L’offensive ukrainienne à Kharkiv est une initiative ambitieuse, probablement destinée à envelopper Izioum et à piéger les forces russes déployées dans le secteur. Elle cherche vraisemblablement à couper les lignes de communication terrestres à Koupiansk, nœud logistique important des forces russes de la région du nord Donbass. La rivière Oskil, à l’est d’Izioum, comme le Dniepr au Sud et à l’Est de Kherson, crée une poche vulnérable pour les unités déployées sur la rive droite (à l’ouest) et donc adossées à un obstacle non négligeable.
En 48 heures, cette offensive, faisant bon usage des blindés coordonnés avec l’infanterie, aurait réalisé des gains substantiels, plaçant les forces russes dans une position difficile. Les forces russes, de moindre qualité, semblent avoir été éparpillées sur le front, et non préparées à encaisser un tel choc – notamment les Rosgvardia, la garde nationale de la Fédération de Russie. Elles ont probablement été prises par surprise. Il est toutefois difficile de savoir si les Russes ont sous la main des réserves disponibles à proximité de Koupiansk pour couper l’élan de l’attaque à Kharkiv, envoyer des renforts et empêcher l’encerclement de certaines unités.
Quoi qu’il en soit, le fait que les Russes aient été obligés de confier pareil secteur du front à des Rosgvardia (des miliciens qui connaissent les rudiments du métier du fantassin, mais qui sont incapables de mener un combat interarmes avec des éléments intégrés de blindés, d’artillerie, du génie et de l’aviation), suggère que l’armée russe manque cruellement d’unités de qualité et surtout bien entrainées.
Dans une guerre, en règle générale, le niveau technologique d’une armée est bien moins déterminant que son niveau de formation, d’entrainement et la qualité de l’encadrement. On peut ainsi voir des unités russes de volontaires mal entrainées, mal organisées dans le 3e corps d’armée, qui sont paradoxalement dotées des chars les plus modernes de l’arsenal russe ! À cette dépendance à l’égard d’unités de moindre qualité s’ajoute la difficulté à effectuer une rotation des unités sur le front, et à retenir le personnel expérimenté en fin de contrat (souvent de six mois). Ainsi, on peut estimer que l’Etat-major russe a désormais donné la priorité au front sud (Kherson et Zaporijia), et que c’est là que s’y déploient ses meilleures troupes. Avec les conséquences que l’on peut imaginer sur les autres secteurs. Les Ukrainiens souffrent sans doute de problèmes équivalents (un récent reportage du Washington Post sur les blessés ukrainiens de l’offensive de Kherson exposait d’ailleurs crument les lacunes ukrainiennes), mais ils semblent dernièrement démontrer une capacité à trouver des solutions plus efficaces. Kiev fait preuve de plus de souplesse et d’imagination, et exploite habilement des faiblesses repérées chez les Russes.
Cependant, malgré le succès de cette percée ukrainienne au sud de Kharkiv, l’affaire est loin d’être pliée, les Russes continuant à disposer de moyens importants leur permettant de geler le front. Mais, le plus important à retenir, c’est que l’Ukraine a l’initiative, et qu’elle démontre qu’elle est capable à la fois de surprendre et de mener deux efforts importants en même temps.
🔥🔥🔥Les ukrainiens ont élargi le front et sont maintenant à quelques Kms seulement du centre de #Koupiansk 😱Tout le nord du front russe est en train de se faire prendre à revers, et Poutine n’a PLUS PERSONNE pour arrêter la contre-attaque ukrainienne !!! #KharkivOffensivepic.twitter.com/rS2A2YPyyS
Buckingham Palace a annoncé ce soir que la reine Elisabeth II était décédée, dans son château de Balmoral, cet après-midi. Le jubilé de platine de la reine d’Angleterre avait été un évènement médiatique planétaire. Si à 96 ans Elizabeth II suscitait toujours tant d’enthousiasme, c’est parce que ses qualités personnelles étaient en phase avec sa charge de monarque. Et de son trône, elle perpétuait des traditions immémoriales.
C’est une petite dame âgée, les cheveux blancs impeccablement bouclés, vêtue d’un manteau et d’une robe assortis, du même bleu pigeon clair et doux. Assise sur une banquette devant une fenêtre, elle se penche un peu en avant, les épaules légèrement voûtées, comme si, à la fragilité naturelle de ses 96 années, elle opposait une vitalité discrète. La même énergie se retrouve dans son sourire qui, sans être radieux, exprime une bienveillance aussi sincère que mesurée.
Her Majesty The Queen, the first Monarch in British history to celebrate a Platinum Jubilee.
To mark the beginning of the #PlatinumJubilee Celebration Weekend, a new portrait of The Queen has been released.
Le portrait officiel de Sa Majesté pour son jubilé de platine est le plus récent d’une longue série qui a été inaugurée par une photographie prise peu après sa naissance en 1926. Les traits de la Reine, sous une forme idéalisée, se propagent depuis 1952, année de son accession au trône, sur les pièces de monnaie, les billets de banque et les timbres-poste où ils incarnent l’autorité et la fiabilité d’un État dont elle est le chef nominal et le garant emblématique. Le contraste entre les portraits de la personne et ces effigies intemporalisées fournit la meilleure illustration des deux corps du roi, notion brillamment analysée dans le célèbre livre d’Ernst Kantorowicz de 1957. D’un côté, le corps humain, mortel ; de l’autre, le corps politique que le premier matérialise, autrement dit, le royaume pérenne, avec ses sujets et ses institutions, qui doit survivre à la mort de tel ou tel souverain. Lors des célébrations de ce jubilé, on a souvent entendu des gens dire d’Elizabeth II : « Elle est formidable ! » Mais en quoi l’est-elle ? Si elle n’avait pas été Reine, elle aurait peut-être fait une excellente infirmière et aurait pu être décorée pour son dévouement par quelque autre monarque britannique. Ce qui la rend formidable, plus que son caractère en soi, c’est cette coïncidence parfaite, chez elle, entre les deux corps : entre la personne qu’elle est et la fonction qu’elle remplit. En cela, elle rejoint les grands monarques de l’histoire : le Français, Louis XIV (le seul à avoir régné plus longtemps qu’elle), l’Autrichien, Franz-Joseph, et sa propre aïeule, Victoria. Quel est le secret de cette alchimie si particulière entre la personnalité fidèle, stoïque et pourtant empathique de la Reine et notre besoin de voir le pouvoir s’incarner en un individu ? La réponse nécessite une plongée dans les profondeurs les plus archaïques de notre psyché collective, plongée en cinq tableaux.
1) Bébés
Quand elle monte sur le trône, à l’âge de 25 ans, elle est déjà mère de deux enfants. Elle aura encore deux garçons, à 33 et à 37 ans. Un grand nombre de femmes (comme celle ayant porté l’auteur de ces lignes) qui deviennent mère pendant ces années-là s’identifient à leur Reine. Cette association entre la personne d’Elizabeth II et la procréation est lourde de sens. Depuis toujours, les maisons royales sont obsédées par la lignée et la question vitale de savoir si la succession est assurée. Henry VIII a lancé la Réforme en Angleterre et épousé six femmes (il en a fait décapiter deux) dans sa recherche d’un héritier mâle. En effet, la continuité royale implique la continuité du royaume et, sur un plan symbolique, de ses sujets. Au-delà des questions de lignée, tout le rituel qui entoure les naissances royales – jusqu’à l’exhibition publique du nouveau-né et, à notre époque, les ventes impressionnantes de tasses commémoratives à l’effigie des parents et leur bébé – met en scène l’origine et la survie de notre espèce dans et par l’acte de reproduction. N’en déplaise aux théoriciens du genre, la royauté nous ramène aux fondamentaux : un homme, une femme et un accouplement hétérosexuel. Le symbolisme profond reliant la Reine en tant que mère et son peuple se concrétise de façon frappante. Selon une pratique consacrée, les couples royaux montrent leur nouveau bébé sur un balcon devant une foule en délire. Or, par un effet de miroir, lors des promenades publiques de la Reine, les parents roturiers tiennent leurs propres petits en l’air, pour qu’ils puissent voir leur monarque et être vus par lui. D’ailleurs, Elizabeth II a une affinité particulière avec les enfants qui l’adorent et jouissent d’un accès privilégié pour lui offrir des bouquets de fleurs.
Avec la Reine Victoria, une autre préoccupation s’ajoute à celle de la procréation : le besoin d’une famille heureuse. Elle-même enfant comblée de parents aimants, Elizabeth II a réussi à incarner l’épouse fidèle et la mère fertile. À la différence de sa sœur cadette, Margaret, plus « glamour », Elizabeth a toujours eu une image plus maternelle qu’érotique. Pourtant, en tant que mère, elle a dû encaisser des déceptions amères. De ses quatre enfants, trois ont divorcé sous le feu impitoyable des médias. Les scandales sexuels concernant la princesse Diana, dont les détails des ébats extra et post-maritaux ont été ébruités dans la presse tabloïde, et le prince Andrew, impliqué de manière glauque dans l’affaire Epstein, ont dû lui faire beaucoup de peine. Toujours stoïque, elle n’a jamais rien révélé publiquement de ses sentiments. Et elle a de quoi se consoler : sa progéniture comprend actuellement huit petits-enfants. Cette préoccupation de la naissance conduit inévitablement, à travers le cycle de la vie, à la mort. Au cours d’une longue existence, la Reine a souvent été en deuil. Son père adoré, George VI, est mort à l’âge de 56 ans. Sa belle-fille, Diana, est morte de manière tragique en 1997. En 2002, elle perd sa sœur, dont elle a été très proche, à l’âge de 71 ans et, un mois plus tard, sa mère, jusque-là apparemment immortelle, à 101 ans. Enfin, en 2021, c’est son époux depuis 73 ans, le prince Philip, dont elle était tombée amoureuse à l’âge de 13 ans, qui est emporté à 99 ans. L’image de la Reine, contrainte par la pandémie de s’asseoir seule pendant les funérailles de son mari, a fait le tour du monde. Selon l’archevêque de Cantorbéry, le secret de cette dignité dans la souffrance réside dans le refus de la Reine de s’apitoyer sur elle-même. Ainsi, à chaque étape du cycle humain, elle est là devant nous, pour nous rappeler – de manière royale – l’origine et la fin de la vie, avec en prime, une démonstration de la meilleure manière d’y faire face.
2) Chiens, chevaux et chasse
Que fait la Reine quand elle n’est pas accaparée par ses devoirs officiels ? Comme la plupart de ses ancêtres, ce n’est pas une intellectuelle. Elle préfère de loin des activités de plein air. Lorsqu’elle n’est pas tirée à quatre épingles, elle s’habille pour la ferme ou la chasse. Elle adore les chiens – surtout ses corgis et dorgis favoris – et les chevaux, qu’elle montait autrefois et sur lesquels elle continue à parier, car elle possède des écuries où elle élève des pur-sang. Selon la tradition royale, elle est attachée à la ruralité, tirant une partie de ses revenus de l’exploitation des terres. Elle adore la chasse sous toutes ses formes, surtout la traque des cerfs et le tir au faisan ou au tétras. À travers l’histoire, la chasse a toujours été une des activités par excellence des souverains. En anglais, elle s’appelle le « sport des rois », terme qui aujourd’hui désigne aussi les courses hippiques, devenues une version sublimée de la chasse à courre – surtout depuis que la chasse au renard a été interdite sous Tony Blair en 2004. Si la Reine s’adonne à ces passions typiquement royales, c’est que la royauté nous ramène encore à nos origines. Car la chasse, au-delà de son aspect utilitaire, nous rappelle une époque lointaine qui a précédé l’invention des savoirs livresques, une époque où l’homme devait sa survie à sa capacité à risquer sa vie et à faire preuve d’habileté et de ruse. La chasse est ainsi une mise en scène symbolique de notre nature biologique. Le philosophe espagnol Ortega y Gasset y voit « une humiliation consciente et comme religieuse de l’homme qui limite sa supériorité et se rabaisse vers l’animal. » On dit : qui veut faire l’ange fait la bête. Les puissants de notre monde, apparemment plus proches des anges, nous rappellent que nous sommes tous des bêtes – salutaire leçon.
La Reine, comme ses prédécesseurs, est le chef des forces armées du Royaume-Uni. Si ce rôle est aujourd’hui nominal – le dernier roi anglais à mener ses hommes au combat a été George II en 1743 –, ce titre honorifique nous renvoie encore une fois à une lointaine époque tribale où le roi était un chef de guerre. Aujourd’hui, les rites guerriers du trône sont largement sublimés, surtout dans un des événements du calendrier royal que la Reine a toujours apprécié le plus, le Salut aux couleurs (Trooping the Colour). Il intervient le deuxième samedi de juin et marque l’anniversaire officiel du monarque. Le véritable anniversaire de la Reine tombe le 21 avril : encore un dédoublement du corps royal. Il s’agit d’une grande parade, à laquelle participent tous les régiments de gardes de la Household Division, dont la Reine est le colonel en chef. Tant qu’elle en était capable, elle recevait cet hommage en uniforme et à cheval. Cavalière émérite, elle montait en amazone pour l’occasion, gardant une maîtrise parfaite, même quand, en 1981, un spectateur a tiré à blanc sur elle. Les dictateurs modernes font défiler leurs missiles phalliques dernier cri ; Elizabeth II passe en revue des soldats portant des tenues d’un autre âge. Mais derrière les fanfares, les parures et la chorégraphie, il y a une réalité militaire qui n’est jamais demeurée étrangère à la Reine. Elle a porté l’uniforme pendant la guerre de 1939-1940 comme conducteur et mécanicien, tandis que son futur mari servait dans la marine. Son fils Andrew, pilote d’hélicoptère naval, a participé à des missions lors de la guerre des Malouines, et son petit-fils, Harry, a servi dans l’armée en Afghanistan. Ses régiments de gardes servent partout où les forces britanniques sont appelées. C’est la Reine qui décore ces soldats, ainsi que les autres militaires, quand ils reviennent – ou non – après le combat. Les plus hautes décorations sont la croix de Victoria et la croix de George. 2009 a vu la création de sa propre médaille, la croix d’Elizabeth. Elle est décernée au plus proche parent d’un militaire tué à la guerre ou dans un attentat terroriste. C’est typique d’une souveraine qui ne veut oublier aucun sacrifice fait par ses sujets.
Les joyaux de la Reine, autrement dit la tenue de sacre des monarques britanniques, comportent de nombreuses pièces qui sont serties de 23 578 pierres précieuses. L’objet central est la couronne de saint Édouard le Confesseur, le roi anglais qui a légué son royaume au futur Guillaume le Conquérant. L’original a été détruit par le régicide républicain, Cromwell, et une nouvelle copie a été réalisée pour le couronnement de Charles II en 1661. Portée par le monarque pendant une partie du sacre, elle pèse très lourd – 2,23 kilos. Avant son couronnement, Elizabeth II s’est entraînée à la porter quand elle écrivait des lettres. Cette couronne résume la fonction principale de la Reine qui est de décharger les politiques du poids de la plupart des rôles symboliques de l’État, poids que, contrairement à la Reine, ils sont mal préparés à supporter. Selon la terminologie du célèbre livre sur la constitution britannique publié en 1867 par Walter Bagehot, le monarque représente la partie majestueuse (dignified) de l’État, et les politiques la partie agissante (efficient). Pour impressionner, l’État a besoin d’exhiber sa richesse et de donner une apparence de pérennité. Les atours qui sont nécessaires à cette fin ont été définis à l’époque de l’art baroque : il faut un certain degré d’excès dans les vêtements, les palais et les rituels. Les politiques élus, comme d’ailleurs les despotes, ont quelque chose de trop intéressé et impermanent pour incarner la majesté de l’État de manière convaincante. Les devoirs de la Reine consistent à nommer le Premier ministre, qui est toujours le chef du parti majoritaire aux Communes ; ouvrir la session du Parlement par un discours écrit par son gouvernement ; approuver les lois votées par les élus ; et avoir un entretien confidentiel une fois par semaine avec son Premier ministre où son influence doit se limiter, selon les termes de Bagehot, à être consultée, à encourager et à avertir.
Dans ces rôles, Elizabeth II a toujours été parfaite. Qu’elle soit vêtue de tenues d’apparat ou de ses tenues de ville de couleur vive (pour qu’elle soit bien visible), son comportement physique est majestueux. Au cours de son règne, elle a travaillé inlassablement sur le plan diplomatique, ayant accueilli 112 visites de chefs d’État et fait plus de 150 voyages officiels dans plus de 100 pays. Sur le plan politique, elle a fait preuve d’une réserve admirable. Pourtant, elle a œuvré pour le bien dans les coulisses. Chef du Commonwealth, qui regroupe 56 nations, elle a obligé son gouvernement à en reconnaître l’importance.
Dans les années 1980, elle a discrètement soutenu le mouvement pour mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud. Cette année, elle a soutenu l’Ukraine par un don généreux aux réfugiés et son refus de prêter des pièces de ses collections à une exposition au Kremlin. Lors de la cérémonie d’ouverture du Parlement, la porte de la Chambre des communes est fermée au nez du représentant du monarque, rappel de la tentative de Charles Ier de faire arrêter des députés en 1642. Simultanément, les gardes royaux fouillent dans les caves du bâtiment en souvenir de la conspiration des Poudres contre Jacques Ier en 1605. Pendant que le souverain lit son discours dans la Chambre des lords, un représentant des élus est même gardé « en otage » au palais de Buckingham. Ces reliques symboliques des luttes historiques entre la Couronne et le Parlement ont pour fonction de nous rappeler que la démocratie moderne n’est pas tombée du ciel un beau jour, mais qu’elle a émergé petit à petit d’un très ancien système monarchique. En plus de la couronne, c’est tout le poids de l’histoire que Sa Majesté porte si admirablement sur ses épaules.
En dehors du domaine politique, c’est dans celui de la bienfaisance que la Reine s’est toujours dévouée. Elle est marraine de plus de 500 organisations charitables et associations bénévoles. On calcule qu’elle a aidé à recueillir plus de 1,6 milliard d’euros. Ce dévouement est encore une version moderne d’un rôle archaïque, celui de guérisseur, que Marc Bloch a étudié dans son grand livre de 1924, Les Rois thaumaturges. Le souverain anglais, comme son homologue français, était censé détenir le pouvoir de guérir les écrouelles par le toucher et le don d’une pièce d’or. Ce pouvoir est évoqué dans le Macbeth de Shakespeare où l’on apprend du roi anglais que « dès qu’il touche [les malades], telle est la vertu sainte dont le ciel a doué sa main, qu’ils guérissent à l’instant ». S’il est difficile à notre époque d’accomplir de tels miracles, la Reine a su, par son exemple, galvaniser l’esprit de charité dans son peuple et, par sa parole, lui apporter consolation et encouragement moral. L’archevêque de Cantorbéry raconte un déjeuner officiel avec la Reine où, parmi les invités, il y avait une réfugiée qui venait d’échapper au génocide rwandais. Après le repas, la Reine est restée parler avec elle pendant vingt minutes. Que lui a-t-elle dit ? S’est-elle surtout contentée d’écouter ? Tout ce que nous savons, c’est que, selon le prélat, l’effet curatif sur cette personne en détresse a été extraordinaire. Cette parole est compassionnelle à condition de rester mesurée. Tout le monde se souvient de l’allocution télévisée, tout en retenue, de la Reine du 5 avril 2020, au moment le plus noir de la pandémie. Il est vrai qu’elle a de l’expérience dans ce genre de miracle : elle a prononcé son premier discours radiodiffusé en 1940, à l’âge de 14 ans, dans une émission pour enfants de la BBC.
Dieu sauvera la Reine
Certes, la Reine a connu des revers au cours de son règne ; elle les a traversés sous une pression médiatique qu’aucun de ses prédécesseurs n’a connue. Son statut institutionnel s’est affaibli avec la disparition des restes de l’Empire britannique. Souveraine de 31 nations en 1952, elle l’est seulement de 14 aujourd’hui. En 1992, elle a connu son « annus horribilis » : après des scandales maritaux impliquant ses enfants, le château de Windsor a été endommagé dans un incendie. Avec la mort de Diana, en 1997, elle a mal jugé l’humeur nationale, son stoïcisme personnel l’empêchant pour une fois de voir que le peuple avait besoin d’une plus grande démonstration d’empathie. Elle a été critiquée pour sa fortune. En 1992, elle a pris la décision, contre l’avis du Premier ministre, de payer des impôts. Toutes ses propriétés (sauf les palais de Balmoral et de Sandingham) et toutes ses collections d’art ne lui appartiennent pas, mais sont détenues en fiducie. La Reine est donc plus la propriété de la nation que propriétaire. Il est difficile de réconcilier les deux corps, mais elle y parvient, par sa foi chrétienne (elle est le gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre) et aussi par un humour espiègle. Un jour qu’elle se disputait au téléphone avec sa mère, cette dernière s’est exclamée : « Tu te prends pour qui ? » Elle lui aurait rétorqué : « Pour la Reine, maman, pour la Reine. » Dans Richard II de Shakespeare, le roi, ayant perdu tous les attributs de son pouvoir royal, demande un miroir pour voir ce qui reste de lui sur le plan physique, avant de le briser. Quand nous regardons ce portrait récent d’Elizabeth II, assise dans le plus ancien château royal, celui de Windsor, avec sa bague de fiançailles et le collier de perles que son père lui a donné pour son mariage bien en évidence, nous savons que le corps de cette femme, si fidèle à tous les égards, sera un jour séparé de cette majesté qu’elle a toujours si bien incarnée. À ce moment-là, nous pourrons tous nous écrier : « La Reine est morte ! Vive la Reine ! »
Pour nombre d’éditorialistes et de managers, le fait d’aller au-delà de ses obligations contractuelles ne devrait plus être considéré comme du dévouement ou un engagement remarquable, mais comme un dû. Analyse.
Le management raffole des mots en anglais. Ils permettent sous des appellations ronflantes d’aligner des concepts aussi boursoufflés de prétention qu’ils sont, en général, vides de sens, ou servent à élever au rang de grandes découvertes, des épiphénomènes liés à la conjoncture.
A croire que les théoriciens de l’entreprise adorent redécouvrir l’eau tiède régulièrement et pensent qu’un anglicisme permet de faire croire à l’émergence de nouveaux rapports au travail, quand ils ne décrivent qu’une réalité triviale et convenue. Aujourd’hui le « quiet quitting » est un des nouveaux mots à la mode du management qui se voudrait éclairé.
En français, il peut se traduire par : « la démission silencieuse ». Popularisé sur les réseaux sociaux, ce terme ne signifie pourtant que faire strictement et correctement le travail inscrit sur sa fiche de poste. Ni plus, ni moins. Que cette attitude soit qualifiée de démission en dit long sur la façon dont certains considèrent le travail en entreprise… A croire que l’on entre en entreprise comme en sacerdoce. Avec une telle logique, l’analyse du quiet quitting devient une façon polie d’accuser la jeune génération de fainéantise, sans même souvent prendre le temps de regarder quels sont les métiers les plus frappés par cette épidémie.
Travail sans sens et… sans rémunération adéquate
Or quand on creuse un peu, ô surprise, ce sont souvent des métiers où les obligations et astreintes sont si lourdes qu’elles oblitèrent la vie de famille sans que le sacrifice demandé soit compensé par un prestige certain, des rémunérations élevées ou même un métier porteur de sens. On parle ici des chauffeurs routiers, des serveurs dans la restauration, des métiers de base du secteur des loisirs… Avant que l’hôpital ne soit complètement désorganisé, le métier de soignant avait énormément de sens pour ceux qui l’exerçaient, au point que malgré les difficultés, ceux-ci allaient au-delà de leurs obligations et poussaient leur métier jusqu’au dévouement. Mais plutôt que d’interroger un monde du travail dont l’organisation décourage peut-être l’engagement et des filières où l’organisation du travail a de quoi décourager les meilleures volontés, nombre d’éditorialistes fustigent une France qui perdrait le goût de l’effort. Pourtant, « corvéable à merci » n’est pas la définition du travail mais celle du servage et la façon dont la restauration traite ses petites mains explique peut-être la pénurie des vocations.
Dans un article du Point sur ce phénomène, un représentant d’une grande banque d’affaires dit naïvement ce qui est peut-être une piste à creuser : « Les jeunes embauchés ne sont plus prêts à tout subir sans rien dire. » Peut-être est-ce-là que le bât blesse, considérer que pour faire ses preuves, accepter d’être maltraité est normal. En effet, le « quiet quitting », en théorie, c’est venir et partir à l’heure, sans faire d’heures supplémentaires non payées, ne pas lire ses e-mails le week-end ni répondre aux demandes professionnelles en dehors des heures de travail. Bref c’est faire son boulot sans s’investir au-delà. Pas de quoi fouetter un chat ni justifier le terme de « démission ». En revanche l’emploi de ce terme dit beaucoup sur ce qui pousse les salariés à moins s’investir : le fait qu’aller au-delà de ses obligations contractuelles n’est pas considéré comme du dévouement ou un engagement remarquable, mais comme un dû. Or lorsque l’on veut susciter chez ses salariés un fort engagement, on commence par réfléchir à ce qui peut les motiver : la qualité de la relation au travail, comme l’intelligence de la gestion des relations humaines ou l’adaptation de l’organisation du travail peuvent rivaliser avec la question du salaire. En revanche l’avalanche de normes absurdes, de process déconnectés des réalités ou d’objectifs mal conçus peuvent avoir exactement l’effet inverse.
« Je vous paie moins, mais faites meilleur ! »
Or ces derniers temps, l’entreprise comme la fonction publique ont popularisé l’expression « faire plus avec moins », ce qui aboutit souvent dans les faits à dégrader les conditions de travail, en élevant le niveau d’exigence et en rebaptisant cela « nouveaux défis ». Pour beaucoup de salariés, le système est devenu absurde : les objectifs apparaissent déconnectés du terrain et le sentiment d’être exploité par une hiérarchie dont les attentes sont plus liées à des exigences financières qu’à une connaissance fine de la réalité a fini par décourager les équipes. L’exigence professionnelle est souvent galvanisante quand elle est au service d’une vision partagée, en revanche l’accumulation de « process » et de « reportings », le langage désincarné et standardisé du management n’aboutit souvent qu’à infantiliser le salarié et à tarir toute capacité de création. Surtout quand il demande l’adaptation à des normes absurdes dans un environnement dégradé. Déjà en 2017, une enquête d’Opinionway pour la MGEN avait montré que 90% des salariés avaient le sentiment que la souffrance au travail avait augmenté depuis 10 ans et six sur 10 s’en disaient victimes. Dans une enquête BVA sur la santé au travail, datant de 2019, 63% des personnes interrogées évoquaient un risque « d’épuisement professionnel ». Le résultat de ces enquêtes n’a pourtant interpellé que peu de monde.
Et si le quiet quitting parlait tout autant d’une société où le travail a de moins en moins de sens que de salariés qui, ayant grandi en enfants gâtés, se trouvent fort démunis quand arrive le temps de l’effort ? Et si un cynisme certain dans l’exploitation de la force de travail expliquait aussi ce résultat ? La question mérite d’être posée. Y compris à un niveau de formation élevé. C’est le cas par exemple des métiers du journalisme où la précarité fait rage et où la pige devient la nouvelle norme. Et si cela expliquait pourquoi le travail devient de plus en plus alimentaire, et est de moins en moins investi d’un rôle de formation et d’élévation des hommes ? Quand le salarié n’a plus l’impression d’appartenir à un commun ou que le seul véritable lien qui unit les équipes se fait contre des directions qui considèrent que leurs collaborateurs sont interchangeables et que « les cimetières sont pleins de personnes irremplaçables », il est normal d’accomplir correctement sa tâche, mais aussi de mesurer son effort. C’est peut-être aussi parce que l’organisation du travail est défaillante et que les managers ne cessent de recycler des théories et des process déconnectés, que les salariés prennent leurs distances et s’investissent sur ce qui les nourrit de façon immatérielle : famille, amis, passions personnelles… il se trouve que lorsqu’un dirigeant arrive à faire partager un projet collectif, il est parfois surpris de la qualité d’engagement qu’il trouve alors chez son personnel. De la même manière, à l’époque où la notion de service public était défendue, où l’intérêt général était politiquement incarné, l’engagement des fonctionnaires était fort. Aujourd’hui il régresse au fur et à mesure que les politiques comme la haute fonction publique paraissent perdre la mesure du rôle de l’Etat et ont remplacé la notion de service par celle de rendement et la notion d’intérêt général par celle d’économie ; le poisson pourrit toujours par la tête dit un proverbe chinois. Et si c’était encore une fois le cas ?
Sayyid Ata’ollah Mohajerani, qui a pondu un livre de 250 pages justifiant la fatwa contre Salman Rushdie, publié par l’état iranien, se retrouve ironiquement réfugié en Angleterre aujourd’hui…
Après la tentative d’assassinat de Salman Rushdie, le 12 août, par un Américain de famille libanaise, qui a exprimé sur les réseaux sociaux son enthousiasme pour le régime iranien, peu de politiques dans les démocraties occidentales ont eu le courage de nommer l’ennemi. La France est un des rares pays où une poignée a osé dénoncer l’« islamisme » plutôt que l’« obscurantisme » (voir l’article de Céline Pina dans le magazine de septembre, pages 28-29).
Au pays où Rushdie a grandi, le Royaume-Uni, le manque de courage politique a été frappant. Mais il y a pire encore. En 1979, un étudiant, Sayyid Ata’ollah Mohajerani, participe à la révolution iranienne qui a porté au pouvoir le régime de la République islamique. L’année suivante, il devient député et continue à servir le régime au cours de cette décennie qui voit la mise à mort de milliers d’opposants. Quand, en 1989, l’ayatollah Khomeini lance sa fatwa enjoignant à tous les musulmans d’assassiner Rushdie sans délai, c’est à Mohajerani qu’incombe la tâche de justifier cette condamnation à mort. Travaillant sans relâche, il pond un livre de 250 pages publié par l’État iranien, qui connaîtra au moins 30 réimpressions dans cinq langues. La « Critique de la conspiration des versets sataniques » prétend démontrer pourquoi le roman de Rushdie est tellement blasphématoire que son auteur mérite la mort, tandis que toute défense du livre en Occident est attribuée à un vaste complot antimusulman. Après trois ans comme ministre de la Culture et de l’Orientation islamique entre 1997 et 2000, où il acquiert une réputation de modéré, Mohajerani est contraint, en 2004, de quitter son pays pour une affaire de mœurs. Et où trouve-t-il refuge ? En Angleterre, où le gouvernement de Blair veut encourager l’opposition prétendument modérée au régime des mollahs.
Aujourd’hui, il travaille pour une université londonienne et habite un quartier résidentiel près d’une des maisons où Rushdie a été obligé de se cacher. Mohajerani n’a cessé de défendre son livre, même après l’attaque du 12 août, qu’il qualifie d’incident « tragique ». Sa justification ? Il n’a fait qu’écrire un livre.
Vendredi 26 août, à Madagascar, la sentence est tombée. La Cour de cassation ne reviendra pas sur la décision du Tribunal d’Antananarivo, prononcée huit mois plus tôt. Accusé d’avoir fomenté un coup d’État à l’encontre du président malgache, l’ancien colonel français Philippe François reste condamné à dix ans de bagne. Inquiète sur son état de santé et sur sa sécurité, sa famille a fait une demande de transfèrement dans une prison française. Est-ce vraiment la meilleure option ?
Détenu arbitrairement dans un sous-sol camerounais pendant dix-sept ans, le Français Michel Atangana a bondi quand il a appris la nouvelle de la demande de transfèrement. « Juridiquement, le transfèrement suppose de reconnaître la culpabilité de Philippe François, à laquelle je ne crois pas du tout. Comme il est innocent, il doit se battre pour être innocenté, pas pour venir dans une prison française. Pire, en agissant ainsi, ça donne du crédit au jugement d’Antananarivo, ce qui est absolument contre-productif », lâche-t-il à Causeur.
« Le pourvoi en cassation a été rejeté, il n’y a même pas eu d’examen car la Cour a estimé qu’il n’y avait pas de raison sérieuse pour examiner le dossier », nous indique Étienne de Villepin, avocat français du condamné. Que contient-il, ce dossier ? Un mystérieux complot d’assassinat d’Andy Rajoelina, le président malgache, et baptisé « projet Apollo 21 ». Les éléments supposés en témoigner sont des courriels échangés avec le Franco-malgache Paul Maillot, alors conseiller de l’archevêque d’Antanavarino, ainsi qu’une clé USB.
Blague de bistrot
Il y a un peu plus d’un an, alors qu’il s’apprête à rentrer en France, Philippe François est arrêté à l’aéroport d’Antananarivo avec sa compagne. Ses affaires n’allant pas au mieux sur l’île, le retour était prévu depuis des mois, assure sa défense. Un travail chez un de ses anciens employeurs l’attendait d’ailleurs à Roissy. Une perquisition sans mandat a alors eu lieu chez lui et chez Paul Maillot. Selon les autorités, elle a permis de saisir « deux véhicules Nissan » et… « un fusil à pompe ».
Vous échafaudez un scénario de film de mercenaires armés d’un fusil à pompe ? « Le profil de quelqu’un qui fait un coup d’État, ce n’est pas une personne qui vit depuis deux ans dans un pays avec sa compagne et ses meubles. Les mercenaires qui font des coups d’État, ce sont des sous-officiers mais ce ne sont jamais des officiers supérieurs comme Philippe François », balaye Étienne de Villepin. « Matériellement, on n’a aucun élément préparatoire à un quelconque projet d’assassinat, aucun financement, aucun projet pour faire venir des armes, des éventuels hommes de main de Mayotte, de La Réunion ou d’Afrique du Sud, par exemple, rien. C’est donc bien un procès politique », continue l’avocat. Pourtant, « la compagne de l’accusé a entendu Philippe François dire qu’il suffit de 50 commandos pour faire tomber un État », mentionne le verdict final du Tribunal, de la taille d’une demi-page A4. « Dans ses interrogatoires, le juge d’instruction a dit lui-même que la phrase sur les 50 commandos était une discussion de bistrot », répond Étienne de Villepin.
Une blague de bistrot ? Selon une source ayant régulièrement dîné avec Philippe François sur l’île, il arrivait effectivement qu’autour d’une bonne table, des petites phrases comme celle-ci soient lancées entre le militaire, Paul Maillot et d’autres habitués de l’ambassade de France. La compagne de Philippe François a fait sa confidence aux autorités après l’arrestation du couple à l’aéroport d’Antananarivo. Contrairement à son conjoint, elle a été acquittée. Reste à savoir pourquoi le couple a été arrêté.
« S’il reste encore un an comme ça, il va mourir »
Reconverti en entrepreneur après sa carrière dans l’armée, Philippe François était aussi bénévole dans un orphelinat. Surtout il venait de lancer, en compagnie de Paul Maillot, Tsara First, une société visant à « œuvrer au développement de Madagascar ». Lors de son lancement, la société n’a pas manqué de rappeler que Madagascar était « le 4ème pays le plus pauvre du monde ». De plus, elle n’a pas caché son ambition de « lutter contre la corruption » et aussi, de développer la légalisation de l’orpaillage, un milieu qui reste une chasse gardée dans le pays. Est-ce cela qui aurait été fatal aux deux associés ?
Quoi qu’il en soit, Philippe François est détenu dans la Maison de Force de Tsiafahy, à trente kilomètres d’Antananarivo, depuis plus d’un an. Il dort à côté d’une bouche d’égouts, fait sa toilette dans un bac d’eau froide, et ses besoins dans un seau vidé une fois par jour le soir. Filmé 24H/24, il cohabite aussi avec des rats, des cafards et des bandits, dont un détenu ayant tué une trentaine de personnes à l’extérieur, et qui purge sa peine dans le même secteur que lui.
« Comme tout se paye, nous lui faisons parvenir à manger et de l’argent, sinon il n’aurait droit qu’à un verre de riz par jour », explique sa fille Constance Wagner François. « Mais comme ça se sait, il se fait régulièrement racketter ses courses par d’autres détenus, et doit payer les gardiens s’il veut prendre l’air de sa cellule de six mètres carrés ou faire cuire la viande qu’on lui fait parvenir, par exemple ». Depuis qu’il est incarcéré, l’homme a perdu 25 kg. En mai dernier, sa famille a donc demandé au quai d’Orsay un bilan de santé. Jusqu’à présent, la demande reste lettre morte. « Il doit assurer lui-même sa sécurité en payant d’autres détenus, il n’est jamais serein, il est toujours sur ses gardes. S’il reste encore un an comme ça, il va mourir », prévient Constance Wagner François.
Paul Maillot le grand oublié ?
Moins médiatisé, le sort du Franco-malgache Paul Maillot n’est pas plus enviable. Condamné à 20 ans de bagne dans la même prison, il est confiné dans une cellule sans fenêtre de 2m sur 4. Comme Philippe François, sa cellule est filmée 24h/24 et il est contraint d’y faire ses besoins. Outre le caractère humiliant de ses conditions de détention, son état de santé inquiète vivement sa famille. « Mon père est détenu dans des conditions dégradantes alors qu’il est innocent. Au même titre que Philippe François, il est la victime d’une machination ourdie par la mafia malgache, dans un Etat de non-droit totalement failli » affirme Elise Maillot, sa fille.
Combien de temps les deux hommes vont-ils tenir ? Pour sa part, Philippe François a trouvé un moyen de survivre : écrire un journal de bord, peu commun, à la troisième personne, dont voici un extrait :
« La journée, c’est six heures de lecture au moins. Une nourriture pour l’esprit, et la seule évasion possible. La prison réapprend les priorités dans une optique de survie intellectuelle, morale et physique. Continuer plus que jamais pour rester fort. D’abord, être propre ; il vient de faire plus de lessives en deux mois que durant toute sa vie. Douche à l’eau froide à partir d’un seau. Souvenirs de Bosnie, sur son poste à Brezovika, avec sa section, quand il avait sa section d’acier derrière lui. Là il est seul, mais fort ».
La demande de transfèrement, bonne ou mauvaise idée ?
Pendant ce temps-là, les familles des deux détenus ont demandé leur transfèrement en France. « L’extradition concerne des faits qui ne sont pas encore jugés dans le pays. Maintenant que le jugement malgache est définitif, il n’est plus possible de le contester, juridiquement parlant. Cependant, il y a une convention entre la France et Madagascar pour ce qu’on appelle le transfèrement », nous indique Étienne de Villepin.
L’avocat de Philippe François a déjà pris les devants, il a fait la demande auprès du Bureau d’entraide pénale et internationale, qui dépend du ministère de la Justice français. « Il faut attendre toute la durée de la constitution du dossier administratif en France puis l’envoi aux autorités de la Justice malgache. Ensuite, celles-ci sont libres de traiter le dossier quand elles décident que c’est nécessaire. Dans les accords, il n’y a pas de délai », nous précise-t-il.
Compte tenu de la lenteur de notre administration, il a bien fait de s’y prendre tôt mais concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? « Le transfèrement, c’est uniquement pour que le condamné purge sa peine dans son pays d’origine. Philippe François serait donc accueilli par les autorités à l’aéroport et transféré dans une prison ici. Après, des aménagements de peine sont possibles, il pourrait donc se retrouver avec un bracelet électronique ». Ou se défouler lors d’un « Kohlantess » à Fresnes ? Reste à savoir s’il pourrait être légalement innocenté chez nous. « Non », affirme catégoriquement l’avocat.
« Tant qu’il ne sera pas innocenté, il ne récupérera pas sa dignité »
« Le transfèrement est une mauvaise option car tant qu’il ne sera pas innocenté, il ne récupérera pas sa dignité »,estime pour sa part Michel Atangana. « Je sais de quoi je parle, je me suis battu pendant près dix ans pour être innocenté après ma libération, et croyez-moi, il n’y a rien de plus important que de récupérer sa dignité. Regardez le cas de Florence Cassez. On a fait un battage médiatique pour la sortir mais aujourd’hui, elle n’arrive toujours pas à se reconstruire, elle vient de dire elle-même qu’elle n’était jamais en paix, qu’elle avait toujours la trouille ». En 2013, Florence Cassez avait été libérée par la Cour suprême mexicaine en raison de vices de procédure mais elle n’a jamais été innocentée par la justice mexicaine.
L’urgence étant de tirer le militaire et Paul Maillot de là, toutefois, quelle serait la solution, selon Atangana ? « Déjà, constituer un soutien avec des maires de France. Un comité de soutien présidé par Jean-Christophe Ruffin c’est bien mais ça ne suffit pas, idem pour les pétitions. Quand le président Macron aura 200 maires derrière lui qui plaident pour l’innocence de Philippe François, le président malgache verra que le président Macron n’est pas seul. Le transférer dans une prison française, est-ce cela qui va lui rendre sa dignité ? Personnellement, je ne le pense pas du tout. Trois ans avant ma libération, on m’avait proposé le transfèrement, je l’ai refusé ».
Ancien disc-jockey, le président Andry Rajoelina est au pouvoir depuis trois ans. S’il se présente volontiers comme nationaliste et panafricaniste, il a choisi de faire scolariser ses enfants à Lausanne, en Suisse. Lundi 29 août, il a été reçu par Emmanuel Macron à l’Élysée (notre photo). Comment ont-ils évoqué le cas de Philippe François ? L’Élysée est resté muet à ce sujet. En avril, les autorités malgaches ont indigné l’Occident pour avoir conclu un accord militaire, trois mois plus tôt, avec la Russie, une information révélée par le média russe Sputnik. Le ministre de la Défense malgache a alors invoqué une relation vieille « de cinquante ans ». Il ne va quand même pas falloir soudoyer des mercenaires Wagner pour sauver le soldat Philippe, si ? Quelques bataillons seraient en tout cas présents sur l’île rouge.
La revue amie “Conflits” publie en kiosques son nouveau numéro: « Royaume-Uni, l’homme fort de l’Europe». Johnson tombe, le Brexit continue…
Causeur vous propose de lire l’éditorial de Jean-Baptiste Noé.
Avec le Brexit, le Royaume-Uni devait quitter l’Europe. Toujours cette confusion regrettable entre Union européenne et Europe, comme si la sortie de l’UE impliquait un glissement de terrain qui aurait entraîné le Royaume vers un autre continent. Fidèles à leurs habitudes, bon nombre de spécialistes prévoyaient que les sept plaies d’Égypte allaient s’abattre outre-Manche. La famine, car le pays ne serait plus alimenté par le continent, la pauvreté et le chômage de masse puisqu’il quittait une zone économique renommée, et puis la guerre civile et le démembrement, puisque l’Écosse choisirait Bruxelles plutôt que Londres et que l’Ulster reprendrait le chemin des combats pour une question de frontière douanière. Rien de tout cela ne s’est produit. Si le Royaume-Uni n’est pas le paradis, il n’est pas non plus entré en enfer après avoir rompu les amarres de Bruxelles.
Conflits n°41
Maître de l’Europe
Que de belles promesses on nous fit. Paris devait devenir la première place financière d’Europe, les capitaux et les entreprises devaient quitter Londres pour se réfugier en terre libre, c’est-à-dire en zone euro. Six ans plus tard, il n’en est rien. Londres demeure la capitale la plus attractive d’Europe, plus que Paris dont les rats, les embouteillages et l’insécurité ne séduisent guère les investisseurs. La livre sterling devait s’effacer et l’euro dominer la planète financière. À la mi-juillet, pour la première fois de son histoire, le cours de l’euro est descendu à la parité avec le dollar. En relisant les promesses de 2002 lors de l’introduction de la monnaie unique, on peut comprendre que les citoyens se soient détachés de l’UE. Fort d’une indépendance renouvelée, le Royaume-Uni vient de fêter en grande pompe le jubilé de platine de sa reine. Véritable attribut de la puissance britannique, la famille royale de Windsor est la dynastie européenne qui attire tous les regards et capte l’attention des médias. Ces jours de jubilé furent d’ailleurs plus regardés en France que l’intronisation du président de la République. Beaucoup d’Européens y ont trouvé ce qu’ils cherchent chez eux: l’unité, la fierté, la continuité et la grandeur.
Dans la guerre en Ukraine, le Royaume-Uni impose ses vues, joue sa partition, toujours reliée à Washington certes, mais qui donne le la et fait prévaloir ses intérêts. Le pays n’est plus dans l’UE, mais le Premier ministre se rend à Kiev, fixe les orientations et trace le chemin suivi par les autres, c’est-à-dire par les États-Unis. Si le Royaume-Uni a quitté Bruxelles, il a renforcé ses liens avec Washington. Nulle politique d’indépendance dans la guerre en Ukraine, mais un alignement sur la ligne de l’OTAN ; ce dont les Anglais semblent se satisfaire. L’ancien Empire rejoue l’affrontement contre l’Empire russe et s’oppose à Moscou avec dureté.
Encore une fois, Britania rule the waves. Après le Brexit, les Anglais ont conçu le global Britain mais c’est bien en Europe que le principal effort de leur nouvelle stratégie est porté. Sur le continent, c’est l’Allemagne qui a pris le contrôle de l’UE. Son poids économique demeure prépondérant et les Allemands présents à tous les postes clefs de la Commission et du Parlement.
La France rêvait de « défense européenne », la guerre en Ukraine a enterré cette idée et ressuscité l’OTAN qui, plus que jamais, est la véritable défense en Europe.
Coincé entre Londres et Berlin, Paris se cherche une voie. Le « couple franco-allemand » a vécu. Après avoir imposé au reste de l’Europe la sortie du nucléaire et ses normes environnementales, Berlin se retrouve nu pour l’hiver et les Européens aussi. Pour complaire à l’Allemagne, la France a réduit sa puissance nucléaire civile et abîme ses paysages d’éoliennes. La France demeure le seul pays d’Europe continentale à disposer d’une armée digne de ce nom et à pouvoir se projeter loin de son territoire. Le seul pays aussi de l’UE à posséder des terres, donc des intérêts, sur toutes les mers du monde. Elle a certes une économie fragilisée et des finances publiques dégradées, mais elle a en ses mains des atouts sérieux pour disputer au Royaume-Uni le titre d’homme fort de l’Europe.
En ce moment, un gros débat a lieu sur le réseau social Twitter, où un homme travesti se vante de s’être fait raboter le moineau aux frais du contribuable…
Et l’addition collective est sévère: 23 000 €, selon lui. Intégralement pris en charge par la Sécu ! L’homme castré en rigole. Se fout de notre gueule. Et précise même à un internaute effaré: « merci de t’être privé pour ma chatte à 23k€, maintenant continue de chialer ».
Les français aiment beaucoup parler du coût faramineux des personnes trans à la société. D'autres prises en charge par la sécu ne choquent jamais personne. Je suis trans, je ne fume pas, je paye des impôts et ça me parait normal de continuer à rembourser ces soins aussi. https://t.co/giCUmYn9Tgpic.twitter.com/HgRDjIjcMe
23 000€, il y a peut-être un peu d’exagération, les opérations de découillage intégral coûtent, selon mes sources, entre 9 000€ et 12 000€. Et puis, tout cela dépend du « menu » demandé, car ces messieurs se font parfois aussi retirer la pomme d’Adam pour cacher leur ancienne voix de routier (ça ne marche pas toujours), redresser la gueule pour essayer de ressembler à une morue liftée (FFS : facial feminization surgery), greffer des cheveux mais lasériser les poilous, sans compter les séances de psy ou d’orthophonistes. Et je ne reviens pas sur les inévitables seins en silicone et les œstrogènes que ces messieurs s’enfilent mieux qu’une escalope sur un barbecue ! Au final, l’addition peut encore monter au fil des années et des nouvelles lubies. Mais, apparemment, pas de soucis ma chéri-e, c’est la société patriarcale qui paye !
Hélas, même s’il s’achète une clinique, un travesti mâle peut toujours voir dans son miroir ce qu’il est : un mâle. Même découillu, même avec une paire de faux roploplos dressés comme la bite à Griveaux, celui-ci voit encore et toujours Robert dans la glace. Parce qu’il est et demeure un mâle. Beaucoup partent donc dans une course sans limite à la chirurgie, car il y aura toujours un détail qui rappelle l’atroce vérité. Un poil qui repousse, et c’est le psy ou le bistouri.
Aussi, je propose qu’on remette à plat la question de la prise en charge financière des transgenres. Si ces messieurs-dames veulent poursuivre leurs fantasmes en payant leur nouveau corps eux-mêmes, pourquoi pas ? Mais il est selon moi hors de question que toutes ces opérations et traitements continuent d’être pris en charge par la collectivité ! Il existe une « médecine de confort », mais, visiblement, il existe également une « médecine de caprice ». Et ce n’est point aux gens ordinaires de payer l’addition !
L’Allemagne n’est plus le moteur économique de l’Europe. Déficit commercial, abandon du nucléaire et dépendance au gaz russe plongent nos voisins dans un marasme qu’ils n’ont pas connu depuis longtemps. La solution, pour eux comme pour nous, est de mettre nos idéaux en sourdine pour renoncer aux sanctions contre la Russie.
Les propos médiatiques tenus aujourd’hui sur l’Allemagne montrent à quel point les convictions peuvent être changeantes. Il y a peu encore, elle nous était présentée comme un modèle économique enraciné dans la compétitivité et la saine gestion de ses finances publiques. En cette rentrée 2022, on nous suggère qu’elle est un maillon faible du dispositif européen.
Vous êtes le maillon faible, au revoir!
Un chiffre, un seul, a changé le diagnostic. Au printemps, pour la première fois de son histoire récente, l’Allemagne a affiché un déficit commercial, ruinant du même coup l’axiome de sa surcompétitivité. Et le fait que son économie flirte avec la récession crédibilise le nouveau pessimisme.
Cette faiblesse commerciale tient d’abord au renchérissement de l’énergie importée. Les prix du gaz, du pétrole, voire du charbon, qui représente 43 % de la production d’électricité outre- Rhin, se sont accrus inopinément. Dans un premier temps, ce sont les relances économiques décidées des deux côtés de l’Atlantique qui ont dopé ces prix. Dans un deuxième temps, les sanctions infligées à Moscou au lendemain de l’invasion de l’Ukraine ont eu cet effet collatéral non désiré. À quelques exceptions près, les bons esprits ont laissé dans l’ombre un fait aggravant : l’abandon du nucléaire décidé par Angela Merkel au lendemain de Fukushima. L’ancienne chancelière a pris la mesure « fétiche » de la tribu écologiste. Par conviction peut-être, mais plus sûrement encore pour la raison triviale que, sans cela, l’Allemagne aurait dû accepter le leadership français après le refus de Paris de donner la prépondérance à Siemens pour les centrales du futur [1] !
On ne fait pas tourner l’industrie allemande avec l’éolien
Désormais, l’Allemagne est tributaire du charbon américain et du gaz russe, les « renouvelables » ne pouvant offrir une ressource de substitution importante et stable – on ne fait pas tourner les usines avec des éoliennes ! Au-delà de l’épisode de la double crise énergétique et géopolitique, le déclin relatif de l’Allemagne ouvre la question essentielle du bien-fondé de son modèle économique « mercantiliste » impliquant que les exportations soient constamment supérieures aux importations.
Ce modèle s’est affirmé à la faveur des deux changements majeurs qu’ont été la mondialisation commerciale et l’introduction de la monnaie unique en Europe. Le premier a été pris en compte par Berlin qui a soutenu la compétitivité nationale, d’abord par des réformes du marché du travail qui ont abaissé les coûts unitaires de 15 %, ensuite par des délocalisations préférentielles dans les pays d’Europe centrale à moindre prix. Soulignons au passage l’opposition entre les entreprises allemandes qui ont protégé autant qu’elles le pouvaient les sites de production nationaux et leurs homologues françaises qui, par leur politique de délocalisation tous azimuts, ont agi comme si elles étaient « hors sol [2] ».
L’introduction de la monnaie unique, sous l’impulsion paradoxale de la France, a eu cette conséquence logique d’offrir une position dominante à l’industrie allemande en Europe. Dès lors que ses partenaires dans la zone n’avaient plus la faculté de dévaluer pour rétablir leur compétitivité externe, les excédents allemands se sont maintenus, voire accentués, atteignant 40 milliards d’euros vis-à-vis de la France.
Ce déclin, relatif, était déjà entamé
Les choix des dirigeants politiques et économiques de l’Allemagne s’avéraient on ne peut plus heureux. Cela, tant qu’on se situait dans une optique de moyen terme, l’horizon temporel de la réflexion des dirigeants. Mais l’Allemagne a, comme nous-mêmes, sous-estimé les effets de long et de très long terme. La Chine et les pays d’Asie n’étaient pas voués à produire indéfiniment des biens à basse valeur ajoutée, comme le voulait la vulgate économique puérile des dévots de la mondialisation, dans le cadre d’un partage immuable des tâches avec les Occidentaux. Ces pays, déjà largement bénéficiaires des délocalisations d’entreprises occidentales, ont commencé à produire sur une échelle importante des biens manufacturés jadis importés de l’Occident. La position de l’Allemagne s’est ainsi effritée. Son déclin relatif s’inscrit d’ailleurs dans le cadre d’une Europe qui affiche depuis vingt-deux mois déjà un déficit commercial croissant. Le préjugé de supériorité technique et économique occidentale est tombé et le modèle mercantiliste allemand semble révolu.
Le moment paraît ainsi venu d’un nouveau diagnostic laissant la place à des solutions dites de « souveraineté », qui permettraient de relocaliser nombre de productions exilées dans les pays lointains. Qui osera cependant poser ce diagnostic, qui lancera le projet de « souveraineté » ? Telle est la question.
Toutefois, avant de nous projeter vers un nouveau monde économique, nous devons identifier le risque à très court terme, né de la crise énergétique, qui touche l’Europe infiniment plus que l’Amérique du Nord. Sans le gaz russe, nous risquons une véritable paralysie économique. Un propos résume l’affaire : le patron de BASF, le plus grand producteur chimique mondial avec l’Américain DuPont de Nemours, a affirmé que, s’il ne disposait plus du gaz russe, il n’aurait qu’à déposer son bilan.
Il faudrait donc que les dirigeants européens mangent leur chapeau en renonçant aux sanctions proprement économiques voire, mieux encore, comme les y invite l’ancien chancelier Schröder, en mettant en service le gazoduc Nord Stream 2. Pour l’instant, les propos du président français comme ceux du président du Medef ou du ministre de l’Économie allemand ne le laissent pas présager. Au nom d’un idéal politique, ils appellent au sacrifice des populations, sans se soucier le moins du monde de leur avis. Mais ils ne voient pas qu’au-delà des sacrifices, c’est l’édifice européen et la viabilité de l’euro qui sont désormais en question. Ils ne voient pas la contradiction entre l’engagement contre la Russie aux côtés de Londres et de Washington, et l’engagement européen proprement dit, entre l’interventionnisme occidental de caractère moral et la préservation économique et politique du système européen. Il leur reste quelques semaines pour réviser leur copie et changer de trajectoire.
[1] Voir l’entretien donné par Jean-Michel Quatrepoint au Figaro en date du 3 juin dernier.
[2] Le déficit commercial de la France n’a cessé de s’aggraver, malgré Airbus et les exportations d’armement. Il se situe, en tendance, à 120 milliards d’euros annuels.
Pendant que le gouvernement glose à n’en plus finir sur les déplacements d’une équipe de football, un nouveau scandale pénitentiaire passe inaperçu. Mais de quoi s’occupent nos ministres?
De quoi s’occupent les ministres ? Cette interrogation est légitime.
La ministre des Sports – apparemment, elle n’a rien de plus urgent à faire ! – semonce Christophe Galtier pour son ironie sur le « char à voile » en réponse à la polémique sur le jet privé ayant ramené le PSG de Nantes à Paris, blague qui a suscité le fou rire de Kylian Mbappé. Le comble du ridicule n’est pas encore atteint car je ne doute pas qu’on aura d’autres occasions pour se moquer d’une certaine manière d’appréhender l’écologie, nouvel Évangile, totalitarisme d’aujourd’hui. D’autres ministres, moutons de Panurge, ont pris le relais, feignant d’avoir été choqués, l’esprit de sérieux en bandoulière, et la Première ministre a cru bon, comme à l’école, d’inciter les footballeurs à prendre conscience de la cause de la planète. Interdit de rire alors qu’on en a encore le droit. Pour combien de temps ? J’admets bien volontiers qu’on ne pouvait pas demander à cette ministre des Sports, tellement obéissante et conformiste, de se pencher sur les convois présidentiels et l’usage du jet ski à Brégançon. Jean-Luc Mélenchon a eu droit, lui, à sa critique pour la location d’un 4×4 à Lille.
Je ne m’interdis pas de juger ces controverses dérisoires par rapport à la multitude des vrais et souvent angoissants problèmes que la France subit et encore davantage demain. On me répondra que le réchauffement climatique et l’émission de CO2 relèvent de cette catégorie. Même si nous en étions sûrs, il ne me semble pas que l’urgence soit requise sur le même mode.
Certes les ministres, même en leur prêtant une lucidité remarquable pour savoir hiérarchiser ce qui doit être accompli vite, ce qui peut attendre et ce qui ne mérite même pas d’être évoqué, n’ont évidemment pas le temps ni l’envie de prendre en charge tout ce qui affecte, émeut ou indigne la France.
Pourtant la multitude des tweets dont Gérald Darmanin nous inonde à chaque fois que l’insécurité se manifeste, que les attaques de policiers se multiplient et qu’à l’évidence sa politique de fermeté relative est mise en échec, démontre que ce ministre n’est pas indifférent aux malheurs, aux tragédies et à l’ensauvagement de notre pays. C’est déjà beaucoup que de ne pas faire comme s’ils n’existaient pas.
Le fiasco de l’exécution des peines judiciaires
Il ne faut surtout pas justifier l’abstention politique au prétexte d’une indépendance qui devrait être laissée à tous les responsables de terrain ou de justice. L’indépendance comme un bouclier et non pas une exigence dont il convient de contrôler le bon exercice ! Faisant référence à la Justice, ces derniers jours la France a été stupéfiée par la démonstration renouvelée que l’exécution des peines, et notamment des sanctions criminelles, est un terrifiant fiasco, et parfois un scandale absolu.
Un jeune homme – il est âgé de 17 ans – assassine, en 2012, un adolescent de 14 ans pour voir l’effet qu’engendre le fait de tuer quelqu’un. Il est condamné en 2014 par une cour d’assises des mineurs à 22 ans de réclusion criminelle et il a droit à sa première permission de sortie en août de cette année, soit 11 ans après le début de son incarcération. Il ne réintègre pas la prison à la date prévue et durant sa période de liberté, il agresse gravement un chauffeur de taxi en lui portant un coup de cutter et des coups de poing. Il a été interpellé peu de temps après.
Je néglige la réaction de l’un de ses avocats qui, selon la langue de bois du barreau traditionnel, estime que « pour éteindre toute polémique, la décision du juge d’application des peines de donner une permission de sortie semble très légitime à mi-peine. Cela va dans le sens de la réinsertion ». On cauchemarde ! Je comprends que la famille du jeune garçon assassiné en 2012 se dise « écœurée ». Quel type de réinsertion peut-on espérer, sinon une réinscription dans le crime, avec ces modalités tenant à la fois à l’acte et à la personnalité, qui vont entraîner de manière quasiment inéluctable une nouvelle horreur ? À mon avis, s’il avait accepté de questionner, pour le futur, des pratiques judiciaires funestes à partir de cet exemple déplorable, le garde des Sceaux aurait été dans son rôle, dans sa définition la plus noble. On ne l’a pas entendu.
Le poncif de la souffrance du prisonnier
Il aurait fallu le Nicolas Sarkozy de la grande époque – ministre de l’Intérieur ou président (dans sa vision pénale) – pour que soit proposée, sans provocation, la mesure suivante : interdire, pour les crimes de sang, toute sortie anticipée, même temporaire : on a constaté les conséquences de la volonté « humaniste » de favoriser la réinsertion ; sans se soucier de l’essentiel : du condamné et du crime commis. La libération, ce sera à la fin de la peine. Cette rigueur nécessaire serait tout à fait compatible avec une réflexion sur la prison, son rôle, sa dignité matérielle et humaine à restaurer pour tous. On ne jouera pas aux dés la sauvegarde de la société en attendant des établissements parfaits pour se donner le droit de la défendre.
Enfin, qu’on ne m’oppose pas ce poncif qui, prenant en compte, paraît-il, la souffrance du prisonnier, imposerait de la faiblesse dans les modalités d’exécution de la sanction quand la douleur de la famille de la victime, elle, n’aura jamais de répit ! Dans l’agenda des ministres, si leur priorité était de traiter ce qui fait mal au peuple, ce qui l’empêche de bien vivre, leurs préoccupations seraient bousculées, bouleversées et on aurait le sentiment de politiques à notre écoute, à notre chevet, seulement obsédés par notre bonheur.
Ce serait de la naïveté ? Il n’y a pas de dirigeants ou d’opposants honorables sans cet altruisme démocratique. Maintenant ou demain.
Dans les remous de l’affaire Denis Baupin, après avoir beaucoup pleuré sur tous les plateaux télé, Sandrine Rousseau, militante et responsable au sein d’EELV, quitte le parti en 2017. Elle semble alors résignée à vivre dans l’anonymat, loin de ses ex-collègues, à l’abri du virilisme, de la masculinité toxique, des méchants qui possèdent une voiture diesel et des salauds qui mangent des entrecôtes. Mais, après trois années d’intenses réflexions et de prometteuses expérimentations déconstructives sur son mari, Sandrine Rousseau reprend sa carte à EELV, se présente à la primaire des Verts et est battue de très peu par Yannick Jadot.
Le Surmoi de Dame Rousseau
Requinquée par cette simili-victoire, elle décide alors de faire sauter les faibles contreforts d’un surmoi déjà très entamé. Ses dernières vacances ont été consacrées au déblayage des quelques gravats qui traînaient encore sur ce chantier de démolition psychique. La rentrée politique de Dame Rousseau démarre par conséquent sur les chapeaux de roue et de la manière la plus foutraque et la plus consternante : un livre maigrelet et répétitif pour accuser les hommes et l’Occident de tous les maux, une réflexion azimutée sur le barbecue qui serait un « symbole de virilité », la dénonciation d’un compte parodique sur Twitter qui serait piloté par « l’extrême-droite » pour la « cyber-harceler », des propositions d’encadrement sévère de la caricature et de l’humour qui ne serviraient qu’à « maintenir la hiérarchie sociale, parce que cette hiérarchie sociale, elle est importante pour réaliser le profit et la croissance. » Visiblement, il n’y pas que le couvercle du surmoi qui est parti à la benne.
Sandrine Rousseau peut compter sur des soutiens de poids, presque aussi risibles qu’elle. Clémentine Autain la suit de près dans cette quête d’un monde débarrassé d’à peu près tout ce qui peut le rendre plus chaleureux et humain. Les hommes mangent plus de viande que les femmes et « les personnes qui décident de devenir végétariennes sont majoritairement des femmes » ? Un seul moyen, d’après elle, pour rectifier le tir et « aller vers l’égalité » : « il faut s’attaquer au virilisme ». De son côté, le topinambourin Julien Bayou, après avoir proposé d’interdire les piscines et les jets privés, dénonce « une approche genrée des comportements alimentaires ». Quant au brocolique Aymeric Caron, il continue de crier haro sur ceux qu’il appelle « les viandales », de préconiser la baisse drastique, voire l’arrêt total de la production de viande en s’appuyant sur le rapport du GIEC, le petit livre rouge des Verts, et se réjouit de la décision du cucurbitacesque maire de Grenoble de ne plus servir que des menus végétariens dans les écoles primaires de sa ville et de la viande ou du poisson uniquement à la demande expresse des parents d’élèves. Enfin, le journal Libération décrit l’enfer viriliste de « l’Homme (sic) devant son barbecue, remuant une saucisse comme s’il s’agissait du saint Graal, […] déposant triomphalement son entrecôte saignante sur la table familiale avec la satisfaction du devoir accompli ». On voit par-là que l’abus de légumineux peut provoquer de sérieux effets indésirables : somnolence intellectuelle, désorientation, vomissements graphomaniaques, vertiges, éréthisme cérébral, convulsions linguistiques, excitation nerveuse, prurit neuronal, nausées, etc.
Faut-il arrêter de se moquer de Sandrine Rousseau ?
Aussi brutale puisse-t-elle paraître, une question doit quand même être posée : Sandrine Rousseau est-elle bête ou feint-elle la bêtise ? Après tout, Mme Rousseau a peut-être décidé de faire semblant d’être bête afin de se permettre des outrances attirant forcément les projecteurs médiatiques. Le résultat n’est pas mauvais. Mais les déclarations loufoques et les tweets délirants se succèdent et nous devons nous résigner à envisager la moins bienveillante de ces deux options. Mme Rousseau n’est d’ailleurs pas la seule, parmi les représentants de la Nupes, à montrer les signes d’une apathie intellectuelle que les spécialistes de la chose disent parfois confondre avec la crétinerie, et une absence d’humour que seul un manque d’intelligence explique, disent les mêmes experts.
Nous nous vengeons de cette bêtise, réelle ou feinte, en nous moquant et de la personne et de l’idéologie politique que cette dernière promeut si lourdement. Le rire devient alors un moyen de défense, une arme facétieuse remplaçant efficacement le trop brutal et pourtant mérité coup de pied aux fesses. Grâce à Bergson nous pouvons dire que le rire que provoque Mme Rousseau est « avant tout, une correction. Fait pour humilier, il doit donner à la personne qui en est l’objet une impression pénible(1) ». Oui, l’objet du rire peut se sentir humilié ; surtout s’il manque d’humour. Cherchant alors maladroitement à dénoncer un trait d’esprit dont il est la cible, il se prend les pieds dans son esprit de sérieux et finit, ridicule, sous une nouvelle risée : « Celui qui ne sait point recourir à propos à la plaisanterie, et qui manque de souplesse dans l’esprit, se trouve très souvent placé entre la nécessité d’être faux ou d’être pédant.[…] C’est la plaisanterie qui doit faire justice de tous les travers des hommes et de la société. C’est par elle qu’on évite de se compromettre. C’est elle qui atteste notre supériorité sur les choses et les personnes dont nous nous moquons, sans que les personnes puissent s’en offenser, à moins qu’elles ne manquent de gaieté ou de mœurs(2) ».
Une représentante des offensés professionnels
Dans un monde imparfait et qui le restera, au milieu des catastrophes qui ont eu lieu et de celles qui, immanquablement, surviendront, le rire sauve l’homme et atteste son humanité. Mais on ne fait pas rire avec de bons sentiments : nous rions du quidam qui s’étale de tout son long sur le trottoir verglacé, du député qui débite sérieusement des âneries à la télévision, du distrait qui se cogne à un poteau, de Guillaume Meurice qui se prend pour Desproges. Nous rions des situations les plus éprouvantes et les plus monstrueuses, pour ne pas sombrer dans la mélancolie ; nous rions des préjugés péjoratifs nous concernant (individu ou groupe), pour en atténuer les effets délétères. L’humour issu des camps nazis ou soviétiques, des ghettos juifs, des régimes totalitaires, évoque avec volubilité les horreurs qui hantent les nuits d’insomnie pour en chasser momentanément la noirceur absolue. Caustique, parodique, malicieux, ironique, cruel, noir, spirituel, l’humour était encore possible dans le temps historique et réel. Dans le monde terrifiant des écoféministes et des révolutionnaires intersectionnels, celui des offensés professionnels, celui des commissaires politiques, celui de la déréalisation totalitaire du réel, l’humour est condamné à mort, le rire doit être étouffé dans l’œuf. À la place : censure, contrôle, procès, jugement, sanction.
Sandrine Rousseau sourit en promettant des lendemains qui chantent. Mais son sourire, triste et mécanique, ressemble de plus en plus à celui des illuminés et des fanatiques, et ses oukases démentiels ne laissent que peu de doute sur son esprit obtus et totalitaire. Elle espère un monde dans lequel « tout est politique ». Elle prévoit des « transformations à opérer » pour réglementer le rire, empêcher les caricatures envers certaines personnes, corriger l’humour. Elle envisage des brigades de surveillance jusque dans les cuisines et les alcôves. Le lamentable et risible opuscule auquel elle a participé (3) a joyeusement inspiré des commentateurs badins sur le site de vente en ligne le plus fréquenté. « Très utile pour démarrer son barbecue. Prend feu rapidement », décoche l’un d’entre eux. Un autre, très déçu, use d’un efficace humour de salle de garde et annonce résolument à quelle activité hygiénique il destine les quelques 70 pages de ce « torche-cul ». Le compte parodique de Sardine Ruisseau est plus subtil, raison pour laquelle il a dépassé en nombre d’abonnés celui de Sandrine Rousseau. Cette dernière, se couvrant à nouveau de ridicule, dénonce une fantomatique fachosphère derrière tous ceux qui se moquent d’elle. Les rires redoublent.
Il ne serait pas juste que Dieu soit le seul à se rire des hommes qui se plaignent des conséquences dont ils chérissent les causes. Monsieur Mélenchon se plaignant des sirènes de police qui l’empêchent de dormir, voilà qui est drôle. Voilà un joli motif de moquerie. Se moquer de ces tristes figures, ridiculiser ces “docteurs graves” contemporains, railler ces baudruches, en gros et en détail, démolir par le rire ces cuistres, engloutir sous nos torrents de rires ces ravis de la crèche politique, est une mission de salut public. Cela demande une certaine discipline facilitée par un constat simple : tout, absolument tout ce qui fait le fonds de commerce progressisto-wokiste de ces énergumènes de foire relève de la bouffonnerie. Soyons sans pitié, écrasons sous nos avalanches de rires ces pitres. Et souvenons-nous que « le comique exige, pour produire tout son effet, quelque chose comme une anesthésie momentanée du cœur. Il s’adresse à l’intelligence pure(1). »
L’offensive ukrainienne à Kharkiv est une initiative ambitieuse, probablement destinée à envelopper Izioum et à piéger les forces russes déployées dans le secteur. Elle cherche vraisemblablement à couper les lignes de communication terrestres à Koupiansk, nœud logistique important des forces russes de la région du nord Donbass. La rivière Oskil, à l’est d’Izioum, comme le Dniepr au Sud et à l’Est de Kherson, crée une poche vulnérable pour les unités déployées sur la rive droite (à l’ouest) et donc adossées à un obstacle non négligeable.
En 48 heures, cette offensive, faisant bon usage des blindés coordonnés avec l’infanterie, aurait réalisé des gains substantiels, plaçant les forces russes dans une position difficile. Les forces russes, de moindre qualité, semblent avoir été éparpillées sur le front, et non préparées à encaisser un tel choc – notamment les Rosgvardia, la garde nationale de la Fédération de Russie. Elles ont probablement été prises par surprise. Il est toutefois difficile de savoir si les Russes ont sous la main des réserves disponibles à proximité de Koupiansk pour couper l’élan de l’attaque à Kharkiv, envoyer des renforts et empêcher l’encerclement de certaines unités.
Quoi qu’il en soit, le fait que les Russes aient été obligés de confier pareil secteur du front à des Rosgvardia (des miliciens qui connaissent les rudiments du métier du fantassin, mais qui sont incapables de mener un combat interarmes avec des éléments intégrés de blindés, d’artillerie, du génie et de l’aviation), suggère que l’armée russe manque cruellement d’unités de qualité et surtout bien entrainées.
Dans une guerre, en règle générale, le niveau technologique d’une armée est bien moins déterminant que son niveau de formation, d’entrainement et la qualité de l’encadrement. On peut ainsi voir des unités russes de volontaires mal entrainées, mal organisées dans le 3e corps d’armée, qui sont paradoxalement dotées des chars les plus modernes de l’arsenal russe ! À cette dépendance à l’égard d’unités de moindre qualité s’ajoute la difficulté à effectuer une rotation des unités sur le front, et à retenir le personnel expérimenté en fin de contrat (souvent de six mois). Ainsi, on peut estimer que l’Etat-major russe a désormais donné la priorité au front sud (Kherson et Zaporijia), et que c’est là que s’y déploient ses meilleures troupes. Avec les conséquences que l’on peut imaginer sur les autres secteurs. Les Ukrainiens souffrent sans doute de problèmes équivalents (un récent reportage du Washington Post sur les blessés ukrainiens de l’offensive de Kherson exposait d’ailleurs crument les lacunes ukrainiennes), mais ils semblent dernièrement démontrer une capacité à trouver des solutions plus efficaces. Kiev fait preuve de plus de souplesse et d’imagination, et exploite habilement des faiblesses repérées chez les Russes.
Cependant, malgré le succès de cette percée ukrainienne au sud de Kharkiv, l’affaire est loin d’être pliée, les Russes continuant à disposer de moyens importants leur permettant de geler le front. Mais, le plus important à retenir, c’est que l’Ukraine a l’initiative, et qu’elle démontre qu’elle est capable à la fois de surprendre et de mener deux efforts importants en même temps.
🔥🔥🔥Les ukrainiens ont élargi le front et sont maintenant à quelques Kms seulement du centre de #Koupiansk 😱Tout le nord du front russe est en train de se faire prendre à revers, et Poutine n’a PLUS PERSONNE pour arrêter la contre-attaque ukrainienne !!! #KharkivOffensivepic.twitter.com/rS2A2YPyyS
Buckingham Palace a annoncé ce soir que la reine Elisabeth II était décédée, dans son château de Balmoral, cet après-midi. Le jubilé de platine de la reine d’Angleterre avait été un évènement médiatique planétaire. Si à 96 ans Elizabeth II suscitait toujours tant d’enthousiasme, c’est parce que ses qualités personnelles étaient en phase avec sa charge de monarque. Et de son trône, elle perpétuait des traditions immémoriales.
C’est une petite dame âgée, les cheveux blancs impeccablement bouclés, vêtue d’un manteau et d’une robe assortis, du même bleu pigeon clair et doux. Assise sur une banquette devant une fenêtre, elle se penche un peu en avant, les épaules légèrement voûtées, comme si, à la fragilité naturelle de ses 96 années, elle opposait une vitalité discrète. La même énergie se retrouve dans son sourire qui, sans être radieux, exprime une bienveillance aussi sincère que mesurée.
Her Majesty The Queen, the first Monarch in British history to celebrate a Platinum Jubilee.
To mark the beginning of the #PlatinumJubilee Celebration Weekend, a new portrait of The Queen has been released.
Le portrait officiel de Sa Majesté pour son jubilé de platine est le plus récent d’une longue série qui a été inaugurée par une photographie prise peu après sa naissance en 1926. Les traits de la Reine, sous une forme idéalisée, se propagent depuis 1952, année de son accession au trône, sur les pièces de monnaie, les billets de banque et les timbres-poste où ils incarnent l’autorité et la fiabilité d’un État dont elle est le chef nominal et le garant emblématique. Le contraste entre les portraits de la personne et ces effigies intemporalisées fournit la meilleure illustration des deux corps du roi, notion brillamment analysée dans le célèbre livre d’Ernst Kantorowicz de 1957. D’un côté, le corps humain, mortel ; de l’autre, le corps politique que le premier matérialise, autrement dit, le royaume pérenne, avec ses sujets et ses institutions, qui doit survivre à la mort de tel ou tel souverain. Lors des célébrations de ce jubilé, on a souvent entendu des gens dire d’Elizabeth II : « Elle est formidable ! » Mais en quoi l’est-elle ? Si elle n’avait pas été Reine, elle aurait peut-être fait une excellente infirmière et aurait pu être décorée pour son dévouement par quelque autre monarque britannique. Ce qui la rend formidable, plus que son caractère en soi, c’est cette coïncidence parfaite, chez elle, entre les deux corps : entre la personne qu’elle est et la fonction qu’elle remplit. En cela, elle rejoint les grands monarques de l’histoire : le Français, Louis XIV (le seul à avoir régné plus longtemps qu’elle), l’Autrichien, Franz-Joseph, et sa propre aïeule, Victoria. Quel est le secret de cette alchimie si particulière entre la personnalité fidèle, stoïque et pourtant empathique de la Reine et notre besoin de voir le pouvoir s’incarner en un individu ? La réponse nécessite une plongée dans les profondeurs les plus archaïques de notre psyché collective, plongée en cinq tableaux.
1) Bébés
Quand elle monte sur le trône, à l’âge de 25 ans, elle est déjà mère de deux enfants. Elle aura encore deux garçons, à 33 et à 37 ans. Un grand nombre de femmes (comme celle ayant porté l’auteur de ces lignes) qui deviennent mère pendant ces années-là s’identifient à leur Reine. Cette association entre la personne d’Elizabeth II et la procréation est lourde de sens. Depuis toujours, les maisons royales sont obsédées par la lignée et la question vitale de savoir si la succession est assurée. Henry VIII a lancé la Réforme en Angleterre et épousé six femmes (il en a fait décapiter deux) dans sa recherche d’un héritier mâle. En effet, la continuité royale implique la continuité du royaume et, sur un plan symbolique, de ses sujets. Au-delà des questions de lignée, tout le rituel qui entoure les naissances royales – jusqu’à l’exhibition publique du nouveau-né et, à notre époque, les ventes impressionnantes de tasses commémoratives à l’effigie des parents et leur bébé – met en scène l’origine et la survie de notre espèce dans et par l’acte de reproduction. N’en déplaise aux théoriciens du genre, la royauté nous ramène aux fondamentaux : un homme, une femme et un accouplement hétérosexuel. Le symbolisme profond reliant la Reine en tant que mère et son peuple se concrétise de façon frappante. Selon une pratique consacrée, les couples royaux montrent leur nouveau bébé sur un balcon devant une foule en délire. Or, par un effet de miroir, lors des promenades publiques de la Reine, les parents roturiers tiennent leurs propres petits en l’air, pour qu’ils puissent voir leur monarque et être vus par lui. D’ailleurs, Elizabeth II a une affinité particulière avec les enfants qui l’adorent et jouissent d’un accès privilégié pour lui offrir des bouquets de fleurs.
Avec la Reine Victoria, une autre préoccupation s’ajoute à celle de la procréation : le besoin d’une famille heureuse. Elle-même enfant comblée de parents aimants, Elizabeth II a réussi à incarner l’épouse fidèle et la mère fertile. À la différence de sa sœur cadette, Margaret, plus « glamour », Elizabeth a toujours eu une image plus maternelle qu’érotique. Pourtant, en tant que mère, elle a dû encaisser des déceptions amères. De ses quatre enfants, trois ont divorcé sous le feu impitoyable des médias. Les scandales sexuels concernant la princesse Diana, dont les détails des ébats extra et post-maritaux ont été ébruités dans la presse tabloïde, et le prince Andrew, impliqué de manière glauque dans l’affaire Epstein, ont dû lui faire beaucoup de peine. Toujours stoïque, elle n’a jamais rien révélé publiquement de ses sentiments. Et elle a de quoi se consoler : sa progéniture comprend actuellement huit petits-enfants. Cette préoccupation de la naissance conduit inévitablement, à travers le cycle de la vie, à la mort. Au cours d’une longue existence, la Reine a souvent été en deuil. Son père adoré, George VI, est mort à l’âge de 56 ans. Sa belle-fille, Diana, est morte de manière tragique en 1997. En 2002, elle perd sa sœur, dont elle a été très proche, à l’âge de 71 ans et, un mois plus tard, sa mère, jusque-là apparemment immortelle, à 101 ans. Enfin, en 2021, c’est son époux depuis 73 ans, le prince Philip, dont elle était tombée amoureuse à l’âge de 13 ans, qui est emporté à 99 ans. L’image de la Reine, contrainte par la pandémie de s’asseoir seule pendant les funérailles de son mari, a fait le tour du monde. Selon l’archevêque de Cantorbéry, le secret de cette dignité dans la souffrance réside dans le refus de la Reine de s’apitoyer sur elle-même. Ainsi, à chaque étape du cycle humain, elle est là devant nous, pour nous rappeler – de manière royale – l’origine et la fin de la vie, avec en prime, une démonstration de la meilleure manière d’y faire face.
2) Chiens, chevaux et chasse
Que fait la Reine quand elle n’est pas accaparée par ses devoirs officiels ? Comme la plupart de ses ancêtres, ce n’est pas une intellectuelle. Elle préfère de loin des activités de plein air. Lorsqu’elle n’est pas tirée à quatre épingles, elle s’habille pour la ferme ou la chasse. Elle adore les chiens – surtout ses corgis et dorgis favoris – et les chevaux, qu’elle montait autrefois et sur lesquels elle continue à parier, car elle possède des écuries où elle élève des pur-sang. Selon la tradition royale, elle est attachée à la ruralité, tirant une partie de ses revenus de l’exploitation des terres. Elle adore la chasse sous toutes ses formes, surtout la traque des cerfs et le tir au faisan ou au tétras. À travers l’histoire, la chasse a toujours été une des activités par excellence des souverains. En anglais, elle s’appelle le « sport des rois », terme qui aujourd’hui désigne aussi les courses hippiques, devenues une version sublimée de la chasse à courre – surtout depuis que la chasse au renard a été interdite sous Tony Blair en 2004. Si la Reine s’adonne à ces passions typiquement royales, c’est que la royauté nous ramène encore à nos origines. Car la chasse, au-delà de son aspect utilitaire, nous rappelle une époque lointaine qui a précédé l’invention des savoirs livresques, une époque où l’homme devait sa survie à sa capacité à risquer sa vie et à faire preuve d’habileté et de ruse. La chasse est ainsi une mise en scène symbolique de notre nature biologique. Le philosophe espagnol Ortega y Gasset y voit « une humiliation consciente et comme religieuse de l’homme qui limite sa supériorité et se rabaisse vers l’animal. » On dit : qui veut faire l’ange fait la bête. Les puissants de notre monde, apparemment plus proches des anges, nous rappellent que nous sommes tous des bêtes – salutaire leçon.
La Reine, comme ses prédécesseurs, est le chef des forces armées du Royaume-Uni. Si ce rôle est aujourd’hui nominal – le dernier roi anglais à mener ses hommes au combat a été George II en 1743 –, ce titre honorifique nous renvoie encore une fois à une lointaine époque tribale où le roi était un chef de guerre. Aujourd’hui, les rites guerriers du trône sont largement sublimés, surtout dans un des événements du calendrier royal que la Reine a toujours apprécié le plus, le Salut aux couleurs (Trooping the Colour). Il intervient le deuxième samedi de juin et marque l’anniversaire officiel du monarque. Le véritable anniversaire de la Reine tombe le 21 avril : encore un dédoublement du corps royal. Il s’agit d’une grande parade, à laquelle participent tous les régiments de gardes de la Household Division, dont la Reine est le colonel en chef. Tant qu’elle en était capable, elle recevait cet hommage en uniforme et à cheval. Cavalière émérite, elle montait en amazone pour l’occasion, gardant une maîtrise parfaite, même quand, en 1981, un spectateur a tiré à blanc sur elle. Les dictateurs modernes font défiler leurs missiles phalliques dernier cri ; Elizabeth II passe en revue des soldats portant des tenues d’un autre âge. Mais derrière les fanfares, les parures et la chorégraphie, il y a une réalité militaire qui n’est jamais demeurée étrangère à la Reine. Elle a porté l’uniforme pendant la guerre de 1939-1940 comme conducteur et mécanicien, tandis que son futur mari servait dans la marine. Son fils Andrew, pilote d’hélicoptère naval, a participé à des missions lors de la guerre des Malouines, et son petit-fils, Harry, a servi dans l’armée en Afghanistan. Ses régiments de gardes servent partout où les forces britanniques sont appelées. C’est la Reine qui décore ces soldats, ainsi que les autres militaires, quand ils reviennent – ou non – après le combat. Les plus hautes décorations sont la croix de Victoria et la croix de George. 2009 a vu la création de sa propre médaille, la croix d’Elizabeth. Elle est décernée au plus proche parent d’un militaire tué à la guerre ou dans un attentat terroriste. C’est typique d’une souveraine qui ne veut oublier aucun sacrifice fait par ses sujets.
Les joyaux de la Reine, autrement dit la tenue de sacre des monarques britanniques, comportent de nombreuses pièces qui sont serties de 23 578 pierres précieuses. L’objet central est la couronne de saint Édouard le Confesseur, le roi anglais qui a légué son royaume au futur Guillaume le Conquérant. L’original a été détruit par le régicide républicain, Cromwell, et une nouvelle copie a été réalisée pour le couronnement de Charles II en 1661. Portée par le monarque pendant une partie du sacre, elle pèse très lourd – 2,23 kilos. Avant son couronnement, Elizabeth II s’est entraînée à la porter quand elle écrivait des lettres. Cette couronne résume la fonction principale de la Reine qui est de décharger les politiques du poids de la plupart des rôles symboliques de l’État, poids que, contrairement à la Reine, ils sont mal préparés à supporter. Selon la terminologie du célèbre livre sur la constitution britannique publié en 1867 par Walter Bagehot, le monarque représente la partie majestueuse (dignified) de l’État, et les politiques la partie agissante (efficient). Pour impressionner, l’État a besoin d’exhiber sa richesse et de donner une apparence de pérennité. Les atours qui sont nécessaires à cette fin ont été définis à l’époque de l’art baroque : il faut un certain degré d’excès dans les vêtements, les palais et les rituels. Les politiques élus, comme d’ailleurs les despotes, ont quelque chose de trop intéressé et impermanent pour incarner la majesté de l’État de manière convaincante. Les devoirs de la Reine consistent à nommer le Premier ministre, qui est toujours le chef du parti majoritaire aux Communes ; ouvrir la session du Parlement par un discours écrit par son gouvernement ; approuver les lois votées par les élus ; et avoir un entretien confidentiel une fois par semaine avec son Premier ministre où son influence doit se limiter, selon les termes de Bagehot, à être consultée, à encourager et à avertir.
Dans ces rôles, Elizabeth II a toujours été parfaite. Qu’elle soit vêtue de tenues d’apparat ou de ses tenues de ville de couleur vive (pour qu’elle soit bien visible), son comportement physique est majestueux. Au cours de son règne, elle a travaillé inlassablement sur le plan diplomatique, ayant accueilli 112 visites de chefs d’État et fait plus de 150 voyages officiels dans plus de 100 pays. Sur le plan politique, elle a fait preuve d’une réserve admirable. Pourtant, elle a œuvré pour le bien dans les coulisses. Chef du Commonwealth, qui regroupe 56 nations, elle a obligé son gouvernement à en reconnaître l’importance.
Dans les années 1980, elle a discrètement soutenu le mouvement pour mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud. Cette année, elle a soutenu l’Ukraine par un don généreux aux réfugiés et son refus de prêter des pièces de ses collections à une exposition au Kremlin. Lors de la cérémonie d’ouverture du Parlement, la porte de la Chambre des communes est fermée au nez du représentant du monarque, rappel de la tentative de Charles Ier de faire arrêter des députés en 1642. Simultanément, les gardes royaux fouillent dans les caves du bâtiment en souvenir de la conspiration des Poudres contre Jacques Ier en 1605. Pendant que le souverain lit son discours dans la Chambre des lords, un représentant des élus est même gardé « en otage » au palais de Buckingham. Ces reliques symboliques des luttes historiques entre la Couronne et le Parlement ont pour fonction de nous rappeler que la démocratie moderne n’est pas tombée du ciel un beau jour, mais qu’elle a émergé petit à petit d’un très ancien système monarchique. En plus de la couronne, c’est tout le poids de l’histoire que Sa Majesté porte si admirablement sur ses épaules.
En dehors du domaine politique, c’est dans celui de la bienfaisance que la Reine s’est toujours dévouée. Elle est marraine de plus de 500 organisations charitables et associations bénévoles. On calcule qu’elle a aidé à recueillir plus de 1,6 milliard d’euros. Ce dévouement est encore une version moderne d’un rôle archaïque, celui de guérisseur, que Marc Bloch a étudié dans son grand livre de 1924, Les Rois thaumaturges. Le souverain anglais, comme son homologue français, était censé détenir le pouvoir de guérir les écrouelles par le toucher et le don d’une pièce d’or. Ce pouvoir est évoqué dans le Macbeth de Shakespeare où l’on apprend du roi anglais que « dès qu’il touche [les malades], telle est la vertu sainte dont le ciel a doué sa main, qu’ils guérissent à l’instant ». S’il est difficile à notre époque d’accomplir de tels miracles, la Reine a su, par son exemple, galvaniser l’esprit de charité dans son peuple et, par sa parole, lui apporter consolation et encouragement moral. L’archevêque de Cantorbéry raconte un déjeuner officiel avec la Reine où, parmi les invités, il y avait une réfugiée qui venait d’échapper au génocide rwandais. Après le repas, la Reine est restée parler avec elle pendant vingt minutes. Que lui a-t-elle dit ? S’est-elle surtout contentée d’écouter ? Tout ce que nous savons, c’est que, selon le prélat, l’effet curatif sur cette personne en détresse a été extraordinaire. Cette parole est compassionnelle à condition de rester mesurée. Tout le monde se souvient de l’allocution télévisée, tout en retenue, de la Reine du 5 avril 2020, au moment le plus noir de la pandémie. Il est vrai qu’elle a de l’expérience dans ce genre de miracle : elle a prononcé son premier discours radiodiffusé en 1940, à l’âge de 14 ans, dans une émission pour enfants de la BBC.
Dieu sauvera la Reine
Certes, la Reine a connu des revers au cours de son règne ; elle les a traversés sous une pression médiatique qu’aucun de ses prédécesseurs n’a connue. Son statut institutionnel s’est affaibli avec la disparition des restes de l’Empire britannique. Souveraine de 31 nations en 1952, elle l’est seulement de 14 aujourd’hui. En 1992, elle a connu son « annus horribilis » : après des scandales maritaux impliquant ses enfants, le château de Windsor a été endommagé dans un incendie. Avec la mort de Diana, en 1997, elle a mal jugé l’humeur nationale, son stoïcisme personnel l’empêchant pour une fois de voir que le peuple avait besoin d’une plus grande démonstration d’empathie. Elle a été critiquée pour sa fortune. En 1992, elle a pris la décision, contre l’avis du Premier ministre, de payer des impôts. Toutes ses propriétés (sauf les palais de Balmoral et de Sandingham) et toutes ses collections d’art ne lui appartiennent pas, mais sont détenues en fiducie. La Reine est donc plus la propriété de la nation que propriétaire. Il est difficile de réconcilier les deux corps, mais elle y parvient, par sa foi chrétienne (elle est le gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre) et aussi par un humour espiègle. Un jour qu’elle se disputait au téléphone avec sa mère, cette dernière s’est exclamée : « Tu te prends pour qui ? » Elle lui aurait rétorqué : « Pour la Reine, maman, pour la Reine. » Dans Richard II de Shakespeare, le roi, ayant perdu tous les attributs de son pouvoir royal, demande un miroir pour voir ce qui reste de lui sur le plan physique, avant de le briser. Quand nous regardons ce portrait récent d’Elizabeth II, assise dans le plus ancien château royal, celui de Windsor, avec sa bague de fiançailles et le collier de perles que son père lui a donné pour son mariage bien en évidence, nous savons que le corps de cette femme, si fidèle à tous les égards, sera un jour séparé de cette majesté qu’elle a toujours si bien incarnée. À ce moment-là, nous pourrons tous nous écrier : « La Reine est morte ! Vive la Reine ! »
Pour nombre d’éditorialistes et de managers, le fait d’aller au-delà de ses obligations contractuelles ne devrait plus être considéré comme du dévouement ou un engagement remarquable, mais comme un dû. Analyse.
Le management raffole des mots en anglais. Ils permettent sous des appellations ronflantes d’aligner des concepts aussi boursoufflés de prétention qu’ils sont, en général, vides de sens, ou servent à élever au rang de grandes découvertes, des épiphénomènes liés à la conjoncture.
A croire que les théoriciens de l’entreprise adorent redécouvrir l’eau tiède régulièrement et pensent qu’un anglicisme permet de faire croire à l’émergence de nouveaux rapports au travail, quand ils ne décrivent qu’une réalité triviale et convenue. Aujourd’hui le « quiet quitting » est un des nouveaux mots à la mode du management qui se voudrait éclairé.
En français, il peut se traduire par : « la démission silencieuse ». Popularisé sur les réseaux sociaux, ce terme ne signifie pourtant que faire strictement et correctement le travail inscrit sur sa fiche de poste. Ni plus, ni moins. Que cette attitude soit qualifiée de démission en dit long sur la façon dont certains considèrent le travail en entreprise… A croire que l’on entre en entreprise comme en sacerdoce. Avec une telle logique, l’analyse du quiet quitting devient une façon polie d’accuser la jeune génération de fainéantise, sans même souvent prendre le temps de regarder quels sont les métiers les plus frappés par cette épidémie.
Travail sans sens et… sans rémunération adéquate
Or quand on creuse un peu, ô surprise, ce sont souvent des métiers où les obligations et astreintes sont si lourdes qu’elles oblitèrent la vie de famille sans que le sacrifice demandé soit compensé par un prestige certain, des rémunérations élevées ou même un métier porteur de sens. On parle ici des chauffeurs routiers, des serveurs dans la restauration, des métiers de base du secteur des loisirs… Avant que l’hôpital ne soit complètement désorganisé, le métier de soignant avait énormément de sens pour ceux qui l’exerçaient, au point que malgré les difficultés, ceux-ci allaient au-delà de leurs obligations et poussaient leur métier jusqu’au dévouement. Mais plutôt que d’interroger un monde du travail dont l’organisation décourage peut-être l’engagement et des filières où l’organisation du travail a de quoi décourager les meilleures volontés, nombre d’éditorialistes fustigent une France qui perdrait le goût de l’effort. Pourtant, « corvéable à merci » n’est pas la définition du travail mais celle du servage et la façon dont la restauration traite ses petites mains explique peut-être la pénurie des vocations.
Dans un article du Point sur ce phénomène, un représentant d’une grande banque d’affaires dit naïvement ce qui est peut-être une piste à creuser : « Les jeunes embauchés ne sont plus prêts à tout subir sans rien dire. » Peut-être est-ce-là que le bât blesse, considérer que pour faire ses preuves, accepter d’être maltraité est normal. En effet, le « quiet quitting », en théorie, c’est venir et partir à l’heure, sans faire d’heures supplémentaires non payées, ne pas lire ses e-mails le week-end ni répondre aux demandes professionnelles en dehors des heures de travail. Bref c’est faire son boulot sans s’investir au-delà. Pas de quoi fouetter un chat ni justifier le terme de « démission ». En revanche l’emploi de ce terme dit beaucoup sur ce qui pousse les salariés à moins s’investir : le fait qu’aller au-delà de ses obligations contractuelles n’est pas considéré comme du dévouement ou un engagement remarquable, mais comme un dû. Or lorsque l’on veut susciter chez ses salariés un fort engagement, on commence par réfléchir à ce qui peut les motiver : la qualité de la relation au travail, comme l’intelligence de la gestion des relations humaines ou l’adaptation de l’organisation du travail peuvent rivaliser avec la question du salaire. En revanche l’avalanche de normes absurdes, de process déconnectés des réalités ou d’objectifs mal conçus peuvent avoir exactement l’effet inverse.
« Je vous paie moins, mais faites meilleur ! »
Or ces derniers temps, l’entreprise comme la fonction publique ont popularisé l’expression « faire plus avec moins », ce qui aboutit souvent dans les faits à dégrader les conditions de travail, en élevant le niveau d’exigence et en rebaptisant cela « nouveaux défis ». Pour beaucoup de salariés, le système est devenu absurde : les objectifs apparaissent déconnectés du terrain et le sentiment d’être exploité par une hiérarchie dont les attentes sont plus liées à des exigences financières qu’à une connaissance fine de la réalité a fini par décourager les équipes. L’exigence professionnelle est souvent galvanisante quand elle est au service d’une vision partagée, en revanche l’accumulation de « process » et de « reportings », le langage désincarné et standardisé du management n’aboutit souvent qu’à infantiliser le salarié et à tarir toute capacité de création. Surtout quand il demande l’adaptation à des normes absurdes dans un environnement dégradé. Déjà en 2017, une enquête d’Opinionway pour la MGEN avait montré que 90% des salariés avaient le sentiment que la souffrance au travail avait augmenté depuis 10 ans et six sur 10 s’en disaient victimes. Dans une enquête BVA sur la santé au travail, datant de 2019, 63% des personnes interrogées évoquaient un risque « d’épuisement professionnel ». Le résultat de ces enquêtes n’a pourtant interpellé que peu de monde.
Et si le quiet quitting parlait tout autant d’une société où le travail a de moins en moins de sens que de salariés qui, ayant grandi en enfants gâtés, se trouvent fort démunis quand arrive le temps de l’effort ? Et si un cynisme certain dans l’exploitation de la force de travail expliquait aussi ce résultat ? La question mérite d’être posée. Y compris à un niveau de formation élevé. C’est le cas par exemple des métiers du journalisme où la précarité fait rage et où la pige devient la nouvelle norme. Et si cela expliquait pourquoi le travail devient de plus en plus alimentaire, et est de moins en moins investi d’un rôle de formation et d’élévation des hommes ? Quand le salarié n’a plus l’impression d’appartenir à un commun ou que le seul véritable lien qui unit les équipes se fait contre des directions qui considèrent que leurs collaborateurs sont interchangeables et que « les cimetières sont pleins de personnes irremplaçables », il est normal d’accomplir correctement sa tâche, mais aussi de mesurer son effort. C’est peut-être aussi parce que l’organisation du travail est défaillante et que les managers ne cessent de recycler des théories et des process déconnectés, que les salariés prennent leurs distances et s’investissent sur ce qui les nourrit de façon immatérielle : famille, amis, passions personnelles… il se trouve que lorsqu’un dirigeant arrive à faire partager un projet collectif, il est parfois surpris de la qualité d’engagement qu’il trouve alors chez son personnel. De la même manière, à l’époque où la notion de service public était défendue, où l’intérêt général était politiquement incarné, l’engagement des fonctionnaires était fort. Aujourd’hui il régresse au fur et à mesure que les politiques comme la haute fonction publique paraissent perdre la mesure du rôle de l’Etat et ont remplacé la notion de service par celle de rendement et la notion d’intérêt général par celle d’économie ; le poisson pourrit toujours par la tête dit un proverbe chinois. Et si c’était encore une fois le cas ?
Sayyid Ata’ollah Mohajerani, qui a pondu un livre de 250 pages justifiant la fatwa contre Salman Rushdie, publié par l’état iranien, se retrouve ironiquement réfugié en Angleterre aujourd’hui…
Après la tentative d’assassinat de Salman Rushdie, le 12 août, par un Américain de famille libanaise, qui a exprimé sur les réseaux sociaux son enthousiasme pour le régime iranien, peu de politiques dans les démocraties occidentales ont eu le courage de nommer l’ennemi. La France est un des rares pays où une poignée a osé dénoncer l’« islamisme » plutôt que l’« obscurantisme » (voir l’article de Céline Pina dans le magazine de septembre, pages 28-29).
Au pays où Rushdie a grandi, le Royaume-Uni, le manque de courage politique a été frappant. Mais il y a pire encore. En 1979, un étudiant, Sayyid Ata’ollah Mohajerani, participe à la révolution iranienne qui a porté au pouvoir le régime de la République islamique. L’année suivante, il devient député et continue à servir le régime au cours de cette décennie qui voit la mise à mort de milliers d’opposants. Quand, en 1989, l’ayatollah Khomeini lance sa fatwa enjoignant à tous les musulmans d’assassiner Rushdie sans délai, c’est à Mohajerani qu’incombe la tâche de justifier cette condamnation à mort. Travaillant sans relâche, il pond un livre de 250 pages publié par l’État iranien, qui connaîtra au moins 30 réimpressions dans cinq langues. La « Critique de la conspiration des versets sataniques » prétend démontrer pourquoi le roman de Rushdie est tellement blasphématoire que son auteur mérite la mort, tandis que toute défense du livre en Occident est attribuée à un vaste complot antimusulman. Après trois ans comme ministre de la Culture et de l’Orientation islamique entre 1997 et 2000, où il acquiert une réputation de modéré, Mohajerani est contraint, en 2004, de quitter son pays pour une affaire de mœurs. Et où trouve-t-il refuge ? En Angleterre, où le gouvernement de Blair veut encourager l’opposition prétendument modérée au régime des mollahs.
Aujourd’hui, il travaille pour une université londonienne et habite un quartier résidentiel près d’une des maisons où Rushdie a été obligé de se cacher. Mohajerani n’a cessé de défendre son livre, même après l’attaque du 12 août, qu’il qualifie d’incident « tragique ». Sa justification ? Il n’a fait qu’écrire un livre.
Vendredi 26 août, à Madagascar, la sentence est tombée. La Cour de cassation ne reviendra pas sur la décision du Tribunal d’Antananarivo, prononcée huit mois plus tôt. Accusé d’avoir fomenté un coup d’État à l’encontre du président malgache, l’ancien colonel français Philippe François reste condamné à dix ans de bagne. Inquiète sur son état de santé et sur sa sécurité, sa famille a fait une demande de transfèrement dans une prison française. Est-ce vraiment la meilleure option ?
Détenu arbitrairement dans un sous-sol camerounais pendant dix-sept ans, le Français Michel Atangana a bondi quand il a appris la nouvelle de la demande de transfèrement. « Juridiquement, le transfèrement suppose de reconnaître la culpabilité de Philippe François, à laquelle je ne crois pas du tout. Comme il est innocent, il doit se battre pour être innocenté, pas pour venir dans une prison française. Pire, en agissant ainsi, ça donne du crédit au jugement d’Antananarivo, ce qui est absolument contre-productif », lâche-t-il à Causeur.
« Le pourvoi en cassation a été rejeté, il n’y a même pas eu d’examen car la Cour a estimé qu’il n’y avait pas de raison sérieuse pour examiner le dossier », nous indique Étienne de Villepin, avocat français du condamné. Que contient-il, ce dossier ? Un mystérieux complot d’assassinat d’Andy Rajoelina, le président malgache, et baptisé « projet Apollo 21 ». Les éléments supposés en témoigner sont des courriels échangés avec le Franco-malgache Paul Maillot, alors conseiller de l’archevêque d’Antanavarino, ainsi qu’une clé USB.
Blague de bistrot
Il y a un peu plus d’un an, alors qu’il s’apprête à rentrer en France, Philippe François est arrêté à l’aéroport d’Antananarivo avec sa compagne. Ses affaires n’allant pas au mieux sur l’île, le retour était prévu depuis des mois, assure sa défense. Un travail chez un de ses anciens employeurs l’attendait d’ailleurs à Roissy. Une perquisition sans mandat a alors eu lieu chez lui et chez Paul Maillot. Selon les autorités, elle a permis de saisir « deux véhicules Nissan » et… « un fusil à pompe ».
Vous échafaudez un scénario de film de mercenaires armés d’un fusil à pompe ? « Le profil de quelqu’un qui fait un coup d’État, ce n’est pas une personne qui vit depuis deux ans dans un pays avec sa compagne et ses meubles. Les mercenaires qui font des coups d’État, ce sont des sous-officiers mais ce ne sont jamais des officiers supérieurs comme Philippe François », balaye Étienne de Villepin. « Matériellement, on n’a aucun élément préparatoire à un quelconque projet d’assassinat, aucun financement, aucun projet pour faire venir des armes, des éventuels hommes de main de Mayotte, de La Réunion ou d’Afrique du Sud, par exemple, rien. C’est donc bien un procès politique », continue l’avocat. Pourtant, « la compagne de l’accusé a entendu Philippe François dire qu’il suffit de 50 commandos pour faire tomber un État », mentionne le verdict final du Tribunal, de la taille d’une demi-page A4. « Dans ses interrogatoires, le juge d’instruction a dit lui-même que la phrase sur les 50 commandos était une discussion de bistrot », répond Étienne de Villepin.
Une blague de bistrot ? Selon une source ayant régulièrement dîné avec Philippe François sur l’île, il arrivait effectivement qu’autour d’une bonne table, des petites phrases comme celle-ci soient lancées entre le militaire, Paul Maillot et d’autres habitués de l’ambassade de France. La compagne de Philippe François a fait sa confidence aux autorités après l’arrestation du couple à l’aéroport d’Antananarivo. Contrairement à son conjoint, elle a été acquittée. Reste à savoir pourquoi le couple a été arrêté.
« S’il reste encore un an comme ça, il va mourir »
Reconverti en entrepreneur après sa carrière dans l’armée, Philippe François était aussi bénévole dans un orphelinat. Surtout il venait de lancer, en compagnie de Paul Maillot, Tsara First, une société visant à « œuvrer au développement de Madagascar ». Lors de son lancement, la société n’a pas manqué de rappeler que Madagascar était « le 4ème pays le plus pauvre du monde ». De plus, elle n’a pas caché son ambition de « lutter contre la corruption » et aussi, de développer la légalisation de l’orpaillage, un milieu qui reste une chasse gardée dans le pays. Est-ce cela qui aurait été fatal aux deux associés ?
Quoi qu’il en soit, Philippe François est détenu dans la Maison de Force de Tsiafahy, à trente kilomètres d’Antananarivo, depuis plus d’un an. Il dort à côté d’une bouche d’égouts, fait sa toilette dans un bac d’eau froide, et ses besoins dans un seau vidé une fois par jour le soir. Filmé 24H/24, il cohabite aussi avec des rats, des cafards et des bandits, dont un détenu ayant tué une trentaine de personnes à l’extérieur, et qui purge sa peine dans le même secteur que lui.
« Comme tout se paye, nous lui faisons parvenir à manger et de l’argent, sinon il n’aurait droit qu’à un verre de riz par jour », explique sa fille Constance Wagner François. « Mais comme ça se sait, il se fait régulièrement racketter ses courses par d’autres détenus, et doit payer les gardiens s’il veut prendre l’air de sa cellule de six mètres carrés ou faire cuire la viande qu’on lui fait parvenir, par exemple ». Depuis qu’il est incarcéré, l’homme a perdu 25 kg. En mai dernier, sa famille a donc demandé au quai d’Orsay un bilan de santé. Jusqu’à présent, la demande reste lettre morte. « Il doit assurer lui-même sa sécurité en payant d’autres détenus, il n’est jamais serein, il est toujours sur ses gardes. S’il reste encore un an comme ça, il va mourir », prévient Constance Wagner François.
Paul Maillot le grand oublié ?
Moins médiatisé, le sort du Franco-malgache Paul Maillot n’est pas plus enviable. Condamné à 20 ans de bagne dans la même prison, il est confiné dans une cellule sans fenêtre de 2m sur 4. Comme Philippe François, sa cellule est filmée 24h/24 et il est contraint d’y faire ses besoins. Outre le caractère humiliant de ses conditions de détention, son état de santé inquiète vivement sa famille. « Mon père est détenu dans des conditions dégradantes alors qu’il est innocent. Au même titre que Philippe François, il est la victime d’une machination ourdie par la mafia malgache, dans un Etat de non-droit totalement failli » affirme Elise Maillot, sa fille.
Combien de temps les deux hommes vont-ils tenir ? Pour sa part, Philippe François a trouvé un moyen de survivre : écrire un journal de bord, peu commun, à la troisième personne, dont voici un extrait :
« La journée, c’est six heures de lecture au moins. Une nourriture pour l’esprit, et la seule évasion possible. La prison réapprend les priorités dans une optique de survie intellectuelle, morale et physique. Continuer plus que jamais pour rester fort. D’abord, être propre ; il vient de faire plus de lessives en deux mois que durant toute sa vie. Douche à l’eau froide à partir d’un seau. Souvenirs de Bosnie, sur son poste à Brezovika, avec sa section, quand il avait sa section d’acier derrière lui. Là il est seul, mais fort ».
La demande de transfèrement, bonne ou mauvaise idée ?
Pendant ce temps-là, les familles des deux détenus ont demandé leur transfèrement en France. « L’extradition concerne des faits qui ne sont pas encore jugés dans le pays. Maintenant que le jugement malgache est définitif, il n’est plus possible de le contester, juridiquement parlant. Cependant, il y a une convention entre la France et Madagascar pour ce qu’on appelle le transfèrement », nous indique Étienne de Villepin.
L’avocat de Philippe François a déjà pris les devants, il a fait la demande auprès du Bureau d’entraide pénale et internationale, qui dépend du ministère de la Justice français. « Il faut attendre toute la durée de la constitution du dossier administratif en France puis l’envoi aux autorités de la Justice malgache. Ensuite, celles-ci sont libres de traiter le dossier quand elles décident que c’est nécessaire. Dans les accords, il n’y a pas de délai », nous précise-t-il.
Compte tenu de la lenteur de notre administration, il a bien fait de s’y prendre tôt mais concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? « Le transfèrement, c’est uniquement pour que le condamné purge sa peine dans son pays d’origine. Philippe François serait donc accueilli par les autorités à l’aéroport et transféré dans une prison ici. Après, des aménagements de peine sont possibles, il pourrait donc se retrouver avec un bracelet électronique ». Ou se défouler lors d’un « Kohlantess » à Fresnes ? Reste à savoir s’il pourrait être légalement innocenté chez nous. « Non », affirme catégoriquement l’avocat.
« Tant qu’il ne sera pas innocenté, il ne récupérera pas sa dignité »
« Le transfèrement est une mauvaise option car tant qu’il ne sera pas innocenté, il ne récupérera pas sa dignité »,estime pour sa part Michel Atangana. « Je sais de quoi je parle, je me suis battu pendant près dix ans pour être innocenté après ma libération, et croyez-moi, il n’y a rien de plus important que de récupérer sa dignité. Regardez le cas de Florence Cassez. On a fait un battage médiatique pour la sortir mais aujourd’hui, elle n’arrive toujours pas à se reconstruire, elle vient de dire elle-même qu’elle n’était jamais en paix, qu’elle avait toujours la trouille ». En 2013, Florence Cassez avait été libérée par la Cour suprême mexicaine en raison de vices de procédure mais elle n’a jamais été innocentée par la justice mexicaine.
L’urgence étant de tirer le militaire et Paul Maillot de là, toutefois, quelle serait la solution, selon Atangana ? « Déjà, constituer un soutien avec des maires de France. Un comité de soutien présidé par Jean-Christophe Ruffin c’est bien mais ça ne suffit pas, idem pour les pétitions. Quand le président Macron aura 200 maires derrière lui qui plaident pour l’innocence de Philippe François, le président malgache verra que le président Macron n’est pas seul. Le transférer dans une prison française, est-ce cela qui va lui rendre sa dignité ? Personnellement, je ne le pense pas du tout. Trois ans avant ma libération, on m’avait proposé le transfèrement, je l’ai refusé ».
Ancien disc-jockey, le président Andry Rajoelina est au pouvoir depuis trois ans. S’il se présente volontiers comme nationaliste et panafricaniste, il a choisi de faire scolariser ses enfants à Lausanne, en Suisse. Lundi 29 août, il a été reçu par Emmanuel Macron à l’Élysée (notre photo). Comment ont-ils évoqué le cas de Philippe François ? L’Élysée est resté muet à ce sujet. En avril, les autorités malgaches ont indigné l’Occident pour avoir conclu un accord militaire, trois mois plus tôt, avec la Russie, une information révélée par le média russe Sputnik. Le ministre de la Défense malgache a alors invoqué une relation vieille « de cinquante ans ». Il ne va quand même pas falloir soudoyer des mercenaires Wagner pour sauver le soldat Philippe, si ? Quelques bataillons seraient en tout cas présents sur l’île rouge.
La revue amie “Conflits” publie en kiosques son nouveau numéro: « Royaume-Uni, l’homme fort de l’Europe». Johnson tombe, le Brexit continue…
Causeur vous propose de lire l’éditorial de Jean-Baptiste Noé.
Avec le Brexit, le Royaume-Uni devait quitter l’Europe. Toujours cette confusion regrettable entre Union européenne et Europe, comme si la sortie de l’UE impliquait un glissement de terrain qui aurait entraîné le Royaume vers un autre continent. Fidèles à leurs habitudes, bon nombre de spécialistes prévoyaient que les sept plaies d’Égypte allaient s’abattre outre-Manche. La famine, car le pays ne serait plus alimenté par le continent, la pauvreté et le chômage de masse puisqu’il quittait une zone économique renommée, et puis la guerre civile et le démembrement, puisque l’Écosse choisirait Bruxelles plutôt que Londres et que l’Ulster reprendrait le chemin des combats pour une question de frontière douanière. Rien de tout cela ne s’est produit. Si le Royaume-Uni n’est pas le paradis, il n’est pas non plus entré en enfer après avoir rompu les amarres de Bruxelles.
Conflits n°41
Maître de l’Europe
Que de belles promesses on nous fit. Paris devait devenir la première place financière d’Europe, les capitaux et les entreprises devaient quitter Londres pour se réfugier en terre libre, c’est-à-dire en zone euro. Six ans plus tard, il n’en est rien. Londres demeure la capitale la plus attractive d’Europe, plus que Paris dont les rats, les embouteillages et l’insécurité ne séduisent guère les investisseurs. La livre sterling devait s’effacer et l’euro dominer la planète financière. À la mi-juillet, pour la première fois de son histoire, le cours de l’euro est descendu à la parité avec le dollar. En relisant les promesses de 2002 lors de l’introduction de la monnaie unique, on peut comprendre que les citoyens se soient détachés de l’UE. Fort d’une indépendance renouvelée, le Royaume-Uni vient de fêter en grande pompe le jubilé de platine de sa reine. Véritable attribut de la puissance britannique, la famille royale de Windsor est la dynastie européenne qui attire tous les regards et capte l’attention des médias. Ces jours de jubilé furent d’ailleurs plus regardés en France que l’intronisation du président de la République. Beaucoup d’Européens y ont trouvé ce qu’ils cherchent chez eux: l’unité, la fierté, la continuité et la grandeur.
Dans la guerre en Ukraine, le Royaume-Uni impose ses vues, joue sa partition, toujours reliée à Washington certes, mais qui donne le la et fait prévaloir ses intérêts. Le pays n’est plus dans l’UE, mais le Premier ministre se rend à Kiev, fixe les orientations et trace le chemin suivi par les autres, c’est-à-dire par les États-Unis. Si le Royaume-Uni a quitté Bruxelles, il a renforcé ses liens avec Washington. Nulle politique d’indépendance dans la guerre en Ukraine, mais un alignement sur la ligne de l’OTAN ; ce dont les Anglais semblent se satisfaire. L’ancien Empire rejoue l’affrontement contre l’Empire russe et s’oppose à Moscou avec dureté.
Encore une fois, Britania rule the waves. Après le Brexit, les Anglais ont conçu le global Britain mais c’est bien en Europe que le principal effort de leur nouvelle stratégie est porté. Sur le continent, c’est l’Allemagne qui a pris le contrôle de l’UE. Son poids économique demeure prépondérant et les Allemands présents à tous les postes clefs de la Commission et du Parlement.
La France rêvait de « défense européenne », la guerre en Ukraine a enterré cette idée et ressuscité l’OTAN qui, plus que jamais, est la véritable défense en Europe.
Coincé entre Londres et Berlin, Paris se cherche une voie. Le « couple franco-allemand » a vécu. Après avoir imposé au reste de l’Europe la sortie du nucléaire et ses normes environnementales, Berlin se retrouve nu pour l’hiver et les Européens aussi. Pour complaire à l’Allemagne, la France a réduit sa puissance nucléaire civile et abîme ses paysages d’éoliennes. La France demeure le seul pays d’Europe continentale à disposer d’une armée digne de ce nom et à pouvoir se projeter loin de son territoire. Le seul pays aussi de l’UE à posséder des terres, donc des intérêts, sur toutes les mers du monde. Elle a certes une économie fragilisée et des finances publiques dégradées, mais elle a en ses mains des atouts sérieux pour disputer au Royaume-Uni le titre d’homme fort de l’Europe.
En ce moment, un gros débat a lieu sur le réseau social Twitter, où un homme travesti se vante de s’être fait raboter le moineau aux frais du contribuable…
Et l’addition collective est sévère: 23 000 €, selon lui. Intégralement pris en charge par la Sécu ! L’homme castré en rigole. Se fout de notre gueule. Et précise même à un internaute effaré: « merci de t’être privé pour ma chatte à 23k€, maintenant continue de chialer ».
Les français aiment beaucoup parler du coût faramineux des personnes trans à la société. D'autres prises en charge par la sécu ne choquent jamais personne. Je suis trans, je ne fume pas, je paye des impôts et ça me parait normal de continuer à rembourser ces soins aussi. https://t.co/giCUmYn9Tgpic.twitter.com/HgRDjIjcMe
23 000€, il y a peut-être un peu d’exagération, les opérations de découillage intégral coûtent, selon mes sources, entre 9 000€ et 12 000€. Et puis, tout cela dépend du « menu » demandé, car ces messieurs se font parfois aussi retirer la pomme d’Adam pour cacher leur ancienne voix de routier (ça ne marche pas toujours), redresser la gueule pour essayer de ressembler à une morue liftée (FFS : facial feminization surgery), greffer des cheveux mais lasériser les poilous, sans compter les séances de psy ou d’orthophonistes. Et je ne reviens pas sur les inévitables seins en silicone et les œstrogènes que ces messieurs s’enfilent mieux qu’une escalope sur un barbecue ! Au final, l’addition peut encore monter au fil des années et des nouvelles lubies. Mais, apparemment, pas de soucis ma chéri-e, c’est la société patriarcale qui paye !
Hélas, même s’il s’achète une clinique, un travesti mâle peut toujours voir dans son miroir ce qu’il est : un mâle. Même découillu, même avec une paire de faux roploplos dressés comme la bite à Griveaux, celui-ci voit encore et toujours Robert dans la glace. Parce qu’il est et demeure un mâle. Beaucoup partent donc dans une course sans limite à la chirurgie, car il y aura toujours un détail qui rappelle l’atroce vérité. Un poil qui repousse, et c’est le psy ou le bistouri.
Aussi, je propose qu’on remette à plat la question de la prise en charge financière des transgenres. Si ces messieurs-dames veulent poursuivre leurs fantasmes en payant leur nouveau corps eux-mêmes, pourquoi pas ? Mais il est selon moi hors de question que toutes ces opérations et traitements continuent d’être pris en charge par la collectivité ! Il existe une « médecine de confort », mais, visiblement, il existe également une « médecine de caprice ». Et ce n’est point aux gens ordinaires de payer l’addition !
L’Allemagne n’est plus le moteur économique de l’Europe. Déficit commercial, abandon du nucléaire et dépendance au gaz russe plongent nos voisins dans un marasme qu’ils n’ont pas connu depuis longtemps. La solution, pour eux comme pour nous, est de mettre nos idéaux en sourdine pour renoncer aux sanctions contre la Russie.
Les propos médiatiques tenus aujourd’hui sur l’Allemagne montrent à quel point les convictions peuvent être changeantes. Il y a peu encore, elle nous était présentée comme un modèle économique enraciné dans la compétitivité et la saine gestion de ses finances publiques. En cette rentrée 2022, on nous suggère qu’elle est un maillon faible du dispositif européen.
Vous êtes le maillon faible, au revoir!
Un chiffre, un seul, a changé le diagnostic. Au printemps, pour la première fois de son histoire récente, l’Allemagne a affiché un déficit commercial, ruinant du même coup l’axiome de sa surcompétitivité. Et le fait que son économie flirte avec la récession crédibilise le nouveau pessimisme.
Cette faiblesse commerciale tient d’abord au renchérissement de l’énergie importée. Les prix du gaz, du pétrole, voire du charbon, qui représente 43 % de la production d’électricité outre- Rhin, se sont accrus inopinément. Dans un premier temps, ce sont les relances économiques décidées des deux côtés de l’Atlantique qui ont dopé ces prix. Dans un deuxième temps, les sanctions infligées à Moscou au lendemain de l’invasion de l’Ukraine ont eu cet effet collatéral non désiré. À quelques exceptions près, les bons esprits ont laissé dans l’ombre un fait aggravant : l’abandon du nucléaire décidé par Angela Merkel au lendemain de Fukushima. L’ancienne chancelière a pris la mesure « fétiche » de la tribu écologiste. Par conviction peut-être, mais plus sûrement encore pour la raison triviale que, sans cela, l’Allemagne aurait dû accepter le leadership français après le refus de Paris de donner la prépondérance à Siemens pour les centrales du futur [1] !
On ne fait pas tourner l’industrie allemande avec l’éolien
Désormais, l’Allemagne est tributaire du charbon américain et du gaz russe, les « renouvelables » ne pouvant offrir une ressource de substitution importante et stable – on ne fait pas tourner les usines avec des éoliennes ! Au-delà de l’épisode de la double crise énergétique et géopolitique, le déclin relatif de l’Allemagne ouvre la question essentielle du bien-fondé de son modèle économique « mercantiliste » impliquant que les exportations soient constamment supérieures aux importations.
Ce modèle s’est affirmé à la faveur des deux changements majeurs qu’ont été la mondialisation commerciale et l’introduction de la monnaie unique en Europe. Le premier a été pris en compte par Berlin qui a soutenu la compétitivité nationale, d’abord par des réformes du marché du travail qui ont abaissé les coûts unitaires de 15 %, ensuite par des délocalisations préférentielles dans les pays d’Europe centrale à moindre prix. Soulignons au passage l’opposition entre les entreprises allemandes qui ont protégé autant qu’elles le pouvaient les sites de production nationaux et leurs homologues françaises qui, par leur politique de délocalisation tous azimuts, ont agi comme si elles étaient « hors sol [2] ».
L’introduction de la monnaie unique, sous l’impulsion paradoxale de la France, a eu cette conséquence logique d’offrir une position dominante à l’industrie allemande en Europe. Dès lors que ses partenaires dans la zone n’avaient plus la faculté de dévaluer pour rétablir leur compétitivité externe, les excédents allemands se sont maintenus, voire accentués, atteignant 40 milliards d’euros vis-à-vis de la France.
Ce déclin, relatif, était déjà entamé
Les choix des dirigeants politiques et économiques de l’Allemagne s’avéraient on ne peut plus heureux. Cela, tant qu’on se situait dans une optique de moyen terme, l’horizon temporel de la réflexion des dirigeants. Mais l’Allemagne a, comme nous-mêmes, sous-estimé les effets de long et de très long terme. La Chine et les pays d’Asie n’étaient pas voués à produire indéfiniment des biens à basse valeur ajoutée, comme le voulait la vulgate économique puérile des dévots de la mondialisation, dans le cadre d’un partage immuable des tâches avec les Occidentaux. Ces pays, déjà largement bénéficiaires des délocalisations d’entreprises occidentales, ont commencé à produire sur une échelle importante des biens manufacturés jadis importés de l’Occident. La position de l’Allemagne s’est ainsi effritée. Son déclin relatif s’inscrit d’ailleurs dans le cadre d’une Europe qui affiche depuis vingt-deux mois déjà un déficit commercial croissant. Le préjugé de supériorité technique et économique occidentale est tombé et le modèle mercantiliste allemand semble révolu.
Le moment paraît ainsi venu d’un nouveau diagnostic laissant la place à des solutions dites de « souveraineté », qui permettraient de relocaliser nombre de productions exilées dans les pays lointains. Qui osera cependant poser ce diagnostic, qui lancera le projet de « souveraineté » ? Telle est la question.
Toutefois, avant de nous projeter vers un nouveau monde économique, nous devons identifier le risque à très court terme, né de la crise énergétique, qui touche l’Europe infiniment plus que l’Amérique du Nord. Sans le gaz russe, nous risquons une véritable paralysie économique. Un propos résume l’affaire : le patron de BASF, le plus grand producteur chimique mondial avec l’Américain DuPont de Nemours, a affirmé que, s’il ne disposait plus du gaz russe, il n’aurait qu’à déposer son bilan.
Il faudrait donc que les dirigeants européens mangent leur chapeau en renonçant aux sanctions proprement économiques voire, mieux encore, comme les y invite l’ancien chancelier Schröder, en mettant en service le gazoduc Nord Stream 2. Pour l’instant, les propos du président français comme ceux du président du Medef ou du ministre de l’Économie allemand ne le laissent pas présager. Au nom d’un idéal politique, ils appellent au sacrifice des populations, sans se soucier le moins du monde de leur avis. Mais ils ne voient pas qu’au-delà des sacrifices, c’est l’édifice européen et la viabilité de l’euro qui sont désormais en question. Ils ne voient pas la contradiction entre l’engagement contre la Russie aux côtés de Londres et de Washington, et l’engagement européen proprement dit, entre l’interventionnisme occidental de caractère moral et la préservation économique et politique du système européen. Il leur reste quelques semaines pour réviser leur copie et changer de trajectoire.
[1] Voir l’entretien donné par Jean-Michel Quatrepoint au Figaro en date du 3 juin dernier.
[2] Le déficit commercial de la France n’a cessé de s’aggraver, malgré Airbus et les exportations d’armement. Il se situe, en tendance, à 120 milliards d’euros annuels.
Pendant que le gouvernement glose à n’en plus finir sur les déplacements d’une équipe de football, un nouveau scandale pénitentiaire passe inaperçu. Mais de quoi s’occupent nos ministres?
De quoi s’occupent les ministres ? Cette interrogation est légitime.
La ministre des Sports – apparemment, elle n’a rien de plus urgent à faire ! – semonce Christophe Galtier pour son ironie sur le « char à voile » en réponse à la polémique sur le jet privé ayant ramené le PSG de Nantes à Paris, blague qui a suscité le fou rire de Kylian Mbappé. Le comble du ridicule n’est pas encore atteint car je ne doute pas qu’on aura d’autres occasions pour se moquer d’une certaine manière d’appréhender l’écologie, nouvel Évangile, totalitarisme d’aujourd’hui. D’autres ministres, moutons de Panurge, ont pris le relais, feignant d’avoir été choqués, l’esprit de sérieux en bandoulière, et la Première ministre a cru bon, comme à l’école, d’inciter les footballeurs à prendre conscience de la cause de la planète. Interdit de rire alors qu’on en a encore le droit. Pour combien de temps ? J’admets bien volontiers qu’on ne pouvait pas demander à cette ministre des Sports, tellement obéissante et conformiste, de se pencher sur les convois présidentiels et l’usage du jet ski à Brégançon. Jean-Luc Mélenchon a eu droit, lui, à sa critique pour la location d’un 4×4 à Lille.
Je ne m’interdis pas de juger ces controverses dérisoires par rapport à la multitude des vrais et souvent angoissants problèmes que la France subit et encore davantage demain. On me répondra que le réchauffement climatique et l’émission de CO2 relèvent de cette catégorie. Même si nous en étions sûrs, il ne me semble pas que l’urgence soit requise sur le même mode.
Certes les ministres, même en leur prêtant une lucidité remarquable pour savoir hiérarchiser ce qui doit être accompli vite, ce qui peut attendre et ce qui ne mérite même pas d’être évoqué, n’ont évidemment pas le temps ni l’envie de prendre en charge tout ce qui affecte, émeut ou indigne la France.
Pourtant la multitude des tweets dont Gérald Darmanin nous inonde à chaque fois que l’insécurité se manifeste, que les attaques de policiers se multiplient et qu’à l’évidence sa politique de fermeté relative est mise en échec, démontre que ce ministre n’est pas indifférent aux malheurs, aux tragédies et à l’ensauvagement de notre pays. C’est déjà beaucoup que de ne pas faire comme s’ils n’existaient pas.
Le fiasco de l’exécution des peines judiciaires
Il ne faut surtout pas justifier l’abstention politique au prétexte d’une indépendance qui devrait être laissée à tous les responsables de terrain ou de justice. L’indépendance comme un bouclier et non pas une exigence dont il convient de contrôler le bon exercice ! Faisant référence à la Justice, ces derniers jours la France a été stupéfiée par la démonstration renouvelée que l’exécution des peines, et notamment des sanctions criminelles, est un terrifiant fiasco, et parfois un scandale absolu.
Un jeune homme – il est âgé de 17 ans – assassine, en 2012, un adolescent de 14 ans pour voir l’effet qu’engendre le fait de tuer quelqu’un. Il est condamné en 2014 par une cour d’assises des mineurs à 22 ans de réclusion criminelle et il a droit à sa première permission de sortie en août de cette année, soit 11 ans après le début de son incarcération. Il ne réintègre pas la prison à la date prévue et durant sa période de liberté, il agresse gravement un chauffeur de taxi en lui portant un coup de cutter et des coups de poing. Il a été interpellé peu de temps après.
Je néglige la réaction de l’un de ses avocats qui, selon la langue de bois du barreau traditionnel, estime que « pour éteindre toute polémique, la décision du juge d’application des peines de donner une permission de sortie semble très légitime à mi-peine. Cela va dans le sens de la réinsertion ». On cauchemarde ! Je comprends que la famille du jeune garçon assassiné en 2012 se dise « écœurée ». Quel type de réinsertion peut-on espérer, sinon une réinscription dans le crime, avec ces modalités tenant à la fois à l’acte et à la personnalité, qui vont entraîner de manière quasiment inéluctable une nouvelle horreur ? À mon avis, s’il avait accepté de questionner, pour le futur, des pratiques judiciaires funestes à partir de cet exemple déplorable, le garde des Sceaux aurait été dans son rôle, dans sa définition la plus noble. On ne l’a pas entendu.
Le poncif de la souffrance du prisonnier
Il aurait fallu le Nicolas Sarkozy de la grande époque – ministre de l’Intérieur ou président (dans sa vision pénale) – pour que soit proposée, sans provocation, la mesure suivante : interdire, pour les crimes de sang, toute sortie anticipée, même temporaire : on a constaté les conséquences de la volonté « humaniste » de favoriser la réinsertion ; sans se soucier de l’essentiel : du condamné et du crime commis. La libération, ce sera à la fin de la peine. Cette rigueur nécessaire serait tout à fait compatible avec une réflexion sur la prison, son rôle, sa dignité matérielle et humaine à restaurer pour tous. On ne jouera pas aux dés la sauvegarde de la société en attendant des établissements parfaits pour se donner le droit de la défendre.
Enfin, qu’on ne m’oppose pas ce poncif qui, prenant en compte, paraît-il, la souffrance du prisonnier, imposerait de la faiblesse dans les modalités d’exécution de la sanction quand la douleur de la famille de la victime, elle, n’aura jamais de répit ! Dans l’agenda des ministres, si leur priorité était de traiter ce qui fait mal au peuple, ce qui l’empêche de bien vivre, leurs préoccupations seraient bousculées, bouleversées et on aurait le sentiment de politiques à notre écoute, à notre chevet, seulement obsédés par notre bonheur.
Ce serait de la naïveté ? Il n’y a pas de dirigeants ou d’opposants honorables sans cet altruisme démocratique. Maintenant ou demain.
Dans les remous de l’affaire Denis Baupin, après avoir beaucoup pleuré sur tous les plateaux télé, Sandrine Rousseau, militante et responsable au sein d’EELV, quitte le parti en 2017. Elle semble alors résignée à vivre dans l’anonymat, loin de ses ex-collègues, à l’abri du virilisme, de la masculinité toxique, des méchants qui possèdent une voiture diesel et des salauds qui mangent des entrecôtes. Mais, après trois années d’intenses réflexions et de prometteuses expérimentations déconstructives sur son mari, Sandrine Rousseau reprend sa carte à EELV, se présente à la primaire des Verts et est battue de très peu par Yannick Jadot.
Le Surmoi de Dame Rousseau
Requinquée par cette simili-victoire, elle décide alors de faire sauter les faibles contreforts d’un surmoi déjà très entamé. Ses dernières vacances ont été consacrées au déblayage des quelques gravats qui traînaient encore sur ce chantier de démolition psychique. La rentrée politique de Dame Rousseau démarre par conséquent sur les chapeaux de roue et de la manière la plus foutraque et la plus consternante : un livre maigrelet et répétitif pour accuser les hommes et l’Occident de tous les maux, une réflexion azimutée sur le barbecue qui serait un « symbole de virilité », la dénonciation d’un compte parodique sur Twitter qui serait piloté par « l’extrême-droite » pour la « cyber-harceler », des propositions d’encadrement sévère de la caricature et de l’humour qui ne serviraient qu’à « maintenir la hiérarchie sociale, parce que cette hiérarchie sociale, elle est importante pour réaliser le profit et la croissance. » Visiblement, il n’y pas que le couvercle du surmoi qui est parti à la benne.
Sandrine Rousseau peut compter sur des soutiens de poids, presque aussi risibles qu’elle. Clémentine Autain la suit de près dans cette quête d’un monde débarrassé d’à peu près tout ce qui peut le rendre plus chaleureux et humain. Les hommes mangent plus de viande que les femmes et « les personnes qui décident de devenir végétariennes sont majoritairement des femmes » ? Un seul moyen, d’après elle, pour rectifier le tir et « aller vers l’égalité » : « il faut s’attaquer au virilisme ». De son côté, le topinambourin Julien Bayou, après avoir proposé d’interdire les piscines et les jets privés, dénonce « une approche genrée des comportements alimentaires ». Quant au brocolique Aymeric Caron, il continue de crier haro sur ceux qu’il appelle « les viandales », de préconiser la baisse drastique, voire l’arrêt total de la production de viande en s’appuyant sur le rapport du GIEC, le petit livre rouge des Verts, et se réjouit de la décision du cucurbitacesque maire de Grenoble de ne plus servir que des menus végétariens dans les écoles primaires de sa ville et de la viande ou du poisson uniquement à la demande expresse des parents d’élèves. Enfin, le journal Libération décrit l’enfer viriliste de « l’Homme (sic) devant son barbecue, remuant une saucisse comme s’il s’agissait du saint Graal, […] déposant triomphalement son entrecôte saignante sur la table familiale avec la satisfaction du devoir accompli ». On voit par-là que l’abus de légumineux peut provoquer de sérieux effets indésirables : somnolence intellectuelle, désorientation, vomissements graphomaniaques, vertiges, éréthisme cérébral, convulsions linguistiques, excitation nerveuse, prurit neuronal, nausées, etc.
Faut-il arrêter de se moquer de Sandrine Rousseau ?
Aussi brutale puisse-t-elle paraître, une question doit quand même être posée : Sandrine Rousseau est-elle bête ou feint-elle la bêtise ? Après tout, Mme Rousseau a peut-être décidé de faire semblant d’être bête afin de se permettre des outrances attirant forcément les projecteurs médiatiques. Le résultat n’est pas mauvais. Mais les déclarations loufoques et les tweets délirants se succèdent et nous devons nous résigner à envisager la moins bienveillante de ces deux options. Mme Rousseau n’est d’ailleurs pas la seule, parmi les représentants de la Nupes, à montrer les signes d’une apathie intellectuelle que les spécialistes de la chose disent parfois confondre avec la crétinerie, et une absence d’humour que seul un manque d’intelligence explique, disent les mêmes experts.
Nous nous vengeons de cette bêtise, réelle ou feinte, en nous moquant et de la personne et de l’idéologie politique que cette dernière promeut si lourdement. Le rire devient alors un moyen de défense, une arme facétieuse remplaçant efficacement le trop brutal et pourtant mérité coup de pied aux fesses. Grâce à Bergson nous pouvons dire que le rire que provoque Mme Rousseau est « avant tout, une correction. Fait pour humilier, il doit donner à la personne qui en est l’objet une impression pénible(1) ». Oui, l’objet du rire peut se sentir humilié ; surtout s’il manque d’humour. Cherchant alors maladroitement à dénoncer un trait d’esprit dont il est la cible, il se prend les pieds dans son esprit de sérieux et finit, ridicule, sous une nouvelle risée : « Celui qui ne sait point recourir à propos à la plaisanterie, et qui manque de souplesse dans l’esprit, se trouve très souvent placé entre la nécessité d’être faux ou d’être pédant.[…] C’est la plaisanterie qui doit faire justice de tous les travers des hommes et de la société. C’est par elle qu’on évite de se compromettre. C’est elle qui atteste notre supériorité sur les choses et les personnes dont nous nous moquons, sans que les personnes puissent s’en offenser, à moins qu’elles ne manquent de gaieté ou de mœurs(2) ».
Une représentante des offensés professionnels
Dans un monde imparfait et qui le restera, au milieu des catastrophes qui ont eu lieu et de celles qui, immanquablement, surviendront, le rire sauve l’homme et atteste son humanité. Mais on ne fait pas rire avec de bons sentiments : nous rions du quidam qui s’étale de tout son long sur le trottoir verglacé, du député qui débite sérieusement des âneries à la télévision, du distrait qui se cogne à un poteau, de Guillaume Meurice qui se prend pour Desproges. Nous rions des situations les plus éprouvantes et les plus monstrueuses, pour ne pas sombrer dans la mélancolie ; nous rions des préjugés péjoratifs nous concernant (individu ou groupe), pour en atténuer les effets délétères. L’humour issu des camps nazis ou soviétiques, des ghettos juifs, des régimes totalitaires, évoque avec volubilité les horreurs qui hantent les nuits d’insomnie pour en chasser momentanément la noirceur absolue. Caustique, parodique, malicieux, ironique, cruel, noir, spirituel, l’humour était encore possible dans le temps historique et réel. Dans le monde terrifiant des écoféministes et des révolutionnaires intersectionnels, celui des offensés professionnels, celui des commissaires politiques, celui de la déréalisation totalitaire du réel, l’humour est condamné à mort, le rire doit être étouffé dans l’œuf. À la place : censure, contrôle, procès, jugement, sanction.
Sandrine Rousseau sourit en promettant des lendemains qui chantent. Mais son sourire, triste et mécanique, ressemble de plus en plus à celui des illuminés et des fanatiques, et ses oukases démentiels ne laissent que peu de doute sur son esprit obtus et totalitaire. Elle espère un monde dans lequel « tout est politique ». Elle prévoit des « transformations à opérer » pour réglementer le rire, empêcher les caricatures envers certaines personnes, corriger l’humour. Elle envisage des brigades de surveillance jusque dans les cuisines et les alcôves. Le lamentable et risible opuscule auquel elle a participé (3) a joyeusement inspiré des commentateurs badins sur le site de vente en ligne le plus fréquenté. « Très utile pour démarrer son barbecue. Prend feu rapidement », décoche l’un d’entre eux. Un autre, très déçu, use d’un efficace humour de salle de garde et annonce résolument à quelle activité hygiénique il destine les quelques 70 pages de ce « torche-cul ». Le compte parodique de Sardine Ruisseau est plus subtil, raison pour laquelle il a dépassé en nombre d’abonnés celui de Sandrine Rousseau. Cette dernière, se couvrant à nouveau de ridicule, dénonce une fantomatique fachosphère derrière tous ceux qui se moquent d’elle. Les rires redoublent.
Il ne serait pas juste que Dieu soit le seul à se rire des hommes qui se plaignent des conséquences dont ils chérissent les causes. Monsieur Mélenchon se plaignant des sirènes de police qui l’empêchent de dormir, voilà qui est drôle. Voilà un joli motif de moquerie. Se moquer de ces tristes figures, ridiculiser ces “docteurs graves” contemporains, railler ces baudruches, en gros et en détail, démolir par le rire ces cuistres, engloutir sous nos torrents de rires ces ravis de la crèche politique, est une mission de salut public. Cela demande une certaine discipline facilitée par un constat simple : tout, absolument tout ce qui fait le fonds de commerce progressisto-wokiste de ces énergumènes de foire relève de la bouffonnerie. Soyons sans pitié, écrasons sous nos avalanches de rires ces pitres. Et souvenons-nous que « le comique exige, pour produire tout son effet, quelque chose comme une anesthésie momentanée du cœur. Il s’adresse à l’intelligence pure(1). »