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Bruno Lafourcade, écrivain hors-cadre

Bruno Lafourcade nous gâte. Deux livres d’un coup. Une nouveauté et une réédition. Deux ouvrages très différents qui prouvent, une fois de plus, qu’il est un écrivain indispensable pour nous aider à traverser notre époque.


En 2018, l’espiègle rédaction de L’Incorrect a remis le prix du Suicide littéraire à Bruno Lafourcade, pour son excellent roman L’Ivraie (Éditions Léo Scheer). Ce prix « a pour ambition de récompenser une œuvre romanesque, pamphlétaire ou poétique dont nous avons toutes les raisons de croire qu’elle vaudra à son auteur l’opprobre général, la condamnation morale, la mise au ban du milieu littéraire ou la fatwa. » Bruno Lafourcade a peu de chances d’être un jour goncourtisé ou trapenardisé – son dégoût de notre époque et sa plume incisive lui ferment à jamais les portes des prix et des salons littéraires mondains. Et c’est très bien ainsi.

Chroniques sur les offensés de toute obédience…

Dans ses chroniques de L’Intervalle entre le marchepied et le quai, Lafourcade passe à la moulinette les plus éminents spécimens de l’abrutissement en cours. De Benoît Hamon aux offensés de toute obédience, de Camélia Jordana à la famille Traoré, de Marie Darrieussecq aux journalistes acculturés, des écologistes à Virginie Despentes, tous reçoivent leur ration de taloches. Le style de Lafourcade emprunte à la fois au noble art et au combat de rue ; en deux ou trois pages, l’auteur foudroie sa cible. Il rappelle par exemple comment, immédiatement après l’assassinat de Samuel Paty, les dignitaires de LFI n’ont eu de cesse d’envoyer d’abord des messages aux « musulmans de France » qui souffraient, selon Mélenchon, « deux fois plus que les autres, parce que c’est dans leurs rangs qu’on a trouvé un assassin qui salit leur propre religion ». À rebours de la docilité des Insoumis, Lafourcade fait l’éloge de la haine : « Elle n’organise pas de lâchers de ballons, elle ne découpe pas des cœurs dans du carton, elle ne joue pas du John Lennon, elle n’allume pas de lumignons, elle n’organise pas de “marches blanches”, elle ne dit pas “stop à l’islamophobie” : elle désigne l’Ennemi. Non seulement la haine est légitime, mais c’est le seul sentiment que l’Ennemi respecte. » Sur un mode plus léger et drôle, l’écrivain imite à l’occasion le style claudicant d’une écrivaine illettrée ou celui, informe, d’une influenceuse analphabète, ou imagine de nouvelles personnalités politico-littéraires nommées Annie Diallo et Rokhaya Ernaux à qui il attribue un ouvrage à quatre mains, La France raciste de Zemmour et Millet, qui concurrence celui du Collectif des amis d’Alain Badiou, Comment Finkielkraut s’est nazifié.

À lire aussi : Le sacre du sacré

Comme pour contrebalancer l’écœurement provoqué par la description, même risible, des cancres littéraires et politiques de notre temps, Lafourcade consacre une de ses dernières chroniques à Pierre-Guillaume de Roux qui « avait tout lu et n’avait d’yeux que pour les livres ». Admiratif, il évoque l’élégance, la curiosité et le courage de cet éditeur qui a osé braver les « cognes des lettres » et publier des livres que la plupart de ses confrères n’osaient pas imprimer. Ainsi Lafourcade conclut-il sur une note amicale et nostalgique ses chroniques décapantes qui raviront tous les vilains qui abhorrent notre époque, sa bêtise chaque jour révélée, sa prétention injustifiée à se croire supérieure à toutes celles qui l’ont précédée, sa satisfaction étrange devant l’avènement d’une toute nouvelle et inquiétante post-humanité.

… et un roman

Dans un tout autre genre, Le Portement de la Croix est un roman « influencé par Bernanos », précise sa quatrième de couverture. Non loin du collège de la Croix-Juguet, établissement privé sis à Saint-Marsan, une statue de Jésus pliant sous sa croix est découverte dans une grange. On ne sait d’abord à quelle époque se passe ce roman. Une vieille dame entend des coups contre le mur de sa chambre et réclame un exorciste – le surnaturel est intemporel. Les choses se précisent lorsque l’abbé Lapeyre fait la connaissance de Vincent Barrault, l’adjoint à la culture de Saint-Marsan. Ravi d’avoir déjà monté « plusieurs gentilles bricoles » pour « faire parler du village », il ambitionne de créer l’association « Colère aveugle » afin d’améliorer « la visibilité de la communauté malvoyante, la diffusion de sa culture, et le combat contre l’image handicapante qui colle au visuel déficient ». Plus de doute possible, nous sommes au début du XXIe siècle – et le Malin, progressiste en diable, a pris ses aises. Mais l’abbé Lapeyre est imperméable au progressisme, y compris celui de l’Église. Il est, de son propre aveu, rigide et peu charitable – il écrase du talon la bonté anémique et la charité narcissique de cette époque irréligieuse et sermonne ses paroissiens : « Nous ne sommes pas là pour approuver notre temps, mais pour le refuser, mais pour le désavouer ; et nos contempteurs savent bien que nous sommes les derniers à refuser encore de composer avec l’époque, à nous opposer à sa marche, à faire barrage de notre foi à son rouleau compresseur. » Un soir que sa voiture tombe en panne, il coupe à travers bois et découvre un Chemin de croix enfoui sous les broussailles et les ronces.

La restauration de ce Chemin de croix ne dévoilera pas que les stations menant au Calvaire – d’autres choses seront révélées, qui concernent tous les hommes. Bruno Lafourcade charge l’abbé Lapeyre d’écrire les récits des personnages principaux et lui prête son style ciselé, descriptif et précis. À l’instar de l’abbé, l’écrivain Lafourcade refuse de composer avec son temps. Loin des styles relâché, nombriliste ou sociologique qui font les succès médiatiques et les prix littéraires, son Portement de la Croix s’élève avec une grâce inflexible au fil des pages, jusqu’au drame final, point d’orgue d’un roman entrelaçant des vies d’hommes dissemblables en tout mais qui, confrontés au bien et au mal, auront tous à faire un choix décisif.

À lire

L’Intervalle entre le marchepied et le quai, La Nouvelle Librairie, 2022.

L'Intervalle entre le marchepied et le quai

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Le Portement de la Croix, Jean Dézert éditeur, 2022.

Le Portement de la Croix

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Yves Martin, le flâneur des comptoirs

Le poème du dimanche


Mi-Lyonnais, Mi-Flamand, vin par son père, bière par sa mère, Yves Martin (1936-1999), perpétue la vieille tradition française d’une poésie flâneuse et bohème. Depuis Le Partisan, paru en 1964, son goût des voyages sans boussole, son sens de l’amitié, et son mépris des convenances ont fourni la matière d’une oeuvre publiée avec une tranquillité paresseuse. 

Enfant de Villon par la gouaille parigote, de Verlaine par les éblouissements éthyliques et d’Apollinaire par le bonheur des errances parisiennes, ce clerc de notaire défroqué est un poète amateur de tapis-francs, de salles de cinéma et de dames de petite vertu, qui veut des verres pleins mais pas des vers plats.

A lire aussi, Thomas Morales: Colette à toutes les sauces

Mélancolique et coloré comme une toile d’Utrillo, la poésie d’Yves Martin chante l’éternelle chanson de l’ivresse qui permet de retrouver le vrai goût du temps.


Une ville maritime…

Une ville maritime aux trains bleus et blancs,
Un été immense, presque roux,
Rompu le pain, la gloire,
Oublié jusqu’au sens des désastres anciens.
 
Je prendrai une chambre, j’écrirai un livre.
Où rien ne sera dit d’essentiel
Ni le rêve des hommes ni la tendresse des femmes,
Un livre solitaire soulevé de flammes.
 
Octobre. Premières ombres
Dans les roseaux près de la grève, à mon ami le plus ancien
J’en lirai des passages, puis, le voyant las,
Nous irons boire, lui l’anis, moi le vin très bleu.

Yves Martin, Manège des mélancolies (Table Ronde)

Manège des mélancolies: Poésies inédites (1960-1990)

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Massacre à Nashville: vers le jour de la vengeance trans?

La tuerie du 27 mars, dont l’auteur était un homme trans, a donné naissance à une controverse aux États-Unis qui ne porte pas uniquement sur la légalité de la possession d’armes à feu. Certains commentateurs y voient le signe d’une radicalisation violente du mouvement trans. L’annonce d’un « Jour de vengeance trans », une manifestation qui devait avoir lieu devant les locaux de la Cour suprême à Washington DC le 1er avril mais qui finalement a été annulée, constituerait un autre signe de l’extrémisme montant des militants du genre.


Après le massacre commis le 27 mars dans une école privée chrétienne à Nashville (Tennessee) par un « homme trans » de 28 ans, appelé Audrey Hale mais utilisant des pronoms masculins et parfois le prénom masculin « Aiden », un débat très tranché s’est immédiatement installé outre-Atlantique. D’un côté, des Démocrates et/ou des pro-trans qui affirment que la cause première de la tuerie est le libre accès aux armes à feu aux Etats-Unis. De l’autre, des conservateurs qui maintiennent que la cause est plutôt la radicalisation violente d’un certain nombre de personnes trans. Lors d’une conférence de presse tenue peu de temps après l’événement tragique, le chef de la police locale a révélé que l’auteur du crime avait laissé chez elle des écrits, dont un plan détaillé de l’école et ce que le policier a appelé un « manifeste ». L’usage d’un tel mot suggère non seulement que Hale avait tout un programme qu’elle cherchait à accomplir mais aussi que son crime avait une dimension politique. Un représentant républicain du Tennessee, Tim Burchett, a réclamé la publication de ce manifeste pour qu’on puisse mieux connaître l’état d’esprit de Hale. Des défenseurs de la cause trans s’y sont opposés, prétextant le risque que cela inspire des imitateurs. La police a finalement annoncé que le document serait divulgué à la longue, une fois que le FBI aura fini de l’analyser.

#TransTerrorism

Il est possible que les tergiversations des autorités concernant la publication du « manifeste » soient motivées par le désir de ne pas laisser penser que l’acte de Hale fait partie d’une véritable campagne de vengeance des trans contre les nombreux lois et projets de loi promulgués ou débattus par les législatures des différents Etats afin de limiter notamment les transitions de genre parmi les mineurs. Immédiatement après la tuerie, le hashtag #TransTerrorism s’est répandu sur Twitter, et Donald Trump Jr a tweeté que l’acte de Hale était le résultat de la propagande trans (« gender affirming bullshit »). En même temps, un groupe radical trans, le Trans Resistance Network, dont la mission est de faciliter « la survie à long terme et le bien-être de personnes de genres divers dans un environnement plus extrême », a publié une déclaration expliquant le massacre par « une véritable avalanche de législation anti-trans » qui constitue « rien de moins que l’éradication génocidaire des personnes trans de la société ». Le document, retweeté et commenté par Andy Ngo, l’auteur d’une enquête incontournable sur les Antifa (Démasqués – Infiltré au coeur du programme antifa de destruction de la démocratie), se termine par ce qui semble être un avertissement sinistre : « La haine a des conséquences ».

Il est peut-être significatif que l’Etat où la tuerie a eu lieu, le Tennessee, venait de promulguer, le 2 mars, une loi limitant l’accès des personnes mineures à ce qu’on appelle les « soins d’affirmation de genre ». Cet euphémisme désigne le recours aux traitements hormonaux, aux bloqueurs de puberté et à la chirurgie qui permet de soigner la dysphorie de genre. Depuis 2021, quand l’Etat d’Arkansas a légiféré pour limiter l’accès des enfants à ces soins, de nombreux autres Etats ont imité cet exemple, soit par des lois, soit par des ordres exécutifs. Dans un grand nombre de cas, l’action de ces lois est actuellement entravée par des contestations judiciaires, tandis que l’État fédéral, résolument pro-trans, essaie de contrer ces mesures. Le site pro-trans, Trans Legislation Tracker, qui dénombre tous les projets de lois en cours et toutes les lois qui restreignent l’accès aux soins ou à des espaces et aux compétitions sportives normalement réservées aux femmes, a repéré 174 projets de loi en 2022, dont 26 ont été promulgués. Dans le langage hyperbolique caractéristique des militants du genre, le site décrit cette législation comme une manière de priver les trans du « droit d’exister publiquement ». Le problème ne se résume pas au choix entre « les trans OU les armes à feu », mais s’étend au danger potentiel que représentent « des trans AVEC des armes à feu », enflammés par cette rhétorique incendiaire des militants.

Le grand soir arrive-t-il ?

Quelques heures à peine après le massacre, Josselyn Berry, l’attachée de presse de la gouverneure démocrate de l’Arizona, Katie Hobbs, a tweeté le GIF d’une femme tenant deux pistolets (il s’agit de Gena Rowlands dans le film Gloria de John Cassavetes de 1980) avec la légende : « C’est nous quand on voit des transphobes ».

Capture d’écran d’un tweet aujourd’hui supprimé reproduite par The Daily Mail

Suite au tollé provoqué, Berry a dû démissionner, mais l’exemple montre clairement les dangers de cette tendance hyperbolique chez les pro-trans. Où est la ligne de démarcation entre une « façon de parler » et une véritable incitation à la violence ? L’idée d’un « grand soir » où des trans armés se vengeraient de la société qui apparemment les persécute est suggérée par un événement portant le titre « Le jour de la vengeance trans » (Trans Day of Vengeance). Co-organisé par un collectif appelé « TRAN », autrement dit le « Trans Radical Activist Network », il devait avoir lieu samedi 1 avril et réunir des manifestants devant la Cour suprême à Washington. La semaine du 25 au 31 mars a été la « Trans Week of Visibility » (la Semaine de la visibilité trans) et le 31 mars le « Trans Day of Visibility ». La décision d’ajouter un jour de protestation et de remplacer la notion de visibilité par celle de vengeance semble irresponsable.

L’affiche mise en ligne pour annoncer « Le jour de la vengeance trans », le premier avril.

La page sur le site de TRAN qui annonce l’événement justifie le mot « vengeance » par les « quantités astronomiques de haine » dont les trans font l’objet et qui ont une incidence négative sur leur santé mentale. Niant tout désir de recourir à la violence dans cette protestation, la déclaration reste ambiguë, incorporant une citation de la militante trans, Sylvia Rivera, témoin des émeutes de Stonewall en 1969 : « Je me souviens : quelqu’un a jeté un cocktail Molotov, et je me suis dit, « Mon Dieu, la révolution est arrivée » ».

Suite à l’acte de Hale, les médias ont vivement critiqué la décision d’organiser un tel événement. Après avoir voulu obstinément maintenir l’événement, TRAN l’a finalement annulé le 31 mars. Le risque de dérapages violents a été suggéré par un autre événement organisé par la section de TRAN dans l’Etat de Virginie. Il s’agit d’une fête le 7 mars qui avait apparemment pour objectif de lever des fonds afin de subventionner des formations des trans au maniement des armes et à l’autodéfense.

Capture d’écran d’un tweet aujourd’hui supprimé reproduite dans The Daily Mail .

Aussi inflammatoire est la référence constante de ces militants à un « génocide » que la société est en train de perpétrer à l’égard des trans. L’affiche pour le « Le jour de la vengeance trans » enjoint à son public de mettre fin au « génocide des trans ». @OurRightsDC, un autre groupe derrière l’événement, a annoncé l’annulation dans un tweet qui explique que « des individus qui n’avaient rien à voir avec cet acte atroce [la tuerie de Nashville] ont fait l’objet de menaces très sérieuses et sont tenus pour responsables. Cela constitue une des étapes d’un génocide ». Il est évident que la notion d’un « génocide anti-trans », souvent justifiée par le prétexte d’éventuelles « détransitions » que les autorités s’apprêteraient à imposer aux trans, constitue, plus qu’une surenchère rhétorique, un mensonge abusif. Mais l’équation est évidente : puisqu’il y a un génocide, une vengeance – quelle que soit sa forme – est justifiée. Le risque d’une confusion entre une hyperbole et le passage à l’acte est clair.

La magie d’une formule

Le côté accrocheur de cette formule, « Trans Day of Vengeance », tellement plus entraînante qu’un simple « Day of Visibility », est évident. L’expression elle-même remonte à un EP par un groupe trans, G.L.O.S.S. (acronyme pour « Girls Living Outside Society’s Shit ») sorti en 2016 et acclamé par la critique spécialisée dans le genre hardcore punk. Le EP comporte non seulement une chanson éponyme, mais aussi un numéro qui renverse la fameuse injonction de John Lennon, « Give peace a chance » (Donnez une chance à la paix), puisqu’ici il s’agit de « Give violence a chance » (Donnez une chance à la violence). Combien de personnes trans ont écouté ces chansons en imaginant – certes, peut-être seulement dans leur esprit – une traduction de ces paroles en actes ? Apparemment, plus qu’on ne pense. Dans la foulée de l’annonce du crime de Hale, des tweets par des militants trans ont suggéré qu’ils étaient déjà armés et prêts à en découdre. Un compte, @TNDtracker, qui a été suspendu depuis, a posté un mème représentant, apparemment une femme trans armée d’un fusil d’assaut, au-dessus d’une légende poussant à l’assassinat violent des « christcucks », un terme péjoratif pour « chrétiens ». On se souviendra que la tuerie perpétrée par Hale a eu lieu dans une école chrétienne.

Capture d’écran d’un tweet aujourd’hui supprimé reproduite dans The Daily Mail


Une militante transgenre, Kayla (autrefois Adam) Denker, un ancien soldat selon The Daily Mail, a posté une vidéo après le massacre où « elle » charge un fusil d’assaut.

Dans d’autres tweets supprimés depuis, des personnes apparemment trans arborant des armes, affichent leur solidarité avec Hale. Dans l’un d’entre eux, Hale est présentée comme « un martyr » aux mains des « bigots chrétiens » qui « commettent un génocide » contre les trans qui ne feront preuve d’« aucune merci » à leur égard.

Capture d’écran d’un tweet aujourd’hui supprimé reproduite dans The Daily Mail


En plus des chansons de G.L.O.S.S., une imagerie violente est très présente chez les trans aux Etats-Unis. Des T-shirts montrant des armes à feu avec le slogan, « Trans rights… or else » (Des droits pour les trans… sinon) étaient vendus sur le site américain Amazon jusqu’à ce que des protestations suivant le massacre de Nashville n’entraînent leur suppression.

T-shirts qui se vendaient sur la plateforme d’Amazon aux Etats-Unis

Quand on pense maintenant au caractère ultraviolent des menaces contre une J.K. Rowling, peut-on être sûr qu’il s’agit de paroles en l’air ?

Souffrir le martyr

La fréquence chez les trans de cette imagerie quasi-apocalyptique correspond à une forme du complexe de martyr encouragé par les militants. Dans un article pour le média en ligne britannique, Unherd, Eliza Mondegreen propose une analyse très fine de ce phénomène et des risques qu’il présente : « Quand une communauté transforme le martyr en une mythologie, cette communauté va recruter des martyrs ». Car l’imaginaire violent chez les trans balance entre automutilation et suicide, d’un côté, et révolte armée de l’autre. Les idéologues et promoteurs du mouvement trans entretiennent un climat de peur où le transgenre lambda est facile à manipuler. Ce dernier est encouragé à démontrer son engagement dans la cause par la violence, qu’elle soit dirigée vers autrui ou soi-même. A cet égard, un tweet datant de février est typique, annonçant « plutôt la mort que la détransition ». L’ambiguïté est savamment cultivée entre le suicide et le meurtre.

« Vous serez noyé dans notre sang avant que nous ne renoncions à notre autonomie corporelle. Plutôt la mort que la détransition ».

Après la tuerie de Nashville, Twitter aurait supprimé plus de 5000 tweets au sujet du « Jour de la vengeance trans ». Combien de ces posts véhiculaient cette imagerie violente ?

Sur Fox News, le 28 mars, Andy Ngo a évoqué la fragilité mentale de beaucoup de trans – c’est certain dans le cas d’Audrey Hale – ce qui les rend plus ouverts à des suggestions conduisant aux passages à l’acte. Il a détecté aussi une présence importante des militants violents Antifa dans les rangs du mouvement trans: « un pourcentage disproportionné des membres des Antifa violents sont des trans ». C’est encore un facteur qui peut conduire à la radicalisation violente. Sommes-nous vraiment à la veille d’une véritable insurrection armée ? Certains massacres – en plus de celui de Nashville – ont été commis par des personnes trans : une fusillade dans une école à Denver, au Colorado, en mai 2019, et une autre à Aberdeen dans l’état de Maryland, en septembre 2018. Mais ces actes semblent relever plutôt de la fragilité mentale que d’un programme politique clairement défini. Le vrai problème, c’est que toute cette imagerie de génocide, de vengeance, de martyr et d’armes à feu peut influencer facilement une personne dans un état de détresse psychologique. Il suffit qu’une seule personne instable passe à l’acte pour qu’il y ait un massacre. Combien de jours de vengeance pareils nous attendent ?

Foot memories

Un livre récent de Richard Coudrais et Bruno Colombari revient sur la Coupe du Monde de 1982 où des Français romantiques perdirent contre ce qui était encore la RFA.


Alors qu’une Coupe du monde se profilait, Richard Coudrais et Bruno Colombari revenaient quarante ans en arrière et publiaient l’automne dernier un ouvrage chez Solar sur l’édition 1982, sous-titré La Coupe d’un monde nouveau. Le premier anime le site Le Footichiste, le deuxième est rédacteur en chef du site Chroniques bleues. Pendant l’année des deux confinements, les décès de Michel Hidalgo, de Paolo Rossi et de Diego Maradona les plongent dans la nostalgie et les décident à revenir sur l’épopée d’España 82. Les auteurs ne négligent aucun aspect : les maillots, les ballons, la mascotte, les modes de consommation du football, le contexte international et la variété des climats espagnols.    

De 16 à 24 équipes

1982. La guerre froide n’en a plus que pour sept ans. On pourrait s’imaginer en connaissant la fin de l’histoire que l’affrontement entre les deux blocs s’essouffle et que l’on est sur le point de connaitre un dénouement heureux. Pourtant, avec la crise des Pershing, l’Europe vit au début des années 80 un dernier moment de tensions aigues avant l’effondrement du rideau de fer. Coincée entre les Jeux olympiques de Moscou 1980 et les Jeux de Los Angeles de 1984, la Coupe du monde espagnole échappe aux menaces de boycott, peut-être parce qu’en ce temps-là, les Etats-Unis n’en ont pas grand-chose à faire du soccer. Le football est à cette époque d’abord une affaire européenne et latino-américaine, même si en passant de 16 à 24 équipes, la Coupe du monde s’élargit et voit de nouvelles sélections s’inviter: l’Algérie, le Cameroun, le Koweït, la Nouvelle-Zélande. Pour autant, le football n’est pas encore le jeu archi-mondialisé qu’il est devenu. Les joueurs jouent pour l’essentiel dans leur pays.


L’arrêt Bosman n’existe pas encore ; les pays de l’Est empêchent le départ de leurs joueurs avant leurs 30 ans. Le Polonais Zbigniew Boniek (seulement âgé de 26 ans mais qui a obtenu une dérogation) et le Français Michel Platini s’apprêtent à rejoindre la Juventus tandis que Diego Maradona vient de signer au FC Barcelone. Il y a le cas un peu à part d’Osvaldo Ardiles, joueur argentin qui évolue à Londres… alors qu’éclate la guerre des Malouines. En ces temps-là, les Allemands ne jouent pas encore comme des Espagnols et les Français comme des Italiens, les footballs restent marqués par des stéréotypes nationaux prononcés. Interrogé, Richard Coudrais nous précise : « En effet, la majorité des effectifs est composée de joueurs évoluant dans les championnats de leurs pays respectifs. Souvent par choix du sélectionneur car il y avait déjà beaucoup de joueurs sud-américains évoluant dans le championnat d’Espagne, par exemple, ou de Yougoslaves en France et en Allemagne. En sélectionnant les joueurs du pays, les sélectionneurs pouvaient les emmener dans des stages de préparation de longue durée, pouvant aller jusqu’à quatre mois comme avec l’Argentine. C’est au lendemain du Mundial 1982 que les meilleurs joueurs brésiliens et argentins ont commencé à débarquer en Europe, et notamment en Italie qui venait de rouvrir ses frontières et attirait les meilleurs joueurs du monde. Sur ce plan, oui, la Coupe du monde 1982 était encore une Coupe du passé, avec des équipes aux caractéristiques précises. Le basculement a eu lieu plus tard ».

A relire, Philippe David: Michel Hidalgo: une histoire de larmes…

Manquent à l’appel l’Uruguay, le Mexique, le Portugal et surtout les Pays-Bas, finalistes des deux dernières éditions. L’Espagne, désignée organisatrice de la compétition en 1966, sous le Général Franco, est devenue entre-temps une jeune démocratie, trainant encore une image un peu archaïque et pourtant en pleine Movida. Les clubs espagnols ne sont plus au sommet du football européen depuis un moment, le championnat est dominé par les clubs basques au jeu rugueux.

La sélection accède au second tour malgré un nul contre le Honduras et une défaite contre l’Irlande du Nord. Les quatre équipes qui accèdent aux demi-finales ont elles aussi raté leur entame : la France prend un but dans les premières secondes contre l’Angleterre à Bilbao, la RFA se fait surprendre par l’Algérie à Gijón, la Pologne n’est flamboyante que 20 minutes contre le Pérou et l’Italie s’en sort in extremis après trois piètres matchs nuls.

À la pointe de son attaque, Paolo Rossi, sans rythme et sans match joué pendant deux ans à cause d’une suspension. On ne donne pas cher de la peau de la Squadra quand elle se retrouve au tour suivant dans la poule du Brésil de Zico et de l’Argentine de Maradona. Ce dernier va sentir sur sa nuque le souffle de son adversaire du jour Claudio Gentile le mal nommé, surnommé « le Libyen » (il est né à Tripoli), arborant une moustache épaisse à la Domenech. « Coups de pied dans les tibias, maillot agrippé à pleines mains, coups de coude dans l’estomac, intimidations verbales, tout y passe ». L’Italie l’emporte 2-1.

Ce mondial est riche en matchs et moments cultes : le frère de l’émir du Koweït rentrant sur la pelouse pour faire annuler un but contre la France, les joueurs ouest-allemands et autrichiens levant le pied pour éliminer l’Algérie lors du « match de la honte » (même si les auteurs nuancent l’ampleur de l’ « arrangement »)… Deux matchs surtout vont offrir une totale opposition de style : Brésil-Italie lors de la deuxième phase de poule et France-RFA en demi-finale. Dans le premier cas, les Brésiliens, pas vraiment conscients qu’un match nul leur suffirait, se laissent porter par leur romantisme, et malgré un grand match, perdent finalement 3-2, avec un triplé de Rossi. Les Français, menant 3-1 au tout début des prolongations, se font finalement rejoindre par des Allemands.

france allemagne seville 1982

Cauchemar à Séville

L’image d’Harald Schumacher fonçant en pleine figure de Patrick Battiston et le laissant groggy sans recevoir ne serait-ce qu’un carton jaune est resté dans tous les esprits français. Entre l’équipe du Brésil et celle de France, beaucoup de points communs : deux équipes qui « ont joué dans un esprit offensif quasiment sans filet, persuadé[e]s que la supériorité technique de leur milieu de terrain pouvait masquer l’inefficacité des attaquants, la médiocrité du gardien de but, la détresse des défenseurs parfois livrés à eux-mêmes ». C’est en effet à force de bricolage que Michel Hidalgo est parvenu à trouver la formule de son carré magique : Tigana, Giresse, Genghini, Platini, même si ce dernier, souffrant d’une pubalgie, n’a jamais été au sommet de sa forme durant la compétition. On se dit quand même que si le sélectionneur avait fait jouer le rugueux René Girard, il y avait peut-être moyen d’arrêter Rummenigge à défaut d’abattre Clausewitz. Richard Coudrais nous sort de nos rêveries : « La défaite a été tellement difficile à accepter que l’on a toujours voulu rejouer ce match, refaire son histoire, imaginer un scénario alternatif qui aurait favorisé les Français. Mais les faits sont là : les Allemands ont été les plus forts, ils ont su tirer profit des circonstances alors qu’ils étaient au plus mal. A partir de là, on peut aussi imaginer que quelle que soit la configuration du match, ils auraient fini par l’emporter ».

En finale, on retrouve donc l’Italie et la RFA, deux équipes qui se sont signalées par leur réalisme. En 1982, la série Dallas et le cynisme de J.R. cartonnent et le néo-libéralisme triomphe un peu partout en Occident. Et si ces défaites du Brésil et de la France contre l’Italie et l’Allemagne symbolisaient le basculement des années 80 dans le culte du résultat en lieu et place du romantisme des décennies précédentes ? « Pourquoi pas ? On dit souvent du football qu’il est le miroir de la société, et cet exemple peut en être une illustration. Mais ce n’est pas la première fois que le romantisme se heurte au cynisme en Coupe du monde. En 1974, le football total des Hollandais s’est planté face au rouleau compresseur allemand. 20 ans plus tôt, en 1954, c’est la merveilleuse équipe de Hongrie qui se rate également contre les Allemands ». Les Italiens l’emportent (3-1). Si les Français avaient accédé à la finale, auraient-ils pu rivaliser contre le réalisme transalpin ? « Le football fiction ouvre la voie à tous les scénarios possibles. On peut penser que la fatigue aurait handicapé les Français s’ils avaient joué la finale contre les Italiens. Mais sur le plan tactique, Hidalgo avait le goût de l’audace contrairement au conservateur Bearzot. Cela aurait pu être payant. Mais on peut inventer toutes les histoires que l’on veut, on n’enlèvera jamais leur titre mondial aux Italiens ».

La Coupe d’un monde nouveau de Richard Coudrais et Bruno Colombari (Solar)

Espagne 82: la Coupe d'un nouveau monde

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Histoire de Pomme

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En 1977, Claude Goretta adoptait La Dentelière de Pascal Lainé. Rarement visible à la télévision, Arte a la bonne idée de proposer au spectateur ce film subtil sur la lutte des classes avec Isabelle Huppert au sommet de son art.


En ce début de printemps, Arte nous fait encore un beau cadeau : la diffusion de La Dentellière de Claude Goretta, film de 1977 d’après le roman éponyme de Pascal Lainé, qui obtint le prix Goncourt en 1974. Et La Dentellière, c’est bien sûr le premier grand rôle d’Isabelle Huppert au cinéma. Est-il besoin de préciser qu’elle est déjà magistrale ?

C’est l’histoire de Pomme, une petite shampouineuse de dix-neuf ans, qui semble traverser la vie en s’excusant.  Les objets sont ses amis, les humains, elle les observe. Elle rencontre sur la côte normande un jeune étudiant en Lettres, issu d’une famille de hobereaux du coin. On ne sait s’ils s’éprennent vraiment l’un de l’autre, mais ils emménagent ensemble à Paris. Cependant, l’étudiant finit par avoir un peu honte de sa shampouineuse inculte – qui ignore la signification du mot « dialectique »- et finit par la congédier. 

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Pomme tombe malade, très malade. Le dernier plan du film la montre dans un hôpital psychiatrique en train de tricoter, se balançant sur sa chaise comme une petite vieille, qu’elle est déjà devenue. « Il sera passé à côté d’elle, juste à côté d’elle sans la voir, car elle était de ces âmes qui ne font aucun signe, mais qu’il faut patiemment interroger, sur lesquelles il faut savoir poser le regard. Un peintre en aurait fait autrefois le sujet d’un tableau de genre. » Telle est la dernière phrase du roman citée en générique de fin. 

Luttes des classes, mais pas seulement…

Évidemment, ce film a donné lieu à nombre d’analyses marxistes : Pomme la shampouineuse et l’étudiant en Lettres, c’est la lutte des classes en action. Cette lecture n’épuise pourtant pas la beauté du film. Claude Goretta, le réalisateur du film, était, avec Alain Tanner, le chef de file du nouveau cinéma suisse dans les années 70. Il réalisa notamment pendant quinze ans, pour la télévision suisse romande, des portraits très sensibles, dans une veine naturaliste, comme savent si bien le faire les cinéastes anglais.  On pourra penser à Ken Loach, avant qu’il ne s’enferme dans une vision misérabiliste systématique de ses personnages. Goretta savait capter à merveille, avec une infinie délicatesse, l’âme des « petites gens » telle cette femme de pêcheur breton, ou cette mère de famille nombreuse dans un HLM de Nanterre. Et cela vaut tous les discours marxistes de la terre. Et c’est par pudeur, car il lui semblait que sa caméra devenait intrusive, qu’il décida de réaliser des portraits de fiction. 

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Il s’est donc emparé de la Dentellière, comme aurait pu le faire ce peintre d’autrefois, qu’évoque Pascal Lainé à la fin de son roman. Pomme est l’astre discret, la petite étoile presque éteinte, autour de laquelle tournent les autres personnages. Il y a Marylène, sa patronne au salon de coiffure, interprétée par cette actrice si emblématique des années 70, qu’est Florence Giorgetti. Elle a cette sensualité, cette liberté innée de certaines actrices de l’époque. Marylène semble croquer la vie, à l’inverse de Pomme, mais elle est foncièrement triste, éternelle maîtresse d’hommes mariés. 

Et puis il y a François, le « fiancé » de Pomme, toujours vêtu de noir comme un oiseau de mauvais augure, dont on comprend qu’il est avant tout un homme faible, car il décide de se séparer de Pomme lorsqu’il s’apperçoit que celle-ci déplaît fortement à sa mère : « Elle a l’air honnête » dit-elle, avec un fond de mépris… Et enfin, la mère de Pomme, que l’on voit peu, mais dont on comprend qu’elle est de la même race que sa fille: de ces femmes que la vie a oubliées. 

Un prénom qu’on n’entend pas

La caméra de Goretta est focalisée sur Pomme, à l’affût de ses moindres gestes, qui parlent pour elle, car les mots semblent lui échapper ou ne pas l’intéresser. On devine sa gourmandise lorsqu’elle lèche un saladier de mousse au chocolat, la nourriture semble être son unique réconfort. Elle exprime sa sensualité à travers le linge qu’elle plie amoureusement, pour faire plaisir à son étudiant, elle repeint le studio en blanc, lave soigneusement les tasses du petit déjeuner pendant que celui-ci dort dans les draps qu’elle a dû repasser. Pomme se rattache au concret. 

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C’est avec beaucoup de finesse que le cinéaste signifie que son personnage ne peut s’incarner au travers des mots, et qu’elle finira par s’effacer totalement. Lors de la rencontre avec l’étudiant, lorsque celui-ci lui demande son prénom, on ne l’entend pas le prononcer, et s’ensuivra un fondu au noir, qui préfigure déjà la fin. 

La dentellière disponible jusqu’au 13 mai 2023 sur Arte.

Guillaume Peltier rejoint le NPA


La rumeur commençait à circuler ces derniers jours. Guillaume Peltier, 46 ans, député LR de 2017 à 2022, l’a officialisé aujourd’hui: il rejoint le Nouveau Parti anticapitaliste. « Ça n’était plus tenable, il fallait que je me mette en conformité avec moi-même », aurait-il confié à ses proches.

Il avait démarré sa carrière au FN de Jean-Marie Le Pen, puis avait rejoint le MNR de Bruno Mégret, puis le MPF de Philippe de Villiers. Plus jeune, il avait même lancé Jeunesse Action Chrétienne, proche du mouvement Ichtus (« poisson » en grec ancien), mouvement catholique très conservateur. En 2009, il avait adhéré à l’UMP. Toujours en quête de radicalité, Guillaume Peltier se questionnait déjà durant la dernière campagne présidentielle: « le discours d’Eric Zemmour m’avait séduit mais je n’étais pas insensible à la campagne de Philippe Poutou ».

Un questionnement qui ne date pas tout à fait d’aujourd’hui. En 2006, Libération rapportait ainsi: « Au départ, j’étais plutôt attiré par la gauche de la gauche ». Déjà, il trouvait génial le slogan de la Ligue Communiste Révolutionnaire (ancêtre du NPA): « Nos vies valent plus que leurs profits ». Plus récemment, la relecture d’Etienne Cabet le convainc: « Oui, le Christ est bien le prolétaire de Nazareth. Il faut reprendre le combat ».

Guillaume Peltier n’a pas pour autant décidé de renoncer à tout ce qui l’a construit jusque-là: « Je continue d’être blanc, je continue d’être chrétien, je continue d’être hétérosexuel. Par contre, je vais peut-être investir dans une pompe à chaleur ». Au sein du NPA, parti qui a perdu tout élan depuis l’apparition du Font de Gauche, cette nouvelle adhésion suscite un peu d’embarras mais aussi l’espoir de créer un nouvel élan. Quelques militants, inquiets que le parti ne fasse plus parler de lui depuis le passage d’Olivier Besancenot sur le canapé de Michel Drucker, voient l’arrivée de cette recrue d’un bon œil : « D’accord, son parcours est problématique… Mais après tout, si sa conversion est sincère. Vous savez, tracter, coller, pour faire 1%, ce n’est pas évident », nous confie un militant de terrain. Caroline Fourest annonce pourtant de futures « trahisons »: « Il a trahi Eric Zemmour comme il a trahi tous les autres. Il trahira Philippe Poutou à son tour… » 🐟

Aux urnes Parisiens!

Ce dimanche 2 avril, les Parisiens sont appelés à se prononcer pour ou contre les trottinettes électriques qui pourrissent leur quotidien. Et le pire, c’est que le «oui» pourrait l’emporter.


Alors que les habitants de certains arrondissements pataugent encore dans les ordures entassées par un maire de Paris atteint du syndrome de Diogène, alors que les rues de la capitale sont abandonnées chaque semaine à des meutes de jeunes assoiffés de dévastation et de pillage, quelle sortie nous propose de faire Anne Hidalgo en ce premier dimanche d’avril ? D’aller voter ! Ainsi l’Hôtel de Ville nous offre-t-il une « votation pour ou contre les trottinettes en libre-service ». Il est vrai que ça ne tombe pas au meilleur moment et que ça ne fait pas très plaisir de jouer le jeu de la municipalité, mais l’heure est si grave, qu’il faut accepter de le jouer.  

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Black blocks ou pas, l’espace public parisien connaît un tel abandon, une telle anarchie, qu’il est nécessaire de saisir l’arme que nous tend la Mairie pour l’enrayer – un peu. Voter contre les trottinettes électriques en libre-service ne ramènera pas la civilisation dans nos rues mais permettra d’amoindrir l’anomie qui régit la capitale depuis l’accession au pouvoir de Mme Hidalgo. Les trottinettes blessent et tuent. Avec les vélos, elles sont à l’origine de centaines d’accidents chaque année, sur la chaussée comme sur les trottoirs. Que quelques enfants attardés mais dument casqués et assurés s’achètent un engin électrique ne gêne pas la collectivité, rien ni la loi ne les y en empêche. Mais que la Ville, par l’intermédiaire de sociétés privées, cautionne et encadre ce dangereux moyen de locomotion – au nom de cette si tendre « mobilité douce » – est inacceptable.

Mme Hidalgo aurait pu d’autorité – elle n’en manque pas, et en a le pouvoir – mettre fin aux concessions allouées à ces opérateurs de vilains deux-roues. Elle ne s’est pas gênée de le faire à l’été 2018 lorsqu’elle a voulu éradiquer les Autolib’ de la capitale. Ces voitures électriques en libre-service étaient un succès technique et populaire. C’est peut-être pour ça que Madame n’en voulait plus – de la même façon, elle a supprimé les Vélib’. Mais l’héritière de Bertrand Delanoë a peur de s’attaquer aux trottinettes. C’est cool une trottinette, ça fait d’jeunes. Aussi nous demande-t-elle de faire le sale boulot à sa place et de voter contre. Eh bien là, pour une fois, je l’avoue, j’accepte de faire ce qu’elle me dit : dimanche, j’irai voter contre !

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Il est urgent de transmettre le message, car, comme par hasard, concernant cette votation, la mairie de Paris ne communique pas beaucoup. Quelques affiches dans les rues, quelques petites phrases lâchées ici ou là… voilà à quoi se résume le plan comm’. Dans une boîte privée, les 400 personnes responsables de la communication d’Anne Hidalgo seraient déjà débarquées, d’autant que la patronne l’a dit: elle votera contre, mais personne le sait ! D’autant que dans le camp d’en face, on a sorti les grands moyens. Les opérateurs sur la sellette n’ont pas caché avoir graissé la patte des plusieurs « influenceurs » pour marteler à leurs millions de jeunes décérébrés de « followers » sur TikTok et Instagram que dimanche, il faut voter « oui » ! Voilà dans quelles mains se trouve le sort de Paris. C’est pourquoi il est impératif d’aller voter, avant ou après le gigot dominical. Les bureaux seront ouverts dans chaque mairie d’arrondissement, de 9h à 19h.

Et parce qu’il est bon de rêver, rêvons. Les Parisiens pourraient être inspirés par le procès en légitimité qui est actuellement fait à Emmanuel Macron. En proportion, la maire de Paris a été réélue avec beaucoup moins de voix que le chef de l’État. À quand une votation pour ou contre Hidalgo ?

Toutes les infos sur la tenue de la votation sur www.paris.fr

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Ambroise Thomas, l’académisme a un avenir

La renommée d’Ambroise Thomas s’est éteinte avec lui en 1896. Ce compositeur a pourtant été une figure emblématique de la seconde moitié du XIXe siècle, un artiste adulé par ses pairs les plus illustres et un créateur plébiscité par le grand public. La postérité lui offre un hommage tardif.


Les exégètes se refilent la boutade de Chabrier : « Il y a deux espèces de musique, la bonne et la mauvaise. Et puis il y a la musique d’Ambroise Thomas. » Étrange destin que celui de ce compositeur adulé en son temps comme LA figure majeure de l’art musical français avant d’être effacé, sitôt mort, du panthéon de nos gloires. Qui se souvient encore de cet homme dont Théophile Gautier disait que « personne ne manie l’orchestre avec autant d’élégance et de sûreté », dont Berlioz vantait la patte « alerte, piquante, toujours distinguée, écrite partout avec goût et savoir », et dont Massenet a prononcé l’éloge funèbre lors des obsèques nationales que la République lui a réservées en 1896 !

Dès le seuil de la Belle Époque, Thomas glisse dans l’oubli. Le XXe siècle juge son langage musical conformiste, passé de mode, académique, et il faut attendre le tournant du millénaire pour commencer à rendre justice à cet infatigable créateur lyrique. C’est un curieux bonhomme : les élèves du conservatoire surnomment leur directeur « M. de Sombre Accueil » ou le « Chevalier de la Sombre Figure ». Il attend l’âge de 67 ans pour se marier à Elvire Remaury qui n’en a que… 51. Ses convictions religieuses ? Mystère. C’est un type discret, réservé, rêveur, fidèle en amitié, intime de deux des plus grands peintres de son temps : Ingres et Hippolyte Flandrin, son « plus inséparable compagnon » – qui nous a laissé de lui quelques portraits. On y voit un barbu sévère qui, dans son âge avancé, ressemble vaguement à Verdi, il a l’allure d’un grand bourgeois vêtu de noir et la Grand-Croix de la Légion d’honneur miroite sur la redingote. Amateur de cigares et plus encore amateur d’art, ardent défenseur du « génie latin » contre l’invasion du « germanisme », ce solitaire érudit partage sa vie entre Paris et ses propriétés acquises au fil des ans : à Argenteuil, à Hyères, mais surtout en Bretagne, où il aménage un château sur l’île Illiec (Côtes-d’Armor). L’île sera ensuite rachetée par Lindbergh, l’aviateur.

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L’artiste, né à Metz en 1811, quitte sa Lorraine natale pour Paris en 1827. Un départ vécu comme un exil. Reçu l’année suivante au conservatoire, Ambroise attend 1832 pour remporter le premier grand prix de Rome : le voilà pensionnaire de la Villa Médicis. Il séjourne dans la capitale des États de l’Église jusqu’en 1836. Le svelte jeune homme « aux manières élégantes et polies », dixit le mémorialiste Léon Escudier, est très demandé dans l’aristocratie romaine : il est bon pianiste et sa voix de ténor enchante. Soutenu par Auber, parrainé par Berlioz (« de la grâce, du feu, beaucoup de tact ! »), il rentre à Paris. Là, il enchaîne les compositions et participe de façon très active à la vie musicale jusqu’à la révolution de 1848 où, soldat de la garde nationale, il démantèle les barricades tout en écrivant un opéra-bouffe, Le Caïd, premier succès, et Le Songe d’une nuit d’été, « fantaisie dramatique ». À l’aube du Second Empire, Ambroise Thomas gagne sa place sur le podium des compositeurs et un fauteuil à l’Institut. Professeur très sollicité, il a même ses entrées chez l’empereur, à Compiègne. C’est le temps du scandale de Tannhäuser (Wagner, 1861, trois représentations rue Le Peletier, sous les huées !), mais aussi de la création (mutilée) des Troyens de Berlioz (1863). Contrastant avec cette musique « nouvelle », celle de Thomas, à l’instar d’Auber ou de Meyerbeer, assume une tradition formelle et incroyablement féconde : La Double Échelle, Raymond ou le Secret de la reine, La Tonelli, La Cour de Célimène, Psyché, Le Carnaval de Venise, Le Roman d’Elvire… (et la liste est encore longue) jusqu’à Mignon (1866), qui a longtemps été l’opéra-comique préféré des Français, puis Hamlet (1868). C’est à ces deux partitions lyriques que la postérité accorde désormais un hommage tardif ! Encore ces chefs-d’œuvre éclipsent-ils quantité d’autres pièces : messes, cantates, morceaux pour orgue, pour piano… Si Ambroise Thomas n’a jamais couché la moindre symphonie, c’est tout de même lui qui tient les cordons du poêle aux obsèques de Berlioz, en 1869. Lorsque vient son tour de paraître devant Dieu, à l’âge de 84 ans, Thomas a remporté un ultime triomphe avec l’opéra Françoise de Rimini. Pour son service funèbre, on exécute son Requiem. Le purgatoire commence.

L’opportunité de redécouvrir Hamlet a déjà été donnée l’an passé par l’Opéra-Comique[1], reprise d’une production de 2008, dans une mise en scène pas inoubliable de Louis Langrée. Mais le spectacle était admirablement chanté par Stéphane Degout (Hamlet), Sabine Devieilhe (Ophélie) et la mezzo Lucile Richardot, sublime dans le rôle de Gertrude, la génitrice d’Hamlet adultère et régicide. Sur un livret signé Carré et Barbier, duo de « paroliers » le plus demandé de l’époque, les volutes virtuoses de la mélodie sont un must de cet Hamlet intime (qui laisse le héros en vie, et couronné). Ambroise Thomas a mis huit ans à composer le chant du cygne du grand répertoire classique français, il a aussi été le premier au monde à y introduire un solo de saxophone, la nouvelle invention d’Adolphe Sax (1814-1894) !

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L’Opéra Bastille en propose ce mois-ci une nouvelle production extrêmement attendue, avec une mise en scène du Polonais Krzysztof Warlikowski (on se souvient de sa sublime Lady Macbeth de Mzensk en 2019). Et la distribution est, là encore, à la hauteur : notre Ludovic Tézier national, Lisette Oropesa et Brenda Rae en alternance, Ève-Maud Hubeaux… Au pupitre, le chef allemand Thomas Hengelbrock, habitué de l’orchestre de l’Opéra de Paris. Académisme, quand tu nous tiens !

À voir

Hamlet, opéra en cinq actes d’Ambroise Thomas (1868), à l’Opéra Bastille les 11, 14, 17, 21, 24, 27 mars et 5, 9 avril à 19 h 30. Le 2 avril à 14 h 30.


[1] Lire Julien San Frax, Hamlet, un espace mental ?, causeur.fr [NDLR].

Place de la Madeleine

L’art du pastiche nécessite une certaine dose d’intelligence, d’humilité, de sensibilité… et d’humour. Il n’en faut pas moins pour savoir emprunter le style d’un illustre aîné. Treize auteurs se plient à l’exercice dans La Madeleine de Proust: pastiches. Et c’est savoureux.


La Madeleine de Proust : pastiches rassemble des auteurs talentueux[1], des illustrations parfaites (dessins originaux de Mark Crick) et d’exquises recettes offertes par le Relais Bernard Loiseau : simples (bœuf bourguignon), frottées d’une saveur luxueuse (asperges à la vinaigrette de truffes) ou savamment élaborées (rouget poêlé, sauce au foie et artichauts poivrade). Treize écrivains, communiant devant « l’édifice immense du souvenir » dont la première pierre est une modeste madeleine[2], ont obéi à la discipline du pastiche, de la composition « à la manière de » à laquelle se pliait si volontiers Monsieur Marcel.

McDo chez la duchesse 

René de Ceccatty donne la parole à Marguerite Duras : très irritée contre sa mère, elle évoque comiquement un « précipité » de chutes de ciambelline (beignets) dans une tasse de thé ! Thierry Maugenest révèle un épisode ignoré des biographes : « Cette année-là, la duchesse de Guermantes avait engagé Maurice McDonald, un modeste cuisinier tout juste débarqué des Amériques » ! Jérôme Bastianelli rapporte l’embarras de Marcel, invité d’honneur à un dîner chez Mme Verdurin : en le pressant de mordre dans l’une des madeleines sorties du four qu’elle lui présente, la dame espère, et tous les convives avec elle, le renouvellement du miracle qui s’était produit grâce à ce gâteau. Or, Marcel, devant ce tribunal mondain, et après avoir croqué la friandise tiède et ventrue, se remémore une scène cruelle, son humiliation publique par un instituteur. Que faire ? Pour ne pas froisser son hôtesse, il invente de cocasses surgissements de souvenirs : Françoise « en train de déplumer vigoureusement un poulet », un exemplaire des Malheurs de Sophie introuvable car dérobé par son oncle « qui voulait en profiter en cachette »… L’auditoire est comblé et Mme Verdurin peut féliciter son « petit Marcel » qui « ne nous déçoit jamais ».

Les Fenouillard aux Caraïbes

Céline Malraux nous transporte sur un rivage caribéen. Le narrateur y voit s’installer une famille au complet : Agénor et Léocadie Fenouillard et leurs deux filles, Artémise et Cunégonde. Touristes envahissants, bruyants, ils ont payé par avance une liste de plaisirs dont ils entendent profiter sur leurs transats. Ce narrateur n’est autre que l’auteur de La Famille Fenouillard, Georges Colomb (1856-1945), dit Christophe, précurseur de la bande dessinée (le sapeur Camember, le savant Cosinus, Plick et Plock) qui a été enseignant en sciences naturelles au lycée Condorcet, à Paris. Il a eu pour élève un certain Marcel Proust.

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Perruches inséparables

Quand ils se croisent une première fois à l’un des mercredis de Mme Arman de Caillavet, en 1895, Marcel Proust est un jeune homme et Colette est la jeune épouse d’Henry Gauthier-Villars, dit Willy. Les manières de Marcel déplaisent à la jeune femme venue de sa belle province – par la suite, heureusement, elle changera d’opinion. Elle est témoin, chez Mme de Caillavet, d’une scène fort gênante dont elle rend compte dans Mes Cahiers, ce qui donne à Alain Malraux l’occasion de pratiquer l’art du portrait où il excelle. Nous lisons une lettre de Proust à Lucien Daudet dans laquelle Colette est à présent baronne Henry de Jouvenel « et dit-on un peu partout, même mère de famille… tout en réprimant des gloussements émis en direction de la coulisse[3] ». À cet instant, l’auteur de la lettre, revenant des années en arrière, rend compte de l’épisode « Caillavet », lorsqu’il s’était rendu à une soirée de la baronne où se trouvait son ami, le pianiste et compositeur Reynaldo Hahn. Ils prennent congé mais, dehors, Marcel s’aperçoit qu’il a oublié un livre. Il sonne et attend. À travers la porte, lui parvient la voix courroucée de « Mme Arman » qui parle d’eux, de leur « allure de jumeaux tendres !… Perruches inséparables… c’est de l’affichage ! » Lorsque la porte s’ouvre enfin, il voit des invités consternés, dont Colette au « long regard de chat, me faisant saisir qu’elle ne partageait pas cette malveillance à notre égard ».

Qui aime bien pastiche bien

On ne pastiche bien que si l’on aime. Il faut dans le pastiche un air de reconnaissance et d’admiration : le pasticheur ne réduit pas sa composition à un alignement militaire de « trucs » empruntés au maître, dont il est le serviteur. Il ne doit pas se montrer comme un brutal voleur de procédé, mais bien comme un gentleman cambrioleur qui choisit ses prélèvements et abandonne, en partant, sa carte de visite.

Avec cela, il développe une sensibilité singulière aux œuvres qui relève de la sonorité, si l’on en croit Marcel Proust lui-même : « Dès que je lisais un auteur, je distinguais bien vite sous les paroles l’air de la chanson qui en chaque auteur est différent de ce qu’il est chez tous les autres. J’avais cette oreille plus fine et plus juste que bien d’autres, ce qui m’a permis de faire des pastiches, car chez les écrivains, quand on tient l’air, les paroles viennent bien vite » (Contre Sainte-Beuve).

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Cependant, si l’on pastiche avec le cœur et avec les oreilles, on pastiche assurément avec la tête, et même avec deux têtes : celle du pastiché et celle du pasticheur. Ce dernier a trouvé en quelque sorte l’« entrée du fournisseur » qui le conduit à un magasin prodigieux qu’il pille allègrement : on ne lui en tient pas rigueur à la seule condition qu’il restitue avec talent une grande partie du trésor dérobé, dans une forme assez aimable pour nous persuader que, après en avoir pris connaissance, sa victime ne porte pas plainte.

À lire

Collectif, La Madeleine de Proust : pastiches, Baker Street, 2022.


[1] Jérôme Bastianelli, Yannick Boulay, René de Ceccatty, Irène Frain, Stéphane Guégan, Laure Hillerin, Alain Malraux, Céline Malraux, Thierry Maugenest, Philippe Morel, Jean-Marc Proust, Paul Strocmer.

[2] Proust la décrit tel un « petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot » dont la saveur provoque une sorte de commotion qui fait apparaître « l’édifice immense du souvenir ».

[3] Colette, très attentionnée, s’est en effet chargée de déniaiser son beau-fils, Bertrand de Jouvenel.

Tuerie à Nashville: les médias désolés de ne pas avoir désigné l’assassin transgenre par le bon pronom

S’il n’y avait pas trois petites victimes de moins de 10 ans et trois adultes abattus à déplorer, on pourrait presque en rire…


« Je m’appelle Joe Biden. Je suis le mari du Dr Jill Biden. Et je mange des glaces de Jeni, aux pépites de chocolat. Je suis venu parce que j’ai entendu dire qu’il y avait des glaces aux pépites de chocolat… » C’est ainsi que Joe Biden, le 27 mars, a débuté son discours, ponctué de rires, alors qu’Audrey Hale venait de tuer trois enfants et trois adultes dans une école à Nashville (Tennessee). Maladroit ! De leur côté, plusieurs médias se sont quasiment repentis d’avoir utilisé le mauvais pronom après avoir appris que Hale se déclarait homme et se présentait comme « Aiden ».

Alors que les conservateurs américains débattent de la folie « trans », les progressistes craignent que tout cela n’occulte le débat sur la vente de fusils d’assaut

Prenant le micro pour s’exprimer à l’occasion du SBA Women’s Business Summit, une rencontre de femmes d’affaires, accueillie par la Maison-Blanche, Biden s’est non seulement amusé en parlant de nourriture, mais a plaisanté en demandant à qui étaient les « beaux gosses » dans la salle avant de finalement dire qu’il tenait à « parler très brièvement de la fusillade », ajoutant : « Cela nous brise le cœur ! » Jour ! nuit ! 

Avec une posture sérieuse et un air préoccupé, le président endeuillé a alors mentionné sa volonté de protéger les écoles et d’interdire les armes d’assaut, avant de parler du sujet de la rencontre et de faire rire le public en mentionnant un congélateur rempli de glaces de Jeni à l’étage qu’il aurait volontiers montré s’il en avait eu la possibilité.

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La plupart des médias n’ont pas mentionné cette intervention dont l’intégralité a été retranscrite sur le site de la Maison-Blanche et qu’a critiquée Sky News Australia, une chaîne qui a fréquemment le toupet de questionner la santé mentale de Biden.


Des médias qui ont peur de faire mauvais genre

Si les médias ont généralement omis de relater ces propos gênants de Biden, plusieurs d’entre eux n’ont pas manqué de faire amende honorable pour s’être trompés de pronom après que la police eut révélé que la meurtrière était en fait un transgenre homme ; ou ont simplement retiré toute mention concernant son sexe.

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Parmi les plus importants, CNN a archivé son premier article intitulé : « Une femme de 28 ans tue trois élèves et trois adultes dans une école chrétienne privée de Nashville, selon la police ». La chaîne de tendance démocrate l’a remplacé par un autre sous un titre étiré : « Le suspect de la fusillade de l’école privée de Nashville avait des cartes du bâtiment et avait repéré un éventuel second lieu d’attaque, selon la police ». Le New York Times a publié un tweet disant : « Il y a eu une confusion ultérieurement, lundi, quant à l’identité de genre de l’assaillant dans la fusillade de Nashville. Les fonctionnaires avaient utilisé « elle » et « elle » pour désigner le suspect, qui, selon un message sur les médias sociaux et un profil LinkedIn, semblait s’identifier comme un homme durant les derniers mois. » Ce message répond à un précédent tweet du journal qui souligne que l’on ne dénombre que peu de femmes tueuses de masse.

Les critiques concernant ces altérations n’ont pas manqué, comme celle de Brittany Hugues, directrice de la rédaction du Media Research Center – un groupe conservateur de veille médiatique -, qui a ainsi répondu au Times en le parodiant sur Twitter : « Je veux bien entendu dire qu’elle a assassiné des enfants, mais la vraie tragédie dans l’affaire est que personne n’a respecté son pénis imaginaire. » Mia Cathell, journaliste pour le site conservateur Townhall, a objecté à USA Today, qui avait pointé l’erreur initiale de la police sur l’identité de genre de Hale : « Nous ne nous préoccupons du mégenrage d’un tireur à l’école qui a assassiné des enfants. Seuls les médias mainstream s’inquiétent des pronoms préférés dans un tel moment ! » Annonçant qu’elle ne présenterait pas d’excuse pour avoir utilisé les pronoms féminins, la journaliste britannique Julia Hartley-Brewer s’est indignée sur TalkTv d’une préoccupation déplacée. « S’inquiéter des sentiments d’une psychopathe qui a tué trois enfants et trois adultes, plutôt que d’être préoccupé par le crime réel commis par cette personne – nous sommes dans un monde fou maintenant, n’est-ce pas ? », a-t-elle objecté.

L’exhortation adressée aux médias par un mouvement trans extrémiste

Le mouvement d’extrême gauche Trans Resistance Network (TRN) a présenté ses « plus sincères condoléances et sincères prières aux familles confrontées à la perte d’être chers », mais a ajouté que « la seconde tragédie, plus complexe, est qu’Aiden ou Audrey Hale, ait pensé qu’il n’avait pas d’autre moyen efficace de se faire entendre que de s’en prendre à la vie des autres, et par conséquence, à lui-même. » Les tweets de ce groupe ne sont visibles que de ceux qui sont autorisés à le consulter, mais il n’a pas contesté la copie du message publiée par le journaliste Andy Ngô le lendemain de la tuerie.

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Sur un ton presque comminatoire, TRN dit rappeler « aux médias de respecter les pronoms auto-attribués des personnes transgenres qui arrivent sur [leurs] bureaux », et les exhorte à identifier Hale selon ses désirs et à ne pas plier devant la droite qui, selon lui, veut terroriser les personnes transgenres et faire avancer un programme pour les éliminer. Et divers médias, comme le Washington Post ou le Boston Globe, ont depuis publié des articles accusant la droite d’exploiter la tuerie de masse contre les personnes transgenres.

La fabrique de l'enfant transgenre

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Bruno Lafourcade, écrivain hors-cadre

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Bruno Lafourcade D.R.

Bruno Lafourcade nous gâte. Deux livres d’un coup. Une nouveauté et une réédition. Deux ouvrages très différents qui prouvent, une fois de plus, qu’il est un écrivain indispensable pour nous aider à traverser notre époque.


En 2018, l’espiègle rédaction de L’Incorrect a remis le prix du Suicide littéraire à Bruno Lafourcade, pour son excellent roman L’Ivraie (Éditions Léo Scheer). Ce prix « a pour ambition de récompenser une œuvre romanesque, pamphlétaire ou poétique dont nous avons toutes les raisons de croire qu’elle vaudra à son auteur l’opprobre général, la condamnation morale, la mise au ban du milieu littéraire ou la fatwa. » Bruno Lafourcade a peu de chances d’être un jour goncourtisé ou trapenardisé – son dégoût de notre époque et sa plume incisive lui ferment à jamais les portes des prix et des salons littéraires mondains. Et c’est très bien ainsi.

Chroniques sur les offensés de toute obédience…

Dans ses chroniques de L’Intervalle entre le marchepied et le quai, Lafourcade passe à la moulinette les plus éminents spécimens de l’abrutissement en cours. De Benoît Hamon aux offensés de toute obédience, de Camélia Jordana à la famille Traoré, de Marie Darrieussecq aux journalistes acculturés, des écologistes à Virginie Despentes, tous reçoivent leur ration de taloches. Le style de Lafourcade emprunte à la fois au noble art et au combat de rue ; en deux ou trois pages, l’auteur foudroie sa cible. Il rappelle par exemple comment, immédiatement après l’assassinat de Samuel Paty, les dignitaires de LFI n’ont eu de cesse d’envoyer d’abord des messages aux « musulmans de France » qui souffraient, selon Mélenchon, « deux fois plus que les autres, parce que c’est dans leurs rangs qu’on a trouvé un assassin qui salit leur propre religion ». À rebours de la docilité des Insoumis, Lafourcade fait l’éloge de la haine : « Elle n’organise pas de lâchers de ballons, elle ne découpe pas des cœurs dans du carton, elle ne joue pas du John Lennon, elle n’allume pas de lumignons, elle n’organise pas de “marches blanches”, elle ne dit pas “stop à l’islamophobie” : elle désigne l’Ennemi. Non seulement la haine est légitime, mais c’est le seul sentiment que l’Ennemi respecte. » Sur un mode plus léger et drôle, l’écrivain imite à l’occasion le style claudicant d’une écrivaine illettrée ou celui, informe, d’une influenceuse analphabète, ou imagine de nouvelles personnalités politico-littéraires nommées Annie Diallo et Rokhaya Ernaux à qui il attribue un ouvrage à quatre mains, La France raciste de Zemmour et Millet, qui concurrence celui du Collectif des amis d’Alain Badiou, Comment Finkielkraut s’est nazifié.

À lire aussi : Le sacre du sacré

Comme pour contrebalancer l’écœurement provoqué par la description, même risible, des cancres littéraires et politiques de notre temps, Lafourcade consacre une de ses dernières chroniques à Pierre-Guillaume de Roux qui « avait tout lu et n’avait d’yeux que pour les livres ». Admiratif, il évoque l’élégance, la curiosité et le courage de cet éditeur qui a osé braver les « cognes des lettres » et publier des livres que la plupart de ses confrères n’osaient pas imprimer. Ainsi Lafourcade conclut-il sur une note amicale et nostalgique ses chroniques décapantes qui raviront tous les vilains qui abhorrent notre époque, sa bêtise chaque jour révélée, sa prétention injustifiée à se croire supérieure à toutes celles qui l’ont précédée, sa satisfaction étrange devant l’avènement d’une toute nouvelle et inquiétante post-humanité.

… et un roman

Dans un tout autre genre, Le Portement de la Croix est un roman « influencé par Bernanos », précise sa quatrième de couverture. Non loin du collège de la Croix-Juguet, établissement privé sis à Saint-Marsan, une statue de Jésus pliant sous sa croix est découverte dans une grange. On ne sait d’abord à quelle époque se passe ce roman. Une vieille dame entend des coups contre le mur de sa chambre et réclame un exorciste – le surnaturel est intemporel. Les choses se précisent lorsque l’abbé Lapeyre fait la connaissance de Vincent Barrault, l’adjoint à la culture de Saint-Marsan. Ravi d’avoir déjà monté « plusieurs gentilles bricoles » pour « faire parler du village », il ambitionne de créer l’association « Colère aveugle » afin d’améliorer « la visibilité de la communauté malvoyante, la diffusion de sa culture, et le combat contre l’image handicapante qui colle au visuel déficient ». Plus de doute possible, nous sommes au début du XXIe siècle – et le Malin, progressiste en diable, a pris ses aises. Mais l’abbé Lapeyre est imperméable au progressisme, y compris celui de l’Église. Il est, de son propre aveu, rigide et peu charitable – il écrase du talon la bonté anémique et la charité narcissique de cette époque irréligieuse et sermonne ses paroissiens : « Nous ne sommes pas là pour approuver notre temps, mais pour le refuser, mais pour le désavouer ; et nos contempteurs savent bien que nous sommes les derniers à refuser encore de composer avec l’époque, à nous opposer à sa marche, à faire barrage de notre foi à son rouleau compresseur. » Un soir que sa voiture tombe en panne, il coupe à travers bois et découvre un Chemin de croix enfoui sous les broussailles et les ronces.

La restauration de ce Chemin de croix ne dévoilera pas que les stations menant au Calvaire – d’autres choses seront révélées, qui concernent tous les hommes. Bruno Lafourcade charge l’abbé Lapeyre d’écrire les récits des personnages principaux et lui prête son style ciselé, descriptif et précis. À l’instar de l’abbé, l’écrivain Lafourcade refuse de composer avec son temps. Loin des styles relâché, nombriliste ou sociologique qui font les succès médiatiques et les prix littéraires, son Portement de la Croix s’élève avec une grâce inflexible au fil des pages, jusqu’au drame final, point d’orgue d’un roman entrelaçant des vies d’hommes dissemblables en tout mais qui, confrontés au bien et au mal, auront tous à faire un choix décisif.

À lire

L’Intervalle entre le marchepied et le quai, La Nouvelle Librairie, 2022.

L'Intervalle entre le marchepied et le quai

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Le Portement de la Croix, Jean Dézert éditeur, 2022.

Le Portement de la Croix

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Yves Martin, le flâneur des comptoirs

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Yves Martin 1936-1999 © Wikimedia Commons

Le poème du dimanche


Mi-Lyonnais, Mi-Flamand, vin par son père, bière par sa mère, Yves Martin (1936-1999), perpétue la vieille tradition française d’une poésie flâneuse et bohème. Depuis Le Partisan, paru en 1964, son goût des voyages sans boussole, son sens de l’amitié, et son mépris des convenances ont fourni la matière d’une oeuvre publiée avec une tranquillité paresseuse. 

Enfant de Villon par la gouaille parigote, de Verlaine par les éblouissements éthyliques et d’Apollinaire par le bonheur des errances parisiennes, ce clerc de notaire défroqué est un poète amateur de tapis-francs, de salles de cinéma et de dames de petite vertu, qui veut des verres pleins mais pas des vers plats.

A lire aussi, Thomas Morales: Colette à toutes les sauces

Mélancolique et coloré comme une toile d’Utrillo, la poésie d’Yves Martin chante l’éternelle chanson de l’ivresse qui permet de retrouver le vrai goût du temps.


Une ville maritime…

Une ville maritime aux trains bleus et blancs,
Un été immense, presque roux,
Rompu le pain, la gloire,
Oublié jusqu’au sens des désastres anciens.
 
Je prendrai une chambre, j’écrirai un livre.
Où rien ne sera dit d’essentiel
Ni le rêve des hommes ni la tendresse des femmes,
Un livre solitaire soulevé de flammes.
 
Octobre. Premières ombres
Dans les roseaux près de la grève, à mon ami le plus ancien
J’en lirai des passages, puis, le voyant las,
Nous irons boire, lui l’anis, moi le vin très bleu.

Yves Martin, Manège des mélancolies (Table Ronde)

Manège des mélancolies: Poésies inédites (1960-1990)

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Massacre à Nashville: vers le jour de la vengeance trans?

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La tueuse Audrey Hale dans le Tennessee D.R.

La tuerie du 27 mars, dont l’auteur était un homme trans, a donné naissance à une controverse aux États-Unis qui ne porte pas uniquement sur la légalité de la possession d’armes à feu. Certains commentateurs y voient le signe d’une radicalisation violente du mouvement trans. L’annonce d’un « Jour de vengeance trans », une manifestation qui devait avoir lieu devant les locaux de la Cour suprême à Washington DC le 1er avril mais qui finalement a été annulée, constituerait un autre signe de l’extrémisme montant des militants du genre.


Après le massacre commis le 27 mars dans une école privée chrétienne à Nashville (Tennessee) par un « homme trans » de 28 ans, appelé Audrey Hale mais utilisant des pronoms masculins et parfois le prénom masculin « Aiden », un débat très tranché s’est immédiatement installé outre-Atlantique. D’un côté, des Démocrates et/ou des pro-trans qui affirment que la cause première de la tuerie est le libre accès aux armes à feu aux Etats-Unis. De l’autre, des conservateurs qui maintiennent que la cause est plutôt la radicalisation violente d’un certain nombre de personnes trans. Lors d’une conférence de presse tenue peu de temps après l’événement tragique, le chef de la police locale a révélé que l’auteur du crime avait laissé chez elle des écrits, dont un plan détaillé de l’école et ce que le policier a appelé un « manifeste ». L’usage d’un tel mot suggère non seulement que Hale avait tout un programme qu’elle cherchait à accomplir mais aussi que son crime avait une dimension politique. Un représentant républicain du Tennessee, Tim Burchett, a réclamé la publication de ce manifeste pour qu’on puisse mieux connaître l’état d’esprit de Hale. Des défenseurs de la cause trans s’y sont opposés, prétextant le risque que cela inspire des imitateurs. La police a finalement annoncé que le document serait divulgué à la longue, une fois que le FBI aura fini de l’analyser.

#TransTerrorism

Il est possible que les tergiversations des autorités concernant la publication du « manifeste » soient motivées par le désir de ne pas laisser penser que l’acte de Hale fait partie d’une véritable campagne de vengeance des trans contre les nombreux lois et projets de loi promulgués ou débattus par les législatures des différents Etats afin de limiter notamment les transitions de genre parmi les mineurs. Immédiatement après la tuerie, le hashtag #TransTerrorism s’est répandu sur Twitter, et Donald Trump Jr a tweeté que l’acte de Hale était le résultat de la propagande trans (« gender affirming bullshit »). En même temps, un groupe radical trans, le Trans Resistance Network, dont la mission est de faciliter « la survie à long terme et le bien-être de personnes de genres divers dans un environnement plus extrême », a publié une déclaration expliquant le massacre par « une véritable avalanche de législation anti-trans » qui constitue « rien de moins que l’éradication génocidaire des personnes trans de la société ». Le document, retweeté et commenté par Andy Ngo, l’auteur d’une enquête incontournable sur les Antifa (Démasqués – Infiltré au coeur du programme antifa de destruction de la démocratie), se termine par ce qui semble être un avertissement sinistre : « La haine a des conséquences ».

Il est peut-être significatif que l’Etat où la tuerie a eu lieu, le Tennessee, venait de promulguer, le 2 mars, une loi limitant l’accès des personnes mineures à ce qu’on appelle les « soins d’affirmation de genre ». Cet euphémisme désigne le recours aux traitements hormonaux, aux bloqueurs de puberté et à la chirurgie qui permet de soigner la dysphorie de genre. Depuis 2021, quand l’Etat d’Arkansas a légiféré pour limiter l’accès des enfants à ces soins, de nombreux autres Etats ont imité cet exemple, soit par des lois, soit par des ordres exécutifs. Dans un grand nombre de cas, l’action de ces lois est actuellement entravée par des contestations judiciaires, tandis que l’État fédéral, résolument pro-trans, essaie de contrer ces mesures. Le site pro-trans, Trans Legislation Tracker, qui dénombre tous les projets de lois en cours et toutes les lois qui restreignent l’accès aux soins ou à des espaces et aux compétitions sportives normalement réservées aux femmes, a repéré 174 projets de loi en 2022, dont 26 ont été promulgués. Dans le langage hyperbolique caractéristique des militants du genre, le site décrit cette législation comme une manière de priver les trans du « droit d’exister publiquement ». Le problème ne se résume pas au choix entre « les trans OU les armes à feu », mais s’étend au danger potentiel que représentent « des trans AVEC des armes à feu », enflammés par cette rhétorique incendiaire des militants.

Le grand soir arrive-t-il ?

Quelques heures à peine après le massacre, Josselyn Berry, l’attachée de presse de la gouverneure démocrate de l’Arizona, Katie Hobbs, a tweeté le GIF d’une femme tenant deux pistolets (il s’agit de Gena Rowlands dans le film Gloria de John Cassavetes de 1980) avec la légende : « C’est nous quand on voit des transphobes ».

Capture d’écran d’un tweet aujourd’hui supprimé reproduite par The Daily Mail

Suite au tollé provoqué, Berry a dû démissionner, mais l’exemple montre clairement les dangers de cette tendance hyperbolique chez les pro-trans. Où est la ligne de démarcation entre une « façon de parler » et une véritable incitation à la violence ? L’idée d’un « grand soir » où des trans armés se vengeraient de la société qui apparemment les persécute est suggérée par un événement portant le titre « Le jour de la vengeance trans » (Trans Day of Vengeance). Co-organisé par un collectif appelé « TRAN », autrement dit le « Trans Radical Activist Network », il devait avoir lieu samedi 1 avril et réunir des manifestants devant la Cour suprême à Washington. La semaine du 25 au 31 mars a été la « Trans Week of Visibility » (la Semaine de la visibilité trans) et le 31 mars le « Trans Day of Visibility ». La décision d’ajouter un jour de protestation et de remplacer la notion de visibilité par celle de vengeance semble irresponsable.

L’affiche mise en ligne pour annoncer « Le jour de la vengeance trans », le premier avril.

La page sur le site de TRAN qui annonce l’événement justifie le mot « vengeance » par les « quantités astronomiques de haine » dont les trans font l’objet et qui ont une incidence négative sur leur santé mentale. Niant tout désir de recourir à la violence dans cette protestation, la déclaration reste ambiguë, incorporant une citation de la militante trans, Sylvia Rivera, témoin des émeutes de Stonewall en 1969 : « Je me souviens : quelqu’un a jeté un cocktail Molotov, et je me suis dit, « Mon Dieu, la révolution est arrivée » ».

Suite à l’acte de Hale, les médias ont vivement critiqué la décision d’organiser un tel événement. Après avoir voulu obstinément maintenir l’événement, TRAN l’a finalement annulé le 31 mars. Le risque de dérapages violents a été suggéré par un autre événement organisé par la section de TRAN dans l’Etat de Virginie. Il s’agit d’une fête le 7 mars qui avait apparemment pour objectif de lever des fonds afin de subventionner des formations des trans au maniement des armes et à l’autodéfense.

Capture d’écran d’un tweet aujourd’hui supprimé reproduite dans The Daily Mail .

Aussi inflammatoire est la référence constante de ces militants à un « génocide » que la société est en train de perpétrer à l’égard des trans. L’affiche pour le « Le jour de la vengeance trans » enjoint à son public de mettre fin au « génocide des trans ». @OurRightsDC, un autre groupe derrière l’événement, a annoncé l’annulation dans un tweet qui explique que « des individus qui n’avaient rien à voir avec cet acte atroce [la tuerie de Nashville] ont fait l’objet de menaces très sérieuses et sont tenus pour responsables. Cela constitue une des étapes d’un génocide ». Il est évident que la notion d’un « génocide anti-trans », souvent justifiée par le prétexte d’éventuelles « détransitions » que les autorités s’apprêteraient à imposer aux trans, constitue, plus qu’une surenchère rhétorique, un mensonge abusif. Mais l’équation est évidente : puisqu’il y a un génocide, une vengeance – quelle que soit sa forme – est justifiée. Le risque d’une confusion entre une hyperbole et le passage à l’acte est clair.

La magie d’une formule

Le côté accrocheur de cette formule, « Trans Day of Vengeance », tellement plus entraînante qu’un simple « Day of Visibility », est évident. L’expression elle-même remonte à un EP par un groupe trans, G.L.O.S.S. (acronyme pour « Girls Living Outside Society’s Shit ») sorti en 2016 et acclamé par la critique spécialisée dans le genre hardcore punk. Le EP comporte non seulement une chanson éponyme, mais aussi un numéro qui renverse la fameuse injonction de John Lennon, « Give peace a chance » (Donnez une chance à la paix), puisqu’ici il s’agit de « Give violence a chance » (Donnez une chance à la violence). Combien de personnes trans ont écouté ces chansons en imaginant – certes, peut-être seulement dans leur esprit – une traduction de ces paroles en actes ? Apparemment, plus qu’on ne pense. Dans la foulée de l’annonce du crime de Hale, des tweets par des militants trans ont suggéré qu’ils étaient déjà armés et prêts à en découdre. Un compte, @TNDtracker, qui a été suspendu depuis, a posté un mème représentant, apparemment une femme trans armée d’un fusil d’assaut, au-dessus d’une légende poussant à l’assassinat violent des « christcucks », un terme péjoratif pour « chrétiens ». On se souviendra que la tuerie perpétrée par Hale a eu lieu dans une école chrétienne.

Capture d’écran d’un tweet aujourd’hui supprimé reproduite dans The Daily Mail


Une militante transgenre, Kayla (autrefois Adam) Denker, un ancien soldat selon The Daily Mail, a posté une vidéo après le massacre où « elle » charge un fusil d’assaut.

Dans d’autres tweets supprimés depuis, des personnes apparemment trans arborant des armes, affichent leur solidarité avec Hale. Dans l’un d’entre eux, Hale est présentée comme « un martyr » aux mains des « bigots chrétiens » qui « commettent un génocide » contre les trans qui ne feront preuve d’« aucune merci » à leur égard.

Capture d’écran d’un tweet aujourd’hui supprimé reproduite dans The Daily Mail


En plus des chansons de G.L.O.S.S., une imagerie violente est très présente chez les trans aux Etats-Unis. Des T-shirts montrant des armes à feu avec le slogan, « Trans rights… or else » (Des droits pour les trans… sinon) étaient vendus sur le site américain Amazon jusqu’à ce que des protestations suivant le massacre de Nashville n’entraînent leur suppression.

T-shirts qui se vendaient sur la plateforme d’Amazon aux Etats-Unis

Quand on pense maintenant au caractère ultraviolent des menaces contre une J.K. Rowling, peut-on être sûr qu’il s’agit de paroles en l’air ?

Souffrir le martyr

La fréquence chez les trans de cette imagerie quasi-apocalyptique correspond à une forme du complexe de martyr encouragé par les militants. Dans un article pour le média en ligne britannique, Unherd, Eliza Mondegreen propose une analyse très fine de ce phénomène et des risques qu’il présente : « Quand une communauté transforme le martyr en une mythologie, cette communauté va recruter des martyrs ». Car l’imaginaire violent chez les trans balance entre automutilation et suicide, d’un côté, et révolte armée de l’autre. Les idéologues et promoteurs du mouvement trans entretiennent un climat de peur où le transgenre lambda est facile à manipuler. Ce dernier est encouragé à démontrer son engagement dans la cause par la violence, qu’elle soit dirigée vers autrui ou soi-même. A cet égard, un tweet datant de février est typique, annonçant « plutôt la mort que la détransition ». L’ambiguïté est savamment cultivée entre le suicide et le meurtre.

« Vous serez noyé dans notre sang avant que nous ne renoncions à notre autonomie corporelle. Plutôt la mort que la détransition ».

Après la tuerie de Nashville, Twitter aurait supprimé plus de 5000 tweets au sujet du « Jour de la vengeance trans ». Combien de ces posts véhiculaient cette imagerie violente ?

Sur Fox News, le 28 mars, Andy Ngo a évoqué la fragilité mentale de beaucoup de trans – c’est certain dans le cas d’Audrey Hale – ce qui les rend plus ouverts à des suggestions conduisant aux passages à l’acte. Il a détecté aussi une présence importante des militants violents Antifa dans les rangs du mouvement trans: « un pourcentage disproportionné des membres des Antifa violents sont des trans ». C’est encore un facteur qui peut conduire à la radicalisation violente. Sommes-nous vraiment à la veille d’une véritable insurrection armée ? Certains massacres – en plus de celui de Nashville – ont été commis par des personnes trans : une fusillade dans une école à Denver, au Colorado, en mai 2019, et une autre à Aberdeen dans l’état de Maryland, en septembre 2018. Mais ces actes semblent relever plutôt de la fragilité mentale que d’un programme politique clairement défini. Le vrai problème, c’est que toute cette imagerie de génocide, de vengeance, de martyr et d’armes à feu peut influencer facilement une personne dans un état de détresse psychologique. Il suffit qu’une seule personne instable passe à l’acte pour qu’il y ait un massacre. Combien de jours de vengeance pareils nous attendent ?

Foot memories

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D.R.

Un livre récent de Richard Coudrais et Bruno Colombari revient sur la Coupe du Monde de 1982 où des Français romantiques perdirent contre ce qui était encore la RFA.


Alors qu’une Coupe du monde se profilait, Richard Coudrais et Bruno Colombari revenaient quarante ans en arrière et publiaient l’automne dernier un ouvrage chez Solar sur l’édition 1982, sous-titré La Coupe d’un monde nouveau. Le premier anime le site Le Footichiste, le deuxième est rédacteur en chef du site Chroniques bleues. Pendant l’année des deux confinements, les décès de Michel Hidalgo, de Paolo Rossi et de Diego Maradona les plongent dans la nostalgie et les décident à revenir sur l’épopée d’España 82. Les auteurs ne négligent aucun aspect : les maillots, les ballons, la mascotte, les modes de consommation du football, le contexte international et la variété des climats espagnols.    

De 16 à 24 équipes

1982. La guerre froide n’en a plus que pour sept ans. On pourrait s’imaginer en connaissant la fin de l’histoire que l’affrontement entre les deux blocs s’essouffle et que l’on est sur le point de connaitre un dénouement heureux. Pourtant, avec la crise des Pershing, l’Europe vit au début des années 80 un dernier moment de tensions aigues avant l’effondrement du rideau de fer. Coincée entre les Jeux olympiques de Moscou 1980 et les Jeux de Los Angeles de 1984, la Coupe du monde espagnole échappe aux menaces de boycott, peut-être parce qu’en ce temps-là, les Etats-Unis n’en ont pas grand-chose à faire du soccer. Le football est à cette époque d’abord une affaire européenne et latino-américaine, même si en passant de 16 à 24 équipes, la Coupe du monde s’élargit et voit de nouvelles sélections s’inviter: l’Algérie, le Cameroun, le Koweït, la Nouvelle-Zélande. Pour autant, le football n’est pas encore le jeu archi-mondialisé qu’il est devenu. Les joueurs jouent pour l’essentiel dans leur pays.


L’arrêt Bosman n’existe pas encore ; les pays de l’Est empêchent le départ de leurs joueurs avant leurs 30 ans. Le Polonais Zbigniew Boniek (seulement âgé de 26 ans mais qui a obtenu une dérogation) et le Français Michel Platini s’apprêtent à rejoindre la Juventus tandis que Diego Maradona vient de signer au FC Barcelone. Il y a le cas un peu à part d’Osvaldo Ardiles, joueur argentin qui évolue à Londres… alors qu’éclate la guerre des Malouines. En ces temps-là, les Allemands ne jouent pas encore comme des Espagnols et les Français comme des Italiens, les footballs restent marqués par des stéréotypes nationaux prononcés. Interrogé, Richard Coudrais nous précise : « En effet, la majorité des effectifs est composée de joueurs évoluant dans les championnats de leurs pays respectifs. Souvent par choix du sélectionneur car il y avait déjà beaucoup de joueurs sud-américains évoluant dans le championnat d’Espagne, par exemple, ou de Yougoslaves en France et en Allemagne. En sélectionnant les joueurs du pays, les sélectionneurs pouvaient les emmener dans des stages de préparation de longue durée, pouvant aller jusqu’à quatre mois comme avec l’Argentine. C’est au lendemain du Mundial 1982 que les meilleurs joueurs brésiliens et argentins ont commencé à débarquer en Europe, et notamment en Italie qui venait de rouvrir ses frontières et attirait les meilleurs joueurs du monde. Sur ce plan, oui, la Coupe du monde 1982 était encore une Coupe du passé, avec des équipes aux caractéristiques précises. Le basculement a eu lieu plus tard ».

A relire, Philippe David: Michel Hidalgo: une histoire de larmes…

Manquent à l’appel l’Uruguay, le Mexique, le Portugal et surtout les Pays-Bas, finalistes des deux dernières éditions. L’Espagne, désignée organisatrice de la compétition en 1966, sous le Général Franco, est devenue entre-temps une jeune démocratie, trainant encore une image un peu archaïque et pourtant en pleine Movida. Les clubs espagnols ne sont plus au sommet du football européen depuis un moment, le championnat est dominé par les clubs basques au jeu rugueux.

La sélection accède au second tour malgré un nul contre le Honduras et une défaite contre l’Irlande du Nord. Les quatre équipes qui accèdent aux demi-finales ont elles aussi raté leur entame : la France prend un but dans les premières secondes contre l’Angleterre à Bilbao, la RFA se fait surprendre par l’Algérie à Gijón, la Pologne n’est flamboyante que 20 minutes contre le Pérou et l’Italie s’en sort in extremis après trois piètres matchs nuls.

À la pointe de son attaque, Paolo Rossi, sans rythme et sans match joué pendant deux ans à cause d’une suspension. On ne donne pas cher de la peau de la Squadra quand elle se retrouve au tour suivant dans la poule du Brésil de Zico et de l’Argentine de Maradona. Ce dernier va sentir sur sa nuque le souffle de son adversaire du jour Claudio Gentile le mal nommé, surnommé « le Libyen » (il est né à Tripoli), arborant une moustache épaisse à la Domenech. « Coups de pied dans les tibias, maillot agrippé à pleines mains, coups de coude dans l’estomac, intimidations verbales, tout y passe ». L’Italie l’emporte 2-1.

Ce mondial est riche en matchs et moments cultes : le frère de l’émir du Koweït rentrant sur la pelouse pour faire annuler un but contre la France, les joueurs ouest-allemands et autrichiens levant le pied pour éliminer l’Algérie lors du « match de la honte » (même si les auteurs nuancent l’ampleur de l’ « arrangement »)… Deux matchs surtout vont offrir une totale opposition de style : Brésil-Italie lors de la deuxième phase de poule et France-RFA en demi-finale. Dans le premier cas, les Brésiliens, pas vraiment conscients qu’un match nul leur suffirait, se laissent porter par leur romantisme, et malgré un grand match, perdent finalement 3-2, avec un triplé de Rossi. Les Français, menant 3-1 au tout début des prolongations, se font finalement rejoindre par des Allemands.

france allemagne seville 1982

Cauchemar à Séville

L’image d’Harald Schumacher fonçant en pleine figure de Patrick Battiston et le laissant groggy sans recevoir ne serait-ce qu’un carton jaune est resté dans tous les esprits français. Entre l’équipe du Brésil et celle de France, beaucoup de points communs : deux équipes qui « ont joué dans un esprit offensif quasiment sans filet, persuadé[e]s que la supériorité technique de leur milieu de terrain pouvait masquer l’inefficacité des attaquants, la médiocrité du gardien de but, la détresse des défenseurs parfois livrés à eux-mêmes ». C’est en effet à force de bricolage que Michel Hidalgo est parvenu à trouver la formule de son carré magique : Tigana, Giresse, Genghini, Platini, même si ce dernier, souffrant d’une pubalgie, n’a jamais été au sommet de sa forme durant la compétition. On se dit quand même que si le sélectionneur avait fait jouer le rugueux René Girard, il y avait peut-être moyen d’arrêter Rummenigge à défaut d’abattre Clausewitz. Richard Coudrais nous sort de nos rêveries : « La défaite a été tellement difficile à accepter que l’on a toujours voulu rejouer ce match, refaire son histoire, imaginer un scénario alternatif qui aurait favorisé les Français. Mais les faits sont là : les Allemands ont été les plus forts, ils ont su tirer profit des circonstances alors qu’ils étaient au plus mal. A partir de là, on peut aussi imaginer que quelle que soit la configuration du match, ils auraient fini par l’emporter ».

En finale, on retrouve donc l’Italie et la RFA, deux équipes qui se sont signalées par leur réalisme. En 1982, la série Dallas et le cynisme de J.R. cartonnent et le néo-libéralisme triomphe un peu partout en Occident. Et si ces défaites du Brésil et de la France contre l’Italie et l’Allemagne symbolisaient le basculement des années 80 dans le culte du résultat en lieu et place du romantisme des décennies précédentes ? « Pourquoi pas ? On dit souvent du football qu’il est le miroir de la société, et cet exemple peut en être une illustration. Mais ce n’est pas la première fois que le romantisme se heurte au cynisme en Coupe du monde. En 1974, le football total des Hollandais s’est planté face au rouleau compresseur allemand. 20 ans plus tôt, en 1954, c’est la merveilleuse équipe de Hongrie qui se rate également contre les Allemands ». Les Italiens l’emportent (3-1). Si les Français avaient accédé à la finale, auraient-ils pu rivaliser contre le réalisme transalpin ? « Le football fiction ouvre la voie à tous les scénarios possibles. On peut penser que la fatigue aurait handicapé les Français s’ils avaient joué la finale contre les Italiens. Mais sur le plan tactique, Hidalgo avait le goût de l’audace contrairement au conservateur Bearzot. Cela aurait pu être payant. Mais on peut inventer toutes les histoires que l’on veut, on n’enlèvera jamais leur titre mondial aux Italiens ».

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Histoire de Pomme

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Isabelle Hupert dans "La dentellière" © NANA PRODUCTIONS/SIPA

En 1977, Claude Goretta adoptait La Dentelière de Pascal Lainé. Rarement visible à la télévision, Arte a la bonne idée de proposer au spectateur ce film subtil sur la lutte des classes avec Isabelle Huppert au sommet de son art.


En ce début de printemps, Arte nous fait encore un beau cadeau : la diffusion de La Dentellière de Claude Goretta, film de 1977 d’après le roman éponyme de Pascal Lainé, qui obtint le prix Goncourt en 1974. Et La Dentellière, c’est bien sûr le premier grand rôle d’Isabelle Huppert au cinéma. Est-il besoin de préciser qu’elle est déjà magistrale ?

C’est l’histoire de Pomme, une petite shampouineuse de dix-neuf ans, qui semble traverser la vie en s’excusant.  Les objets sont ses amis, les humains, elle les observe. Elle rencontre sur la côte normande un jeune étudiant en Lettres, issu d’une famille de hobereaux du coin. On ne sait s’ils s’éprennent vraiment l’un de l’autre, mais ils emménagent ensemble à Paris. Cependant, l’étudiant finit par avoir un peu honte de sa shampouineuse inculte – qui ignore la signification du mot « dialectique »- et finit par la congédier. 

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Pomme tombe malade, très malade. Le dernier plan du film la montre dans un hôpital psychiatrique en train de tricoter, se balançant sur sa chaise comme une petite vieille, qu’elle est déjà devenue. « Il sera passé à côté d’elle, juste à côté d’elle sans la voir, car elle était de ces âmes qui ne font aucun signe, mais qu’il faut patiemment interroger, sur lesquelles il faut savoir poser le regard. Un peintre en aurait fait autrefois le sujet d’un tableau de genre. » Telle est la dernière phrase du roman citée en générique de fin. 

Luttes des classes, mais pas seulement…

Évidemment, ce film a donné lieu à nombre d’analyses marxistes : Pomme la shampouineuse et l’étudiant en Lettres, c’est la lutte des classes en action. Cette lecture n’épuise pourtant pas la beauté du film. Claude Goretta, le réalisateur du film, était, avec Alain Tanner, le chef de file du nouveau cinéma suisse dans les années 70. Il réalisa notamment pendant quinze ans, pour la télévision suisse romande, des portraits très sensibles, dans une veine naturaliste, comme savent si bien le faire les cinéastes anglais.  On pourra penser à Ken Loach, avant qu’il ne s’enferme dans une vision misérabiliste systématique de ses personnages. Goretta savait capter à merveille, avec une infinie délicatesse, l’âme des « petites gens » telle cette femme de pêcheur breton, ou cette mère de famille nombreuse dans un HLM de Nanterre. Et cela vaut tous les discours marxistes de la terre. Et c’est par pudeur, car il lui semblait que sa caméra devenait intrusive, qu’il décida de réaliser des portraits de fiction. 

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Il s’est donc emparé de la Dentellière, comme aurait pu le faire ce peintre d’autrefois, qu’évoque Pascal Lainé à la fin de son roman. Pomme est l’astre discret, la petite étoile presque éteinte, autour de laquelle tournent les autres personnages. Il y a Marylène, sa patronne au salon de coiffure, interprétée par cette actrice si emblématique des années 70, qu’est Florence Giorgetti. Elle a cette sensualité, cette liberté innée de certaines actrices de l’époque. Marylène semble croquer la vie, à l’inverse de Pomme, mais elle est foncièrement triste, éternelle maîtresse d’hommes mariés. 

Et puis il y a François, le « fiancé » de Pomme, toujours vêtu de noir comme un oiseau de mauvais augure, dont on comprend qu’il est avant tout un homme faible, car il décide de se séparer de Pomme lorsqu’il s’apperçoit que celle-ci déplaît fortement à sa mère : « Elle a l’air honnête » dit-elle, avec un fond de mépris… Et enfin, la mère de Pomme, que l’on voit peu, mais dont on comprend qu’elle est de la même race que sa fille: de ces femmes que la vie a oubliées. 

Un prénom qu’on n’entend pas

La caméra de Goretta est focalisée sur Pomme, à l’affût de ses moindres gestes, qui parlent pour elle, car les mots semblent lui échapper ou ne pas l’intéresser. On devine sa gourmandise lorsqu’elle lèche un saladier de mousse au chocolat, la nourriture semble être son unique réconfort. Elle exprime sa sensualité à travers le linge qu’elle plie amoureusement, pour faire plaisir à son étudiant, elle repeint le studio en blanc, lave soigneusement les tasses du petit déjeuner pendant que celui-ci dort dans les draps qu’elle a dû repasser. Pomme se rattache au concret. 

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C’est avec beaucoup de finesse que le cinéaste signifie que son personnage ne peut s’incarner au travers des mots, et qu’elle finira par s’effacer totalement. Lors de la rencontre avec l’étudiant, lorsque celui-ci lui demande son prénom, on ne l’entend pas le prononcer, et s’ensuivra un fondu au noir, qui préfigure déjà la fin. 

La dentellière disponible jusqu’au 13 mai 2023 sur Arte.

Guillaume Peltier rejoint le NPA

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Ancien numéro 2 des Républicains, Guillaume Peltier est désormais Vice-Président de "Reconquête", le parti d'Eric Zemmour. Chaumont-sur-Tharonne (41), 28 janvier 2022 © Jacques Witt/SIPA

La rumeur commençait à circuler ces derniers jours. Guillaume Peltier, 46 ans, député LR de 2017 à 2022, l’a officialisé aujourd’hui: il rejoint le Nouveau Parti anticapitaliste. « Ça n’était plus tenable, il fallait que je me mette en conformité avec moi-même », aurait-il confié à ses proches.

Il avait démarré sa carrière au FN de Jean-Marie Le Pen, puis avait rejoint le MNR de Bruno Mégret, puis le MPF de Philippe de Villiers. Plus jeune, il avait même lancé Jeunesse Action Chrétienne, proche du mouvement Ichtus (« poisson » en grec ancien), mouvement catholique très conservateur. En 2009, il avait adhéré à l’UMP. Toujours en quête de radicalité, Guillaume Peltier se questionnait déjà durant la dernière campagne présidentielle: « le discours d’Eric Zemmour m’avait séduit mais je n’étais pas insensible à la campagne de Philippe Poutou ».

Un questionnement qui ne date pas tout à fait d’aujourd’hui. En 2006, Libération rapportait ainsi: « Au départ, j’étais plutôt attiré par la gauche de la gauche ». Déjà, il trouvait génial le slogan de la Ligue Communiste Révolutionnaire (ancêtre du NPA): « Nos vies valent plus que leurs profits ». Plus récemment, la relecture d’Etienne Cabet le convainc: « Oui, le Christ est bien le prolétaire de Nazareth. Il faut reprendre le combat ».

Guillaume Peltier n’a pas pour autant décidé de renoncer à tout ce qui l’a construit jusque-là: « Je continue d’être blanc, je continue d’être chrétien, je continue d’être hétérosexuel. Par contre, je vais peut-être investir dans une pompe à chaleur ». Au sein du NPA, parti qui a perdu tout élan depuis l’apparition du Font de Gauche, cette nouvelle adhésion suscite un peu d’embarras mais aussi l’espoir de créer un nouvel élan. Quelques militants, inquiets que le parti ne fasse plus parler de lui depuis le passage d’Olivier Besancenot sur le canapé de Michel Drucker, voient l’arrivée de cette recrue d’un bon œil : « D’accord, son parcours est problématique… Mais après tout, si sa conversion est sincère. Vous savez, tracter, coller, pour faire 1%, ce n’est pas évident », nous confie un militant de terrain. Caroline Fourest annonce pourtant de futures « trahisons »: « Il a trahi Eric Zemmour comme il a trahi tous les autres. Il trahira Philippe Poutou à son tour… » 🐟

Aux urnes Parisiens!

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Paris, mars 2023 © MARIO FOURMY/SIPA

Ce dimanche 2 avril, les Parisiens sont appelés à se prononcer pour ou contre les trottinettes électriques qui pourrissent leur quotidien. Et le pire, c’est que le «oui» pourrait l’emporter.


Alors que les habitants de certains arrondissements pataugent encore dans les ordures entassées par un maire de Paris atteint du syndrome de Diogène, alors que les rues de la capitale sont abandonnées chaque semaine à des meutes de jeunes assoiffés de dévastation et de pillage, quelle sortie nous propose de faire Anne Hidalgo en ce premier dimanche d’avril ? D’aller voter ! Ainsi l’Hôtel de Ville nous offre-t-il une « votation pour ou contre les trottinettes en libre-service ». Il est vrai que ça ne tombe pas au meilleur moment et que ça ne fait pas très plaisir de jouer le jeu de la municipalité, mais l’heure est si grave, qu’il faut accepter de le jouer.  

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Black blocks ou pas, l’espace public parisien connaît un tel abandon, une telle anarchie, qu’il est nécessaire de saisir l’arme que nous tend la Mairie pour l’enrayer – un peu. Voter contre les trottinettes électriques en libre-service ne ramènera pas la civilisation dans nos rues mais permettra d’amoindrir l’anomie qui régit la capitale depuis l’accession au pouvoir de Mme Hidalgo. Les trottinettes blessent et tuent. Avec les vélos, elles sont à l’origine de centaines d’accidents chaque année, sur la chaussée comme sur les trottoirs. Que quelques enfants attardés mais dument casqués et assurés s’achètent un engin électrique ne gêne pas la collectivité, rien ni la loi ne les y en empêche. Mais que la Ville, par l’intermédiaire de sociétés privées, cautionne et encadre ce dangereux moyen de locomotion – au nom de cette si tendre « mobilité douce » – est inacceptable.

Mme Hidalgo aurait pu d’autorité – elle n’en manque pas, et en a le pouvoir – mettre fin aux concessions allouées à ces opérateurs de vilains deux-roues. Elle ne s’est pas gênée de le faire à l’été 2018 lorsqu’elle a voulu éradiquer les Autolib’ de la capitale. Ces voitures électriques en libre-service étaient un succès technique et populaire. C’est peut-être pour ça que Madame n’en voulait plus – de la même façon, elle a supprimé les Vélib’. Mais l’héritière de Bertrand Delanoë a peur de s’attaquer aux trottinettes. C’est cool une trottinette, ça fait d’jeunes. Aussi nous demande-t-elle de faire le sale boulot à sa place et de voter contre. Eh bien là, pour une fois, je l’avoue, j’accepte de faire ce qu’elle me dit : dimanche, j’irai voter contre !

A relire, du même auteur: Anne Hidalgo, un bulldozer contre les voitures

Il est urgent de transmettre le message, car, comme par hasard, concernant cette votation, la mairie de Paris ne communique pas beaucoup. Quelques affiches dans les rues, quelques petites phrases lâchées ici ou là… voilà à quoi se résume le plan comm’. Dans une boîte privée, les 400 personnes responsables de la communication d’Anne Hidalgo seraient déjà débarquées, d’autant que la patronne l’a dit: elle votera contre, mais personne le sait ! D’autant que dans le camp d’en face, on a sorti les grands moyens. Les opérateurs sur la sellette n’ont pas caché avoir graissé la patte des plusieurs « influenceurs » pour marteler à leurs millions de jeunes décérébrés de « followers » sur TikTok et Instagram que dimanche, il faut voter « oui » ! Voilà dans quelles mains se trouve le sort de Paris. C’est pourquoi il est impératif d’aller voter, avant ou après le gigot dominical. Les bureaux seront ouverts dans chaque mairie d’arrondissement, de 9h à 19h.

Et parce qu’il est bon de rêver, rêvons. Les Parisiens pourraient être inspirés par le procès en légitimité qui est actuellement fait à Emmanuel Macron. En proportion, la maire de Paris a été réélue avec beaucoup moins de voix que le chef de l’État. À quand une votation pour ou contre Hidalgo ?

Toutes les infos sur la tenue de la votation sur www.paris.fr

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Ambroise Thomas, l’académisme a un avenir

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"Portrait d'Ambroise Thomas", Marcel Baschet, 1895. ©Wikimédia

La renommée d’Ambroise Thomas s’est éteinte avec lui en 1896. Ce compositeur a pourtant été une figure emblématique de la seconde moitié du XIXe siècle, un artiste adulé par ses pairs les plus illustres et un créateur plébiscité par le grand public. La postérité lui offre un hommage tardif.


Les exégètes se refilent la boutade de Chabrier : « Il y a deux espèces de musique, la bonne et la mauvaise. Et puis il y a la musique d’Ambroise Thomas. » Étrange destin que celui de ce compositeur adulé en son temps comme LA figure majeure de l’art musical français avant d’être effacé, sitôt mort, du panthéon de nos gloires. Qui se souvient encore de cet homme dont Théophile Gautier disait que « personne ne manie l’orchestre avec autant d’élégance et de sûreté », dont Berlioz vantait la patte « alerte, piquante, toujours distinguée, écrite partout avec goût et savoir », et dont Massenet a prononcé l’éloge funèbre lors des obsèques nationales que la République lui a réservées en 1896 !

Dès le seuil de la Belle Époque, Thomas glisse dans l’oubli. Le XXe siècle juge son langage musical conformiste, passé de mode, académique, et il faut attendre le tournant du millénaire pour commencer à rendre justice à cet infatigable créateur lyrique. C’est un curieux bonhomme : les élèves du conservatoire surnomment leur directeur « M. de Sombre Accueil » ou le « Chevalier de la Sombre Figure ». Il attend l’âge de 67 ans pour se marier à Elvire Remaury qui n’en a que… 51. Ses convictions religieuses ? Mystère. C’est un type discret, réservé, rêveur, fidèle en amitié, intime de deux des plus grands peintres de son temps : Ingres et Hippolyte Flandrin, son « plus inséparable compagnon » – qui nous a laissé de lui quelques portraits. On y voit un barbu sévère qui, dans son âge avancé, ressemble vaguement à Verdi, il a l’allure d’un grand bourgeois vêtu de noir et la Grand-Croix de la Légion d’honneur miroite sur la redingote. Amateur de cigares et plus encore amateur d’art, ardent défenseur du « génie latin » contre l’invasion du « germanisme », ce solitaire érudit partage sa vie entre Paris et ses propriétés acquises au fil des ans : à Argenteuil, à Hyères, mais surtout en Bretagne, où il aménage un château sur l’île Illiec (Côtes-d’Armor). L’île sera ensuite rachetée par Lindbergh, l’aviateur.

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L’artiste, né à Metz en 1811, quitte sa Lorraine natale pour Paris en 1827. Un départ vécu comme un exil. Reçu l’année suivante au conservatoire, Ambroise attend 1832 pour remporter le premier grand prix de Rome : le voilà pensionnaire de la Villa Médicis. Il séjourne dans la capitale des États de l’Église jusqu’en 1836. Le svelte jeune homme « aux manières élégantes et polies », dixit le mémorialiste Léon Escudier, est très demandé dans l’aristocratie romaine : il est bon pianiste et sa voix de ténor enchante. Soutenu par Auber, parrainé par Berlioz (« de la grâce, du feu, beaucoup de tact ! »), il rentre à Paris. Là, il enchaîne les compositions et participe de façon très active à la vie musicale jusqu’à la révolution de 1848 où, soldat de la garde nationale, il démantèle les barricades tout en écrivant un opéra-bouffe, Le Caïd, premier succès, et Le Songe d’une nuit d’été, « fantaisie dramatique ». À l’aube du Second Empire, Ambroise Thomas gagne sa place sur le podium des compositeurs et un fauteuil à l’Institut. Professeur très sollicité, il a même ses entrées chez l’empereur, à Compiègne. C’est le temps du scandale de Tannhäuser (Wagner, 1861, trois représentations rue Le Peletier, sous les huées !), mais aussi de la création (mutilée) des Troyens de Berlioz (1863). Contrastant avec cette musique « nouvelle », celle de Thomas, à l’instar d’Auber ou de Meyerbeer, assume une tradition formelle et incroyablement féconde : La Double Échelle, Raymond ou le Secret de la reine, La Tonelli, La Cour de Célimène, Psyché, Le Carnaval de Venise, Le Roman d’Elvire… (et la liste est encore longue) jusqu’à Mignon (1866), qui a longtemps été l’opéra-comique préféré des Français, puis Hamlet (1868). C’est à ces deux partitions lyriques que la postérité accorde désormais un hommage tardif ! Encore ces chefs-d’œuvre éclipsent-ils quantité d’autres pièces : messes, cantates, morceaux pour orgue, pour piano… Si Ambroise Thomas n’a jamais couché la moindre symphonie, c’est tout de même lui qui tient les cordons du poêle aux obsèques de Berlioz, en 1869. Lorsque vient son tour de paraître devant Dieu, à l’âge de 84 ans, Thomas a remporté un ultime triomphe avec l’opéra Françoise de Rimini. Pour son service funèbre, on exécute son Requiem. Le purgatoire commence.

L’opportunité de redécouvrir Hamlet a déjà été donnée l’an passé par l’Opéra-Comique[1], reprise d’une production de 2008, dans une mise en scène pas inoubliable de Louis Langrée. Mais le spectacle était admirablement chanté par Stéphane Degout (Hamlet), Sabine Devieilhe (Ophélie) et la mezzo Lucile Richardot, sublime dans le rôle de Gertrude, la génitrice d’Hamlet adultère et régicide. Sur un livret signé Carré et Barbier, duo de « paroliers » le plus demandé de l’époque, les volutes virtuoses de la mélodie sont un must de cet Hamlet intime (qui laisse le héros en vie, et couronné). Ambroise Thomas a mis huit ans à composer le chant du cygne du grand répertoire classique français, il a aussi été le premier au monde à y introduire un solo de saxophone, la nouvelle invention d’Adolphe Sax (1814-1894) !

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L’Opéra Bastille en propose ce mois-ci une nouvelle production extrêmement attendue, avec une mise en scène du Polonais Krzysztof Warlikowski (on se souvient de sa sublime Lady Macbeth de Mzensk en 2019). Et la distribution est, là encore, à la hauteur : notre Ludovic Tézier national, Lisette Oropesa et Brenda Rae en alternance, Ève-Maud Hubeaux… Au pupitre, le chef allemand Thomas Hengelbrock, habitué de l’orchestre de l’Opéra de Paris. Académisme, quand tu nous tiens !

À voir

Hamlet, opéra en cinq actes d’Ambroise Thomas (1868), à l’Opéra Bastille les 11, 14, 17, 21, 24, 27 mars et 5, 9 avril à 19 h 30. Le 2 avril à 14 h 30.


[1] Lire Julien San Frax, Hamlet, un espace mental ?, causeur.fr [NDLR].

Place de la Madeleine

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À gauche, « Une très jolie peau et des dents extrêmement blanches. » (Céleste Albaret, entretien avec Georges Belmont). A droite, « J'avais entendu parler du célèbre plat de Maurice McDonald... » (Le Côté de Gourmande, inédit). ©MarkCrick/Baker Street

L’art du pastiche nécessite une certaine dose d’intelligence, d’humilité, de sensibilité… et d’humour. Il n’en faut pas moins pour savoir emprunter le style d’un illustre aîné. Treize auteurs se plient à l’exercice dans La Madeleine de Proust: pastiches. Et c’est savoureux.


La Madeleine de Proust : pastiches rassemble des auteurs talentueux[1], des illustrations parfaites (dessins originaux de Mark Crick) et d’exquises recettes offertes par le Relais Bernard Loiseau : simples (bœuf bourguignon), frottées d’une saveur luxueuse (asperges à la vinaigrette de truffes) ou savamment élaborées (rouget poêlé, sauce au foie et artichauts poivrade). Treize écrivains, communiant devant « l’édifice immense du souvenir » dont la première pierre est une modeste madeleine[2], ont obéi à la discipline du pastiche, de la composition « à la manière de » à laquelle se pliait si volontiers Monsieur Marcel.

McDo chez la duchesse 

René de Ceccatty donne la parole à Marguerite Duras : très irritée contre sa mère, elle évoque comiquement un « précipité » de chutes de ciambelline (beignets) dans une tasse de thé ! Thierry Maugenest révèle un épisode ignoré des biographes : « Cette année-là, la duchesse de Guermantes avait engagé Maurice McDonald, un modeste cuisinier tout juste débarqué des Amériques » ! Jérôme Bastianelli rapporte l’embarras de Marcel, invité d’honneur à un dîner chez Mme Verdurin : en le pressant de mordre dans l’une des madeleines sorties du four qu’elle lui présente, la dame espère, et tous les convives avec elle, le renouvellement du miracle qui s’était produit grâce à ce gâteau. Or, Marcel, devant ce tribunal mondain, et après avoir croqué la friandise tiède et ventrue, se remémore une scène cruelle, son humiliation publique par un instituteur. Que faire ? Pour ne pas froisser son hôtesse, il invente de cocasses surgissements de souvenirs : Françoise « en train de déplumer vigoureusement un poulet », un exemplaire des Malheurs de Sophie introuvable car dérobé par son oncle « qui voulait en profiter en cachette »… L’auditoire est comblé et Mme Verdurin peut féliciter son « petit Marcel » qui « ne nous déçoit jamais ».

Les Fenouillard aux Caraïbes

Céline Malraux nous transporte sur un rivage caribéen. Le narrateur y voit s’installer une famille au complet : Agénor et Léocadie Fenouillard et leurs deux filles, Artémise et Cunégonde. Touristes envahissants, bruyants, ils ont payé par avance une liste de plaisirs dont ils entendent profiter sur leurs transats. Ce narrateur n’est autre que l’auteur de La Famille Fenouillard, Georges Colomb (1856-1945), dit Christophe, précurseur de la bande dessinée (le sapeur Camember, le savant Cosinus, Plick et Plock) qui a été enseignant en sciences naturelles au lycée Condorcet, à Paris. Il a eu pour élève un certain Marcel Proust.

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Perruches inséparables

Quand ils se croisent une première fois à l’un des mercredis de Mme Arman de Caillavet, en 1895, Marcel Proust est un jeune homme et Colette est la jeune épouse d’Henry Gauthier-Villars, dit Willy. Les manières de Marcel déplaisent à la jeune femme venue de sa belle province – par la suite, heureusement, elle changera d’opinion. Elle est témoin, chez Mme de Caillavet, d’une scène fort gênante dont elle rend compte dans Mes Cahiers, ce qui donne à Alain Malraux l’occasion de pratiquer l’art du portrait où il excelle. Nous lisons une lettre de Proust à Lucien Daudet dans laquelle Colette est à présent baronne Henry de Jouvenel « et dit-on un peu partout, même mère de famille… tout en réprimant des gloussements émis en direction de la coulisse[3] ». À cet instant, l’auteur de la lettre, revenant des années en arrière, rend compte de l’épisode « Caillavet », lorsqu’il s’était rendu à une soirée de la baronne où se trouvait son ami, le pianiste et compositeur Reynaldo Hahn. Ils prennent congé mais, dehors, Marcel s’aperçoit qu’il a oublié un livre. Il sonne et attend. À travers la porte, lui parvient la voix courroucée de « Mme Arman » qui parle d’eux, de leur « allure de jumeaux tendres !… Perruches inséparables… c’est de l’affichage ! » Lorsque la porte s’ouvre enfin, il voit des invités consternés, dont Colette au « long regard de chat, me faisant saisir qu’elle ne partageait pas cette malveillance à notre égard ».

Qui aime bien pastiche bien

On ne pastiche bien que si l’on aime. Il faut dans le pastiche un air de reconnaissance et d’admiration : le pasticheur ne réduit pas sa composition à un alignement militaire de « trucs » empruntés au maître, dont il est le serviteur. Il ne doit pas se montrer comme un brutal voleur de procédé, mais bien comme un gentleman cambrioleur qui choisit ses prélèvements et abandonne, en partant, sa carte de visite.

Avec cela, il développe une sensibilité singulière aux œuvres qui relève de la sonorité, si l’on en croit Marcel Proust lui-même : « Dès que je lisais un auteur, je distinguais bien vite sous les paroles l’air de la chanson qui en chaque auteur est différent de ce qu’il est chez tous les autres. J’avais cette oreille plus fine et plus juste que bien d’autres, ce qui m’a permis de faire des pastiches, car chez les écrivains, quand on tient l’air, les paroles viennent bien vite » (Contre Sainte-Beuve).

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Cependant, si l’on pastiche avec le cœur et avec les oreilles, on pastiche assurément avec la tête, et même avec deux têtes : celle du pastiché et celle du pasticheur. Ce dernier a trouvé en quelque sorte l’« entrée du fournisseur » qui le conduit à un magasin prodigieux qu’il pille allègrement : on ne lui en tient pas rigueur à la seule condition qu’il restitue avec talent une grande partie du trésor dérobé, dans une forme assez aimable pour nous persuader que, après en avoir pris connaissance, sa victime ne porte pas plainte.

À lire

Collectif, La Madeleine de Proust : pastiches, Baker Street, 2022.


[1] Jérôme Bastianelli, Yannick Boulay, René de Ceccatty, Irène Frain, Stéphane Guégan, Laure Hillerin, Alain Malraux, Céline Malraux, Thierry Maugenest, Philippe Morel, Jean-Marc Proust, Paul Strocmer.

[2] Proust la décrit tel un « petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot » dont la saveur provoque une sorte de commotion qui fait apparaître « l’édifice immense du souvenir ».

[3] Colette, très attentionnée, s’est en effet chargée de déniaiser son beau-fils, Bertrand de Jouvenel.

Tuerie à Nashville: les médias désolés de ne pas avoir désigné l’assassin transgenre par le bon pronom

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Un policier américain devant l'école de la tuerie, Nashville, 27 mars 2023 © John Amis/AP/SIPA

S’il n’y avait pas trois petites victimes de moins de 10 ans et trois adultes abattus à déplorer, on pourrait presque en rire…


« Je m’appelle Joe Biden. Je suis le mari du Dr Jill Biden. Et je mange des glaces de Jeni, aux pépites de chocolat. Je suis venu parce que j’ai entendu dire qu’il y avait des glaces aux pépites de chocolat… » C’est ainsi que Joe Biden, le 27 mars, a débuté son discours, ponctué de rires, alors qu’Audrey Hale venait de tuer trois enfants et trois adultes dans une école à Nashville (Tennessee). Maladroit ! De leur côté, plusieurs médias se sont quasiment repentis d’avoir utilisé le mauvais pronom après avoir appris que Hale se déclarait homme et se présentait comme « Aiden ».

Alors que les conservateurs américains débattent de la folie « trans », les progressistes craignent que tout cela n’occulte le débat sur la vente de fusils d’assaut

Prenant le micro pour s’exprimer à l’occasion du SBA Women’s Business Summit, une rencontre de femmes d’affaires, accueillie par la Maison-Blanche, Biden s’est non seulement amusé en parlant de nourriture, mais a plaisanté en demandant à qui étaient les « beaux gosses » dans la salle avant de finalement dire qu’il tenait à « parler très brièvement de la fusillade », ajoutant : « Cela nous brise le cœur ! » Jour ! nuit ! 

Avec une posture sérieuse et un air préoccupé, le président endeuillé a alors mentionné sa volonté de protéger les écoles et d’interdire les armes d’assaut, avant de parler du sujet de la rencontre et de faire rire le public en mentionnant un congélateur rempli de glaces de Jeni à l’étage qu’il aurait volontiers montré s’il en avait eu la possibilité.

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La plupart des médias n’ont pas mentionné cette intervention dont l’intégralité a été retranscrite sur le site de la Maison-Blanche et qu’a critiquée Sky News Australia, une chaîne qui a fréquemment le toupet de questionner la santé mentale de Biden.


Des médias qui ont peur de faire mauvais genre

Si les médias ont généralement omis de relater ces propos gênants de Biden, plusieurs d’entre eux n’ont pas manqué de faire amende honorable pour s’être trompés de pronom après que la police eut révélé que la meurtrière était en fait un transgenre homme ; ou ont simplement retiré toute mention concernant son sexe.

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Parmi les plus importants, CNN a archivé son premier article intitulé : « Une femme de 28 ans tue trois élèves et trois adultes dans une école chrétienne privée de Nashville, selon la police ». La chaîne de tendance démocrate l’a remplacé par un autre sous un titre étiré : « Le suspect de la fusillade de l’école privée de Nashville avait des cartes du bâtiment et avait repéré un éventuel second lieu d’attaque, selon la police ». Le New York Times a publié un tweet disant : « Il y a eu une confusion ultérieurement, lundi, quant à l’identité de genre de l’assaillant dans la fusillade de Nashville. Les fonctionnaires avaient utilisé « elle » et « elle » pour désigner le suspect, qui, selon un message sur les médias sociaux et un profil LinkedIn, semblait s’identifier comme un homme durant les derniers mois. » Ce message répond à un précédent tweet du journal qui souligne que l’on ne dénombre que peu de femmes tueuses de masse.

Les critiques concernant ces altérations n’ont pas manqué, comme celle de Brittany Hugues, directrice de la rédaction du Media Research Center – un groupe conservateur de veille médiatique -, qui a ainsi répondu au Times en le parodiant sur Twitter : « Je veux bien entendu dire qu’elle a assassiné des enfants, mais la vraie tragédie dans l’affaire est que personne n’a respecté son pénis imaginaire. » Mia Cathell, journaliste pour le site conservateur Townhall, a objecté à USA Today, qui avait pointé l’erreur initiale de la police sur l’identité de genre de Hale : « Nous ne nous préoccupons du mégenrage d’un tireur à l’école qui a assassiné des enfants. Seuls les médias mainstream s’inquiétent des pronoms préférés dans un tel moment ! » Annonçant qu’elle ne présenterait pas d’excuse pour avoir utilisé les pronoms féminins, la journaliste britannique Julia Hartley-Brewer s’est indignée sur TalkTv d’une préoccupation déplacée. « S’inquiéter des sentiments d’une psychopathe qui a tué trois enfants et trois adultes, plutôt que d’être préoccupé par le crime réel commis par cette personne – nous sommes dans un monde fou maintenant, n’est-ce pas ? », a-t-elle objecté.

L’exhortation adressée aux médias par un mouvement trans extrémiste

Le mouvement d’extrême gauche Trans Resistance Network (TRN) a présenté ses « plus sincères condoléances et sincères prières aux familles confrontées à la perte d’être chers », mais a ajouté que « la seconde tragédie, plus complexe, est qu’Aiden ou Audrey Hale, ait pensé qu’il n’avait pas d’autre moyen efficace de se faire entendre que de s’en prendre à la vie des autres, et par conséquence, à lui-même. » Les tweets de ce groupe ne sont visibles que de ceux qui sont autorisés à le consulter, mais il n’a pas contesté la copie du message publiée par le journaliste Andy Ngô le lendemain de la tuerie.

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Sur un ton presque comminatoire, TRN dit rappeler « aux médias de respecter les pronoms auto-attribués des personnes transgenres qui arrivent sur [leurs] bureaux », et les exhorte à identifier Hale selon ses désirs et à ne pas plier devant la droite qui, selon lui, veut terroriser les personnes transgenres et faire avancer un programme pour les éliminer. Et divers médias, comme le Washington Post ou le Boston Globe, ont depuis publié des articles accusant la droite d’exploiter la tuerie de masse contre les personnes transgenres.

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