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Ces meutes qui ont pourri l’été

Coups de jeunes. Elisabeth Lévy présente le dossier de rentrée du magazine


Ces meutes qui ont pourri l’été
Paumés, violents, sexuellement frustés : le nouveau péril jeune. Le dossier de septembre du magazine "Causeur" © OpenAI/Causeur

Cet été, des hordes adolescentes ont envahi des piscines, saccagé des marchés et pourri des fêtes de villages. Cette violence sans cause révèle une génération perdue, privée de langage et incapable de réprimer ses instincts.


La modestie ne fait pas partie des (nombreuses) qualités d’Emmanuel Macron. Quand le président reconnaît qu’un problème lui échappe, il faut donc le croire. En juillet, dans l’avion le ramenant du sommet du G7, il faisait cette confidence à Emmanuel Carrère : « Je n’ai jamais été un adolescent. Je n’aime pas les adolescents. Je ne les comprends pas. C’est ma femme qui les comprend[1]. » On peut trouver ce propos étonnant venant d’un homme qui a connu son épouse à 15 ans et qui, à en croire l’écrivain, aime arborer, voire malaxer, les biceps acquis lors des séances de musculation. Mais on ne lui jettera pas la pierre car c’est toute la France qui semble ne plus rien comprendre à sa jeunesse, en tout cas à cette jeunesse qui ne se fait plus entendre que par la violence et le désordre[2]. Des adolescents incapables d’endurer la moindre frustration ne conçoivent pas de sortir sans couteau – ou toute autre arme blanche comme la machette qui a tué le jeune Elias dans le 14e arrondissement à Paris. Les 3 000 jeunes qui se font pincer chaque année pour port d’une lame constituent une infime proportion de malchanceux.

Des émeutes aux meutes

Cet été, des bandes de jeunes hommes, souvent âgés de 14 ou 15 ans, ont été à l’origine de scènes de chaos jusque dans des bourgades de Suisse romande. Pour Gil Mihaely (page 32 de notre magazine en vente), cette explosion de violence sans cause révèle le passage de l’âge des émeutes à celui des meutes. Les ravages qui ont suivi la mort de Nahel avaient au moins un vague alibi politique. Les hordes qui ont envahi des piscines, saccagé des marchés, pourri des fêtes de villages cassent pour casser. Par ennui, suivisme et rage impuissante. Malgré leur attirail de black blocks, pas sûr que ceux qui ont semé l’épouvante au festival de théâtre de rue d’Aurillac échappent à cette spirale nihiliste. Il ne suffit pas de s’affubler d’une cagoule pour être l’avant-garde du prolétariat. En plus de ces dévastations en groupe, on enregistre des meurtres d’impulsion liés à des différends microscopiques, comme celui de Liroye à Orléans, que relate Jean-Baptiste Roques dans notre dossier du mois, d’immondes agressions de personnes âgées, des règlements de compte entre bandes rivales n’ayant pas une traître idée de ce qui les oppose, sans oublier les nombreux crimes liés au narcotrafic.

Cette violence variable dans son intensité et ses formes témoigne d’un climat mental anomique qui, bien au-delà des casseurs, voyous et criminels, dessine une génération « désinsérée, dépourvue d’avenir », selon les mots de Pierre Vermeren. Ce n’est pas toute la jeunesse, mais une partie suffisamment importante pour que cela affecte et inquiète tout le pays.

On aimerait une explication simple – et des coupables à désigner. Dans les bistrots et sur les réseaux, on ne fait pas dans la dentelle. Si dans nos campagnes, nos filles et nos compagnes ont peur, c’est à cause de l’immigration. Ne nous racontons pas d’histoire, une proportion notable des délinquants et criminels impliqués dans les violences en bande sont des descendants de l’immigration africaine et maghrébine qui ont importé sur notre sol la culture du clan et son code d’honneur tordu[3]. Mais d’abord, cette culture se déploie désormais au-delà des quartiers immigrés, dans les classes moyennes et populaires blanches où fonctionne une forme d’assimilation à l’envers. La destruction des cadres traditionnels de la socialisation ne s’est pas arrêtée à la frontière des quartiers. Pour Charles Rozjman, nous avons engendré une génération de mineurs isolés. Ensuite, si on a laissé une partie des immigrés et de leurs descendants constituer une contre-société (et même plusieurs), ils n’en sont pas les seuls ni même les premiers responsables. Une grande partie des élites politiques, économiques et culturelles ont œuvré à l’édification d’une société multiconflictuelle, dénigrant la culture française pour encenser toute identité venue des anciennes colonies.

Agence nationale de la cohésion des territoires: peut mieux faire

Les sociologues excusistes s’ingénient à rhabiller les délinquants en survêtement en victimes – de la pauvreté, du racisme et du colonialisme jamais mort. Pour l’Agence nationale de la cohésion des territoires (qu’on est heureux de financer même si ses résultats en termes de cohésion semblent limités), la violence « se distribue aussi dans les épreuves du lien social et s’exprime à travers le mépris social (injustices, inégalités, discriminations) et dans ce que Pierre Bourdieu nommait la misère de position […]. Dès lors, il peut y avoir, non pas un conflit entre ces deux violences mais un retournement de la violence subie en lien avec l’espace social vers une violence adressée à quelqu’un. » Traduction, parce que je suis sympa : si des racailles brûlent des écoles maternelles, c’est parce que la société est violente avec elles. Cela n’empêche pas les auteurs de pointer, avec une belle incohérence, le prétendu manque d’investissement dans les quartiers défavorisés. Il faut construire plus de médiathèques pour que les jeunes révoltés puissent les détruire.

Les sociologues ont raison sur un point. Des jeunes gens ne peuvent pas être tenus pour les seuls responsables de ce qu’ils sont. S’ils sont incapables de prendre leur place dans ce monde et d’y contribuer, c’est parce que les adultes ont failli à leur mission qui est précisément de les y introduire. On a détruit les enfants à coups de bienveillance, en renonçant à leur enseigner la contrainte, autant dire à en faire des êtres civilisés capables d’éprouver de la honte et de réprimer leurs instincts. « Tout est disponible, rien n’est transmis », résume Rozjman. De sorte que beaucoup sont dépourvus du surmoi qui empêche le passage à l’acte. Conséquence logique, la destruction de l’école au profit de la vie numérique aboutit à ce qu’une masse croissante de jeunes et d’adultes ne possède pas les mots pour penser le monde où elle vit. Faute de langage, on cogne.

On accuse à raison la « génération lyrique[4] » d’avoir destitué la fonction paternelle, mais celles qui ont suivi s’en sont parfaitement accommodées. Aujourd’hui, elles poursuivent le boulot en s’attaquant à la masculinité, décrétée universellement toxique (voir les textes de Jeremy Stubbs et Simon Evans dans notre magazine). Quand on serine à un adolescent accueillant ses premiers émois que la virilité est un crime, rien de très bon ne peut arriver le jour où l’inhibition saute.

Rassurez-vous, l’avenir radieux promis aux générations futures, c’est un monde sans pères ni hommes, peuplé de mamans et de bébés. Il advient déjà avec ces trentenaires qui, dans le monde entier, redécouvrent les joies de la tétine (au grand dam des autorités sanitaires qui ne redoutent pas l’infantilisation, mais les problèmes dentaires). Une mode qui ne serait pas, a-t-on entendu, évidemment sur France Inter, « le signe d’une régression psychique mais d’une protestation sociale ». En attendant, quand les adultes s’adonnent à la tétine, on ne s’étonne pas que les enfants réclament des couteaux.


[1] « The Shining: my trip to the G7 horror show with Emmanuel Macron », Emmanuel Carrère, The Guardian, 15 juillet 2025.

[2] Brigitte Macron est certainement une exception, raison pour laquelle nous l’avons sollicitée et espérons bien qu’elle trouvera le temps dans les prochains moins de nous éclairer sur ce sujet crucial.

[3] Faut-il préciser que cela ne signifie pas qu’une proportion notable des immigrés sont des délinquants, oui sans doute.

[4] Titre d’un puissant essai de l’essayiste canadien François Ricard sur la génération 68.

Septembre 2025 – #137

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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