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L’empereur Sponsanius : réel ou imaginaire ?

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C’est une découverte qui pourrait provoquer un séisme dans le milieu de l’histoire antique : l’empereur Sponsanius aurait bel et bien vécu ! En effet, l’existence de ce souverain est entourée de tant d’obscurité que certains historiens avaient fini par affirmer qu’il avait été inventé de toutes pièces et l’avait rayé de la liste des Césars.


Tout commence en 1713, lorsque de nombreuses pièces antiques sont découvertes en Transylvanie. Hormis un supposé (quoique véritable) statère macédonien d’Alexandre le Grand, aujourd’hui perdu, toutes sont romaines. Parmi ce trésor, des monnaies à l’effigie de nombreux empereurs romains tels que Gordien III, Philippe l’Arabe et/ou Philippe II. Mais ce n’est pas celles-ci qui vont retenir l’attention des archéologues. En effet, au milieu de cet amas de pièces, deux sont frappées au nom d’un certain Sponsanius. Or, il n’existe aucune mention de ce personnage dans les sources écrites. Cette trouvaille va susciter de nombreuses interrogations, notamment sur sa réelle existence. 

Bien que d’abord considérées comme des imitations « barbares », (il n’était pas rare que des pièces de monnaie romaines fussent fabriquées au-delà des frontières de l’Empire) et donc de purs produits de l’Antiquité, il est toutefois rapidement établi que ces monnaies sont l’œuvre d’un fraudeur du XVIIIᵉ siècle. En 1868, Henry Cohen, numismate français, qualifie même celles-ci de fabrications « modernes ridiculement imaginées et très mal faites ». Cet argument n’est pas sans fondement, quand on sait que de nombreux faux furent réalisés à partir de la Renaissance (comme ce fut le cas avec le médailleur italien Giovanni Cavino, dit le Padouan, qui s’exerça à contrefaire des médailles anciennes, afin de s’enrichir aux dépens des collectionneurs).

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La théorie de la contrefaçon est donc devenue au fil du temps la version prédominante, jusqu’à ce que des scientifiques de l’University College de Londres décident d’apporter une réponse définitive au mystère. Dans leurs travaux, publiés le 23 novembre 2022, ils expliquent qu’ils ont décidé de reprendre les investigations. Leur principal argument : l’Antiquité tardive intéressait très peu les personnes du siècle des Lumières, et il aurait été étonnant d’émettre de nombreuses pièces à l’effigie de Sponsanius, au profit d’autres empereurs romains bien plus connus et suscitant davantage d’intérêt. Après avoir passé le trésor transylvain au microscope, il s’est avéré que les pièces possédaient des traces d’usure, similaires à celles d’autres monnaies d’authenticité reconnue, suggérant alors que ces pièces auraient bien été en circulation active pendant des années. Ces résultats ont amené les archéologues à penser que l’existence de Sponsanius ne serait désormais plus à exclure. Mais qui était-il vraiment ?

Un personnage historique ténébreux

Face à cet inconnu de l’Histoire, les premiers chercheurs ont tenté d’élaborer des hypothèses. En raison du métal choisi – l’or – pour l’un des deux types monétaires, sa représentation avec la couronne radiée et la provenance des monnaies à son effigie, il en a été déduit qu’il s’agissait d’un usurpateur, ayant régné sur la Dacie romaine (nom antique désignant le territoire de l’actuelle Roumanie). Soit vers 248-249, lors des guerres civiles qui mirent fin au règne de Philippe l’Arabe, soit vers 260, ou bien vers 275, lorsque l’empereur Aurélien abandonna la province conquise par Trajan en 106.

À une époque où l’Empire romain était en proie à la guerre civile et les frontières submergées par les pillages et invasions, Sponsianus aurait ainsi été un officier de l’armée contraint de prendre le commandement suprême. Rappelons qu’au cours du IIIᵉ siècle, de nombreux États régionaux sont apparus, à l’instar de l’Empire des Gaules ou du Royaume de Palmyre. Toutefois, si l’on considère que sa priorité aurait été de protéger la population et de résister à l’envahissement par des tribus hostiles, il n’était pas techniquement un usurpateur défiant l’autorité centrale, mais son imperium pouvait être considéré comme une nécessité locale. Tout est dans la nuance du terme. Il semblerait d’ailleurs que le mystérieux empereur n’a jamais contrôlé d’atelier de monnaie officielle et certainement jamais régné à Rome !

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Malheureusement, en l’absence de sources, il est encore impossible de déterminer qui était vraiment Sponsianus, absent de tout ouvrage relatif à l’Antiquité tardive, en raison de sa seule représentation sur les monnaies de Transylvanie. Cette étude reste pourtant une nouvelle avancée pour la recherche historique puisque les scientifiques de l’University College estiment que le souverain, longtemps considéré comme fictif, devrait « être réhabilité en tant que personnage historique ». Une opinion partagée par le professeur Paul Pearson qui considère que « l’analyse scientifique de ces pièces extrêmement rares sauve l’empereur Sponsianus de l’obscurité », ainsi que par Alexandru Constantin Chituță, directeur intérimaire du Musée national Brukenthal de Sibiu, lieu où est conservée l’une des quatre pièces, qui a déclaré à l’AFP, que ces résultats permettrait d’ajouter « un personnage historique important à notre Histoire », s’ils étaient « reconnus par la communauté scientifique »

Un milieu qui reste encore à convaincre, car beaucoup restent dubitatifs quant aux résultats de cette étude. À l’image de Richard Abdy, conservateur des monnaies romaines au British Museum, qui estime que certains ses collègues sont devenus tellement obsédés par ce mystère qu’ils ont fini par croire à l’existence de ce personnage sur la seule base d’une émission de pièces de monnaie, tandis que Mary Beard continue de croire que l’aureus est un faux, en raison de son revers qui est une copie d’une pièce de l’époque républicaine. Emanuel Petac, président de la Société roumaine de numismatique, est allé jusqu’à déclarer que la monnaie n’avait « rien à voir avec le monde romain ». Les débats sur l’historicité de Sponsianus sont donc loin d’être terminés…

Le mythe, la guerre et l’Amérique

Si, comme notre chroniqueuse, vous vous étonnez toujours de la facilité avec laquelle les Américains produisent des chefs-d’œuvres, littéraires ou cinématographiques, sur leurs fiascos militaires, quasiment en temps réel, alors que les Français se demandent toujours comment parler de la guerre d’Algérie, alors le dernier roman d’Elliot Ackerman, En attendant Eden, mérite d’entrer dans votre bibliothèque.


Adam Driver, dont on ne manque jamais de rappeler à chacune de ses prestations qu’il s’est engagé au lendemain des attentats du World Trade Center, jouait parfaitement l’amputé de guerre dans Logan Lucky. Le thème du cambriolage était léger, mais entre un Daniel Craig en habit de forçat et une Hillary Swank estampillée FBI, l’Amérique, son gouvernement et son système de valeurs étaient vaincus par K.O sur le ring de leur culpabilité et de leur incapacité à rendre un bras à celui qui en avait perdu un… Une chance pour Hollywood : Adam Driver n’a pas eu celle d’aller au front.

Pourtant les représentants de cette génération sont légion. Au niveau littéraire, Elliot Ackerman est l’une de ses plus belles voix. A son actif, cet ancien  « Team Leader » du Marine Corps Special Operations a cinq missions en territoires extérieurs :  l’Afghanistan d’abord puis l’Irak. Un stakhanoviste de la défaite. D’une guerre l’autre, il gagne Silver Star et Purple Heart, autres « insignes rouges du courage », comme disait Stephan Crane…

Mais les morts font tache sous le drapeau et pourtant, ils ne sont pas les moins enviables. Le narrateur d’En attendant Eden est bien mort et il n’y a rien de plus honnête ni de plus froid qu’un mort (on se rappelle comment le film Vice sur Dick Cheney avait utilisé ce principe). Dès le premier paragraphe du roman d’Ackerman, ce narrateur défunt raconte les faits d’une manière détachée : « Cette nuit-là dans la vallée du Hamrin, il était assis à côté d’Eden et il eut plus de chance que lui lorsque leur Humvee roula sur une mine, les tuant lui et tous les autres, le laissant, lui, tout juste survivant ». Et face au fait se tient le hasard : Eden, donc, est en vie, simple hasard de la mécanique des fluides.

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En vie, vraiment ? « Ni vivant ni mort, ce que c’était ne portait pas de nom ». Et pourtant, ce Godot dans un Paradis Perdu du Middle West était aussi beau et fort qu’un héros de Starship trooper. Plus de 100 kilos de muscles réduits à 35 après avoir été « ramené à la maison ». Une jambe coupée par-ci, une autre par-là, les chiffres vont vite… Et ainsi devient-il « l’homme le plus grièvement blessé des deux guerres. Avec tous les progrès de la médecine, cela faisait sans doute de lui l’homme le plus grièvement blessé de l’histoire de la guerre, et [les infirmières] venaient de le garder en vie d’un bout à l’autre du monde ».

Le roman d’Ackerman s’inscrit dans la lignée des productions de guerre. Il n’a rien à envier à Johnny got his gun, le chef d’œuvre de Dalton Trumbo. Certes, l’auteur réutilise le morse du condamné par l’orgueil des médecins (qui ont appris « tout ce qu’il y a à savoir sur comment acheter du temps à un corps démoli. Massage cardiaque, agent coagulant, garrot, intubation nasotrachéale, tout ce vocabulaire des instants sauvegardés »), les réflexions sur l’absurdité des entraînements à la Full Metal Jacket, ou encore les motifs plus prosaïques et romanesques des épouses coupables et adultères à la Pearl Harbor — le film de Michael Bay… On peut ainsi s’amuser à chercher l’origine des détails d’Ackerman. Mais cette constellation d’œuvres — la petite-fille d’Eden, cet objet non identifié dans l’histoire de la guerre, ne s’appelle pas « Andromède » pour rien — est avant tout porteuse d’une lucidité exceptionnelle sur l’état de la mythologie qu’elles portent.

Car la prose d’Ackerman démystifie le mensonge « dans les journaux et sur les chaînes d’info du câble ». Ce mensonge, ce n’est pas tant celui des raisons indicibles des invasions post-2001, c’est celui du chiffre. Les statisticiens décomptent séparément les victimes de l’Afghanistan et de l’Irak, ces deux fiascos de la lutte anti-terrorisme, qui ont donné une opportunité à tant de jeunes d’échapper à leur foyer, « forme de terrorisme tranquille »« Séparer les deux guerres rendait chaque nombre gérable ». Mais donner des victimes un faux bilan, c’est refuser à ceux qui n’ont plus que le droit de mourir la dernière chose qu’il leur reste : l’écho de leur sacrifice.

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Alors, de manière subreptice, on se surprend à se demander combien de morts ont fait le Mali ou le Sahel, combien de soldats français vont encore une fois passer les fêtes dans un hôpital militaire, comme Eden… En un ou plusieurs morceaux.

Au passage, c’est le mythe tout entier du guerrier qu’Ackerman déconstruit. Et à travers son héros, pauvre « débris démoli » encore animé d’un soupçon de vie, il déconstruit le mythe entier de l’Amérique. Les cérémonies officielles, saluts au drapeau et salves d’honneur sont exécutés par définition par des planqués. Les survivants, même quand ils sont revenus, comme Ackerman, en un seul morceau, ne la ramènent pas. Les mythes se construisent toujours sur des morts dont on se garde bien d’exhiber la dépouille elle-même déconstruite. Ils se façonnent aussi sur des actes qui, vus de près, n’ont rien de glorieux, et pourraient même passer pour criminels. Ackerman n’a-t-il pas récolté sa Bronze Star pour un raid à Azizabad qui tua entre 33 et 92 civils, essentiellement des femmes et des enfants, sur la foi d’une fausse information fournie par un agent double ? L’écriture sert aussi à cicatriser les plaies purulentes de l’âme.

Ce roman n’est donc pas qu’une « histoire d’amour, hors des clous », contrairement à ce qu’en dit la quatrième de couverture. C’est une analyse à cœur ouvert de l’Amérique. De sa relation avec sa propre armée et les mythes qui la soutiennent. Depuis 1980, ce n’est pas tant la guerre qui garantit sa grandeur à l’Amérique, ce sont bien ses fiascos. Make America great again reste bien l’objectif de l’armée, mais ce sont ses échecs qui en garantissent paradoxalement le succès. On les envierait presque d’avoir cette capacité de créer sur leurs propres ruines, et de faire des œuvres d’art avec tant de décombres.

En attendant Eden, d’Elliot Ackerman, éd. Gallmeister, 160 p., 2022, 9,10€.

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Un cheval nommé désir !

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« Enzo Ferrari – Le rouge et le noir », un documentaire d’Enrico Cerasuolo à visionner sur le site d’Arte durant les fêtes de Noël, nous replonge dans le monde d’un ingénieur-artiste qui incarnait une certaine civilisation hédoniste.


A l’ère des « petits hommes », sans éclat et sans nerf, de l’éloge de la lenteur et de la terreur idéologique, le « Commendatore » né en 1898 ne comprendrait rien à cette époque flasque et apeurée. Il nous trouverait lâches et dociles, ayant perdu le sens du duel et de l’exploit, s’arcboutant sur notre confort intellectuel et nos aspirations étriquées. A la mobilité sentencieuse et revancharde de nos gouvernants, il répondrait « vitesse » et « performance » mais aussi « symphonie » et « sculpture ».

Iconique

C’était un pionnier, un empereur, un pape, un entrepreneur, un géant de l’automobile tantôt tyran, tantôt sentimental, comme seul le XXème siècle était capable de faire naître et prospérer dans la campagne d’Émilie-Romagne. Un paysan-mécano devenu roi de l’asphalte, hissant sa couleur rouge dans le cœur des enfants et sur le podium des circuits. De Modène à Maranello, de Shangaï à Pebble Beach, son nom est un mythe roulant que les garçons se répètent en s’endormant.

Rouler un jour en Ferrari est un but pour nombre d’entre nous, une ambition intime et un voyage ailleurs, dans un pays jusqu’alors inconnu. Car nous avons beau admirer les Porsche et les Maserati, la Ferrari demeure à part. Est-ce une voiture ou un phantasme ? Une œuvre d’art ou une allégorie ? Une divinité ou un rêve ? Cette pièce racée tient à conserver son standing, elle ne se mélange pas dans la circulation.

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Elle accepte son statut d’icône. La voir est un cadeau du ciel, la conduire un don de Dieu réservé à une poignée d’élus. Elle ne se dissimule pas sous une robe trop ample et ne cache pas ses inavouables intentions dans une mécanique vertueuse. Elle cherche à abolir le temps, à condenser notre existence, à transformer le mouvement, à nous transporter dans une réalité parallèle. Elle modifie nos sens. Son impudeur fait notre bonheur. Sa dissidence sauvage n’est pas factice. Son outrance sonore est probablement ce qui nous maintient en éveil, malgré les crises et les guerres.

Depuis son origine, la Ferrari a imposé sa propre dramaturgie et scénographie. Tel un poème épique, elle ne se commente pas, elle se conduit simplement dans sa chair. Avec humilité et dévotion. Chez elle, le bruit s’appelle musique et ses accélérations sont des apnées féériques qui guérissent tous les maux. Après elle, toutes les autres voitures nous paraîtront fades et timorées, un peu vaines, sans ardeur. Pour oser pénétrer dans son habitacle, on doit s’agenouiller. D’emblée, nous lui faisons allégeance. Nous acceptons sa supériorité et nous nous soumettons à son cérémonial. La ligne signée Pinin Farina, l’intérieur relativement dépouillé, la boîte en H grillagée, la position basse et les baquets enveloppants, puis le « douze cylindres » expectore, libère sa flamme et propulse sa hargne. Sa soif semble inextinguible. Sa démesure est une source de béatitude renouvelée à chaque pression sur la pédale de droite.

Industriel virtuose

La Ferrari vous jette les virages à la figure. Elle est violente et vous oblige à une vigilance permanente. Entre le deuxième et le troisième rapport, la Terre tremble. Assurément, nous sommes plus vivants à son bord. Et, nous communions ainsi avec les légendes du sport automobile, avec les archanges de la piste. Nous nous souvenons alors d’Ascari, de Fangio, de Villeneuve et de Lauda.

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La Ferrari, c’est l’Histoire de l’Italie, de l’Europe occidentale et d’une certaine civilisation hédoniste portée par l’avant-garde technologique et la beauté des formes, celle d’un artisan érigé en emblème national. Avant de savoir compter ou lire, les enfants en bas âge reconnaissent naturellement les créations de cet Italien aux lunettes fumées et à l’imperméable clair. Le documentaire « Enzo Ferrari – Le rouge et le noir », disponible gratuitement sur Arte jusqu’au 9 janvier 2023, retrace l’épopée de cet industriel virtuose qui travaillait pour l’éternité et les victoires. Les multinationales et les stars de cinéma lui faisaient la cour. Il tenait trop à son indépendance et à sa maison pour accepter notamment la tutelle de Ford. Il finit tout de même par intégrer la FIAT.

Mais Agnelli était un compatriote. Il ne supportait pas l’infidélité de ses collaborateurs et les caprices de ses pilotes. Il était colérique et charismatique. A la disparition de Dino, son fils chéri, il déclara : « Je pense que seule la douleur peut faire grandir un homme ». Il est mort en 1988 et son cheval cabré trotte toujours dans nos têtes.

Géopolitique: le déclin de l’Occident est évitable

Pour Harold Hyman, le nouvel essai de l’historien et géopolitologue Jean-Baptiste Noé, rédacteur en chef de Conflits, montre que l’Europe doit faire face à la réalité du déclin, aux mirages de l’universalisme naïf et à la quasi-omniprésence de la guerre. Pourtant, cet ouvrage aussi érudit que synthétique véhicule un message globalement positif: tout n’est pas encore joué et l’Occident peut reprendre en main son destin.


Relier, ou du moins exposer, tous les aspects de la vision d’un monde occidental en déclin, voilà le but que s’est assigné Jean-Baptiste Noé dans cet ouvrage qui fait défiler Thucydide, Keynes, Bainville et Xi Jinping. L’auteur nous fait réfléchir aux villages de vacances ou à la géoéconomie du blue jean, et nous fait douter de l’Europe, de la défense et de la Françafrique. Le monde que nous avons connu est en déclin. Désormais il faut définir ce qui décline, et pourquoi cela reste incompris. Noé puise chez de nombreux auteurs, et nous nourrit de cartes originales.

L’ouvrage commence avec une saine révision du cadre de la géopolitique : une façon d’appréhender le monde des interactions réelles entre puissances. Jean-Baptiste Noé nous rappelle que la géopolitique n’est pas simplement le mélange de la géographie et de l’histoire politique. Les pensées humaines sont à l’œuvre, les volontés nationales sont bien présentes. Les théories géopolitiques des Grecs, de l’amiral Mahan, le penseur de la puissance navale dans l’histoire, et de Mackinder le père de la théorie du Heartland et tenant de la supériorité du terrestre sur le naval, sont passées en revue et traitées pour ce qu’elles sont : des outils d’ambitions nationales et impériales. 

Le livre se fonde sur un pessimisme raisonné : tout finit par le déclin d’un ordre préexistant. La guerre est toujours présente et il y a toujours une manifestation d’un déclin. À dessein, Jean-Baptiste Noé casse de nombreux a priori. « Les démocraties, écrit-il, pratiquent abondamment la guerre, pour répandre leurs valeurs et leur modèle politique ». Cela, et les conquêtes coloniales, rebutaient ses guides que sont Tocqueville, Bastiat et Frédéric Guizot. Ou encore : dans l’Europe contemporaine, la guerre est bel et bien présente depuis la Deuxième Guerre mondiale. Les démocraties qui croient en l’universalisme européen sont obligées de nier l’existence de la guerre sur notre sol, alors que les nations qui n’y croient pas exaltent le facteur unificateur national de la guerre. 

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Le rapport États-Unis – Russie n’a pas résisté aux engrenages d’affrontement. Aucune des deux puissances n’a voulu œuvrer pour un condominium en Europe de l’Est (Jean-Baptiste Noé n’utilise pas ce mot, mais l’idée est présente), et la prérogative que se donnait l’État russe pour dominer l’Ukraine reposait sur quelques réelles raisons historiques. Mais Jean-Baptiste Noé sait apprécier les changements chez les peuples : quels que furent les arguments autour de la proximité entre Russie et Ukraine, cela n’a plus d’importance puisque le peuple ukrainien se forge son identité nationale dans l’adversité. 

La faiblesse des puissances européennes sur leur continent est avérée. Cette guerre montre aussi que « l’Europe de la défense » est un mirage. C’est pourquoi l’armée européenne que certains voudraient bâtir existe déjà selon l’auteur : c’est l’OTAN. Pourquoi créer d’autres structures quand l’OTAN convient parfaitement à la plupart des pays d’Europe ne disposant pas d’armée de rang mondial et ne souhaitant pas investir dans la mise en place de celle-ci ? Que Washington continue à accorder de l’importance à l’OTAN montre qu’en dépit du basculement stratégique vers l’océan Pacifique, l’Europe conserve un grand intérêt à ses yeux, relève Jean-Baptiste Noé.

Mais quel est l’enjeu de l’Europe aux yeux des Européens, si déshabitués à penser la guerre sur leur continent ? Outre l’Ukraine et la Russie, il y a l’enjeu maritime. En Méditerranée, l’OTAN est certes présente et l’UE tente de se protéger du flot migratoire, mais cela semble très insuffisant. Erdogan joue sa partition en solo, et seule la France lui donne la réplique. La marine française est la seule en Europe à vouloir mener des actions. C’est peu pour assurer le contrôle d’une zone aussi vaste, ce qui démontre une fois encore la vacuité du concept de défense européenne. Jean-Baptiste Noé souligne aussi le caractère tendu de la Mer Noire, disputée entre l’OTAN, la Russie et la Turquie, et il nous rappelle cependant que la puissance maritime française ne valorise pas assez Djibouti, ou la Nouvelle-Calédonie, comme points d’appui pour la France.

Concernant les migrants, Jean-Baptiste Noé se repose sur les rapports d’Europol. Les vagues migratoires soulèvent des questions de frontières, d’accueil, de police pour les expulsions, de mafia pour les passeurs, d’ONG pour l’aspect délétère de leurs bonnes intentions, d’égoïsmes intra-européens, et d’islamisation rampante dans un contexte de dénatalité des Européens devenus ce que Jean-Baptiste Noé ne formule pas tout à fait : des autochtones.  

On retrouve Samuel Huntington dans cet ouvrage, le penseur du Choc des civilisations et le nouvel ordre mondial, qui avait vu juste selon Jean-Baptiste Noé : les guerres sont des manifestations de différences de civilisation. L’universalisme – encore lui – empêche de le comprendre. 

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Jean-Baptiste Noé aime à mettre en valeur, sans s’en cacher, le travail de tel ou tel auteur, ce qui confère un caractère de recueil à certains chapitres. Relevons parmi d’autres John Garnaut, spécialiste anglophone de la Chine communiste moderne. Pour ce dernier, le PCC se défend contre l’« infiltration culturelle négative ». La Chine n’est pas invincible car déjà les Routes de la Soie sont trop étendues. De manière originale, Jean-Baptiste Noé ne semble pas sûr que la République Populaire de Chine puisse directement envahir et encore moins occuper la totalité de Taiwan.

En ce qui concerne l’Afrique, le continent africain s’émiette tout seul, le Nigéria est miné par le djihadisme mafieux, l’Éthiopie se défait suite aux conflits ethniques mortifères. L’Afrique ne serait pas rentable pour les investisseurs étrangers, hormis dans le secteur des ressources premières. Il est temps pour la France, qui a davantage d’échanges avec la Belgique qu’avec toute l’Afrique, de sortir de son tropisme africain.

L’ouvrage aborde également le domaine de la géoéconomie. Un peu péremptoire, mais clair, Jean-Baptiste Noé déclare que les analystes restent attachés aux notions de planification étatique sur le mode keynésien, même si « le keynésianisme a pourtant toujours échoué ». L’auteur s’intéresse même à la manière de consommer irrationnelle des Occidentaux, qui ont mondialisé la fabrication du blue jean, et créé de faux paradis touristiques à l’attrait irrésistible.

Conclusion forte de Jean-Baptiste Noé : « La parenthèse universaliste est refermée. L’histoire continuera de s’écrire, avec la plume et avec l’épée. La grande leçon de la géopolitique c’est que la vie est un vouloir. Il n’existe nul obstacle climatique ou géographique, il n’existe nulle histoire écrite à l’avance ». Et c’est plutôt positif.

Le Déclin d’un Monde, géopolitique des affrontements et des rivalités, de Jean-Baptiste Noé, éd. L’artilleur, 288 p., 2022, 22€.

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L’immigré, objet sacré

L’accueil inconditionnel des immigrés est devenu une religion. Quand les prophètes du camp du Bien prêchent la belle «ouverture à l’Autre» face au vilain «repli sur soi», d’autres dévots nourrissent une haine de la France, éternellement coupable de son passé, et dont la rédemption passe par les nouveaux venus.


Les débats relatifs à l’immigration ont acquis, en France, le caractère radical d’une guerre de religion. Pour une partie de la population, l’accueil inconditionnel des immigrés constitue un devoir sacré. La majorité de la population, qui regarde de façon pragmatique les effets de l’immigration, s’étonne. Comment faire fi de la montée de diasporas produisant des contre-sociétés dont les membres ne se sentent guère citoyens français, contrôlent des territoires devenus des hauts-lieux de trafics et de violence et en chassent progressivement ceux qui n’appartiennent pas aux « minorités »[1] ? C’est que des sentiments très forts habitent les dévots de l’immigration. Les uns détestent la France historique et comptent sur les immigrés pour la subvertir (et la régénérer), d’autant plus qu’ils refusent de s’assimiler. Pour d’autres, l’accueil inconditionnel constitue la pierre de touche de l’appartenance au camp du Bien tel qu’il a pris forme dans un contexte postmoderne.

Une haine de la France historique

Le lien entre la sacralisation de l’immigration et la haine de la France historique se donne à voir d’une façon particulièrement patente dans un rapport officiel de 2013: « La grande nation pour une société inclusive ».[2] L’objet du ressentiment est la France du passé, avec ses traditions, son attachement à la patrie, que l’auteur, conseiller d’État, poursuit de ses sarcasmes. « Empilons sans crainte – ni du ridicule ni de l’anachronisme – les majuscules les plus sonores, clinquantes et rutilantes : Droits et Devoirs ! Citoyenneté ! Histoire ! Œuvre ! Civilisation Française ! Patrie ! Identité ! France ! » Ce vocabulaire, se distinguant par « son archaïsme et sa boursouflure », relèverait de « généralités majuscules de bronze, plus creuses qu’une statue de fer-blanc ». Les dénonciations pleuvent : « un stock fini de cathédrales et de musées où périclite une identité nationale passée, sans présent ni avenir », une France « repliée sur la célébration de ses archaïsmes », une politique qui « cherche des dérivatifs dans la rumination du passé », « la frénétique invocation du drapeau », ou encore les « images d’Épinal jaunies et flétries » du « roman national » fêté « avec nostalgie et amertume ».[3] 

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À l’égard de ceux qui la rejoignent ou tentent de le faire, la société française serait profondément coupable de s’enfermer dans son passé. Elle est marquée par une « xénophobie archaïque », une « atmosphère de crainte, de suspicion, de mépris ». Elle traite de manière indigne « toutes les générations françaises » qui « aujourd’hui encore, par leur couleur, leur patronyme, leur foi, voire leur cuisine, leurs vêtements, leurs chants, sont rejetées, tenues à l’écart, cantonnées ou évitées ». Elle fabrique en son sein « les parias, les ilotes, les affranchis, sans citoyenneté ni liberté ». Et c’est parce qu’elle « n’est pas clémente à ceux qu’elle appelle étrangers », que « trop souvent ils clament en retour malaise ou détestation ».[4] 

Dans ces conditions, la société devrait se laisser transformer par les nouveaux venus. Il est scandaleux de faire de ceux qui la rejoignent « les objets d’un usinage, le matériau d’une machine à mouler les Français, dont les ratés seraient dus au fait qu’il refuserait la fonte, le creuset », de les traiter « comme un matériau, dont on doit redresser les défauts, une pâte inanimée, qu’on va triturer, avec générosité mâtinée de condescendance, une fermeté mêlée de distance ». C’est en faisant place à une immigration qui refuse de s’assimiler que l’on construira une nation « joyeuse, multiple, ouverte, et non obsédée par des périls imaginaires ou des projets liberticides et absurdes, qui méconnaissent la réalité du monde », que l’on échappera au « rapetissement de la France », au «rabougrissement de son âme généreuse».[5] 

Pour les tenants de ce courant, l’immigration est d’autant plus bienvenue qu’elle sème plus la perturbation dans la France « franchouillarde ». Accueillir l’immigration européenne, qui tend à s’assimiler, est sans intérêt, mais l’immigration venue du Sud, qui refuse cette assimilation, est riche de promesses. Ainsi, comme le note Pierre Manent, la « présence non entravée de l’islam » a d’autant plus de portée « qu’il a été au long des siècles l’ennemi par excellence de la chrétienté et que ses mœurs sont aujourd’hui les plus éloignées de celles de l’Europe des droits de l’homme »[6]  On a là un ressort majeur de l’islamo-gauchisme.

Appartenir au camp du Bien

À côté de ces combattants pleins de haine, on en trouve d’autres animés par un esprit de paix. Leur horizon est l’avènement d’une société ouverte à la diversité des cultures, des religions, des choix de vie, marquée par la tolérance, le respect et le dialogue. Le péché suprême est pour eux de « stigmatiser » l’une ou l’autre des composantes de la société. Si telle ou telle d’entre elles semble ne contribuer qu’avec réserve à l’édification d’une société pacifiée, cela résulte du fait qu’on l’a mal comprise, mal connue, que l’on interprète mal ce qu’elle donne à voir. Pour leur part, le monde ancien, l’héritage occidental, doit se contenter d’être une composante parmi d’autres, à égalité avec d’autres, d’un monde dorénavant métissé que l’immigration ne peut qu’enrichir.

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On trouve une parfaite expression d’une telle approche dans le fameux rapport Bouchard-Taylor[7] traçant des perspectives pour un Québec pleinement ouvert à la diversité des cultures et des religions. Il s’agit d’être fidèle à une perspective d’« ouverture à l’Autre » et de « parité », ce qui suppose d’abandonner un « imaginaire collectif fortement nourri de mythes d’enracinement » au profit de « perspectives de mobilité, de métissage », de mettre fin à « une forme d’assimilation douce à la culture canadienne-française ». Il convient que la société aménage « ses institutions, ses rapports sociaux et sa culture, de manière à susciter l’adhésion du plus grand nombre », en reconnaissant « aux membres des minorités ethniques » le droit « de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle avec les autres membres de leur groupe », en comptant sur eux pour « enrichir substantiellement la mémoire québécoise en y adjoignant leurs propres récits ».

Cette vision de l’accueil des immigrés comme pierre de touche de l’appartenance au camp du Bien est particulièrement affirmée chez le pape François. Dans l’encyclique Fratelli Tutti, référence est sans cesse faite à une « communion universelle ». Il s’agit de « donner à notre capacité d’aimer une dimension universelle capable de surmonter tous les préjugés, toutes les barrières historiques ou culturelles, tous les intérêts mesquins ». Un « cœur ouvert », l’« ouverture aux autres » sont opposés sans cesse aux « doutes » et aux « craintes » qui « conditionnent notre façon de penser et d’agir au point de nous rendre intolérants, fermés ». Il suffirait d’être « ouvert » pour découvrir que « l’arrivée de personnes différentes, provenant d’un autre contexte de vie et de culture, devient un don, parce que les histoires des migrants sont aussi des histoires de rencontre entre personnes et cultures : pour les communautés et les sociétés d’accueil, ils représentent une opportunité d’enrichissement et de développement humain intégral de tous ».[8] 

Dans cette optique, les différences entre les positions à l’égard de l’immigration sont interprétées en mettant en avant les attitudes de ceux qui accueillent, ouverts ou fermés, fraternels ou hostiles. C’est, par exemple, la perspective adoptée par un rapport de 2018 sur l’attitude des chrétiens à l’égard des migrants. [9] Il y est sans cesse question de l’opposition entre d’un côté « ouverture à l’altérité » et de l’autre « repli sur soi ». Les « catholiques libéraux », dont les perceptions et attitudes « sont globalement positives et bienveillantes envers les migrants », peuvent être considérés comme des « accomplis » » (p. 64). Pendant ce temps, ceux qui sont convaincus de « la nécessité de disposer de codes partagés et de points communs pour qu’une société fonctionne » sont présentés comme marqués par un « basculement vers l’hostilité » (p. 32).

Dans cette vision, l’accueil des immigrés témoigne d’autant plus de l’appartenance au camp du Bien qu’il ne pose plus problème et il convient d’accueillir particulièrement les immigrés qui refusent de s’assimiler.

Rassemblements de travailleurs sans-papiers, Paris, 01/04/2010 / JOEL SAGT / AFP

Échapper au réel

Comment ces apôtres de l’immigration font-ils pour professer que les problèmes majeurs qu’elle pose n’existent pas ? Ils s’appuient sur un postulat, dominant dans un contexte postmoderne, selon lequel le regard porté sur la réalité sociale ne fait que refléter l’état psychologique et moral de ceux qui le portent. Cet état est supposé avoir un rôle hégémonique au point qu’il est exclu que les faits que l’observation met en évidence puissent un tant soit peu compter, aussi patents qu’ils puissent paraître. On se situe dans un registre transcendantal. Toute mise en avant de faits qui inciteraient à mettre en question l’égale valeur de tous les choix de vie, cultures et religions, les vertus de l’abolition des frontières, le bonheur du métissage, ne peut donc qu’émaner d’individus xénophobes, racistes, islamophobes. Prêter attention à de tels faits conduit à rejoindre le camp des réprouvés. Ce qui compte, quand quelqu’un prononce un jugement d’existence, n’est pas de savoir si celui-ci s’appuie ou non sur des données solides interprétées avec rigueur, si son propos est vrai ou faux, mais où il situe celui qui l’émet dans l’opposition entre le camp du Bien, formé de ceux qui sont « ouverts », « tolérants » et le camp du Mal, formé de ceux qui sont « fermés ».  On retrouve ce qui se passait à l’époque où le fait d’affirmer l’existence du Goulag n’était pas considéré comme fournissant une information sur la réalité du monde soviétique, mais comme classant ceux qui s’y risquaient dans la catégorie réprouvée des « anticommunistes primaires ». Les adeptes de cette vision sont volontiers vindicatifs à l’égard de ceux qui ne les rejoignent pas. Ceux-ci, rejetés dans les ténèbres extérieures, sont volontiers taxés d’« ultraconservateurs », héritiers des « heures les plus sombres de notre histoire ». Le registre du pur et de l’impur est sans cesse manié, en dénonçant des manières d’être « nauséabondes », « rances », « fétides », etc., dès qu’on s’écarte du droit chemin. Dans cette vision, les immigrés de chair et d’os n’ont pas de consistance propre, de manière d’être et d’agir qui mériteraient qu’on y prête attention. Ils sont l’objet d’une sorte de transsubstantiation, qui les transforme en icône d’une entité transcendante, l’Autre. Ne pas les regarder ainsi, prêter attention aux aspects contestables de leur manière d’être, aux problèmes que peut poser le fait de coexister avec eux, relève d’une attitude impie. Cette figure sacrée s’oppose à la figure diabolique de celui qui rejette, discrimine ceux qui ne lui ressemblent pas. Traitant ceux en lesquels il ne devrait voir qu’une figure sacrée, objet d’un infini respect, avec le réalisme qui convient au sein d’un monde profane, ce dernier devient une figure du Mal


[1]. Philippe d’Iribarne, « Le triomphe des immigrés », Causeur, octobre 2021.

[2] Thierry Tuot, « La grande nation pour une société inclusiverapport au Premier ministre sur la refondation des politiques d’intégration », 11 février 2013.

[3]. Ibid., p. 10, 12, 15, 22, 68.

[4]. Ibid., p. 9, 10, 17, 20, 29.

[5]. Ibid., p. 12, 13, 18, 21.

[6]. Pierre Manent, Situation de la France, Desclée de Brouwer, 2015, p. 103.

[7]. Gérard Bouchard, Charles Taylor, « Fonder l’avenir : le temps de la conciliation », Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2008.

[8]. Fratelli Tutti, site Aleteia, 5 octobre 2020, p. 4, 29, 26, 28, 12, 39.

[9]. « Perceptions et attitudes des catholiques de France vis-à-vis des migrants » (juin 2018), rapport réalisé par More in Common pour la Conférence des évêques de France.

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Mensonge médiatique et manipulation gauchiste : quand Libération se prostitue

Les médias et les politiques de la gauche et du centre, Libération en tête, ont fait grand cas de groupuscules d’extrême droite – qualifiés de «peste brune» – prêts à en découdre, mercredi soir, avec des supporteurs du Maroc. C’est pour mieux ignorer les violences choquantes qui viennent d’avoir lieu à Montpellier opposant les communautés maghrébines et gitanes à la suite de la mort d’un adolescent. Car les conflits intercommunautaires, dont la responsabilité ne peut pas être imputée aux Blancs, n’intéressent pas les idéologues immigrationnistes.


Libération racole. Il fait le trottoir médiatique et cherche à attirer le micheton de gauche ou d’extrême-gauche. Ce n’est pas nouveau, mais le journal bobo-gaucho ardemment soutenu par Claude Askolovitch sur France Inter se surpasse ces derniers temps. Après avoir totalement omis de parler des exactions commises à Paris et dans de nombreuses villes de France par la racaille délinquante et certains jeunes gens issus de l’immigration maghrébine après les victoires de l’équipe de foot du Maroc lors du premier tour et des quarts de finale de la Coupe du monde – voitures incendiées, matériel urbain détruit, caillassages des policiers, drapeaux israéliens brûlés, commerces pillés, etc. – Libération, plus putassier que jamais, n’a pas hésité à sortir la grosse trousse à maquillage pour sa une du vendredi 16 décembre, au surlendemain de la victoire de la France sur le Maroc : « Extrême droite, nuit bleue, peste brune ». Brr !

Le prétexte à ce titre inquiétant ? L’arrestation d’une quarantaine de militants de l’ultra droite prêts à en découdre, semble-t-il, avec les supporters marocains. Quarante débiles, faut-il le préciser, comme il y en eut et comme il y en aura vraisemblablement toujours. Quarante gugusses qui n’ont pas eu le temps, et c’est tant mieux, de provoquer d’incidents. Pourtant, Libération a trouvé là matière à effrayer le lecteur avec des formules tellement éculées qu’elle font rire dès l’entame de l’éditorial d’Alexandra Schwartzbrod : « Même dans nos pires cauchemars, nous ne pensions pas devoir consacrer un éditorial à des événements qui évoquent des heures sombres de l’histoire. […] Des hordes de fachos [sic] se sont déployés ici ou là dans l’hexagone ». Brr ! Brr !

Quand, lors des manifestations sociales ou sportives, les antifas fachos d’extrême-gauche et la racaille délinquante cassent systématiquement des vitrines, pillent des magasins ou affrontent les forces de l’ordre pour « casser du flic », Libération n’en parle pas. Ou bien en parle peu, et toujours en usant de la novlangue médiatique des journalistes répugnant à décrire la réalité réelle. Aucun responsable politique de gauche n’est visé à cette occasion. Tel n’est pas le cas pour ces débordements de l’ultra droite qui, rappelons-le, n’ont pas eu lieu, mais qui auraient pu « dégénérer de façon gravissime ». Le journal accuse Éric Zemmour qui « attise la haine » ainsi que Marine Le Pen et Jordan Bardella qui, « s’ils ont policé leurs discours, désignent en continu les étrangers comme la source de tous les maux du pays ». Plus loin, les propos de Thomas Rudigoz, député de Renaissance, sont rapportés avec délectation : « Encore une fois, des groupuscules de l’ultra droite se livrent à des exactions violentes qui rappellent les pires heures de l’extrême droite française ». Brr ! Brr ! Brr ! (Il faudra quand même un jour donner des cours d’histoire à tous ces marioles parlementaires et à tous ces gribouilleurs médiatiques qui usent et abusent de références historiques dont ils ne connaissent apparemment ni les tenants ni les aboutissants).

L’aura-t-on remarqué : c’est au moment où l’extrême gauche ne cache plus ses sales manières d’interdire le débat démocratique – censures, interdictions faites à telle ou telle personnalité de tenir une conférence ou d’animer un colloque, violences lors de réunions publiques, etc. – que, soudain, réapparaissent comme par magie des dizaines de groupuscules quasi-nazis mettant en cause la liberté d’expression et l’harmonieux « vivre-ensemble ». Les journalistes de Libération, du Monde et de France Inter proclament de concert le « retour des heures sombres », celui du « ventre encore fécond d’où surgit la bête immonde », et autres bimbeloteries langagières qui n’effraient plus que les étudiants de Sciences Po et de Paris VIII. En tenant ce récit surdimensionné par rapport à la réalité, ces journalistes s’efforcent surtout de cacher les exactions des activistes gauchistes et de faire oublier les véritables débordements devenus presque ordinaires en France, à savoir tous ceux qui suivent la défaite ou la victoire d’une équipe sportive des pays du Maghreb (nous n’avons rien vu de semblable après la défaite du Portugal ou de la Pologne) comme tous ceux qui « illuminent » systématiquement le 14 juillet ou la Saint Sylvestre, à coups de mortiers contre la police et de centaines d’incendies de voitures. Ces soldats médiatiques de la bien-pensance immigrationniste se vautrent dans le mensonge par déni du réel ; ils sont devenus ce que Gilles-William Goldnadel appelle très justement les « autorités d’occultation ».

Libération racole, voire drague très lourdement le client d’extrême-gauche : un billet signale avec gourmandise que Mathilde Panot (LFI) et Marine Tondelier (EELV) ont évoqué « ce qui pourrait s’apparenter à des ratonnades ». Pendant que le journal péripatéticien et d’éminents responsables d’extrême-gauche dénonçaient ces « ratonnades » qui n’ont pas eu lieu, se déroulait un véritable drame sur lequel pas un mot n’a été dit par ces jacasseurs, et pour cause. À Montpellier, dans le quartier de la Mosson, après la victoire de La France sur le Maroc, une voiture a renversé de jeunes supporters d’origine maghrébine. L’un d’entre eux, prénommé Aymen, est malheureusement décédé. On a alors senti un frémissement sur la toile, via les réseaux du camp du bien, et nous pouvons supposer que Libé était dans les starting-blocks, prêt à dénoncer le racisme structurel de la France, les tensions xénophobes provoquées par Zemmour, le geste fou d’un militant du RN, que sais-je encore. Or, le conducteur et le passager de la voiture incriminée dans la mort de ce supporter font partie de la communauté gitane (la novlangue dit : « les gens du voyage », même quand ils ne voyagent plus depuis longtemps). En fait de « ratonnade », les Montpelliérains ont assisté à une gigantesque « gitannade » : des dizaines de jeunes gens issus de l’immigration maghrébine, certains armés de kalachnikovs au dire des témoins, se sont précipités au domicile du passager du véhicule en criant « Allah Akbar », l’ont saccagé et ont passé à tabac son locataire. Un autre homme appartenant à la communauté gitane aurait été retrouvé égorgé mais vivant. Il a été transporté à l’hôpital. À l’heure où j’écris ces lignes, ni Libération, ni Le Monde, ni France Inter n’ont encore évoqué cet événement majeur qui révèle les failles d’une société multiculturaliste dans laquelle différentes communautés, sans culture à partager et sans histoire commune, vivent côte à côte et dans une méfiance réciproque. Ce n’est pas la première fois que des groupes communautaires se livrent à ce genre de guérillas urbaines – qu’on songe aux affrontements entre Maghrébins et Tchétchènes à Dijon il y a quelques mois. Au milieu d’eux, se trouvent des Français qui ne reconnaissent plus leur ville, leur quartier, leur immeuble. Ces Français-là, Français « de souche » ou Français d’origine étrangère totalement intégrés, sont effrayés par la montée de la véritable violence, celle des islamistes, de la racaille des cités, des identitaires communautaristes et des antifas gauchistes. Libération, Le Monde et France Inter auront beau se prostituer pour attirer le chaland bobo, progressiste, wokiste et immigrationniste, le réel les rattrapera un jour ou l’autre. La réalité des maux qui gangrènent la société française n’a pas grand-chose à voir avec l’existence de quarante crétins dits d’ultra droite. En plus de la violence pure, c’est incontestablement l’extrême gauche médiatique et politique qui pourrit la vie des Français à force de ne pas vouloir dire ce qu’elle voit pourtant mais qu’elle tait par pure idéologie, par clientélisme électoraliste, par détestation de son pays. Cette calamité gauchiste dont notre pays a la spécialité est aujourd’hui le plus alarmant des dangers, un chancre qui ronge le cœur et l’âme de la France.

Ne dites pas à ma mère que je suis à Sciences Po, elle pense que j’apprends le tango

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A la faveur d’une querelle plus ou moins picrocholine, la France laborieuse apprenait que le tango était « enseigné » à Sciences Po Paris. Ce qui ne semble étonner personne. 


Sciences Po Paris, c’est comme La Samaritaine

On y trouve de tout. Et, comme au Congrès de Vienne en 1815, on danse. Et pas que le tango. La salsa cubaine et portoricaine et le rock aussi. Et on pratique des sports de l’esprit comme le bridge. Et des sports de combat comme le jiu-jitsu ou le krav maga. Et on peut s’initier à l’œnologie, à la peinture, à la sophrologie et au taï-chi-chuan. Entre pair-e-s, entre gens de bonne compagnie.

A Sciences Po Paris, la scolarité est facturée jusqu’à 13 190 € le bachelor et 18 260 €  le master. Avec un petit supplément pour la session de dix séances de tango : 25 € d’inscription à verser à la « responsable de la culture, des sports et du bien-être étudiant ».

Pas que pour le fun

On ne sait pas si le niveau atteint en fin de scolarité permet de postuler à DASL (Danse Avec Les Stars). Mais, cette « matière » compte pour la note finale. A Sciences Po, un semestre d’enseignement est validé par 30 crédits. « Chacune des activités sportives de loisirs ou de sport-santé optionnelles permet d’obtenir un crédit ECTS (European Credits Transfert System), dans la limite de deux crédits par semestre et sous réserve d’assiduité (maximum deux absences) ». Le diplôme IEP Paris est donc à 3,33 % tango.

Allô Papa Tango Charlie 

Découvrir le sens du bal. Tourner à l’inverse des aiguilles d’une montre. Eviter les collisions. S’abstenir de couper la piste. L’apprentissage du tango est essentiel pour les élèves de Sciences Po. Les problèmes de followage et de leadage doivent donc être réglés au plus vite. 2022 ne peut pas être la dernière année du tango à Sciences Po Paris.

Boulevard du Crépuscule

La Nuit avec Alice, lorsque Julia rôdait autour de la maison, roman de Botho Strauss, présente une vision de la fin de l’humanité, fin à laquelle nous sommes invités à consentir.


Pour Botho Strauss, écrivain somptueux et crépusculaire, le diagnostic est limpide : c’est la fin. L’homme a joué – et perdu. D’ailleurs, l’humanité qu’il évoque dans La Nuit avec Alice, lorsque Julia rôdait autour de la maison est une « post-humanité ». Précisons à l’intention de ceux que le genre de la « science-fiction » (dont nous sommes) rebute un peu : il n’en est pas question ici. Il s’agit d’un point de vue, d’une perspective, d’un horizon : Botho Strauss, né en 1944 et prix Georg-Büchner en 1989, voit loin, donc anticipe un peu.

On avait été très ému par un de ses derniers livres, Demeure, pénombre, mensonge (Gallimard, 1997). Déjà la tonalité générale était sombre. Déjà on éprouvait la mélancolie de Botho Strauss, cette nostalgie d’un temps pur, innocent. Quelques grincheux pouvaient, parfois à juste titre, déceler chez lui une curieuse voire fâcheuse dilection pour le macabre, une précision appliquée, presque jouissive, pour évoquer une certaine décadence. Autant de choses – on prévient ici le lecteur rétif – dont on ne raffole pas non plus.

Mais il y a chez ce grand écrivain, sans doute le plus grand dramaturge allemand contemporain, une telle intelligence à expliquer son époque – pour la condamner – mais avec bienveillance et douceur malgré tout : devant l’inéluctable, que faire d’autre sinon consentir, semble signifier Botho Strauss.

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La Nuit avec Alice n’est pas tout à fait un roman. C’est une suite de fragments chus d’un même désastre (notre époque) et qui se répondent. Fragments qui disent une époque incertaine, incapable de prolonger le roman. La discontinuité, un psittacisme envahissant, le tâtonnement, la chute constituent notre réalité. Quelques conseils émaillent la narration : « Évite le vieillissement qui ne bénéficie pas d’une liaison avec l’antique. La vie qui ne fait que s’écouler à pas feutrés est pauvre et dégoûtante ». Cassandre est aussi un moraliste.

Les paysages décrits sont ceux de la fin de notre monde, déserté, atomisé. L’homme de demain y est d’une extrême solitude. Au restaurant, en guise de musique, il trouvera des « haut-parleurs qui (diffuseront) sans interruption un brouhaha de conversations (l’atmosphère d’un restaurant étroit et surpeuplé) » et on garantira, toujours dans le même restaurant, « à chaque invité : la solitude absolue, l’isolement intangible. Interruption de tous les contacts et de toutes les relations possibles ». Le lecteur, contemporain et frère de Botho Strauss, apprendra que ce restaurant est un des rares à prospérer : c’est même le seul « dans notre région en décrépitude. Les amateurs d’isolement extrême convergeaient ici en provenance de tous les pays ». Humour, ironie triste et… prescience aiguë de Botho Strauss.

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La beauté et la solennité de sa langue sépulcrale impressionnent : nous sommes dans le domaine du sacré, d’un de profundis dont le grand prêtre est cet homme, éloigné de la foule et pourtant si fraternel. C’est un peu difficile à lire parfois – mais c’est presque un chef-d’oeuvre. Ultime échantillon ? « Dans le nouveau champ de rencontre européen, tout le monde a envers les autres une amabilité très normée, on sourit tout le temps, mais c’est un sourire stéréotypé qui dévoile des dents gâtées. Car tous sont très, très faibles. […] Mais à quoi ont-ils survécu ? A leur esprit. Ils ont survécu à l’exode de l’esprit humain et à son transfert vers une autre race, la race de l’intelligence artificielle. La volonté de disparaître qui habite notre peuple n’a pas besoin de Führer démentiel. Aucun criminel ne pourrait jamais mettre en œuvre une destruction plus durable que celles que les nantis, emballés dans l’ouate de la paix, assurent avec leurs taux de fécondité négatifs ». Cette quasi-prophétie est supposée choquer le narrateur. Elle nous a pétrifié. Par l’intelligence au scalpel et la précision entomologique dont elle témoigne.

Du même auteur, chez le même éditeur (traduit de l’allemand par Claire de Oliveira, 2006, 234p.) : Au dieu des bagatelles où, parmi les « bagatelles », on peut lire et découvrir fusées et pépites : « De même qu’il y a des recherches sur le désordre et le chaos, on devrait pouvoir fonder une science de la méprise et de l’habitude universelle de passer à côté des choses. Sonder les mystérieux imbroglios du monde concret…» Son éditeur qualifie Strauss de « plus anachronique des écrivains d’avant-garde » : il est aussi poète, donc.

La Nuit avec Alice lorsque Julia rôdait autour de la maison, de Botho Strauss, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, éd. Christian Bourgois, 2006, 176 p., 15€.

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Tant qu’il y aura des films

En cette fin d’année, les films français affichent le pire comme le meilleur. Dans cette seconde catégorie, Le Parfum vert de Nicolas Pariser fait la course en tête avec grâce et fantaisie.


Ça sent bon !

Affiche du film

Le Parfum vert, de Nicolas Pariser.

Sortie le 21 décembre

Nicolas Pariser n’est jamais là où on l’attend. En trois longs métrages seulement, il a su se renouveler et surprendre les spectateurs souvent blasés que nous sommes. Tout a commencé en 2015 avec Le Grand Jeu, un film foncièrement politique à un moment où le cinéma français semble avoir bêtement déserté ce genre pourtant si fécond jadis et même naguère. Pour son premier film, dont il a écrit seul le scénario, il brode avec intelligence sur l’affaire de Tarnac, en confiant à l’excellent Melvil Poupaud le rôle d’un écrivain en panne d’inspiration. Ce dernier est un jour contacté par l’étrange Joseph Paskin à qui André Dussollier prête sa roublardise et ses sourires en forme de coups de poignard. (Joseph, comme le Père ? Paskin comme Pasqua ? Chacun se fera son idée, mais le personnage est assurément une barbouze de haut vol habituée des palais officiels et des coups tordus). En confiant à l’écrivain le soin de rédiger anonymement un brûlot gauchiste appelant à l’insurrection, il allume une mèche qui ne fera pas long feu… Le flamboyant Mocky des années 1970 n’aurait pas renié un tel scénario. Mais Pariser lui confère une élégance hitchcockienne impeccable. On le sent déjà parfaitement à l’aise avec les ressorts et les tiroirs à double et triple fond des ténébreuses affaires. Coup d’essai, coup de maître donc. On loue alors l’exigence, la maîtrise et l’efficacité. Ces qualités, on les retrouve quatre ans plus tard dans Alice et le Maire, dans un tout autre contexte, en apparence plus léger, mais pas moins politique. Pariser a le culot de faire de Fabrice Luchini le maire socialiste de Lyon qui affiche des ambitions nationales à l’intérieur de son parti. Comme l’écrivain du premier film, il doute cependant et s’adjoint les services d’une tête pensante, petite Attali en jupons, qu’Anaïs Demoustier joue à la perfection. Délaissant les souterrains, Pariser s’attaque en plein jour à la politique locale. Et c’est un réjouissant jeu de massacre dans lequel Luchini fait des étincelles.

Avec Le Parfum vert, son cru 2022, le cinéaste surdoué semble avoir trouvé ce que l’on pourrait appeler une troisième voie. Ne renonçant à rien de ses univers précédents (les manigances et complots politiques d’un côté, la comédie de l’autre), il concocte ici une histoire de meurtre parfaitement emberlificotée. De nouveau, les mânes d’Hitchcock ne sont pas loin et c’est Vincent Lacoste (meilleur de film en film) qui campe l’inévitable personnage du faux coupable grâce auquel l’action ne peut que partir sur les chapeaux de roue. L’acteur y incarne Martin, un comédien de la Comédie-Française qui recueille les derniers mots, très mystérieux, d’un de ses confrères, lequel vient d’être assassiné en pleine représentation : « Assassinat… Parfum vert… » Tout spectateur de Lubitsch, Broca et Rappeneau, entre autres, tout lecteur de Tintin vous dira qu’il n’en faut pas plus pour que s’enclenche l’effrayante mécanique de la course-poursuite. Mais pas question que le pauvre Martin soit seul, Pariser, en scénariste avisé, lui adjoint Claire, une créatrice de bandes dessinées, merveilleusement jouée par Sandrine Kiberlain qui, dans le registre de la comédie, est la digne héritière de la Deneuve de La Vie de château et autre Sauvage de la grande époque. Ensemble, ils vont découvrir une redoutable organisation criminelle des pays de l’Est prête à tout pour remporter la partie en cours.

Alors ce pourrait être vieillot, dépassé, essoufflé. Et c’est tout le contraire : vibrant, rythmé, trépidant. De Bruxelles à Budapest, Pariser s’amuse avec des thèmes qu’il traitait sérieusement jusque-là, preuve de son intelligence et de la richesse de son inspiration. Il joue tout autant avec les codes habituels du suspense sans jamais tomber dans le ricanement. Il se fait manifestement plaisir avec cette histoire rocambolesque, en état de grâce. Depuis son entrée dans la carrière, Pariser garde en tête son spectateur : il le cajole, le respecte, le nourrit d’un cinéma plaisant et intelligent. Ce devrait être la norme et pourtant Pariser fait bel et bien figure d’exception. Raison de plus pour ne pas bouder notre plaisir et humer ce parfum-là sans retenue.

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Ça sent le sapin !

Affiche du film

Maestro(s), de Bruno Chiche

Sortie le 7 décembre

On se disait bien naïvement qu’un film qui a pour héros deux chefs d’orchestre de musique classique ne pouvait pas être foncièrement mauvais. Erreur fatale… Le nouveau film de Bruno Chiche accumule les clichés et les invraisemblances en voulant donner à réfléchir sur les rapports père-fils. C’est ainsi que Pierre Arditi (qui en fait des tonnes) et Yvan Attal (qui ne fait rien) se déchirent sous nos yeux en rivalisant de la baguette et on s’en fiche éperdument. Seule Pascale Arbillot tire son épingle du jeu, mais on savait déjà combien cette actrice, hélas trop souvent cantonnée dans les seconds rôles de femme de… excelle à rendre immédiatement crédible son personnage, fût-il, comme c’est le cas ici, dessiné à la hâte. Restent deux ou trois moments de grâce quand la musique reprend ses droits : c’est beau un orchestre qui joue du Mozart à la perfection. C’est triste un film qui n’est ni correctement dirigé, ni bien écrit et encore moins bien composé…

Ça sent la manip !

Affiche du film

Nos frangins, de Rachid Bouchareb

Sortie le 7 décembre

On ne saurait reprocher à Rachid Bouchareb de choisir résolument le camp et le genre du film historique à caractère politique, voire militant. Au moins affiche-t-il la couleur sans complexe. En revenant en parallèle sur la mort de Malik Oussekine et sur une autre bavure policière commise la même nuit sur un Français d’origine algérienne, Bouchareb montre plus de maladresse que d’efficacité. À force d’amalgames, le propos perd de sa force, cédant même à quelques facilités narratives et visuelles qui auraient dû être évitées. Le titre du film est celui d’une chanson de Renaud inspirée de ces deux drames. On l’entend in extenso à la fin, comme un long clip de conclusion. Et le film de se résumer à cette ritournelle « engagée ». C’est dire si le propos manque d’ambition, d’ampleur et plus encore de complexité.

Libres censeurs : entretien avec Georges Bensoussan

De l’atmosphère terrorisante et atrophiante dans laquelle nous baignons, Georges Bensoussan est le témoin capital et son ouvrage, Un exil français, publié en 2021 par L’Artilleur, un document majeur que tout historien de la France des années 2000 devra étudier et méditer.


Causeur. Comment a débuté votre collaboration avec Damien Serieyx ?

Georges Bensoussan. Je me suis tourné vers lui en janvier 2021 après le refus des éditions Stock qui, fin 2018, m’avaient commandé un livre sur « mon affaire », ce procès de délit d’opinion monté de toutes pièces par les islamistes du CCIF et une partie du gauchisme militant. Mais à l’été 2020, le directeur de Stock refuse le manuscrit. Il faut savoir pourquoi, afin de comprendre l’importance d’une maison comme L’Artilleur. Le patron de Stock m’a expliqué qu’après avoir réuni son « état-major » (dont les avocats de la maison), « on » avait conclu que ce livre susciterait des plaintes et qu’il fallait s’attendre à des procès onéreux… Il a ajouté que j’impliquais « trop de gens et trop d’institutions ». Lesquels ? À l’exception de la direction du Mémorial de la Shoah, il est resté discret. Plus tard, j’ai compris qu’il s’agissait des milieux auxquels il était lié personnellement.

Me voici donc sans éditeur. C’est alors que je transmets le manuscrit à Damien Serieyx qui m’informe trois jours plus tard qu’il est preneur. Il ne semble pas effrayé par certaines analyses qui mettent en cause nombre d’institutionnels, y compris dans la communauté juive, disons plutôt ici dans la communauté israélite au sens ancien, le plus bourgeois et notabilisé du terme. Je savais que l’un après l’autre, les éditeurs classiques refuseraient ce livre jugé iconoclaste. Le mérite de Damien Serieyx est là tout entier.

Quel éditeur est-il ?

C’est un homme discret et réservé, tout simplement modeste. N’allez pas lui dire qu’il fait un travail remarquable en donnant une voix à ceux que le « bureau politique » entend réduire au silence. Il n’en tire pas gloire. Il se voit comme un combattant. Ce qu’il est. À parcourir son catalogue, on en est d’ailleurs rapidement convaincu.

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Vous qui avez publié chez de grands éditeurs (Fayard, Albin Michel…), avez-vous constaté une différence de traitement dans la diffusion et l’accueil médiatique d’Un exil français

La différence est considérable. Damien Serieyx travaille presque seul. Quand son équipe est au complet, disons qu’ils doivent être trois dans un petit appartement d’un quartier tranquille de Paris. Rien à voir avec les grandes maisons d’édition. Il y a au moins deux différences. Pour nombre de journalistes, rendre compte des ouvrages de l’Artilleur, c’est prendre des risques. L’éditeur est pestiféré et ses auteurs pas loin de ressusciter l’Enfer de la Bibliothèque nationale dans un registre différent. On peut se demander d’ailleurs combien d’ouvrages publiés par Serieyx ont fait l’objet ces dernières années d’une recension dans Le Monde, Libération, Télérama, France Inter ou France Culture.

La seconde différence, plus inquiétante, c’est le boycott sourd auquel se livrent un certain nombre de libraires qui confondent librairie et militantisme d’ultra-gauche. Les mêmes, on peut l’imaginer, ont dû jadis porter aux nues Soljenitsyne et les éditions Samizdat. Ce boycott consiste à ne jamais commander les livres de L’Artilleur. Rien ne les y oblige en effet. C’est ainsi qu’en France, sans la moindre censure d’État, une autre censure, plus insidieuse, mine le monde culturel. Ces censeurs-là n’interdisent jamais rien. Ils assassinent en silence. Il leur suffit de refuser de vendre les livres des mal-pensants.

Sorti en septembre 2021, mon livre n’était disponible que dans 96 librairies en France. Au même moment, un essai publié par Thomas Piketty était disponible dans près de 800 librairies. Ce refus de vente tue légalement. Dans le monde de ces censeurs, vous avez le droit de parler, on ne vous écoutera pas. Vous avez le droit d’écrire, on ne vous publiera pas. Et si l’on vous publie malgré tout, on vous enterrera dans le silence. C’est cette tentative à peine masquée de mise à mort économique et culturelle que L’Artilleur affronte depuis des années dans une certaine solitude.

Un exil français, de Georges Bensoussan, éd. L’Artilleur, 388 p., 2021, 20€.

Un exil français: Un historien face à la Justice

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Le Courage de la dissidence: L'esprit français contre le wokisme

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L’empereur Sponsanius : réel ou imaginaire ?

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Capture d'écran d'une vidéo postée sur YouTube par Classical and Ancient Civilization le 16 décembre 2022 https://www.youtube.com/watch?v=hes3cGXlSw4

C’est une découverte qui pourrait provoquer un séisme dans le milieu de l’histoire antique : l’empereur Sponsanius aurait bel et bien vécu ! En effet, l’existence de ce souverain est entourée de tant d’obscurité que certains historiens avaient fini par affirmer qu’il avait été inventé de toutes pièces et l’avait rayé de la liste des Césars.


Tout commence en 1713, lorsque de nombreuses pièces antiques sont découvertes en Transylvanie. Hormis un supposé (quoique véritable) statère macédonien d’Alexandre le Grand, aujourd’hui perdu, toutes sont romaines. Parmi ce trésor, des monnaies à l’effigie de nombreux empereurs romains tels que Gordien III, Philippe l’Arabe et/ou Philippe II. Mais ce n’est pas celles-ci qui vont retenir l’attention des archéologues. En effet, au milieu de cet amas de pièces, deux sont frappées au nom d’un certain Sponsanius. Or, il n’existe aucune mention de ce personnage dans les sources écrites. Cette trouvaille va susciter de nombreuses interrogations, notamment sur sa réelle existence. 

Bien que d’abord considérées comme des imitations « barbares », (il n’était pas rare que des pièces de monnaie romaines fussent fabriquées au-delà des frontières de l’Empire) et donc de purs produits de l’Antiquité, il est toutefois rapidement établi que ces monnaies sont l’œuvre d’un fraudeur du XVIIIᵉ siècle. En 1868, Henry Cohen, numismate français, qualifie même celles-ci de fabrications « modernes ridiculement imaginées et très mal faites ». Cet argument n’est pas sans fondement, quand on sait que de nombreux faux furent réalisés à partir de la Renaissance (comme ce fut le cas avec le médailleur italien Giovanni Cavino, dit le Padouan, qui s’exerça à contrefaire des médailles anciennes, afin de s’enrichir aux dépens des collectionneurs).

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La théorie de la contrefaçon est donc devenue au fil du temps la version prédominante, jusqu’à ce que des scientifiques de l’University College de Londres décident d’apporter une réponse définitive au mystère. Dans leurs travaux, publiés le 23 novembre 2022, ils expliquent qu’ils ont décidé de reprendre les investigations. Leur principal argument : l’Antiquité tardive intéressait très peu les personnes du siècle des Lumières, et il aurait été étonnant d’émettre de nombreuses pièces à l’effigie de Sponsanius, au profit d’autres empereurs romains bien plus connus et suscitant davantage d’intérêt. Après avoir passé le trésor transylvain au microscope, il s’est avéré que les pièces possédaient des traces d’usure, similaires à celles d’autres monnaies d’authenticité reconnue, suggérant alors que ces pièces auraient bien été en circulation active pendant des années. Ces résultats ont amené les archéologues à penser que l’existence de Sponsanius ne serait désormais plus à exclure. Mais qui était-il vraiment ?

Un personnage historique ténébreux

Face à cet inconnu de l’Histoire, les premiers chercheurs ont tenté d’élaborer des hypothèses. En raison du métal choisi – l’or – pour l’un des deux types monétaires, sa représentation avec la couronne radiée et la provenance des monnaies à son effigie, il en a été déduit qu’il s’agissait d’un usurpateur, ayant régné sur la Dacie romaine (nom antique désignant le territoire de l’actuelle Roumanie). Soit vers 248-249, lors des guerres civiles qui mirent fin au règne de Philippe l’Arabe, soit vers 260, ou bien vers 275, lorsque l’empereur Aurélien abandonna la province conquise par Trajan en 106.

À une époque où l’Empire romain était en proie à la guerre civile et les frontières submergées par les pillages et invasions, Sponsianus aurait ainsi été un officier de l’armée contraint de prendre le commandement suprême. Rappelons qu’au cours du IIIᵉ siècle, de nombreux États régionaux sont apparus, à l’instar de l’Empire des Gaules ou du Royaume de Palmyre. Toutefois, si l’on considère que sa priorité aurait été de protéger la population et de résister à l’envahissement par des tribus hostiles, il n’était pas techniquement un usurpateur défiant l’autorité centrale, mais son imperium pouvait être considéré comme une nécessité locale. Tout est dans la nuance du terme. Il semblerait d’ailleurs que le mystérieux empereur n’a jamais contrôlé d’atelier de monnaie officielle et certainement jamais régné à Rome !

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Malheureusement, en l’absence de sources, il est encore impossible de déterminer qui était vraiment Sponsianus, absent de tout ouvrage relatif à l’Antiquité tardive, en raison de sa seule représentation sur les monnaies de Transylvanie. Cette étude reste pourtant une nouvelle avancée pour la recherche historique puisque les scientifiques de l’University College estiment que le souverain, longtemps considéré comme fictif, devrait « être réhabilité en tant que personnage historique ». Une opinion partagée par le professeur Paul Pearson qui considère que « l’analyse scientifique de ces pièces extrêmement rares sauve l’empereur Sponsianus de l’obscurité », ainsi que par Alexandru Constantin Chituță, directeur intérimaire du Musée national Brukenthal de Sibiu, lieu où est conservée l’une des quatre pièces, qui a déclaré à l’AFP, que ces résultats permettrait d’ajouter « un personnage historique important à notre Histoire », s’ils étaient « reconnus par la communauté scientifique »

Un milieu qui reste encore à convaincre, car beaucoup restent dubitatifs quant aux résultats de cette étude. À l’image de Richard Abdy, conservateur des monnaies romaines au British Museum, qui estime que certains ses collègues sont devenus tellement obsédés par ce mystère qu’ils ont fini par croire à l’existence de ce personnage sur la seule base d’une émission de pièces de monnaie, tandis que Mary Beard continue de croire que l’aureus est un faux, en raison de son revers qui est une copie d’une pièce de l’époque républicaine. Emanuel Petac, président de la Société roumaine de numismatique, est allé jusqu’à déclarer que la monnaie n’avait « rien à voir avec le monde romain ». Les débats sur l’historicité de Sponsianus sont donc loin d’être terminés…

Le mythe, la guerre et l’Amérique

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Elliot Ackerman / Capture d’écran YouTube de la chaine Amampour & Compagnie, du nouveau 31/03/22

Si, comme notre chroniqueuse, vous vous étonnez toujours de la facilité avec laquelle les Américains produisent des chefs-d’œuvres, littéraires ou cinématographiques, sur leurs fiascos militaires, quasiment en temps réel, alors que les Français se demandent toujours comment parler de la guerre d’Algérie, alors le dernier roman d’Elliot Ackerman, En attendant Eden, mérite d’entrer dans votre bibliothèque.


Adam Driver, dont on ne manque jamais de rappeler à chacune de ses prestations qu’il s’est engagé au lendemain des attentats du World Trade Center, jouait parfaitement l’amputé de guerre dans Logan Lucky. Le thème du cambriolage était léger, mais entre un Daniel Craig en habit de forçat et une Hillary Swank estampillée FBI, l’Amérique, son gouvernement et son système de valeurs étaient vaincus par K.O sur le ring de leur culpabilité et de leur incapacité à rendre un bras à celui qui en avait perdu un… Une chance pour Hollywood : Adam Driver n’a pas eu celle d’aller au front.

Pourtant les représentants de cette génération sont légion. Au niveau littéraire, Elliot Ackerman est l’une de ses plus belles voix. A son actif, cet ancien  « Team Leader » du Marine Corps Special Operations a cinq missions en territoires extérieurs :  l’Afghanistan d’abord puis l’Irak. Un stakhanoviste de la défaite. D’une guerre l’autre, il gagne Silver Star et Purple Heart, autres « insignes rouges du courage », comme disait Stephan Crane…

Mais les morts font tache sous le drapeau et pourtant, ils ne sont pas les moins enviables. Le narrateur d’En attendant Eden est bien mort et il n’y a rien de plus honnête ni de plus froid qu’un mort (on se rappelle comment le film Vice sur Dick Cheney avait utilisé ce principe). Dès le premier paragraphe du roman d’Ackerman, ce narrateur défunt raconte les faits d’une manière détachée : « Cette nuit-là dans la vallée du Hamrin, il était assis à côté d’Eden et il eut plus de chance que lui lorsque leur Humvee roula sur une mine, les tuant lui et tous les autres, le laissant, lui, tout juste survivant ». Et face au fait se tient le hasard : Eden, donc, est en vie, simple hasard de la mécanique des fluides.

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En vie, vraiment ? « Ni vivant ni mort, ce que c’était ne portait pas de nom ». Et pourtant, ce Godot dans un Paradis Perdu du Middle West était aussi beau et fort qu’un héros de Starship trooper. Plus de 100 kilos de muscles réduits à 35 après avoir été « ramené à la maison ». Une jambe coupée par-ci, une autre par-là, les chiffres vont vite… Et ainsi devient-il « l’homme le plus grièvement blessé des deux guerres. Avec tous les progrès de la médecine, cela faisait sans doute de lui l’homme le plus grièvement blessé de l’histoire de la guerre, et [les infirmières] venaient de le garder en vie d’un bout à l’autre du monde ».

Le roman d’Ackerman s’inscrit dans la lignée des productions de guerre. Il n’a rien à envier à Johnny got his gun, le chef d’œuvre de Dalton Trumbo. Certes, l’auteur réutilise le morse du condamné par l’orgueil des médecins (qui ont appris « tout ce qu’il y a à savoir sur comment acheter du temps à un corps démoli. Massage cardiaque, agent coagulant, garrot, intubation nasotrachéale, tout ce vocabulaire des instants sauvegardés »), les réflexions sur l’absurdité des entraînements à la Full Metal Jacket, ou encore les motifs plus prosaïques et romanesques des épouses coupables et adultères à la Pearl Harbor — le film de Michael Bay… On peut ainsi s’amuser à chercher l’origine des détails d’Ackerman. Mais cette constellation d’œuvres — la petite-fille d’Eden, cet objet non identifié dans l’histoire de la guerre, ne s’appelle pas « Andromède » pour rien — est avant tout porteuse d’une lucidité exceptionnelle sur l’état de la mythologie qu’elles portent.

Car la prose d’Ackerman démystifie le mensonge « dans les journaux et sur les chaînes d’info du câble ». Ce mensonge, ce n’est pas tant celui des raisons indicibles des invasions post-2001, c’est celui du chiffre. Les statisticiens décomptent séparément les victimes de l’Afghanistan et de l’Irak, ces deux fiascos de la lutte anti-terrorisme, qui ont donné une opportunité à tant de jeunes d’échapper à leur foyer, « forme de terrorisme tranquille »« Séparer les deux guerres rendait chaque nombre gérable ». Mais donner des victimes un faux bilan, c’est refuser à ceux qui n’ont plus que le droit de mourir la dernière chose qu’il leur reste : l’écho de leur sacrifice.

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Alors, de manière subreptice, on se surprend à se demander combien de morts ont fait le Mali ou le Sahel, combien de soldats français vont encore une fois passer les fêtes dans un hôpital militaire, comme Eden… En un ou plusieurs morceaux.

Au passage, c’est le mythe tout entier du guerrier qu’Ackerman déconstruit. Et à travers son héros, pauvre « débris démoli » encore animé d’un soupçon de vie, il déconstruit le mythe entier de l’Amérique. Les cérémonies officielles, saluts au drapeau et salves d’honneur sont exécutés par définition par des planqués. Les survivants, même quand ils sont revenus, comme Ackerman, en un seul morceau, ne la ramènent pas. Les mythes se construisent toujours sur des morts dont on se garde bien d’exhiber la dépouille elle-même déconstruite. Ils se façonnent aussi sur des actes qui, vus de près, n’ont rien de glorieux, et pourraient même passer pour criminels. Ackerman n’a-t-il pas récolté sa Bronze Star pour un raid à Azizabad qui tua entre 33 et 92 civils, essentiellement des femmes et des enfants, sur la foi d’une fausse information fournie par un agent double ? L’écriture sert aussi à cicatriser les plaies purulentes de l’âme.

Ce roman n’est donc pas qu’une « histoire d’amour, hors des clous », contrairement à ce qu’en dit la quatrième de couverture. C’est une analyse à cœur ouvert de l’Amérique. De sa relation avec sa propre armée et les mythes qui la soutiennent. Depuis 1980, ce n’est pas tant la guerre qui garantit sa grandeur à l’Amérique, ce sont bien ses fiascos. Make America great again reste bien l’objectif de l’armée, mais ce sont ses échecs qui en garantissent paradoxalement le succès. On les envierait presque d’avoir cette capacité de créer sur leurs propres ruines, et de faire des œuvres d’art avec tant de décombres.

En attendant Eden, d’Elliot Ackerman, éd. Gallmeister, 160 p., 2022, 9,10€.

En attendant Eden

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L'insigne rouge du courage

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Un cheval nommé désir !

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Enzo Ferrari / Capture d'écran d'une vidéo YouTube de la chaine Le Circuit, du 23/08/19

« Enzo Ferrari – Le rouge et le noir », un documentaire d’Enrico Cerasuolo à visionner sur le site d’Arte durant les fêtes de Noël, nous replonge dans le monde d’un ingénieur-artiste qui incarnait une certaine civilisation hédoniste.


A l’ère des « petits hommes », sans éclat et sans nerf, de l’éloge de la lenteur et de la terreur idéologique, le « Commendatore » né en 1898 ne comprendrait rien à cette époque flasque et apeurée. Il nous trouverait lâches et dociles, ayant perdu le sens du duel et de l’exploit, s’arcboutant sur notre confort intellectuel et nos aspirations étriquées. A la mobilité sentencieuse et revancharde de nos gouvernants, il répondrait « vitesse » et « performance » mais aussi « symphonie » et « sculpture ».

Iconique

C’était un pionnier, un empereur, un pape, un entrepreneur, un géant de l’automobile tantôt tyran, tantôt sentimental, comme seul le XXème siècle était capable de faire naître et prospérer dans la campagne d’Émilie-Romagne. Un paysan-mécano devenu roi de l’asphalte, hissant sa couleur rouge dans le cœur des enfants et sur le podium des circuits. De Modène à Maranello, de Shangaï à Pebble Beach, son nom est un mythe roulant que les garçons se répètent en s’endormant.

Rouler un jour en Ferrari est un but pour nombre d’entre nous, une ambition intime et un voyage ailleurs, dans un pays jusqu’alors inconnu. Car nous avons beau admirer les Porsche et les Maserati, la Ferrari demeure à part. Est-ce une voiture ou un phantasme ? Une œuvre d’art ou une allégorie ? Une divinité ou un rêve ? Cette pièce racée tient à conserver son standing, elle ne se mélange pas dans la circulation.

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Elle accepte son statut d’icône. La voir est un cadeau du ciel, la conduire un don de Dieu réservé à une poignée d’élus. Elle ne se dissimule pas sous une robe trop ample et ne cache pas ses inavouables intentions dans une mécanique vertueuse. Elle cherche à abolir le temps, à condenser notre existence, à transformer le mouvement, à nous transporter dans une réalité parallèle. Elle modifie nos sens. Son impudeur fait notre bonheur. Sa dissidence sauvage n’est pas factice. Son outrance sonore est probablement ce qui nous maintient en éveil, malgré les crises et les guerres.

Depuis son origine, la Ferrari a imposé sa propre dramaturgie et scénographie. Tel un poème épique, elle ne se commente pas, elle se conduit simplement dans sa chair. Avec humilité et dévotion. Chez elle, le bruit s’appelle musique et ses accélérations sont des apnées féériques qui guérissent tous les maux. Après elle, toutes les autres voitures nous paraîtront fades et timorées, un peu vaines, sans ardeur. Pour oser pénétrer dans son habitacle, on doit s’agenouiller. D’emblée, nous lui faisons allégeance. Nous acceptons sa supériorité et nous nous soumettons à son cérémonial. La ligne signée Pinin Farina, l’intérieur relativement dépouillé, la boîte en H grillagée, la position basse et les baquets enveloppants, puis le « douze cylindres » expectore, libère sa flamme et propulse sa hargne. Sa soif semble inextinguible. Sa démesure est une source de béatitude renouvelée à chaque pression sur la pédale de droite.

Industriel virtuose

La Ferrari vous jette les virages à la figure. Elle est violente et vous oblige à une vigilance permanente. Entre le deuxième et le troisième rapport, la Terre tremble. Assurément, nous sommes plus vivants à son bord. Et, nous communions ainsi avec les légendes du sport automobile, avec les archanges de la piste. Nous nous souvenons alors d’Ascari, de Fangio, de Villeneuve et de Lauda.

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La Ferrari, c’est l’Histoire de l’Italie, de l’Europe occidentale et d’une certaine civilisation hédoniste portée par l’avant-garde technologique et la beauté des formes, celle d’un artisan érigé en emblème national. Avant de savoir compter ou lire, les enfants en bas âge reconnaissent naturellement les créations de cet Italien aux lunettes fumées et à l’imperméable clair. Le documentaire « Enzo Ferrari – Le rouge et le noir », disponible gratuitement sur Arte jusqu’au 9 janvier 2023, retrace l’épopée de cet industriel virtuose qui travaillait pour l’éternité et les victoires. Les multinationales et les stars de cinéma lui faisaient la cour. Il tenait trop à son indépendance et à sa maison pour accepter notamment la tutelle de Ford. Il finit tout de même par intégrer la FIAT.

Mais Agnelli était un compatriote. Il ne supportait pas l’infidélité de ses collaborateurs et les caprices de ses pilotes. Il était colérique et charismatique. A la disparition de Dino, son fils chéri, il déclara : « Je pense que seule la douleur peut faire grandir un homme ». Il est mort en 1988 et son cheval cabré trotte toujours dans nos têtes.

Géopolitique: le déclin de l’Occident est évitable

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Jean-Baptiste Noé / Capture d'écran YouTube d'une vidéo de la chaine Chaine officielle TVL, du 12/12/22

Pour Harold Hyman, le nouvel essai de l’historien et géopolitologue Jean-Baptiste Noé, rédacteur en chef de Conflits, montre que l’Europe doit faire face à la réalité du déclin, aux mirages de l’universalisme naïf et à la quasi-omniprésence de la guerre. Pourtant, cet ouvrage aussi érudit que synthétique véhicule un message globalement positif: tout n’est pas encore joué et l’Occident peut reprendre en main son destin.


Relier, ou du moins exposer, tous les aspects de la vision d’un monde occidental en déclin, voilà le but que s’est assigné Jean-Baptiste Noé dans cet ouvrage qui fait défiler Thucydide, Keynes, Bainville et Xi Jinping. L’auteur nous fait réfléchir aux villages de vacances ou à la géoéconomie du blue jean, et nous fait douter de l’Europe, de la défense et de la Françafrique. Le monde que nous avons connu est en déclin. Désormais il faut définir ce qui décline, et pourquoi cela reste incompris. Noé puise chez de nombreux auteurs, et nous nourrit de cartes originales.

L’ouvrage commence avec une saine révision du cadre de la géopolitique : une façon d’appréhender le monde des interactions réelles entre puissances. Jean-Baptiste Noé nous rappelle que la géopolitique n’est pas simplement le mélange de la géographie et de l’histoire politique. Les pensées humaines sont à l’œuvre, les volontés nationales sont bien présentes. Les théories géopolitiques des Grecs, de l’amiral Mahan, le penseur de la puissance navale dans l’histoire, et de Mackinder le père de la théorie du Heartland et tenant de la supériorité du terrestre sur le naval, sont passées en revue et traitées pour ce qu’elles sont : des outils d’ambitions nationales et impériales. 

Le livre se fonde sur un pessimisme raisonné : tout finit par le déclin d’un ordre préexistant. La guerre est toujours présente et il y a toujours une manifestation d’un déclin. À dessein, Jean-Baptiste Noé casse de nombreux a priori. « Les démocraties, écrit-il, pratiquent abondamment la guerre, pour répandre leurs valeurs et leur modèle politique ». Cela, et les conquêtes coloniales, rebutaient ses guides que sont Tocqueville, Bastiat et Frédéric Guizot. Ou encore : dans l’Europe contemporaine, la guerre est bel et bien présente depuis la Deuxième Guerre mondiale. Les démocraties qui croient en l’universalisme européen sont obligées de nier l’existence de la guerre sur notre sol, alors que les nations qui n’y croient pas exaltent le facteur unificateur national de la guerre. 

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Le rapport États-Unis – Russie n’a pas résisté aux engrenages d’affrontement. Aucune des deux puissances n’a voulu œuvrer pour un condominium en Europe de l’Est (Jean-Baptiste Noé n’utilise pas ce mot, mais l’idée est présente), et la prérogative que se donnait l’État russe pour dominer l’Ukraine reposait sur quelques réelles raisons historiques. Mais Jean-Baptiste Noé sait apprécier les changements chez les peuples : quels que furent les arguments autour de la proximité entre Russie et Ukraine, cela n’a plus d’importance puisque le peuple ukrainien se forge son identité nationale dans l’adversité. 

La faiblesse des puissances européennes sur leur continent est avérée. Cette guerre montre aussi que « l’Europe de la défense » est un mirage. C’est pourquoi l’armée européenne que certains voudraient bâtir existe déjà selon l’auteur : c’est l’OTAN. Pourquoi créer d’autres structures quand l’OTAN convient parfaitement à la plupart des pays d’Europe ne disposant pas d’armée de rang mondial et ne souhaitant pas investir dans la mise en place de celle-ci ? Que Washington continue à accorder de l’importance à l’OTAN montre qu’en dépit du basculement stratégique vers l’océan Pacifique, l’Europe conserve un grand intérêt à ses yeux, relève Jean-Baptiste Noé.

Mais quel est l’enjeu de l’Europe aux yeux des Européens, si déshabitués à penser la guerre sur leur continent ? Outre l’Ukraine et la Russie, il y a l’enjeu maritime. En Méditerranée, l’OTAN est certes présente et l’UE tente de se protéger du flot migratoire, mais cela semble très insuffisant. Erdogan joue sa partition en solo, et seule la France lui donne la réplique. La marine française est la seule en Europe à vouloir mener des actions. C’est peu pour assurer le contrôle d’une zone aussi vaste, ce qui démontre une fois encore la vacuité du concept de défense européenne. Jean-Baptiste Noé souligne aussi le caractère tendu de la Mer Noire, disputée entre l’OTAN, la Russie et la Turquie, et il nous rappelle cependant que la puissance maritime française ne valorise pas assez Djibouti, ou la Nouvelle-Calédonie, comme points d’appui pour la France.

Concernant les migrants, Jean-Baptiste Noé se repose sur les rapports d’Europol. Les vagues migratoires soulèvent des questions de frontières, d’accueil, de police pour les expulsions, de mafia pour les passeurs, d’ONG pour l’aspect délétère de leurs bonnes intentions, d’égoïsmes intra-européens, et d’islamisation rampante dans un contexte de dénatalité des Européens devenus ce que Jean-Baptiste Noé ne formule pas tout à fait : des autochtones.  

On retrouve Samuel Huntington dans cet ouvrage, le penseur du Choc des civilisations et le nouvel ordre mondial, qui avait vu juste selon Jean-Baptiste Noé : les guerres sont des manifestations de différences de civilisation. L’universalisme – encore lui – empêche de le comprendre. 

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Jean-Baptiste Noé aime à mettre en valeur, sans s’en cacher, le travail de tel ou tel auteur, ce qui confère un caractère de recueil à certains chapitres. Relevons parmi d’autres John Garnaut, spécialiste anglophone de la Chine communiste moderne. Pour ce dernier, le PCC se défend contre l’« infiltration culturelle négative ». La Chine n’est pas invincible car déjà les Routes de la Soie sont trop étendues. De manière originale, Jean-Baptiste Noé ne semble pas sûr que la République Populaire de Chine puisse directement envahir et encore moins occuper la totalité de Taiwan.

En ce qui concerne l’Afrique, le continent africain s’émiette tout seul, le Nigéria est miné par le djihadisme mafieux, l’Éthiopie se défait suite aux conflits ethniques mortifères. L’Afrique ne serait pas rentable pour les investisseurs étrangers, hormis dans le secteur des ressources premières. Il est temps pour la France, qui a davantage d’échanges avec la Belgique qu’avec toute l’Afrique, de sortir de son tropisme africain.

L’ouvrage aborde également le domaine de la géoéconomie. Un peu péremptoire, mais clair, Jean-Baptiste Noé déclare que les analystes restent attachés aux notions de planification étatique sur le mode keynésien, même si « le keynésianisme a pourtant toujours échoué ». L’auteur s’intéresse même à la manière de consommer irrationnelle des Occidentaux, qui ont mondialisé la fabrication du blue jean, et créé de faux paradis touristiques à l’attrait irrésistible.

Conclusion forte de Jean-Baptiste Noé : « La parenthèse universaliste est refermée. L’histoire continuera de s’écrire, avec la plume et avec l’épée. La grande leçon de la géopolitique c’est que la vie est un vouloir. Il n’existe nul obstacle climatique ou géographique, il n’existe nulle histoire écrite à l’avance ». Et c’est plutôt positif.

Le Déclin d’un Monde, géopolitique des affrontements et des rivalités, de Jean-Baptiste Noé, éd. L’artilleur, 288 p., 2022, 22€.

Le Déclin d'un monde: géopolitique des affrontements et des rivalités

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L’immigré, objet sacré

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Journée internationale des droits de la femme à Toulouse, 8 mars 2022 : carton-plein pour le sans-frontiérisme / AlainPitton/NurPhoto via AFP

L’accueil inconditionnel des immigrés est devenu une religion. Quand les prophètes du camp du Bien prêchent la belle «ouverture à l’Autre» face au vilain «repli sur soi», d’autres dévots nourrissent une haine de la France, éternellement coupable de son passé, et dont la rédemption passe par les nouveaux venus.


Les débats relatifs à l’immigration ont acquis, en France, le caractère radical d’une guerre de religion. Pour une partie de la population, l’accueil inconditionnel des immigrés constitue un devoir sacré. La majorité de la population, qui regarde de façon pragmatique les effets de l’immigration, s’étonne. Comment faire fi de la montée de diasporas produisant des contre-sociétés dont les membres ne se sentent guère citoyens français, contrôlent des territoires devenus des hauts-lieux de trafics et de violence et en chassent progressivement ceux qui n’appartiennent pas aux « minorités »[1] ? C’est que des sentiments très forts habitent les dévots de l’immigration. Les uns détestent la France historique et comptent sur les immigrés pour la subvertir (et la régénérer), d’autant plus qu’ils refusent de s’assimiler. Pour d’autres, l’accueil inconditionnel constitue la pierre de touche de l’appartenance au camp du Bien tel qu’il a pris forme dans un contexte postmoderne.

Une haine de la France historique

Le lien entre la sacralisation de l’immigration et la haine de la France historique se donne à voir d’une façon particulièrement patente dans un rapport officiel de 2013: « La grande nation pour une société inclusive ».[2] L’objet du ressentiment est la France du passé, avec ses traditions, son attachement à la patrie, que l’auteur, conseiller d’État, poursuit de ses sarcasmes. « Empilons sans crainte – ni du ridicule ni de l’anachronisme – les majuscules les plus sonores, clinquantes et rutilantes : Droits et Devoirs ! Citoyenneté ! Histoire ! Œuvre ! Civilisation Française ! Patrie ! Identité ! France ! » Ce vocabulaire, se distinguant par « son archaïsme et sa boursouflure », relèverait de « généralités majuscules de bronze, plus creuses qu’une statue de fer-blanc ». Les dénonciations pleuvent : « un stock fini de cathédrales et de musées où périclite une identité nationale passée, sans présent ni avenir », une France « repliée sur la célébration de ses archaïsmes », une politique qui « cherche des dérivatifs dans la rumination du passé », « la frénétique invocation du drapeau », ou encore les « images d’Épinal jaunies et flétries » du « roman national » fêté « avec nostalgie et amertume ».[3] 

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À l’égard de ceux qui la rejoignent ou tentent de le faire, la société française serait profondément coupable de s’enfermer dans son passé. Elle est marquée par une « xénophobie archaïque », une « atmosphère de crainte, de suspicion, de mépris ». Elle traite de manière indigne « toutes les générations françaises » qui « aujourd’hui encore, par leur couleur, leur patronyme, leur foi, voire leur cuisine, leurs vêtements, leurs chants, sont rejetées, tenues à l’écart, cantonnées ou évitées ». Elle fabrique en son sein « les parias, les ilotes, les affranchis, sans citoyenneté ni liberté ». Et c’est parce qu’elle « n’est pas clémente à ceux qu’elle appelle étrangers », que « trop souvent ils clament en retour malaise ou détestation ».[4] 

Dans ces conditions, la société devrait se laisser transformer par les nouveaux venus. Il est scandaleux de faire de ceux qui la rejoignent « les objets d’un usinage, le matériau d’une machine à mouler les Français, dont les ratés seraient dus au fait qu’il refuserait la fonte, le creuset », de les traiter « comme un matériau, dont on doit redresser les défauts, une pâte inanimée, qu’on va triturer, avec générosité mâtinée de condescendance, une fermeté mêlée de distance ». C’est en faisant place à une immigration qui refuse de s’assimiler que l’on construira une nation « joyeuse, multiple, ouverte, et non obsédée par des périls imaginaires ou des projets liberticides et absurdes, qui méconnaissent la réalité du monde », que l’on échappera au « rapetissement de la France », au «rabougrissement de son âme généreuse».[5] 

Pour les tenants de ce courant, l’immigration est d’autant plus bienvenue qu’elle sème plus la perturbation dans la France « franchouillarde ». Accueillir l’immigration européenne, qui tend à s’assimiler, est sans intérêt, mais l’immigration venue du Sud, qui refuse cette assimilation, est riche de promesses. Ainsi, comme le note Pierre Manent, la « présence non entravée de l’islam » a d’autant plus de portée « qu’il a été au long des siècles l’ennemi par excellence de la chrétienté et que ses mœurs sont aujourd’hui les plus éloignées de celles de l’Europe des droits de l’homme »[6]  On a là un ressort majeur de l’islamo-gauchisme.

Appartenir au camp du Bien

À côté de ces combattants pleins de haine, on en trouve d’autres animés par un esprit de paix. Leur horizon est l’avènement d’une société ouverte à la diversité des cultures, des religions, des choix de vie, marquée par la tolérance, le respect et le dialogue. Le péché suprême est pour eux de « stigmatiser » l’une ou l’autre des composantes de la société. Si telle ou telle d’entre elles semble ne contribuer qu’avec réserve à l’édification d’une société pacifiée, cela résulte du fait qu’on l’a mal comprise, mal connue, que l’on interprète mal ce qu’elle donne à voir. Pour leur part, le monde ancien, l’héritage occidental, doit se contenter d’être une composante parmi d’autres, à égalité avec d’autres, d’un monde dorénavant métissé que l’immigration ne peut qu’enrichir.

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On trouve une parfaite expression d’une telle approche dans le fameux rapport Bouchard-Taylor[7] traçant des perspectives pour un Québec pleinement ouvert à la diversité des cultures et des religions. Il s’agit d’être fidèle à une perspective d’« ouverture à l’Autre » et de « parité », ce qui suppose d’abandonner un « imaginaire collectif fortement nourri de mythes d’enracinement » au profit de « perspectives de mobilité, de métissage », de mettre fin à « une forme d’assimilation douce à la culture canadienne-française ». Il convient que la société aménage « ses institutions, ses rapports sociaux et sa culture, de manière à susciter l’adhésion du plus grand nombre », en reconnaissant « aux membres des minorités ethniques » le droit « de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle avec les autres membres de leur groupe », en comptant sur eux pour « enrichir substantiellement la mémoire québécoise en y adjoignant leurs propres récits ».

Cette vision de l’accueil des immigrés comme pierre de touche de l’appartenance au camp du Bien est particulièrement affirmée chez le pape François. Dans l’encyclique Fratelli Tutti, référence est sans cesse faite à une « communion universelle ». Il s’agit de « donner à notre capacité d’aimer une dimension universelle capable de surmonter tous les préjugés, toutes les barrières historiques ou culturelles, tous les intérêts mesquins ». Un « cœur ouvert », l’« ouverture aux autres » sont opposés sans cesse aux « doutes » et aux « craintes » qui « conditionnent notre façon de penser et d’agir au point de nous rendre intolérants, fermés ». Il suffirait d’être « ouvert » pour découvrir que « l’arrivée de personnes différentes, provenant d’un autre contexte de vie et de culture, devient un don, parce que les histoires des migrants sont aussi des histoires de rencontre entre personnes et cultures : pour les communautés et les sociétés d’accueil, ils représentent une opportunité d’enrichissement et de développement humain intégral de tous ».[8] 

Dans cette optique, les différences entre les positions à l’égard de l’immigration sont interprétées en mettant en avant les attitudes de ceux qui accueillent, ouverts ou fermés, fraternels ou hostiles. C’est, par exemple, la perspective adoptée par un rapport de 2018 sur l’attitude des chrétiens à l’égard des migrants. [9] Il y est sans cesse question de l’opposition entre d’un côté « ouverture à l’altérité » et de l’autre « repli sur soi ». Les « catholiques libéraux », dont les perceptions et attitudes « sont globalement positives et bienveillantes envers les migrants », peuvent être considérés comme des « accomplis » » (p. 64). Pendant ce temps, ceux qui sont convaincus de « la nécessité de disposer de codes partagés et de points communs pour qu’une société fonctionne » sont présentés comme marqués par un « basculement vers l’hostilité » (p. 32).

Dans cette vision, l’accueil des immigrés témoigne d’autant plus de l’appartenance au camp du Bien qu’il ne pose plus problème et il convient d’accueillir particulièrement les immigrés qui refusent de s’assimiler.

Rassemblements de travailleurs sans-papiers, Paris, 01/04/2010 / JOEL SAGT / AFP

Échapper au réel

Comment ces apôtres de l’immigration font-ils pour professer que les problèmes majeurs qu’elle pose n’existent pas ? Ils s’appuient sur un postulat, dominant dans un contexte postmoderne, selon lequel le regard porté sur la réalité sociale ne fait que refléter l’état psychologique et moral de ceux qui le portent. Cet état est supposé avoir un rôle hégémonique au point qu’il est exclu que les faits que l’observation met en évidence puissent un tant soit peu compter, aussi patents qu’ils puissent paraître. On se situe dans un registre transcendantal. Toute mise en avant de faits qui inciteraient à mettre en question l’égale valeur de tous les choix de vie, cultures et religions, les vertus de l’abolition des frontières, le bonheur du métissage, ne peut donc qu’émaner d’individus xénophobes, racistes, islamophobes. Prêter attention à de tels faits conduit à rejoindre le camp des réprouvés. Ce qui compte, quand quelqu’un prononce un jugement d’existence, n’est pas de savoir si celui-ci s’appuie ou non sur des données solides interprétées avec rigueur, si son propos est vrai ou faux, mais où il situe celui qui l’émet dans l’opposition entre le camp du Bien, formé de ceux qui sont « ouverts », « tolérants » et le camp du Mal, formé de ceux qui sont « fermés ».  On retrouve ce qui se passait à l’époque où le fait d’affirmer l’existence du Goulag n’était pas considéré comme fournissant une information sur la réalité du monde soviétique, mais comme classant ceux qui s’y risquaient dans la catégorie réprouvée des « anticommunistes primaires ». Les adeptes de cette vision sont volontiers vindicatifs à l’égard de ceux qui ne les rejoignent pas. Ceux-ci, rejetés dans les ténèbres extérieures, sont volontiers taxés d’« ultraconservateurs », héritiers des « heures les plus sombres de notre histoire ». Le registre du pur et de l’impur est sans cesse manié, en dénonçant des manières d’être « nauséabondes », « rances », « fétides », etc., dès qu’on s’écarte du droit chemin. Dans cette vision, les immigrés de chair et d’os n’ont pas de consistance propre, de manière d’être et d’agir qui mériteraient qu’on y prête attention. Ils sont l’objet d’une sorte de transsubstantiation, qui les transforme en icône d’une entité transcendante, l’Autre. Ne pas les regarder ainsi, prêter attention aux aspects contestables de leur manière d’être, aux problèmes que peut poser le fait de coexister avec eux, relève d’une attitude impie. Cette figure sacrée s’oppose à la figure diabolique de celui qui rejette, discrimine ceux qui ne lui ressemblent pas. Traitant ceux en lesquels il ne devrait voir qu’une figure sacrée, objet d’un infini respect, avec le réalisme qui convient au sein d’un monde profane, ce dernier devient une figure du Mal


[1]. Philippe d’Iribarne, « Le triomphe des immigrés », Causeur, octobre 2021.

[2] Thierry Tuot, « La grande nation pour une société inclusiverapport au Premier ministre sur la refondation des politiques d’intégration », 11 février 2013.

[3]. Ibid., p. 10, 12, 15, 22, 68.

[4]. Ibid., p. 9, 10, 17, 20, 29.

[5]. Ibid., p. 12, 13, 18, 21.

[6]. Pierre Manent, Situation de la France, Desclée de Brouwer, 2015, p. 103.

[7]. Gérard Bouchard, Charles Taylor, « Fonder l’avenir : le temps de la conciliation », Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2008.

[8]. Fratelli Tutti, site Aleteia, 5 octobre 2020, p. 4, 29, 26, 28, 12, 39.

[9]. « Perceptions et attitudes des catholiques de France vis-à-vis des migrants » (juin 2018), rapport réalisé par More in Common pour la Conférence des évêques de France.

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Mensonge médiatique et manipulation gauchiste : quand Libération se prostitue

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Une voiture renverse et tue un adolescent à Montpellier, le 14 décembre 2022, capture d'écran d'une vidéeo sur YouTube de TF1 Info, le 16 décembre 2022 https://www.youtube.com/watch?v=Dh9pooN1pi4

Les médias et les politiques de la gauche et du centre, Libération en tête, ont fait grand cas de groupuscules d’extrême droite – qualifiés de «peste brune» – prêts à en découdre, mercredi soir, avec des supporteurs du Maroc. C’est pour mieux ignorer les violences choquantes qui viennent d’avoir lieu à Montpellier opposant les communautés maghrébines et gitanes à la suite de la mort d’un adolescent. Car les conflits intercommunautaires, dont la responsabilité ne peut pas être imputée aux Blancs, n’intéressent pas les idéologues immigrationnistes.


Libération racole. Il fait le trottoir médiatique et cherche à attirer le micheton de gauche ou d’extrême-gauche. Ce n’est pas nouveau, mais le journal bobo-gaucho ardemment soutenu par Claude Askolovitch sur France Inter se surpasse ces derniers temps. Après avoir totalement omis de parler des exactions commises à Paris et dans de nombreuses villes de France par la racaille délinquante et certains jeunes gens issus de l’immigration maghrébine après les victoires de l’équipe de foot du Maroc lors du premier tour et des quarts de finale de la Coupe du monde – voitures incendiées, matériel urbain détruit, caillassages des policiers, drapeaux israéliens brûlés, commerces pillés, etc. – Libération, plus putassier que jamais, n’a pas hésité à sortir la grosse trousse à maquillage pour sa une du vendredi 16 décembre, au surlendemain de la victoire de la France sur le Maroc : « Extrême droite, nuit bleue, peste brune ». Brr !

Le prétexte à ce titre inquiétant ? L’arrestation d’une quarantaine de militants de l’ultra droite prêts à en découdre, semble-t-il, avec les supporters marocains. Quarante débiles, faut-il le préciser, comme il y en eut et comme il y en aura vraisemblablement toujours. Quarante gugusses qui n’ont pas eu le temps, et c’est tant mieux, de provoquer d’incidents. Pourtant, Libération a trouvé là matière à effrayer le lecteur avec des formules tellement éculées qu’elle font rire dès l’entame de l’éditorial d’Alexandra Schwartzbrod : « Même dans nos pires cauchemars, nous ne pensions pas devoir consacrer un éditorial à des événements qui évoquent des heures sombres de l’histoire. […] Des hordes de fachos [sic] se sont déployés ici ou là dans l’hexagone ». Brr ! Brr !

Quand, lors des manifestations sociales ou sportives, les antifas fachos d’extrême-gauche et la racaille délinquante cassent systématiquement des vitrines, pillent des magasins ou affrontent les forces de l’ordre pour « casser du flic », Libération n’en parle pas. Ou bien en parle peu, et toujours en usant de la novlangue médiatique des journalistes répugnant à décrire la réalité réelle. Aucun responsable politique de gauche n’est visé à cette occasion. Tel n’est pas le cas pour ces débordements de l’ultra droite qui, rappelons-le, n’ont pas eu lieu, mais qui auraient pu « dégénérer de façon gravissime ». Le journal accuse Éric Zemmour qui « attise la haine » ainsi que Marine Le Pen et Jordan Bardella qui, « s’ils ont policé leurs discours, désignent en continu les étrangers comme la source de tous les maux du pays ». Plus loin, les propos de Thomas Rudigoz, député de Renaissance, sont rapportés avec délectation : « Encore une fois, des groupuscules de l’ultra droite se livrent à des exactions violentes qui rappellent les pires heures de l’extrême droite française ». Brr ! Brr ! Brr ! (Il faudra quand même un jour donner des cours d’histoire à tous ces marioles parlementaires et à tous ces gribouilleurs médiatiques qui usent et abusent de références historiques dont ils ne connaissent apparemment ni les tenants ni les aboutissants).

L’aura-t-on remarqué : c’est au moment où l’extrême gauche ne cache plus ses sales manières d’interdire le débat démocratique – censures, interdictions faites à telle ou telle personnalité de tenir une conférence ou d’animer un colloque, violences lors de réunions publiques, etc. – que, soudain, réapparaissent comme par magie des dizaines de groupuscules quasi-nazis mettant en cause la liberté d’expression et l’harmonieux « vivre-ensemble ». Les journalistes de Libération, du Monde et de France Inter proclament de concert le « retour des heures sombres », celui du « ventre encore fécond d’où surgit la bête immonde », et autres bimbeloteries langagières qui n’effraient plus que les étudiants de Sciences Po et de Paris VIII. En tenant ce récit surdimensionné par rapport à la réalité, ces journalistes s’efforcent surtout de cacher les exactions des activistes gauchistes et de faire oublier les véritables débordements devenus presque ordinaires en France, à savoir tous ceux qui suivent la défaite ou la victoire d’une équipe sportive des pays du Maghreb (nous n’avons rien vu de semblable après la défaite du Portugal ou de la Pologne) comme tous ceux qui « illuminent » systématiquement le 14 juillet ou la Saint Sylvestre, à coups de mortiers contre la police et de centaines d’incendies de voitures. Ces soldats médiatiques de la bien-pensance immigrationniste se vautrent dans le mensonge par déni du réel ; ils sont devenus ce que Gilles-William Goldnadel appelle très justement les « autorités d’occultation ».

Libération racole, voire drague très lourdement le client d’extrême-gauche : un billet signale avec gourmandise que Mathilde Panot (LFI) et Marine Tondelier (EELV) ont évoqué « ce qui pourrait s’apparenter à des ratonnades ». Pendant que le journal péripatéticien et d’éminents responsables d’extrême-gauche dénonçaient ces « ratonnades » qui n’ont pas eu lieu, se déroulait un véritable drame sur lequel pas un mot n’a été dit par ces jacasseurs, et pour cause. À Montpellier, dans le quartier de la Mosson, après la victoire de La France sur le Maroc, une voiture a renversé de jeunes supporters d’origine maghrébine. L’un d’entre eux, prénommé Aymen, est malheureusement décédé. On a alors senti un frémissement sur la toile, via les réseaux du camp du bien, et nous pouvons supposer que Libé était dans les starting-blocks, prêt à dénoncer le racisme structurel de la France, les tensions xénophobes provoquées par Zemmour, le geste fou d’un militant du RN, que sais-je encore. Or, le conducteur et le passager de la voiture incriminée dans la mort de ce supporter font partie de la communauté gitane (la novlangue dit : « les gens du voyage », même quand ils ne voyagent plus depuis longtemps). En fait de « ratonnade », les Montpelliérains ont assisté à une gigantesque « gitannade » : des dizaines de jeunes gens issus de l’immigration maghrébine, certains armés de kalachnikovs au dire des témoins, se sont précipités au domicile du passager du véhicule en criant « Allah Akbar », l’ont saccagé et ont passé à tabac son locataire. Un autre homme appartenant à la communauté gitane aurait été retrouvé égorgé mais vivant. Il a été transporté à l’hôpital. À l’heure où j’écris ces lignes, ni Libération, ni Le Monde, ni France Inter n’ont encore évoqué cet événement majeur qui révèle les failles d’une société multiculturaliste dans laquelle différentes communautés, sans culture à partager et sans histoire commune, vivent côte à côte et dans une méfiance réciproque. Ce n’est pas la première fois que des groupes communautaires se livrent à ce genre de guérillas urbaines – qu’on songe aux affrontements entre Maghrébins et Tchétchènes à Dijon il y a quelques mois. Au milieu d’eux, se trouvent des Français qui ne reconnaissent plus leur ville, leur quartier, leur immeuble. Ces Français-là, Français « de souche » ou Français d’origine étrangère totalement intégrés, sont effrayés par la montée de la véritable violence, celle des islamistes, de la racaille des cités, des identitaires communautaristes et des antifas gauchistes. Libération, Le Monde et France Inter auront beau se prostituer pour attirer le chaland bobo, progressiste, wokiste et immigrationniste, le réel les rattrapera un jour ou l’autre. La réalité des maux qui gangrènent la société française n’a pas grand-chose à voir avec l’existence de quarante crétins dits d’ultra droite. En plus de la violence pure, c’est incontestablement l’extrême gauche médiatique et politique qui pourrit la vie des Français à force de ne pas vouloir dire ce qu’elle voit pourtant mais qu’elle tait par pure idéologie, par clientélisme électoraliste, par détestation de son pays. Cette calamité gauchiste dont notre pays a la spécialité est aujourd’hui le plus alarmant des dangers, un chancre qui ronge le cœur et l’âme de la France.

Ne dites pas à ma mère que je suis à Sciences Po, elle pense que j’apprends le tango

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La proffesseure de Tango, écartée de Sciences-Po pour discrimination. Capture d'écran via Twitter @RadioReconquete

A la faveur d’une querelle plus ou moins picrocholine, la France laborieuse apprenait que le tango était « enseigné » à Sciences Po Paris. Ce qui ne semble étonner personne. 


Sciences Po Paris, c’est comme La Samaritaine

On y trouve de tout. Et, comme au Congrès de Vienne en 1815, on danse. Et pas que le tango. La salsa cubaine et portoricaine et le rock aussi. Et on pratique des sports de l’esprit comme le bridge. Et des sports de combat comme le jiu-jitsu ou le krav maga. Et on peut s’initier à l’œnologie, à la peinture, à la sophrologie et au taï-chi-chuan. Entre pair-e-s, entre gens de bonne compagnie.

A Sciences Po Paris, la scolarité est facturée jusqu’à 13 190 € le bachelor et 18 260 €  le master. Avec un petit supplément pour la session de dix séances de tango : 25 € d’inscription à verser à la « responsable de la culture, des sports et du bien-être étudiant ».

Pas que pour le fun

On ne sait pas si le niveau atteint en fin de scolarité permet de postuler à DASL (Danse Avec Les Stars). Mais, cette « matière » compte pour la note finale. A Sciences Po, un semestre d’enseignement est validé par 30 crédits. « Chacune des activités sportives de loisirs ou de sport-santé optionnelles permet d’obtenir un crédit ECTS (European Credits Transfert System), dans la limite de deux crédits par semestre et sous réserve d’assiduité (maximum deux absences) ». Le diplôme IEP Paris est donc à 3,33 % tango.

Allô Papa Tango Charlie 

Découvrir le sens du bal. Tourner à l’inverse des aiguilles d’une montre. Eviter les collisions. S’abstenir de couper la piste. L’apprentissage du tango est essentiel pour les élèves de Sciences Po. Les problèmes de followage et de leadage doivent donc être réglés au plus vite. 2022 ne peut pas être la dernière année du tango à Sciences Po Paris.

Boulevard du Crépuscule

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Botho Strauss, capture d'écran, YouTube, chaîne de Kalenderblatt

La Nuit avec Alice, lorsque Julia rôdait autour de la maison, roman de Botho Strauss, présente une vision de la fin de l’humanité, fin à laquelle nous sommes invités à consentir.


Pour Botho Strauss, écrivain somptueux et crépusculaire, le diagnostic est limpide : c’est la fin. L’homme a joué – et perdu. D’ailleurs, l’humanité qu’il évoque dans La Nuit avec Alice, lorsque Julia rôdait autour de la maison est une « post-humanité ». Précisons à l’intention de ceux que le genre de la « science-fiction » (dont nous sommes) rebute un peu : il n’en est pas question ici. Il s’agit d’un point de vue, d’une perspective, d’un horizon : Botho Strauss, né en 1944 et prix Georg-Büchner en 1989, voit loin, donc anticipe un peu.

On avait été très ému par un de ses derniers livres, Demeure, pénombre, mensonge (Gallimard, 1997). Déjà la tonalité générale était sombre. Déjà on éprouvait la mélancolie de Botho Strauss, cette nostalgie d’un temps pur, innocent. Quelques grincheux pouvaient, parfois à juste titre, déceler chez lui une curieuse voire fâcheuse dilection pour le macabre, une précision appliquée, presque jouissive, pour évoquer une certaine décadence. Autant de choses – on prévient ici le lecteur rétif – dont on ne raffole pas non plus.

Mais il y a chez ce grand écrivain, sans doute le plus grand dramaturge allemand contemporain, une telle intelligence à expliquer son époque – pour la condamner – mais avec bienveillance et douceur malgré tout : devant l’inéluctable, que faire d’autre sinon consentir, semble signifier Botho Strauss.

A lire aussi: Back to the Banquise !

La Nuit avec Alice n’est pas tout à fait un roman. C’est une suite de fragments chus d’un même désastre (notre époque) et qui se répondent. Fragments qui disent une époque incertaine, incapable de prolonger le roman. La discontinuité, un psittacisme envahissant, le tâtonnement, la chute constituent notre réalité. Quelques conseils émaillent la narration : « Évite le vieillissement qui ne bénéficie pas d’une liaison avec l’antique. La vie qui ne fait que s’écouler à pas feutrés est pauvre et dégoûtante ». Cassandre est aussi un moraliste.

Les paysages décrits sont ceux de la fin de notre monde, déserté, atomisé. L’homme de demain y est d’une extrême solitude. Au restaurant, en guise de musique, il trouvera des « haut-parleurs qui (diffuseront) sans interruption un brouhaha de conversations (l’atmosphère d’un restaurant étroit et surpeuplé) » et on garantira, toujours dans le même restaurant, « à chaque invité : la solitude absolue, l’isolement intangible. Interruption de tous les contacts et de toutes les relations possibles ». Le lecteur, contemporain et frère de Botho Strauss, apprendra que ce restaurant est un des rares à prospérer : c’est même le seul « dans notre région en décrépitude. Les amateurs d’isolement extrême convergeaient ici en provenance de tous les pays ». Humour, ironie triste et… prescience aiguë de Botho Strauss.

A lire aussi: Amour mineur: toute la noirceur du monde

La beauté et la solennité de sa langue sépulcrale impressionnent : nous sommes dans le domaine du sacré, d’un de profundis dont le grand prêtre est cet homme, éloigné de la foule et pourtant si fraternel. C’est un peu difficile à lire parfois – mais c’est presque un chef-d’oeuvre. Ultime échantillon ? « Dans le nouveau champ de rencontre européen, tout le monde a envers les autres une amabilité très normée, on sourit tout le temps, mais c’est un sourire stéréotypé qui dévoile des dents gâtées. Car tous sont très, très faibles. […] Mais à quoi ont-ils survécu ? A leur esprit. Ils ont survécu à l’exode de l’esprit humain et à son transfert vers une autre race, la race de l’intelligence artificielle. La volonté de disparaître qui habite notre peuple n’a pas besoin de Führer démentiel. Aucun criminel ne pourrait jamais mettre en œuvre une destruction plus durable que celles que les nantis, emballés dans l’ouate de la paix, assurent avec leurs taux de fécondité négatifs ». Cette quasi-prophétie est supposée choquer le narrateur. Elle nous a pétrifié. Par l’intelligence au scalpel et la précision entomologique dont elle témoigne.

Du même auteur, chez le même éditeur (traduit de l’allemand par Claire de Oliveira, 2006, 234p.) : Au dieu des bagatelles où, parmi les « bagatelles », on peut lire et découvrir fusées et pépites : « De même qu’il y a des recherches sur le désordre et le chaos, on devrait pouvoir fonder une science de la méprise et de l’habitude universelle de passer à côté des choses. Sonder les mystérieux imbroglios du monde concret…» Son éditeur qualifie Strauss de « plus anachronique des écrivains d’avant-garde » : il est aussi poète, donc.

La Nuit avec Alice lorsque Julia rôdait autour de la maison, de Botho Strauss, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, éd. Christian Bourgois, 2006, 176 p., 15€.

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Tant qu’il y aura des films

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Scène du film Le Parfum vert / ©Bizibi

En cette fin d’année, les films français affichent le pire comme le meilleur. Dans cette seconde catégorie, Le Parfum vert de Nicolas Pariser fait la course en tête avec grâce et fantaisie.


Ça sent bon !

Affiche du film

Le Parfum vert, de Nicolas Pariser.

Sortie le 21 décembre

Nicolas Pariser n’est jamais là où on l’attend. En trois longs métrages seulement, il a su se renouveler et surprendre les spectateurs souvent blasés que nous sommes. Tout a commencé en 2015 avec Le Grand Jeu, un film foncièrement politique à un moment où le cinéma français semble avoir bêtement déserté ce genre pourtant si fécond jadis et même naguère. Pour son premier film, dont il a écrit seul le scénario, il brode avec intelligence sur l’affaire de Tarnac, en confiant à l’excellent Melvil Poupaud le rôle d’un écrivain en panne d’inspiration. Ce dernier est un jour contacté par l’étrange Joseph Paskin à qui André Dussollier prête sa roublardise et ses sourires en forme de coups de poignard. (Joseph, comme le Père ? Paskin comme Pasqua ? Chacun se fera son idée, mais le personnage est assurément une barbouze de haut vol habituée des palais officiels et des coups tordus). En confiant à l’écrivain le soin de rédiger anonymement un brûlot gauchiste appelant à l’insurrection, il allume une mèche qui ne fera pas long feu… Le flamboyant Mocky des années 1970 n’aurait pas renié un tel scénario. Mais Pariser lui confère une élégance hitchcockienne impeccable. On le sent déjà parfaitement à l’aise avec les ressorts et les tiroirs à double et triple fond des ténébreuses affaires. Coup d’essai, coup de maître donc. On loue alors l’exigence, la maîtrise et l’efficacité. Ces qualités, on les retrouve quatre ans plus tard dans Alice et le Maire, dans un tout autre contexte, en apparence plus léger, mais pas moins politique. Pariser a le culot de faire de Fabrice Luchini le maire socialiste de Lyon qui affiche des ambitions nationales à l’intérieur de son parti. Comme l’écrivain du premier film, il doute cependant et s’adjoint les services d’une tête pensante, petite Attali en jupons, qu’Anaïs Demoustier joue à la perfection. Délaissant les souterrains, Pariser s’attaque en plein jour à la politique locale. Et c’est un réjouissant jeu de massacre dans lequel Luchini fait des étincelles.

Avec Le Parfum vert, son cru 2022, le cinéaste surdoué semble avoir trouvé ce que l’on pourrait appeler une troisième voie. Ne renonçant à rien de ses univers précédents (les manigances et complots politiques d’un côté, la comédie de l’autre), il concocte ici une histoire de meurtre parfaitement emberlificotée. De nouveau, les mânes d’Hitchcock ne sont pas loin et c’est Vincent Lacoste (meilleur de film en film) qui campe l’inévitable personnage du faux coupable grâce auquel l’action ne peut que partir sur les chapeaux de roue. L’acteur y incarne Martin, un comédien de la Comédie-Française qui recueille les derniers mots, très mystérieux, d’un de ses confrères, lequel vient d’être assassiné en pleine représentation : « Assassinat… Parfum vert… » Tout spectateur de Lubitsch, Broca et Rappeneau, entre autres, tout lecteur de Tintin vous dira qu’il n’en faut pas plus pour que s’enclenche l’effrayante mécanique de la course-poursuite. Mais pas question que le pauvre Martin soit seul, Pariser, en scénariste avisé, lui adjoint Claire, une créatrice de bandes dessinées, merveilleusement jouée par Sandrine Kiberlain qui, dans le registre de la comédie, est la digne héritière de la Deneuve de La Vie de château et autre Sauvage de la grande époque. Ensemble, ils vont découvrir une redoutable organisation criminelle des pays de l’Est prête à tout pour remporter la partie en cours.

Alors ce pourrait être vieillot, dépassé, essoufflé. Et c’est tout le contraire : vibrant, rythmé, trépidant. De Bruxelles à Budapest, Pariser s’amuse avec des thèmes qu’il traitait sérieusement jusque-là, preuve de son intelligence et de la richesse de son inspiration. Il joue tout autant avec les codes habituels du suspense sans jamais tomber dans le ricanement. Il se fait manifestement plaisir avec cette histoire rocambolesque, en état de grâce. Depuis son entrée dans la carrière, Pariser garde en tête son spectateur : il le cajole, le respecte, le nourrit d’un cinéma plaisant et intelligent. Ce devrait être la norme et pourtant Pariser fait bel et bien figure d’exception. Raison de plus pour ne pas bouder notre plaisir et humer ce parfum-là sans retenue.

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Ça sent le sapin !

Affiche du film

Maestro(s), de Bruno Chiche

Sortie le 7 décembre

On se disait bien naïvement qu’un film qui a pour héros deux chefs d’orchestre de musique classique ne pouvait pas être foncièrement mauvais. Erreur fatale… Le nouveau film de Bruno Chiche accumule les clichés et les invraisemblances en voulant donner à réfléchir sur les rapports père-fils. C’est ainsi que Pierre Arditi (qui en fait des tonnes) et Yvan Attal (qui ne fait rien) se déchirent sous nos yeux en rivalisant de la baguette et on s’en fiche éperdument. Seule Pascale Arbillot tire son épingle du jeu, mais on savait déjà combien cette actrice, hélas trop souvent cantonnée dans les seconds rôles de femme de… excelle à rendre immédiatement crédible son personnage, fût-il, comme c’est le cas ici, dessiné à la hâte. Restent deux ou trois moments de grâce quand la musique reprend ses droits : c’est beau un orchestre qui joue du Mozart à la perfection. C’est triste un film qui n’est ni correctement dirigé, ni bien écrit et encore moins bien composé…

Ça sent la manip !

Affiche du film

Nos frangins, de Rachid Bouchareb

Sortie le 7 décembre

On ne saurait reprocher à Rachid Bouchareb de choisir résolument le camp et le genre du film historique à caractère politique, voire militant. Au moins affiche-t-il la couleur sans complexe. En revenant en parallèle sur la mort de Malik Oussekine et sur une autre bavure policière commise la même nuit sur un Français d’origine algérienne, Bouchareb montre plus de maladresse que d’efficacité. À force d’amalgames, le propos perd de sa force, cédant même à quelques facilités narratives et visuelles qui auraient dû être évitées. Le titre du film est celui d’une chanson de Renaud inspirée de ces deux drames. On l’entend in extenso à la fin, comme un long clip de conclusion. Et le film de se résumer à cette ritournelle « engagée ». C’est dire si le propos manque d’ambition, d’ampleur et plus encore de complexité.

Libres censeurs : entretien avec Georges Bensoussan

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Georges Bensoussan / ©Hannah Assouline

De l’atmosphère terrorisante et atrophiante dans laquelle nous baignons, Georges Bensoussan est le témoin capital et son ouvrage, Un exil français, publié en 2021 par L’Artilleur, un document majeur que tout historien de la France des années 2000 devra étudier et méditer.


Causeur. Comment a débuté votre collaboration avec Damien Serieyx ?

Georges Bensoussan. Je me suis tourné vers lui en janvier 2021 après le refus des éditions Stock qui, fin 2018, m’avaient commandé un livre sur « mon affaire », ce procès de délit d’opinion monté de toutes pièces par les islamistes du CCIF et une partie du gauchisme militant. Mais à l’été 2020, le directeur de Stock refuse le manuscrit. Il faut savoir pourquoi, afin de comprendre l’importance d’une maison comme L’Artilleur. Le patron de Stock m’a expliqué qu’après avoir réuni son « état-major » (dont les avocats de la maison), « on » avait conclu que ce livre susciterait des plaintes et qu’il fallait s’attendre à des procès onéreux… Il a ajouté que j’impliquais « trop de gens et trop d’institutions ». Lesquels ? À l’exception de la direction du Mémorial de la Shoah, il est resté discret. Plus tard, j’ai compris qu’il s’agissait des milieux auxquels il était lié personnellement.

Me voici donc sans éditeur. C’est alors que je transmets le manuscrit à Damien Serieyx qui m’informe trois jours plus tard qu’il est preneur. Il ne semble pas effrayé par certaines analyses qui mettent en cause nombre d’institutionnels, y compris dans la communauté juive, disons plutôt ici dans la communauté israélite au sens ancien, le plus bourgeois et notabilisé du terme. Je savais que l’un après l’autre, les éditeurs classiques refuseraient ce livre jugé iconoclaste. Le mérite de Damien Serieyx est là tout entier.

Quel éditeur est-il ?

C’est un homme discret et réservé, tout simplement modeste. N’allez pas lui dire qu’il fait un travail remarquable en donnant une voix à ceux que le « bureau politique » entend réduire au silence. Il n’en tire pas gloire. Il se voit comme un combattant. Ce qu’il est. À parcourir son catalogue, on en est d’ailleurs rapidement convaincu.

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Vous qui avez publié chez de grands éditeurs (Fayard, Albin Michel…), avez-vous constaté une différence de traitement dans la diffusion et l’accueil médiatique d’Un exil français

La différence est considérable. Damien Serieyx travaille presque seul. Quand son équipe est au complet, disons qu’ils doivent être trois dans un petit appartement d’un quartier tranquille de Paris. Rien à voir avec les grandes maisons d’édition. Il y a au moins deux différences. Pour nombre de journalistes, rendre compte des ouvrages de l’Artilleur, c’est prendre des risques. L’éditeur est pestiféré et ses auteurs pas loin de ressusciter l’Enfer de la Bibliothèque nationale dans un registre différent. On peut se demander d’ailleurs combien d’ouvrages publiés par Serieyx ont fait l’objet ces dernières années d’une recension dans Le Monde, Libération, Télérama, France Inter ou France Culture.

La seconde différence, plus inquiétante, c’est le boycott sourd auquel se livrent un certain nombre de libraires qui confondent librairie et militantisme d’ultra-gauche. Les mêmes, on peut l’imaginer, ont dû jadis porter aux nues Soljenitsyne et les éditions Samizdat. Ce boycott consiste à ne jamais commander les livres de L’Artilleur. Rien ne les y oblige en effet. C’est ainsi qu’en France, sans la moindre censure d’État, une autre censure, plus insidieuse, mine le monde culturel. Ces censeurs-là n’interdisent jamais rien. Ils assassinent en silence. Il leur suffit de refuser de vendre les livres des mal-pensants.

Sorti en septembre 2021, mon livre n’était disponible que dans 96 librairies en France. Au même moment, un essai publié par Thomas Piketty était disponible dans près de 800 librairies. Ce refus de vente tue légalement. Dans le monde de ces censeurs, vous avez le droit de parler, on ne vous écoutera pas. Vous avez le droit d’écrire, on ne vous publiera pas. Et si l’on vous publie malgré tout, on vous enterrera dans le silence. C’est cette tentative à peine masquée de mise à mort économique et culturelle que L’Artilleur affronte depuis des années dans une certaine solitude.

Un exil français, de Georges Bensoussan, éd. L’Artilleur, 388 p., 2021, 20€.

Un exil français: Un historien face à la Justice

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Le Courage de la dissidence: L'esprit français contre le wokisme

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