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De l’Ukraine au Caucase : l’”européanisation” de la politique étrangère de la France et ses conséquences

Une tribune de Nicolas Lecaussin


De l’Ukraine au Caucase : l’”européanisation” de la politique étrangère de la France et ses conséquences
Membres des forces de défense territoriale de l'Ukraine dans un parc à Kiev le 22 janvier 2022 © Efrem Lukatsky/AP/SIPA

Du Caucase à l’Ukraine, la France semble se satisfaire du partage des tâches : à elle la politique, à Bruxelles la diplomatie – et le costume de leader pour tout le continent. Ce qui n’est pas sans conséquences.


Lorsqu’Emmanuel Macron a été interrogé sur une  potentielle intervention russe en Ukraine la semaine dernière, sa réponse a été sans équivoque : il s’agit de la défense de l’Europe, par conséquent c’est l’UE qui doit être l’interlocuteur de Poutine.

Le mois dernier, le président de l’Azerbaïdjan et le Premier ministre arménien se sont rencontrés pour la première fois depuis la guerre de 2020 ailleurs qu’à  Washington D.C. ou Moscou. Cela n’a pas pas eu lieu à Paris, bien que la France soit coprésidente, avec les États-Unis et la Russie, de l’assemblée baptisée “Groupe de Minsk” engagée dans la recherche de solutions ; cela s’est passé à Bruxelles, ce qui montre clairement que c’est l’UE, et non la France, qui est désormais le troisième pilier de ce processus de paix. 

Et la bombe atomique ? Et le siège au Conseil de sécurité à l’ONU ?

Pourtant, c’est bien la France, et non la Commission de Bruxelles, qui reste l’unique sérieuse puissance militaire et diplomatique en Europe continentale, avec des armes nucléaires et un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.  Ce sont les Français qui siègent aux côtés des Américains et des Russes à la direction tripartite de l’organisation chargée de régler pacifiquement le conflit du Haut-Karabagh, ces terres de l’Azerbaïdjan reconnues comme telles par la communauté internationale, mais revendiquées et occupées par les Arméniens, conflit qui dure depuis plusieurs décennies. 

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Le plaidoyer sincère d’Emmanuel Macron pour “plus d’Europe” bénéficie dans notre pays d’un large soutien : à propos du Brexit, de l’Ukraine, du Caucase, nombreux sont ceux qui pensent comme lui que la France est plus forte en s’en remettant aux institutions européennes et en partageant son pouvoir avec elles.

Une diaspora arménienne très convoitée

Cependant, cette “européanisation” de notre politique étrangère, même délibérée, est perçue dans certaines sphères comme une forme de capitulation devant l’UE. Et de fait, c’est un choix qui n’est pas sans conséquences. L’une d’elles, majeure, est que la politique étrangère n’est plus aussi présente qu’autrefois dans le discours des dirigeants. On peut considérer cela comme une grosse perte : un pays qui n’existe plus vraiment sur ce terrain en son nom propre abandonne des atouts diplomatiques d’une importance potentiellement cruciale. La diplomatie, c’est comme le sport : il faut s’entraîner et entretenir ses muscles pour rester dans la compétition, sinon c’est la faute. Lorsque les décisions de politique étrangère ne passent plus par l’Assemblée nationale, tout simplement parce qu’elles ne sont plus prises au Quai d’Orsay, l’intérêt retombe et l’on n’examine plus que les affaires de la paroisse. 

Pourtant, tout compte. Un vote est un vote. Dans un Etat multiculturel comme le nôtre, les groupes d’intérêt particuliers fondés sur la race et la religion jouent un rôle que personne ne peut négliger. La diaspora arménienne, forte d’un demi-million de personnes, fait partie du bloc le plus influent et le mieux défini. Dans une élection serrée – comme devrait l’être la présidentielle  en avril de cette année – ces voix, si elles sont obtenues en masse, pourraient faire la différence entre la victoire et la défaite.

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Il n’est donc pas surprenant que la course soit lancée pour les obtenir. Macron l’a fort bien menée en 2017, lorsque tous les membres de l’Assemblée nationale d’origine arménienne ont été élus par le groupe En Marche ! C’est une marge de succès électoral très convoitée par la droite.  D’où la récente visite de « solidarité » de la candidate Les Républicains Valérie Pécresse sur le dernier territoire azerbaïdjanais, encore contrôlé par l’Arménie après la guerre de 2020.  Il est clair que pour Pécresse, l’inconvénient, sur le plan diplomatique, de se ranger avec l’une des parties dans un conflit où Paris est un négociateur neutre, n’a pas pesé lourd face à l’enjeu électoral national et au gain potentiel. L’administration de Macron a sans doute fait le même calcul depuis longtemps.  

Cela aurait pu se passer autrement.  Les trois coprésidents du Groupe de Minsk ont tous une diaspora arménienne importante et influente. La Russie doit en outre respecter l’alliance militaire stratégique qu’elle a nouée avec l’Arménie par le biais de l’OTSC. Pourtant, malgré les pressions, les États-Unis et la Russie ont réussi à maintenir une neutralité publique à l’égard des deux nations en conflit.  Seule la France a sauté du train diplomatique.

Face aux États-Unis et à la Russie qui suivent une ligne directement engagée dans les affaires internationales, on peut très sérieusement regretter que la France ait abdiqué son action diplomatique et son travail de pacification neutre au profit de l’Union européenne. Il n’est pas encore impossible de redresser la barre. Mais le temps presse. 



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est directeur de l’IREF (Institut de Recherches Economiques et Fiscales). Dernier ouvrage : "Les donneurs de leçons" (Editions du Rocher)

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