aurions peut-être eu droit en plus à l’équivalent du dessin répugnant qui servit de couverture au Courrier International (qui fait partie du Groupe Le Monde) lors des élections de 2002 et qui représentait une caricature de Français avec béret, petite moustache hitlérienne, bouteille de rouge marquée de la croix gammée et baguette de pain faisant un salut nazi, pour illustrer le titre : “France, l’Europe te regarde (Le monde aussi).”
À ceux qui se sont posé la question de savoir pour quelles raisons Emmanuel Macron n’a pas fait campagne avant le premier tour de l’élection présidentielle, il est facile de donner une partie de la réponse : parce que les médias dominants l’ont fait, d’une manière ou d’une autre, à sa place. En omettant de faire le bilan du quinquennat macronien et en chargeant comme une mule le « polémiste d’extrême-droite », Thomas Legrand et ses confrères ont délibérément soutenu le candidat Macron en empêchant le débat. Aucun des sujets qui auraient pu entacher la nouvelle candidature de Macron n’a véritablement émergé : ni la vente à l’encan des bijoux industriels de la France (Alstom, Lafarge, etc.), ni la catastrophique fermeture de Fessenheim, ni la dette abyssale, ni l’influence de plus en plus grande de l’UE sur le destin de la France, ni les accointances des membres les plus importants du cabinet Mc Kinsey avec le président, ni les propos contradictoires de ce dernier sur le nucléaire, la colonisation, la culture française, le voile islamique. L’insécurité grandissante, le problème migratoire, l’école en faillite, l’écroulement civilisationnel, tous ces sujets fondamentaux que le candidat Zemmour avait à cœur de mettre sur la table ont été irrémédiablement balayés d’un revers de main sous les accusations de xénophobie, d’islamophobie, d’élitisme et de nationalisme rappelant « les heures les plus sombres de l’histoire ».
Ce n’est pas « la faute à Bolloré » si Éric Zemmour a échoué. Comme ce n’est pas seulement la faute à Marine Le Pen si elle a perdu. Rien n’aura été plus obscène que l’évidente collusion de la majorité de la presse avec le pouvoir en place pour soi-disant « faire barrage à l’extrême-droite ». La courbette à ce niveau-là, moi je dis que ça devient gênant. Le Billet d’Honneur (ou de Déshonneur, c’est selon) est décerné, une fois de plus, à « l’odieux visuel du sevice public » (Gilles-William Goldnadel), organisme rémunéré par l’ensemble des Français mais dont la moitié d’entre eux sont méprisés par des journalistes et des humoristes qui ne cachent plus leur détestation pour ces Français qui ne votent pas comme il faut.
Nupes, ça a de la gueule
Si « l’extrême-droite » doit être combattue coûte que coûte, l’extrême-gauche a droit à certaines faveurs. Après avoir ciré les mocassins macroniens, Thomas Legrand nettoie un peu les croquenots mélenchonistes. Il comprend, explique-t-il dans son billet du 4 mai après de subtiles circonlocutions, « l’idée de cet accord » entre LFI, EELV et les restes du PS et du PC. Finalement, dit-il, cela « a presque de la gueule ». Je peine à imaginer quelle gueule, du point de vue de Thomas Legrand, aurait pu avoir un accord entre le RN et Reconquête ! Je suppose qu’après avoir épuisé toutes les références nazifiantes, il aurait évoqué les “gueules cassées” de la Grande Guerre, victimes de l’esprit nationaliste de gens qui croyaient encore, les malheureux, que l’idée de nation – comme « âme et principe spirituel » (Renan) – est celle qui doit gouverner l’histoire et le destin des peuples européens.
Aux yeux du prêtre radiophonique Thomas Legrand, cette idée de nation est aussi baroque que celle qui laisse penser que cette âme française pourrait être corrompue par un problème d’intégration des immigrés. Le seul problème d’intégration, disait-il déjà lors de son homélie du 10 mai 2022, est celui « des Français de souche vivant dans ces zones rurales ou périurbaines sans étrangers et sans diversité ethnique. […] Cette France vieillissante, effrayée par la représentation d’un monde urbain métissé. […] Cette population qui se sent exclue d’un monde qui semble en expansion, d’un monde qui accepte mieux la différence tout simplement parce qu’elle la connaît mieux. » Mélenchon – et, en vérité, la majorité des représentants politiques et médiatiques, de Macron à Rousseau et de L’Obs au Monde – pensent la même chose. Qu’il y ait encore quelques minuscules endroits « bollorisés » où l’on puisse penser autrement, voilà qui ne convient ni à Thomas Legrand en particulier, ni aux médias « pluralistes » en général.
[1] Entretien donné au Temps, le 22 octobre 2018, à l’occasion de la sortie de son livre Les 100 mots du bobo, écrit en collaboration avec Laure Watrin, paru aux éditions PUF.
Éric Zemmour vient d’annoncer sa candidature aux législatives dans la 4e circonscription du Var. Gageons que le candidat de droite, malheureux à la présidentielle, s’assurera que les gendarmes de Saint-Tropez surveillent et verbalisent toute baigneuse en burqini cet été! Dans d’autres circonscriptions, le parti «Reconquête» envoie des candidats qui se veulent la parfaite antithèse du mélenchonisme tellement à la mode depuis quelques jours. Petite revue des troupes.
Reconquête! a le sens des symboles, et c’est une excellente chose : le constat de Marc Bloch est toujours d’actualité, il ne faut pas laisser aux ennemis de la France « le soin de ressusciter les antiques péans. »
Aussi, le parti d’Eric Zemmour n’a-t-il pas choisi par hasard ses représentants aux élections législatives, dont certains – on pense par exemple à Patrick Jardin, dont la fille Nathalie a été assassinée au Bataclan – sont en eux-mêmes infiniment plus signifiants que n’importe quelle promesse électorale. Beaucoup de ceux qui s’opposent à ce que « la France reste la France » ne s’y sont pas trompés, et Libération par exemple a consacré tout un article à accuser des pires turpitudes les candidats investis par Reconquête!, du racisme au nazisme en passant par le complotisme. Se voir ainsi attaqué par le journal qui fit l’éloge des Khmers Rouges et de la pédophilie, et affirma qu’il n’y avait pas de terroristes islamistes parmi les migrants, peut être interprété comme un gage de qualité, finalement !
Deux des candidats de Reconquête!, notamment, forment avec leurs opposants du Nupes (l’alliance islamisto-gaucho-woke du « butin de guerre » de Bouteldja !) des contrastes qui en disent bien plus que tous les débats politiques : des duels archétypaux à l’état pur. Bruno Attal face à Taha Bouhafs – du moins jusqu’au désistement de celui-ci. Et Damien Rieu envoyé dans la région où opère le militant no border Cédric Herrou.
À Vénissieux, un candidat défendant l’honneur de la police nationale
À droite, donc, Bruno Attal. Policier, doté d’une solide expérience de terrain, le grand public l’a découvert lorsqu’il a soigneusement démonté et démontré l’instrumentalisation anti-police de l’affaire Michel Zecler – allant courageusement à contre-courant de l’emballement politico-médiatique, d’Emmanuel Macron à Aya Nakamura.
A gauche, jusqu’à son renoncement, Taha Bouhafs : « journaliste » devenu célèbre pour avoir dénoncé des faits imaginaires (le fameux « mort de Tolbiac » et les CRS « épongeant le sang des étudiants à l’intérieur de la Fac pour ne laisser aucune trace »). Et depuis, injures racistes à l’encontre de Linda Kebbab, propos anti-israéliens (évoquant « la Palestine de la mer au Jourdain »), Zemmour traité de « sous-humain », l’équipe de Charlie Hebdo de « pouilleux », participation à une manifestation en brandissant une fausse tête de Marine Le Pen au bout d’une pique, etc. Taha Bouhafs ne sera finalement pas investi, mais le concert de ceux qui accusent un harcèlement d’extrême-droite d’être cause de ce renoncement (du moins jusqu’à ce que ce message devienne difficile audible, même dans les médias les mieux intentionnés à l’égard de la gauche) et visent à transformer le failli candidat en ersatz de martyr est un beau florilège des islamo-gauchistes du pays, à commencer par Mélenchon en personne (et comme le souligne Florence Bergeaud-Blackler, depuis Bruxelles, les Frères Musulmans ne sont pas en reste).
🇪🇺Les Frères européens à Bruxelles sont généralement discrets sur les élections nationales. Ils réagissent ici publiquement au retrait de Taha Bouafs, confirmant qu'ils demeurent de solides appuis pour Mélenchon et l'extrême gauche aux élections législatives pic.twitter.com/x8eFBlIal1
— Florence Bergeaud-Blackler (@FBBlackler) May 10, 2022
Voilà pour la 14ème circonscription du Rhône (Vénissieux) – et le Nupes se rattrape ailleurs du désistement de Taha Bouhafs avec d’autres candidats hauts en couleurs, comme Leïla Ivorra qui avait elle aussi été à l’origine de mensonges éhontés sur Tolbiac, et l’inénarrable Nicolas Cadène, fossoyeur de la laïcité pendant huit ans avec les bénédictions successives de François Hollande et d’Emmanuel Macron.
L’identitaire Damien Rieu déployé près de la frontière italienne
Passons à la 4ème circonscription des Alpes Maritimes (Menton). Deux personnalités seront présentes, elles ont en commun la détermination à agir, et le fait d’avoir été relaxées à l’issue de procès médiatiques. Pour le reste, tout les oppose.
À droite, Damien Rieu : très engagé dans le combat médiatique et culturel, mais aussi concrètement avec le blocage du Col de l’Échelle, pour empêcher l’entrée de migrants illégaux (au grand dam de l’État, qui s’offusqua de voir que des particuliers tentaient d’assurer la mission qui aurait dû être celle des services publics, mais que ceux-ci négligeaient). Il a été le porte-parole de feu Génération Identitaire, organisation dissoute par Gérald Darmanin en 2021.
À ce sujet, une brève mais nécessaire digression : on peut avoir des réserves envers Génération Identitaire, mais un cas concret résume parfaitement la situation. Le 13 juin 2020, une manifestation du clan Traoré (théoriquement illégale pour cause de Covid, mais tolérée par l’exécutif) a permis l’étalage décomplexé de la haine de la police et de la France (et on se souvient aussi des cris antisémites qui y furent entendus), sous couvert « d’anti-racisme » et du slogan « Black Lives Matter ». Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner, venait d’expliquer que « l’émotion dépasse les règles juridiques » pour justifier sa soumission à la famille du détenu à la fourchette, et envisageait même sérieusement de mettre un genou à terre devant ce « Black Lives Matter à la française ». Et voilà que Génération Identitaire vint troubler ce bel unanimisme du wokisme triomphant en déployant sur le toit d’un immeuble, au-dessus de la manifestation, une banderole : « Justice pour les victimes du racisme anti-blanc #Whitelivesmatter ». Alors on peut bien sûr faire la fine bouche et regretter qu’ils aient écrit #WhiteLivesMatter plutôt que l’universaliste #AllLivesMatter, seulement voilà : aucun de ceux qui auraient préféré #AllLivesMatter n’a eu le courage de faire ce qu’a fait Génération Identitaire (cette critique valant évidemment au premier chef pour l’auteur de ces lignes), et au #BlackLivesMatter des Traoré, courtisés par un gouvernement indigne et des médias complaisants, mieux vaut peut-être opposer quelque chose de ferme que ne rien opposer du tout.
Sur son chemin, M. Rieu trouvera dans la région le militant d’extrême gauche Cédric Herrou : auteur d’un célèbre « délit de solidarité », c’est-à-dire concrètement passeur faisant entrer illégalement des migrants en France, pour des raisons idéologiques. Ce qui lui valut sans surprise une invitation à France inter et à Cannes, une notoriété flatteuse et quelques prix délivrés par des associations bien en cour (Médaille de la ville de Grenoble, Prix de la Licra…). Car bien sûr, alors que ceux qui voudraient préserver notre nation et notre civilisation sont vilipendés comme des monstres, les militants No Border, parfois complices de passeurs mafieux, sont célébrés comme des héros ! Ainsi va la France, qui oublie de se poser l’excellente question de Douglas Murray : « pourquoi l’Europe serait le seul endroit au monde qui appartienne à tout le monde ? »
Naturellement, le cercle de la raison autoproclamé aura de cette confrontation archétypale une lecture opportuniste, et tentera de se présenter comme le seul recours possible entre deux extrêmes. C’est là évidemment une présentation fallacieuse et mensongère : l’extrême-centre, dans tous les domaines évoqués, est résolument « progressiste ». Entre le macronisme et la Nupes, il y a une différence de degré mais pas de nature.
En matière de politique pénale, jamais l’idéologie perverse du juge Baudot n’aura été à ce point triomphante, pour s’en convaincre il n’est qu’à voir la situation du jeune policier contraint d’ouvrir le feu sur le Pont Neuf, ou de cet agriculteur lui aussi obligé de tirer pour protéger sa fille et sa maison. Et en matière d’immigration, le bilan d’Emmanuel Macron est conforme à son projet, donc catastrophique, et l’impuissance de l’État face à l’immigration illégale manifeste. Enfin, si l’islamogauchisme de la Nupes est fréquemment dénoncé, n’oublions pas qu’Emmanuel Macron s’est extasié devant la « beauté » d’une femme voilée se disant féministe, et que, sous sa présidence, l’UE et ses affidés n’ont eu de cesse de promouvoir le hijab. Il est donc bien hypocrite que les soutiens du président critiquent maintenant les propos de la Nupes en faveur du burkini ! Et on pourrait encore multiplier les exemples….
Au moins, les enjeux sont clairs. En juin les électeurs auront dans toutes les circonscriptions évoquées le choix, la France devra ensuite assumer.
Face à la « nouvelle gauche » de Mélenchon, le maire de Cannes veut inventer une droite nouvelle. Pour renaître de ses cendres, LR doit imposer un projet opposé autant au transnationalisme de Macron qu’à l’islamo-gauchisme des Insoumis, et surtout rompre avec le social-étatisme qui détruit l’État. Propos recueillis par Elisabeth Lévy…
Causeur. Même avant même le début de la guerre en Ukraine, cette campagne n’a guère suscité de passions. Comment l’expliquez-vous ?
David Lisnard. Je ne sais pas l’expliquer. Comme nous l’avons écrit il y a quatre ans dans Refaire communauté, pour en finir avec l’incivisme, nous sommes face à une grave remise en cause des fondements mêmes de la démocratie dont une des expressions est l’abstention assez élevée. Une partie de la population se désintéresse de la politique et une minorité continue à s’y intéresser sur les réseaux sociaux ou sur les chaînes d’info, mais par l’outrance et l’invective. C’est le fruit du nihilisme de l’époque qui est lui-même la conséquence du relativisme, lequel consiste à dire qu’aucune civilisation, aucun système de valeurs ne prévaut moralement, que tout se vaut. Si tout se vaut alors rien ne vaut : la démocratie n’est pas si importante ; voter, on a mieux à faire… Cela finit par une sorte de consumérisme politique. Comme dans un rayon de supermarché, on choisit au dernier moment, sans trop savoir pourquoi. D’où le désintérêt pour le débat et le dénigrement des porteurs d’idées.
Dans un récent entretien au Point, Patrick Buisson explique que Macron et Le Pen sont les candidats de la post-politique.
C’est juste. Des phénomènes conjoncturels comme le Covid et la guerre en Ukraine n’ont été que des catalyseurs d’une dépolitisation – que Raphaël Llorca avait appelé la « neutralisation de la vie politique » – voulue notamment par Emmanuel Macron. C’est aussi le fruit de la faiblesse des alternatives proposées.
Sans nier l’importance du pouvoir d’achat, il ne résume pas les préoccupations des gens. Pendant l’automne, Éric Zemmour a imposé avec succès des questions régaliennes, identitaires, qui ont ensuite été évacuées. L’idée même d’intérêt général aurait-elle déserté les consciences ?
C’est plus complexe que cela. Dans ce que je vis au quotidien dans ma commune, je vois une multitude d’expressions de dévouement au service de l’intérêt général, et tous les maires vous diront la même chose. Certes, le politique doit répondre à la question de l’avoir – le pouvoir d’achat et les salaires en période d’inflation, problème sous-estimé qui va nous exploser à la figure dans quelques mois – mais parallèlement, elle doit s’adresser à l’être.
Dans cette élection, ceux qui ont été en tête sont ceux qui avaient une ligne. Chez Marine Le Pen, il y a une forme de nationalisme populiste qui s’exprime à travers une vision étatiste, qui n’est absolument pas la mienne, mais qui est claire. Emmanuel Macron est dans un clientélisme d’État caché derrière le paravent du « quoi qu’il en coûte ». C’est une forme de démagogie sophistiquée défendue par les élites, qui s’y retrouvent à court terme. Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour ont plus parlé à l’être. Chez eux, il y a du récit, de l’épopée. Ils ont de la culture, une facilité d’élocution, et certaines idées dangereuses. Cette élection cristallise l’existence d’un pôle autour de la patrie, avec Le Pen, d’un pôle opportuniste et très conformiste avec Macron et d’un retour de la gauche, avec un pôle extrémiste autour de Mélenchon.
Je suis conservateur au sens anglo-saxon du terme. Cependant, quand j’entends un mot en « isme », je me méfie. Comme le disait Jean-François Revel, « l’idéologie, c’est ce qui réfléchit à votre place »…
Dans l’entre-deux-tours on nous a bassinés avec l’extrême droite, mais personne ne fait le reproche à Mélenchon d’être d’extrême gauche, une famille politique qui n’a pas non plus à être fière de son histoire.
Non seulement personne ne lui fait le reproche d’être d’extrême gauche, mais il y a eu une course sans vergogne au mélenchonisme ! Il faut au contraire démonter l’argumentaire de Jean-Luc Mélenchon, car il séduit la jeunesse et risque de créer une dynamique très dangereuse : un antirépublicanisme qui se revendique de la République mais qui est anti-universaliste, wokiste, racialiste, anticapitaliste. Dès avant le premier tour, Macron, dont on surestime la capacité conceptuelle et sous-estime la capacité tactique, a compris qu’il y avait une gauche orpheline et a repris le slogan de Poutou, en parlant d’une prime de 6 000 euros – et pourquoi pas 20 000 ? Avec une telle surenchère, il joue avec le feu ! En attendant, il s’est retrouvé face à quelqu’un qui n’a pas su gérer le défi du débat de second tour, lequel a été l’expression ultime de la dépolitisation.
On a vu renaître la gauche, pourtant le clivage droite/gauche ne structure plus la vie politique. Comment peut-on définir le nouveau clivage ?
D’abord, sans clivage, point de démocratie. Le mythe de la réunion des bonnes volontés compétentes est une matrice totalitaire. Ceci étant, depuis trente ans, les lignes de clivage sont brouillées. Elles étaient claires à l’époque du mur de Berlin où on avait un clivage capitalisme/communisme. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase transitoire où l’enjeu est de proposer un clivage utile au pays. Hélas, celui qui a été poussé est le clivage progressistes/nationalistes. Je ne le pense pas pertinent. Il n’embrasse pas la vie politique ; en revanche, il peut l’embraser.
Pourquoi ?
Il y a d’abord un clivage sociologique. Mitterrand disait avec raison qu’il fallait mettre en adéquation la politique et la sociologie. Les personnes à faibles revenus ont voté Marine Le Pen en premier et Jean-Luc Mélenchon en deuxième ; tandis que la France des revenus plus élevés, après avoir voté François Fillon en 2017, s’est partagée entre Emmanuel Macron et Éric Zemmour. À Cannes, c’est flagrant. Quand le pays va revenir aux réalités budgétaires, quand on verra que le crédit facile disparaît et qu’il faut réduire une dépense publique à laquelle nous sommes accoutumés, le réveil sera brutal. Plus on demande à l’État, plus on est capricieux et moins on est content. Il va y avoir des phénomènes de violence nourris par la frustration, le ressentiment et le sentiment d’injustice. Cette opposition sociologique entretient beaucoup de compatriotes dans une posture victimaire.
Notre devoir, pour la paix civile, la concorde nationale, est de créer des débats utiles qui correspondent à des enjeux politiques. Avec Nouvelle Énergie, j’essaie de développer une offre issue de mon vécu d’ancien petit commerçant et de maire, qui se décline sur trois axes. D’abord, comment créer une prospérité économique par la liberté et la responsabilité ? Ce qui flingue le pays, c’est qu’on n’encourage pas la responsabilité et qu’on ne sanctionne pas l’irresponsabilité.
Ensuite, l’ordre juste, pour reprendre l’expression de Ségolène Royal en 2007. Il faut retrouver de l’effectivité dans la politique publique, notamment sur le plan régalien, en sortant de la grandiloquence des mots et de l’impuissance des actes. C’est une priorité. Quand on élit un chef de l’État, il faut qu’il cheffe l’État. Or Macron cheffe la société.
Enfin, mon troisième axe, c’est l’unité de la nation par la culture, le partage des grandes œuvres de l’esprit, celles qui résistent au temps. Je suis pour le progrès, mais pas pour le progressisme. Je pense qu’il y a un espace pour cette offre politique.
Quel clivage souhaitez-vous imposer ?
C’est entre le wokisme, le relativisme et le nihilisme, d’un côté, et la construction d’une ambition française fidèle à l’universalisme républicain, à son histoire et tournée vers l’avenir, au sein d’une Europe réaliste et organisée comme instrument de puissance, de l’autre.
Ce que vous décrivez s’appelle « conservatisme », pourquoi esquivez-vous le mot ?
Je pense qu’il faut absolument conserver ce qui est bien. Je suis donc conservateur au sens anglo-saxon du terme. Cependant, quand j’entends un mot en « isme », je me méfie. Comme le disait Jean-François Revel, « l’idéologie, c’est ce qui réfléchit à votre place ».
Entre les deux tours, la totalité de la classe médiatique, une grande partie de la classe politique y compris à LR, le Medef, les artistes, les sportifs, Sarkozy, le Parti communiste, et même les Premiers ministres portugais, espagnol et allemand ont recréé le prétendu front républicain. Vous n’avez pas participé à cette quinzaine antifa…
Ceux-là mêmes qui appelaient à faire barrage ont fait sauter les digues par leur inconséquence. Il y a eu une volonté du pouvoir en place d’ériger Marine Le Pen en adversaire principale. C’est d’autant plus stupéfiant qu’un Darmanin, il y a un an, lui reprochait sa mollesse. Cette dialectique est dangereuse, car elle finira par faire gagner l’extrémisme, mais peut-être pas celui qu’on croit : ce sera l’extrémisme de gauche.
Ceux qui affirment que le RN n’est pas républicain n’expriment-ils pas un certain mépris de classe ?
Bien sûr ! Comme il y a eu du mépris de classe pour les Gilets jaunes première génération. Je combats les idées du RN, que je juge étatistes, irréalistes et socialistes sur le plan économique. Sans parler des ambiguïtés sur la Russie et l’Ukraine. Mais si je me suis battu pour que tous les principaux candidats aient leurs parrainages, ce n’est pas pour dire après coup qu’ils sont antirépublicains ! Si c’était le cas, ils ne devraient pas être autorisés à concourir. On ne peut pas les faire monter de façon volontaire et tactique, et dire en même temps qu’ils ne sont pas républicains. Personne n’y croit vraiment.
Comment expliquez-vous la piètre performance de Valérie Pécresse ? Pourquoi les anciens électeurs sarkozystes n’ont-ils pas voté LR ?
Il y a eu des éléments de circonstance, comme l’impossibilité d’avoir un débat alors que tous les médias focalisaient sur la guerre en Ukraine. Le champ émotionnel avait pris le dessus. Il faut aussi évoquer le Covid et cette atonie civique dont nous parlions au début. Et la cristallisation s’est faite, plus tard, autour des trois offres les plus simples, les plus lisibles. Enfin, il y a eu un réflexe de vote utile catalysé par les sondages. Une partie de l’électorat de droite n’est pas allé voter, et l’autre partie a voté Macron comme garant d’une certaine sécurité en période de crise. La droite populaire est partie chez Le Pen et une partie de la droite des classes moyennes est partie chez Zemmour. Tous ces phénomènes ont été une machine à broyer le débat. Si ce débat n’a pas lieu aux législatives, ça finira dans la rue. L’enjeu est majeur.
Tout de même, comment expliquer qu’une France majoritairement à droite réélise Macron ?
La droite dite républicaine n’a pas réussi à incarner une alternative crédible, à être audible face à un président sortant qui a tout fait pendant cinq ans pour faire émerger des oppositions radicales à gauche comme à droite, comme garanties de sa réélection. Nous n’avons pas su nous distinguer suffisamment et avons laissé partir l’électorat traditionnel de droite chez Macron d’un côté, chez Zemmour ou Le Pen de l’autre. Une fois la droite classique éliminée, le scénario rêvé d’Emmanuel Macron est advenu avec un second tour qui lui assurait la victoire.
Vous voulez réconcilier la sociologie et la politique, mais il faut aussi réconcilier l’idéologie et la politique. Les juppéo-macronistes et les wauquiezo-zemmouriens défendent des conceptions radicalement opposées de la nation, du monde et de l’Europe. L’éclatement possible du parti ne serait-il pas une œuvre salutaire de clarification ?
Ce que vous dites vaut également pour Le Pen et Macron. Chez Macron, c’est le « en même temps » permanent. Pourtant les macronistes se retrouvent derrière « le progressisme face aux forces de la réaction ». Au RN, il y a de grosses contradictions, mais ils arrivent malgré tout à avoir une identité politique, puisqu’ils veulent incarner « la nation face à ceux qui la menacent. »
On rencontre ces phénomènes dans tous les mouvements politiques. Entre les laïques républicains sincères et les écolos gauchistes, le parti socialiste en est le meilleur exemple.
Comment allez-vous vous distinguer de Macron et de Le Pen ?
Il faut incarner la rupture avec le social-étatisme. L’État doit être respecté, il doit être fort, mais ses administrations doivent être efficaces au service des habitants. Nous devons incarner une société de l’élévation des individus, de la nation, de la culture, de l’industrie, porter un projet de refondation de la France ! Je vais y travailler, avec LR et Nouvelle Énergie, sur les trois piliers que j’ai évoqués. L’urgence, c’est l’éducation ! Je viens d’un milieu où on acceptait de galérer, d’avoir les huissiers à la maison, mais où il était scandaleux que les enfants ne reçoivent pas une instruction publique de qualité. Au nom de l’égalitarisme, la France a le système en réalité le plus injuste, le plus inéquitable. Les gens des catégories sociales supérieures savent très bien où scolariser leurs enfants mais, avec la carte scolaire, on assigne les enfants des classes populaires et moyennes à résidence et au déterminisme social. Ce que j’appelle la société augmentée passe par une grande politique d’instruction publique, une grande ambition nationale pour la science, la mobilisation d’une Europe-puissance pour des projets de coopération sur la transition énergétique, le nucléaire…
Sauf qu’à 27, elle n’est pas près d’arriver votre Europe-puissance. Rêvez-vous, comme Macron, d’une Europe fédérale ?
Non. Macron pense que les nations sont dépassées, il est surtout transnationaliste. Qu’il y ait une Commission européenne, ça ne me dérange pas si c’est au service des États, mais je ne tolère pas que la Commission nous dise ce qu’il faut faire en Ukraine. Macron a une approche utilitaire de la nation, moi j’ai une approche utilitaire de l’Europe.
Pourriez-vous travailler avec quelqu’un comme Zemmour ?
Je sais gré à Éric Zemmour d’avoir remis la question civilisationnelle et culturelle au cœur de la politique. Mais il y a de grandes différences entre nous. Déjà, et c’est fondamental, il est jacobin et je suis plus girondin et libéral. Ensuite, je ne crois pas aux alliances tactiques. Je leur préfère les effets d’entraînement. Les alliances, c’est du rapport de forces et si nous devons discuter avec quelqu’un, il nous faut d’abord redevenir fort ! Autre point, Éric Zemmour s’est opposé à l’accueil des réfugiés ukrainiens, parce qu’il est prisonnier de son schéma de pensée, selon lequel, si on accueille les Ukrainiens, on accueille tout le monde. Mais non ! Nous pouvons décider d’accueillir qui on veut, notamment des diasporas dues à la guerre ou à un changement de régime et je pense que nous devons accueillir les Ukrainiens.
Votre parti, Nouvelle Énergie, va-t-il présenter des candidats ou êtes-vous toujours à LR ?
Je suis à LR et je crois en notre avenir avec une profonde évolution. Dans l’immédiat, un certain nombre de candidats LR me demandent de les soutenir aux législatives, ce que je fais volontiers.
Donc aux législatives, LR y va seul. Avec quel leadership ?
Christian Jacob est le patron de LR et a donné la ligne. Et chaque candidat va mener sa propre campagne. L’ancrage local sera déterminant. Et puis nous avons beaucoup de talents et de personnalités de qualité comme Jean Leonetti, Bruno Retailleau, Éric Ciotti, Gérard Larcher, Laurent Wauquiez, François-Xavier Bellamy, David Denjean et tant d’autres. À nous de porter des idées, des grands enjeux et des convictions. Nous devons montrer qu’une politique de justice passe par la construction de places de prison et par l’exécution des peines, qu’une politique de l’environnement passe par le nucléaire, l’hydroélectrique et l’hydrogène, qu’une politique de pouvoir d’achat doit procéder d’une politique de croissance économique, car autrement on finit par faire cocus les gens avec de l’argent public qui n’existe pas… Il faut être clair face à Emmanuel Macron qui restera le président des dettes : environnementale, financière, culturelle et industrielle. Nous devons aussi être déterminés face à l’islamisme. Ceux qui trouvaient Le Pen trop molle il y a un an, expliquent aujourd’hui qu’on peut porter un voile dans la rue et être féministe ! Enfin, le prochain clivage sera contre la nouvelle gauche menée par Jean-Luc Mélenchon, j’en suis convaincu. Il faut donc qu’il y ait en face une nouvelle droite.
Cela se doublera peut-être d’un clivage entre girondins et jacobins, pour ne pas dire entre Paris et la province.
C’est majeur ! J’avais alerté Macron à ce sujet. On nous flatte quand il le faut, mais en réalité on nous enlève du pouvoir, de la responsabilité. Si cela continue, il y aura une révolte des élus locaux.
Croyez-vous possible que Macron n’obtienne pas une majorité en juin ?
Il ne faut pas oublier 1988. Mitterrand met une vraie claque électorale à Chirac, et à la fin il rate la majorité absolue de quatre sièges. Il est donc possible que Macron n’ait pas la majorité absolue. D’autant plus que les cinquante nuances de macronie vont maintenant s’exprimer avec beaucoup plus d’intensité.
Avec notre système, quelqu’un qui a 28 % au premier tour peut appliquer son programme après le second tour et les législatives sans devoir négocier de compromis. N’est-ce pas l’origine de nos blocages politiques ?
La démocratie doit concilier le peuple et le pouvoir. Aujourd’hui le peuple ne se sent pas décisionnaire et la décision politique s’applique de moins en moins. De même que la IVe République est morte du régime des partis, la Ve République peut périr du régime des technocrates. Pour que le pouvoir procède du peuple, on doit réduire les missions de l’État et permettre au niveau local de prendre des décisions, tout en restant attachés à l’État-nation tel que nous le connaissons en France. Il y a un problème évident de représentativité au plan national qui ne tient pas tant au mode de scrutin qu’à la pratique du pouvoir.
L’interdiction du cumul des mandats n’est-elle pas une réforme stupide ?
Aujourd’hui, tout le monde dit en off que c’était une bêtise. La capacité d’être à la fois parlementaire et maire permettait d’établir un lien entre le national et le local. À présent, quand on est maire, on peut en arriver à être viscéralement contre le pouvoir central et quand on appartient au pouvoir central, on prend sûrement les maires pour des ploucs…
Zemmour a fait de la progression de l’islamisme, nourrie par l’immigration, un combat prioritaire. Certaines villes sont d’ores et déjà complètement islamisées. La France peut-elle encore supporter cinq ans d’islamisation ?
Non, car il y a un risque de libanisation, dû en partie à la dynamique islamiste des Frères musulmans qui font de l’entrisme, mais plus à la faiblesse spirituelle de notre nation. Mais contrairement à Éric Zemmour, je pense qu’il me faut emmener dans ce combat les jeunes musulmans français qui ne sont pas islamistes. Il est vrai cependant que, lorsque 75 % jeunes de culture musulmane disent rejeter la laïcité et pensent que les lois de l’islam doivent l’emporter sur celles de la République, il y a un problème. Notre faiblesse vient de cette espèce de relativisme dont le point culminant a été Mai 68. Il faut savoir définir ce qui nous unit en France.
Dans ma ville, nous avons mis en place des cours de grec et de latin et même des cours de philosophie sur le périscolaire, et l’éducation artistique et culturelle est systématique. Dans les quartiers d’immigration, ces cours sont complets tout de suite. Les parents, essentiellement originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, inscrivent leurs enfants en grec et en latin parce qu’ils savent qu’une bonne instruction est la condition de leur épanouissement. Il y a dans ces familles des parents fiers d’être Français et une reconnaissance que, malheureusement, on ne retrouve pas chez les jeunes en général.
Oui, il faut enseigner à tous que notre civilisation a produit la raison critique, l’égalité homme/femme, qu’elle permet à l’individu de ne pas être assigné à un seul élément de son identité : c’est quelque chose de grand ! Et cela ne se limite pas au respect des « valeurs de la République », qui devient une ritournelle. Les lois de la République sont un tuyau, et il faut un contenu, un contenu spirituel qui est l’héritage de la pensée aristotélicienne, du droit romain, de la culture judéo-chrétienne, de l’esprit des Lumières. Je sais que c’est possible mais cela passe par une instruction publique régénérée et puissante. Et souhaitons que tous les enfants se sentent dépositaires du classicisme du XVIIe siècle, qu’ils soient fiers du château de Versailles et des Daft Punk qui ont révolutionné la musique électro. Et puis, parallèlement, chacun doit savoir que, quand on est voyou, on est sanctionné quelle que soit son origine ou sa classe sociale et que, quand on est méritant, on est récompensé. La justice effective est indispensable parallèlement à l’ambition. Comme l’écrivait Arendt, « c’est dans vide de la pensée que s’inscrit le mal ».
Le policier qui le 24 avril avait tiré sur une voiture qui fonçait sur ses collègues après un refus d’obtempérer a été mis en examen pour « homicide volontaire ». Cette inculpation, qui va au-delà des réquisitions du Parquet, a fait réagir les syndicats de police, qui ont organisé des manifestations de protestation. Notre chroniqueur revient sur la chaîne d’événements qui a conduit à cette situation, et s’interroge sur les règles françaises de la légitime défense.
Le Procureur de la République, après la fusillade sanglante du Pont-Neuf le 24 avril au soir, avait ouvert une information judiciaire pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » et déferré l’agent à l’issue d’une garde à vue de quarante-huit heures. Les magistrats instructeurs ont retenu une qualification juridique des faits plus lourde que celle requise par le parquet. Les deux morts sont deux dealers, deux frères de 25 et 31 ans, et le blessé, à l’arrière du véhicule, est apparemment un client.
Le premier réflexe est de s’étonner d’une telle mise en examen. Après tout, la profession de truand expose à certains inconvénients — par exemple celui de mourir jeune et de mort violente. « Bien fait », diront certains. Mais les règles de la légitime défense, en France, sont complexes et cette inculpation est logique.
Pour démêler le vrai des on-dit et des opinions toutes faites, j’ai demandé son avis à Philippe N***, qui durant 40 ans de carrière dans la police, à Paris puis Marseille, a connu bien des situations similaires et peut analyser à froid les événements.
Jean-Paul Brighelli. Quel a été apparemment le déroulé des faits ?
Philippe N***. La voiture, qui était garée à contresens au niveau du Vert-Galant, a forcé un barrage et foncé sur les policiers. Rappelons que le 24 avril était le soir des élections, et que la police avait manifestement été mise en alerte pour contenir toute émotion populaire. Ça, c’est pour le climat. C’est ce qui explique aussi que le policier ait été équipé d’un fusil d’assaut HKG36. Il faut savoir que traditionnellement de telles armes ne sont jamais chargées à fond (donc tout au plus une dizaine de balles dans un chargeur qui en contient vingt-cinq), et doivent être réglées sur un tir au coup par coup, et non en rafale.
Une précision au passage. Cette arme, ainsi que le Sig, ont été généralisés en 2002. En fait, après les émeutes en banlieue de 1995, quelques grosses têtes au ministère se sont dit qu’il fallait équiper les troupes pour affronter une situation d’émeute ou de guerre civile — oui, déjà en 2002. On ne parlait pas de terrorisme, à l’époque. Ni de voyous surarmés. Mais de jeunes émeutiers.
La logique d’intervention est la suivante : celui qui a une arme longue est en retrait ; un intervenant s’approche du véhicule côté conducteur, un autre côté passager, un troisième est en retrait, en protection. Il se tient sur le côté — à 14 heures — pour couvrir ses collègues qui demandent au conducteur de s’arrêter.
Evidemment, la voiture n’est pas allée forcément tout droit, et il semble qu’elle se soit dirigée frontalement vers le policier. Ce dernier, voyant que la voiture fonçait, a eu le réflexe de tirer — il faut bien réaliser que tout cela se passe très vite.
On peut s’étonner que son arme ait manifestement été réglée sur un tir en rafale, puisqu’on a relevé une dizaine d’impacts. À cette distance — quelques mètres —, ce n’est pas un exploit que de grouper six balles sur dix sur une cible très proche — même si elle était en mouvement.
Le policier est mis en examen, mais il n’est pas suspendu…
Il est effectivement placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction de porter une arme, d’exercer une fonction en contact avec le public, et d’entrer en contact avec le service auquel il appartient. Autrement dit, il est confiné dans un emploi de bureau, en attendant les conclusions de l’enquête. Il touche son plein salaire. Qu’il soit inculpé est un processus normal. Les magistrats instruisent normalement sur la qualification la plus importante. Ça ne présume en rien de la qualification finale. On paie les musiciens à la fin du bal, n’est-ce pas… Et cela ne présage en rien de la sanction éventuelle dont déciderait un jury, si cela devait déboucher sur un procès d’assises — où de toute façon la Cour peut requalifier les faits.
Quant aux manifestations syndicales… Les syndicats, depuis les manifestations spontanées de policiers en 2016 puis en 2020, ont tendance à anticiper, de peur de voir leurs troupes s’autonomiser davantage. C’est plus de la gesticulation qu’une protestation fondée.
Pourquoi est-il inculpé d’homicide volontaire ?
Nous entrons là dans les arcanes de la légitime défense, dont les règles ont été modifiées en 2017 — suite à l’attaque du Bataclan. Il s’est alors agi d’unifier les pratiques, jusqu’alors distinctes, de la police et de la gendarmerie : jusque-là, seuls les gendarmes, qui sont un corps d’armée, pouvaient faire usage de leur arme lorsqu’ils n’avaient pas d’autre moyen de défendre le périmètre qui leur avait été confié.
« Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent, outre les cas mentionnés à l’article L. 211-9, faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée :
« 1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ;
« 2° Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ;
« 3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;
« 4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;
« 5° Dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes. »
Si je comprends bien, on ne peut en aucun cas anticiper — il faut attendre d’être agressé, et éventuellement mort, pour riposter…
Notez que la police a su parfois s’affranchir des règles. La mort de Mesrine, abattu sans sommations en 1979, était techniquement un assassinat — et pourtant, Broussard a été félicité par le ministre, Christian Bonnet, et a bâti la suite de sa brillante carrière sur cette élimination. La gauche n’est pas en reste : en 1985, le leader indépendantiste kanak Eloi Machoro et son ami Marcel Nonnaro sont abattus à 400m de distance par le GIGN — sur ordre de Pierre Joxe. Enfin, si vous vous rappelez l’affaire « Human bomb », Erick Schmitt a été abattu par le RAID, sur ordre de Charles Pasqua, alors qu’il avait été drogué par des pizzas assaisonnées aux tranquillisants. Rien de « strictement proportionné » dans ces trois événements.
Les trois cas ne poseraient aujourd’hui aucun problème. Mais même lorsque la législation était plus restrictive, on jugeait de l’opportunité des poursuites — l’opportunité politique, s’entend.
Alors, un délit de fuite fait-il partie de ces situations où les occupants d’une voiture « sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui » ?
Il faut savoir qu’on observe en France un refus d’obtempérer toutes les 20mn. 26 000 par an. Le bilan varie de de 0 à 3 morts parmi les forces de l’ordre par an. C’est triste pour ceux à qui ça arrive, mais c’est statistiquement dérisoire. Pas de quoi en conclure qu’il faudrait tirer 26 000 fois… Ce qui, avec de mauvais tireurs, et en tirant une fois sur dix, ferait quand même 260 morts par an.
D’où les réticences juridiques et pratiques.
Quant aux raisons qui poussent les gens à refuser de s’arrêter… Pensez au nombre de gens qui roulent sans permis (770 000, estime-t-on), ou sans assurance, ou bourrés, ou drogués, ou sans contrôle technique — ou mineurs…
Alors, peut-on faire évoluer la légitime défense vers sa version américaine ?
En France on considère la réalité de la menace. Aux Etats-Unis, on considère sa potentialité. La proportionnalité de la riposte n’est pas la même non plus… Aux Etats-Unis, les policiers ont déjà l’arme au poing lorsqu’ils demandent à une voiture de s’arrêter — et tirent sans sommations dès qu’ils trouvent suspect le comportement du conducteur — une situation particulièrement bien illustrée dans ce film de procédure policière qu’est Night Shift (Patrouille de nuit, de Joel Souza, 2019). Mais au-delà, n’importe quel citoyen (encore que les règles soient assez différentes d’un Etat à l’autre) peut défendre par les armes son intégrité physique, ou son bien ou sa voiture, considérés l’un et l’autre comme des extensions de sa personne. C’est ce que l’on appelle là-bas la loi Stand your ground, ou la Doctrine du château. D’où le fait que les maisons n’ont pas de barrière : si vous piétinez une pelouse, vous vous mettez en danger de mort. Rappelez-vous ce qui est arrivé en 1992 au jeune étudiant japonais Yoshi Hattori. Invité à une fête d’Halloween, perdu dans une banlieue où toutes les maisons se ressemblent, il a tenté de demander son chemin — et a été abattu par le propriétaire de la maison à laquelle il a frappé, parce qu’il tenait à la main une caméra qui pouvait être une arme. Le tireur a été blanchi par le jury qui l’a jugé — mais condamné à de très importants dommages et intérêts qui l’ont positivement ruiné.
L’extension de la notion de légitime défense vers le modèle américain impliquerait l’accès aux armes de toute la population — ce qui fut le cas en France jusqu’en 1939. Les problèmes qui se poseraient alors seraient à mon sens plus lourds que nos interrogations présentes sur la légitime défense…
Reste que la légitime défense est le seul cas, dans l’arsenal judiciaire français, où la charge de la preuve appartient à l’accusé et à sa défense… Que les juristes aient tordu la loi commune (la preuve incombe à l’accusation) pour ce cas précis témoigne de la gêne que suscite cette notion complexe de légitime défense.
La droite dite « républicaine » ne devrait pas désespérer. Les pieds au fond du trou, on ne peut que rebondir. Même si, selon notre chroniqueur Philippe Bilger, les mauvais tours joués par Nicolas Sarkozy à sa famille politique sont à déplorer.
L’inquiétude manifestée sur le futur de LR, lors de l’excellente matinale de Patrick Roger sur Sud Radio, par ce dernier et le chroniqueur Eric Revel, peut se comprendre mais pour ma part je ne serai pas aussi pessimiste. Certes, la défaite humiliante de Valérie Pécresse a mis immédiatement ce parti dans un désastre qu’il pressentait – mais non à un tel niveau d’échec. Je vois cependant des motifs d’espoir dans une situation où le pire a été atteint et où on n’a pas d’autre choix que de résister ou de trahir. Demeurer fidèle à ses convictions – la certitude qu’une droite intelligemment républicaine et conservatrice n’est pas soluble dans le macronisme – ou servir ses intérêts à court terme en ennoblissant ces migrations avec de prétendues analyses objectives.
70 députés, ce ne serait pas rien
Les projections pour les futures élections législatives ne mettent évidemment pas LR au même niveau que Renaissance ou même que Nupes mais évoquent tout de même une possibilité de 70 députés, ce qui n’est pas rien et constituerait un socle susceptible de devenir un fer de lance, un aiguillon, une opposition inventive et stimulante.
Surtout – et cet élément est capital – les étranges et discutables manœuvres de Nicolas Sarkozy ces derniers mois, son absence de soutien à la candidate de son camp, sa promiscuité de longue date, à la fois tactique et narcissique, avec le président Macron et, en définitive, sa trahison invitant la droite à passer avec arme et bagages, par pur pragmatisme électoral, dans une probable majorité qui lui fera perdre sa singularité et son identité, ont permis enfin de lever l’illusion d’un Sarkozy tutélaire, admiré à proportion de ses échecs et malgré son rôle constamment trouble, et je ne parle pas que du plan judiciaire ! LR va pouvoir inaugurer une période de réflexion et d’action où, le roi étant nu, sa liberté sera totale pour inventer son avenir.
Comment ne pas se réjouir en constatant le faible écho de l’appel de Nicolas Sarkozy à rejoindre le « en même temps » macronien si peu désirable et si peu exemplaire quand on voit comme l’éthique compte peu pour choisir les candidats Renaissance ?
Tout démontre paradoxalement que la fuite de quelques transfuges qui prétendent donner des leçons à proportion de leur mauvaise conscience, loin d’affaiblir le parti déserté, renforce au contraire celui-ci dans l’orgueil de son identité et de son caractère irremplaçable dans le paysage démocratique. En effet, depuis quelques semaines je suis frappé par l’émergence d’une démarche collective qui ne perd plus de temps en s’interrogeant sur la nécessité de LR mais cherche seulement à se rendre plus efficace en veillant à une incarnation éclatante de cette droite républicaine dont le programme au fond devrait être très simple : un humanisme généreux, une maîtrise régalienne exemplaire, tout ce que n’a pas été le macronisme. Le social plus l’autorité de l’Etat. Le refus absolu du « deux poids deux mesures ». La mise en œuvre d’une Justice, d’une équité et d’un courage politique irriguant l’ensemble de la société et les pratiques du pouvoir.
À examiner tous ceux qui ont l’ambition de succéder à Christian Jacob qui a sauvé tant bien que mal les meubles mais sans briller, LR n’a vraiment pas à rougir du vivier au sein duquel le choix de sa future présidence se fera. Quel inventaire en effet, sans que je méconnaisse le caractère hétérogène de celui-ci par rapport au futur dont on rêve pour LR ! Eric Ciotti, Bruno Retailleau, François-Xavier Bellamy, Julien Aubert, David Lisnard, Rachida Dati, Aurélien Pradié, Laurent Wauquiez qui aurait de bonnes chances pour avoir mis de l’eau apaisante dans son vin urticant : cette liste a de l’allure. LR n’a plus besoin de Nicolas Sarkozy.
Minoritaires demain – qu’ils changent de nom ou pas – mais, j’en suis persuadé, plus forts parce qu’enfin délestés du mythe du « parrain » et contraints de penser et de gagner par eux-mêmes. Parce qu’ils ne vont plus douter d’eux. Fierté de la droite, refus du salmigondis au pouvoir.
Demain soir, le célèbre opéra de Richard Strauss est donné à l’opéra Bastille. Il reste six représentations.
Deux heures de lyrisme incandescent, d’hystérie morbide, d’éréthisme libidinal. Deux heures de frénésie pulsionnelle coulée dans une étoffe orchestrale rutilante, capiteuse, traversée de discordants mouvements de valses, de modulations dissonantes, de bouleversantes stridulations vocales. Dans la fosse, un effectif de plus d’une centaine de musiciens !
Opéra convulsif s’il en est, Elektra fut reçu, à sa création à Dresde en 1909, par des huées, des sifflements d’indignation – on a du mal à le croire ! Quatre ans après Salomé, fulguration orientaliste de moins d’une heure tirée de la pièce d’Oscar Wilde, Richard Strauss (1864-1949) entreprend d’adapter la tragédie de Sophocle pour la scène lyrique, sur la base d’une pièce ultra « fin-de-siècle », du plus extrême raffinement, écrite par un jeune auteur autrichien, Hugo von Hofmannsthal, de dix ans son cadet. Pièce à la représentation de laquelle le compositeur avait assisté, au Deutsche Theater de Berlin, en 1904, dans une mise en scène d’avant-garde signée d’un type alors âgé de moins de trente ans, Max Reinhardt, lui aussi promis à une immense célébrité. Point de départ d’une collaboration Strauss-Hofmannsthal qui se poursuivra jusqu’à la mort de l’écrivain, en 1929 : Le Chevalier à la rose, Ariane à Naxos, La femme sans ombre – autant de futurs chef d’œuvres… En attendant, Strauss coupe rageusement dans ce texte au style trop faisandé à son goût, pour condenser l’action et accroître la tension. Quitte à commander quelques vers de liaison à son librettiste en herbe. Dans un article lumineux inséré dans le programme du présent spectacle, le compositeur et musicologue Karol Beffa avance que « ce qui naît de cette rencontre (…), ce n’est pas l’ensauvagement de la musique ni un opéra barbare, c’est un ressaisissement de l’esprit tragique ».
De fait, c’est à la louche qu’Elektra puise au chaudron en ébullition de la fable grecque – la fameuse saga mythologique des Atrides : Electre fomentant sa vengeance contre sa mère Clytemnestre qui, aidée de son amant Egisthe, a immolé son père Agamemnon ; Chrysothemis, sœur d’Electre, exhortant celle-ci à déguerpir avant que leur génitrice ne l’enchaîne ; Oreste, le frère exilé sur ordre de Clytemnestre, qu’on croyait mort, mais qui réapparait pour être in fine le bras de la vengeance… A la hache, s’il vous plaît ! Le tragique à l’état pur.
Dans une lettre, Hofmannsthal écrit à Strauss qu’Elektra est « un composé de nuit et de lumière, noir et clair. » Reprise pour la première fois à l’Opéra-Bastille ce mois de mai, la fabuleuse mise en scène imaginée par le canadien Robert Carsen en 2013 tient compte de cette remarque pour ainsi dire à la lettre. Se faisant scrupule de congédier absolument ce cossu décoratif qui, trop souvent, charge les scénographies lyriques d’un fatras d’éléments oiseux, Carsen trace un subtil réseau de sens où se répondent costumes, lumières, architecture du plateau, chorégraphie et gestuelle, selon une économie de moyens attentive à esquiver l’anecdotique, le superflu, le clinquant. Envahie par la nuit, sa régie restitue, dans une osmose intelligente, cette essence primitive, ce climat de démence asilaire qui fait d’Electre un animal déchaîné, à travers un décor unique qui encage les protagonistes dans un puit anthracite dont une noria de pythies grifferont de leurs ongles le terreau fuligineux de son sol ; la tombe béante d’Agamemnon y est creusée comme une blessure ouverte, sépulture souterraine occupant le centre de cette arène – sans autre échappatoire que la mort.
Au soir de la première, sous la baguette plus sensiblement volcanique que pétrie d’onctuosité du Russe Seymon Bychkov (lequel a récemment dirigé Elektra à Vienne), la soprano finlandaise a dû remplacer au pied levé dans le rôle de Chrysothemis la franco-sud africaine Elza van den Heever, souffrante. Dans sa magnifique corpulence drapée de deuil, la soprano américaine Christine Goerke habite quant à elle une Electre d’une densité stupéfiante – puissance vocale, vibrato ravageur, graves qui donnent le frisson. L’islandais Tomas Tomasson dans Oreste, tout comme la soprano allemande Angela Denoke (qui campe une Clytemnestre étrangement immaculée et singulièrement juvénile, en robe blanche, telle une icône réchappée du premier Septième art) ont été associés à juste titre au triomphe qu’a fait le public, ce 10 mai, à un spectacle inoubliable à tous égards. Il reste six représentations. A bon entendeur.
Elektra. Tragédie en un acte de Richard Strauss, sur un livret de Hugo von Hoffmansthal. Orchestre et chœurs de l’Opéra de Paris. Direction Seymon Bychkov ( 10/22 mai) et Case Scaglione ( 26 mai/1er juin). Mise en scène : Robert Carsen. Avec Christine Goerke, Angela Denoke, Elza van den Heever, Gerhard Siegel, Tomas Tomasson…Durée : 1h45.
Opéra-Bastille. Les 13, 16, 19, 26 mai à 20h ; les 22 et 29 mai à 14h30.
Michaël Bar Zvi (1950-2018), professeur de philosophie français et israélien
Capture d'écran.
Un documentaire inédit d’Élisabeth Lenchener, première diffusion samedi soir…
Parce que « le monde ne nous a pas pardonné le mal qu’il nous a fait et qu’Israël dérange », le philosophe franco-israélien Michaël Bar Zvi a, toute sa vie, été un militant inlassable de la cause et de la pensée sioniste. Avec les armes – il a été officier de Tsahal – et surtout avec les mots – il aimait provoquer pour mieux défendre la terre d’Israël, « sa demeure ».
Un disciple d’Emmanuel Levinas et de Pierre Boutang
Dans le documentaire « Michaël Bar Zvi, l’Ami, le Mensch », la réalisatrice Élisabeth Lenchener brosse le portrait de cet homme, son ami de 30 ans, et à travers lui retrace l’épopée du sionisme, ce mouvement né au XIXe siècle pour donner aux juifs « un Etat, une armée, des frontières », et qui aboutira, après la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, à la création de l’État d’Israël le 14 mai 1948.
Réalisé à partir de nombreuses archives, complétées par des interviews de proches, dont certains contradicteurs, ce film nous permet de découvrir Michaël Bar Zvi, homme pudique au regard bleu perçant, disparu en 2018 et d’interroger le sionisme sur lequel « on ne peut pas rester neutre ». Pourquoi le sionisme ? Parce que « pendant la Shoah, les juifs ont été privés de deux choses, la terre et la guerre, deux droits fondamentaux », dit ce fils de déporté, disciple des philosophes Emmanuel Levinas et de Pierre Boutang.
Pour assurer la « pérennité du peuple juif il fallait créerune société juive dans un État moderne qui assumeson héritage », poursuit celui qui a fait son alyah à l’âge de 25 ans.
Ce film est militant, à l’image de sa réalisatrice, mais il n’élude pas les sujets de contradiction. Comme lorsque l’ancien ambassadeur d’Israël en France, Daniel Shek, évoque la gauche israélienne « tout aussi sioniste que n’importe qui avec sa volonté de se séparer des Palestiniens et de faire la paix ». Ou quand Michaël Bar Zvi évoque les antisionistes, qu’ils soient juifs religieux ou islamo-gauchistes.
Dans un insert, le film rappelle la phrase de Vladimir Jankélévitch: « L’antisionisme c’est la permission d’être démocratiquement antisémite ».
Hommage sensible et sincère
Olivier Véron, éditeur de Michaël Bar Zvi, raconte que le père du philosophe aurait préféré le voir bottier comme lui pour avoir un métier qui lui sauve la vie dans les camps, au cas où… Mais avant de mourir, il lui fera ce compliment : « Toi, au moins, tu as su mettre la philosophie au service de ton peuple ».
Élisabeth Lenchener, qui s’est déjà illustrée par de nombreux portraits documentaires, notamment de Delphine Horvilleur, Serge et Beate Klarsfeld, René Frydman, Bernard Kouchner… se livre ici à un nouvel exercice intimiste et didactique. « Le jour de sa mort, nous dit-elle, devant son cercueil, j’ai ressenti la nécessité fulgurante d’immortaliser la pensée, l’œuvre et l’originalité de Michaël Bar Zvi.Car ainsi qu’il le dit dans le film « lejudaïsme est une altérité et son secret est sa transmissibilité ». »
Cet hommage sensible et sincère propose aussi un nouvel éclairage sur le sionisme, ce courant politique et philosophique encore trop largement méconnu, seule utopie du XIXe siècle qui se soit incarnée dans la réalité.
Samedi 14 mai 2022 à 22h30, sur la chaîne Toute L’Histoire (réseaux câblés et satellite).
La journaliste d’Al Jazeera a été tuée ce matin à Jénine, en Cisjordanie. L’AFP et tous les grands médias indiquent qu’elle a été victime de tirs israéliens. L’enquête sera compliquée.
Shireen Abu Akleh, 51 ans, une journaliste expérimentée et bien connue de la chaîne qatarie Al-Jazeera, correspondante en Israël et en Cisjordanie, a été tuée mercredi matin le 11 mai lors d’un échange de tirs entre des forces de l’armée israélienne et des hommes armés palestiniens dans le camp de réfugiés de Jenin. Pour la chaîne comme pour l’autorité palestinienne, il n’y a pas de doute : la journaliste, vêtue d’un gilet pare-balles siglé « Press » a été assassinée par Israël. Un autre journaliste palestinien, Ali Saudi, qui était à côté d’Abu Akleh, a été légèrement blessé lors de ces échanges de tirs.
Palestienne, reporter star de la chaîne qatari @AlJazeera Shiren Abu Akleh @ShireenNasri – 15 ans à couvrir le conflit au PO – a été tuée ce matin à Jénine en Cisjordanie – selon sa rédaction elle a été victime d’un tir israélien pic.twitter.com/0SFjVNrVB4
La journaliste, blessée en haut du corps (selon certains témoins et une vidéo circulant sur les réseaux sociaux, dans la tête), a été évacuée vers un hôpital local où elle est décédée peu de temps après. Son corps a été porté par des hommes armés palestiniens et il n’est pas clair s’il sera autopsié.
Israël prudent
Côté israélien, la réaction est plus mesurée. Selon le général Kochav, porte-parole de l’armée, on ne peut pas exclure la possibilité que Madame Abu Akleh ait été touchée par des tirs israéliens, mais il est beaucoup plus vraisemblable que ce soit des tirs palestiniens qui l’aient tuée. Si, toutefois, ajouta-t-il ce matin, une erreur était commise par les soldats, Tsahal la reconnaitra clairement.
Pour étayer ses propos, le général Kochav a mentionné que dans l’une des vidéos de l’incident, on peut voir un Palestinien armé en train de tirer, et une autre personne crier que quelqu’un est touché. Or, aucun Israélien impliqué dans l’opération n’a été touché. L’hypothèse est donc que les Palestiniens aient pris les deux journalistes portant gilets par balles et casques pour des militaires israéliens.
Shireen Abu Akleh, la correspondante d'Al-Jazeera, "probablement" tuée par des tirs palestiniens, déclare le Premier ministre israélien #AFPpic.twitter.com/qlvUo3Be4c
Naftali Bennett, le Premier ministre israélien, a appelé l’autorité palestinienne à mener une enquête commune pour déterminer l’origine des tirs fatals. Le lieu de l’incident et le corps de la victime étant sous contrôle palestinien, il sera difficile de sortir de la guerre de versions sans le concours des Palestiniens à l’enquête. Or, Madame Abu Akleh étant citoyenne américaine et travaillant pour une chaîne qatarie, l’affaire est politiquement très sensible. Pour rappel, le chef de l’État-major israélien s’est entretenu le mois dernier avec son homologue qatari à Doha. Ainsi, dans un contexte où le Hamas domine Gaza et l’ordre du jour palestinien, et cherche à déstabiliser la coalition de Naftali Bennett, une bavure israélienne est une occasion en or pour l’autorité palestinienne permettant de reprendre (un peu) du poil de la bête.
Cette affaire n’est pas sans rappeler celle deMohammed al-Durah, déclenchéepar la diffusion sur France 2 d’un reportage du journaliste Charles Enderlin sur la mort d’un enfant palestinien de 12 ans, tué par balles le 30 septembre 2000 au début de la seconde intifada, lors d’échanges de tirs dans le nord de la bande de Gaza entre les forces palestiniennes et l’armée israélienne.
Vieux de deux mois déjà, le conflit russo-ukrainien ne semble pas près de se conclure. Ni la Russie, ni l’Ukraine, ne semblent avoir les moyens militaires de l’emporter. Et aucune solution politique ne se dessine. La justification russe d’un prétendu « encerclement » par l’OTAN à son agression ne résiste pas à un examen sérieux.
La guerre est devenue un face à face dévastateur et sanglant dans le Donbass qui pourrait se prolonger des mois, voire des années. Cependant, ce conflit a déjà fait deux vainqueurs: l’OTAN et les Etats-Unis ! L’Alliance atlantique, moribonde il y a quelques années, est redevenue incontournable et va accueillir probablement deux nouveaux membres, la Finlande et la Suède. L’ironie majeure de ce renforcement est que ces deux pays vont doubler la longueur des frontières russes partagées avec l’OTAN, alors que c’est, entre autres, pour contrer l’encerclement supposé de son pays par les forces atlantiques que Poutine a déclenché sa guerre… Effet inverse de celui recherché !
Les Etats-Unis qui fournissent à l’Ukraine armes, équipements et entrainement ont fait, sur le terrain, par soldats ukrainiens interposés, la démonstration de la qualité de leur matériel et de leur efficacité militaire. Ils pourront continuer de vendre leurs armes et leur protection aux pays européens, ainsi même que leur gaz naturel, tandis que leur grand rival de la guerre froide se retrouve empêtré dans un conflit durable, isolé sur la scène internationale et ciblé par des sanctions économiques débilitantes à très long terme.
Cette nouvelle réalité enrage d’ailleurs les zélés de l’anti-américanisme primaire qui se vengent comme ils peuvent en déversant leur haine de l’Amérique sur les ondes et les réseaux sociaux.
Certains n’hésitent pas à prétendre que si l’Amérique sort première gagnante de ce conflit c’est bien sûr parce qu’elle avait tout manigancé à l’avance. Ce conflit serait le résultat d’une « manipulation » américaine ! Il aurait été « orchestré » par les Etats-Unis ! Le vrai responsable, à les croire, c’est le grand satan américain. Ainsi, Vladimir Poutine, l’ex-espion du KGB et du FSB, homme retors, froid et calculateur, se serait fait berner par Joe Biden, le vieux pantin démocrate gaffeur aux capacités cognitives incertaines… Ahurissante analyse qui rassemble dans un même camp les ennemis de l’Amérique, l’extrême gauche radicale, l’extrême droite nationaliste, et même des terroristes islamistes.
Les États-Unis comme fauteurs de guerre, une idée très répandue
En Chine, le Quotidien du peuple qui est l’organe du Parti Communiste écrit : « Derrière la crise en Ukraine se cache l’ombre de l’hégémonie américaine. L’expansion de l’OTAN vers l’est, menée par les États-Unis, est à l’origine de la crise en Ukraine. Les États-Unis sont l’initiateur de la crise. »
La Corée du Nord reprend la voix de son maître : « La cause profonde de la crise ukrainienne réside dans l’autoritarisme et l’arbitraire des États-Unis… (leur) politique de suprématie militaire au mépris de la demande légitime de la Russie pour sa sécurité. Tout est de la faute des États-Unis. »
Au Liban, Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah déclarait récemment « L’Amérique est responsable de ce qui se passe en Ukraine. Elle a fait de la provocation, n’a pas aidé pour trouver une solution diplomatique et n’a rien fait pour arrêter la guerre. »
En Israël, le parti communiste a condamné « l’agression de l’OTAN qui sert les États-Unis bellicistes. » « Quiconque ignore la provocation des États-Unis par le biais de l’OTAN a tort et se trompe » a précisé son représentant à la Knesset, le parlement israélien.
En Italie, l’agence de presse altermondialiste Pressenza ne dit rien d’autre : « Ce dont nous sommes témoins est la conséquence de 30 ans d’agression américaine contre la Russie avec le soutien de l’Europe. »
En France, Éric Zemmour, a estimé Vladimir Poutine «coupable » du déclenchement du conflit, mais «pas le seul responsable». « Les responsables c’est l’OTAN qui n’a cessé de s’étendre, a-t-il dit, les Français, les Allemands, les Américains, qui n’ont pas fait respecter les accords de Minsk et qui n’ont cessé d’étendre l’OTAN pour qu’elle soit autour de la Russie comme une sorte d’encerclement. »
Nikola Mirkovic, auteur de l’Amérique Empire, ouvrage dénonçant « l’impérialisme américain » a tenu à peu près les mêmes propos au politologue anti-islamiste Alexandre Del Valle : « Les Etats-Unis ont fait monter les tensions avec la Russie… et ont tenté d’utiliser l’Ukraine comme un coin entre la Russie et l’Europe… en Ukraine, l’ingérence des Etats-Unis et d’autres pays européens a été un grand facteur de déstabilisation. » Le même Alexandre del Valle a développé la thèse du « piège tendu par les Etats-Unis qui ont agité le chiffon rouge d’une Ukraine dans l’OTAN pour pousser Poutine à intervenir » dans un long entretien au site suisse Les Observateurs.
Aux États-Unis même, la thèse de la responsabilité occidentale a été mise en avant par John Mearsheimer, professeur à l’université de Chicago et tenant de l’école « réaliste » en politique étrangère, dans une interview à l’hebdomadaire de la gauche socio-libérale américaine The New Yorker : « Je pense que tout a commencé au sommet de l’OTAN de Bucarest en 2008, avec l’annonce que la Géorgie et l’Ukraine deviendraient membres de l’OTAN. Les Russes ont indiqué à cette époque que cela constituerait pour eux une menace existentielle et qu’ils s’y opposeraient… Néanmoins les occidentaux ont continué de transformer l’Ukraine en bastion occidental à la frontière russe… L’expansion de l’OTAN, et l’expansion de l’Union européenne, sont au coeur de cette stratégie, tout comme la volonté de faire de l’Ukraine une démocratie libérale pro-américaine, ce qui du point de vue russe est une menace existentielle. »
La Russie, responsable et coupable
Nul doute que si la Russie était parvenue à renverser le régime de Kiev en quelques jours, comme elle l’escomptait, ces mêmes analystes auraient loué la stratégie et l’audace du maître du Kremlin. Le « piège américain » n’est invoqué que pour masquer la monumentale erreur de Vladimir Poutine qui a surestimé les capacités de son armée, et sous-estimé celles de son adversaire.
Dans ce conflit, choisi, et provoqué par Moscou, il n’y a pas eu de « piège américain », pas plus qu’il n’y a eu de « responsabilité de l’OTAN ». D’ailleurs pour justifier son intervention contre l’Ukraine, la Russie n’a pas parlé de l’OTAN. Elle a parlé du besoin de « démilitariser » et « dénazifier » l’Ukraine par une « opération militaire spéciale ». En choisissant un tel motif Poutine a révélé la réalité de sa motivation. Toutes ces années passées l’OTAN n’a été qu’un prétexte utilisé par Vladimir Poutine pour préserver à la Russie un droit de regard sur ses voisins proches, « droit de regard » auquel elle n’a justement pas droit… Pas plus qu’aucun autre pays indépendant n’a de « droit de regard » sur la politique intérieure ou étrangère d’un autre pays indépendant, fût-il son voisin.
Voici donc les mythes russes sur les agressions de l’OTAN démasqués.
Premier mythe, l’encerclement. La Russie prétend que les puissances occidentales cherchent à « encercler » son territoire et que les bases de l’OTAN tout au long de sa frontière ouest n’ont d’autre objectif que de permettre cet encerclement. Il suffit de regarder une carte pour réaliser que cet argument ne tient pas la route. La Russie est le plus vaste pays du monde. Elle couvre a elle seule 11% de la surface terrestre de la planète. Elle est deux fois plus vaste que les Etats-Unis continentaux. Sa superficie est trente fois supérieure à celle de la France et elle compte plus de vingt mille kilomètres de frontières. Elle partage ses frontières terrestres avec quatorze pays, dont seulement cinq sont aujourd’hui membres de l’OTAN. Ce qui représente mille deux cents kilomètres de frontières communes avec l’OTAN. Soit un vingtième de ses frontières totales. Les trois pays ayant les plus longues frontières avec la Russie sont le Kazakhstan, la Mongolie et la Chine.
Second mythe, l’OTAN est une puissance hostile vouée à vassaliser la Russie. L’OTAN est une alliance défensive fondée en 1949 pour contenir l’expansionnisme soviétique. Cette alliance a vu son mandat prolongé au-delà de la guerre froide, précisément pour protéger les ex-républiques soviétiques nouvellement indépendantes d’un quelconque revirement politique à Moscou. L’OTAN ne s’est pas montrée hostile envers la Russie mais l’a, au contraire, incluse dans des actions communes – au Kosovo, en Afghanistan et dans la Corne de l’Afrique, sous mandat de l’Onu – et a cherché à l’intégrer dans un nouvel ensemble eurasiatique et transatlantique allant de San Francisco à Vladivostok. Tentatives d’ouvertures rejetées par la Russie, notamment à partir des années 2000 et l’arrivée à la présidence de Vladimir Poutine.
Troisième mythe, l’OTAN serait revenue sur sa promesse de ne pas s’étendre à l’Est. Cette promesse est un vrai mythe. Elle n’existe pas et n’a jamais été faite à la Russie. Elle n’apparait dans aucun texte ou traité ! Les partisans de cette thèse font référence à des discussions ayant eu lieu du temps de l’Union soviétique, entre le président Gorbatchev et le secrétaire d’Etat américain de l’époque James Baker. Ces discussions portaient sur la réunification allemande et remontent au printemps 1991, alors que l’Union soviétique existait encore et qu’un certain nombre de pays d’Europe de l’Est lui étaient liés dans le cadre du Pacte de Varsovie. Tout empiétement sur cet ensemble aurait été une agression. Mais une fois l’Union soviétique dissoute, le pacte de Varsovie également dissout et ses ex-membres devenus des pays indépendants ces derniers avaient toute liberté et légitimité de rechercher des alliances internationales y compris celle de l’OTAN. Ce qui fut le cas.
Dans ce contexte, loin de provoquer la Russie, l’OTAN a attendu près de dix ans pour laisser rentrer ces pays. Le premier « round » d’intégration d’anciens pays de l’Est est intervenu en 1999, au sommet de Washington, avec l’intégration de la Pologne, de la Hongrie et de la République Tchèque. Cinq ans plus tard, en 2004, au sommet d’Istanbul, sept nouveaux pays européens furent accueillis au sein de l’Alliance atlantique (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie ). Certains pays ont alors pris soin de faire approuver cette entrée par référendum auprès de leur population.
Quatrième mythe : L’OTAN a cherché à isoler la Russie et à la marginaliser sur la scène internationale. C’est faux. Dès 1991 l’OTAN a ouvert un « partenariat pour la paix » avec la Russie. En 1997 la Russie et l’OTAN ont signé un Acte fondateur pour des relations mutuelles, pour la coopération et pour la sécurité, établissant un Conseil Permanent OTAN-Russie, et initiant une coopération dans le domaine de la lutte anti-terroriste et contre le trafic de drogue. Cette coopération s’est prolongée au-delà de 2008 en dépit de l’invasion de la Géorgie par la Russie. Cette coopération a été suspendue à partir de 2014 suite à l’annexion de la Crimée par la Russie.
Cinquième mythe : L’OTAN a commencé ses actes d’agression contre la Russie lors du sommet de Bucarest en 2008. La réalité est exactement inverse. Lors de ce sommet, qui s’est tenu au mois d’avril, l’OTAN a repoussé les processus d’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine, préférant évoquer une « vocation » à intégrer l’alliance sans toutefois mettre une date sur cette possible entrée. Cette décision fut prise au nom de l’apaisement. Justement pour ne pas froisser Moscou et donner l’impression d’une quelconque agressivité de l’Alliance. En langage diplomatique une promesse d’intégration, non accompagnée d’une date butoir, c’est un report sine die. En 2008, l’OTAN n’a pas provoqué la Russie de Vladimir Poutine. L’OTAN a au contraire plié devant Poutine. Car en tant que pays indépendants, l’Ukraine et la Géorgie auraient du avoir toute liberté de déposer leur candidature si tel était leur souhait.
Poutine a d’ailleurs interprété ce report comme un aveu de faiblesse. Quelques mois plus tard, en août 2008, il n’hésitait pas à envahir la Géorgie pour prendre le contrôle d’une partie de son territoire, l’Ossétie du Sud. Cette occupation du territoire géorgien par la Russie est parfaitement illégale mais elle dure toujours et prive la Géorgie d’une véritable indépendance ! C’est exactement la même tactique que celle employée en Ukraine, en Moldavie et ailleurs : soutenir des éléments russophones pour justifier une présence militaire et garder dans le giron russe une ancienne république soviétique officiellement indépendante depuis trente ans…
Au regard de l’évolution de la guerre russo-ukrainienne, il apparaît de plus en plus clairement que l’OTAN ne fut qu’un prétexte et que le véritable objectif de Vladimir Poutine est la reconstitution d’un empire Russe, dont il considère que l’Ukraine fait partie. Au même titre d’ailleurs que les pays baltes et d’autres pays d’Europe de l’Est… Ce qui laisse augurer d’autres engagements militaires !
Ces pays l’ont bien compris et c’est pour se prémunir contre toute agression russe que, depuis le début du conflit, ils se sont tournés vers les Etats-Unis pour leur protection, leur armement, leur entrainement militaire et même leur approvisionnement énergétique.
Pour commencer, l’Allemagne a passé commande de trente-cinq avions furtifs F-35, construits par la firme Lockheed Martin aux Etats-Unis. Une commande évaluée à 3,5 milliards de dollars. Berlin prévoit d’assortir cette commande de l’achat de quinze appareils euro-fighters construits par une consortium européen avec Airbus en son sein. Olaf Scholz, le chancelier allemand, a également assuré que son pays allait investir plus de cent milliards d’euros et consacrer plus de 2% de son budget à la défense. C’est ce que demandaient les Américains depuis quinze ans, sans être parvenus à l’obtenir (excepté Donald Trump qui avait menacé de quitter l’OTAN si les partenaires européens, à commencer par les Allemands, ne payaient pas « leur part » du budget de l’alliance).
La Finlande et la Suisse, deux pays neutres et non-membres de l’OTAN, ont également passé commande d’avions F-35. Or cet appareil a l’avantage d’offrir une interopérabilité avec les forces de l’OTAN, ce qui souligne de la part de ces pays, notamment la Finlande, une volonté d’intégrer l’alliance atlantique…
De son côté, la Pologne a passé commande de 250 chars M1A2 Abrams aux Etats-Unis. Commande approuvée sans tarder par le Pentagone.
L’Allemagne réarme
Le président américain Joe Biden a annoncé une hausse de 4% du budget militaire américain pour le porter à 812 milliards de dollars, soit 40% de toutes les dépenses militaires dans le monde.
Les Allemands affirment également vouloir se désengager de leur dépendance envers le gaz russe. Le projet de gazoduc sous-marin entre la Russie et l’Allemagne, Nord-Stream 2, a été abandonné. Les Allemands devront trouver du gaz ailleurs. Tout comme la Pologne et la Bulgarie, qui se sont vu supprimer tout approvisionnement russe. Ces pays ont désormais le choix entre plusieurs alternatives : le Qatar, l’Algérie, le Turkménistan et… les États-Unis !
Les Etats-Unis sont en effet un nouvel acteur majeur sur le marché du gaz, avec leur gaz naturel liquéfié (GNL), et depuis le début du conflit les Européens sont devenus les premiers importateurs de ce gaz. Les sanctions contre la Russie, qui resteront inévitablement en place à l’issue du conflit, garantissent aux Etats-Unis un marché captif pour des années.
Les Etats-Unis possèdent les cinquièmes plus importantes réserves de gaz naturel au monde (après la Russie, l’Iran, le Qatar et le Turkménistan), et ils sont actuellement le premier producteur mondial de gaz avec près de mille milliards de mètres cubes par an, loin devant la Russie (650 milliards de m3 environ) et l’Iran (250 milliards de m3).
Une partie de cette production est exportée en dépit du fait que les Etats-Unis continuent d’importer d’énormes quantités de gaz et de pétrole pour leur propre consommation. D’ailleurs, à la veille de la guerre en Ukraine, ils importaient près d’un million de barils de pétrole brut de Russie tous les jours.
Mais Vladimir Poutine a été victime de son propre hubris. Involontairement, l’ancien apparatchik du KGB a rendu un service inestimable à Joe Biden, dont la présidence est par ailleurs désastreuse, et aux Etats-Unis. Il a enrichi la machine de guerre américaine, il a renforcé la cohésion européenne autour des Etats-Unis et il a fait de l’Amérique plus que jamais la « nation essentielle ».