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Fleury-les-Aubrais: laisse pas traîner ton fils

Retour sur la mort de Liroye, jeune Français de 16 ans à Orléans


Fleury-les-Aubrais: laisse pas traîner ton fils
Orléans, 22 août 2025 : marche blanche en mémoire de Liroye, 16 ans, tué par balle à Fleury-les-Aubrais © LP/Emmanuel Senecharles

À Fleury-les-Aubrais, banlieue calme d’Orléans, un meurtre impliquant des adolescents a semé la consternation cet été. À ce stade de l’enquête une chose est certaine: cette mort aurait pu être évitée si ces mineurs n’avaient pas été dans la rue à deux heures du matin, et si un dealer n’avait pas eu d’arme à feu chez lui. Reportage.


Il est environ deux heures du matin, ce dimanche 17 août à Fleury-les-Aubrais (Loiret), quand des coups de feu retentissent dans le quartier Jabottes. Alertées par des riverains, les forces de l’ordre se rendent alors aussitôt sur place, où les agents découvrent un adolescent grièvement blessé. Il a reçu une balle dans le dos. Malgré l’intervention rapide des secours, il succombera dans la nuit.

Toujours plus jeunes

Liroye, la victime, n’avait que 16 ans. Il traînait dans la rue ce soir-là avec quatre de ses amis, connus des services de police pour de petits larcins. Son meurtrier présumé, à peine âgé de 19 ans, a quant à lui des antécédents judiciaires plus sérieux, avec plusieurs condamnations pour trafic de stupéfiants à son compteur. Il est à présent mis en examen pour meurtre, tentative de meurtre et détention illégale d’arme de catégorie B.

Des histoires comme celle-là, il en arrive toutes les semaines dans les banlieues françaises. Des règlements de compte entre délinquants, toujours plus jeunes, toujours plus armés. L’année dernière, on a recensé 110 narcomicides dans les zones urbaines sensibles. Seulement, Fleury-les-Aubray, au nord d’Orléans, n’est pas une commune gangrenée par la drogue, mais une ville pavillonnaire sans histoire. Et Liroye n’était pas le dangereux membre d’un gang, mais « un petit voyou, du genre de ceux qui volent dans les voitures et se bagarrent au pire avec leurs poings », confie une source policière.

Selon Emmanuel Delorme, procureur de la République adjoint d’Orléans en charge du dossier, le mis en cause, qui a admis avoir consommé de la drogue le soir de son forfait, était chez lui quand il a entendu Liroye et ses amis dans la rue. Il « se sentait menacé depuis quelque temps », et aurait « pris peur et, selon ses dires, tiré en l’air une première fois, puis une seconde fois en direction du groupe ».

Le suspect voulait-il juste intimider les rôdeurs ? Avait-il un différend plus ancien avec eux ? Les a-t-il confondus avec d’autres ? A-t-il eu une bouffée paranoïaque sous l’effet des substances dont il faisait notoirement commerce ? À ce stade de l’enquête, impossible d’évaluer le niveau de préméditation de son geste. Mais une chose est certaine, et même évidente : cette mort aurait été évitée si ces mineurs ne s’étaient pas trouvés dehors à deux heures du matin, et si ce dealer n’avait pas disposé d’une arme à feu chez lui.

« On est dans une ville qui n’est pas exempte de problèmes, comme partout en France, mais on n’a pas de fait d’insécurité plus fort qu’ailleurs, déclare à juste titre Carole Canette, la maire PS de Fleury-les-Aubrais, qui exclut de décréter dans sa commune le couvre-feu pour les mineurs que réclame son opposition. Je refuse de faire des déclarations à l’emporte-pièce populistes et de prendre des mesures gadgets. »

A ne pas manquer, notre dossier de septembre: Ces meutes qui ont pourri l’été

On peut comprendre le « pas-de-vaguisme » de l’édile socialiste. Fleury-les-Aubrais, 21 000 habitants, pourrait servir de cadre à un documentaire idyllique sur la France qui se lève tôt et vit en paix. C’est l’un de ces rares endroits de l’Hexagone où la classe ouvrière peut encore s’estimer bien lotie. Notamment grâce au bassin d’emploi constitué par l’immense centre commercial L’Orée de Forêt, situé en bord de rocade, et par l’usine du groupe français Thalès, spécialisée dans la conception et la maintenance des systèmes radars qui équipent entre autres les fameux lance-missiles Crotale. Une activité de pointe… et d’avenir.

Ici, la décence commune se voit à l’œil nu. Dans un paysage où les châteaux d’eau sont les seuls immeubles de grande hauteur et où les artères sont tracées au cordeau, les maisons ne sont certes pas très luxueuses mais, fruits de toute une vie de travail, leur état est impeccable et leurs jardins bien entretenus. Pas le moindre tag sur les murs, pas de casquette à l’envers, pas de crachats dans la rue. Ce jour de marché, on croise bien un jeune homme en djellaba près de la mairie, mais il est nettement en minorité à côté de la foule de chalands habillés à l’européenne, notamment des familles venues faire leurs courses à vélo.

Aux Blossières, on trouve désormais tout ce qu’on veut…

Dans un parc proche du quartier Jabottes, on fait la connaissance d’une poignée de jeunes du coin. Chaussés de claquettes, ils promènent un chien (dont ils ramassent – preuve de la civilité des lieux – les excréments avec un petit sac en plastique). Connaissaient-ils Liroye ? « Oui, de vue, ce n’était pas quelqu’un de violent, assurent-ils. C’était un Guadeloupéen. Sa mère est chrétienne, très croyante. » On leur demande s’il est facile de se procurer de la drogue et des armes dans leur ville. « Plus qu’avant. À Orléans, de l’autre côté de la voie ferrée, il y a une cité, les Blossières, où on trouve tout ce qu’on veut. Mais maintenant, on voit des racailles des Blossières qui viennent faire du business à Fleury. »

Un policier nous confirme que l’on déplore de plus en plus de gamins livrés à eux-mêmes le soir et une explosion du nombre d’armes à feu en circulation dans l’agglomération orléanaise, pourtant connue pour sa faible délinquance de proximité. « C’est la raison pour laquelle les policiers municipaux de toutes les communes de la métropole sont armés, indique-t-il. Même à Fleury, la maire n’est pas revenue sur cet acquis quand elle a battu l’UDI en 2020. » Qu’on se rassure toutefois : depuis que la gauche dirige la ville, le logo de la direction de la sécurité et de la tranquillité publiques a été modifié. Il représente désormais le centre culturel local, baptisé « La Passerelle ». Tout un symbole.

Si l’on observe froidement le drame qui s’est joué à Fleury cet été, il ressemble en première analyse à une anomalie criminologique, à une tragique faute à pas-de-chance. En revanche, si l’on écoute les acteurs de terrain, la mort de Liroye pourrait bien être un signe précurseur d’un phénomène en train d’apparaître dans notre pays : la déghettoïsation de l’extrême violence juvénile. Mais on s’en voudrait de mécontenter Emmanuel Macron en « brainwashant (“lavant les cerveaux”) sur les faits divers ».

Septembre 2025 – #137

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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