La Tour de glace, une très belle adaptation au cinéma du conte d’Andersen

Je suis toujours curieux du résultat, lorsqu’un metteur en scène adapte au cinéma un texte littéraire. En général, c’est décevant, car le film devient une simple illustration, bien inférieure au livre. On cherche alors en vain la nécessité du passage à l’écran. Dans quelques cas cependant, on la trouve, lorsque le réalisateur profite de l’occasion pour proposer une lecture personnelle et approfondie de l’œuvre dont il a choisi de parler. Le cinéma permet un dispositif critique sophistiqué, qui va éclairer sous divers angles la lecture du livre. C’est ce qui arrive aujourd’hui avec le film qui vient de sortir en salle, La Tour de glace, de Lucile Hadzihalilovic, avec Marion Cotillard, inspiré d’un célèbre conte d’Andersen, La Reine des Neiges.
Un personnage fabuleux
La cinéaste est partie de ce texte étrange et insolite, et tout son propos artistique tourne autour de lui. Elle ne le quitte jamais, voulant en boire jusqu’à la dernière goutte la magie littéraire. Interrogée sur le retentissement de ces contes d’Andersen dans sa propre vie, elle répond : « Ils continuent à me passionner par leur complexité humaine […] tout autant que par l’imaginaire poétique qu’ils déploient. » Elle précise : « La Reine des Neiges est l’un de ceux que j’aime particulièrement. » Ce personnage fabuleux « me fascine », annonce la réalisatrice, comme « une figure de la perfection et de la connaissance, inaccessible et mystérieuse, attirante et effrayante à la fois. » Dans le film, une voix off lit de manière répétitive des passages du conte décrivant la Reine ; celle-ci se laisse percevoir comme l’objet d’une absolue fascination, que le film décrit avec une lenteur grandiose.
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Le labyrinthe des rêves
Au départ, l’action est située dans les années 1970 (la cinéaste était encore adolescente à cette époque). Une très jeune fille, nommée Jeanne, élevée dans un foyer, fait une fugue dans un paysage de neige et arrive dans une ville inconnue d’elle. Elle n’a pas d’endroit où dormir, et entre par effraction dans un bâtiment qui lui semble inhabité. Elle y pénètre comme dans une sorte de labyrinthe, trouve un recoin pour se poser et s’endort. Il neige dans son sommeil, et elle se remémore le conte d’Andersen qu’elle aimait tant relire.

Au petit matin, entre rêve et réalité, la Reine des Neiges lui apparaît. « J’ai rencontré la Reine des Neiges », dira-t-elle. En réalité, sans le savoir, elle se trouve dans un studio de cinéma, où l’on tourne un film adapté de ce même conte d’Andersen dont Jeanne est obsédée.
Marion Cotillard en star de cinéma
Dès lors, la jeune fille se cache dans les coulisses et se met à espionner l’actrice qui interprète la Reine des Neiges. Celle-ci s’en aperçoit et cherche à savoir qui elle est, sans doute attirée par sa jeunesse éclatante. On assiste aussi à de brèves et énigmatiques scènes de tournage, dans lesquelles l’actrice se comporte comme une Greta Garbo autoritaire et capricieuse. Marion Cotillard est idéale dans ce rôle : « Marion, explique la réalisatrice, possède ce côté à la fois moderne et intemporel que je recherche, un visage qui a la qualité expressive de ceux des actrices des années 30, époque à laquelle le film dans le film fait référence. » Marion Cotillard, dans ce personnage de star, est filmée par une caméra contemplative, qui prend son temps et qui revient sans cesse vers elle, tout en respectant la distance. Le spectateur/voyeur partage le trouble que ressent Jeanne. Les rares dialogues qui ponctuent l’action renforcent cette impression : « La Reine est immortelle. — Elle est seule ? — Elle a un royaume. — Tu crois que ça suffit ? »
La neige et le silence
Le film de Lucile Hadzihahilovic m’a rappelé, vers la fin, le David Lynch de Mulholland Drive, par le traitement extrêmement subtil du silence, que vient souligner la si belle musique de Messiaen. Il y a un rapport évident entre la neige et le silence, et ici plus que jamais. La cinéaste nous montre que le silence a un sens. C’est d’ailleurs presque un retour au cinéma muet et à sa pureté originelle. Au fond, l’art du muet n’a jamais été dépassé. Le sublime ne se répète pas, comme Greta Garbo. Je note aussi, chez Hadzihahilovic, le recours fréquent aux symboles. Ainsi de l’épisode du cristal que la jeune fille escamote sur la robe de la Reine, et qui, figurant « la lentille de la caméra que traverse la lumière », devient, nous dit la réalisatrice, comme une « métaphore évidente de l’essence du cinéma ».
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À la fin, Jeanne repousse brusquement la Reine des Neiges, ou plutôt l’actrice, refusant ses avances et montrant par là qu’elle est revenue dans la vie réelle. Elle a acquis, semble-t-il, la maturité qui lui manquait et, désormais, se sent adulte. C’est un peu, aussi, la conclusion du conte d’Andersen, comme on sait, qui nous est donnée par le personnage de la grand-mère : « La grand-mère, écrit Andersen, était assise à la lumière du soleil de Dieu et lisait à haute voix dans la Bible : Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume de Dieu. » On peut interpréter cette citation de l’Évangile de Matthieu (18, 3) comme un hommage au monde de l’enfance qui enrichit toute la vie.
Le très beau film de Lucile Hadzihahilovic nous montre, à travers Jeanne, nouvelle Alice, ce parcours de l’être humain pour sortir de lui-même et trouver sa vérité.
La Tour de glace de Lucile Hadzihalilovic, avec Marion Cotillard et Clara Pacini. En salle depuis mercredi. 1h58
Contes d’Andersen, traduction de P. G. La Chesnais. Éd. GF Flammarion, 464 pages
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