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Nupes: peut-on faire lit commun et chambre à part?

La drôle d’union de la gauche


Nupes: peut-on faire lit commun et chambre à part?
Le militant Taha Bouhafs chante auprès de Jean-Luc Mélenchon à Chassieu (69), février 2017. M. Bouhafs a annoncé lundi qu'il ne se présenterait finalement pas aux législatives à Vénissieux © JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Là où à droite l’union avec l’extrême-droite est un tabou, l’union de l’ensemble des forces à la gauche de l’échiquier politique, y compris avec les extrêmes, fait l’objet d’une véritable mystique. 


Au point que l’on peut avoir l’impression que l’affichage de l’union suffit à contenter l’électeur, sans qu’il soit nécessaire que le chemin soit très clair, voire même en l’absence de projet commun. Pire, affublé du manteau de l’« union de la gauche », même l’accord le plus boiteux est présenté comme l’annonce d’une victoire qui ne saurait être empêchée que par un système injuste et dévoyé. C’est ainsi que Jean-Luc Mélenchon présente la NUPES, Nouvelle Union Populaire, Ecologique et Sociale comme le troisième tour de la présidentielle, celui censé doter la France d’un gouvernement effectif, et fait semblant d’être candidat au poste de Premier ministre, afin que même les législatives soient une ode à sa personne. Or, non seulement les institutions ne sont pas conçues dans ce but, mais le leader de LFI croit tellement peu à cette histoire qu’il ne fait même pas semblant d’avoir adossé cette soi-disant union de la gauche sur un quelconque programme commun.

Les élus de gauche Benoit Hamon, Danielle Simonnet, Eric Coquerel et Clementine Autain, Paris, mars 2018 © LEWIS JOLY/SIPA

Intérêts bien compris…

Le problème c’est que cet accord d’appareil, bouclé à la va-vite, sur les seules bases de l’intérêt bien compris de sortants qui ne veulent pas perdre leur place, fait l’impasse sur tant de sujets de dissensions qu’il n’a pas fallu bien longtemps pour que ressorte, autour de candidatures symboliques, la poussière qui avait été mise sous le tapis. La candidature de Taha Bouhafs est devenue le révélateur gênant de la véritable nature de LFI et a mis les différents partis de gauche devant la vraie nature des leurs noces. Adrien Quatennens a beau jeu de parler des centaines de circonscriptions où les accords paraissent stables, pour essayer de faire passer le scandale autour de la candidature de Taha Bouhafs pour un épiphénomène. Elle est, au contraire, révélatrice des fractures réelles qui font de la NUPES une simple machine électorale et non un espoir politique.

Bouhafs n’est victime que de son comportement, et ce qui lui est reproché ce sont des faits, des actes, des écrits 

Taha Bouhafs est archétypal de la dérive islamogauchiste du parti de Jean-Luc Mélenchon, proche des islamistes du CCIF et de Barakacity, c’est un identitaire qui considère que l’appartenance raciale prime sur tout et doit déterminer les comportements. C’est ainsi qu’il avait traité la policière Linda Kebbab, d’ « arabe de service », car pour lui, servir l’Etat français c’est être littéralement traître à sa race, apporter sa caution à la « persécution des musulmans ». Taha Bouhafs, c’est aussi celui qui avait provoqué l’expulsion d’Henri Pena-Ruiz de LFI. Le philosophe, spécialiste de la laïcité, avait eu le malheur de rappeler, lors des universités d’été du mouvement, en 2019, qu’en France on avait le droit et la liberté de critiquer les religions. Il a été victime d’une véritable campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux et au sein du parti. Campagne orchestrée notamment par Taha Bouhafs. Car l’ancien candidat qui se victimise aujourd’hui est connu pour son agressivité sur les réseaux et les logiques de meute qu’il sait si bien orchestrer. Ce sont ces faits qui ont amené Fabien Roussel à s’interroger sur l’opportunité de présenter un tel personnage à la députation. “Je ne comprends pas que LFI puisse présenter sous ses couleurs quelqu’un qui a été condamné en première instance pour injure raciale”. Il n’était pas le seul à s’étonner et l’affaire Bouhafs a poursuivi tous les représentants de la LFI depuis que la candidature a été annoncée. D’Alexis Corbière à Adrien Quatennens, on ne compte plus les grands moments de solitude médiatique et les circonvolutions de langage déployées pour défendre l’indéfendable. Taha Bouhafs serait ainsi victime de calomnies ou de la haine de l’extrême-droite. Il serait harcelé parce que jeune, d’origine maghrébine et sans diplôme. Hélas, il n’est victime que de son comportement, et ce qui lui est reproché ce sont des faits, des actes, des écrits. Il est même comique d’entendre tous les leaders LFI interrogés expliquer qu’il n’a jamais été condamné pour « injure raciale » mais pour « injure publique » en oubliant que le vrai intitulé de la condamnation est « injure publique à raison de l’origine », ce qui est difficile à distinguer d’attaques racistes. La position était dure à tenir même pour des spécialistes de la malhonnêteté intellectuelle et Taha Bouhafs a été débranché pour éviter que l’on discute plus de l’islamogauchisme de la LFI que du retour de l’union de la gauche.

Mélenchon tient les banlieues communautarisées, et ne veut plus les lâcher

Sauf que la clientèle des quartiers, sensible au discours sur la « persécution des musulmans » sur lequel prospère en partie la boutique LFI, ne doit pas manquer à Jean-Luc Mélenchon s’il veut faire de ces législatives une démonstration de force. La solution est donc de lâcher Taha Bouhafs, pour préserver la mystique de l’union de la gauche et de faire porter le chapeau au PCF. Cela évite de cristalliser l’opinion sur un candidat qui illustre parfaitement la dérive racialiste et les proximités avec les islamistes de LFI d’un côté, tout en entonnant le grand air de la victimisation  et de la persécution d’un jeune militant musulman sur les réseaux. Et voilà Taha Bouhafs élevé au rang de voix de « ceux qui ne sont rien », dans le même temps que le retrait de sa candidature devrait rapidement calmer le jeu et permettre de réinstaller la campagne autour de la thématique de l’élection du Premier ministre. Le problème est qu’une partie des militants LFI ne se caractérisant ni par leur sens de la modération ni par leur adhésion à la discipline de parti, Fabien Roussel et le PCF subissent de telles attaques sur les réseaux sociaux que l’on se demande si la NUPES, à peine née, tiendra jusqu’aux élections.

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Et il n’y a pas que l’affaire Taha Bouhafs qui illustre la tension entre le PCF version Fabien Roussel et la LFI version islamisto-compatible ! Dans la 4ème circonscription de Seine Saint- Denis, le parti communiste refuse d’investir Azzedine Taïbi, le maire de Stains, un proche des Frères musulmans, alors que celui-ci est membre du PCF mais partage plutôt les positions communautaristes de la LFI. Là aussi les motifs de refus sont politiquement clairs.

Le maire (PCF) de Stains Azzedine Taibi en 2019 © BALEYDIER/SIPA

Autre partenaire, autres tensions. Dans le XXéme arrondissement, dimanche 8 mai, Lionel Jospin était venu soutenir la candidate PS Lamia El Aaraje face à Danielle Simonnet, la candidate investie par la NUPES. À cette occasion, il a obtenu le soutien d’Olivier Faure, alors que celui-ci est le principal artisan de l’accord avec la LFI. Une position difficile à comprendre alors que l’accord passe très mal au PS et a révélé une véritable fracture générationnelle, entraînant le départ d’un homme très respecté par les militants, Bernard Cazeneuve. Ce départ est d’autant plus révélateur qu’il a été argumenté de façon extrêmement limpide : « J’ai une conception nette et ferme de la laïcité, de la République qui interdit toute convergence avec ceux dont la pensée sur ces questions est plus qu’ambigüe. Et puis il y a cette cette hostilité ancienne de la LFI au projet européen auquel je ne saurai me résoudre. » On est malheureusement loin d’atteindre cette clarté dans l’expression chez Lionel Jospin et Olivier Faure. Pour eux, reconduire à son poste Mme El Aaraje est une « question de justice » mais on n’en saura guère plus et l’argumentation manque cruellement à la fois d’épaisseur et de profondeur. Au moins, dans le cas du PCF, ce sont des principes politiques qui ont été mis en avant. On ne peut en dire autant du PS.

Il n’en reste pas moins que ces tensions montrent à quel point la NUPES ne s’est pas forgée autour de représentations partagées ou d’une idée commune de ce que devrait être l’avenir de la France. Oui, cet outil n’est qu’une machine destinée à maximiser les gains de postes, elle ne pose ni les prémisses d’un travail en commun, encore moins les bases d’une quelconque reconstruction de la gauche. Faire lit commun et chambre à part est une impossibilité physique, les législatives nous diront si cela fonctionne comme attrape-gogos.



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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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