Nathan Devers a le don de capter l’air du temps. Avec Surchauffe, il brosse le portrait d’une société au bord du gouffre où certains refusent de jouer le jeu.

Nathan Devers a une rentrée chargée. L’ex-chroniqueur de CNews, par ailleurs éditeur de la revue La Règle du jeu, peaufine un nouveau concept télé et s’apprête à inaugurer une émission de débats sur France Culture. Le jeune homme a du talent. Normalien et agrégé de philosophie, il est l’auteur, à 27 ans, de plusieurs livres dont Penser contre soi-même, essai très remarqué dans lequel il racontait comment, de futur rabbin, il était devenu écrivain. Son nouveau roman, Surchauffe, s’inscrit dans le droit fil des Liens artificiels, lequel avait pour thème le métavers. Mais le monde qu’il décrit cette fois ne flirte plus avec la science-fiction, il est celui que nous connaissons.
Le romancier choisit de se glisser dans la peau d’une jeune trentenaire, cadre exemplaire d’un grand groupe immobilier, qui frôle le burn-out. Trop de mails, de réunions chronophages, d’objectifs inatteignables, une hiérarchie qui semble avoir pour objectif de la broyer. Son supérieur, qui a dû mettre ses ambitions politiques sous le boisseau, est un prototype du genre. Jade est son souffre-douleur. À son mal-être, la jeune femme donne un nom : la surchauffe. « La Spirale angoissée de cette vitesse folle, de ce chaos de lien, de cette hâte sans but qui me sépare de tout. La Spirale, ou plutôt devrais-je dire “la Surchauffe”, ce sentiment que ma réalité, celle qui m’environne, est sur le point d’imploser. »
Un sentiment dont on a tôt fait de reconnaître qu’il nous habite tous ou presque dans un monde en perte de repères où tout s’accélère. Infos qui tournent en boucle. Politiques uniquement préoccupés par leurs scores dans les sondages. Fake news. Conflits dévastateurs. Enjeux climatiques anxiogènes. En un mot : un monde en perdition que Nathan Devers décrypte sans édulcorer ni forcer le trait. Difficile de tenir dans une société dont la valeur ultime est le consumérisme.
Dans ce combat quotidien qu’est devenue sa vie, Jade ne peut espérer aucun soutien de son mari, chroniqueur obnubilé par l’audience de ses émissions et son nombre de followers. Nathan Devers connaît bien le monde de la télévision. La critique implicite qu’il en fait est savoureuse. Tout comme celle, bien au-delà de l’univers audiovisuel, de la gent masculine. Ne reste qu’un îlot de lumière. Une île mystérieuse épargnée par la modernité. L’île de North Sentinel. Situé dans l’archipel indien des Andaman, ce lieu qui existe bel et bien est l’un des derniers bastions n’ayant pas changé depuis l’aube de l’humanité ; pour une raison fort simple : ses habitants, des chasseurs-cueilleurs soucieux de se préserver de la modernité, ont assassiné ceux qui ont tenté d’en fouler le sol. Ce fut notamment le cas du missionnaire John Allen Chau en 2018. Mais cela n’arrête pas Jade, partie en repérage sur ces terres sauvages en vue de l’édification d’un hôtel de luxe, qui trouve là une raison de vivre et un sujet de livre. Radiographie brillante de notre époque, Surchauffe est un roman captivant qui célèbre la nécessité d’un retour à l’instant présent sans jamais verser dans l’angélisme. Un page-turner littéraire et poétique porté par un lyrisme puissant.
Surchauffe, Nathan Devers, Albin Michel, 2025. 336 pages





