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« Hamlet », un espace mental ?


« Hamlet », un espace mental ?
Stéphane Degout (Hamlet), Sabine Devieilhe (Ophélie) © Vincent Pontet

Du 24 janvier au 3 février, on donne de nouveau “Hamlet”, l’opéra d’Ambroise Thomas, à l’Opéra comique dans une mise en scène de Cyril Teste


Créé le 9 mars 1868 à l’Opéra de Paris, Hamlet connut un triomphe immédiat. 

Trente-cinq ans avant Pelléas et Mélisande, le chef-d’œuvre de Debussy, ses mélodies comme « entre deux-eaux » en sont pour nous, rétrospectivement, comme l’annonce et la préfiguration. Pourtant, le compositeur Ambroise Thomas, alors âgé de soixante ans (son ami Verdi a deux ans de moins que lui), Grand Prix de Rome, membre de l’Institut, directeur du Conservatoire, premier musicien à se voir élevé au grade de commandeur de la Légion d’honneur, ne passe pas exactement pour un novateur. Il n’est pas innocent qu’à son propos l’on ressorte toujours, telle une antienne, la boutade méchante de Chabrier : « Il y a de la bonne musique. Et puis il y a de la mauvaise. Et puis il y a celle d’Ambroise Thomas »

HAMLET – A l’Opera Comique – Photo : Vincent PONTET

Bref, Thomas, au crépuscule du Second Empire, est une vivante académie. Massenet sera son élève. Deux ans plus tôt, l’opéra-comique Mignon a fait un tabac :  c’est donc sur le tard que l’homme parvient à la gloire. Compositeur laborieux, il n’aura pas mis moins de huit ans à le pondre, son Hamlet ! Des années durant, outre un Requiem, il avait bien publié cantates, mélodies, œuvres pour chœur, mais c’est pour n’atteindre jamais qu’un succès d’estime avec Le Caïd ou Le Songe d’une nuit d’été. Revanche tardive sur Meyerbeer, le pape du grand opéra, disparu en 1864. Hector Berlioz, lui, adore Ambroise Thomas : « De la grâce, du feu, beaucoup de tact ».  

Œuvre convenue ? Pas tout à fait…

Matrice du drame historique, le théâtre shakespearien, remis au goût du jour en France par l’anglophilie romantique, se voit récupéré sous l’étendard hugolien par la doxa républicaine, que raille au demeurant Baudelaire dans un article du Figaro : « Tout ce qu’ils peuvent aimer en littérature a pris la couleur révolutionnaire et philanthropique. Shakespeare est socialiste. Il ne s’en est jamais douté, mais il n’importe ».  C’est, fort heureusement, à bonne distance de cette récupération que nait la partition d’Hamlet. Opéra intimiste et sentimental s’il en est, sur un livret versifié par le tandem d’adaptateurs alors le plus en vue, Jules Barbier et Michel Carré  (Ah, ces vers immortels : « O ciel mon sang se glace !/ Mais que redoutons-nous/ De ceux que nous perdons… »). Livret grâce auquel Hamlet échappe au trépas in fine, contrairement à la pauvre Ophélie. 

A lire aussi, du même auteur: Qui a peur de la musique française?

Aujourd’hui, nos librettistes seraient à coup sûr poursuivis en justice pour trahison de l’original, et perdraient leur procès. Mais le public du siècle industriel était beaucoup moins chatouilleux sur le droit moral des auteurs (On prit soin toutefois de ménager la susceptibilité d’Albion, pour la reprise de l’opéra à Covent Garden, en y faisant trucider Hamlet d’un franc coup d’épée, à l’acte cinq). Œuvre convenue ? Pas tout à fait : au rebours de la tradition, tessiture de baryton et non de ténor pour le rôle d’Hamlet, orchestration sublime, mélodies onctueuses et chatoyantes… Inoubliables, le trio entre Ophélie, la reine et Hamlet à la fin du troisième acte, ou encore le fameux air d’Ophélie, au quatrième acte… Et que dire du chœur final ! Last but not least, c’est la première œuvre au monde (à la suite du Chant sacré pour sextuor à vent, de Berlioz) comportant un solo de saxophone, cet instrument dû à l’invention d’Adolphe Sax (1814-1894), également inventeur du tuba. 

Omicron s’invite dans la distribution

Transposant l’intrigue à l’époque contemporaine (Hamlet en baskets, jeans et manches retroussées, comparses en smoking noir ou en robe de soirée), la mise en scène de Cyril Teste déploie jusque dans les dorures boursouflées de la salle Favart un espace envahi par le cinéma, qui s’émancipe activement du plateau pour décadrer l’action sur grand écran, en gros plan, filmée par un opérateur intrusif se mouvant sur le plateau, caméra numérique à l’épaule… Comme souvent par les temps qui courent, le variant Omicron s’invite au spectacle pour en perturber la distribution. Ainsi Lucile Richardot devait-elle, au soir de la première, céder sa place à Géraldine Chauvet dans le rôle de Gertrude. Par chance le timbre à la fois musical et puissant d’un Stéphane Degout en pleine santé ravive, espérons-le, pour toute la durée de cette reprise, un Hamlet mémorable. Tout autant que la soprano Sabine Devieilhe campe avec virtuosité sans pareil une Ophélie d’anthologie. Disparu du répertoire romantique après en avoir été un must jusqu’à l’entre-deux guerres, Hamlet nous revient donc, sous la baguette de Louis Langrée, comme le spectre d’un âge d’or :  celui de l’art lyrique dans sa plus subtile exigence intellectuelle.  

Hamlet, opéra en 5 actes d’Ambroise Thomas. Direction musicale Louis Langrée. Mise en scène Cyril Teste. Du 24 janvier au 3 février. Opéra Comique, salle Favart. 1 Place Boieldieu, 75002 Paris. 3h 20.

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