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On aurait tellement aimé pouvoir leur parler…

Suite à un documentaire sur Gérard Philipe, diffusé sur France 5 le 16 décembre, Philippe Bilger regrette de ne pas pouvoir remonter le temps et rencontrer ses idoles pour pouvoir échanger avec elles.


En dépit de l’affirmation de Marcel Proust déconseillant, pour les grandes oeuvres littéraires, la volonté de rencontrer leurs auteurs parce que la déception serait garantie, j’aurais été prêt à prendre le risque.

Et parfois je l’ai pris, par exemple avec Michel Déon dont j’avais beaucoup aimé les premiers livres et dont l’allure, l’humanité et l’intelligence, ont ajouté plus tard à mon admiration quand j’ai eu le bonheur de le côtoyer.

Le 16 décembre, un remarquable documentaire de Patrick Jeudy – « Gérard Philipe, le dernier hiver du Cid » sur France 5, d’après le beau récit de Jérôme Garcin – m’a fait prendre conscience que nous pouvions penser tout connaître de la destinée exceptionnelle de Gérard Philippe (mort à 37 ans en novembre 1959), de l’homme, de l’acteur et de la personnalité engagée, mais pourtant il nous manquait quelque chose de fondamental : avoir eu le privilège de croiser sa route, d’avoir dialogué avec lui, d’avoir pu directement observer cette beauté altière, parfaite, sans l’ombre d’une vulgarité, d’avoir éprouvé le charme indicible d’une relation avec un être rare tout de grâce et d’élégance mais retenues, presque gênées, comme s’il souhaitait à toute force nous détourner de l’accessoire qui était lui pour nous confronter à l’essentiel qu’il portait en lui.

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J’aurais tellement aimé pouvoir lui parler, rien que pour satisfaire ma curiosité jamais lassée et l’entendre m’expliquer ses choix politiques, ses orientations pas forcément les miennes. Selon mon péché mignon dont, au fond, je n’ai jamais désiré me défaire, je l’aurais abreuvé de questions, m’imaginant ainsi – mais ç’aurait été une illusion – découvrir la clé du miracle : pourquoi Gérard Philippe a-t-il été cette magnifique étoile, si tragiquement filante, diffusant, grâce à son altruisme et à son sens du partage, pour tous un peu de sa gloire et de son aura ?

Il y en a tant d’autres avec lesquels j’aurais aimé parler pour en avoir le coeur net. Pour vérifier si je ne me méprenais pas, si mes songes résistaient à leur réalité, si les mythes qu’ils étaient devenus pour moi n’étaient pas battus en brèche par la proximité, s’ils demeuraient, dans la prose de l’instant, toujours emplis de la poésie d’avant.

On a chacun ses idoles. J’utilise à dessein ce terme pour signifier qu’au-delà de l’adhésion artistique, culturelle, politique, plus fortes, plus intenses – que l’enthousiasme que tel ou telle, par ses prestations, ses comportements et ses rôles, pouvait susciter – la certitude d’une singularité absolue, du caractère absolument irremplaçable de ces lumières pour nos yeux et nos sensibilités éblouis.

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Pour moi, aussi disparate que puisse apparaître ma sélection, on trouverait dans ce panthéon par exemple la Callas comme Rudolf Noureev, ou alors les Beatles (il en reste deux !) et Giuseppe Verdi, Marcel Proust, Greta Garbo et Charles Péguy… Il est évident que d’autres pourraient bénéficier de ce statut unique mais, avec ceux que j’ai cités, j’imagine trop bien la multitude de mes interrogations, la recherche éperdue de leurs secrets, en ne me dissimulant pas que le tempérament difficile de certains n’aurait pas rendu aisé l’exercice.

Mais qu’importe ! Bien plus que tout ce qu’on peut voir et lire sur eux, bien plus que tout ce qu’ils ont pu dire d’eux-mêmes, bien plus que leurs livres, leurs spectacles ou leurs compositions, si on pouvait bouleverser le fil des temps et réaliser ce rêve d’une familiarité durable ou non avec ces êtres et ces créateurs d’exception, quel formidable enrichissement ! On ne saurait pas tout évidemment mais nous aurions presque atteint ce noyau, ce territoire en deçà desquels nous ne serions plus les bienvenus.

On aurait tellement aimé pouvoir parler à Gérard Philipe et à tous les autres.

Parce que ce n’est pas tout d’admirer. Encore faut-il aller voir de près pourquoi, en espérant que demain et la crudité de la rencontre ne briseraient pas la magie, le charme autarciques d’aujourd’hui.

Sinon Marcel Proust aurait raison, une fois de plus.

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La nation, meilleure alliée de l’universalisme catholique

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Avec Rome ou Babel, Laurent Dandrieu, rédacteur en chef culture de Valeurs actuelles, signe un revigorant essai sur l’universalisme catholique qui, contrairement à l’impression que donnent certains prélats, ne correspond pas du tout à l’idéologie sans-frontiériste.


« Parmi toutes les expériences humaines, Dieu a voulu choisir celle de la migration pour signifier son plan de rédemption de l’homme ». Cette phrase n’est pas du pape François mais de Jean Paul II. Prononcée en 1970, elle place l’Autre sur un piédestal. Un demi-siècle plus tard, le pape François parachèvera la sanctification de la figure du migrant en faisant installer au Vatican, le 19 décembre 2019, une grande croix où un gilet de sauvetage de migrant remplace la figure du Christ.

Universalisme ne rime pas avec mondialisme

Sous l’impulsion du pape François, l’Europe semble sommée de mettre entre parenthèses ses racines chrétiennes pour mieux s’impliquer dans l’accueil de l’Autre ; lequel, quelle que soit sa culture ou sa religion, incarne la voie de la rédemption. C’est oublier que la religion n’est pas qu’une affaire de foi individuelle mais que « l’homme religieux est aussi un animal social », souligne Laurent Dandrieu.

Que l’on ne s’y trompe pas, Rome ou Babel n’est pas un essai mu par la crainte d’un remplacement de population en France, mais s’attelle à démontrer en quoi le grand mouvement d’uniformisation du monde – sur lequel s’accordent à merveille le MEDEF et les sans-frontiéristes – est contraire à l’essence même de l’Église.

Si le christianisme transcende les nations, il n’appartient pas à l’homme de vouloir abolir les frontières, qu’elles soient physiques ou culturelles : « Les principes communs de la loi naturelle ne peuvent être appliqués à tous d’une façon uniforme, en raison de l’extrême variété des choses humaines ; et de là provient la diversité des législations chez les peuples », notait déjà Thomas d’Aquin.

Rappelons-nous de la tour de Babel

« L’homme ne peut absolument pas faire advenir par lui-même l’unité du monde », résumera le pape Benoît XVI huit siècles plus tard. Depuis qu’il a été dispersé en peuples et nations, le genre humain est voué au temps des nations. Par conséquent, « toute tentative humaine de dépasser cette division, assimilable à un péché d’orgueil, est vouée à l’échec », analyse Laurent Dandrieu, qui n’a pas oublié laleçon de l’épisode biblique de la tour de Babel.

Si l’universalisme ne se trouve ni parmi les thuriféraires du multiculturalisme ou de Terra Nova, ni en Grèce, ni ailleurs, il se trouve en revanche à Rome. « Au rebours du sentiment de supériorité de l’héllenisme, écrit Laurent Dandrieu, le génie de Rome, rejoint dans ce sens en cours de route par la culture chrétienne, a été de s’incorporer de tout ce qu’elle trouvait d’admirable dans les peuples conquis pour l’incorporer dans la romanité ».

Néanmoins, si une culture nationale ne saurait rester sourde au monde qui l’entoure, les influences extérieures ne doivent nullement se faire au mépris de l’enracinement. « Un milieu déterminé doit recevoir une influence extérieure non pas comme un apport, mais comme un stimulant qui rende sa vie propre plus intense », nous prévenait déjà la philosophe Simone Weil, que Laurent Dandrieu cite volontiers dans Rome ou Babel.

Rendre grâce à l’identité nationale

À l’heure où l’identité nationale est désignée comme le péché sans rémission, où l’épithète « identitaire » – du moins quand il concerne les Français de souche – est le vecteur de tous les maux (la « droite identitaire », la « mouvance identitaire », la « menace identitaire », la «tenaille identitaire», etc.), Laurent Dandrieu nous invite à dépasser cette opposition puérile entre universalisme et identité nationale, et expose en quoi, à la manière de Rome, le christianisme s’est toujours soucié – bien avant l’ANC de l’Afrique du Sud, qui en fera son slogan – de promouvoir « l’unité dans la diversité ».

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La diversité au sens noble, l’Église y veille. Quand Rigoberta Menchú, prix Nobel de la paix en 1992, égérie de la cause des Mayas du Guatemala, fut contrainte de s’exiler au Chiapas mexicain, c’est bien un évêque catholique, Samuel Ruiz, qui lui offrit l’asile dans sa paroisse. Avant, bien avant, c’est encore un homme d’Église, Bartolomé de Las Casas, qui prit fait et cause pour les Indiens d’Amérique. Le catholicisme n’a pas à rougir de son passé en Amérique, Rigoberta Menchú n’a d’ailleurs jamais remis en cause son héritage catholique.

« Le christianisme à toujours veillé à articuler sa vocation universaliste avec les particularismes locaux », et a notamment, « malgré certaines tentations d’intolérance sporadique ici ou là, proféré le plus grand respect pour la culture antique, y compris dans sa dimension païenne », souligne pour sa part Laurent Dandrieu. Par conséquent, et ceci malgré une idée bien ancrée en Europe de l’Ouest à la suite de la Seconde Guerre mondiale, la notion de patrie ne s’oppose pas à l’universalisme chrétien.

La France, fille aînée de l’Église

Les patries ont-elles une âme ? La question est posée. Désormais la France compte seulement 2% de catholiques pratiquants réguliers (oui, 2%…). Lors de la lecture de ce livre, je me trouve au Salvador où le contraste avec la France déchristianisée est absolument flagrant. Tandis que nos églises sont désertées (ou mises à sac), la cathédrale de San Salvador est pleine à craquer (oui, à craquer) dimanche matin.

« Dios, amor et patria » (Dieu, amour et patrie). Une devise qui accompagne nombre de drapeaux nationaux au Salvador. Trois mots accolés qui prennent tout leur sens à la lecture de Rome ou Babel. Une foi catholique pleinement ancrée dans la nation salvadorienne même. « S’ils me tuent, je ressusciterai dans le cœur du peuple salvadorien », prophétisait en 1980 l’archevêque Romero, quelques jours avant d’être assassiné. En parlant de « peuple salvadorien » et non de « catholiques », lui- même ne s’y était pas trompé : l’universalisme catholique n’est pas contraire à l’idée de nation.

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En France, la situation est fort différente. En perdition, le catholicisme semble en bonne voie d’être supplanté, dans un futur pas si lointain, par un islam en pleine conquête. Ne succombant pas à la tentation du déclinisme, Laurent Dandrieu préfère se pencher sur « les signes de sa vitalité résiduelle ». Après avoir rappelé que 50 % des Français se disent encore catholiques, il souligne qu’« un quart des quelques six cent saints qui sont aujourd’hui reconnus par l’Église sont Français ». Sur les murs de n’importe quelle église d’Amérique centrale, des saints Français sont présents, en effet.

Preuve s’il en fallait que la France est encore la fille aînée de l’Église, et que c’est en sauvant les racines chrétiennes de la France que l’on pourra sauver l’universalisme.

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Le saut de l’ange

Joseph Macé-Scaron a planté le décor de son nouveau livre à Etretat. On y meurt beaucoup.


Étretat, ses falaises, son aiguille creuse (où Arsène Lupin est sans doute encore caché), son calvados… et ses suicides. En effet, bien qu’elle ne soit nullement, loin s’en faut, la seule ville de France à offrir un lieu propice au grand saut, la station balnéaire normande semble attirer particulièrement les candidats au suicide dont certains viennent de loin pour finir en beauté, dans ce décor presque lunaire, un brin menaçant, surtout par temps gris et venteux. Chaque année, entre 10 et 15 personnes (soit 100 fois plus que la moyenne nationale) se jettent des célèbres falaises qui surplombent la mer, 70 mètres plus bas. Au grand dam des gendarmes qui parviennent cependant à décourager pas mal de désespérés.[1]

Si Joseph Macé-Scaron (qui est un ami, mieux vaut le préciser) a choisi ce point de départ pour son roman policier, c’est peut-être parce qu’il a gardé de son passé de journaliste un goût pour les histoires vraies, mais surtout parce qu’il aime passionnément la petite cité normande. Dans son Étretat, on croise certes les hordes de touristes qui l’envahissent chaque week-end, mais aussi des personnages dont l’âme, comme leur ville, renferme nombre de recoins secrets.

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Paule, chartiste débarquée dans sa ville natale pour y finir ses jours, a la désagréable surprise de découvrir qu’une inconnue l’a précédée, comme pour lui voler son suicide. À la faveur d’une rencontre avec un amour de jeunesse devenu capitaine de gendarmerie, Paule mène l’enquête. Et nous avec elle.

Si comme moi, vous avez une dilection coupable pour les romans policiers qui tiennent éveillé alors que l’heure tourne dangereusement, n’hésitez pas. En prime, ce polar-terroir vous offrira la possibilité de revoir la Normandie sans bouger de votre lit.

La Falaise aux suicidés, de Joseph Macé-Scaron, éd. Les Presses de la Cité, 304 p., 2022, 21€.

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[1]. Louise Colcombet, « À Étretat, la falaise aux suicidés », Le Parisien, 17 octobre 2018.

« Le moment est venu de menacer l’Algérie » : entretien avec Patrick Stefanini

L’accueil inconditionnel des immigrés n’est pas une fatalité. La France peut mener une politique migratoire plus restrictive et plus intelligente en modifiant le droit du sol, les délais d’exécution des OQTF ou en dénonçant des accords passés avec certains pays, en particulier l’Algérie.


Causeur. Quelles marges de manœuvre avons-nous en matière d’immigration ? Sommes-nous ligotés par les traités européens ?

Patrick Stefanini. Il existe pas mal de marges de manœuvre au niveau national et l’application des traités européens nous en laisse aussi. Certes le fait que le séjour irrégulier ne soit plus un délit découle d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne, mais cela n’épuise pas les capacités d’action des États en matière migratoire. S’agissant des OQTF et de leur taux d’exécution, par exemple, la directive européenne impose aux États membres de laisser un délai de sept à trente jours à l’étranger pour quitter le territoire de lui-même. La France l’a transposée en choisissant un délai de trente jours, rien ne lui interdit de le réduire à une semaine. De surcroît, sur nombre de questions, la France est parfaitement souveraine. Par exemple, elle est tout à fait libre de décider du nombre de centres de rétention qu’elle souhaite ouvrir, de leur organisation et des moyens qu’elle y consacre. Sur la question des laissez-passer consulaires, sa liberté aussi est totale. La coopération à mettre en œuvre avec les pays d’origine pour fluidifier les relations relève de la diplomatie des gouvernements.

Pourquoi ne dénonce-t-on pas les accords particuliers passés avec l’Algérie, au vu de la mauvaise volonté de ce pays à reprendre ses ressortissants ?

L’accord avec l’Algérie est un tabou de la politique migratoire française. Il offre des avantages excessifs aux ressortissants algériens, notamment en matière d’immigration familiale. Dans mon livre[1], j’ai proposé que la France menace de le dénoncer pour obliger l’Algérie à faire mouvement. Tous les arguments invoqués pour s’opposer à cette dénonciation sont mauvais, ils participent seulement du refus de placer la question de l’immigration au sommet de l’agenda politique dans nos relations avec l’Algérie :

– Dénoncer l’accord serait faire courir à la France le risque d’une dégradation de sa coopération avec ce pays dans la lutte contre le terrorisme : mais la protection de la France ne saurait reposer sur l’attitude d’un pays étranger, quel qu’il soit ;

– La diaspora algérienne en France serait contrariée par cette dénonciation : ce raisonnement, à supposer qu’il soit juste, est un syndrome de la communautarisation de notre vie politique.

– L’Algérie pourrait refuser toute délivrance de laissez-passer consulaire pour ses clandestins : rien ne nous interdirait, en l’absence d’accord, de riposter en refusant toute délivrance de visas, notamment de long séjour.

Le moment est donc venu de menacer l’Algérie de cette dénonciation.

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Le cadre européen interdit-il de restreindre le droit du sol et le regroupement familial ?

Supprimer ou modifier le droit du sol est possible sur le plan juridique. On y a d’ailleurs touché en ce qui concerne Mayotte. Sur le regroupement familial, nous sommes tenus par une directive européenne.

Le Danemark a beaucoup durci sa politique d’immigration et on a le sentiment qu’il parvient à exercer sa souveraineté, là où la France renonce à la sienne.

Il se trouve que le Danemark a fait fonctionner la procédure de l’« Opting out ».[2]  C’est même à cette condition que, suite au rejet du traité de Maastricht par référendum en 1992, il a finalement accepté de signer le traité de Lisbonne. À cette occasion la monarchie danoise a négocié des options de retrait lui permettant de s’exonérer de certains piliers législatifs de l’Union européenne, notamment la politique d’asile et de police commune. Il a donc une grande latitude d’action puisque l’Opting out limite drastiquement l’interférence des tribunaux européens dans la loi nationale. Mais s’il est possible de négocier cette option avant la signature du traité, revenir sur ce que l’on a accepté est extrêmement compliqué.

L’externalisation d’une partie de la politique migratoire comme le Danemark projette de le faire au Rwanda est-elle envisageable ?

Pourquoi voudriez-vous que les pays du Maghreb, la Libye ou les pays d’Afrique subsaharienne fassent le travail qui incombe à la France ? D’autant que, si on est en capacité de négocier la création de « hotspots » (centres d’examen des demandes d’asile ou de carte de séjour) avec ces pays, on devrait être en capacité de gérer la question du renvoi de leurs ressortissants en situation irrégulière. En effet, c’est la difficulté à faire exécuter les expulsions qui crée l’appel d’air. Or, sur ces questions, ce n’est pas l’Europe mais les États qui ont la main.

En matière de migration, deux éléments sont mutualisés à l’échelle européenne : la délivrance des visas de court séjour et le contrôle des frontières extérieures. Les visas de long séjour, eux, dépendent des États membres qui ont donc largement la main sur leur politique migratoire.

L’idée danoise d’externaliser au Kosovo l’exécution des peines des étrangers sous le coup d’une expulsion peut paraître séduisante, mais le Danemark est un pays de moins de 6 millions d’habitants, aussi les volumes concernés sont-ils très faibles.

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Que peut-on faire alors ?

Au lieu d’envisager des solutions complexes difficiles à mettre en œuvre, mieux vaut investir sur nos atouts. La France dispose d’un des réseaux consulaires les plus importants du monde, avec celui des États-Unis et de la Grande-Bretagne. À cela s’ajoutent les nombreuses antennes de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) dans les pays étrangers. Les demandes de visas de long séjour sont déjà instruites dans ce cadre, il faudrait étendre ce dispositif aux demandes d’asile. Les candidats à l’asile traversent dans leur périple nombre de pays, autres que le leur, où se trouvent des consulats qui pourraient gérer leur demande. De même, la question de la maîtrise du français pourrait être gérée dans un cadre consulaire. Aujourd’hui, celle-ci ne conditionne pas la délivrance du titre de séjour. Cela devrait changer avec la réforme annoncée. Or, cet examen pourrait très bien se préparer dans le pays d’origine. Le visa serait conditionné au fait que l’étranger l’aurait passé et réussi dans son pays. On pourrait ainsi construire une politique migratoire plus restrictive et plus intelligente, facilitant l’intégration et pensée comme telle dès le début de la démarche.

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[1]. Immigration : ces réalités qu’on nous cache, Robert Laffont, 2020.

[2]. L’Opting out ou « option de retrait » est une exemption négociée par un État membre ne désirant pas participer à un domaine particulier de la politique de l’Union européenne.

Agression du Café Laïque Bruxelles

L’attaque sur un lieu ouvert au public où devait se tenir une conférence donnée par Caroline Eliacheff et Céline Masson, auteurs du Fabrique de l’enfant transgenre, constitue un exemplaire très clair du mode opératoire de nature terroriste pratiqué par les transactivistes. Analyse de Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue.


Le Café Laïque Bruxelles, situé dans le quartier européen près du rond-point Schuman, a été l’objet d’une attaque coordonnée de transactivistes se faisant appeler « Collectif Ursula ». Le 15 décembre vers 19h00, un groupe d’une vingtaine de personnes, hommes et femmes, jeunes, encapuchonnées et masquées, ont tenté d’empêcher une conférence donnée par les pédopsychiatres et psychanalystes françaises, Caroline Eliacheff et Céline Masson. Ces dernières alertent depuis plusieurs années sur les dérives du « transgenrisme » qui incite des mineurs ayant le sentiment d’être nés dans un mauvais corps (the wrong body) à s’engager dans des transitions de sexe, par chirurgie ou traitement hormonal dont les effets physiques et psychologiques peuvent être irréversibles.  Elles interrogent le bienfondé de ces influences sur des cerveaux adolescents en plein questionnement existentiel.

Le Café Laïque Bruxelles est un espace privé ne recevant aucune subvention. Nous l’avons ouvert en mars 2022, avec la Belge Fadila Maaroufi, titulaire d’un master en anthropologie et conférencière, pour porter la parole laïque au cœur des institutions européennes. Il ne représente ni une université, ni un établissement public, ni une autorité politique, ce qui n’a pas empêché ce groupe de forcer l’entrée, en masse, de hurler, de bousculer et de déverser sur le sol des sacs de litière d’excréments. Le choix du lieu, un café privé, suggère que ce type d’action n’est pas destinée à exercer une pression politique mais bien d’empêcher à tout prix que quelque chose soit exprimé, où que ce soit.

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Comme le choix du lieu, le mode opératoire indique qu’il ne s’agit pas ici d’agitation ou de manifestation, mais de semer la terreur dans les esprits, de créer des zones interdites de la pensée. Quand on pense « terrorisme » on imagine aussitôt la cagoule et la kalachnikov du Bataclan. En réalité la violence terroriste est progressive et graduée, elle s’annonce, se déploie par la contrainte jusqu’à devenir terreur pure. Elle commence par la censure, se poursuit en annulation, comme ici nos deux invitées et notamment Caroline Eliacheff qui, avant d’être interrompue par l’effraction soudaine des perturbateurs, expliquait qu’elle était fatiguée de ne plus pouvoir s’exprimer publiquement ni en France, ni en Suisse. En Belgique non plus manifestement.

Si nous voulons que le débat contradictoire ne soit pas considéré comme une vieille habitude ringarde alors qu’il est la condition première et fondamentale de notre démocratie, il nous faut, nous chercheurs, enseignants, universitaires et experts, apprendre à nous protéger et à déjouer les modes opératoires de ces censeurs qui en se démultipliant en petites entités intersectionnelles seront de plus en plus nombreux. Nous sommes dans une société où la violence se banalise et où la culture de l’excuse et de la victimisation s’est progressivement imposée au point qu’appeler la police peut nous paraître blessant pour autrui qui nous menace. A cela s’ajoute la faiblesse de l’État qui ne peut pas toujours assurer la sécurité pour des raisons budgétaires ou même de compréhension de la menace. Plusieurs jours avant, notre demande de ronde serrée autour du café avait été déclinée au motif qu’il n’y avait pas assez d’effectif des différentes polices fédérale ou communale, et la menace n’était pas jugée importante, 1/5 selon l’évaluation de l’OCAM (la sûreté de l’État belge).

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Le 15 décembre au Café Laïque, la police belge était dans le secteur en raison de la tenue d’un sommet européen, le quartier était bouclé, la police postée à 100 mètres. Nous étions rassurés. Mais nous avons eu affaire à un groupe bien organisé. L’action en elle-même s’est déroulée en quelques minutes et s’est terminée avant que la police appelée en urgence ne nous interroge longuement par téléphone et ne se rende finalement sur les lieux pour identifier et interpeller deux jeunes militantes belges. Les policiers postés à 100 m pour le sommet avaient ordre de ne pas bouger pour sécuriser les institutions européennes.

Voici les trois actes de cette opération.

Acte 1 : on intimide 

L’opération débute quelques jours avant le passage à l’action violente. Elle débute par une alerte et une émulation des réseaux transactivistes sur internet. Un anonyme s’exprimant mieux que les autres interpelle l’organisateur de l’événement sur son compte Facebook, Tweeter ou par email.  Sur un ton poli mais assez ferme « iel » explique que « vous ne devez pas inviter X, car il est transphobe » et si vous le faites, vous dit-iel, vous serez complice. L’organisateur, n’ayant rien trouvé qui soutienne ces allégations, fait savoir que la conférence se tiendra. Il est alors accusé de transphobie à son tour par une nuée de « trolls » (comptes anonymes qui agissent en cliques ou en meutes) de façon plus directe et désagréable. S’il persiste à organiser l’événement, la meute se renforce d’autres comptes anonymes devient de plus en plus agressive, et ce ne sont plus des messages polis mais des lignes ordurières, mal écrites et sans plus d’écriture inclusive (la colère fait sauter les petits points patiemment placés de l’écriture inclusive). L’organisateur demande alors de cesser l’échange qui ne mène nulle part, ce qui donne l’occasion aux activistes de prétendre qu’il a rompu le dialogue. Commence alors le processus d’auto-victimisation : « On n’a pas voulu nous écouter, il faut bien qu’on se fasse entendre » destiné à justifier l’action violente de l’acte 2. 

Acte 2 : on passe à l’action violente

Le jour de l’évènement, le mode d’intervention planifié en messages privés grâce au transfert d’expériences des différents groupes du réseau transnational est activé. Il s’agissait dans le cas du Café Laïque, le 15 décembre, de grouper une vingtaine de militants planqués aux abords du café et d’en infiltrer deux à l’intérieur. A l’appel téléphonique des deux infiltrées qui avaient payé leur place et étaient entrées s’asseoir au milieu du public, le groupe fit irruption, masqué, regards fuyant pour n’être pas reconnu, hurlant, bousculant. Certains déversaient les litières d’excréments, pendant que d’autres à l’extérieur collaient des affiches où était marqué bien en vue des passants :  « CAFE TRANSPHOBE RACISTE » en lettres capitales.

Ayant forcé l’entrée, le groupe envahit alors brutalement le lieu d’environ 70 m2 dans un fracas assourdissant, utilisant des trompettes de supporteurs destiné à saisir le public de ce lieu calme dédié à la concentration et la réflexion autour des conférencières. Précisons qu’au Café Laïque nous sommes dans un café privé, ouvert à tous, non protégé, que les attentats sont malheureusement devenus fréquents en Europe et qu’ils demeurent comme possibilité dans le cerveau reptilien de chacun.  Les individus de noir vêtus balancent des tracts de « revendications », jetés à la figure. Leur bouche s’ouvre pour hurler, mais aucun ne prononce un mot autre que le slogan. Quand on leur tend le micro, ils crient. Nous n’avons pas affaire à des êtres de parole, c’est aussi ça qui nous saisit.

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Le tract en écriture inclusive portait deux messages. D’une part, il s’adressait au Café Laïque accusé de  racisme (étaient citées quelques-uns des conférenciers invités par le Café Laïque : Pascal Bruckner, Pierre Vermeren, Nathalie Heinich).  D’autre part, s’adressant à l’Observatoire de la petite Sirène dont sont membres les conférencières, le collectif exigeait la fin des « thérapies de conversion », c’est-à-dire en réalité les précautions médicales nécessaires pour que les candidats ne regrettent pas d’avoir pris une décision de transition lourde de conséquences (et remboursée par la sécurité sociale, donc aux frais de la collectivité). Par renversement accusatoire, ces activistes prosélytes de la transition accusent les prudents de vouloir convertir. Or, Caroline Eliacheff et Céline Masson ne portent aucun jugement sur la transition, elles préconisent un suivi médical des enfants avant que leur décision n’aille plus vite que leur réflexion. Elles s’inquiètent, à juste titre, de l’accroissement de ces demandes chez les mineurs, nos enfants, qui correspond au déploiement de ces activistes.

L’objectif de ces activistes est d’empêcher que ces problèmes soient soulevés et discutés en utilisant la censure et les ressorts de la terreur. Il s’agit d’impressionner le public pour qu’il ne prenne pas le risque pour lui-même ou ses proches de fréquenter des lieux où l’on débat de ces questions sérieuses que sont le transactivisme, le wokisme ou l’islamisme. En face hélas, la lâcheté s’organise. Les portes se ferment à leur annonce, des conférences sont déprogrammées.

Que veulent-ils au fond ? Que l’Observatoire de la petite Sirène cesse d’être transphobe et que le Café Laïque cesse d’être raciste… ils veulent l’impossible. A cette revendication nous ne pouvons répondre qu’une seule chose, invariablement : on ne peut pas cesser d’être ce que l’on n’est pas. Mais il semble qu’ils ne puissent pas l’entendre, enfermés qu’ils sont dans leur certitude que le débat contradictoire n’est qu’un mot pour les faire taire. Savent-ils encore parler ? Le mode opératoire qu’ils emploient les dispense de cet effort. Et même de cela on ne peut pas discuter.

Acte 3, on monte d’un cran pour la prochaine fois

Chaque attaque provoque des réactions qui relancent la machine auto-victimaire, faisant monter d’un cran la poussée de violence. Ils accusent, ils marquent et justifient la violence au motif de la « légitime défense ».

C’est ça la terreur : quand des individus sans regard et sans paroles se donnent le droit de faire violence, et qu’on ne trouve plus moyen de leur faire entendre raison.

Ces happenings violents ne sont pas de simples actions de protestation, ni de revendication mais des opérations à caractère terroriste qui aboutiront, si rien n’est fait, au silence total. A ce problème, il faut deux réponses immédiates : les interventions systématiques et rapides de la police et de la justice et la protection des conférenciers et du public. Si malgré cela des institutions publiques, mairies ou universités, continuent à s’auto-annuler et ferment leur porte aux débats, il faudra alors qu’elles s’en expliquent.

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Sous la comédie, la vie !

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Les politiques, les juges et les avocats sont tous faillibles. Faut-il les traiter toujours avec sévérité ou parfois avec une certaine indulgence ?


Sous le contingent, le nécessaire.

Sous le relatif, l’absolu.

Sous le partisan, la nature.

Sous le judiciaire, l’humain.

J’aime passionnément ces moments où la modernité sous toutes ses formes, les institutions avec leurs diverses facettes, la politique, les médias et la Justice par exemple, font surgir, derrière l’écume du quotidien, les joutes superficielles et les gravités de façade, l’éternité du genre humain, ses forces, ses faiblesses, ce contre quoi l’idéologie est impuissante, ce sur quoi se brisent les postures, les tactiques et les stratégies.

Si d’avoir lu toutes les chroniques d’audiences me donne un peu de légitimité, il y a eu dans le procès en appel des écoutes et des co-prévenus Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert – 3 ans avec sursis requis contre les trois -, des glissements, une bascule, qui ont métamorphosé la cause judiciaire, l’apologie technique en aventure humaine, en psychologie des profondeurs : pour confirmer la thèse de l’ancien président arguant d’une désinvolture de sa part dans les échanges avec son excellent avocat, celui-ci a été contraint, lui qui est tout intelligence et vigilance professionnelles, à jouer le rôle d’un « idiot » responsable, paraît-il, d’un malentendu avec Nicolas Sarkozy.

Sans convaincre d’ailleurs le ministère public pas plus que celui dont il avait épousé la version ne l’avait fait.

J’imagine à quel point la personnalité de Thierry Herzog, son estime de soi, sa susceptibilité et son souci des autres et de leur jugement ont dû être alors affectés par la dévastation, que sa fidélité lui a imposée, d’une réputation à laquelle il tenait plus que tout. Si Thierry Herzog ne savait pas ce qu’il vaut, si son orgueil sans arrogance ne lui permettait pas de supporter avanies, déboires et apparente humiliation, j’aurais estimé pathétique ce « chemin de croix » judiciaire. On avait quitté le fond du débat pour s’en prendre à des tréfonds infiniment sensibles.

Quelle que soit l’issue de l’appel.

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Sur un autre plan, comment ne pas percevoir que la fronde à LFI après la désignation de la nouvelle direction sans Adrien Quatennens, ne mobilise pas seulement au nom d’intérêts politiques, de rapports de force tactiques et d’influences pour le futur mais, plus profondément, à cause d’humiliations que le système mis en place a suscitées ?

Il y a probablement, de la part des personnalités rejetées – Eric Coquerel, Clémentine Autain, Raquel Garrido, Alexis Corbière et François Ruffin -, reléguées dans un comité politique de rattrapage mais exclues de la coordination dirigée par Manuel Bompard, la volonté de nous faire croire que leur irritation tient à la structure mise en place et à sa composition, à une question d’organisation, détachée de leurs ego respectifs ; mais qui sera dupe ?

Il n’est d’ailleurs pas inconcevable, pour au moins deux d’entre elles (Clémentine Autain et François Ruffin), que le dissentiment idéologique se conjugue avec le ressentiment humain et la colère intime. En effet l’une et l’autre peuvent légitimement expliquer leur ostracisme prétendument technique – être médiatisées ne donne pas tous les droits et faute d’avoir un secteur de compétence bien défini, la coordination n’aurait pas besoin d’elles, ce qui est rien moins qu’aimable ! – par le fait que Jean-Luc Mélenchon et son nouveau protégé ne les désiraient plus en pleine lumière. La réaction virulente de Mélenchon à l’encontre de Clémentine Autain en est une illustration sans équivoque.

Mais le sentiment d’abandon est aussi puissant qui doit mêler en ces intelligences et sensibilités qu’heureusement le dogmatisme sectaire n’a pas totalement étouffées, une opposition vindicative et un déchirement amical et personnel. Sans être sadique et aspirer à des humeurs sombres, j’apprécie que de l’humanité, ombres et lumières, élans du coeur, volonté d’être choisis, aimés, préférés, vienne non pas dégrader mais enrichir le paysage partisan.

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Sans oublier le bouleversement des ambitions et et les orages de l’amitié engendrés par la mise à l’écart au moins temporaire d’Adrien Quatennens.

LFI n’est pas seulement la France insoumise mais aussi la France intime.

Jean-Luc Mélenchon, selon les meilleurs analystes, a l’ambition de revenir à la charge présidentielle en 2027 et à mon sens il mordra à nouveau la poussière – ce n’est pas son nom qui le bloquera mais la perception d’un tempérament éruptif et imprévisible ! – et il devra intégrer que ses soutiens d’hier n’auront sans doute pas effacé les offenses de l’existence, aujourd’hui.

Sous la comédie, la vie.

C’est sans doute à cause de cela que les politiques, les officiels, les importants, les ambitieux, les partisans suscitent parfois chez moi trop de bienveillance, d’indulgence quand ils s’égarent. Au lieu de considérer le doigt conjoncturel, je regarde la lune de toujours, profonde, immuable. Ils me touchent parce qu’ils sont faillibles.

Mais ils ne doivent pas en abuser.

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L’amour au temps de la Révol-Cul

Quand le « soleil rouge » les aveuglait, d’Evelyne Tschirhart, raconte à la fois une histoire d’amour au pays de Mao et une prise de conscience politique.


Evelyne Tschirhart,  enseignante à la retraite et artiste, a comme d’autres militants et intellectuels français, été fascinée à l’époque par la « Révolution culturelle » du président Mao. Elle avait publié en 1977 un premier livre sur le sujet, Deuxième retour de Chine, coécrit avec Jacques et Claudie Broyelle. Ce nouveau livre, à la différence du précédent, n’est toutefois pas un simple témoignage, mais un véritable roman, écrit avec une plume leste et entraînante.

A travers le regard de Charles, jeune enseignant venu à Pékin pour apprendre le français à ses collègues locaux, le lecteur découvre la Chine à la fin de la « Révolution culturelle » du « Grand Timonier », dans toute sa diversité humaine mais aussi dans toute sa cruauté. Ce roman est en effet le récit d’une désillusion et d’une prise de conscience, celle des militants prochinois qui découvrent, très rapidement, la réalité impitoyable du régime maoïste et de ses horreurs. L’auteur décrit très bien cette prise de conscience et le questionnement qu’elle suscite chez le héros et chez ses camarades. Dans le cas de Charles, le personnage principal du livre, cette désillusion s’accompagne d’une autre prise de conscience, tout aussi cruciale : celle de son identité juive.

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Roman politique, Quand le « soleil rouge » les aveuglait est aussi un roman d’amour. Avec finesse, l’auteur décrit ainsi comment Charles est attiré par Sue, la jeune chinoise qui l’accueille à l’institut des langues. Mais cet amour embryonnaire est peu à peu supplanté par celui qu’il éprouve envers Esther, la jeune Française qui est, comme lui, d’origine juive. Le récit de leur amour naissant est l’occasion d’aborder un thème rarement évoqué dans la littérature, celui des militants maoïstes d’origine juive. « N’avait-il pas oublié son peuple pour s’éprendre d’une « religion » universaliste, illusoire et destructrice : la création d’un homme nouveau, édifiant un monde nouveau ? »

Au-delà de cette thématique qui demeure très actuelle – à l’ère du wokisme et du retour d’une nouvelle religion progressiste, tout aussi dangereuse que ne le fut le maoïsme en son temps – le dernier livre d’Evelyne Tschirhart est un récit captivant, dans lequel elle révèle une fois de plus ses qualités d’écriture, d’observation et de pénétration psychologique. Le lyrisme et l’émotion contenus font penser au style de Chaïm Potok. Un grand roman d’amitié et d’initiation, d’amour et de désillusion.

Quand le « soleil rouge » les aveuglait, d’Evelyne Tschirhart, éd. Balland, 2022, 26€.

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L’unique nouvelle de Toni Morrison

Les éditions Bourgois publiaient à la rentrée l’unique nouvelle qu’ait jamais écrite la romancière américaine Toni Morrison, Récitatif.


Prix Nobel en 1993, auteur du très célèbre Beloved en 1988, qui lui vaudra le prix Pulitzer, Morrison a écrit ce court texte en 1983. Très clairement, cette « short story » scintille dans son œuvre d’un éclat très particulier. À tel point que l’édition française lui a ajouté une postface de la romancière britannique Zadie Smith, écrite pécialement pour rendre plus transparentes encore ces quelques pages magistralement elliptiques de l’Américaine.

Une Noire et une Blanche

L’histoire démarre par la rencontre de deux petites filles de huit ans, Twyla, la narratrice, et Roberta, dans un orphelinat nommé St-Bonny, situé dans l’Amérique profonde. Elles deviennent amies, se séparent, et se revoient au hasard de la vie, non sans que subsiste une certaine ambivalence dans leurs rapports. Ce n’est pas une amitié pure, dégagée de toute contingence : « Un jour, douze ans plus tôt, déclare par exemple Twyla, on s’était croisées comme des étrangères. Une Noire et une Blanche dans un Howard Johnson sur l’autoroute et qui n’avaient rien à se dire ». Ainsi, les états d’âme fluctuent au fil du temps.

Toni Morrison se garde de tout nous dévoiler, et se contente seulement de faire comprendre que les deux fillettes sont de couleurs différentes. L’une est blanche, l’autre noire, mais sans qu’on sache exactement qui est qui. C’est au lecteur de se faire sa propre idée, à partir des indices que donne le texte. Ce procédé pourrait paraître artificiel, mais en fait, sous la plume de Morrison, il semble parfaitement aller de soi. Insister sur la couleur de peau des fillettes aurait paru une grossièreté. La narration, dans Récitatif, se développe au contraire avec la plus grande harmonie, et Twyla et Roberta sont décrites, non à partir de leur appartenance à une race, mais dans la vérité de leur être. 

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La question du racisme

Ce n’est pas que Morrison esquive le problème du racisme. De fait, il est au premier plan, à presque toutes les époques où se déroule cette histoire. On peut même dire que Morrison l’évoque avec insistance, ce qui n’étonnera pas le lecteur qui la connaît, mais elle le fait toujours à travers le prisme de ses personnages. En réalité, elle essaie de se situer au-delà du racisme, dans les relations que tout individu entretient avec son prochain. Zadie Smith, dans sa postface, précise cette idée de la manière suivante : « Si c’est un humanisme, c’est un humanisme radical, qui lutte en direction de la solidarité dans l’altérité, de la possibilité et de la promesse d’unité au-delà de la différence ».

C’est là qu’intervient, pour illustrer cette dimension morale, le personnage de Maggie. Maggie était une pauvre femme muette qui travaillait à la cuisine de l’orphelinat, sœur lointaine, par certains aspects, du Smerdiakov de Dostoïevski dans Les Frères Karamazov. Un jour, elle est bousculée et tombe à terre sous les coups des enfants. Cette image de la misère et du malheur bouleversera Twyla et Roberta devenues adultes. Elles se souviendront, des années plus tard, de cette Maggie et l’évoqueront à chaque nouvelle rencontre. Elles se demanderont même si Maggie n’était pas noire. « Elle n’était pas noire, ai-je dit. Un peu, qu’elle était noire, et tu lui as donné des coups de pied. Toutes les deux, on l’a fait. T’as donné des coups de pied à une dame noire qui pouvait même pas hurler ». Les souvenirs ne sont plus aussi précis qu’avant, mais la culpabilité demeure.

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Une leçon d’éthique

Pour Zadie Smith, dont le commentaire rejoint avec une grande évidence ce que la fiction dépouillée de Morrison laisse affleurer, les choses paraissent claires : « Morrison, écrit-elle, veut que nous ayons honte de la manière dont nous traitons ceux qui sont impuissants, bien que nous aussi nous sentions impuissants ». Comment ne pas être d’accord ? C’est une injonction à s’ouvrir aux autres, qui rappelle la parabole du Bon Samaritain, dans l’Évangile de Luc, apôtre lettré. En un sens, ce message peut être perçu comme à contre-courant, car très éloigné de la réalité quotidienne, dans notre société où la loi de la jungle et le « chacun pour soi » règnent.

Mais en nous décrivant ses deux fragiles héroïnes, qui finissent par se retourner sur le destin emblématique de la pauvre Maggie, Toni Morrison semble nous indiquer que chaque être humain conserve, au plus profond de lui-même, une conscience qui veille et un cœur pur. De cette leçon d’éthique toute simple sur l’amour envers son semblable, Toni Morrison, une fois de plus, nous livre une illustration superbe.

Récitatif, de Toni Morrison et postface de Zadie Smith, éd. Christian Bourgois, 14 €.    

Pour la finale, j’enfile mon survêt’ « Challenger »

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Pour supporter les Bleus, il faut absolument ressortir la tenue mythique de 1984 signée Adidas.


Je regrette le temps où les marques de sport faisaient appel à nos meilleurs poètes pour rédiger leurs encarts publicitaires. C’était autrement plus beau que du Ernaux, plus soyeux qu’un édito de Rousseau et moins austère qu’un point-presse d’un obscur ministère. On savait écrire et enflammer le cœur des adolescents par des mots simples. Les slogans d’alors réveillaient nos sens, on invoquait des images champêtres, ça sentait le sous-bois et la chaleur d’un foyer aimant, une France pas du tout rance qui s’admirait et ne se reposait pas sur ses lauriers. Á la lecture de ces quelques lignes, on apercevait une biche par la fenêtre de notre HLM, le Concorde dans les airs mettait trois heures et quinze minutes pour rallier JFK Airport et nous espérions courir à la vitesse de Mach 2 sur les pelouses de banlieue. L’acte d’achat n’était pas moralisateur mais libérateur d’énergies. En 1984, Adidas prônait la douceur dans la victoire, le bien-être au service de la Nation, le confort dans l’effort, la sape dans les stades, la « Marseillaise » a cappella. Je souhaite qu’au baccalauréat, nos lycéens étudient ce tercet d’inspiration nervalienne dont subsistent quelques traces d’un surréalisme qui n’aurait pas déplu à Éluard. Il y a dans ces vers parfaits d’équilibre et de sensibilité, l’emphase et l’onde nostalgique, l’élan et la sérénité, la confiance dans notre modèle républicain et aussi une forme de cohésion apaisée. J’en pleure tellement cette époque semble lointaine. Si Jacques Prévert n’était pas mort en 1977, il en aurait certainement fait une chanson populaire. Sardou ou Mort Shuman auraient été des interprètes merveilleux, capables de donner à ce refrain suffisamment de puissance et de gloire pour animer tout un peuple. Écoutez et laissez-vous porter par cette vague, cette flamme intérieure : « Tout en velours, beau comme le daim ; souple et ultra-doux, tonique et confortable ; taillé pour le bien-être de tous ». Après avoir lu ça, vous imploriez vos parents de vous offrir ce survêtement existant en sept coloris et parfois plastronné d’un coq brodé. Son prix élevé, plus de 600 francs, était à la hauteur de vos ambitions sportives ou urbaines car il se portait partout en boîte de nuit ou sur un terrain de foot, au collège ou au solfège.

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Le « Challenger » était altruiste et cocardier. Sans le savoir, il fit le trait d’union entre les cités et les campagnes, entre les podiums de mode et les pistes d’athlé. Avant d’être la tenue officielle de nos champions d’Europe, le « Challenger » incarnait un art de vivre nouveau. Le mantra des Eighties : « Aisance sans élégance n’est que ruine de l’âme » avait été créé spécialement pour lui. Il fut précurseur des grandes tendances vestimentaires et musicales, du décloisonnement du survêt qui sortait enfin des vestiaires, de « Public Enemy » remplaçant Tino Rossi au combat sans merci que se livrèrent les géants du secteur et de l’avènement du sport-business. Un an après le tournant de la rigueur, le « Challenger » ouvrait la voie au réenchantement des cours de récréation. Avec lui sur le dos, nous criions ensemble : « Vive la crise ! » Ceux qui n’ont pas été jeunes et cons dans les années 1980 ne peuvent comprendre à la fois, l’attrait et la fascination du « Challenger » sur les masses studieuses. Un jour, peut-être, des universitaires sérieux s’intéresseront à ce creuset anthropologique aussi profond que le « 501 » et la polaire pour la génération « yéyé » ou « milléniale ». Et son contact sur la peau, plus jamais nous ne connaîtrons un tel velouté, une caresse sur les bassesses de la mondialisation en marche. Dans la famille « Challenger », il y avait les légitimistes en bleu marine, les dandys en blanc période Eddie Barclay, les exhibitionnistes en bleu ciel, les effacés en gris souris, les ombrageux en rouge, quant aux possesseurs de l’ensemble « vert », nous n’avons jamais réussi à bien déchiffrer leur caractère. Si nos héros du Parc des Princes, les Platini, Giresse, Tigana, Fernandez et el señor Hidalgo avaient choisi de s’habiller en « Challenger » lors de la finale du 27 juin 1984, nous nous devions de les imiter. Cet esprit de concorde, je le retrouve dans notre équipe nationale actuellement au Qatar. On joue ensemble, on se regarde, on s’épaule et quand le danger est imminent, un sursaut d’orgueil, un coup de tête ou un coup franc viennent nous sauver. Alors, cet après-midi, pour conjurer le mauvais sort et soudoyer les dieux du stade, je ressortirai ma veste vintage.

Et maintenant, voici venir un long hiver...

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Pour l’Allemagne, c’est chacun pour soi

Avec la guerre en Ukraine, l’Allemagne est au bord d’une crise politico-économique majeure. Pour éviter le pire, le chancelier Olaf Scholz tend la main aux pays de l’Est, à la Chine et noue des partenariats avec les Etats-Unis. Un nouveau cap qui exclut le « couple » franco-allemand.


« Nous devons serrer les rangs, apaiser les vieux conflits, rechercher de nouvelles solutions ». À l’université Charles de Prague, le lundi 29 août, Olaf Scholz abat ses cartes. Il propose un plan à l’Europe : son recentrage à l’Est, sous la gouverne de l’Allemagne, garantie d’un rééquilibrage politique et de son arrimage consolidé à un « partenaire fort, les États-Unis de Joe Biden », via l’OTAN. Pas une fois, le chancelier allemand ne cite la France dans son discours. Les penseurs du « couple » franco-allemand – concept inventé sur les bords de Seine que l’on traduit du côté des berges de la Spree par le « moteur » franco-allemand – s’en émeuvent, sans bien mesurer la profondeur et la portée de la mue en marche de l’autre côté du Rhin. Depuis, les confirmations s’enchaînent. Pour donner encore plus de poids à son ouverture, le « roi Olaf », comme le surnomment les médias outre-Rhin, a tendu la main à tous les États frappant à la porte de l’Union européenne sur ses marges orientales. L’Ukraine, évidemment, mais aussi la Moldavie et la Géorgie. Et les six pays des Balkans : la Serbie, le Monténégro, le Kosovo, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord, l’Albanie.

Pour crédibiliser cette Europe à 36 relevant d’une vision plus que d’un projet politique, tant les obstacles sont nombreux, le dirigeant allemand plaide encore pour l’abandon à terme de la décision à l’unanimité sur les sujets stratégiques, comme la politique étrangère ou la fiscalité. Sa proposition parle aux Français : les diplomates berlinois la poussent à Bruxelles pour l’exportation des matériels de guerre. Ce dossier est l’objet d’un contentieux majeur avec Paris sur les programmes en commun. Les Verts allemands ayant imposé aux coalitions successives l’interdiction de vendre ces matériels aux États réputés en délicatesse avec les droits de l’homme, les autorités cherchent à s’extraire des accords bilatéraux existants en promouvant l’harmonisation des règles au niveau de Bruxelles, avec un mécanisme de gouvernance à la majorité qui leur permettrait de gérer les dossiers au gré de leurs intérêts en s’appuyant sur leurs alliés ; une façon détournée de rétablir l’équilibre avec les industriels français, pour lesquels le Moyen-Orient représente un gros débouché.

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L’homme fort du SPD, élu le 8 décembre 2021 dans le fauteuil d’Angela Merkel, propose à l’Europe « un retour aux sources » – « Ad fontes », prononce-t-il en latin dans cette université fondée en 1348 qui fut le creuset des élites du Saint-Empire romain germanique, comme pour mieux convaincre de la légitimité de sa démarche cette Mitteleuropa déjà transformée depuis belle lurette en atelier de sous-traitance des fleurons du Made in Germany. Il revient à Scholz de faire oublier le tropisme de Berlin pour la Russie, dont témoigne son propre parcours. Dans sa jeunesse militante, il fraye avec les communistes de la RDA. Au sein du parti social-libéral, il fait carrière dans la roue de Gerhard Schröder, l’ami de Vladimir Poutine, désormais paria de la politique allemande. À la veille du déclenchement de la guerre, sous la pression internationale, le nouveau chancelier stoppe la certification de Nord Stream 2, dont ne veulent pas les Américains, qui se vantent dans leurs médias d’avoir cassé les reins de la puissante industrie allemande en allumant la mèche de l’Ukraine. Les voisins immédiats de l’Allemagne lui reprochent toujours de tergiverser vis-à-vis de l’Ukraine, car il s’oppose à la rétrocession de chars lourds Leopard à Kiev.

Promoteur du « modèle allemand » issu de la réunification de 1990, le dirigeant cherche à le réinventer dans l’urgence. Le choc de la guerre a fragilisé ses poutres porteuses, qui menacent de s’effondrer. Le pacifisme de ses élites a laissé le territoire sans protection réelle. Au lendemain du 24 février, pour calmer les bellicistes de son entourage, les généraux, que les politiques avaient privés du droit de s’exprimer dans l’agora, déclarent que l’armée est inapte au combat. Huit mois plus tard, c’est son industrie, le pilier de sa puissance économique, qui est en passe de perdre le secret de sa compétitivité : l’accès au gaz russe abondant et bon marché (51 milliards de mètres cubes sur les 84 milliards consommés par an). En 2011, Merkel avait conclu avec les Verts l’abandon du nucléaire à l’horizon 2022 et son corollaire, la montée en puissance du solaire et de l’éolien. Mécaniquement, la part de l’énergie fossile a augmenté, en particulier celle du gaz, qui s’est envolée quand il a été décidé, de surcroît, de fermer les mines de charbon sur le territoire pour accélérer la transition écologique. Lorsque la guerre éclate, l’usine mère de Volkswagen, en Basse-Saxe, qui emploie 63 000 personnes, vient de basculer du charbon au gaz russe, souligne dans une note percutante Patricia Commun, chercheuse à l’IFRI.

Chez nos voisins, l’industrie génère 25 % du PIB national (deux fois moins en France), 6 millions d’emplois directs et la moitié des emplois dans les services. Début novembre, la Commission européenne avertissait que l’Allemagne serait touchée la première et le plus longtemps (sans doute toute l’année 2023) par la récession annoncée d’ici la fin de l’année sur le Vieux Continent. Selon un sondage commandité début novembre par le quotidien Der Spiegel, la frange de l’opinion opposée à la guerre en Ukraine a progressé de 11 % par rapport à avril, pour atteindre 40 %. La peur du lendemain gagne les ménages, frappés par une inflation supérieure à 10 % depuis septembre. Après un temps d’« anesthésie », le patronat sonne l’alarme. Porte-parole de la fédération des industries chimiques allemandes, qui regroupe 1 900 entreprises fortement consommatrices d’énergie (15 % du gaz consommé outre-Rhin), Pierre Gröning explique : « Soumis à une multiplication des prix du gaz par sept en un an, un tiers ont réduit leur production, 13 % envisagent de transférer des capacités à l’étranger, notamment aux États-Unis, la moitié se posent la question de leur survie à moyen terme. C’est l’échec du modèle industriel allemand. S’il s’effondre, il y aura des effets dominos sur toute l’économie, et puis dans toute l’Europe ».

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Scholz a contre-attaqué en ne s’embarrassant ni des vaches sacrées allemandes, ni des dogmes européens. Au diable la rigueur budgétaire et l’ordre libéral : l’État fédéral débourse des dizaines de milliards d’euros pour nationaliser les distributeurs de gaz et les raffineries en faillite, dégaine un bouclier tarifaire à 200 milliards d’euros sur le gaz et l’électricité pour les ménages et les entreprises, s’oppose aux Européens qui veulent plafonner le prix du gaz de peur de perdre ses fournisseurs émiriens et qatariens. Il s’envole fin octobre pour Pékin à la rencontre de Xi Jiping – sans Emmanuel Macron ; en 2019, le président français avait reçu le leader rouge en compagnie d’Angela Merkel. Sa propre ministre des Affaires étrangères, la verte Annalena Baerbock, lui fait faux bond, l’accusant de céder à la panique en passant d’une dépendance à l’autre. En réalité, elle doit présider la réunion de ses homologues du G7 à Munster, où elle affiche sa proximité avec la diplomate Victoria Nuland, qui pilote les dossiers européens à la Maison-Blanche, et Anthony Blinken, le secrétaire d’État, les deux faucons antirusses de l’administration américaine, qui ne cachent pas leur hostilité à ce voyage ; quelques grands patrons allemands, dont celui de Mercedes-Benz, dit-on, ont décliné l’invitation du chancelier. La plupart, toutefois, le soutiennent : depuis la destruction des pipelines Nord Stream 1 et 2, l’industrie a fait une croix sur le gaz russe et elle n’entend pas se faire hara-kiri en perdant aussi la Chine, son principal débouché, avec laquelle sa balance commerciale est excédentaire, cas unique en Europe. À Pékin, ils auraient ouvert un canal de discussions tripartites avec Moscou en vue de hâter la paix en Ukraine.

Il y a longtemps que Washington a placé Berlin sous dépendance stratégique. L’Amérique possède plusieurs bases militaires sur le sol allemand, et elle est comme chez elle dans les institutions militaires et sécuritaires du pays. Au printemps, Scholz lui a offert un sérieux gage avec la création du fonds spécial doté de 100 milliards d’euros pour rééquiper la Bundeswehr en cinq ans. Un effort historique, décidé en accord avec l’opposition (dont la très atlantiste CDU-CSU) au Bundestag, qui a la main sur les dépenses militaires : les industriels d’outre-Atlantique seront les premiers servis. Privilégiée par la Bundeswehr, cette option sécurise son interopérabilité avec son  allié et la rapidité de sa remontée en puissance. La liste des achats comprend 35 chasseurs F35 capables d’emporter les bombes nucléaires B61 américaines stationnées en Allemagne, un lot d’hélicoptères lourds Chinook, des avions de patrouille maritime P-8 Orion, des batteries de missiles Patriot. Ces systèmes seront couplés au matériel antiaérien national, le IRIS-T, pour constituer le bouclier de défense sol-air européen dont Berlin a annoncé la création en octobre, avec 14 membres de l’OTAN, mais sans la France et l’Italie : les deux pays ont développé le Mamba, déjà opérationnel en Roumanie.

Un camouflet de plus pour l’Élysée, dont les programmes en commun lancés en 2017 sont l’épine dorsale de sa politique bilatérale et européenne et accumulent les difficultés. Les Allemands ont abandonné l’idée d’acquérir le successeur de l’avion de patrouille maritime Atlantic 2 et ne veulent pas s’associer à la modernisation de l’hélicoptère Tigre franco-allemand. Ils semblent se désengager du MGCS, le futur char de bataille, au profit d’une solution nationale. Concernant le SCAF, l’avion de chasse de prochaine génération, ils ont multiplié les arguties pour tirer au maximum la couverture à eux, à telle enseigne que Dassault a menacé d’arrêter les frais. Le bouclier de défense sol-air était le contentieux de trop. Emmanuel Macron annule le Conseil des ministres franco-allemand prévu fin octobre. Nous sommes à quelques semaines de la célébration des soixante ans du traité de l’Élysée du 22 janvier 1963, le socle de la coopération franco-allemande. Le face-à-face devrait encore se tendre dans les prochains mois. Les industriels d’outre-Rhin feront tout pour compenser les commandes parties aux États-Unis.

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Devant les généraux de la Bundeswehr, le chancelier a exprimé sa volonté qu’elle devienne le « pilier de la défense conventionnelle en Europe, la force armée la mieux équipée d’Europe ». Lourde et hétérogène, cette armée servant jusqu’alors de faire-valoir à l’industrie nationale vit un changement d’époque. Ses deux nouvelles priorités opérationnelles sont la défense du territoire et la réassurance de ses partenaires continentaux. Elle annonce à cet effet la création de trois divisions médianes (45 000 hommes) sur le modèle des unités françaises taillées pour la projection. Cette ambition heurte aussi de plein fouet la Pologne. Varsovie, qui s’apprête à doubler les effectifs de son armée et à tripler ses budgets d’acquisition, est candidate auprès de l’OTAN pour que soit entreposée sur son sol la bombe nucléaire américaine (ce qui serait un casus belli avec la Russie) et invite Paris à dépasser les différends politiques pour construire un partenariat stratégique.

Depuis l’éclatement du conflit ukrainien, le chancelier gère les urgences et fixe un nouveau cap à l’Allemagne à travers les nombreux écueils dressés sur sa route. Combien de temps tiendra-t-il la barre dans cette tempête ? Fragile, son improbable coalition « tricolore » associant les socialistes du SPD, les Verts et les Libéraux du micro-FDP peut très bien exploser pour laisser la place à une autre combinaison tout aussi improbable autour des conservateurs de la CDU-CSU. Économiquement, le plus dur est encore à venir. Au printemps, le gaz russe aura définitivement arrêté de couler dans les pipelines et il faudra remplir au prix fort les réserves vidées par l’hiver… De droite ou de gauche, les Allemands peuvent se montrer « brutaux » quand leurs intérêts vitaux, sur lesquels ils tombent toujours d’accord, sont en jeu, explique un diplomate français ayant été longtemps en poste à Berlin. Au début de la crise du Covid, Angela Merkel a brutalement fermé la frontière avec la France. Aujourd’hui, Scholz pousse la France et sa défense européenne dans le fossé pour asseoir le leadership militaire allemand en Europe. Dans l’adversité, l’Allemagne défend ses intérêts. Quoi de plus légitime ? Et quand la France en fera-t-elle de même ?

On aurait tellement aimé pouvoir leur parler…

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Gerard Philipe, 1956 / ©NANA PRODUCTIONS/SIPA / 00542864_000001

Suite à un documentaire sur Gérard Philipe, diffusé sur France 5 le 16 décembre, Philippe Bilger regrette de ne pas pouvoir remonter le temps et rencontrer ses idoles pour pouvoir échanger avec elles.


En dépit de l’affirmation de Marcel Proust déconseillant, pour les grandes oeuvres littéraires, la volonté de rencontrer leurs auteurs parce que la déception serait garantie, j’aurais été prêt à prendre le risque.

Et parfois je l’ai pris, par exemple avec Michel Déon dont j’avais beaucoup aimé les premiers livres et dont l’allure, l’humanité et l’intelligence, ont ajouté plus tard à mon admiration quand j’ai eu le bonheur de le côtoyer.

Le 16 décembre, un remarquable documentaire de Patrick Jeudy – « Gérard Philipe, le dernier hiver du Cid » sur France 5, d’après le beau récit de Jérôme Garcin – m’a fait prendre conscience que nous pouvions penser tout connaître de la destinée exceptionnelle de Gérard Philippe (mort à 37 ans en novembre 1959), de l’homme, de l’acteur et de la personnalité engagée, mais pourtant il nous manquait quelque chose de fondamental : avoir eu le privilège de croiser sa route, d’avoir dialogué avec lui, d’avoir pu directement observer cette beauté altière, parfaite, sans l’ombre d’une vulgarité, d’avoir éprouvé le charme indicible d’une relation avec un être rare tout de grâce et d’élégance mais retenues, presque gênées, comme s’il souhaitait à toute force nous détourner de l’accessoire qui était lui pour nous confronter à l’essentiel qu’il portait en lui.

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J’aurais tellement aimé pouvoir lui parler, rien que pour satisfaire ma curiosité jamais lassée et l’entendre m’expliquer ses choix politiques, ses orientations pas forcément les miennes. Selon mon péché mignon dont, au fond, je n’ai jamais désiré me défaire, je l’aurais abreuvé de questions, m’imaginant ainsi – mais ç’aurait été une illusion – découvrir la clé du miracle : pourquoi Gérard Philippe a-t-il été cette magnifique étoile, si tragiquement filante, diffusant, grâce à son altruisme et à son sens du partage, pour tous un peu de sa gloire et de son aura ?

Il y en a tant d’autres avec lesquels j’aurais aimé parler pour en avoir le coeur net. Pour vérifier si je ne me méprenais pas, si mes songes résistaient à leur réalité, si les mythes qu’ils étaient devenus pour moi n’étaient pas battus en brèche par la proximité, s’ils demeuraient, dans la prose de l’instant, toujours emplis de la poésie d’avant.

On a chacun ses idoles. J’utilise à dessein ce terme pour signifier qu’au-delà de l’adhésion artistique, culturelle, politique, plus fortes, plus intenses – que l’enthousiasme que tel ou telle, par ses prestations, ses comportements et ses rôles, pouvait susciter – la certitude d’une singularité absolue, du caractère absolument irremplaçable de ces lumières pour nos yeux et nos sensibilités éblouis.

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Pour moi, aussi disparate que puisse apparaître ma sélection, on trouverait dans ce panthéon par exemple la Callas comme Rudolf Noureev, ou alors les Beatles (il en reste deux !) et Giuseppe Verdi, Marcel Proust, Greta Garbo et Charles Péguy… Il est évident que d’autres pourraient bénéficier de ce statut unique mais, avec ceux que j’ai cités, j’imagine trop bien la multitude de mes interrogations, la recherche éperdue de leurs secrets, en ne me dissimulant pas que le tempérament difficile de certains n’aurait pas rendu aisé l’exercice.

Mais qu’importe ! Bien plus que tout ce qu’on peut voir et lire sur eux, bien plus que tout ce qu’ils ont pu dire d’eux-mêmes, bien plus que leurs livres, leurs spectacles ou leurs compositions, si on pouvait bouleverser le fil des temps et réaliser ce rêve d’une familiarité durable ou non avec ces êtres et ces créateurs d’exception, quel formidable enrichissement ! On ne saurait pas tout évidemment mais nous aurions presque atteint ce noyau, ce territoire en deçà desquels nous ne serions plus les bienvenus.

On aurait tellement aimé pouvoir parler à Gérard Philipe et à tous les autres.

Parce que ce n’est pas tout d’admirer. Encore faut-il aller voir de près pourquoi, en espérant que demain et la crudité de la rencontre ne briseraient pas la magie, le charme autarciques d’aujourd’hui.

Sinon Marcel Proust aurait raison, une fois de plus.

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La nation, meilleure alliée de l’universalisme catholique

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Le pape Francois au Vatican, Rome. VATICAN MEDIA / IPA/SIPA 01097046_000003

Avec Rome ou Babel, Laurent Dandrieu, rédacteur en chef culture de Valeurs actuelles, signe un revigorant essai sur l’universalisme catholique qui, contrairement à l’impression que donnent certains prélats, ne correspond pas du tout à l’idéologie sans-frontiériste.


« Parmi toutes les expériences humaines, Dieu a voulu choisir celle de la migration pour signifier son plan de rédemption de l’homme ». Cette phrase n’est pas du pape François mais de Jean Paul II. Prononcée en 1970, elle place l’Autre sur un piédestal. Un demi-siècle plus tard, le pape François parachèvera la sanctification de la figure du migrant en faisant installer au Vatican, le 19 décembre 2019, une grande croix où un gilet de sauvetage de migrant remplace la figure du Christ.

Universalisme ne rime pas avec mondialisme

Sous l’impulsion du pape François, l’Europe semble sommée de mettre entre parenthèses ses racines chrétiennes pour mieux s’impliquer dans l’accueil de l’Autre ; lequel, quelle que soit sa culture ou sa religion, incarne la voie de la rédemption. C’est oublier que la religion n’est pas qu’une affaire de foi individuelle mais que « l’homme religieux est aussi un animal social », souligne Laurent Dandrieu.

Que l’on ne s’y trompe pas, Rome ou Babel n’est pas un essai mu par la crainte d’un remplacement de population en France, mais s’attelle à démontrer en quoi le grand mouvement d’uniformisation du monde – sur lequel s’accordent à merveille le MEDEF et les sans-frontiéristes – est contraire à l’essence même de l’Église.

Si le christianisme transcende les nations, il n’appartient pas à l’homme de vouloir abolir les frontières, qu’elles soient physiques ou culturelles : « Les principes communs de la loi naturelle ne peuvent être appliqués à tous d’une façon uniforme, en raison de l’extrême variété des choses humaines ; et de là provient la diversité des législations chez les peuples », notait déjà Thomas d’Aquin.

Rappelons-nous de la tour de Babel

« L’homme ne peut absolument pas faire advenir par lui-même l’unité du monde », résumera le pape Benoît XVI huit siècles plus tard. Depuis qu’il a été dispersé en peuples et nations, le genre humain est voué au temps des nations. Par conséquent, « toute tentative humaine de dépasser cette division, assimilable à un péché d’orgueil, est vouée à l’échec », analyse Laurent Dandrieu, qui n’a pas oublié laleçon de l’épisode biblique de la tour de Babel.

Si l’universalisme ne se trouve ni parmi les thuriféraires du multiculturalisme ou de Terra Nova, ni en Grèce, ni ailleurs, il se trouve en revanche à Rome. « Au rebours du sentiment de supériorité de l’héllenisme, écrit Laurent Dandrieu, le génie de Rome, rejoint dans ce sens en cours de route par la culture chrétienne, a été de s’incorporer de tout ce qu’elle trouvait d’admirable dans les peuples conquis pour l’incorporer dans la romanité ».

Néanmoins, si une culture nationale ne saurait rester sourde au monde qui l’entoure, les influences extérieures ne doivent nullement se faire au mépris de l’enracinement. « Un milieu déterminé doit recevoir une influence extérieure non pas comme un apport, mais comme un stimulant qui rende sa vie propre plus intense », nous prévenait déjà la philosophe Simone Weil, que Laurent Dandrieu cite volontiers dans Rome ou Babel.

Rendre grâce à l’identité nationale

À l’heure où l’identité nationale est désignée comme le péché sans rémission, où l’épithète « identitaire » – du moins quand il concerne les Français de souche – est le vecteur de tous les maux (la « droite identitaire », la « mouvance identitaire », la « menace identitaire », la «tenaille identitaire», etc.), Laurent Dandrieu nous invite à dépasser cette opposition puérile entre universalisme et identité nationale, et expose en quoi, à la manière de Rome, le christianisme s’est toujours soucié – bien avant l’ANC de l’Afrique du Sud, qui en fera son slogan – de promouvoir « l’unité dans la diversité ».

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La diversité au sens noble, l’Église y veille. Quand Rigoberta Menchú, prix Nobel de la paix en 1992, égérie de la cause des Mayas du Guatemala, fut contrainte de s’exiler au Chiapas mexicain, c’est bien un évêque catholique, Samuel Ruiz, qui lui offrit l’asile dans sa paroisse. Avant, bien avant, c’est encore un homme d’Église, Bartolomé de Las Casas, qui prit fait et cause pour les Indiens d’Amérique. Le catholicisme n’a pas à rougir de son passé en Amérique, Rigoberta Menchú n’a d’ailleurs jamais remis en cause son héritage catholique.

« Le christianisme à toujours veillé à articuler sa vocation universaliste avec les particularismes locaux », et a notamment, « malgré certaines tentations d’intolérance sporadique ici ou là, proféré le plus grand respect pour la culture antique, y compris dans sa dimension païenne », souligne pour sa part Laurent Dandrieu. Par conséquent, et ceci malgré une idée bien ancrée en Europe de l’Ouest à la suite de la Seconde Guerre mondiale, la notion de patrie ne s’oppose pas à l’universalisme chrétien.

La France, fille aînée de l’Église

Les patries ont-elles une âme ? La question est posée. Désormais la France compte seulement 2% de catholiques pratiquants réguliers (oui, 2%…). Lors de la lecture de ce livre, je me trouve au Salvador où le contraste avec la France déchristianisée est absolument flagrant. Tandis que nos églises sont désertées (ou mises à sac), la cathédrale de San Salvador est pleine à craquer (oui, à craquer) dimanche matin.

« Dios, amor et patria » (Dieu, amour et patrie). Une devise qui accompagne nombre de drapeaux nationaux au Salvador. Trois mots accolés qui prennent tout leur sens à la lecture de Rome ou Babel. Une foi catholique pleinement ancrée dans la nation salvadorienne même. « S’ils me tuent, je ressusciterai dans le cœur du peuple salvadorien », prophétisait en 1980 l’archevêque Romero, quelques jours avant d’être assassiné. En parlant de « peuple salvadorien » et non de « catholiques », lui- même ne s’y était pas trompé : l’universalisme catholique n’est pas contraire à l’idée de nation.

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En France, la situation est fort différente. En perdition, le catholicisme semble en bonne voie d’être supplanté, dans un futur pas si lointain, par un islam en pleine conquête. Ne succombant pas à la tentation du déclinisme, Laurent Dandrieu préfère se pencher sur « les signes de sa vitalité résiduelle ». Après avoir rappelé que 50 % des Français se disent encore catholiques, il souligne qu’« un quart des quelques six cent saints qui sont aujourd’hui reconnus par l’Église sont Français ». Sur les murs de n’importe quelle église d’Amérique centrale, des saints Français sont présents, en effet.

Preuve s’il en fallait que la France est encore la fille aînée de l’Église, et que c’est en sauvant les racines chrétiennes de la France que l’on pourra sauver l’universalisme.

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Le saut de l’ange

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Joseph Macé-Scaron / ©Hannah Assouline

Joseph Macé-Scaron a planté le décor de son nouveau livre à Etretat. On y meurt beaucoup.


Étretat, ses falaises, son aiguille creuse (où Arsène Lupin est sans doute encore caché), son calvados… et ses suicides. En effet, bien qu’elle ne soit nullement, loin s’en faut, la seule ville de France à offrir un lieu propice au grand saut, la station balnéaire normande semble attirer particulièrement les candidats au suicide dont certains viennent de loin pour finir en beauté, dans ce décor presque lunaire, un brin menaçant, surtout par temps gris et venteux. Chaque année, entre 10 et 15 personnes (soit 100 fois plus que la moyenne nationale) se jettent des célèbres falaises qui surplombent la mer, 70 mètres plus bas. Au grand dam des gendarmes qui parviennent cependant à décourager pas mal de désespérés.[1]

Si Joseph Macé-Scaron (qui est un ami, mieux vaut le préciser) a choisi ce point de départ pour son roman policier, c’est peut-être parce qu’il a gardé de son passé de journaliste un goût pour les histoires vraies, mais surtout parce qu’il aime passionnément la petite cité normande. Dans son Étretat, on croise certes les hordes de touristes qui l’envahissent chaque week-end, mais aussi des personnages dont l’âme, comme leur ville, renferme nombre de recoins secrets.

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Paule, chartiste débarquée dans sa ville natale pour y finir ses jours, a la désagréable surprise de découvrir qu’une inconnue l’a précédée, comme pour lui voler son suicide. À la faveur d’une rencontre avec un amour de jeunesse devenu capitaine de gendarmerie, Paule mène l’enquête. Et nous avec elle.

Si comme moi, vous avez une dilection coupable pour les romans policiers qui tiennent éveillé alors que l’heure tourne dangereusement, n’hésitez pas. En prime, ce polar-terroir vous offrira la possibilité de revoir la Normandie sans bouger de votre lit.

La Falaise aux suicidés, de Joseph Macé-Scaron, éd. Les Presses de la Cité, 304 p., 2022, 21€.

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[1]. Louise Colcombet, « À Étretat, la falaise aux suicidés », Le Parisien, 17 octobre 2018.

« Le moment est venu de menacer l’Algérie » : entretien avec Patrick Stefanini

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Membre du Conseil d'État, Patrick Stefanini est un homme politique et un haut fonctionnaire français. / RETMEN/SIPA/2012100047

L’accueil inconditionnel des immigrés n’est pas une fatalité. La France peut mener une politique migratoire plus restrictive et plus intelligente en modifiant le droit du sol, les délais d’exécution des OQTF ou en dénonçant des accords passés avec certains pays, en particulier l’Algérie.


Causeur. Quelles marges de manœuvre avons-nous en matière d’immigration ? Sommes-nous ligotés par les traités européens ?

Patrick Stefanini. Il existe pas mal de marges de manœuvre au niveau national et l’application des traités européens nous en laisse aussi. Certes le fait que le séjour irrégulier ne soit plus un délit découle d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne, mais cela n’épuise pas les capacités d’action des États en matière migratoire. S’agissant des OQTF et de leur taux d’exécution, par exemple, la directive européenne impose aux États membres de laisser un délai de sept à trente jours à l’étranger pour quitter le territoire de lui-même. La France l’a transposée en choisissant un délai de trente jours, rien ne lui interdit de le réduire à une semaine. De surcroît, sur nombre de questions, la France est parfaitement souveraine. Par exemple, elle est tout à fait libre de décider du nombre de centres de rétention qu’elle souhaite ouvrir, de leur organisation et des moyens qu’elle y consacre. Sur la question des laissez-passer consulaires, sa liberté aussi est totale. La coopération à mettre en œuvre avec les pays d’origine pour fluidifier les relations relève de la diplomatie des gouvernements.

Pourquoi ne dénonce-t-on pas les accords particuliers passés avec l’Algérie, au vu de la mauvaise volonté de ce pays à reprendre ses ressortissants ?

L’accord avec l’Algérie est un tabou de la politique migratoire française. Il offre des avantages excessifs aux ressortissants algériens, notamment en matière d’immigration familiale. Dans mon livre[1], j’ai proposé que la France menace de le dénoncer pour obliger l’Algérie à faire mouvement. Tous les arguments invoqués pour s’opposer à cette dénonciation sont mauvais, ils participent seulement du refus de placer la question de l’immigration au sommet de l’agenda politique dans nos relations avec l’Algérie :

– Dénoncer l’accord serait faire courir à la France le risque d’une dégradation de sa coopération avec ce pays dans la lutte contre le terrorisme : mais la protection de la France ne saurait reposer sur l’attitude d’un pays étranger, quel qu’il soit ;

– La diaspora algérienne en France serait contrariée par cette dénonciation : ce raisonnement, à supposer qu’il soit juste, est un syndrome de la communautarisation de notre vie politique.

– L’Algérie pourrait refuser toute délivrance de laissez-passer consulaire pour ses clandestins : rien ne nous interdirait, en l’absence d’accord, de riposter en refusant toute délivrance de visas, notamment de long séjour.

Le moment est donc venu de menacer l’Algérie de cette dénonciation.

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Le cadre européen interdit-il de restreindre le droit du sol et le regroupement familial ?

Supprimer ou modifier le droit du sol est possible sur le plan juridique. On y a d’ailleurs touché en ce qui concerne Mayotte. Sur le regroupement familial, nous sommes tenus par une directive européenne.

Le Danemark a beaucoup durci sa politique d’immigration et on a le sentiment qu’il parvient à exercer sa souveraineté, là où la France renonce à la sienne.

Il se trouve que le Danemark a fait fonctionner la procédure de l’« Opting out ».[2]  C’est même à cette condition que, suite au rejet du traité de Maastricht par référendum en 1992, il a finalement accepté de signer le traité de Lisbonne. À cette occasion la monarchie danoise a négocié des options de retrait lui permettant de s’exonérer de certains piliers législatifs de l’Union européenne, notamment la politique d’asile et de police commune. Il a donc une grande latitude d’action puisque l’Opting out limite drastiquement l’interférence des tribunaux européens dans la loi nationale. Mais s’il est possible de négocier cette option avant la signature du traité, revenir sur ce que l’on a accepté est extrêmement compliqué.

L’externalisation d’une partie de la politique migratoire comme le Danemark projette de le faire au Rwanda est-elle envisageable ?

Pourquoi voudriez-vous que les pays du Maghreb, la Libye ou les pays d’Afrique subsaharienne fassent le travail qui incombe à la France ? D’autant que, si on est en capacité de négocier la création de « hotspots » (centres d’examen des demandes d’asile ou de carte de séjour) avec ces pays, on devrait être en capacité de gérer la question du renvoi de leurs ressortissants en situation irrégulière. En effet, c’est la difficulté à faire exécuter les expulsions qui crée l’appel d’air. Or, sur ces questions, ce n’est pas l’Europe mais les États qui ont la main.

En matière de migration, deux éléments sont mutualisés à l’échelle européenne : la délivrance des visas de court séjour et le contrôle des frontières extérieures. Les visas de long séjour, eux, dépendent des États membres qui ont donc largement la main sur leur politique migratoire.

L’idée danoise d’externaliser au Kosovo l’exécution des peines des étrangers sous le coup d’une expulsion peut paraître séduisante, mais le Danemark est un pays de moins de 6 millions d’habitants, aussi les volumes concernés sont-ils très faibles.

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Que peut-on faire alors ?

Au lieu d’envisager des solutions complexes difficiles à mettre en œuvre, mieux vaut investir sur nos atouts. La France dispose d’un des réseaux consulaires les plus importants du monde, avec celui des États-Unis et de la Grande-Bretagne. À cela s’ajoutent les nombreuses antennes de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) dans les pays étrangers. Les demandes de visas de long séjour sont déjà instruites dans ce cadre, il faudrait étendre ce dispositif aux demandes d’asile. Les candidats à l’asile traversent dans leur périple nombre de pays, autres que le leur, où se trouvent des consulats qui pourraient gérer leur demande. De même, la question de la maîtrise du français pourrait être gérée dans un cadre consulaire. Aujourd’hui, celle-ci ne conditionne pas la délivrance du titre de séjour. Cela devrait changer avec la réforme annoncée. Or, cet examen pourrait très bien se préparer dans le pays d’origine. Le visa serait conditionné au fait que l’étranger l’aurait passé et réussi dans son pays. On pourrait ainsi construire une politique migratoire plus restrictive et plus intelligente, facilitant l’intégration et pensée comme telle dès le début de la démarche.

Immigration: Ces réalités qu'on nous cache

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[1]. Immigration : ces réalités qu’on nous cache, Robert Laffont, 2020.

[2]. L’Opting out ou « option de retrait » est une exemption négociée par un État membre ne désirant pas participer à un domaine particulier de la politique de l’Union européenne.

Agression du Café Laïque Bruxelles

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Manifestation de militants transgenres, devant City Hall, New York, le 18 novembre 2022 Derek French/Shutterstock/SIPA Shutterstock41021434_000018

L’attaque sur un lieu ouvert au public où devait se tenir une conférence donnée par Caroline Eliacheff et Céline Masson, auteurs du Fabrique de l’enfant transgenre, constitue un exemplaire très clair du mode opératoire de nature terroriste pratiqué par les transactivistes. Analyse de Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue.


Le Café Laïque Bruxelles, situé dans le quartier européen près du rond-point Schuman, a été l’objet d’une attaque coordonnée de transactivistes se faisant appeler « Collectif Ursula ». Le 15 décembre vers 19h00, un groupe d’une vingtaine de personnes, hommes et femmes, jeunes, encapuchonnées et masquées, ont tenté d’empêcher une conférence donnée par les pédopsychiatres et psychanalystes françaises, Caroline Eliacheff et Céline Masson. Ces dernières alertent depuis plusieurs années sur les dérives du « transgenrisme » qui incite des mineurs ayant le sentiment d’être nés dans un mauvais corps (the wrong body) à s’engager dans des transitions de sexe, par chirurgie ou traitement hormonal dont les effets physiques et psychologiques peuvent être irréversibles.  Elles interrogent le bienfondé de ces influences sur des cerveaux adolescents en plein questionnement existentiel.

Le Café Laïque Bruxelles est un espace privé ne recevant aucune subvention. Nous l’avons ouvert en mars 2022, avec la Belge Fadila Maaroufi, titulaire d’un master en anthropologie et conférencière, pour porter la parole laïque au cœur des institutions européennes. Il ne représente ni une université, ni un établissement public, ni une autorité politique, ce qui n’a pas empêché ce groupe de forcer l’entrée, en masse, de hurler, de bousculer et de déverser sur le sol des sacs de litière d’excréments. Le choix du lieu, un café privé, suggère que ce type d’action n’est pas destinée à exercer une pression politique mais bien d’empêcher à tout prix que quelque chose soit exprimé, où que ce soit.

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Comme le choix du lieu, le mode opératoire indique qu’il ne s’agit pas ici d’agitation ou de manifestation, mais de semer la terreur dans les esprits, de créer des zones interdites de la pensée. Quand on pense « terrorisme » on imagine aussitôt la cagoule et la kalachnikov du Bataclan. En réalité la violence terroriste est progressive et graduée, elle s’annonce, se déploie par la contrainte jusqu’à devenir terreur pure. Elle commence par la censure, se poursuit en annulation, comme ici nos deux invitées et notamment Caroline Eliacheff qui, avant d’être interrompue par l’effraction soudaine des perturbateurs, expliquait qu’elle était fatiguée de ne plus pouvoir s’exprimer publiquement ni en France, ni en Suisse. En Belgique non plus manifestement.

Si nous voulons que le débat contradictoire ne soit pas considéré comme une vieille habitude ringarde alors qu’il est la condition première et fondamentale de notre démocratie, il nous faut, nous chercheurs, enseignants, universitaires et experts, apprendre à nous protéger et à déjouer les modes opératoires de ces censeurs qui en se démultipliant en petites entités intersectionnelles seront de plus en plus nombreux. Nous sommes dans une société où la violence se banalise et où la culture de l’excuse et de la victimisation s’est progressivement imposée au point qu’appeler la police peut nous paraître blessant pour autrui qui nous menace. A cela s’ajoute la faiblesse de l’État qui ne peut pas toujours assurer la sécurité pour des raisons budgétaires ou même de compréhension de la menace. Plusieurs jours avant, notre demande de ronde serrée autour du café avait été déclinée au motif qu’il n’y avait pas assez d’effectif des différentes polices fédérale ou communale, et la menace n’était pas jugée importante, 1/5 selon l’évaluation de l’OCAM (la sûreté de l’État belge).

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Le 15 décembre au Café Laïque, la police belge était dans le secteur en raison de la tenue d’un sommet européen, le quartier était bouclé, la police postée à 100 mètres. Nous étions rassurés. Mais nous avons eu affaire à un groupe bien organisé. L’action en elle-même s’est déroulée en quelques minutes et s’est terminée avant que la police appelée en urgence ne nous interroge longuement par téléphone et ne se rende finalement sur les lieux pour identifier et interpeller deux jeunes militantes belges. Les policiers postés à 100 m pour le sommet avaient ordre de ne pas bouger pour sécuriser les institutions européennes.

Voici les trois actes de cette opération.

Acte 1 : on intimide 

L’opération débute quelques jours avant le passage à l’action violente. Elle débute par une alerte et une émulation des réseaux transactivistes sur internet. Un anonyme s’exprimant mieux que les autres interpelle l’organisateur de l’événement sur son compte Facebook, Tweeter ou par email.  Sur un ton poli mais assez ferme « iel » explique que « vous ne devez pas inviter X, car il est transphobe » et si vous le faites, vous dit-iel, vous serez complice. L’organisateur, n’ayant rien trouvé qui soutienne ces allégations, fait savoir que la conférence se tiendra. Il est alors accusé de transphobie à son tour par une nuée de « trolls » (comptes anonymes qui agissent en cliques ou en meutes) de façon plus directe et désagréable. S’il persiste à organiser l’événement, la meute se renforce d’autres comptes anonymes devient de plus en plus agressive, et ce ne sont plus des messages polis mais des lignes ordurières, mal écrites et sans plus d’écriture inclusive (la colère fait sauter les petits points patiemment placés de l’écriture inclusive). L’organisateur demande alors de cesser l’échange qui ne mène nulle part, ce qui donne l’occasion aux activistes de prétendre qu’il a rompu le dialogue. Commence alors le processus d’auto-victimisation : « On n’a pas voulu nous écouter, il faut bien qu’on se fasse entendre » destiné à justifier l’action violente de l’acte 2. 

Acte 2 : on passe à l’action violente

Le jour de l’évènement, le mode d’intervention planifié en messages privés grâce au transfert d’expériences des différents groupes du réseau transnational est activé. Il s’agissait dans le cas du Café Laïque, le 15 décembre, de grouper une vingtaine de militants planqués aux abords du café et d’en infiltrer deux à l’intérieur. A l’appel téléphonique des deux infiltrées qui avaient payé leur place et étaient entrées s’asseoir au milieu du public, le groupe fit irruption, masqué, regards fuyant pour n’être pas reconnu, hurlant, bousculant. Certains déversaient les litières d’excréments, pendant que d’autres à l’extérieur collaient des affiches où était marqué bien en vue des passants :  « CAFE TRANSPHOBE RACISTE » en lettres capitales.

Ayant forcé l’entrée, le groupe envahit alors brutalement le lieu d’environ 70 m2 dans un fracas assourdissant, utilisant des trompettes de supporteurs destiné à saisir le public de ce lieu calme dédié à la concentration et la réflexion autour des conférencières. Précisons qu’au Café Laïque nous sommes dans un café privé, ouvert à tous, non protégé, que les attentats sont malheureusement devenus fréquents en Europe et qu’ils demeurent comme possibilité dans le cerveau reptilien de chacun.  Les individus de noir vêtus balancent des tracts de « revendications », jetés à la figure. Leur bouche s’ouvre pour hurler, mais aucun ne prononce un mot autre que le slogan. Quand on leur tend le micro, ils crient. Nous n’avons pas affaire à des êtres de parole, c’est aussi ça qui nous saisit.

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Le tract en écriture inclusive portait deux messages. D’une part, il s’adressait au Café Laïque accusé de  racisme (étaient citées quelques-uns des conférenciers invités par le Café Laïque : Pascal Bruckner, Pierre Vermeren, Nathalie Heinich).  D’autre part, s’adressant à l’Observatoire de la petite Sirène dont sont membres les conférencières, le collectif exigeait la fin des « thérapies de conversion », c’est-à-dire en réalité les précautions médicales nécessaires pour que les candidats ne regrettent pas d’avoir pris une décision de transition lourde de conséquences (et remboursée par la sécurité sociale, donc aux frais de la collectivité). Par renversement accusatoire, ces activistes prosélytes de la transition accusent les prudents de vouloir convertir. Or, Caroline Eliacheff et Céline Masson ne portent aucun jugement sur la transition, elles préconisent un suivi médical des enfants avant que leur décision n’aille plus vite que leur réflexion. Elles s’inquiètent, à juste titre, de l’accroissement de ces demandes chez les mineurs, nos enfants, qui correspond au déploiement de ces activistes.

L’objectif de ces activistes est d’empêcher que ces problèmes soient soulevés et discutés en utilisant la censure et les ressorts de la terreur. Il s’agit d’impressionner le public pour qu’il ne prenne pas le risque pour lui-même ou ses proches de fréquenter des lieux où l’on débat de ces questions sérieuses que sont le transactivisme, le wokisme ou l’islamisme. En face hélas, la lâcheté s’organise. Les portes se ferment à leur annonce, des conférences sont déprogrammées.

Que veulent-ils au fond ? Que l’Observatoire de la petite Sirène cesse d’être transphobe et que le Café Laïque cesse d’être raciste… ils veulent l’impossible. A cette revendication nous ne pouvons répondre qu’une seule chose, invariablement : on ne peut pas cesser d’être ce que l’on n’est pas. Mais il semble qu’ils ne puissent pas l’entendre, enfermés qu’ils sont dans leur certitude que le débat contradictoire n’est qu’un mot pour les faire taire. Savent-ils encore parler ? Le mode opératoire qu’ils emploient les dispense de cet effort. Et même de cela on ne peut pas discuter.

Acte 3, on monte d’un cran pour la prochaine fois

Chaque attaque provoque des réactions qui relancent la machine auto-victimaire, faisant monter d’un cran la poussée de violence. Ils accusent, ils marquent et justifient la violence au motif de la « légitime défense ».

C’est ça la terreur : quand des individus sans regard et sans paroles se donnent le droit de faire violence, et qu’on ne trouve plus moyen de leur faire entendre raison.

Ces happenings violents ne sont pas de simples actions de protestation, ni de revendication mais des opérations à caractère terroriste qui aboutiront, si rien n’est fait, au silence total. A ce problème, il faut deux réponses immédiates : les interventions systématiques et rapides de la police et de la justice et la protection des conférenciers et du public. Si malgré cela des institutions publiques, mairies ou universités, continuent à s’auto-annuler et ferment leur porte aux débats, il faudra alors qu’elles s’en expliquent.

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Sous la comédie, la vie !

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Clementine Autain. Jacques Witt/SIPA 01092250_000073

Les politiques, les juges et les avocats sont tous faillibles. Faut-il les traiter toujours avec sévérité ou parfois avec une certaine indulgence ?


Sous le contingent, le nécessaire.

Sous le relatif, l’absolu.

Sous le partisan, la nature.

Sous le judiciaire, l’humain.

J’aime passionnément ces moments où la modernité sous toutes ses formes, les institutions avec leurs diverses facettes, la politique, les médias et la Justice par exemple, font surgir, derrière l’écume du quotidien, les joutes superficielles et les gravités de façade, l’éternité du genre humain, ses forces, ses faiblesses, ce contre quoi l’idéologie est impuissante, ce sur quoi se brisent les postures, les tactiques et les stratégies.

Si d’avoir lu toutes les chroniques d’audiences me donne un peu de légitimité, il y a eu dans le procès en appel des écoutes et des co-prévenus Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert – 3 ans avec sursis requis contre les trois -, des glissements, une bascule, qui ont métamorphosé la cause judiciaire, l’apologie technique en aventure humaine, en psychologie des profondeurs : pour confirmer la thèse de l’ancien président arguant d’une désinvolture de sa part dans les échanges avec son excellent avocat, celui-ci a été contraint, lui qui est tout intelligence et vigilance professionnelles, à jouer le rôle d’un « idiot » responsable, paraît-il, d’un malentendu avec Nicolas Sarkozy.

Sans convaincre d’ailleurs le ministère public pas plus que celui dont il avait épousé la version ne l’avait fait.

J’imagine à quel point la personnalité de Thierry Herzog, son estime de soi, sa susceptibilité et son souci des autres et de leur jugement ont dû être alors affectés par la dévastation, que sa fidélité lui a imposée, d’une réputation à laquelle il tenait plus que tout. Si Thierry Herzog ne savait pas ce qu’il vaut, si son orgueil sans arrogance ne lui permettait pas de supporter avanies, déboires et apparente humiliation, j’aurais estimé pathétique ce « chemin de croix » judiciaire. On avait quitté le fond du débat pour s’en prendre à des tréfonds infiniment sensibles.

Quelle que soit l’issue de l’appel.

A lire aussi : Bilger, pas fanatique de la notion de parité…

Sur un autre plan, comment ne pas percevoir que la fronde à LFI après la désignation de la nouvelle direction sans Adrien Quatennens, ne mobilise pas seulement au nom d’intérêts politiques, de rapports de force tactiques et d’influences pour le futur mais, plus profondément, à cause d’humiliations que le système mis en place a suscitées ?

Il y a probablement, de la part des personnalités rejetées – Eric Coquerel, Clémentine Autain, Raquel Garrido, Alexis Corbière et François Ruffin -, reléguées dans un comité politique de rattrapage mais exclues de la coordination dirigée par Manuel Bompard, la volonté de nous faire croire que leur irritation tient à la structure mise en place et à sa composition, à une question d’organisation, détachée de leurs ego respectifs ; mais qui sera dupe ?

Il n’est d’ailleurs pas inconcevable, pour au moins deux d’entre elles (Clémentine Autain et François Ruffin), que le dissentiment idéologique se conjugue avec le ressentiment humain et la colère intime. En effet l’une et l’autre peuvent légitimement expliquer leur ostracisme prétendument technique – être médiatisées ne donne pas tous les droits et faute d’avoir un secteur de compétence bien défini, la coordination n’aurait pas besoin d’elles, ce qui est rien moins qu’aimable ! – par le fait que Jean-Luc Mélenchon et son nouveau protégé ne les désiraient plus en pleine lumière. La réaction virulente de Mélenchon à l’encontre de Clémentine Autain en est une illustration sans équivoque.

Mais le sentiment d’abandon est aussi puissant qui doit mêler en ces intelligences et sensibilités qu’heureusement le dogmatisme sectaire n’a pas totalement étouffées, une opposition vindicative et un déchirement amical et personnel. Sans être sadique et aspirer à des humeurs sombres, j’apprécie que de l’humanité, ombres et lumières, élans du coeur, volonté d’être choisis, aimés, préférés, vienne non pas dégrader mais enrichir le paysage partisan.

A lire aussi : Bilger sur le livre de Castelnau: “je n’ai pas dénoncé le corporatisme des juges pour accepter une vision si peu complexe de la réalité judiciaire…”

Sans oublier le bouleversement des ambitions et et les orages de l’amitié engendrés par la mise à l’écart au moins temporaire d’Adrien Quatennens.

LFI n’est pas seulement la France insoumise mais aussi la France intime.

Jean-Luc Mélenchon, selon les meilleurs analystes, a l’ambition de revenir à la charge présidentielle en 2027 et à mon sens il mordra à nouveau la poussière – ce n’est pas son nom qui le bloquera mais la perception d’un tempérament éruptif et imprévisible ! – et il devra intégrer que ses soutiens d’hier n’auront sans doute pas effacé les offenses de l’existence, aujourd’hui.

Sous la comédie, la vie.

C’est sans doute à cause de cela que les politiques, les officiels, les importants, les ambitieux, les partisans suscitent parfois chez moi trop de bienveillance, d’indulgence quand ils s’égarent. Au lieu de considérer le doigt conjoncturel, je regarde la lune de toujours, profonde, immuable. Ils me touchent parce qu’ils sont faillibles.

Mais ils ne doivent pas en abuser.

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L’amour au temps de la Révol-Cul

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Affiche de propagande maoiste, Chine, octobre 1970, SIPAHIOGLU, 00014416_000026

Quand le « soleil rouge » les aveuglait, d’Evelyne Tschirhart, raconte à la fois une histoire d’amour au pays de Mao et une prise de conscience politique.


Evelyne Tschirhart,  enseignante à la retraite et artiste, a comme d’autres militants et intellectuels français, été fascinée à l’époque par la « Révolution culturelle » du président Mao. Elle avait publié en 1977 un premier livre sur le sujet, Deuxième retour de Chine, coécrit avec Jacques et Claudie Broyelle. Ce nouveau livre, à la différence du précédent, n’est toutefois pas un simple témoignage, mais un véritable roman, écrit avec une plume leste et entraînante.

A travers le regard de Charles, jeune enseignant venu à Pékin pour apprendre le français à ses collègues locaux, le lecteur découvre la Chine à la fin de la « Révolution culturelle » du « Grand Timonier », dans toute sa diversité humaine mais aussi dans toute sa cruauté. Ce roman est en effet le récit d’une désillusion et d’une prise de conscience, celle des militants prochinois qui découvrent, très rapidement, la réalité impitoyable du régime maoïste et de ses horreurs. L’auteur décrit très bien cette prise de conscience et le questionnement qu’elle suscite chez le héros et chez ses camarades. Dans le cas de Charles, le personnage principal du livre, cette désillusion s’accompagne d’une autre prise de conscience, tout aussi cruciale : celle de son identité juive.

A lire aussi: Amour mineur: toute la noirceur du monde

Roman politique, Quand le « soleil rouge » les aveuglait est aussi un roman d’amour. Avec finesse, l’auteur décrit ainsi comment Charles est attiré par Sue, la jeune chinoise qui l’accueille à l’institut des langues. Mais cet amour embryonnaire est peu à peu supplanté par celui qu’il éprouve envers Esther, la jeune Française qui est, comme lui, d’origine juive. Le récit de leur amour naissant est l’occasion d’aborder un thème rarement évoqué dans la littérature, celui des militants maoïstes d’origine juive. « N’avait-il pas oublié son peuple pour s’éprendre d’une « religion » universaliste, illusoire et destructrice : la création d’un homme nouveau, édifiant un monde nouveau ? »

Au-delà de cette thématique qui demeure très actuelle – à l’ère du wokisme et du retour d’une nouvelle religion progressiste, tout aussi dangereuse que ne le fut le maoïsme en son temps – le dernier livre d’Evelyne Tschirhart est un récit captivant, dans lequel elle révèle une fois de plus ses qualités d’écriture, d’observation et de pénétration psychologique. Le lyrisme et l’émotion contenus font penser au style de Chaïm Potok. Un grand roman d’amitié et d’initiation, d’amour et de désillusion.

Quand le « soleil rouge » les aveuglait, d’Evelyne Tschirhart, éd. Balland, 2022, 26€.

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L’unique nouvelle de Toni Morrison

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Toni Morrison, le 02/04/2012 / ©Michael Lionstar/AP/SIPA / AP21218007_000001

Les éditions Bourgois publiaient à la rentrée l’unique nouvelle qu’ait jamais écrite la romancière américaine Toni Morrison, Récitatif.


Prix Nobel en 1993, auteur du très célèbre Beloved en 1988, qui lui vaudra le prix Pulitzer, Morrison a écrit ce court texte en 1983. Très clairement, cette « short story » scintille dans son œuvre d’un éclat très particulier. À tel point que l’édition française lui a ajouté une postface de la romancière britannique Zadie Smith, écrite pécialement pour rendre plus transparentes encore ces quelques pages magistralement elliptiques de l’Américaine.

Une Noire et une Blanche

L’histoire démarre par la rencontre de deux petites filles de huit ans, Twyla, la narratrice, et Roberta, dans un orphelinat nommé St-Bonny, situé dans l’Amérique profonde. Elles deviennent amies, se séparent, et se revoient au hasard de la vie, non sans que subsiste une certaine ambivalence dans leurs rapports. Ce n’est pas une amitié pure, dégagée de toute contingence : « Un jour, douze ans plus tôt, déclare par exemple Twyla, on s’était croisées comme des étrangères. Une Noire et une Blanche dans un Howard Johnson sur l’autoroute et qui n’avaient rien à se dire ». Ainsi, les états d’âme fluctuent au fil du temps.

Toni Morrison se garde de tout nous dévoiler, et se contente seulement de faire comprendre que les deux fillettes sont de couleurs différentes. L’une est blanche, l’autre noire, mais sans qu’on sache exactement qui est qui. C’est au lecteur de se faire sa propre idée, à partir des indices que donne le texte. Ce procédé pourrait paraître artificiel, mais en fait, sous la plume de Morrison, il semble parfaitement aller de soi. Insister sur la couleur de peau des fillettes aurait paru une grossièreté. La narration, dans Récitatif, se développe au contraire avec la plus grande harmonie, et Twyla et Roberta sont décrites, non à partir de leur appartenance à une race, mais dans la vérité de leur être. 

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La question du racisme

Ce n’est pas que Morrison esquive le problème du racisme. De fait, il est au premier plan, à presque toutes les époques où se déroule cette histoire. On peut même dire que Morrison l’évoque avec insistance, ce qui n’étonnera pas le lecteur qui la connaît, mais elle le fait toujours à travers le prisme de ses personnages. En réalité, elle essaie de se situer au-delà du racisme, dans les relations que tout individu entretient avec son prochain. Zadie Smith, dans sa postface, précise cette idée de la manière suivante : « Si c’est un humanisme, c’est un humanisme radical, qui lutte en direction de la solidarité dans l’altérité, de la possibilité et de la promesse d’unité au-delà de la différence ».

C’est là qu’intervient, pour illustrer cette dimension morale, le personnage de Maggie. Maggie était une pauvre femme muette qui travaillait à la cuisine de l’orphelinat, sœur lointaine, par certains aspects, du Smerdiakov de Dostoïevski dans Les Frères Karamazov. Un jour, elle est bousculée et tombe à terre sous les coups des enfants. Cette image de la misère et du malheur bouleversera Twyla et Roberta devenues adultes. Elles se souviendront, des années plus tard, de cette Maggie et l’évoqueront à chaque nouvelle rencontre. Elles se demanderont même si Maggie n’était pas noire. « Elle n’était pas noire, ai-je dit. Un peu, qu’elle était noire, et tu lui as donné des coups de pied. Toutes les deux, on l’a fait. T’as donné des coups de pied à une dame noire qui pouvait même pas hurler ». Les souvenirs ne sont plus aussi précis qu’avant, mais la culpabilité demeure.

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Une leçon d’éthique

Pour Zadie Smith, dont le commentaire rejoint avec une grande évidence ce que la fiction dépouillée de Morrison laisse affleurer, les choses paraissent claires : « Morrison, écrit-elle, veut que nous ayons honte de la manière dont nous traitons ceux qui sont impuissants, bien que nous aussi nous sentions impuissants ». Comment ne pas être d’accord ? C’est une injonction à s’ouvrir aux autres, qui rappelle la parabole du Bon Samaritain, dans l’Évangile de Luc, apôtre lettré. En un sens, ce message peut être perçu comme à contre-courant, car très éloigné de la réalité quotidienne, dans notre société où la loi de la jungle et le « chacun pour soi » règnent.

Mais en nous décrivant ses deux fragiles héroïnes, qui finissent par se retourner sur le destin emblématique de la pauvre Maggie, Toni Morrison semble nous indiquer que chaque être humain conserve, au plus profond de lui-même, une conscience qui veille et un cœur pur. De cette leçon d’éthique toute simple sur l’amour envers son semblable, Toni Morrison, une fois de plus, nous livre une illustration superbe.

Récitatif, de Toni Morrison et postface de Zadie Smith, éd. Christian Bourgois, 14 €.    

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Pour la finale, j’enfile mon survêt’ « Challenger »

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Supporters des bleus. JEANNE ACCOSRINI/SIPA 01024594_000005

Pour supporter les Bleus, il faut absolument ressortir la tenue mythique de 1984 signée Adidas.


Je regrette le temps où les marques de sport faisaient appel à nos meilleurs poètes pour rédiger leurs encarts publicitaires. C’était autrement plus beau que du Ernaux, plus soyeux qu’un édito de Rousseau et moins austère qu’un point-presse d’un obscur ministère. On savait écrire et enflammer le cœur des adolescents par des mots simples. Les slogans d’alors réveillaient nos sens, on invoquait des images champêtres, ça sentait le sous-bois et la chaleur d’un foyer aimant, une France pas du tout rance qui s’admirait et ne se reposait pas sur ses lauriers. Á la lecture de ces quelques lignes, on apercevait une biche par la fenêtre de notre HLM, le Concorde dans les airs mettait trois heures et quinze minutes pour rallier JFK Airport et nous espérions courir à la vitesse de Mach 2 sur les pelouses de banlieue. L’acte d’achat n’était pas moralisateur mais libérateur d’énergies. En 1984, Adidas prônait la douceur dans la victoire, le bien-être au service de la Nation, le confort dans l’effort, la sape dans les stades, la « Marseillaise » a cappella. Je souhaite qu’au baccalauréat, nos lycéens étudient ce tercet d’inspiration nervalienne dont subsistent quelques traces d’un surréalisme qui n’aurait pas déplu à Éluard. Il y a dans ces vers parfaits d’équilibre et de sensibilité, l’emphase et l’onde nostalgique, l’élan et la sérénité, la confiance dans notre modèle républicain et aussi une forme de cohésion apaisée. J’en pleure tellement cette époque semble lointaine. Si Jacques Prévert n’était pas mort en 1977, il en aurait certainement fait une chanson populaire. Sardou ou Mort Shuman auraient été des interprètes merveilleux, capables de donner à ce refrain suffisamment de puissance et de gloire pour animer tout un peuple. Écoutez et laissez-vous porter par cette vague, cette flamme intérieure : « Tout en velours, beau comme le daim ; souple et ultra-doux, tonique et confortable ; taillé pour le bien-être de tous ». Après avoir lu ça, vous imploriez vos parents de vous offrir ce survêtement existant en sept coloris et parfois plastronné d’un coq brodé. Son prix élevé, plus de 600 francs, était à la hauteur de vos ambitions sportives ou urbaines car il se portait partout en boîte de nuit ou sur un terrain de foot, au collège ou au solfège.

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Le « Challenger » était altruiste et cocardier. Sans le savoir, il fit le trait d’union entre les cités et les campagnes, entre les podiums de mode et les pistes d’athlé. Avant d’être la tenue officielle de nos champions d’Europe, le « Challenger » incarnait un art de vivre nouveau. Le mantra des Eighties : « Aisance sans élégance n’est que ruine de l’âme » avait été créé spécialement pour lui. Il fut précurseur des grandes tendances vestimentaires et musicales, du décloisonnement du survêt qui sortait enfin des vestiaires, de « Public Enemy » remplaçant Tino Rossi au combat sans merci que se livrèrent les géants du secteur et de l’avènement du sport-business. Un an après le tournant de la rigueur, le « Challenger » ouvrait la voie au réenchantement des cours de récréation. Avec lui sur le dos, nous criions ensemble : « Vive la crise ! » Ceux qui n’ont pas été jeunes et cons dans les années 1980 ne peuvent comprendre à la fois, l’attrait et la fascination du « Challenger » sur les masses studieuses. Un jour, peut-être, des universitaires sérieux s’intéresseront à ce creuset anthropologique aussi profond que le « 501 » et la polaire pour la génération « yéyé » ou « milléniale ». Et son contact sur la peau, plus jamais nous ne connaîtrons un tel velouté, une caresse sur les bassesses de la mondialisation en marche. Dans la famille « Challenger », il y avait les légitimistes en bleu marine, les dandys en blanc période Eddie Barclay, les exhibitionnistes en bleu ciel, les effacés en gris souris, les ombrageux en rouge, quant aux possesseurs de l’ensemble « vert », nous n’avons jamais réussi à bien déchiffrer leur caractère. Si nos héros du Parc des Princes, les Platini, Giresse, Tigana, Fernandez et el señor Hidalgo avaient choisi de s’habiller en « Challenger » lors de la finale du 27 juin 1984, nous nous devions de les imiter. Cet esprit de concorde, je le retrouve dans notre équipe nationale actuellement au Qatar. On joue ensemble, on se regarde, on s’épaule et quand le danger est imminent, un sursaut d’orgueil, un coup de tête ou un coup franc viennent nous sauver. Alors, cet après-midi, pour conjurer le mauvais sort et soudoyer les dieux du stade, je ressortirai ma veste vintage.

Et maintenant, voici venir un long hiver...

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Pour l’Allemagne, c’est chacun pour soi

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Le chancelier allemand Olaf Scholz rend visite à des troupes de la Bundeswehr à Ostenholz, dans le nord de l'Allemagne, 17 octobre 2022. / Ronny HARTMANN / AFP

Avec la guerre en Ukraine, l’Allemagne est au bord d’une crise politico-économique majeure. Pour éviter le pire, le chancelier Olaf Scholz tend la main aux pays de l’Est, à la Chine et noue des partenariats avec les Etats-Unis. Un nouveau cap qui exclut le « couple » franco-allemand.


« Nous devons serrer les rangs, apaiser les vieux conflits, rechercher de nouvelles solutions ». À l’université Charles de Prague, le lundi 29 août, Olaf Scholz abat ses cartes. Il propose un plan à l’Europe : son recentrage à l’Est, sous la gouverne de l’Allemagne, garantie d’un rééquilibrage politique et de son arrimage consolidé à un « partenaire fort, les États-Unis de Joe Biden », via l’OTAN. Pas une fois, le chancelier allemand ne cite la France dans son discours. Les penseurs du « couple » franco-allemand – concept inventé sur les bords de Seine que l’on traduit du côté des berges de la Spree par le « moteur » franco-allemand – s’en émeuvent, sans bien mesurer la profondeur et la portée de la mue en marche de l’autre côté du Rhin. Depuis, les confirmations s’enchaînent. Pour donner encore plus de poids à son ouverture, le « roi Olaf », comme le surnomment les médias outre-Rhin, a tendu la main à tous les États frappant à la porte de l’Union européenne sur ses marges orientales. L’Ukraine, évidemment, mais aussi la Moldavie et la Géorgie. Et les six pays des Balkans : la Serbie, le Monténégro, le Kosovo, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord, l’Albanie.

Pour crédibiliser cette Europe à 36 relevant d’une vision plus que d’un projet politique, tant les obstacles sont nombreux, le dirigeant allemand plaide encore pour l’abandon à terme de la décision à l’unanimité sur les sujets stratégiques, comme la politique étrangère ou la fiscalité. Sa proposition parle aux Français : les diplomates berlinois la poussent à Bruxelles pour l’exportation des matériels de guerre. Ce dossier est l’objet d’un contentieux majeur avec Paris sur les programmes en commun. Les Verts allemands ayant imposé aux coalitions successives l’interdiction de vendre ces matériels aux États réputés en délicatesse avec les droits de l’homme, les autorités cherchent à s’extraire des accords bilatéraux existants en promouvant l’harmonisation des règles au niveau de Bruxelles, avec un mécanisme de gouvernance à la majorité qui leur permettrait de gérer les dossiers au gré de leurs intérêts en s’appuyant sur leurs alliés ; une façon détournée de rétablir l’équilibre avec les industriels français, pour lesquels le Moyen-Orient représente un gros débouché.

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L’homme fort du SPD, élu le 8 décembre 2021 dans le fauteuil d’Angela Merkel, propose à l’Europe « un retour aux sources » – « Ad fontes », prononce-t-il en latin dans cette université fondée en 1348 qui fut le creuset des élites du Saint-Empire romain germanique, comme pour mieux convaincre de la légitimité de sa démarche cette Mitteleuropa déjà transformée depuis belle lurette en atelier de sous-traitance des fleurons du Made in Germany. Il revient à Scholz de faire oublier le tropisme de Berlin pour la Russie, dont témoigne son propre parcours. Dans sa jeunesse militante, il fraye avec les communistes de la RDA. Au sein du parti social-libéral, il fait carrière dans la roue de Gerhard Schröder, l’ami de Vladimir Poutine, désormais paria de la politique allemande. À la veille du déclenchement de la guerre, sous la pression internationale, le nouveau chancelier stoppe la certification de Nord Stream 2, dont ne veulent pas les Américains, qui se vantent dans leurs médias d’avoir cassé les reins de la puissante industrie allemande en allumant la mèche de l’Ukraine. Les voisins immédiats de l’Allemagne lui reprochent toujours de tergiverser vis-à-vis de l’Ukraine, car il s’oppose à la rétrocession de chars lourds Leopard à Kiev.

Promoteur du « modèle allemand » issu de la réunification de 1990, le dirigeant cherche à le réinventer dans l’urgence. Le choc de la guerre a fragilisé ses poutres porteuses, qui menacent de s’effondrer. Le pacifisme de ses élites a laissé le territoire sans protection réelle. Au lendemain du 24 février, pour calmer les bellicistes de son entourage, les généraux, que les politiques avaient privés du droit de s’exprimer dans l’agora, déclarent que l’armée est inapte au combat. Huit mois plus tard, c’est son industrie, le pilier de sa puissance économique, qui est en passe de perdre le secret de sa compétitivité : l’accès au gaz russe abondant et bon marché (51 milliards de mètres cubes sur les 84 milliards consommés par an). En 2011, Merkel avait conclu avec les Verts l’abandon du nucléaire à l’horizon 2022 et son corollaire, la montée en puissance du solaire et de l’éolien. Mécaniquement, la part de l’énergie fossile a augmenté, en particulier celle du gaz, qui s’est envolée quand il a été décidé, de surcroît, de fermer les mines de charbon sur le territoire pour accélérer la transition écologique. Lorsque la guerre éclate, l’usine mère de Volkswagen, en Basse-Saxe, qui emploie 63 000 personnes, vient de basculer du charbon au gaz russe, souligne dans une note percutante Patricia Commun, chercheuse à l’IFRI.

Chez nos voisins, l’industrie génère 25 % du PIB national (deux fois moins en France), 6 millions d’emplois directs et la moitié des emplois dans les services. Début novembre, la Commission européenne avertissait que l’Allemagne serait touchée la première et le plus longtemps (sans doute toute l’année 2023) par la récession annoncée d’ici la fin de l’année sur le Vieux Continent. Selon un sondage commandité début novembre par le quotidien Der Spiegel, la frange de l’opinion opposée à la guerre en Ukraine a progressé de 11 % par rapport à avril, pour atteindre 40 %. La peur du lendemain gagne les ménages, frappés par une inflation supérieure à 10 % depuis septembre. Après un temps d’« anesthésie », le patronat sonne l’alarme. Porte-parole de la fédération des industries chimiques allemandes, qui regroupe 1 900 entreprises fortement consommatrices d’énergie (15 % du gaz consommé outre-Rhin), Pierre Gröning explique : « Soumis à une multiplication des prix du gaz par sept en un an, un tiers ont réduit leur production, 13 % envisagent de transférer des capacités à l’étranger, notamment aux États-Unis, la moitié se posent la question de leur survie à moyen terme. C’est l’échec du modèle industriel allemand. S’il s’effondre, il y aura des effets dominos sur toute l’économie, et puis dans toute l’Europe ».

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Scholz a contre-attaqué en ne s’embarrassant ni des vaches sacrées allemandes, ni des dogmes européens. Au diable la rigueur budgétaire et l’ordre libéral : l’État fédéral débourse des dizaines de milliards d’euros pour nationaliser les distributeurs de gaz et les raffineries en faillite, dégaine un bouclier tarifaire à 200 milliards d’euros sur le gaz et l’électricité pour les ménages et les entreprises, s’oppose aux Européens qui veulent plafonner le prix du gaz de peur de perdre ses fournisseurs émiriens et qatariens. Il s’envole fin octobre pour Pékin à la rencontre de Xi Jiping – sans Emmanuel Macron ; en 2019, le président français avait reçu le leader rouge en compagnie d’Angela Merkel. Sa propre ministre des Affaires étrangères, la verte Annalena Baerbock, lui fait faux bond, l’accusant de céder à la panique en passant d’une dépendance à l’autre. En réalité, elle doit présider la réunion de ses homologues du G7 à Munster, où elle affiche sa proximité avec la diplomate Victoria Nuland, qui pilote les dossiers européens à la Maison-Blanche, et Anthony Blinken, le secrétaire d’État, les deux faucons antirusses de l’administration américaine, qui ne cachent pas leur hostilité à ce voyage ; quelques grands patrons allemands, dont celui de Mercedes-Benz, dit-on, ont décliné l’invitation du chancelier. La plupart, toutefois, le soutiennent : depuis la destruction des pipelines Nord Stream 1 et 2, l’industrie a fait une croix sur le gaz russe et elle n’entend pas se faire hara-kiri en perdant aussi la Chine, son principal débouché, avec laquelle sa balance commerciale est excédentaire, cas unique en Europe. À Pékin, ils auraient ouvert un canal de discussions tripartites avec Moscou en vue de hâter la paix en Ukraine.

Il y a longtemps que Washington a placé Berlin sous dépendance stratégique. L’Amérique possède plusieurs bases militaires sur le sol allemand, et elle est comme chez elle dans les institutions militaires et sécuritaires du pays. Au printemps, Scholz lui a offert un sérieux gage avec la création du fonds spécial doté de 100 milliards d’euros pour rééquiper la Bundeswehr en cinq ans. Un effort historique, décidé en accord avec l’opposition (dont la très atlantiste CDU-CSU) au Bundestag, qui a la main sur les dépenses militaires : les industriels d’outre-Atlantique seront les premiers servis. Privilégiée par la Bundeswehr, cette option sécurise son interopérabilité avec son  allié et la rapidité de sa remontée en puissance. La liste des achats comprend 35 chasseurs F35 capables d’emporter les bombes nucléaires B61 américaines stationnées en Allemagne, un lot d’hélicoptères lourds Chinook, des avions de patrouille maritime P-8 Orion, des batteries de missiles Patriot. Ces systèmes seront couplés au matériel antiaérien national, le IRIS-T, pour constituer le bouclier de défense sol-air européen dont Berlin a annoncé la création en octobre, avec 14 membres de l’OTAN, mais sans la France et l’Italie : les deux pays ont développé le Mamba, déjà opérationnel en Roumanie.

Un camouflet de plus pour l’Élysée, dont les programmes en commun lancés en 2017 sont l’épine dorsale de sa politique bilatérale et européenne et accumulent les difficultés. Les Allemands ont abandonné l’idée d’acquérir le successeur de l’avion de patrouille maritime Atlantic 2 et ne veulent pas s’associer à la modernisation de l’hélicoptère Tigre franco-allemand. Ils semblent se désengager du MGCS, le futur char de bataille, au profit d’une solution nationale. Concernant le SCAF, l’avion de chasse de prochaine génération, ils ont multiplié les arguties pour tirer au maximum la couverture à eux, à telle enseigne que Dassault a menacé d’arrêter les frais. Le bouclier de défense sol-air était le contentieux de trop. Emmanuel Macron annule le Conseil des ministres franco-allemand prévu fin octobre. Nous sommes à quelques semaines de la célébration des soixante ans du traité de l’Élysée du 22 janvier 1963, le socle de la coopération franco-allemande. Le face-à-face devrait encore se tendre dans les prochains mois. Les industriels d’outre-Rhin feront tout pour compenser les commandes parties aux États-Unis.

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Devant les généraux de la Bundeswehr, le chancelier a exprimé sa volonté qu’elle devienne le « pilier de la défense conventionnelle en Europe, la force armée la mieux équipée d’Europe ». Lourde et hétérogène, cette armée servant jusqu’alors de faire-valoir à l’industrie nationale vit un changement d’époque. Ses deux nouvelles priorités opérationnelles sont la défense du territoire et la réassurance de ses partenaires continentaux. Elle annonce à cet effet la création de trois divisions médianes (45 000 hommes) sur le modèle des unités françaises taillées pour la projection. Cette ambition heurte aussi de plein fouet la Pologne. Varsovie, qui s’apprête à doubler les effectifs de son armée et à tripler ses budgets d’acquisition, est candidate auprès de l’OTAN pour que soit entreposée sur son sol la bombe nucléaire américaine (ce qui serait un casus belli avec la Russie) et invite Paris à dépasser les différends politiques pour construire un partenariat stratégique.

Depuis l’éclatement du conflit ukrainien, le chancelier gère les urgences et fixe un nouveau cap à l’Allemagne à travers les nombreux écueils dressés sur sa route. Combien de temps tiendra-t-il la barre dans cette tempête ? Fragile, son improbable coalition « tricolore » associant les socialistes du SPD, les Verts et les Libéraux du micro-FDP peut très bien exploser pour laisser la place à une autre combinaison tout aussi improbable autour des conservateurs de la CDU-CSU. Économiquement, le plus dur est encore à venir. Au printemps, le gaz russe aura définitivement arrêté de couler dans les pipelines et il faudra remplir au prix fort les réserves vidées par l’hiver… De droite ou de gauche, les Allemands peuvent se montrer « brutaux » quand leurs intérêts vitaux, sur lesquels ils tombent toujours d’accord, sont en jeu, explique un diplomate français ayant été longtemps en poste à Berlin. Au début de la crise du Covid, Angela Merkel a brutalement fermé la frontière avec la France. Aujourd’hui, Scholz pousse la France et sa défense européenne dans le fossé pour asseoir le leadership militaire allemand en Europe. Dans l’adversité, l’Allemagne défend ses intérêts. Quoi de plus légitime ? Et quand la France en fera-t-elle de même ?