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Liz Truss: du vieux vin dans une nouvelle outre?

Le portrait du nouveau chef de gouvernement britannique, par Jeremy Stubbs


Liz Truss: du vieux vin dans une nouvelle outre?
Liz Truss devant les Conservateurs, Centre Queen Elizabeth II, Londres, 5 septembre 2022 © Stefan Rousseau/AP/SIPA

Intronisée mardi, Liz Truss, le nouveau Premier ministre britannique, se présente comme le successeur naturel de Boris Johnson, tout en prétendant incarner un conservatisme thatchérien aux antipodes de l’approche de son prédécesseur. Les innombrables crises qui assaillent son pays lui donneront l’occasion de montrer si elle peut se débrouiller mieux que BoJo ou ses rivaux pour le poste de chef du gouvernement.


Demain, Liz Truss prendra le chemin de l’Écosse, devancée de peu par son prédécesseur, Boris Johnson. Tous les deux vont au château de Balmoral : Johnson pour présenter sa démission à la Reine, Truss pour être nommée à la tête du gouvernement de Sa Majesté.

Cette dernière, pour des raisons de mobilité, ne s’est pas déplacée au palais de Buckingham où normalement ces cérémonies ont lieu. Ce n’est pas le seul aspect exceptionnel de ce changement de pouvoir.

La candidate de la loyauté

Car un Premier ministre élu avec une majorité écrasante a été expulsé du 10 Downing Street par ses propres députés, et une remplaçante a été choisie par les adhérents du Parti conservateur qui ne sont pas représentatifs de l’électorat. Dans la première phase de sélection du leader, le rival de Truss, Rishi Sunak, a reçu plus de votes de la part des députés conservateurs et il a plus la côte qu’elle auprès du public. Mais Sunak a joué un rôle important dans l’expulsion de BoJo, et selon un poncif pseudo-shakespearien, « celui qui manie le poignard ne porte jamais la couronne ». Par conséquent, il n’est guère aimé par la base du Parti. Truss, en revanche, se présente comme la candidate de la loyauté et de la continuité. Dernier aspect exceptionnel : le processus de vote par les adhérents conservateurs a duré six semaines pendant lesquelles les crises les plus graves pour le pays se sont accumulées. Dans leurs discours et passages dans les médias, les deux candidats ont évité d’expliquer dans le détail comment ils allaient sortir le Royaume Uni du très mauvais pas où il se trouve. Aux défis économiques considérables auxquels Liz Truss doit maintenant faire face, s’ajoutent trois problèmes supplémentaires de taille.

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D’abord, l’absence d’un mandat personnel de la part de l’électorat jette un doute sur sa légitimité comme chef du gouvernement. Theresa May, se trouvant dans la même situation en 2017, a organisé des élections qui ont eu pour résultat de réduire sa majorité au Parlement. Ensuite, Boris Johnson a tellement occupé la scène politique que son départ y laisse un grand vide qu’il sera difficile de combler. De plus, il pourra continuer à attirer l’attention sur lui de manière à saper l’autorité du nouveau Premier ministre. Enfin, Liz Truss dispose de peu de temps pour faire une bonne impression : les crises sont déjà là qui l’attendent.

Une coupe empoisonnée

Liz Truss a déployé des trésors de charme politique pour être Premier ministre, mais est-elle certaine de vouloir le poste ? La liste des défis urgents semble se prolonger sans fin :

  1. La crise du pouvoir d’achat : l’inflation est proche des 11% outre-Manche, alimentée surtout par le fait que les prix de l’énergie ne cessent de grimper. Le gouvernement de Johnson a déjà promis plus de 17 milliards d’euros en aides pour le consommateur, mais la somme sera très loin d’être suffisante ;
  2. Les listes d’attente pour le Service de santé national (NHS) sont de plus en plus longues, tandis que l’hiver approche ;
  3. Une vague de grèves a déjà commencé dans plusieurs secteurs clés, notamment les transports ;
  4. Comme la France, le Royaume Uni a un grand problème avec le trio police-justice-prisons, lequel n’arrive pas à réduire le niveau de criminalité. Une grève des avocats criminalistes vient d’être déclenchée ;
  5. Les migrants clandestins continuent de traverser la Manche, par milliers, tous les mois. Aujourd’hui même, la Haute Cour de Londres entame une délibération quant à la loi renvoyant les immigrés illégaux au Rwanda. Si une telle politique est jugée négativement, le gouvernement sera obligé de légiférer sur la question, ce qui prendra du temps ;
  6. Le gouvernement écossais continue à insister sur son droit de tenir un nouveau référendum sur l’indépendance sans avoir l’aval de Westminster – aval refusé par Boris Johnson. La Cour suprême du Royaume Uni doit statuer sur cette question au mois d’octobre ;
  7. Le Brexit n’est pas encore fini : des négociations continuent, sans beaucoup de progrès, sur le Protocole nord-irlandais. Et 2 400 lois de l’UE restent transposées telles quelles dans le droit britannique : faut-il les garder, les annuler ou les réécrire ?
  8. A l’international, enfin, la guerre en Ukraine se poursuit, et le Royaume Uni reste fortement engagé dans le soutien aux Ukrainiens. En même temps, l’ancienne puissance impériale est toujours à la recherche d’un rôle dans un monde multipolaire.

Trop corsetée ou décorsetée?

Liz Truss, dont le nom de famille veut dire plus ou moins « corset » en anglais, est quand même une femme politique très habile. Après des études de sciences politiques et d’économie à Oxford, elle rejoint le secteur privé où elle obtient un diplôme de comptable agréé. Ainsi, elle doit savoir compter, ce qui, dans la situation présente, représente un avantage non-négligeable ! En 2010, elle est élue députée, à l’âge de 35 ans. Seulement deux ans plus tard, elle est nommée à son premier poste ministériel, avant de passer deux ans en tant que Secrétaire d’État à l’Environnement, à l’Alimentation et aux Affaires rurales, et un an comme secrétaire d’État à la Justice, des postes donnant le droit d’assister aux réunions du « cabinet » gouvernemental. Sans transition, elle passe ensuite au ministère des Finances avant de rejoindre celui du Commerce international. Finalement, en septembre 2021, elle est nommée à la fois Secrétaire d’État aux Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement et ministre des Femmes et des Égalités. Ainsi, on peut dire qu’elle a de l’expérience politique – encore un avantage non-négligeable.

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Depuis longtemps, elle se construit une image de clone de Margaret Thatcher, prônant le laisser faire en économie et parfois s’habillant comme elle était le sosie officiel de Maggie. L’aspect vestimentaire a attiré beaucoup de moqueries dans la presse et le milieu politique, mais si aujourd’hui elle a abandonné le dress code strictement thatchérien (d’ailleurs, elle affectionne trop les talons hauts, à l’instar de Theresa May), elle reste toujours le thuriféraire du libre-échange à gogo et affiche une attitude combattive sur tous les sujets. En tant que chef de la diplomatie britannique, cela ne lui a pas toujours très bien servi. En février, lors d’une rencontre avec son homologue russe, Sergei Lavrov, elle tombe dans un piège tendu par le vieux renard, qui lui a demandé si elle reconnaissait la souveraineté russe sur les régions autour de Rostov et Voronej, qui font déjà partie de la Russie. Les supposant en Ukraine, elle s’est empressée de dire non ! Sa prise de position très ferme sur la nécessité de réviser le Protocole de l’Irlande du Nord n’a pas été bien reçue par les alliés américains, tandis que les doutes qu’elle a exprimés récemment sur le statut d’allié de la France par rapport au Royaume Uni ont plu à sa base dans le Parti mais ne semblent pas représenter un haut niveau de réflexion géopolitique. Liz Truss est-elle trop corsetée ou trop peu ? C’est ce que le monde va découvrir très vite.

La quadrature du cercle économique

Liz Truss a déjà donné son nom à une doctrine économique. Au cours de la campagne pour le leadership du Parti et donc du pays, les médias ont adopté le terme « Trussonomics » – comme il y a eu, dans les années 80, le « Reaganomics » – pour désigner l’approche très particulière qu’elle esquissait aux problèmes économiques du pays. Il faut dire que, à la suite du référendum sur le Brexit en 2016, le Parti conservateur – et donc le gouvernement britannique – s’est détourné de l’héritage thatchérien, fondé sur le laissez faire économique et la réduction des dépenses de l’État. A la place, il a adopté une politique plus interventionniste et plus prodigue, dont l’objectif a été de réduire les inégalités entre les régions, tenues pour responsables du rejet de l’Union européenne – le fameux programme baptisé « levelling up » (le « nivellement par le haut »). Le rôle de l’État comme bailleur de fonds principal et autorité suprême paternaliste a de plus été renforcé par la pandémie. Tandis que Rishi Sunak, l’ancien ministre des Finances, soutenait qu’il faudrait augmenter les impôts pour que l’État puisse réduire son niveau d’endettement, Truss a maintenu qu’il faut au contraire réduire les impôts afin de relancer la croissance. Les cotisations à la Sécurité sociale ont été augmentées au printemps ? elle propose de les baisser. Une hausse de l’impôt sur les sociétés est prévue pour l’année prochaine ? elle propose de l’annuler. L’introduction de taxes vertes, destinées à soutenir la transition énergétique, est également à suspendre, selon elle.

En même temps, elle promet de faire le maximum pour venir à la rescousse du pouvoir d’achat des Britanniques. Les factures d’énergie annuelles ont augmenté de 80% pour atteindre en moyenne 4111 euros. Les entreprises sont touchées autant que les particuliers. A la différence de Sunak, Truss a déjà exclu le rationnement d’énergie et s’est dite défavorable à la taxation des superprofits. Si elle adopte la proposition travailliste consistant à plafonner les prix en compensant les détaillants du secteur, l’addition pourrait monter jusqu’à 116 milliards d’euros. Les questions que tout le monde se pose mais à laquelle les « Trussonomics » sont censées répondre sont donc les suivantes : comment le gouvernement pourra-t-il emprunter les sommes nécessaires, tout en baissant les impôts ? La croissance repartira-t-elle assez vite pour sauver les finances publiques britanniques ? Liz Truss a annoncé qu’elle prendra des mesures décisives pour aider les Britanniques en moins d’une semaine et aura un grand plan pour réduire les impôts en moins d’un mois. Le Premier ministre britannique entre 1957 et 1963, Harold Macmillan, a été surnommé « Super-Mac » (Macdo n’existait pas encore).

Truss sera-t-elle connue par les générations futures sous le sobriquet « Super-Liz » ? Si elle réussit son pari, ce sera mérité.  



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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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