Accueil Édition Abonné Le facho, c’est moi!

Le facho, c’est moi!

L'éditorial de septembre d'Elisabeth Lévy


Le facho, c’est moi!
Jean-Luc Mélenchon lors de la perquisition des locaux de la France Insoumise, Paris,16 octobre 2018, capture d'écran Quotidien / TMC

À LFI, la démocratie interne, Jean-Luc Mélenchon ne connait pas! Si on ajoute à ce constat son refus du jeu électoral et ses appels répétés au soulèvement populaire, on peut se demander pourquoi les journalistes continuent à faire preuve d’une telle indulgence envers lui.


Il paraît qu’on entre dans une nouvelle ère et qu’on va manger chaud – enfin, justement pas. Que c’en est fini de cette abondance dont tant de gens n’avaient pas conscience, les nigauds. Heureusement, dans ce tourbillon de nouveautés déprimantes, certaines choses ne changent pas. Nous avons eu notre pitance d’âneries proférées par Sandrine Rousseau dans son combat contre le mâle blanc, coupable de tous les maux de l’humanité (et surtout de la planète) depuis le Paléolithique. En plus d’avoir inventé le colonialisme, le racisme, la transphobie, la machine à vapeur et la civilisation, ce salaud se réserve la cuisson des côtelettes au barbecue, activité érigée en symbole de virilité. Je n’ai toujours pas compris en quoi il est condamnable d’afficher sa virilité quand des femmes de ma connaissance dépensent des sommes folles pour upgrader leur féminité. Mais je m’égare.

Autre manifestation d’immuabilité, la rengaine entonnée par les gramophones « progressistes » dès que quelque chose leur déplaît : c’est l’extrême droite !, ce qui pour eux, est synonyme de facho. Du reste, on me pardonnera de prendre quelques libertés avec la science politique pour employer les termes (extrême droite/facho/populiste) comme ils le sont dans le débat public, c’est-à-dire sans la moindre rigueur. D’un côté, les salauds, de l’autre les gens fréquentables et les ânes sont bien gardés. On se moque du Planning familial et de son « homme enceint » : l’extrême droite ! On critique Éric Dupond-Moretti pour les amusettes télévisées de Fresnes : l’extrême droite ! Des twittos se payent la tête de l’aimable Sandrine : l’extrême droite, vous dis-je ! Extrême droitus, extrême droita, extrême droitum !

A lire aussi, Alexis Brunet: Fabien Roussel dans les fours de la fachosphère!

Le Premier ministre ne déroge pas à la règle. Interrogée par Le Parisien sur la respectabilité nouvelle du RN à l’Assemblée (alors qu’on sait bien que, le soir, ils chantent des chants nazis), elle répond : « Avec ou sans cravate, l’extrême droite reste l’extrême droite. » Le même jour, les macronistas Olivia Grégoire et Marlène Schiappa (ainsi que Rachida Dati) se précipitaient à Valence pour dialoguer avec les Insoumis. « Je vous respecte ! » lançait Schiappa aux groupies mélenchonistes. Imaginez le concert de bécasses et bécassons outrés si elle déclarait la même chose au congrès du RN ! Bien sûr, cela n’arrivera pas, car aucun élu ou ministre ne se commettra chez les nauséabonds.

Sauf que les fachos ne sont pas là où on le croit. Aujourd’hui, celui qui coche toutes les cases s’appelle Jean-Luc Mélenchon.

Contrairement à ce que croit Mme Borne, l’extrême droite c’est aussi et peut-être d’abord une affaire de style. Il peut appeler ça le bruit et la fureur pour faire chic, mais Mélenchon pratique abondamment l’éructation, l’invective, la disqualification de l’adversaire, la bouc-émissarisation (des riches). Comme méthode de gouvernement, le mélenchonisme, c’est la loi du chef plus le culte de la personnalité. Ne pouvant pas, heureusement, l’appliquer à la France, il fait régner la terreur dans son parti, qu’il se vante de diriger à coups de téléphone portable. À LFI, la démocratie interne, connais pas !, au point que même Clémentine Autain semble en avoir ras-la-casquette des oukases et foucades du chef. Au chapitre théorique, si on peut dire, il y a la haine du capitalisme, largement surjouée par nos amateurs de Grand Soir au petit pied. N’oublions pas que, douze ans après avoir tonné « celui qui ne veut pas rompre avec le capitalisme n’a pas sa place au Parti socialiste », Mitterrand, Dieu-le-Père du Panthéon mélenchonien, prenait le tournant de la rigueur. En réalité, chez Mélenchon, cet anticapitalisme d’opérette cache surtout une haine de la liberté. Il rêve de surveiller et punir : les patrons, les pollueurs, les policiers et beaucoup d’autres à l’exception des voyous. La violence qui débecte les Insoumis, c’est celle des forces de l’ordre, seules légitimes à l’exercer. Le délirant « la police tue » de notre petit Timonier m’avait fait penser à ce texte où Pasolini lance aux jeunes contestataires des années 1970, très fiers d’affronter la police fasciste, que les enfants du peuple sont du côté des uniformes. J’ajouterai à l’attention des rebellocrates d’aujourd’hui que les vrais fachos se trouvent dans leurs rangs.

A lire également, entretien avec Christophe Bourseiller: « On ne peut pas réduire Mélenchon à l’islamo-gauchisme »

Encore plus caractéristique des régimes fascistoïdes, le refus du jeu électoral, en tout cas quand ils perdent. À Valence, Mélenchon n’a cessé de brailler qu’il avait gagné les législatives, comme il prétend avoir gagné la présidentielle. Il sait que c’est faux, enfin on le suppose. Peu importe, il aurait dû. Donc, il a le droit de débiter en tranches cet énorme mensonge. Et pour réparer le scandale des urnes, il appelle le peuple à prendre le pouvoir dans la rue – vraiment ça ne vous rappelle rien ? D’accord, il n’a aucune chance d’y parvenir. N’empêche, l’entendre hurler au soulèvement et dénoncer les profiteurs, ça fait peur aux enfants, et pas qu’à eux. Enfin, je passerai charitablement sur l’antisémitisme dont je ne crois pas que Mélenchon et les autres soient directement coupables. Ils se contentent de regarder ailleurs pour ne pas voir celui qui sévit chez certains de leurs électeurs, voire à l’occasion de le flatter en cognant sur Israël, éternel objet de leur ressentiment quand maintes dictatures trouvent grâce à leurs yeux. Sans parler de leurs risettes au déplorable Corbyn.

Le mystère, c’est que la plupart des journalistes continuent à faire preuve envers Mélenchon d’une indulgence énamourée, teintée d’admiration pour l’immense stratège qu’ils voient en lui. Jamais ils ne lui rappellent ses sorties de routes, ses mensonges ou ses déboires judiciaires. À en croire un confrère qui a un temps couvert LFI, même les journalistes ont peur de ce grand démocrate. On se demande pourquoi.


[1] Soyons honnête, le pouvoir personnel, c’est aussi vrai au RN et ça le serait sans doute à LR s’ils avaient un chef…

Septembre 2022 - Causeur #104

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Déplacement du PSG en TGV: quand le prêt-à-exhiber de l’indignation prend le pas sur le bon sens
Article suivant Le Bund: histoire du mouvement juif ouvrier
Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération