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Fuir ce monde

Nathan Devers a le don de capter l’air du temps. Avec Surchauffe, il brosse le portrait d’une société au bord du gouffre où certains refusent de jouer le jeu.


Nathan Devers a une rentrée chargée. L’ex-chroniqueur de CNews, par ailleurs éditeur de la revue La Règle du jeu, peaufine un nouveau concept télé et s’apprête à inaugurer une émission de débats sur France Culture. Le jeune homme a du talent. Normalien et agrégé de philosophie, il est l’auteur, à 27 ans, de plusieurs livres dont Penser contre soi-même, essai très remarqué dans lequel il racontait comment, de futur rabbin, il était devenu écrivain. Son nouveau roman, Surchauffe, s’inscrit dans le droit fil des Liens artificiels, lequel avait pour thème le métavers. Mais le monde qu’il décrit cette fois ne flirte plus avec la science-fiction, il est celui que nous connaissons.
Le romancier choisit de se glisser dans la peau d’une jeune trentenaire, cadre exemplaire d’un grand groupe immobilier, qui frôle le burn-out. Trop de mails, de réunions chronophages, d’objectifs inatteignables, une hiérarchie qui semble avoir pour objectif de la broyer. Son supérieur, qui a dû mettre ses ambitions politiques sous le boisseau, est un prototype du genre. Jade est son souffre-douleur. À son mal-être, la jeune femme donne un nom : la surchauffe. « La Spirale angoissée de cette vitesse folle, de ce chaos de lien, de cette hâte sans but qui me sépare de tout. La Spirale, ou plutôt devrais-je dire “la Surchauffe”, ce sentiment que ma réalité, celle qui m’environne, est sur le point d’imploser. »
Un sentiment dont on a tôt fait de reconnaître qu’il nous habite tous ou presque dans un monde en perte de repères où tout s’accélère. Infos qui tournent en boucle. Politiques uniquement préoccupés par leurs scores dans les sondages. Fake news. Conflits dévastateurs. Enjeux climatiques anxiogènes. En un mot : un monde en perdition que Nathan Devers décrypte sans édulcorer ni forcer le trait. Difficile de tenir dans une société dont la valeur ultime est le consumérisme.
Dans ce combat quotidien qu’est devenue sa vie, Jade ne peut espérer aucun soutien de son mari, chroniqueur obnubilé par l’audience de ses émissions et son nombre de followers. Nathan Devers connaît bien le monde de la télévision. La critique implicite qu’il en fait est savoureuse. Tout comme celle, bien au-delà de l’univers audiovisuel, de la gent masculine. Ne reste qu’un îlot de lumière. Une île mystérieuse épargnée par la modernité. L’île de North Sentinel. Situé dans l’archipel indien des Andaman, ce lieu qui existe bel et bien est l’un des derniers bastions n’ayant pas changé depuis l’aube de l’humanité ; pour une raison fort simple : ses habitants, des chasseurs-cueilleurs soucieux de se préserver de la modernité, ont assassiné ceux qui ont tenté d’en fouler le sol. Ce fut notamment le cas du missionnaire John Allen Chau en 2018. Mais cela n’arrête pas Jade, partie en repérage sur ces terres sauvages en vue de l’édification d’un hôtel de luxe, qui trouve là une raison de vivre et un sujet de livre. Radiographie brillante de notre époque, Surchauffe est un roman captivant qui célèbre la nécessité d’un retour à l’instant présent sans jamais verser dans l’angélisme. Un page-turner littéraire et poétique porté par un lyrisme puissant.

Surchauffe, Nathan Devers, Albin Michel, 2025. 336 pages

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De la page à l’écran: la magie glacée d’Andersen

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La Tour de glace, une très belle adaptation au cinéma du conte d’Andersen


Je suis toujours curieux du résultat, lorsqu’un metteur en scène adapte au cinéma un texte littéraire. En général, c’est décevant, car le film devient une simple illustration, bien inférieure au livre. On cherche alors en vain la nécessité du passage à l’écran. Dans quelques cas cependant, on la trouve, lorsque le réalisateur profite de l’occasion pour proposer une lecture personnelle et approfondie de l’œuvre dont il a choisi de parler. Le cinéma permet un dispositif critique sophistiqué, qui va éclairer sous divers angles la lecture du livre. C’est ce qui arrive aujourd’hui avec le film qui vient de sortir en salle, La Tour de glace, de Lucile Hadzihalilovic, avec Marion Cotillard, inspiré d’un célèbre conte d’Andersen, La Reine des Neiges.

Un personnage fabuleux

La cinéaste est partie de ce texte étrange et insolite, et tout son propos artistique tourne autour de lui. Elle ne le quitte jamais, voulant en boire jusqu’à la dernière goutte la magie littéraire. Interrogée sur le retentissement de ces contes d’Andersen dans sa propre vie, elle répond : « Ils continuent à me passionner par leur complexité humaine […] tout autant que par l’imaginaire poétique qu’ils déploient. » Elle précise : « La Reine des Neiges est l’un de ceux que j’aime particulièrement. » Ce personnage fabuleux « me fascine »,  annonce la réalisatrice, comme « une figure de la perfection et de la connaissance, inaccessible et mystérieuse, attirante et effrayante à la fois. » Dans le film, une voix off lit de manière répétitive des passages du conte décrivant la Reine ; celle-ci se laisse percevoir comme l’objet d’une absolue fascination, que le film décrit avec une lenteur grandiose.

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Le labyrinthe des rêves

Au départ, l’action est située dans les années 1970 (la cinéaste était encore adolescente à cette époque). Une très jeune fille, nommée Jeanne, élevée dans un foyer, fait une fugue dans un paysage de neige et arrive dans une ville inconnue d’elle. Elle n’a pas d’endroit où dormir, et entre par effraction dans un bâtiment qui lui semble inhabité. Elle y pénètre comme dans une sorte de labyrinthe, trouve un recoin pour se poser et s’endort. Il neige dans son sommeil, et elle se remémore le conte d’Andersen qu’elle aimait tant relire.

Clara Pacini © Metropolitan

Au petit matin, entre rêve et réalité, la Reine des Neiges lui apparaît. « J’ai rencontré la Reine des Neiges », dira-t-elle. En réalité, sans le savoir, elle se trouve dans un studio de cinéma, où l’on tourne un film adapté de ce même conte d’Andersen dont Jeanne est obsédée.

Marion Cotillard en star de cinéma

Dès lors, la jeune fille se cache dans les coulisses et se met à espionner l’actrice qui interprète la Reine des Neiges. Celle-ci s’en aperçoit et cherche à savoir qui elle est, sans doute attirée par sa jeunesse éclatante. On assiste aussi à de brèves et énigmatiques scènes de tournage, dans lesquelles l’actrice se comporte comme une Greta Garbo autoritaire et capricieuse. Marion Cotillard est idéale dans ce rôle : « Marion, explique la réalisatrice, possède ce côté à la fois moderne et intemporel que je recherche, un visage qui a la qualité expressive de ceux des actrices des années 30, époque à laquelle le film dans le film fait référence. » Marion Cotillard, dans ce personnage de star, est filmée par une caméra contemplative, qui prend son temps et qui revient sans cesse vers elle, tout en respectant la distance. Le spectateur/voyeur partage le trouble que ressent Jeanne. Les rares dialogues qui ponctuent l’action renforcent cette impression : « La Reine est immortelle. Elle est seule ? Elle a un royaume. Tu crois que ça suffit ? »

La neige et le silence

Le film de Lucile Hadzihahilovic m’a rappelé, vers la fin, le David Lynch de Mulholland Drive, par le traitement extrêmement subtil du silence, que vient souligner la si belle musique de Messiaen. Il y a un rapport évident entre la neige et le silence, et ici plus que jamais. La cinéaste nous montre que le silence a un sens. C’est d’ailleurs presque un retour au cinéma muet et à sa pureté originelle. Au fond, l’art du muet n’a jamais été dépassé. Le sublime ne se répète pas, comme Greta Garbo. Je note aussi, chez Hadzihahilovic, le recours fréquent aux symboles. Ainsi de l’épisode du cristal que la jeune fille escamote sur la robe de la Reine, et qui, figurant « la lentille de la caméra que traverse la lumière », devient, nous dit la réalisatrice, comme une « métaphore évidente de l’essence du cinéma ».

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À la fin, Jeanne repousse brusquement la Reine des Neiges, ou plutôt l’actrice, refusant ses avances et montrant par là qu’elle est revenue dans la vie réelle. Elle a acquis, semble-t-il, la maturité qui lui manquait et, désormais, se sent adulte. C’est un peu, aussi, la conclusion du conte d’Andersen, comme on sait, qui nous est donnée par le personnage de la grand-mère : « La grand-mère, écrit Andersen, était assise à la lumière du soleil de Dieu et lisait à haute voix dans la Bible : Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume de Dieu. » On peut interpréter cette citation de l’Évangile de Matthieu (18, 3) comme un hommage au monde de l’enfance qui enrichit toute la vie.

Le très beau film de Lucile Hadzihahilovic nous montre, à travers Jeanne, nouvelle Alice, ce parcours de l’être humain pour sortir de lui-même et trouver sa vérité.

La Tour de glace de Lucile Hadzihalilovic, avec Marion Cotillard et Clara Pacini. En salle depuis mercredi. 1h58

Contes d’Andersen, traduction de P. G. La Chesnais. Éd. GF Flammarion, 464 pages

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Du côté de chez Loti

Après treize ans de restauration, la maison de Pierre Loti, à Rochefort (17), rouvre ses portes. Ses façades bourgeoises dissimulent des intérieurs exotiques, un capharnaüm intime et savamment élaboré par cet écrivain-voyageur qui voulait conserver la mémoire de ses périples aux antipodes.


La prévention que les vices du temps attachent à l’excellent Renaud Camus invite, au moins par défi, à se replonger avec délice dans ce volume de la collection « Demeures de l’esprit » (Fayard), dont le premier chapitre s’ouvre comme suit : « La maison de Loti à Rochefort est exemplaire : elle n’est pas un musée Loti (même si l’on y apprend beaucoup sur Loti), elle n’est en aucune façon une reconstitution : […] une œuvre en soi, tout à fait au même degré que les livres. […] Nous avons bien affaire ici à une maison d’écrivain au sens le plus méticuleusement et plaisamment fétichiste du terme. » C’était avant la fermeture de l’édifice, il y a treize ans, pour restauration complète.

Depuis juin dernier, la maison de Pierre Loti – Julien Viaud pour l’état civil (1850-1923) – est rouverte au public.

Le bureau de Pierre Loti, transformé en cabinet de curiosités.
La « salle de la mosquée ».

Votre serviteur ne laissait pas de redouter que son conservateur Claude Stefani (également en poste au musée Hèbre à Rochefort), cédant aux sirènes de la pédagogie immersive et à celles de l’inclusivité, ait dénaturé la lettre et l’esprit de ce capharnaüm intime, patiemment élaboré par l’auteur d’Aziyadé, de Mon frère Yves ou des Désenchantées, dans sa maison natale. L’officier de marine n’a cessé d’y archiver, en chineur compulsif, la mémoire de ses périples aux antipodes, jusqu’à créer, dans cette banale habitation bourgeoise, le théâtre exotique de ses mouillages : d’Alger aux îles Marquises, de Constantinople à Nagasaki, d’Alexandrie à Bénarès, de Pékin à l’île de Pâques, de Hué à Angkor, de Bahia à Montevideo, de Dakar à Salonique… Quarante-deux ans de carrière et 61 livres concentrés dans un imaginaire décoratif où se coudoient mosquée, salon turc, chambre arabe, salle gothique et salle Renaissance aux dimensions quasi palatiales. Accotés sans solution de continuité à ces espaces de réception, un vestibule xixe tendu de velours rouge et orné de portraits à l’huile, un salon bleu ostensiblement meublé Louis XV et un salon Empire au plafond constellé d’un semis d’abeilles incarnent l’opulence et la bienséance des pièces « sur rue » soumises aux apparences de la respectabilité conjugale : mariage d’argent oblige, consommé en justes noces avec une Blanche Franc de Ferrière (1859-1940), aristocrate tôt délaissée pour d’éclectiques conquêtes. D’une austérité monacale, la cellule de Loti contraste avec la chambre des aïeules, celles de sa mère Nadine et de sa tante Clarisse, qui sentent fort la naphtaline.

Tout porte à croire que Renaud Camus n’aura pas motif à se plaindre du résultat de ces travaux d’Hercule. De fait, la toute neuve scénographie a eu scrupule de respecter l’intégrité des décors tels qu’ils furent laissés à la mort de l’écrivain voyageur : se contentant de restaurer (ou de remplacer à l’identique) les éléments dégradés, et de restituer la logique du parcours par lequel Loti lui-même en ordonnançait le cérémonial pour ses hôtes triés sur le volet. Les espaces « réaménagés », c’est-à-dire relevant de la reconstitution ou de l’évocation – soit que leur décor originel ait été dispersé, telle cette « pagode japonaise » que Samuel, son fils et héritier, avait transformée sur le tard en salle à manger, soit qu’il se soit vu démantelé, telle cette curieuse « salle chinoise » –, sont identifiables comme autant de jalons qui n’obèrent pas l’authenticité « archéologique » de ces intérieurs restés dans leur jus. On les visite à présent par groupe n’excédant pas dix personnes, sans audioguide, casque interactif, repères tactiles, musique d’ambiance ou adjuvant numérique. La présence, en guise de majordome, d’un guide en chair et en os s’offre par bonheur pour seule « médiation ».

Pierre Loti en costume d’Osiris, 1887.

De même est préservée l’intégrité de la blonde façade en pierre de taille, étonnante précisément en ce que sa sobriété provinciale cèle de façon délibérée le secret de son exubérance intérieure. Benjamin d’un notable dont un injuste opprobre pour détournement de fonds a causé la ruine, Julien Viaud, devenu Pierre Loti et auteur à succès vite enrichi, rachète les deux bâtiments mitoyens, sis de part et d’autre de sa maison d’enfance. Revanche sociale, revanche de la fulgurante gloire littéraire de cet homme de petite taille qui disait de lui-même « je ne suis pas mon genre », qui tâchait à se grandir en portant des talonnettes, et qui n’aimait rien tant que se travestir, amphitryon de fêtes mémorables – dîner Louis XI en 1888, soirée chinoise en 1903… Cet hédoniste mélancolique, bon pianiste, académicien tourmenté par la fuite du temps mais Immortel à 43 ans, précoce dessinateur avant de s’adonner à la photographie, enchanta le Tout-Paris dans un jeu de masques transgressif proprement vertigineux. Lettré carnavalesque aux mœurs indécidables, épris de la troublante virilité des gens de mer, hanté par la perte prématurée de Gustave, frère chéri de 14 ans son aîné, mystique athée bigame confiné avec deux débris cacochymes dans son gynécée rochefortais, ce bien loti écrivait : « Il y a une vie qui passe, à laquelle il est logique de demander le plus de jouissances possible, en attendant l’épouvante finale qui est la mort. »

Bien plus que le romancier phénoménal traqué par grimauds et journaleux, adulé de ses lectrices, in fine promis à des funérailles nationales, la postérité révère surtout, en 2025, cet incommensurable ailleurs cristallisé dans la promiscuité de ce théâtre vaguement kitsch, serti entre quatre murs de vieilles pierres. On ne lit plus guère Loti, mais c’est du côté de chez Loti que se pressent exégètes et pèlerins du patrimoine.


À voir

Maison de Pierre Loti, 137, rue Pierre-Loti, 17300 Rochefort.

Du mardi au dimanche, visites guidées uniquement sur réservation : maisondepierreloti.fr

À lire

La Maison de Pierre Loti, écrivain voyageur, Marie-Laure Lemoine et Claude Stefani, Découvertes Gallimard, 2025 (sortie 18 septembre).

La maison de Pierre Loti: Écrivain voyageur

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Les Vies de Pierre Loti, Michel Viotte, Alain Quella-Villéger (collab.), Hervé Blanché (préf.) et Stéphane Bern (av.-pr.), Éditions de la Martinière, 2025.

Les Vies de Pierre Loti

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À l’école, la France en procès permanent

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Ne parlez plus de roman national ! De Clovis à la colonisation, du roi Soleil à l’esclavage, l’enseignement de l’histoire ressemble de plus en plus à une longue salle d’audience. L’élève n’y découvre plus un récit commun, mais une suite de fautes à confesser. Peut-on encore transmettre une identité nationale quand l’école préfère le tribunal à la transmission ?


Il fut un temps où l’école, c’était simple : une maîtresse en tablier, un tableau noir, et une mission claire — transmettre le savoir. Aujourd’hui, l’école ressemble davantage à un champ de bataille symbolique. Ce qui s’y dispute n’est plus seulement la maîtrise des tables de multiplication ou l’accord du participe passé, mais le récit de ce que nous sommes. L’histoire nationale, la mémoire coloniale, les débats sur l’identité : tout se joue désormais dans la salle de classe.

Quand l’histoire se met au garde-à-vous

On demande aux élèves d’apprendre la Révolution française, mais aussi l’histoire de l’immigration, l’esclavage, la Shoah, la décolonisation, la lutte des femmes, l’écologie… Chaque cause a ses chapitres, chaque minorité son paragraphe. L’école, censée former des citoyens éclairés, ressemble de plus en plus à une grande foire des mémoires. Les manuels d’histoire s’empilent de “devoirs de mémoire” qui finissent par écraser l’Histoire tout court.

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Cette inflation mémorielle n’est pas neutre. Elle traduit une volonté politique: reconfigurer le récit national en récit “pluraliste”, où la France est moins un héritage qu’un patchwork de douleurs et de réparations. Les élèves ne sont plus invités à se reconnaître dans une aventure commune, mais à compter les blessures d’hier. À force, la France devient une addition de fautes, de crimes et de repentances — difficile d’y forger la moindre fierté collective.

La guerre des programmes

Le résultat est connu : querelles sans fin sur les programmes scolaires. Trop de colonialisme, pas assez. Trop de grands hommes, pas assez de figures féminines. Trop d’Europe, pas assez d’Afrique. Chaque ministre promet une “réforme en profondeur” et chaque lobby exige sa place dans les manuels. Pendant ce temps, les élèves sortent du collège sans savoir situer Verdun ou expliquer 1789.

Mais le plus frappant est la contradiction : on prétend ouvrir les esprits, et on les enferme dans une vision manichéenne. D’un côté, la France coupable ; de l’autre, les victimes à réhabiliter. L’histoire devient un tribunal. Or, un peuple qui ne transmet plus son récit fondateur finit par perdre le fil de son identité.

L’école ou la fabrique du doute

À force de tout déconstruire, on ne construit plus rien. Les pédagogues adorent répéter que l’élève doit “penser par lui-même”. Louable intention, sauf que, pour penser, encore faut-il avoir des repères. Or, si la France n’est qu’un “pays comme un autre”, si son histoire est surtout une succession d’injustices, pourquoi vouloir l’aimer, la défendre, ou simplement y appartenir ?

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Ce malaise explique en partie la crise de transmission. Les professeurs se retrouvent en première ligne, sommés d’enseigner un roman national qu’on leur interdit en même temps de raconter. Certains contournent l’obstacle, d’autres baissent les bras. Dans certaines classes, évoquer Clovis, Louis XIV ou Napoléon suscite des soupçons : est-ce bien inclusif ? Est-ce politiquement correct ?

Reprendre le fil du récit

Faut-il alors revenir au “roman national” d’antan, celui de Lavisse et de ses héros ? Pas nécessairement. La nostalgie n’est pas une politique. Mais il est urgent de rétablir une évidence : toute communauté humaine vit d’un récit commun. L’école n’est pas seulement un lieu de savoirs ; elle est la fabrique d’une mémoire partagée.

Raconter la France n’exclut pas d’y intégrer ses ombres et ses contradictions. Mais il faut le faire depuis un centre de gravité : la France elle-même. On peut enseigner les blessures de l’histoire sans réduire l’histoire à des blessures. On peut parler des crimes du passé sans effacer les grandeurs qui ont permis à ce pays d’exister encore aujourd’hui.

Car un enfant qui n’entend jamais parler de ses héros finit par chercher ailleurs ses modèles. Et là, le risque n’est plus seulement scolaire : il est civilisationnel.

Entre deux fidélités: l’écartèlement des Juifs de diaspora

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Un siècle après l’affaire Dreyfus qui déchira la France et marqua son histoire politique d’une grosse cicatrice, l’antisémitisme souffle encore, sous des nouvelles formes, mais avec une constante: l’accusation de double allégeance. Analyse.


En décembre 2024, France Inter a diffusé une série d’épisodes retraçant l’Affaire Dreyfus, que je viens de découvrir. Une rétrospective historique et précise, sur dix épisodes1 où le climat de la France des années 1890 est retranscrit avec une grande précision. On croit connaître cette affaire. On la cite parfois comme illustrant l’esprit d’une époque. Et pourtant, l’entrelacs de ses protagonistes, de leurs jeux de pouvoirs et de ses conséquences jusqu’à aujourd’hui continuent de surprendre.

Coupable idéal

Le fil rouge de la série insiste sur un point essentiel : l’Affaire Dreyfus ne fut pas une simple « erreur judiciaire ». Elle se situe au-delà. Elle fut une machination politique, organisée et montée de toutes pièces par l’état-major de l’armée, et donc par l’État français.

À l’automne 1894, lorsqu’un bordereau intercepté révèle qu’un traître renseigne l’ennemi, — en l’occurrence l’Allemagne – le ministre de la Guerre, le général Auguste Mercier cherche un coupable avec une hâte dictée par ses ambitions politiques. Dreyfus, officier alsacien, est désigné. L’armée veut un coupable ; le procès n’aura pas de suspense, d’ailleurs il sera à charge, se jouera à huis-clos et ne respectera jamais la présomption d’innocence, bien connue dans le droit français.

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On l’aura compris, la pire accusation qu’on puisse formuler contre un officier, c’est bien celle dont Dreyfus est accusée, celle de la haute trahison. Juif, Alsacien, officier d’artillerie sorti du rang prestigieux de Polytechnique, Alfred Dreyfus apparaît comme le coupable idéal.

L’affaire Dreyfus cristallise un climat antisémite déjà virulent — alimenté par des journaux comme La Libre Parole d’Édouard Drumont et par la crispation nationaliste — qui rend la culpabilité de l’officier juif plausible aux yeux de tant de Français. François Mauriac rappellera, dans ses souvenirs, combien ces préjugés antisémites s’infiltraient jusque dans les cours d’école.

Et pourtant, le signe avant-coureur avait déjà existé. En 1878, lors de son admission à l’École polytechnique, Alfred Dreyfus avait obtenu la note de zéro à la rubrique dite note de cœur, une évaluation du « caractère » et non des compétences. Ce jugement moral, énigmatique et injuste, l’empêcha d’accéder au stage à l’état-major. L’antisémitisme, poison lent, s’était déjà insinué dans son parcours.

Au fond, ce dont on suspecte le général juif, lui l’enfant d’une Alsace marquée par la victoire de la Prusse sur la France et dont les parents ont choisi en connaissance de cause leur nationalité française, c’est de double allégeance.

Cette affaire, c’est le premier divorce entre la France et ses juifs. Theodor Herzl, correspondant de presse viennois, assista aux procès et surtout aux foules parisiennes hurlant « Mort aux Juifs ! ». Pour lui, ce fut une révélation : si un officier parfaitement assimilé, patriote, pouvait être traîné dans la boue pour le seul fait d’être juif, alors aucun Juif en Europe n’était à l’abri. En 1896, il publia Der Judenstaat (L’État des Juifs), ouvrant la voie au sionisme politique moderne.

Plus d’un siècle après une affaire qui déchira la France et marqua son histoire d’une cicatrice indélébile, l’antisémitisme souffle encore, sous des formes nouvelles, mais avec une constante : l’accusation de double allégeance.

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Aujourd’hui, les juifs de diaspora qu’ils soient Américains, Français, Anglais ou autres, sont souvent accusés de « double loyauté ». On leur reproche d’entretenir une fidélité parallèle ou suspecte à Israël, qui viendrait entamer leur loyauté pleine et entière à leur pays de naissance ou de résidence.

Vertige

L’histoire bégaye dans une sorte de triste paradoxe. Avant la naissance de l’État d’Israël, on reprochait déjà aux Juifs une loyauté divisée, au nom d’un fantasme antisémite. Depuis qu’Israël existe, on leur reproche toujours une double loyauté, mais cette fois au nom de leur lien supposé avec l’État juif. Dans les deux cas, l’accusation est la même, bien qu’elle change de visage : les Juifs sont accusés de ne jamais pouvoir appartenir pleinement à leur pays, quel qu’il soit, et quelle que soit la preuve de leur fidélité.

Écouter aujourd’hui, depuis Israël, l’histoire d’un officier français juif jeté en pâture à la vindicte publique me renvoie à ce vertige d’appartenances multiples. Les Juifs de diaspora se trouvent encore écartelés entre deux fidélités : celle à la vie qu’ils ont patiemment construite en Europe — leurs maisons, leurs langues, leurs souvenirs, leurs engagements civiques — et celle qu’on leur reproche toujours, réelle ou supposée, à Israël. Comme si leur existence devait se justifier sans cesse sur l’autel d’une loyauté unique. Cet écartèlement n’est pas seulement géographique, il est intime, il cisaille le cœur : rester et continuer d’espérer, ou partir et s’arracher à ce qui fut chez soi.

  1. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/serie-alfred-dreyfus-le-combat-de-la-republique ↩︎

Arthur Koestler, ou avoir raison contre Sartre

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Arthur Koestler est l’auteur du best-seller Le Zéro et l’Infini. Il a écrit d’autres ouvrages importants mais celui-là a marqué une génération. Ce communiste, emprisonné par Franco, guettant quotidiennement minuit dans sa cellule, croyant que le lendemain il serait fusillé, ami d’Israël et militant sioniste, a osé dénoncer les dérives du stalinisme, ses massacres de masse, ses grandes purges, au moment où la plupart des intellectuels français révéraient Staline – d’où le titre sibyllin de son roman : l’individu est zéro et le parti est l’infini.

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Il devint immédiatement le renégat. Il fallait l’ostraciser, l’empêcher de témoigner, de respirer, de vivre. Au Café de Flore, QG des planqués de l’Occupation, Simone de Beauvoir, avec qui il avait couché, et Jean-Paul Sartre se chargèrent de lui régler son compte en le discréditant de façon malhonnête. Ce n’était pas un écrivain, à peine un journaliste. Jacques Duclos, le premier secrétaire du PCF, tout puissant à la Libération, alla même jusqu’à exercer une forte pression sur son éditeur, Calmann-Lévy, pour empêcher la parution de ce livre d’éveil. Mais le patriarche de la maison d’édition aryanisée durant la guerre, rebaptisée « Éditions Balzac », n’était pas homme à se laisser impressionner. Quant à Koestler, buveur impénitent, aimant la castagne, séducteur compulsif, né en Hongrie en 1905, écrivant en allemand et en anglais, il jubilait d’avoir lancé une telle bombe littéraire.

Après la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’URSS, Le Zéro et l’Infini, avait perdu de son intérêt, le récit ne possédant pas le côté visionnaire de 1984, roman dystopique de George Orwell, ami de Koestler. Mais le retour de l’expansionnisme russe, décidé par le maître du Kremlin, a vu le spectre soviétique reparaître et les thèmes du livre sont redevenus actuels. De même que, depuis le 7 octobre 2023, l’antisémitisme que ce Juif d’Europe centrale combattit toute sa vie s’est réveillé en Occident. Koestler méritait donc qu’on s’intéressât à sa vie et à son œuvre.

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Stéphane Koechlin, romancier et essayiste, nous propose une biographie dynamique de l’auteurd’Un testament espagnol. Koestler est un séducteur. « Son visage est fort et doux », son « sourire féminin » et ses yeux qui ont vu le monde font des ravages, même si cet écrivain, marié trois fois, est violent avec les femmes – Koechlin révèle, à la fin de son ouvrage, une affaire de viol incriminant son sujet. Il refuse d’avoir des enfants – peut-être l’ombre portée d’une mère dérangée. La romancière Danielle Hunebelle brosse cependant un portrait flatteur du bagarreur dans Les Cahiers de l’Herne : « Attachant, fraternel, torturé, un peu énigmatique et mystérieux sur les bords, assez imprévisible pour n’être jamais ennuyeux, émotif, sensible aux signes, pas livresque pour un sou, actif… » C’est donc un personnage contrasté qui nous est présenté, dont l’esprit libre ne peut faire oublier le parfum de scandale qu’il traîne dans ses errances nocturnes fortement alcoolisées. Il reste que son courage lui aura permis de combattre physiquement le fascisme et de dénoncer les millions de victimes du totalitarisme rouge. Il finira par renoncer définitivement aux idéologies, se réfugiant dans l’écriture, son île de salut. Atteint d’une leucémie et de la maladie de Parkinson, il décidera, le 1er mars 1983, de provoquer sa mort. Cette dernière ne lui faisait pas peur. Il la guettait tous les soirs dans sa cellule, en Espagne. Cynthia Jefferies, née en 1927 – 22 ans les séparent – l’aidera dans son entreprise, avec une dévotion qui ne peut que nous toucher. On la retrouvera sans vie, à ses côtés, dans leur appartement londonien. Elle avait compris qu’elle ne pourrait pas vivre sans Arthur qui avait écrit : « Les mythes se développent comme des cristaux. »

Stéphane Koechlin, Arthur Koestler, la fin des illusions, Les Éditions du Cerf. 388 pages

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L’offensive israélienne dans la ville de Gaza: inquiétudes et mensonges

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Selon le président Macron, la poursuite de la guerre décidée par le gouvernement Nétanyahou dans l’enclave palestinienne est «totalement contreproductif». Israël est en train de «détruire totalement sa crédibilité» a déclaré le président français, dans un entretien à la chaîne 12 de la télévision israélienne, diffusé jeudi. L’offensive terrestre israélienne contre le Hamas dans la ville de Gaza, malgré ses conséquences civiles tragiques et les critiques internationales, ne relève pas du génocide mais d’une guerre urbaine complexe. Qualifier ces actions de génocide constitue en fait une instrumentalisation politique visant à diaboliser Israël, rappelle notre contributeur.


L’offensive actuelle que mène Israël a pour but de détruire le Hamas et pour cela d’occuper la ville de Gaza. Cette décision a suscité des réserves, même au sein de l’armée, mais celle-ci comme il se doit, suit les ordres de l’échelon politique. Les arguments du gouvernement sont que les exigences du Hamas dans le cours des négociations  pour la libération des otages étaient telles que les accepter aurait signifié aux yeux des ennemis d’Israël que le mouvement terroriste, qui n’a jamais caché ses ambitions de répéter le 7-Octobre, avait finalement gagné la partie et qu’il sortait victorieux d’un combat solitaire de deux ans contre l’armée la plus puissante de la région. Cela l’aurait maintenu au pouvoir, sous une forme ou une autre, et il n’aurait fait qu’une bouchée d’une Autorité palestinienne sclérosée, corrompue et profondément hypocrite à qui la France avec d’autres pays prétend offrir au pire moment le paquet-cadeau d’une indépendance palestinienne fantomatique.

Les otages au second plan ?

Mais comment concilier cette offensive avec la récupération des otages, mise désormais au second plan? Contrairement à ce qu’on dit, ce n’est pas la première fois qu’Israël aurait fait un tel choix. La libération de Gilad Shalit contre 1027 prisonniers palestiniens a fait oublier que la doctrine habituelle était de ne pas négocier avec les preneurs d’otages pour ne pas encourager de nouveaux enlèvements.

En 1974, l’assaut contre l’école de Maalot effectué sur ordre de Golda Meir, avait coûté la vie à 25 enfants sur la centaine maintenus en otages par le FDPLP. Le refus d’un autre chantage sur les otages a entrainé deux ans plus tard, l’opération d’Entebbe, dont le héros fut, comme chacun sait, Yoni, le frère ainé de Benyamin Nétanyahou. 

Pour donner un avis sur le bien-fondé de la décision du gouvernement israélien, il faudrait avoir une compétence sur la situation locale et les moyens militaires que je ne me donnerai pas le ridicule de feindre.

Nous qui ne savons pas ce que les services israéliens savent, nous ne pouvons qu’espérer que les opérations à Gaza permettront, par un moyen ou un autre, de libérer vivants autant d’otages que possible. Rares sont les Juifs qui, au cours des semaines prochaines, ne penseront pas aux otages et à leurs familles. Je suis sûr qu’un certain nombre d’entre eux penseront aussi, à juste titre, à la détresse des habitants de Gaza, mais ils n’auront pas oublié, eux, que le responsable de cette détresse, c’est le Hamas, et que s’il l’avait voulu, le retour des otages aurait arrêté la guerre.

Or, l’oubli des otages est constant dans la description – apocalyptique – par la plupart des medias et des acteurs politiques de la situation à Gaza, comme s’il permettait  d’évacuer un élément gênant dans la description des actions d’Israël comme un génocide.

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Après avoir découvert la notion de génocide d’immeuble par M. Gallagher Fenwick sur LCI, j’ai entendu le 17 septembre sur Arte Mme Julia Grignon, professeur de droit humanitaire à Paris Assas, annoncer avec fougue qu’il était inconcevable de ne pas appeler génocide les actions d’Israël à Gaza, que d’ailleurs beaucoup d’Israéliens l’admettaient eux-mêmes et que ce terme avait été validé par des Institutions de l’ONU aussi indiscutables et prestigieuses que le Conseil des Droits de l’Homme et la Commission d’enquête indépendante sur le territoire palestinien occupé présidée par l’éminente juriste sud-africaine Navi Pillay, ancienne Haut-Commissaire des Nations unies aux Droits de l’homme. 

Pour qui connait le palmarès du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, où trônent certaines des pires dictatures de la planète, et celui de Navi Pillay dont l’obsession anti-israélienne a largement favorisé la carrière internationale, ces références sont grotesques. Mais pour le téléspectateur moyen, l’argument d’autorité est terriblement efficace, car l’ONU reste une marque de prestige.

Il serait donc impossible de nier qu’Israël soit l’auteur d’un génocide? C’est pourtant ce qu’a écrit il y a deux semaines le secrétaire britannique aux Affaires étrangères, sur la base d’une analyse du Foreign Office, une institution qui n’est réputée ni pour son israélophilie exacerbée, ni pour sa frivolité intellectuelle. Ce rapport a été curieusement passé sous silence, contrairement aux accusations contre Israël du moindre fonctionnaire de l’ONU. 

Mme Grignon balaie enfin l’argument d’intentionnalité sans lequel on ne peut pas parler de génocide. Elle le déduit aussi bien des événements, ce qui revient à une tautologie, que des déclarations des responsables. Pour mémoire, la plus grave de ces déclarations est celle du général Gallant, alors ministre de la Défense, qui avait dit le 9 octobre, alors même que les modalités des massacres glaçaient les esprits: « Nous nous battons contre des animaux humains», en hébreu חיות אדם. Preuve, suivant l’accusation, que les Israéliens considèrent leurs ennemis comme des animaux. 

Un linguiste aurait peut-être signalé que l’expression, tirée de la vision d’Ezechiel, est utilisée dans l’hébreu d’aujourd’hui pour insulter  une personne dont on considère qu’elle se conduit de façon ignoble et que cela ne conduit pas forcément à trainer l’auteur de ces paroles devant un tribunal, a fortiori international…

Il est ahurissant que l’accusation de génocide portée contre Israël devant la Cour internationale de Justice repose sur de simples mots d’une colère bien légitime…

Combats particulièrement complexes

Mais la question qui se pose aujourd’hui c’est de savoir si c’est commettre un génocide que d’engager la guerre contre une ville? Il semble aujourd’hui que la réponse soit oui, à condition que l’assiégeant soit l’Etat d’Israël. 

Le noyau commun des accusations  c’est que la guerre que mène Israël entraine des victimes civiles…. Comme si ce n’était pas le cas dans toutes les guerres qui se déroulent dans une ville et pas sur un champ de bataille. 

Personne n’a parlé de génocide lors des combats urbains en Yougoslavie, en Tchétchénie, à Fallouja ou contre Daech. Seul l’assassinat de sang froid de 8 000 Bosniaques musulmans par les troupes serbes après la prise de Srebrenica a été qualifié, à juste titre, de génocide: il n’y en a pas la moindre correspondance au cours de la guerre actuelle de Gaza où cette accusation de génocide repose sur le seul fait qu’il existe des victimes civiles lors des combats. 

Pour rappel, ces combats sont particulièrement complexes du fait de l’immensité du réseau souterrain qui permet aux combattants impossibles à distinguer de la population civile de déboucher de façon imprévue dans des immeubles par ailleurs soigneusement piégés. Du fait de ces difficultés exceptionnelles l’action de l’armée israélienne, dont on rappelle qu’elle est la première dans l’histoire à prévenir autant que possible les habitants d’un immeuble avant qu’il soit détruit, a été souvent saluée par les techniciens de la guerre urbaine. La transformer en action génocidaire conduit non seulement à trivialiser ce terme mais à faire porter sur Israël une accusation profondément injuste. 

La guerre de siège a ses règles. Les manuels de guerre américains et britanniques étudiés récemment dans le très remarquable dossier établi par le Centre Begin Sadate de l’Université de Bar Ilan (sur lequel je reviendrai), les détaillent. On y apprend que le blocus alimentaire est une méthode légitime de guerre, surtout si la population civile a la possibilité de quitter la zone de combats. La fuite des populations civiles est une constante dans ce type de guerre: elle eut lieu massivement à Sarajevo, à Grozny et ailleurs quand elle a été possible et les Israéliens l’organisent à Gaza que plusieurs centaines de milliers d’habitants ont quittée.

Ces départs  sont toujours déchirants mais à ma connaissance ce n’est que dans le cas d’Israël que le mot de déportation a été utilisé. Ce mot a certes une connotation plus neutre en anglais qu’en français, mais on ne peut se départir de l’idée qu’il s’agit aussi avec ces mots de génocide et de déportation de désamorcer enfin la charge mémorielle si lourde de la Shoah.

Le siège de Mossoul contre Daech entre octobre 2016 et juillet 2017 a été mené par une coalition dont la France faisait partie. Il s’est déroulé en coupant l’aide alimentaire à une population civile prise au piège et un nombre indéterminé de morts a eu lieu. Personne à l’époque, je crois, n’a utilisé le terme de génocide.

Tous,  nous redoutons les conséquences de la décision israélienne de porter la guerre dans la ville de Gaza. Mais dire que cette guerre est un génocide est une perversion du langage dont les objectifs sont politiques. Pour certains il s’agit seulement de manifester leur opposition au gouvernement de Benyamin Nétanyahou, sans qu’ils prennent en considération que ce faisant, c’est l’État d’Israël et tous ceux qui le soutiennent qu’ils marquent ainsi du sceau de l’infamie. Pour d’autres, il s’agit naïvement de «mettre à jour» les définitions classiques du terme de génocide défini il y a près de 80 ans. Mais pour les véritables instigateurs de cette terminologie de la honte, c’est  un objectif prémédité de diaboliser l’Etat d’Israël. Cette dernière configuration marque malheureusement l’ensemble des institutions de l’ONU qui sont loin de jouer le rôle d’arbitre neutre que les espoirs populaires voudraient leur attribuer…

Fleury-les-Aubrais: laisse pas traîner ton fils

À Fleury-les-Aubrais, banlieue calme d’Orléans, un meurtre impliquant des adolescents a semé la consternation cet été. À ce stade de l’enquête une chose est certaine: cette mort aurait pu être évitée si ces mineurs n’avaient pas été dans la rue à deux heures du matin, et si un dealer n’avait pas eu d’arme à feu chez lui. Reportage.


Il est environ deux heures du matin, ce dimanche 17 août à Fleury-les-Aubrais (Loiret), quand des coups de feu retentissent dans le quartier Jabottes. Alertées par des riverains, les forces de l’ordre se rendent alors aussitôt sur place, où les agents découvrent un adolescent grièvement blessé. Il a reçu une balle dans le dos. Malgré l’intervention rapide des secours, il succombera dans la nuit.

Toujours plus jeunes

Liroye, la victime, n’avait que 16 ans. Il traînait dans la rue ce soir-là avec quatre de ses amis, connus des services de police pour de petits larcins. Son meurtrier présumé, à peine âgé de 19 ans, a quant à lui des antécédents judiciaires plus sérieux, avec plusieurs condamnations pour trafic de stupéfiants à son compteur. Il est à présent mis en examen pour meurtre, tentative de meurtre et détention illégale d’arme de catégorie B.

Des histoires comme celle-là, il en arrive toutes les semaines dans les banlieues françaises. Des règlements de compte entre délinquants, toujours plus jeunes, toujours plus armés. L’année dernière, on a recensé 110 narcomicides dans les zones urbaines sensibles. Seulement, Fleury-les-Aubray, au nord d’Orléans, n’est pas une commune gangrenée par la drogue, mais une ville pavillonnaire sans histoire. Et Liroye n’était pas le dangereux membre d’un gang, mais « un petit voyou, du genre de ceux qui volent dans les voitures et se bagarrent au pire avec leurs poings », confie une source policière.

Selon Emmanuel Delorme, procureur de la République adjoint d’Orléans en charge du dossier, le mis en cause, qui a admis avoir consommé de la drogue le soir de son forfait, était chez lui quand il a entendu Liroye et ses amis dans la rue. Il « se sentait menacé depuis quelque temps », et aurait « pris peur et, selon ses dires, tiré en l’air une première fois, puis une seconde fois en direction du groupe ».

Le suspect voulait-il juste intimider les rôdeurs ? Avait-il un différend plus ancien avec eux ? Les a-t-il confondus avec d’autres ? A-t-il eu une bouffée paranoïaque sous l’effet des substances dont il faisait notoirement commerce ? À ce stade de l’enquête, impossible d’évaluer le niveau de préméditation de son geste. Mais une chose est certaine, et même évidente : cette mort aurait été évitée si ces mineurs ne s’étaient pas trouvés dehors à deux heures du matin, et si ce dealer n’avait pas disposé d’une arme à feu chez lui.

« On est dans une ville qui n’est pas exempte de problèmes, comme partout en France, mais on n’a pas de fait d’insécurité plus fort qu’ailleurs, déclare à juste titre Carole Canette, la maire PS de Fleury-les-Aubrais, qui exclut de décréter dans sa commune le couvre-feu pour les mineurs que réclame son opposition. Je refuse de faire des déclarations à l’emporte-pièce populistes et de prendre des mesures gadgets. »

A ne pas manquer, notre dossier de septembre: Ces meutes qui ont pourri l’été

On peut comprendre le « pas-de-vaguisme » de l’édile socialiste. Fleury-les-Aubrais, 21 000 habitants, pourrait servir de cadre à un documentaire idyllique sur la France qui se lève tôt et vit en paix. C’est l’un de ces rares endroits de l’Hexagone où la classe ouvrière peut encore s’estimer bien lotie. Notamment grâce au bassin d’emploi constitué par l’immense centre commercial L’Orée de Forêt, situé en bord de rocade, et par l’usine du groupe français Thalès, spécialisée dans la conception et la maintenance des systèmes radars qui équipent entre autres les fameux lance-missiles Crotale. Une activité de pointe… et d’avenir.

Ici, la décence commune se voit à l’œil nu. Dans un paysage où les châteaux d’eau sont les seuls immeubles de grande hauteur et où les artères sont tracées au cordeau, les maisons ne sont certes pas très luxueuses mais, fruits de toute une vie de travail, leur état est impeccable et leurs jardins bien entretenus. Pas le moindre tag sur les murs, pas de casquette à l’envers, pas de crachats dans la rue. Ce jour de marché, on croise bien un jeune homme en djellaba près de la mairie, mais il est nettement en minorité à côté de la foule de chalands habillés à l’européenne, notamment des familles venues faire leurs courses à vélo.

Aux Blossières, on trouve désormais tout ce qu’on veut…

Dans un parc proche du quartier Jabottes, on fait la connaissance d’une poignée de jeunes du coin. Chaussés de claquettes, ils promènent un chien (dont ils ramassent – preuve de la civilité des lieux – les excréments avec un petit sac en plastique). Connaissaient-ils Liroye ? « Oui, de vue, ce n’était pas quelqu’un de violent, assurent-ils. C’était un Guadeloupéen. Sa mère est chrétienne, très croyante. » On leur demande s’il est facile de se procurer de la drogue et des armes dans leur ville. « Plus qu’avant. À Orléans, de l’autre côté de la voie ferrée, il y a une cité, les Blossières, où on trouve tout ce qu’on veut. Mais maintenant, on voit des racailles des Blossières qui viennent faire du business à Fleury. »

Un policier nous confirme que l’on déplore de plus en plus de gamins livrés à eux-mêmes le soir et une explosion du nombre d’armes à feu en circulation dans l’agglomération orléanaise, pourtant connue pour sa faible délinquance de proximité. « C’est la raison pour laquelle les policiers municipaux de toutes les communes de la métropole sont armés, indique-t-il. Même à Fleury, la maire n’est pas revenue sur cet acquis quand elle a battu l’UDI en 2020. » Qu’on se rassure toutefois : depuis que la gauche dirige la ville, le logo de la direction de la sécurité et de la tranquillité publiques a été modifié. Il représente désormais le centre culturel local, baptisé « La Passerelle ». Tout un symbole.

Si l’on observe froidement le drame qui s’est joué à Fleury cet été, il ressemble en première analyse à une anomalie criminologique, à une tragique faute à pas-de-chance. En revanche, si l’on écoute les acteurs de terrain, la mort de Liroye pourrait bien être un signe précurseur d’un phénomène en train d’apparaître dans notre pays : la déghettoïsation de l’extrême violence juvénile. Mais on s’en voudrait de mécontenter Emmanuel Macron en « brainwashant (“lavant les cerveaux”) sur les faits divers ».

La candidature de Boualem Sansal au prix Sakharov divise ses soutiens

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La proposition des eurodéputés du groupe Les Patriotes, visant à décerner au romancier franco-algérien détenu à Alger depuis dix mois le prestigieux prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, au Parlement de Strasbourg, suscite des divisions au sein de ses soutiens. L’éditeur Antoine Gallimard affirme que «Boualem Sansal, par la voix de son épouse, a fait savoir qu’il considérait comme irrecevable cette démarche insidieusement partisane». De son côté, l’ancienne ministre et présidente du comité de soutien de l’écrivain, Noëlle Lenoir, soutient que «nul ne peut aujourd’hui se prévaloir de parler au nom de Boualem Sansal».


Ainsi, aux dires, sur les ondes de France Inter ce dimanche 14 septembre, d’Antoine Gallimard en personne, le prestigieux éditeur de Boualem Sansal, celui-ci, grand écrivain franco-algérien retenu aujourd’hui arbitrairement prisonnier et au secret dans une obscure geôle d’Algérie, « s’oppose vigoureusement » à ce que le pourtant très enviable prix Sakharov – prix, en l’honneur de cet ancien dissident soviétique et prix Nobel de la paix, récompensant annuellement, par l’Union européenne, d’illustres combattant en faveur des droits de l’homme et de la liberté de l’esprit – lui soit méritoirement décerné cette année 2025, au prétexte que le choix de son nom aurait été proposé, au sein du Parlement Européen, par un groupe réputé d’extrême-droite, Les « Patriotes pour l’Europe », à la tête duquel se trouve Jordan Bardella, président, en France, du Rassemblement national. Et, dans ce même entretien radiophonique, Antoine Gallimard d’ajouter, pour étayer son argumentation, que Boualem Sansal « ne veut être récupéré par personne ».

Soit ! Antoine Gallimard, dont la glorieuse maison d’édition s’avère être un des plus beaux fleurons de l’intelligentsia française1, est certes libre, très honnêtement, de penser ce qu’il veut. Et à lui bien évidemment, intactes et respectueuses, toute mon estime intellectuelle, mon admiration professionnelle aussi bien que ma gratitude éditoriale !

L’admirable Boualem Sansal: son sens de la tolérance, son esprit de générosité et sa passion pour le débat d’idées

Un point, crucial dans ce débat, ne cesse toutefois de me tarauder ici : moi qui suis également membre du plus officiel Comité de Soutien à ce même Boualem Sansal, mais qui, surtout, connaît un peu, tant sur le plan moral qu’humain, mon cher et bienveillant ami Boualem précisément, dont son profond sens de la tolérance comme son authentique générosité envers toute fraternité, outre sa passion pour le saint et contradictoire débat d’idées, j’avoue ma perplexité, sinon mon étonnement, à l’idée qu’il puisse ainsi refuser catégoriquement, de manière aussi péremptoire et même dogmatique, ce très honorable prix Sakharov, fût-il donc proposé à l’origine, et en l’occurrence, par des représentants, tous élus démocratiquement cependant, issus, sur l’échiquier politique des différents pays concernés, de ladite « extrême-droite ».

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Reste à savoir, en outre, jusqu’à quel point des propos rapportés indirectement et uniquement par la femme de Boualem Sansal, seule personne à avoir accès à lui, en plus des nombreuses pressions et autres intimidations qu’elle doit très probablement subir quotidiennement de la part de l’actuel et très autoritaire pouvoir algérien, complice méprisable des pires régimes islamistes, peuvent s’avérer, sinon complètement authentiques, du moins raisonnablement fiables ou légitimement crédibles. Méfiance donc, sans certes vouloir remettre ici en cause, pour autant, l’intégrité, la bonne foi et les sentiments sincères de cette magnifique épouse, à qui je dis et redis bien sûr ici, pour ma modeste part, toute ma compassion humaine !

Droits de l’homme, liberté de pensée et de parole: bannir tout esprit partisan face à l’importance de l’enjeu moral, philosophique et humain

Comment, du reste, cet urgent, nécessaire et surtout universel combat, noble entre tous, pour les droits de l’homme, la liberté de pensée et de parole, d’expression et de création, pourrait-il ainsi souffrir, victime d’un clivage idéologique pour le moins malvenu en la circonstance, d’un aussi misérable esprit partisan, aussi médiocre, à l’aune de l’importance de cette très haute lutte, tant sur le plan éthique que philosophique ?  

Ainsi, au vu de cet humble mais sincère appel à l’esprit des Lumières, à l’honnêteté intellectuelle aussi bien qu’à la conscience rationnelle, à lui donc, mon cher et admirable Boualem Sansal, tout notre soutien, indéfectible, pour ce très méritoire prix Andrei Sakharov si, d’aventure, l’Union Européenne voulait bien, en effet, le lui décerner plus concrètement. Elle s’en verrait ainsi grandie, indiscutablement et par-delà, en ce dossier d’une tragique actualité, toute stérile, artificielle ou contreproductive polémique.

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Et, surtout, n’instrumentalisons pas ici ni n’avilissons pas ainsi, par d’aussi mesquines disputes d’ordre purement idéologique ou exclusivement politique, la mémoire du grand Andrei Sakharov. Il est bien, tout comme cet éminent humaniste qu’est également Boualem Sansal, au-dessus, s’il fallait encore le clamer haut et fort, de pareille dérive essentiellement, et malheureusement pour la postérité dans son œuvre littéraire elle-même, clanique.

Boualem Sansal doit avant tout être libéré

Oui : restons dignes, fermes et droits dans notre soutien moral et humain, face à l’indicible malheur qui frappe de la manière la plus injuste et douloureuse qui soit, aujourd’hui, notre très cher, courageux et précieux ami Boualem Sansal, âgé et malade de surcroît, dont nous demandons ainsi ici également et encore une fois, toutes affaires cessantes, la libération immédiate de son enfer carcéral !

Le comité de soutien de l’écrivain est allé dire sa colère et son soutien sous les fenêtres de l’ambassade d’Algérie à Paris, le 16 mai 2025 © Arnaud Vrillon
  1. Et qui m’a fait l’insigne honneur de publier deux de mes propres livres (biographies intitulées, respectivement, « Oscar Wilde » et « Lord Byron ») NDLA ↩︎

Le peuple français n’est pas antisémite

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On dit souvent que la France serait une terre d’antisémitisme. Le mot roule de tribune en éditorial comme une sentence définitive, une condamnation sans appel. Mais ma vie dément ce récit fabriqué. Elle en est la réfutation charnelle. Car je dois ma survie non pas aux institutions, non pas aux élites dont la langue est celle de la compromission, mais à un policier qui refusa d’obéir, et à des paysans catholiques du Dauphiné, les Danthon, qui m’ouvrirent leur maison comme on entrouvre une arche pleine de blé et de prières.

Ma mère fut sauvée d’une rafle par un simple fonctionnaire de police. Dans ce geste, rien du spectaculaire. Il n’y eut ni trompette ni panache. Mais la nudité d’un refus, la lumière d’une conscience. Quand tout autour n’était que papier signé, ordres secs, encre qui scellait la persécution, cet homme choisit de ne pas être complice. Sa grandeur fut sans uniforme, sans parole. Elle fut d’un silence d’autant plus éclatant.

Et moi, enfant, je fus recueilli par les Danthon. Leur maison, lourde de pierres, aux poutres noircies, respirait une abondance simple. Le pain sortait du four, les seaux tintaient dans la cour, les chevaux tiraient la charrue comme au temps d’avant l’Histoire. C’était une maison pleine : pleine de voix, de rires d’enfants, de gestes sûrs. À l’intérieur, la chaleur d’un poêle, l’odeur des soupes épaisses, les prières récitées à voix basse. Rien ne manquait, tout y était don.

Chaque soir, Madame Danthon me faisait réciter d’abord le Notre Père, puis le Shema Israël. Deux fidélités, deux prières, qui ne se contredisaient pas dans ma bouche d’enfant. La croix et l’étoile veillaient ensemble sur mon sommeil. Ainsi se révélait la France : non pas la France des tampons et des signatures, mais celle d’une coexistence silencieuse, naturelle, enracinée dans la terre.

Voilà pourquoi je l’affirme : le peuple français n’est pas antisémite. Il ne l’a jamais été dans ses fibres profondes. Ce sont ses élites qui ont trahi. Hier, celles de Vichy, qui signaient, calculaient, collaboraient, offrant la persécution juive sous la forme d’un registre administratif. Aujourd’hui, celles qui trahissent à nouveau, non plus en livrant les Juifs, mais en livrant Israël à la haine, en donnant une onction idéologique à l’antisionisme.

La lâcheté des élites est restée la même : incapacité à nommer l’ennemi, posture du Bien qui recouvre leur reniement. Hier, l’occupant allemand ; aujourd’hui, l’islamisme conquérant. Toujours la même froideur d’encre et de papier, toujours les mêmes mains trempées dans la complicité.

Mais la vérité est ailleurs. Elle est dans les maisons de pierre et de bois, dans la chaleur des foyers, dans la fidélité silencieuse de ceux qui accueillirent sans trembler. Ceux que l’on traite de « réactionnaires » furent alors les vrais résistants : non par discours, mais par chair, par geste, par fidélité.

De cette enfance, il me reste l’image de la brique chauffée sous mes draps, de la soupe partagée, de deux prières s’unissant dans la nuit. Cette image, plus qu’un souvenir, est une leçon : elle dit que la fidélité est plus forte que la haine, que le peuple simple porte la vérité que les élites, hier comme aujourd’hui, ont abandonnée.

C’est pour cela que j’écris. Pour rappeler à la France que son honneur ne fut jamais dans les proclamations de ses élites, mais dans la chaleur obscure de ses maisons paysannes. Hier, ce furent un policier anonyme et la maison des Danthon qui sauvèrent une mère et son enfant. Aujourd’hui encore, ce sont les voix modestes, étouffées, qui pressentent le danger que les élites refusent de voir.

Car l’histoire revient, avec d’autres masques. Hier, la collaboration au nom du réalisme ; aujourd’hui, la compromission au nom de l’antiracisme. La même peur, le même calcul, la même lâcheté sous d’autres habits.

Je veux que la mémoire des Justes juge nos contemporains. Que le visage des Danthon, la main tendue du policier, apparaissent comme un reproche vivant à ceux qui défilent aujourd’hui derrière les drapeaux palestiniens. Qu’on se souvienne : la vraie France n’était pas dans les salons de Vichy, mais dans la cuisine des Danthon, au bord du feu, dans la densité d’une maison pleine. De même, aujourd’hui, elle n’est pas dans les tribunes du progressisme mondain, mais dans le cœur lucide de ceux qui refusent le mensonge.

Voilà le sens de ce témoignage : défendre l’honneur du peuple français contre la lâcheté de ses élites. Rappeler que la fidélité, la vraie, se tient dans une soupe partagée, dans une prière chuchotée, dans la chaleur d’un poêle. Se tient là où la France, la seule France, continue de vivre.

Fuir ce monde

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Nathan Devers. © Pascal Ito/Albin Michel

Nathan Devers a le don de capter l’air du temps. Avec Surchauffe, il brosse le portrait d’une société au bord du gouffre où certains refusent de jouer le jeu.


Nathan Devers a une rentrée chargée. L’ex-chroniqueur de CNews, par ailleurs éditeur de la revue La Règle du jeu, peaufine un nouveau concept télé et s’apprête à inaugurer une émission de débats sur France Culture. Le jeune homme a du talent. Normalien et agrégé de philosophie, il est l’auteur, à 27 ans, de plusieurs livres dont Penser contre soi-même, essai très remarqué dans lequel il racontait comment, de futur rabbin, il était devenu écrivain. Son nouveau roman, Surchauffe, s’inscrit dans le droit fil des Liens artificiels, lequel avait pour thème le métavers. Mais le monde qu’il décrit cette fois ne flirte plus avec la science-fiction, il est celui que nous connaissons.
Le romancier choisit de se glisser dans la peau d’une jeune trentenaire, cadre exemplaire d’un grand groupe immobilier, qui frôle le burn-out. Trop de mails, de réunions chronophages, d’objectifs inatteignables, une hiérarchie qui semble avoir pour objectif de la broyer. Son supérieur, qui a dû mettre ses ambitions politiques sous le boisseau, est un prototype du genre. Jade est son souffre-douleur. À son mal-être, la jeune femme donne un nom : la surchauffe. « La Spirale angoissée de cette vitesse folle, de ce chaos de lien, de cette hâte sans but qui me sépare de tout. La Spirale, ou plutôt devrais-je dire “la Surchauffe”, ce sentiment que ma réalité, celle qui m’environne, est sur le point d’imploser. »
Un sentiment dont on a tôt fait de reconnaître qu’il nous habite tous ou presque dans un monde en perte de repères où tout s’accélère. Infos qui tournent en boucle. Politiques uniquement préoccupés par leurs scores dans les sondages. Fake news. Conflits dévastateurs. Enjeux climatiques anxiogènes. En un mot : un monde en perdition que Nathan Devers décrypte sans édulcorer ni forcer le trait. Difficile de tenir dans une société dont la valeur ultime est le consumérisme.
Dans ce combat quotidien qu’est devenue sa vie, Jade ne peut espérer aucun soutien de son mari, chroniqueur obnubilé par l’audience de ses émissions et son nombre de followers. Nathan Devers connaît bien le monde de la télévision. La critique implicite qu’il en fait est savoureuse. Tout comme celle, bien au-delà de l’univers audiovisuel, de la gent masculine. Ne reste qu’un îlot de lumière. Une île mystérieuse épargnée par la modernité. L’île de North Sentinel. Situé dans l’archipel indien des Andaman, ce lieu qui existe bel et bien est l’un des derniers bastions n’ayant pas changé depuis l’aube de l’humanité ; pour une raison fort simple : ses habitants, des chasseurs-cueilleurs soucieux de se préserver de la modernité, ont assassiné ceux qui ont tenté d’en fouler le sol. Ce fut notamment le cas du missionnaire John Allen Chau en 2018. Mais cela n’arrête pas Jade, partie en repérage sur ces terres sauvages en vue de l’édification d’un hôtel de luxe, qui trouve là une raison de vivre et un sujet de livre. Radiographie brillante de notre époque, Surchauffe est un roman captivant qui célèbre la nécessité d’un retour à l’instant présent sans jamais verser dans l’angélisme. Un page-turner littéraire et poétique porté par un lyrisme puissant.

Surchauffe, Nathan Devers, Albin Michel, 2025. 336 pages

Surchauffe: Prix du Jury 2025 - La forêt des livres

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De la page à l’écran: la magie glacée d’Andersen

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Marion Cotillard, "La tour de glace" de Lucile Hadzihalilovic (2025) © Metropolitan

La Tour de glace, une très belle adaptation au cinéma du conte d’Andersen


Je suis toujours curieux du résultat, lorsqu’un metteur en scène adapte au cinéma un texte littéraire. En général, c’est décevant, car le film devient une simple illustration, bien inférieure au livre. On cherche alors en vain la nécessité du passage à l’écran. Dans quelques cas cependant, on la trouve, lorsque le réalisateur profite de l’occasion pour proposer une lecture personnelle et approfondie de l’œuvre dont il a choisi de parler. Le cinéma permet un dispositif critique sophistiqué, qui va éclairer sous divers angles la lecture du livre. C’est ce qui arrive aujourd’hui avec le film qui vient de sortir en salle, La Tour de glace, de Lucile Hadzihalilovic, avec Marion Cotillard, inspiré d’un célèbre conte d’Andersen, La Reine des Neiges.

Un personnage fabuleux

La cinéaste est partie de ce texte étrange et insolite, et tout son propos artistique tourne autour de lui. Elle ne le quitte jamais, voulant en boire jusqu’à la dernière goutte la magie littéraire. Interrogée sur le retentissement de ces contes d’Andersen dans sa propre vie, elle répond : « Ils continuent à me passionner par leur complexité humaine […] tout autant que par l’imaginaire poétique qu’ils déploient. » Elle précise : « La Reine des Neiges est l’un de ceux que j’aime particulièrement. » Ce personnage fabuleux « me fascine »,  annonce la réalisatrice, comme « une figure de la perfection et de la connaissance, inaccessible et mystérieuse, attirante et effrayante à la fois. » Dans le film, une voix off lit de manière répétitive des passages du conte décrivant la Reine ; celle-ci se laisse percevoir comme l’objet d’une absolue fascination, que le film décrit avec une lenteur grandiose.

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Le labyrinthe des rêves

Au départ, l’action est située dans les années 1970 (la cinéaste était encore adolescente à cette époque). Une très jeune fille, nommée Jeanne, élevée dans un foyer, fait une fugue dans un paysage de neige et arrive dans une ville inconnue d’elle. Elle n’a pas d’endroit où dormir, et entre par effraction dans un bâtiment qui lui semble inhabité. Elle y pénètre comme dans une sorte de labyrinthe, trouve un recoin pour se poser et s’endort. Il neige dans son sommeil, et elle se remémore le conte d’Andersen qu’elle aimait tant relire.

Clara Pacini © Metropolitan

Au petit matin, entre rêve et réalité, la Reine des Neiges lui apparaît. « J’ai rencontré la Reine des Neiges », dira-t-elle. En réalité, sans le savoir, elle se trouve dans un studio de cinéma, où l’on tourne un film adapté de ce même conte d’Andersen dont Jeanne est obsédée.

Marion Cotillard en star de cinéma

Dès lors, la jeune fille se cache dans les coulisses et se met à espionner l’actrice qui interprète la Reine des Neiges. Celle-ci s’en aperçoit et cherche à savoir qui elle est, sans doute attirée par sa jeunesse éclatante. On assiste aussi à de brèves et énigmatiques scènes de tournage, dans lesquelles l’actrice se comporte comme une Greta Garbo autoritaire et capricieuse. Marion Cotillard est idéale dans ce rôle : « Marion, explique la réalisatrice, possède ce côté à la fois moderne et intemporel que je recherche, un visage qui a la qualité expressive de ceux des actrices des années 30, époque à laquelle le film dans le film fait référence. » Marion Cotillard, dans ce personnage de star, est filmée par une caméra contemplative, qui prend son temps et qui revient sans cesse vers elle, tout en respectant la distance. Le spectateur/voyeur partage le trouble que ressent Jeanne. Les rares dialogues qui ponctuent l’action renforcent cette impression : « La Reine est immortelle. Elle est seule ? Elle a un royaume. Tu crois que ça suffit ? »

La neige et le silence

Le film de Lucile Hadzihahilovic m’a rappelé, vers la fin, le David Lynch de Mulholland Drive, par le traitement extrêmement subtil du silence, que vient souligner la si belle musique de Messiaen. Il y a un rapport évident entre la neige et le silence, et ici plus que jamais. La cinéaste nous montre que le silence a un sens. C’est d’ailleurs presque un retour au cinéma muet et à sa pureté originelle. Au fond, l’art du muet n’a jamais été dépassé. Le sublime ne se répète pas, comme Greta Garbo. Je note aussi, chez Hadzihahilovic, le recours fréquent aux symboles. Ainsi de l’épisode du cristal que la jeune fille escamote sur la robe de la Reine, et qui, figurant « la lentille de la caméra que traverse la lumière », devient, nous dit la réalisatrice, comme une « métaphore évidente de l’essence du cinéma ».

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À la fin, Jeanne repousse brusquement la Reine des Neiges, ou plutôt l’actrice, refusant ses avances et montrant par là qu’elle est revenue dans la vie réelle. Elle a acquis, semble-t-il, la maturité qui lui manquait et, désormais, se sent adulte. C’est un peu, aussi, la conclusion du conte d’Andersen, comme on sait, qui nous est donnée par le personnage de la grand-mère : « La grand-mère, écrit Andersen, était assise à la lumière du soleil de Dieu et lisait à haute voix dans la Bible : Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume de Dieu. » On peut interpréter cette citation de l’Évangile de Matthieu (18, 3) comme un hommage au monde de l’enfance qui enrichit toute la vie.

Le très beau film de Lucile Hadzihahilovic nous montre, à travers Jeanne, nouvelle Alice, ce parcours de l’être humain pour sortir de lui-même et trouver sa vérité.

La Tour de glace de Lucile Hadzihalilovic, avec Marion Cotillard et Clara Pacini. En salle depuis mercredi. 1h58

Contes d’Andersen, traduction de P. G. La Chesnais. Éd. GF Flammarion, 464 pages

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Du côté de chez Loti

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© Photos Musées-municipaux Rochefort 17, cl. Simon David/CARO

Après treize ans de restauration, la maison de Pierre Loti, à Rochefort (17), rouvre ses portes. Ses façades bourgeoises dissimulent des intérieurs exotiques, un capharnaüm intime et savamment élaboré par cet écrivain-voyageur qui voulait conserver la mémoire de ses périples aux antipodes.


La prévention que les vices du temps attachent à l’excellent Renaud Camus invite, au moins par défi, à se replonger avec délice dans ce volume de la collection « Demeures de l’esprit » (Fayard), dont le premier chapitre s’ouvre comme suit : « La maison de Loti à Rochefort est exemplaire : elle n’est pas un musée Loti (même si l’on y apprend beaucoup sur Loti), elle n’est en aucune façon une reconstitution : […] une œuvre en soi, tout à fait au même degré que les livres. […] Nous avons bien affaire ici à une maison d’écrivain au sens le plus méticuleusement et plaisamment fétichiste du terme. » C’était avant la fermeture de l’édifice, il y a treize ans, pour restauration complète.

Depuis juin dernier, la maison de Pierre Loti – Julien Viaud pour l’état civil (1850-1923) – est rouverte au public.

Le bureau de Pierre Loti, transformé en cabinet de curiosités.
La « salle de la mosquée ».

Votre serviteur ne laissait pas de redouter que son conservateur Claude Stefani (également en poste au musée Hèbre à Rochefort), cédant aux sirènes de la pédagogie immersive et à celles de l’inclusivité, ait dénaturé la lettre et l’esprit de ce capharnaüm intime, patiemment élaboré par l’auteur d’Aziyadé, de Mon frère Yves ou des Désenchantées, dans sa maison natale. L’officier de marine n’a cessé d’y archiver, en chineur compulsif, la mémoire de ses périples aux antipodes, jusqu’à créer, dans cette banale habitation bourgeoise, le théâtre exotique de ses mouillages : d’Alger aux îles Marquises, de Constantinople à Nagasaki, d’Alexandrie à Bénarès, de Pékin à l’île de Pâques, de Hué à Angkor, de Bahia à Montevideo, de Dakar à Salonique… Quarante-deux ans de carrière et 61 livres concentrés dans un imaginaire décoratif où se coudoient mosquée, salon turc, chambre arabe, salle gothique et salle Renaissance aux dimensions quasi palatiales. Accotés sans solution de continuité à ces espaces de réception, un vestibule xixe tendu de velours rouge et orné de portraits à l’huile, un salon bleu ostensiblement meublé Louis XV et un salon Empire au plafond constellé d’un semis d’abeilles incarnent l’opulence et la bienséance des pièces « sur rue » soumises aux apparences de la respectabilité conjugale : mariage d’argent oblige, consommé en justes noces avec une Blanche Franc de Ferrière (1859-1940), aristocrate tôt délaissée pour d’éclectiques conquêtes. D’une austérité monacale, la cellule de Loti contraste avec la chambre des aïeules, celles de sa mère Nadine et de sa tante Clarisse, qui sentent fort la naphtaline.

Tout porte à croire que Renaud Camus n’aura pas motif à se plaindre du résultat de ces travaux d’Hercule. De fait, la toute neuve scénographie a eu scrupule de respecter l’intégrité des décors tels qu’ils furent laissés à la mort de l’écrivain voyageur : se contentant de restaurer (ou de remplacer à l’identique) les éléments dégradés, et de restituer la logique du parcours par lequel Loti lui-même en ordonnançait le cérémonial pour ses hôtes triés sur le volet. Les espaces « réaménagés », c’est-à-dire relevant de la reconstitution ou de l’évocation – soit que leur décor originel ait été dispersé, telle cette « pagode japonaise » que Samuel, son fils et héritier, avait transformée sur le tard en salle à manger, soit qu’il se soit vu démantelé, telle cette curieuse « salle chinoise » –, sont identifiables comme autant de jalons qui n’obèrent pas l’authenticité « archéologique » de ces intérieurs restés dans leur jus. On les visite à présent par groupe n’excédant pas dix personnes, sans audioguide, casque interactif, repères tactiles, musique d’ambiance ou adjuvant numérique. La présence, en guise de majordome, d’un guide en chair et en os s’offre par bonheur pour seule « médiation ».

Pierre Loti en costume d’Osiris, 1887.

De même est préservée l’intégrité de la blonde façade en pierre de taille, étonnante précisément en ce que sa sobriété provinciale cèle de façon délibérée le secret de son exubérance intérieure. Benjamin d’un notable dont un injuste opprobre pour détournement de fonds a causé la ruine, Julien Viaud, devenu Pierre Loti et auteur à succès vite enrichi, rachète les deux bâtiments mitoyens, sis de part et d’autre de sa maison d’enfance. Revanche sociale, revanche de la fulgurante gloire littéraire de cet homme de petite taille qui disait de lui-même « je ne suis pas mon genre », qui tâchait à se grandir en portant des talonnettes, et qui n’aimait rien tant que se travestir, amphitryon de fêtes mémorables – dîner Louis XI en 1888, soirée chinoise en 1903… Cet hédoniste mélancolique, bon pianiste, académicien tourmenté par la fuite du temps mais Immortel à 43 ans, précoce dessinateur avant de s’adonner à la photographie, enchanta le Tout-Paris dans un jeu de masques transgressif proprement vertigineux. Lettré carnavalesque aux mœurs indécidables, épris de la troublante virilité des gens de mer, hanté par la perte prématurée de Gustave, frère chéri de 14 ans son aîné, mystique athée bigame confiné avec deux débris cacochymes dans son gynécée rochefortais, ce bien loti écrivait : « Il y a une vie qui passe, à laquelle il est logique de demander le plus de jouissances possible, en attendant l’épouvante finale qui est la mort. »

Bien plus que le romancier phénoménal traqué par grimauds et journaleux, adulé de ses lectrices, in fine promis à des funérailles nationales, la postérité révère surtout, en 2025, cet incommensurable ailleurs cristallisé dans la promiscuité de ce théâtre vaguement kitsch, serti entre quatre murs de vieilles pierres. On ne lit plus guère Loti, mais c’est du côté de chez Loti que se pressent exégètes et pèlerins du patrimoine.


À voir

Maison de Pierre Loti, 137, rue Pierre-Loti, 17300 Rochefort.

Du mardi au dimanche, visites guidées uniquement sur réservation : maisondepierreloti.fr

À lire

La Maison de Pierre Loti, écrivain voyageur, Marie-Laure Lemoine et Claude Stefani, Découvertes Gallimard, 2025 (sortie 18 septembre).

La maison de Pierre Loti: Écrivain voyageur

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Les Vies de Pierre Loti, Michel Viotte, Alain Quella-Villéger (collab.), Hervé Blanché (préf.) et Stéphane Bern (av.-pr.), Éditions de la Martinière, 2025.

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À l’école, la France en procès permanent

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DR.

Ne parlez plus de roman national ! De Clovis à la colonisation, du roi Soleil à l’esclavage, l’enseignement de l’histoire ressemble de plus en plus à une longue salle d’audience. L’élève n’y découvre plus un récit commun, mais une suite de fautes à confesser. Peut-on encore transmettre une identité nationale quand l’école préfère le tribunal à la transmission ?


Il fut un temps où l’école, c’était simple : une maîtresse en tablier, un tableau noir, et une mission claire — transmettre le savoir. Aujourd’hui, l’école ressemble davantage à un champ de bataille symbolique. Ce qui s’y dispute n’est plus seulement la maîtrise des tables de multiplication ou l’accord du participe passé, mais le récit de ce que nous sommes. L’histoire nationale, la mémoire coloniale, les débats sur l’identité : tout se joue désormais dans la salle de classe.

Quand l’histoire se met au garde-à-vous

On demande aux élèves d’apprendre la Révolution française, mais aussi l’histoire de l’immigration, l’esclavage, la Shoah, la décolonisation, la lutte des femmes, l’écologie… Chaque cause a ses chapitres, chaque minorité son paragraphe. L’école, censée former des citoyens éclairés, ressemble de plus en plus à une grande foire des mémoires. Les manuels d’histoire s’empilent de “devoirs de mémoire” qui finissent par écraser l’Histoire tout court.

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Cette inflation mémorielle n’est pas neutre. Elle traduit une volonté politique: reconfigurer le récit national en récit “pluraliste”, où la France est moins un héritage qu’un patchwork de douleurs et de réparations. Les élèves ne sont plus invités à se reconnaître dans une aventure commune, mais à compter les blessures d’hier. À force, la France devient une addition de fautes, de crimes et de repentances — difficile d’y forger la moindre fierté collective.

La guerre des programmes

Le résultat est connu : querelles sans fin sur les programmes scolaires. Trop de colonialisme, pas assez. Trop de grands hommes, pas assez de figures féminines. Trop d’Europe, pas assez d’Afrique. Chaque ministre promet une “réforme en profondeur” et chaque lobby exige sa place dans les manuels. Pendant ce temps, les élèves sortent du collège sans savoir situer Verdun ou expliquer 1789.

Mais le plus frappant est la contradiction : on prétend ouvrir les esprits, et on les enferme dans une vision manichéenne. D’un côté, la France coupable ; de l’autre, les victimes à réhabiliter. L’histoire devient un tribunal. Or, un peuple qui ne transmet plus son récit fondateur finit par perdre le fil de son identité.

L’école ou la fabrique du doute

À force de tout déconstruire, on ne construit plus rien. Les pédagogues adorent répéter que l’élève doit “penser par lui-même”. Louable intention, sauf que, pour penser, encore faut-il avoir des repères. Or, si la France n’est qu’un “pays comme un autre”, si son histoire est surtout une succession d’injustices, pourquoi vouloir l’aimer, la défendre, ou simplement y appartenir ?

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Ce malaise explique en partie la crise de transmission. Les professeurs se retrouvent en première ligne, sommés d’enseigner un roman national qu’on leur interdit en même temps de raconter. Certains contournent l’obstacle, d’autres baissent les bras. Dans certaines classes, évoquer Clovis, Louis XIV ou Napoléon suscite des soupçons : est-ce bien inclusif ? Est-ce politiquement correct ?

Reprendre le fil du récit

Faut-il alors revenir au “roman national” d’antan, celui de Lavisse et de ses héros ? Pas nécessairement. La nostalgie n’est pas une politique. Mais il est urgent de rétablir une évidence : toute communauté humaine vit d’un récit commun. L’école n’est pas seulement un lieu de savoirs ; elle est la fabrique d’une mémoire partagée.

Raconter la France n’exclut pas d’y intégrer ses ombres et ses contradictions. Mais il faut le faire depuis un centre de gravité : la France elle-même. On peut enseigner les blessures de l’histoire sans réduire l’histoire à des blessures. On peut parler des crimes du passé sans effacer les grandeurs qui ont permis à ce pays d’exister encore aujourd’hui.

Car un enfant qui n’entend jamais parler de ses héros finit par chercher ailleurs ses modèles. Et là, le risque n’est plus seulement scolaire : il est civilisationnel.

Entre deux fidélités: l’écartèlement des Juifs de diaspora

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Manifestation de soutien pour Israël devant la grande synagogue de Bordeaux, le 9 octobre 2023 © UGO AMEZ/SIPA

Un siècle après l’affaire Dreyfus qui déchira la France et marqua son histoire politique d’une grosse cicatrice, l’antisémitisme souffle encore, sous des nouvelles formes, mais avec une constante: l’accusation de double allégeance. Analyse.


En décembre 2024, France Inter a diffusé une série d’épisodes retraçant l’Affaire Dreyfus, que je viens de découvrir. Une rétrospective historique et précise, sur dix épisodes1 où le climat de la France des années 1890 est retranscrit avec une grande précision. On croit connaître cette affaire. On la cite parfois comme illustrant l’esprit d’une époque. Et pourtant, l’entrelacs de ses protagonistes, de leurs jeux de pouvoirs et de ses conséquences jusqu’à aujourd’hui continuent de surprendre.

Coupable idéal

Le fil rouge de la série insiste sur un point essentiel : l’Affaire Dreyfus ne fut pas une simple « erreur judiciaire ». Elle se situe au-delà. Elle fut une machination politique, organisée et montée de toutes pièces par l’état-major de l’armée, et donc par l’État français.

À l’automne 1894, lorsqu’un bordereau intercepté révèle qu’un traître renseigne l’ennemi, — en l’occurrence l’Allemagne – le ministre de la Guerre, le général Auguste Mercier cherche un coupable avec une hâte dictée par ses ambitions politiques. Dreyfus, officier alsacien, est désigné. L’armée veut un coupable ; le procès n’aura pas de suspense, d’ailleurs il sera à charge, se jouera à huis-clos et ne respectera jamais la présomption d’innocence, bien connue dans le droit français.

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On l’aura compris, la pire accusation qu’on puisse formuler contre un officier, c’est bien celle dont Dreyfus est accusée, celle de la haute trahison. Juif, Alsacien, officier d’artillerie sorti du rang prestigieux de Polytechnique, Alfred Dreyfus apparaît comme le coupable idéal.

L’affaire Dreyfus cristallise un climat antisémite déjà virulent — alimenté par des journaux comme La Libre Parole d’Édouard Drumont et par la crispation nationaliste — qui rend la culpabilité de l’officier juif plausible aux yeux de tant de Français. François Mauriac rappellera, dans ses souvenirs, combien ces préjugés antisémites s’infiltraient jusque dans les cours d’école.

Et pourtant, le signe avant-coureur avait déjà existé. En 1878, lors de son admission à l’École polytechnique, Alfred Dreyfus avait obtenu la note de zéro à la rubrique dite note de cœur, une évaluation du « caractère » et non des compétences. Ce jugement moral, énigmatique et injuste, l’empêcha d’accéder au stage à l’état-major. L’antisémitisme, poison lent, s’était déjà insinué dans son parcours.

Au fond, ce dont on suspecte le général juif, lui l’enfant d’une Alsace marquée par la victoire de la Prusse sur la France et dont les parents ont choisi en connaissance de cause leur nationalité française, c’est de double allégeance.

Cette affaire, c’est le premier divorce entre la France et ses juifs. Theodor Herzl, correspondant de presse viennois, assista aux procès et surtout aux foules parisiennes hurlant « Mort aux Juifs ! ». Pour lui, ce fut une révélation : si un officier parfaitement assimilé, patriote, pouvait être traîné dans la boue pour le seul fait d’être juif, alors aucun Juif en Europe n’était à l’abri. En 1896, il publia Der Judenstaat (L’État des Juifs), ouvrant la voie au sionisme politique moderne.

Plus d’un siècle après une affaire qui déchira la France et marqua son histoire d’une cicatrice indélébile, l’antisémitisme souffle encore, sous des formes nouvelles, mais avec une constante : l’accusation de double allégeance.

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Aujourd’hui, les juifs de diaspora qu’ils soient Américains, Français, Anglais ou autres, sont souvent accusés de « double loyauté ». On leur reproche d’entretenir une fidélité parallèle ou suspecte à Israël, qui viendrait entamer leur loyauté pleine et entière à leur pays de naissance ou de résidence.

Vertige

L’histoire bégaye dans une sorte de triste paradoxe. Avant la naissance de l’État d’Israël, on reprochait déjà aux Juifs une loyauté divisée, au nom d’un fantasme antisémite. Depuis qu’Israël existe, on leur reproche toujours une double loyauté, mais cette fois au nom de leur lien supposé avec l’État juif. Dans les deux cas, l’accusation est la même, bien qu’elle change de visage : les Juifs sont accusés de ne jamais pouvoir appartenir pleinement à leur pays, quel qu’il soit, et quelle que soit la preuve de leur fidélité.

Écouter aujourd’hui, depuis Israël, l’histoire d’un officier français juif jeté en pâture à la vindicte publique me renvoie à ce vertige d’appartenances multiples. Les Juifs de diaspora se trouvent encore écartelés entre deux fidélités : celle à la vie qu’ils ont patiemment construite en Europe — leurs maisons, leurs langues, leurs souvenirs, leurs engagements civiques — et celle qu’on leur reproche toujours, réelle ou supposée, à Israël. Comme si leur existence devait se justifier sans cesse sur l’autel d’une loyauté unique. Cet écartèlement n’est pas seulement géographique, il est intime, il cisaille le cœur : rester et continuer d’espérer, ou partir et s’arracher à ce qui fut chez soi.

  1. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/serie-alfred-dreyfus-le-combat-de-la-republique ↩︎

Arthur Koestler, ou avoir raison contre Sartre

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L'écrivain hongrois Arthur Koestler (1905-1983) photographié à son domicile londonien vers la fin de sa vie © EFE AGENCIA/SIPA

Arthur Koestler est l’auteur du best-seller Le Zéro et l’Infini. Il a écrit d’autres ouvrages importants mais celui-là a marqué une génération. Ce communiste, emprisonné par Franco, guettant quotidiennement minuit dans sa cellule, croyant que le lendemain il serait fusillé, ami d’Israël et militant sioniste, a osé dénoncer les dérives du stalinisme, ses massacres de masse, ses grandes purges, au moment où la plupart des intellectuels français révéraient Staline – d’où le titre sibyllin de son roman : l’individu est zéro et le parti est l’infini.

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Il devint immédiatement le renégat. Il fallait l’ostraciser, l’empêcher de témoigner, de respirer, de vivre. Au Café de Flore, QG des planqués de l’Occupation, Simone de Beauvoir, avec qui il avait couché, et Jean-Paul Sartre se chargèrent de lui régler son compte en le discréditant de façon malhonnête. Ce n’était pas un écrivain, à peine un journaliste. Jacques Duclos, le premier secrétaire du PCF, tout puissant à la Libération, alla même jusqu’à exercer une forte pression sur son éditeur, Calmann-Lévy, pour empêcher la parution de ce livre d’éveil. Mais le patriarche de la maison d’édition aryanisée durant la guerre, rebaptisée « Éditions Balzac », n’était pas homme à se laisser impressionner. Quant à Koestler, buveur impénitent, aimant la castagne, séducteur compulsif, né en Hongrie en 1905, écrivant en allemand et en anglais, il jubilait d’avoir lancé une telle bombe littéraire.

Après la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’URSS, Le Zéro et l’Infini, avait perdu de son intérêt, le récit ne possédant pas le côté visionnaire de 1984, roman dystopique de George Orwell, ami de Koestler. Mais le retour de l’expansionnisme russe, décidé par le maître du Kremlin, a vu le spectre soviétique reparaître et les thèmes du livre sont redevenus actuels. De même que, depuis le 7 octobre 2023, l’antisémitisme que ce Juif d’Europe centrale combattit toute sa vie s’est réveillé en Occident. Koestler méritait donc qu’on s’intéressât à sa vie et à son œuvre.

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Stéphane Koechlin, romancier et essayiste, nous propose une biographie dynamique de l’auteurd’Un testament espagnol. Koestler est un séducteur. « Son visage est fort et doux », son « sourire féminin » et ses yeux qui ont vu le monde font des ravages, même si cet écrivain, marié trois fois, est violent avec les femmes – Koechlin révèle, à la fin de son ouvrage, une affaire de viol incriminant son sujet. Il refuse d’avoir des enfants – peut-être l’ombre portée d’une mère dérangée. La romancière Danielle Hunebelle brosse cependant un portrait flatteur du bagarreur dans Les Cahiers de l’Herne : « Attachant, fraternel, torturé, un peu énigmatique et mystérieux sur les bords, assez imprévisible pour n’être jamais ennuyeux, émotif, sensible aux signes, pas livresque pour un sou, actif… » C’est donc un personnage contrasté qui nous est présenté, dont l’esprit libre ne peut faire oublier le parfum de scandale qu’il traîne dans ses errances nocturnes fortement alcoolisées. Il reste que son courage lui aura permis de combattre physiquement le fascisme et de dénoncer les millions de victimes du totalitarisme rouge. Il finira par renoncer définitivement aux idéologies, se réfugiant dans l’écriture, son île de salut. Atteint d’une leucémie et de la maladie de Parkinson, il décidera, le 1er mars 1983, de provoquer sa mort. Cette dernière ne lui faisait pas peur. Il la guettait tous les soirs dans sa cellule, en Espagne. Cynthia Jefferies, née en 1927 – 22 ans les séparent – l’aidera dans son entreprise, avec une dévotion qui ne peut que nous toucher. On la retrouvera sans vie, à ses côtés, dans leur appartement londonien. Elle avait compris qu’elle ne pourrait pas vivre sans Arthur qui avait écrit : « Les mythes se développent comme des cristaux. »

Stéphane Koechlin, Arthur Koestler, la fin des illusions, Les Éditions du Cerf. 388 pages

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L’offensive israélienne dans la ville de Gaza: inquiétudes et mensonges

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À gauche, le président Macron à la télévision israélienne, jeudi. A droite, Benyamin Netanyahou à Jérusalem photographié le 15 septembre © Capture / Debbie Hill/UPI/Shutterstock/SIPA

Selon le président Macron, la poursuite de la guerre décidée par le gouvernement Nétanyahou dans l’enclave palestinienne est «totalement contreproductif». Israël est en train de «détruire totalement sa crédibilité» a déclaré le président français, dans un entretien à la chaîne 12 de la télévision israélienne, diffusé jeudi. L’offensive terrestre israélienne contre le Hamas dans la ville de Gaza, malgré ses conséquences civiles tragiques et les critiques internationales, ne relève pas du génocide mais d’une guerre urbaine complexe. Qualifier ces actions de génocide constitue en fait une instrumentalisation politique visant à diaboliser Israël, rappelle notre contributeur.


L’offensive actuelle que mène Israël a pour but de détruire le Hamas et pour cela d’occuper la ville de Gaza. Cette décision a suscité des réserves, même au sein de l’armée, mais celle-ci comme il se doit, suit les ordres de l’échelon politique. Les arguments du gouvernement sont que les exigences du Hamas dans le cours des négociations  pour la libération des otages étaient telles que les accepter aurait signifié aux yeux des ennemis d’Israël que le mouvement terroriste, qui n’a jamais caché ses ambitions de répéter le 7-Octobre, avait finalement gagné la partie et qu’il sortait victorieux d’un combat solitaire de deux ans contre l’armée la plus puissante de la région. Cela l’aurait maintenu au pouvoir, sous une forme ou une autre, et il n’aurait fait qu’une bouchée d’une Autorité palestinienne sclérosée, corrompue et profondément hypocrite à qui la France avec d’autres pays prétend offrir au pire moment le paquet-cadeau d’une indépendance palestinienne fantomatique.

Les otages au second plan ?

Mais comment concilier cette offensive avec la récupération des otages, mise désormais au second plan? Contrairement à ce qu’on dit, ce n’est pas la première fois qu’Israël aurait fait un tel choix. La libération de Gilad Shalit contre 1027 prisonniers palestiniens a fait oublier que la doctrine habituelle était de ne pas négocier avec les preneurs d’otages pour ne pas encourager de nouveaux enlèvements.

En 1974, l’assaut contre l’école de Maalot effectué sur ordre de Golda Meir, avait coûté la vie à 25 enfants sur la centaine maintenus en otages par le FDPLP. Le refus d’un autre chantage sur les otages a entrainé deux ans plus tard, l’opération d’Entebbe, dont le héros fut, comme chacun sait, Yoni, le frère ainé de Benyamin Nétanyahou. 

Pour donner un avis sur le bien-fondé de la décision du gouvernement israélien, il faudrait avoir une compétence sur la situation locale et les moyens militaires que je ne me donnerai pas le ridicule de feindre.

Nous qui ne savons pas ce que les services israéliens savent, nous ne pouvons qu’espérer que les opérations à Gaza permettront, par un moyen ou un autre, de libérer vivants autant d’otages que possible. Rares sont les Juifs qui, au cours des semaines prochaines, ne penseront pas aux otages et à leurs familles. Je suis sûr qu’un certain nombre d’entre eux penseront aussi, à juste titre, à la détresse des habitants de Gaza, mais ils n’auront pas oublié, eux, que le responsable de cette détresse, c’est le Hamas, et que s’il l’avait voulu, le retour des otages aurait arrêté la guerre.

Or, l’oubli des otages est constant dans la description – apocalyptique – par la plupart des medias et des acteurs politiques de la situation à Gaza, comme s’il permettait  d’évacuer un élément gênant dans la description des actions d’Israël comme un génocide.

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Après avoir découvert la notion de génocide d’immeuble par M. Gallagher Fenwick sur LCI, j’ai entendu le 17 septembre sur Arte Mme Julia Grignon, professeur de droit humanitaire à Paris Assas, annoncer avec fougue qu’il était inconcevable de ne pas appeler génocide les actions d’Israël à Gaza, que d’ailleurs beaucoup d’Israéliens l’admettaient eux-mêmes et que ce terme avait été validé par des Institutions de l’ONU aussi indiscutables et prestigieuses que le Conseil des Droits de l’Homme et la Commission d’enquête indépendante sur le territoire palestinien occupé présidée par l’éminente juriste sud-africaine Navi Pillay, ancienne Haut-Commissaire des Nations unies aux Droits de l’homme. 

Pour qui connait le palmarès du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, où trônent certaines des pires dictatures de la planète, et celui de Navi Pillay dont l’obsession anti-israélienne a largement favorisé la carrière internationale, ces références sont grotesques. Mais pour le téléspectateur moyen, l’argument d’autorité est terriblement efficace, car l’ONU reste une marque de prestige.

Il serait donc impossible de nier qu’Israël soit l’auteur d’un génocide? C’est pourtant ce qu’a écrit il y a deux semaines le secrétaire britannique aux Affaires étrangères, sur la base d’une analyse du Foreign Office, une institution qui n’est réputée ni pour son israélophilie exacerbée, ni pour sa frivolité intellectuelle. Ce rapport a été curieusement passé sous silence, contrairement aux accusations contre Israël du moindre fonctionnaire de l’ONU. 

Mme Grignon balaie enfin l’argument d’intentionnalité sans lequel on ne peut pas parler de génocide. Elle le déduit aussi bien des événements, ce qui revient à une tautologie, que des déclarations des responsables. Pour mémoire, la plus grave de ces déclarations est celle du général Gallant, alors ministre de la Défense, qui avait dit le 9 octobre, alors même que les modalités des massacres glaçaient les esprits: « Nous nous battons contre des animaux humains», en hébreu חיות אדם. Preuve, suivant l’accusation, que les Israéliens considèrent leurs ennemis comme des animaux. 

Un linguiste aurait peut-être signalé que l’expression, tirée de la vision d’Ezechiel, est utilisée dans l’hébreu d’aujourd’hui pour insulter  une personne dont on considère qu’elle se conduit de façon ignoble et que cela ne conduit pas forcément à trainer l’auteur de ces paroles devant un tribunal, a fortiori international…

Il est ahurissant que l’accusation de génocide portée contre Israël devant la Cour internationale de Justice repose sur de simples mots d’une colère bien légitime…

Combats particulièrement complexes

Mais la question qui se pose aujourd’hui c’est de savoir si c’est commettre un génocide que d’engager la guerre contre une ville? Il semble aujourd’hui que la réponse soit oui, à condition que l’assiégeant soit l’Etat d’Israël. 

Le noyau commun des accusations  c’est que la guerre que mène Israël entraine des victimes civiles…. Comme si ce n’était pas le cas dans toutes les guerres qui se déroulent dans une ville et pas sur un champ de bataille. 

Personne n’a parlé de génocide lors des combats urbains en Yougoslavie, en Tchétchénie, à Fallouja ou contre Daech. Seul l’assassinat de sang froid de 8 000 Bosniaques musulmans par les troupes serbes après la prise de Srebrenica a été qualifié, à juste titre, de génocide: il n’y en a pas la moindre correspondance au cours de la guerre actuelle de Gaza où cette accusation de génocide repose sur le seul fait qu’il existe des victimes civiles lors des combats. 

Pour rappel, ces combats sont particulièrement complexes du fait de l’immensité du réseau souterrain qui permet aux combattants impossibles à distinguer de la population civile de déboucher de façon imprévue dans des immeubles par ailleurs soigneusement piégés. Du fait de ces difficultés exceptionnelles l’action de l’armée israélienne, dont on rappelle qu’elle est la première dans l’histoire à prévenir autant que possible les habitants d’un immeuble avant qu’il soit détruit, a été souvent saluée par les techniciens de la guerre urbaine. La transformer en action génocidaire conduit non seulement à trivialiser ce terme mais à faire porter sur Israël une accusation profondément injuste. 

La guerre de siège a ses règles. Les manuels de guerre américains et britanniques étudiés récemment dans le très remarquable dossier établi par le Centre Begin Sadate de l’Université de Bar Ilan (sur lequel je reviendrai), les détaillent. On y apprend que le blocus alimentaire est une méthode légitime de guerre, surtout si la population civile a la possibilité de quitter la zone de combats. La fuite des populations civiles est une constante dans ce type de guerre: elle eut lieu massivement à Sarajevo, à Grozny et ailleurs quand elle a été possible et les Israéliens l’organisent à Gaza que plusieurs centaines de milliers d’habitants ont quittée.

Ces départs  sont toujours déchirants mais à ma connaissance ce n’est que dans le cas d’Israël que le mot de déportation a été utilisé. Ce mot a certes une connotation plus neutre en anglais qu’en français, mais on ne peut se départir de l’idée qu’il s’agit aussi avec ces mots de génocide et de déportation de désamorcer enfin la charge mémorielle si lourde de la Shoah.

Le siège de Mossoul contre Daech entre octobre 2016 et juillet 2017 a été mené par une coalition dont la France faisait partie. Il s’est déroulé en coupant l’aide alimentaire à une population civile prise au piège et un nombre indéterminé de morts a eu lieu. Personne à l’époque, je crois, n’a utilisé le terme de génocide.

Tous,  nous redoutons les conséquences de la décision israélienne de porter la guerre dans la ville de Gaza. Mais dire que cette guerre est un génocide est une perversion du langage dont les objectifs sont politiques. Pour certains il s’agit seulement de manifester leur opposition au gouvernement de Benyamin Nétanyahou, sans qu’ils prennent en considération que ce faisant, c’est l’État d’Israël et tous ceux qui le soutiennent qu’ils marquent ainsi du sceau de l’infamie. Pour d’autres, il s’agit naïvement de «mettre à jour» les définitions classiques du terme de génocide défini il y a près de 80 ans. Mais pour les véritables instigateurs de cette terminologie de la honte, c’est  un objectif prémédité de diaboliser l’Etat d’Israël. Cette dernière configuration marque malheureusement l’ensemble des institutions de l’ONU qui sont loin de jouer le rôle d’arbitre neutre que les espoirs populaires voudraient leur attribuer…

Fleury-les-Aubrais: laisse pas traîner ton fils

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Orléans, 22 août 2025 : marche blanche en mémoire de Liroye, 16 ans, tué par balle à Fleury-les-Aubrais © LP/Emmanuel Senecharles

À Fleury-les-Aubrais, banlieue calme d’Orléans, un meurtre impliquant des adolescents a semé la consternation cet été. À ce stade de l’enquête une chose est certaine: cette mort aurait pu être évitée si ces mineurs n’avaient pas été dans la rue à deux heures du matin, et si un dealer n’avait pas eu d’arme à feu chez lui. Reportage.


Il est environ deux heures du matin, ce dimanche 17 août à Fleury-les-Aubrais (Loiret), quand des coups de feu retentissent dans le quartier Jabottes. Alertées par des riverains, les forces de l’ordre se rendent alors aussitôt sur place, où les agents découvrent un adolescent grièvement blessé. Il a reçu une balle dans le dos. Malgré l’intervention rapide des secours, il succombera dans la nuit.

Toujours plus jeunes

Liroye, la victime, n’avait que 16 ans. Il traînait dans la rue ce soir-là avec quatre de ses amis, connus des services de police pour de petits larcins. Son meurtrier présumé, à peine âgé de 19 ans, a quant à lui des antécédents judiciaires plus sérieux, avec plusieurs condamnations pour trafic de stupéfiants à son compteur. Il est à présent mis en examen pour meurtre, tentative de meurtre et détention illégale d’arme de catégorie B.

Des histoires comme celle-là, il en arrive toutes les semaines dans les banlieues françaises. Des règlements de compte entre délinquants, toujours plus jeunes, toujours plus armés. L’année dernière, on a recensé 110 narcomicides dans les zones urbaines sensibles. Seulement, Fleury-les-Aubray, au nord d’Orléans, n’est pas une commune gangrenée par la drogue, mais une ville pavillonnaire sans histoire. Et Liroye n’était pas le dangereux membre d’un gang, mais « un petit voyou, du genre de ceux qui volent dans les voitures et se bagarrent au pire avec leurs poings », confie une source policière.

Selon Emmanuel Delorme, procureur de la République adjoint d’Orléans en charge du dossier, le mis en cause, qui a admis avoir consommé de la drogue le soir de son forfait, était chez lui quand il a entendu Liroye et ses amis dans la rue. Il « se sentait menacé depuis quelque temps », et aurait « pris peur et, selon ses dires, tiré en l’air une première fois, puis une seconde fois en direction du groupe ».

Le suspect voulait-il juste intimider les rôdeurs ? Avait-il un différend plus ancien avec eux ? Les a-t-il confondus avec d’autres ? A-t-il eu une bouffée paranoïaque sous l’effet des substances dont il faisait notoirement commerce ? À ce stade de l’enquête, impossible d’évaluer le niveau de préméditation de son geste. Mais une chose est certaine, et même évidente : cette mort aurait été évitée si ces mineurs ne s’étaient pas trouvés dehors à deux heures du matin, et si ce dealer n’avait pas disposé d’une arme à feu chez lui.

« On est dans une ville qui n’est pas exempte de problèmes, comme partout en France, mais on n’a pas de fait d’insécurité plus fort qu’ailleurs, déclare à juste titre Carole Canette, la maire PS de Fleury-les-Aubrais, qui exclut de décréter dans sa commune le couvre-feu pour les mineurs que réclame son opposition. Je refuse de faire des déclarations à l’emporte-pièce populistes et de prendre des mesures gadgets. »

A ne pas manquer, notre dossier de septembre: Ces meutes qui ont pourri l’été

On peut comprendre le « pas-de-vaguisme » de l’édile socialiste. Fleury-les-Aubrais, 21 000 habitants, pourrait servir de cadre à un documentaire idyllique sur la France qui se lève tôt et vit en paix. C’est l’un de ces rares endroits de l’Hexagone où la classe ouvrière peut encore s’estimer bien lotie. Notamment grâce au bassin d’emploi constitué par l’immense centre commercial L’Orée de Forêt, situé en bord de rocade, et par l’usine du groupe français Thalès, spécialisée dans la conception et la maintenance des systèmes radars qui équipent entre autres les fameux lance-missiles Crotale. Une activité de pointe… et d’avenir.

Ici, la décence commune se voit à l’œil nu. Dans un paysage où les châteaux d’eau sont les seuls immeubles de grande hauteur et où les artères sont tracées au cordeau, les maisons ne sont certes pas très luxueuses mais, fruits de toute une vie de travail, leur état est impeccable et leurs jardins bien entretenus. Pas le moindre tag sur les murs, pas de casquette à l’envers, pas de crachats dans la rue. Ce jour de marché, on croise bien un jeune homme en djellaba près de la mairie, mais il est nettement en minorité à côté de la foule de chalands habillés à l’européenne, notamment des familles venues faire leurs courses à vélo.

Aux Blossières, on trouve désormais tout ce qu’on veut…

Dans un parc proche du quartier Jabottes, on fait la connaissance d’une poignée de jeunes du coin. Chaussés de claquettes, ils promènent un chien (dont ils ramassent – preuve de la civilité des lieux – les excréments avec un petit sac en plastique). Connaissaient-ils Liroye ? « Oui, de vue, ce n’était pas quelqu’un de violent, assurent-ils. C’était un Guadeloupéen. Sa mère est chrétienne, très croyante. » On leur demande s’il est facile de se procurer de la drogue et des armes dans leur ville. « Plus qu’avant. À Orléans, de l’autre côté de la voie ferrée, il y a une cité, les Blossières, où on trouve tout ce qu’on veut. Mais maintenant, on voit des racailles des Blossières qui viennent faire du business à Fleury. »

Un policier nous confirme que l’on déplore de plus en plus de gamins livrés à eux-mêmes le soir et une explosion du nombre d’armes à feu en circulation dans l’agglomération orléanaise, pourtant connue pour sa faible délinquance de proximité. « C’est la raison pour laquelle les policiers municipaux de toutes les communes de la métropole sont armés, indique-t-il. Même à Fleury, la maire n’est pas revenue sur cet acquis quand elle a battu l’UDI en 2020. » Qu’on se rassure toutefois : depuis que la gauche dirige la ville, le logo de la direction de la sécurité et de la tranquillité publiques a été modifié. Il représente désormais le centre culturel local, baptisé « La Passerelle ». Tout un symbole.

Si l’on observe froidement le drame qui s’est joué à Fleury cet été, il ressemble en première analyse à une anomalie criminologique, à une tragique faute à pas-de-chance. En revanche, si l’on écoute les acteurs de terrain, la mort de Liroye pourrait bien être un signe précurseur d’un phénomène en train d’apparaître dans notre pays : la déghettoïsation de l’extrême violence juvénile. Mais on s’en voudrait de mécontenter Emmanuel Macron en « brainwashant (“lavant les cerveaux”) sur les faits divers ».

La candidature de Boualem Sansal au prix Sakharov divise ses soutiens

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Boualem Sansal © Hannah Assouline

La proposition des eurodéputés du groupe Les Patriotes, visant à décerner au romancier franco-algérien détenu à Alger depuis dix mois le prestigieux prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, au Parlement de Strasbourg, suscite des divisions au sein de ses soutiens. L’éditeur Antoine Gallimard affirme que «Boualem Sansal, par la voix de son épouse, a fait savoir qu’il considérait comme irrecevable cette démarche insidieusement partisane». De son côté, l’ancienne ministre et présidente du comité de soutien de l’écrivain, Noëlle Lenoir, soutient que «nul ne peut aujourd’hui se prévaloir de parler au nom de Boualem Sansal».


Ainsi, aux dires, sur les ondes de France Inter ce dimanche 14 septembre, d’Antoine Gallimard en personne, le prestigieux éditeur de Boualem Sansal, celui-ci, grand écrivain franco-algérien retenu aujourd’hui arbitrairement prisonnier et au secret dans une obscure geôle d’Algérie, « s’oppose vigoureusement » à ce que le pourtant très enviable prix Sakharov – prix, en l’honneur de cet ancien dissident soviétique et prix Nobel de la paix, récompensant annuellement, par l’Union européenne, d’illustres combattant en faveur des droits de l’homme et de la liberté de l’esprit – lui soit méritoirement décerné cette année 2025, au prétexte que le choix de son nom aurait été proposé, au sein du Parlement Européen, par un groupe réputé d’extrême-droite, Les « Patriotes pour l’Europe », à la tête duquel se trouve Jordan Bardella, président, en France, du Rassemblement national. Et, dans ce même entretien radiophonique, Antoine Gallimard d’ajouter, pour étayer son argumentation, que Boualem Sansal « ne veut être récupéré par personne ».

Soit ! Antoine Gallimard, dont la glorieuse maison d’édition s’avère être un des plus beaux fleurons de l’intelligentsia française1, est certes libre, très honnêtement, de penser ce qu’il veut. Et à lui bien évidemment, intactes et respectueuses, toute mon estime intellectuelle, mon admiration professionnelle aussi bien que ma gratitude éditoriale !

L’admirable Boualem Sansal: son sens de la tolérance, son esprit de générosité et sa passion pour le débat d’idées

Un point, crucial dans ce débat, ne cesse toutefois de me tarauder ici : moi qui suis également membre du plus officiel Comité de Soutien à ce même Boualem Sansal, mais qui, surtout, connaît un peu, tant sur le plan moral qu’humain, mon cher et bienveillant ami Boualem précisément, dont son profond sens de la tolérance comme son authentique générosité envers toute fraternité, outre sa passion pour le saint et contradictoire débat d’idées, j’avoue ma perplexité, sinon mon étonnement, à l’idée qu’il puisse ainsi refuser catégoriquement, de manière aussi péremptoire et même dogmatique, ce très honorable prix Sakharov, fût-il donc proposé à l’origine, et en l’occurrence, par des représentants, tous élus démocratiquement cependant, issus, sur l’échiquier politique des différents pays concernés, de ladite « extrême-droite ».

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Reste à savoir, en outre, jusqu’à quel point des propos rapportés indirectement et uniquement par la femme de Boualem Sansal, seule personne à avoir accès à lui, en plus des nombreuses pressions et autres intimidations qu’elle doit très probablement subir quotidiennement de la part de l’actuel et très autoritaire pouvoir algérien, complice méprisable des pires régimes islamistes, peuvent s’avérer, sinon complètement authentiques, du moins raisonnablement fiables ou légitimement crédibles. Méfiance donc, sans certes vouloir remettre ici en cause, pour autant, l’intégrité, la bonne foi et les sentiments sincères de cette magnifique épouse, à qui je dis et redis bien sûr ici, pour ma modeste part, toute ma compassion humaine !

Droits de l’homme, liberté de pensée et de parole: bannir tout esprit partisan face à l’importance de l’enjeu moral, philosophique et humain

Comment, du reste, cet urgent, nécessaire et surtout universel combat, noble entre tous, pour les droits de l’homme, la liberté de pensée et de parole, d’expression et de création, pourrait-il ainsi souffrir, victime d’un clivage idéologique pour le moins malvenu en la circonstance, d’un aussi misérable esprit partisan, aussi médiocre, à l’aune de l’importance de cette très haute lutte, tant sur le plan éthique que philosophique ?  

Ainsi, au vu de cet humble mais sincère appel à l’esprit des Lumières, à l’honnêteté intellectuelle aussi bien qu’à la conscience rationnelle, à lui donc, mon cher et admirable Boualem Sansal, tout notre soutien, indéfectible, pour ce très méritoire prix Andrei Sakharov si, d’aventure, l’Union Européenne voulait bien, en effet, le lui décerner plus concrètement. Elle s’en verrait ainsi grandie, indiscutablement et par-delà, en ce dossier d’une tragique actualité, toute stérile, artificielle ou contreproductive polémique.

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Et, surtout, n’instrumentalisons pas ici ni n’avilissons pas ainsi, par d’aussi mesquines disputes d’ordre purement idéologique ou exclusivement politique, la mémoire du grand Andrei Sakharov. Il est bien, tout comme cet éminent humaniste qu’est également Boualem Sansal, au-dessus, s’il fallait encore le clamer haut et fort, de pareille dérive essentiellement, et malheureusement pour la postérité dans son œuvre littéraire elle-même, clanique.

Boualem Sansal doit avant tout être libéré

Oui : restons dignes, fermes et droits dans notre soutien moral et humain, face à l’indicible malheur qui frappe de la manière la plus injuste et douloureuse qui soit, aujourd’hui, notre très cher, courageux et précieux ami Boualem Sansal, âgé et malade de surcroît, dont nous demandons ainsi ici également et encore une fois, toutes affaires cessantes, la libération immédiate de son enfer carcéral !

Le comité de soutien de l’écrivain est allé dire sa colère et son soutien sous les fenêtres de l’ambassade d’Algérie à Paris, le 16 mai 2025 © Arnaud Vrillon
  1. Et qui m’a fait l’insigne honneur de publier deux de mes propres livres (biographies intitulées, respectivement, « Oscar Wilde » et « Lord Byron ») NDLA ↩︎

Le peuple français n’est pas antisémite

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Charles Rojzman. Photo: D.R.

On dit souvent que la France serait une terre d’antisémitisme. Le mot roule de tribune en éditorial comme une sentence définitive, une condamnation sans appel. Mais ma vie dément ce récit fabriqué. Elle en est la réfutation charnelle. Car je dois ma survie non pas aux institutions, non pas aux élites dont la langue est celle de la compromission, mais à un policier qui refusa d’obéir, et à des paysans catholiques du Dauphiné, les Danthon, qui m’ouvrirent leur maison comme on entrouvre une arche pleine de blé et de prières.

Ma mère fut sauvée d’une rafle par un simple fonctionnaire de police. Dans ce geste, rien du spectaculaire. Il n’y eut ni trompette ni panache. Mais la nudité d’un refus, la lumière d’une conscience. Quand tout autour n’était que papier signé, ordres secs, encre qui scellait la persécution, cet homme choisit de ne pas être complice. Sa grandeur fut sans uniforme, sans parole. Elle fut d’un silence d’autant plus éclatant.

Et moi, enfant, je fus recueilli par les Danthon. Leur maison, lourde de pierres, aux poutres noircies, respirait une abondance simple. Le pain sortait du four, les seaux tintaient dans la cour, les chevaux tiraient la charrue comme au temps d’avant l’Histoire. C’était une maison pleine : pleine de voix, de rires d’enfants, de gestes sûrs. À l’intérieur, la chaleur d’un poêle, l’odeur des soupes épaisses, les prières récitées à voix basse. Rien ne manquait, tout y était don.

Chaque soir, Madame Danthon me faisait réciter d’abord le Notre Père, puis le Shema Israël. Deux fidélités, deux prières, qui ne se contredisaient pas dans ma bouche d’enfant. La croix et l’étoile veillaient ensemble sur mon sommeil. Ainsi se révélait la France : non pas la France des tampons et des signatures, mais celle d’une coexistence silencieuse, naturelle, enracinée dans la terre.

Voilà pourquoi je l’affirme : le peuple français n’est pas antisémite. Il ne l’a jamais été dans ses fibres profondes. Ce sont ses élites qui ont trahi. Hier, celles de Vichy, qui signaient, calculaient, collaboraient, offrant la persécution juive sous la forme d’un registre administratif. Aujourd’hui, celles qui trahissent à nouveau, non plus en livrant les Juifs, mais en livrant Israël à la haine, en donnant une onction idéologique à l’antisionisme.

La lâcheté des élites est restée la même : incapacité à nommer l’ennemi, posture du Bien qui recouvre leur reniement. Hier, l’occupant allemand ; aujourd’hui, l’islamisme conquérant. Toujours la même froideur d’encre et de papier, toujours les mêmes mains trempées dans la complicité.

Mais la vérité est ailleurs. Elle est dans les maisons de pierre et de bois, dans la chaleur des foyers, dans la fidélité silencieuse de ceux qui accueillirent sans trembler. Ceux que l’on traite de « réactionnaires » furent alors les vrais résistants : non par discours, mais par chair, par geste, par fidélité.

De cette enfance, il me reste l’image de la brique chauffée sous mes draps, de la soupe partagée, de deux prières s’unissant dans la nuit. Cette image, plus qu’un souvenir, est une leçon : elle dit que la fidélité est plus forte que la haine, que le peuple simple porte la vérité que les élites, hier comme aujourd’hui, ont abandonnée.

C’est pour cela que j’écris. Pour rappeler à la France que son honneur ne fut jamais dans les proclamations de ses élites, mais dans la chaleur obscure de ses maisons paysannes. Hier, ce furent un policier anonyme et la maison des Danthon qui sauvèrent une mère et son enfant. Aujourd’hui encore, ce sont les voix modestes, étouffées, qui pressentent le danger que les élites refusent de voir.

Car l’histoire revient, avec d’autres masques. Hier, la collaboration au nom du réalisme ; aujourd’hui, la compromission au nom de l’antiracisme. La même peur, le même calcul, la même lâcheté sous d’autres habits.

Je veux que la mémoire des Justes juge nos contemporains. Que le visage des Danthon, la main tendue du policier, apparaissent comme un reproche vivant à ceux qui défilent aujourd’hui derrière les drapeaux palestiniens. Qu’on se souvienne : la vraie France n’était pas dans les salons de Vichy, mais dans la cuisine des Danthon, au bord du feu, dans la densité d’une maison pleine. De même, aujourd’hui, elle n’est pas dans les tribunes du progressisme mondain, mais dans le cœur lucide de ceux qui refusent le mensonge.

Voilà le sens de ce témoignage : défendre l’honneur du peuple français contre la lâcheté de ses élites. Rappeler que la fidélité, la vraie, se tient dans une soupe partagée, dans une prière chuchotée, dans la chaleur d’un poêle. Se tient là où la France, la seule France, continue de vivre.