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Suicide assisté, le pire assuré

Le récent suicide assisté d’une jeune Belge de 23 ans en « état de souffrance psychique » représente plus qu’une dérive de la légalisation de l’euthanasie. C’est un meurtre légal qui permet à notre société d’assumer son incapacité à sauver une génération totalement déconstruite.


« Autant jeter les fils vivants dans les brasiers. » Pierre Legendre

Rendu public en octobre dernier, le « suicide assisté » en Belgique d’une jeune femme de 23 ans, suite à l’aval donné par la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie (laquelle justifia après-coup du bien-fondé de sa décision en expliquant que « la jeune fille était dans un état de souffrance psychique telle que sa demande a été logiquement acceptée »), m’a fait penser à la mort du canari dans le puits de la mine. Une mort qui, pour signaler la modification invisible de l’environnement, prévenait les mineurs de l’explosion prochaine.

L’événement une fois connu suscita un certain émoi, de sévères critiques se firent entendre. Mais suite à un signalement (Le Monde, 7 septembre 2022), le parquet d’Anvers, estimant que la « procédure avait été suivie », classa l’affaire. Il s’était en effet trouvé deux psychiatres démiurges pour porter le diagnostic fatal de « maladie incurable » autorisant dans la loi belge le suicide assisté. Et cela arguant du fait qu’à la suite des traumas subis (un viol quelques années plus tôt, et sa présence lors de l’attentat terroriste de 2016 à Bruxelles), les hospitalisations et les traitements médicamenteux n’avaient pu délivrer cette jeune femme d’une « souffrance psychologique insupportable ». Sans autre considération d’une causalité psychique interne de sa souffrance subjective, plus profonde et antérieure à ces traumas. Notons que la jeune femme avait refusé la proposition d’une psychothérapie.

La décomposition de l’Interdit

Ce cas – à ma connaissance une première européenne pour une personne de cet âge et un tel motif – signe, je le crains, un pas supplémentaire dans la dérive folle de ce juridisme dé-civilisateur qui, légitimant le fantasme meurtrier sous-jacent aux demandes les plus insensées, déconstruit depuis plusieurs décennies la barrière de protection : les digues du droit civil soutenant l’architecture des filiations. Il n’est à tout prendre qu’une conséquence dernière de la décomposition de l’Interdit civilisateur – civilisateur des deux dimensions solidaires du désir qui spécifie l’animal parlant : celles de l’inceste et du meurtre. Un Interdit dont le droit civil, pour procéder de la Loi – la loi langagière de la différence des sexes et des générations –, a sous nos cieux vocation (anthropologique) à garantir la logique[1].

Longtemps témoin du recul des pratiques du soin et de l’assistance éducative et sociale pour faire face au « meurtre » – à tous les équivalents symboliques du meurtre œdipien visant l’une ou l’autre des figures fondatrices Mère et Père –, je soutiens que nous sommes loin d’avoir pris la mesure de la régression dans laquelle nous nous trouvons enferrés. Et ce dernier cas, effrayant, révèle dans quelle fuite en avant, nihiliste, la dévastation de notre environnement symbolique nous entraîne.

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Ayant cru pouvoir jeter par-dessus bord, sans autres conséquences que de « progrès » n’est-ce pas, les invariants existentiels – les contraintes indépassables de la différenciation humaine (Legendre) –, l’idéologie du Sujet-roi a promu le libre-service normatif. La mythologie subjective parentalela plus confusionnelle, celle des « parents combinés » d’avant l’accès à la différence des sexes,a pris, sous les termes de l’« homoparentalité », force de loi. La représentation fondatrice Mère/Père soutenue par le couple femme/homme, support du cours de la construction subjective, en a été juridiquement et culturellement pervertie.

Par-delà l’ébranlement moral qu’il engage, ce cas extrême me paraît exemplaire de la façon dont, pour occulter l’ordinaire de la négativité – cette part sombre irréductible de l’humain, nichée au fond de l’être de chacun –, le positivisme ambiant, sous les flonflons du Bien et de l’Empathie,  nous conduit vers le pire. À quelques exceptions près, les milieux professionnels de l’éducation et du soin eux-mêmes méconnaissent ou mésestiment la puissance négative, liant le meurtre à l’inceste, du désir inconscientqui spécifie l’animal parlant. Et plus encore, ils occultent les conditions de sa reliaison à la Loi, pour civiliser ce désir. Épousant la tendance culturelle du temps, ils s’aveuglent, à l’identique du monde intellectuel et politique, sur les effets délétères, présents et à venir, de la décomposition juridique en cours des fondements langagiers institués du sujet, ceux de la différence des sexes et des générations.

La paresse de sentiment

Dans un tel contexte, faire entendre qu’on ne saurait aider les sujets les plus dépressifs, les plus perturbés, sans d’abord oser ne pas les satisfaire comme ils disent le souhaiter, devient une gageure… Comme si l’on pouvait combler le désir de l’enfant en donnant satisfaction à son impérieuse demande ! Une satisfaction apportée par des parents culpabilisés, des pères papaïsés, maternalisés, dont on voit par exemple fort bien dans le récent film The Son à quelle issue fatale cela peut conduire…

Après avoir cru pouvoir faire de la « religion » – du lien transcendantal au Tiers, à la Souveraineté – une affaire privée, et par-là être politiquement débarrassé du Père et de l’Interdit, du Totem et du Tabou – une fable freudienne fausse et inutile selon un anthropologue accompagnateur de la déconstruction indéfinie –, la déshérence éducative et thérapeutique est au rendez-vous. Nous avons abîmé le fil de la transmission, perdu les ressources symboliques et psychiques pour soutenir la Limite et le Non face à la destructivité subjective des jeunes générations. Les parents d’aujourd’hui, enlacés aux idéaux du temps, sont priés de fermer les yeux. L’enfant est un ange. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil – les monstres exceptés.

Sait-on combien de drames pourraient être évités si, a contrario du mode de satisfaction aujourd’hui promu sous les termes d’un humanisme de bon aloi, ceux d’une écoute empathique, on comprenait en quoi un refus contrariant la demande du sujet peut bien davantage autoriser celui-ci à accéder, pour son propre compte, à sa culpabilité subjective ? À vouloir effacer toute conflictualité structurante, ce sont des multitudes de jeunes qui ne peuvent plus symboliquement tuer le Père, c’est-à-dire se dégager de l’Image narcissique de leurs parents. Ils se trouvent privés du chemin de leur propre émancipation de sujet. Faudrait-il alors s’étonner que, pour un nombre de plus en plus grand de ceux-là, mais aussi de nos concitoyens, une destructivité qui n’a pas trouvé à se métaboliser dans le creuset familial passe au réel ? Soit en s’extériorisant dans des violences multiformes. Soit, pour les sujets les plus fragiles, emprisonnés dans la tyrannie intérieure de leur Surmoi – la tyrannie d’une culpabilité qui n’est pas la leur –, en se retournant contre soi. Un profond déni culturel opère quant à la source la plus profonde de ces violences et de ces souffrances, souffrances d’autant plus intolérables pour les sujets qu’elles leur sont tenues hors sens.

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« Le sentiment est paresseux, de là son inconcevable cruauté… / Qui pêche par pitié présente après-coup la note la plus impitoyable… Gardez-vous du pathétique de l’empathie. » (Hermann Broch, Les Somnambules.)

Un lien en souffrance à la Mère

C’est ainsi qu’à croire devoir donner satisfaction à une telle demande de sujets en détresse existentielle, on verrouille – dans ce cas sous la formule, que je n’ose qualifier, de « maladie incurable » – toute possibilité de remanier leur lien en souffrance à la Mère, lien à cette Image narcissique la plus primitive d’une mère réduite à cette matrice à laquelle ils demeurent inconsciemment scotchés, con-fusionnés. Et si le monde psy a depuis plusieurs décennies reculé, régressé, c’est bien de ne plus comprendre en quoi c’est toujours et encore via l’Œdipe, dans la longue traversée, toujours plus ou moins boiteuse et douloureuse, du drame subjectif, qu’un sujet, institué dans une triangulation adéquate, peut dialectiser sa relation à l’Idole Mère, s’en distancier, en symboliser les Figures. Alors la souffrance, rapportée au drame du vivre et du mourir, peut prendre sens. Et le sacrifice, nouant la perte (l’acceptation du manque, de la limite) au sacré (de la Référence souveraine commune), peut se métaboliser pour la Vie, celle du sujet comme de la cité.

Comment faire résonner cela, que je sais difficile, quand, sous le règne de Big Mother, les fils déguisés en père (H. Michaux) s’avancent si bons, si innocents ? Comment faire reconnaître, alors que la négativité constitutive du désir est circonscrite de tous bords, en quoi la légitimation d’un tel suicide assisté libère dans la société, bien au-delà du cas, la pulsion de mort, la tendance de l’humanité à la mort ? Les nouveaux droits pactisent avec le meurtre.

Laisser accroire à ces sujets de grande sensibilité à la fin de l’angoisse et de la souffrance, à une vie d’innocence et de pur amour comme au Paradis d’avant la chute, c’est les dés-instituer, c’est les placer hors de la condition humaine commune, et au final, comme l’ont engagé tous les totalitarismes, en faire la proie du fantasme de la solution finale. Solution démoniaque et impitoyable de cet autre empathique qui, telle une mère toute bonne et toute-puissante, jamais ne saurait contrarier le fantasme des fils, aussi incestueux et meurtrier soit-il.

Elisabeth Borne ouvre la convention citoyenne sur la fin de vie, Paris, 9 décembre 2022. © Aurelien Morissard/POOL/SIPA

Dans le contexte culturel actuel, est-il encore loisible de soutenir qu’il n’aurait fallu en aucune manière se prêter à la demande de cette jeune femme en souffrance, en proie au tourment du vivre et du mourir ? Nul ne semble s’être demandé en quoi l’enjeu de mort qu’elle mettait sur la table était d’une tout autre nature que réelle. Sous le règne de l’empathie, agir et fantasme se sont confondus.

Alors que la problématique œdipienne nouant le cours de la reproduction subjective est donc considérée comme caduque – une vieillerie normative réactionnaire selon la doxa de pointe –, questionner l’enjeu de meurtre que ces jeunes sujets qui se suicident ou tentent de se suicider n’ont pu transposer dans la parole semble de plus en plus irrecevable. Comme demeure tout aussi incompréhensible que ces sujets, enkystés dans une telle débâcle subjective, identificatoire, soient les plus immédiatement sensibles, tel le canari de la mine, au grisou du nihilisme libéré par la déconstruction indéfinie des montages civilisateurs.

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Un écrivain américain l’a noté : « Si nous n’identifions pas les changements qui, dans notre civilisation, attaquent nos systèmes immunitaires sociaux et éthiques – systèmes auxquels nous nous référons d’habitude en parlant de tabous – il ne faudra pas longtemps avant que nous succombions tous. » (Russell Banks, Lointain souvenir de la peau.)

Un meurtre pour la vie

Le suicide d’un jeune sujet relève le plus souvent de cette dimension meurtrière du désir inconscient qui n’a trouvé son issue – du meurtre de cet autre que je est (hais).Mais d’un meurtre pour la vie : ce dont les dernières paroles rapportées dans la presse de cette jeune femme, résonnant du « manque », témoignent tragiquement. Il signe l’impasse de la séparation première d’avec la Mère, ce qui, de la différenciation subjective d’avec ce premier Autre que fut la mère, n’a pu s’élaborer. Pierre Legendre l’a ainsi posé : « Un suicide est un sacrifice humain, qui s’inscrit comme témoignage d’une différenciation manquée, dans la logique généalogique. » (« Le sujet du suicide », in Filiation, « Leçons IV, suite 2 ».). Tout suicide de ce genre signe un abcès généalogique. Le suicidé paie un impayé. L’impayé d’un sacrifice subjectif, celui de générations antérieures. Mais pour faire résonner ici l’enjeu de mort sur lequel ont pu buter douloureusement cette jeune femme, son entourage familial et institutionnel, qu’il soit entendu que c’est bien d’abord la régression dans laquelle nous nous trouvons enkystés, placés comme nous sommes sous l’imperium des idéaux post-hitlériens de la subjectivité sans loi (Legendre),  que je vise.  Une régression dont je soutiens, après avoir relevé plusieurs décennies durant dans la protection de la jeunesse combien elle pouvait hypothéquer la destinée subjective de tant de jeunes, leur maturation, que cet acte effroyable – tuer en toute légitimité, au nom de son bien, une jeune femme en souffrance psychique aiguë de 23 ans qui le demande – est une ultime manifestation  barbare, légalisée.


[1] Cf. P. Legendre, « L’indestructible question de l’Interdit », in Les Enfants du Texte : étude sur la fonction parentale des États, « Leçon VI », Fayard, pp. 25-31.

« GLAD ! » la revue qui ose tout, c’est à ça qu’on la reconnaît

La revue numérique propose en accès libre des travaux scientifiques, artistiques et politiques « articulant recherches sur le genre et recherches sur le langage ». Liliane Messika l’a parcourue avec joie


Heureux qui, Féministe, a fait un beau voyage,
Ou comme celle.lui-là qui conquit le langage,
Et puis l’a retourné, points médians et collages,
En rendant inaudible la langue et le message !

Pour voyager dans le wokisme, une boussole a été mise au point. Elle se nomme GLAD ![1], le point d’exclamation permettant qu’on ne prenne pas cette revue bisannuelle de l’association « Genre, sexualités, langage » pour une exclamation de joie anglophone. Pour son numéro à paraître fin 2024, sur le thème « Genre-Animalité-Langage », la revue lance un appel à contributions sous la forme d’un « argumentaire » qui liste la faune et la flore d’une jungle au sabir impénétrable[2]. Le.la contributeur.e est invité.e à investiguer l’imaginaire commun partagé par « la consommation carnée et le viol ». Comme dessert, il y a du « Black veganism ». Il s’agit d’une conjugaison (à l’impératif) de l’antispécisme, battu en neige et incorporé soigneusement aux luttes antiraciste et antisexiste, afin d’ouvrir « une voie prometteuse pour penser la dénonciation et le dépassement des… animalisations péjoratives et essentialisantes ».

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Malgré leur empathie pour nos amies les bêtes, les charabiatologues admettent que le lion dévore la gazelle, mais la loi de la nature n’a rien à y voir: pour eux, viande et viol sont dans le même bateau. Si le lion mange, ce n’est pas parce qu’il est outillé carnivore, mais parce que son nom est un masculin. Et si la gazelle finit dans son estomac, ce n’est pas parce que son anatomie d’herbivore ne lui laisse aucune chance, mais parce que son nom est un féminin.

Vers une langue zoo-inclusive ?

Révélation: « il existe un continuum entre le traitement des corps des femmes, mais aussi des esclavagisé.e.s, des handicapé.e.s, des racisé.e.s et ceux des sols, des animaux, des végétaux. Tous.tes sont naturalisé.e.s, terrains d’expérimentation ou de conquête ». Un lecteur distrait comprendrait que les handicapés ont droit à autant de respect que les animaux et les végétaux, mais ce galimatias n’a pas vocation à faire sens. Il ne s’agit que d’une incontinence verbale consécutive à l’ivresse inclusive d’individu (point E point S) qui confondent leur nombril et leur neurone (au singulier).
Pour preuve, une question métaphysique: dans les verbalisations humaines adressées aux animaux domestiques « quelle place occupe le genre de l’énonciateur.rice, qu’iel soit l’humain.e s’adressant à l’animal ou l’animal dont on imagine le discours ? »
Cette sodomie coléoptérique posera les jalons d’une langue zoo-inclusive à laquelle les jargonneurs aspirent, tout en reconnaissant sa complexité: il faudra écrire systématiquement « cheval.jument » ou « poule.coq » et conjuguer au masculin fourmi, girafe et coccinelle…

Vous êtes folle, dit le Chat à Alice.
Comment savez-vous que je suis folle ? demanda Alice.
Vous devez l’être, répondit le Chat, ou vous n’auriez pas lu cet argumentaire jusqu’au bout.


[1] https://journals.openedition.org/glad/5305

[2] Argumentaire_Genre_animalité_langage.pdf

Un combat qui fait bondir

La peau de kangourou ne sera plus utilisée par la marque Puma, pour ses chaussures de football. Devinez pourquoi.


Puma, le géant des articles de sport, est récemment tombé dans le viseur des éco-activistes et autres végans. Ces derniers ont dénoncé l’utilisation de cuir de kangourou comme matière principale de la « K-leather », la célèbre chaussure de football portée par de nombreux joueurs comme Diego Maradona ou Pelé. Cédant à la pression de ces lobbys, l’entreprise allemande a annoncé qu’elle mettait fin à la production de ce type de chaussure pour la remplacer par une autre plus conforme aux aspirations de la jeunesse. Baptisée « K-Better » avec 20 % de matériaux recyclés, la nouvelle chaussure se revendique végétalienne, éco-responsable et soucieuse de la protection animale. Une décision qui ne sera pas sans conséquence en Australie où la société s’approvisionne. Elle a mis en émoi les producteurs de cuir de kangourou, qui accusent les dirigeants de Puma d’être tombés dans le piège d’une « campagne internationale de désinformation » et réfutent l’idée que les matières alternatives sont nécessairement supérieures. Chaque année, les exportations de cuir de kangourou rapportent 120 millions d’euros à l’Australie et représentent 3 000 emplois. Malheureusement, Puma rejoint une tendance générale. Déjà, l’État de Californie interdit la commercialisation de produits utilisant des matières dérivées du kangourou. L’État d’Oregon, où Nike a son siège social, débat actuellement d’un projet de loi allant dans le même sens. La Chambre des Représentants délibère d’une loi de protection des kangourous, qui étendrait cette interdiction à tous les États-Unis. S’agit-il, au fond, de sauver des vies d’animaux ou de flatter la sentimentalité des jeunes militants antispécistes ? Même si on prohibe l’exploitation commerciale du cuir de kangourou, il sera toujours nécessaire d’abattre des kangourous en Australie pour empêcher que leur population explose. Ce qui est vraiment menacé ici, ce n’est pas le kangourou, c’est le bon sens humain.

Satan & Co

Invocation satanique, profanation, provocation, blasphème… Connaissez-vous l’influente secte sataniste, The Satanic Temple?


À l’approche de la convention annuelle du Temple satanique, du 28 au 30 avril 2023 à Boston, Massachusetts, l’Église catholique a tiré la sonnette d’alarme. L’évêque et le cardinal de l’archidiocèse local ont demandé aux prêtres et à leurs ouailles de faire preuve d’une extrême vigilance lors du sacrement de l’Eucharistie afin d’empêcher quiconque de voler les hosties et de les profaner lors de la « SatanCon 23 ». Ils ont également fait pression pour que l’hôtel Marriott Copley Place renonce à accueillir le congrès. Il faut dire que les organisateurs de la convention n’y étaient pas allés de main morte dans la provocation racoleuse en annonçant que l’événement serait placé « sous le signe du blasphème ». Au programme figuraient moult rituels, messes noires et autres « nuits des sorcières ». La maire de Boston, Michelle Wu, s’est attiré les foudres de la secte après le refus du conseil municipal d’autoriser une invocation satanique à l’intérieur de la mairie de Boston lors de la SatanCon 23 et de pavoiser l’édifice municipal aux couleurs de Satan lors de la « Satan Week » qui se tient en juillet. Le Temple satanique (The Satanic Temple, TST), fondé il y a dix ans, revendique actuellement 700 000 sympathisants dans le monde et prône un crédo libertarien et athée. Ses « congrégations » mènent campagne en faveur de l’avortement et de l’éradication des symboles du christianisme dans l’espace public. En 2018, le TST a notamment défrayé la chronique avec l’installation temporaire d’une statue monumentale de Baphomet, une divinité démoniaque à tête de bouc, aux abords du Capitole de l’Arkansas pour protester contre l’érection d’un monument aux Dix Commandements. Cette religion antireligieuse est parvenue à obtenir certains des droits d’une église protégée par la Constitution des États-Unis, comme un statut d’exonération fiscale. Lors de la première « SatanCon », en 2022, des manifestants catholiques et protestants en sont venus aux mains à propos de leurs propres différences théologiques. Satan divise pour mieux régner.

Décivilisation: avec un joli mot, Macron tente de cacher la saleté et de se dédouaner

Pourquoi le président de la République a-t-il choisi ce terme de “décivilisation” dans une déclaration récente ? Tous les éditorialistes s’interrogent. Sur le thème de l’insécurité, M. Macron et ses ministres convient les citoyens à une interminable et pénible valse des mots.


Le président de la République a appelé récemment à « contrer un processus de décivilisation » à la suite de la multitude des violences verbales et physiques qui affectent notre société, notamment les élus qui ne sont plus respectés. Ce dernier point est une évidence, un triste constat. Ce propos présidentiel qui peut avoir été inspiré par le sociologue Norbert Elias a été immédiatement rapporté par la gauche et l’extrême gauche à Renaud Camus et « à une diversion extrêmement droitière » d’Emmanuel Macron (Edwy Plenel dans Mediapart). Je ne crois pas que ce soit le cas. Si l’accusation était juste, je le féliciterais plutôt de n’avoir pas peur d’user d’un langage et de concepts venant d’ailleurs dès lors qu’ils exprimeraient parfaitement sa pensée.

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Je pourrais être enclin, dissociant sa référence de tout « clin d’oeil » à Renaud Camus, de l’analyser comme l’exercice d’une liberté permettant de puiser à volonté dans le vivier infini des mots. Et de se moquer des conséquences si tel ou tel avait déjà fait l’objet, par une autre famille politique, d’un traitement particulier. Remplacement et civilisation sont en effet à tous !

Cacher la saleté avec un joli mot

En réalité ce « processus de décivilisation » est typique de cette manière – qu’il doit juger noble et qu’on a le droit de juger pompeuse – conduisant trop souvent le président de la République à essayer de recouvrir la saleté du réel par la beauté des mots ; à masquer l’absence d’une politique efficace sous la somptuosité, voire l’enflure du vocabulaire. Je l’ai encore ressenti quand il a rendu hommage aux trois gardiens de la paix décédés à la suite de ce tragique accident causé par un conducteur circulant à contresens, sous l’emprise de l’alcool et de la drogue. Le discours qu’il a prononcé, écrit par une « plume » et qu’il a validé, m’apparaît comme souvent déconnecté de la réalité brute des désastres, pour être artificiellement embelli par le décor d’un lexique trop brillant pour être authentique.

Emmanuel Macron assiste à l’hommage de trois policiers décédés dans un accident de voiture, à l’École nationale de police de Roubaix, dans le nord de la France, le jeudi 25 mai 2023. © Yoan Valat/SIPA

À suivre la variété des définitions de l’insécurité égrenées par le président et les ministres en charge de ce domaine régalien, on est davantage frappé par la valse des mots que par la lucidité de l’observation. À l’origine, pour le garde des Sceaux, l’insécurité n’existait pas mais était un sentiment. Quand le ministre de l’Intérieur, forcément au fait de la France « Orange mécanique », évoquait l’ensauvagement, il était critiqué par son collègue de la place Vendôme et par le président lui-même. Ce terme était choquant, trop dur. Il est aussi arrivé à Emmanuel Macron d’user de cet euphémisme indécent : incivilités. L’essentiel a été longtemps de ne pas décrire, de ne pas nommer, de regarder ailleurs puis, à force, on n’a pas pu échapper au constat mais attention, pas d’amalgame, notre insécurité n’est pas celle du Rassemblement national, le macronisme est un humanisme, son impuissance est un hommage à la démocratie qui vigoureuse ne serait plus elle-même, Emmanuel Macron se situant assez volontiers en surplomb, avec une compassion abstraite pour les angoisses des Français, rien donc qui ressemble même de loin, dans sa bouche, à « un processus de décivilisation »…

Déclin, décadence ? Barbarie ?

Il y aurait eu pourtant quelques mots simples susceptibles de la qualifier, tout au long de cette descente implacable vers encore plus de délits et de crimes, vers des minorités de plus en plus violentes, vers une société éclatée, désarticulée, face à face dans ses antagonismes communautaristes, en basculement vers une France composite, hétérogène, sans qu’elle représente une chance. Déclin, décadence, régression, tiers-mondialisation, chute, sauvagerie, désastre… Pourquoi le président a-t-il alors choisi ce concept de décivilisation ?

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Certes, on pourrait soutenir que tout ce qui se déroule sous nos yeux stupéfaits, indignés ou lassés (violence, agressions gratuites, haines, massacres, atteintes aux êtres généralement les plus protégés comme les enfants ou les personnes âgées, faillite des mots donc recours aux gestes et aux armes, irrespect systématique) n’est pas loin de nos entraîner vers une forme de décivilisation si la civilisation est précisément dialogue, courtoisie, écoute, urbanité, démocratie paisible et refus absolu et sans nuance de toute malfaisance. Mais nous n’en sommes pas encore au pire. Et il est sans doute imprudent de qualifier les brisures de notre société, transgressives ou non, de « décivilisation », un concept bien trop ample et philosophique pour un quotidien que tout simplement le pouvoir ne maîtrise plus.

La politique est aussi faite de malice

Dans cette inadéquation je perçois le subterfuge présidentiel. Décivilisation, une notion trop abstraite, vague, diffuse, pour nommer une réalité trop horriblement prosaïque. Contre un processus de décivilisation, on ne peut rien accomplir, rien tenter. Une politique n’a aucune chance. Derrière la valse des mots, derrière le choix de ce dernier, il n’y a pas Renaud Camus ni l’extrême droite mais l’outrance d’un vocabulaire qui cherche à nous faire croire que le mal est philosophique et qu’au fond, pour nous, il est indolore.

Le président conceptualise quand le peuple endure.

Gustave Eiffel au Panthéon, vraiment?

Les descendants de Gustave Eiffel et la Ville de Paris militent pour que le « père » de la célèbre tour fasse son entrée au Panthéon. Mais en regardant de plus près comment l’ingénieur a bâti le monument et son héritage, on a de bonnes raisons d’émettre quelques réserves.


Ingénieur centralien, Gustave Eiffel (1832-1923) fonde une entreprise de construction métallique. Cette fabrique n’est pas parmi les premières de son secteur, mais affiche une belle propension à innover afin de répondre aux problématiques techniques qui se présentent au courant du xixe siècle. Scientifique brillant et passionné, Eiffel bâtit principalement des ponts et des viaducs. Cependant, pour l’exposition universelle de 1889, il reprend l’idée d’un de ses collaborateurs, Maurice Koechlin, relever le défi d’une tour de 1000 pieds, soit 300 mètres de hauteur. Comment rêver meilleure publicité pour lui que cette tour qu’il baptise du nom de son entreprise !

Brillant ingénieur ou affairiste douteux ?

En parallèle, il est appelé à réaliser les écluses du canal de Panama. Ce chantier s’avère vite beaucoup plus coûteux que prévu et, en pratique, hors de portée pour la compagnie qui en a la charge. Toutefois, ses dirigeants s’engagent dans une fuite en avant reposant sur une corruption à grande échelle. 110 parlementaires acceptent des sommes importantes pour permettre de déroger à la protection des petits épargnants. Des journaux sont également payés (dont celui de Clemenceau, La Justice) pour vanter au public l’intérêt du placement.

En février 1889, peu avant l’inauguration de la tour Eiffel, la société du canal de Panama fait faillite. Des centaines de milliers de petits épargnants sont ruinés. En outre, dans les années suivantes, le vaste système de corruption est révélé au public, notamment à l’instigation du journaliste antisémite Édouard Drumont. C’est un séisme politique qui contribue gravement à la montée de l’antiparlementarisme et de l’antisémitisme.

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Eiffel est envoyé en prison, mais libéré après quelques mois de détention grâce à un pourvoi en cassation invoquant un vice de forme. Sa responsabilité semble surtout tenir à un système de surfacturations. Jean-Yves Mollier, professeur émérite d’histoire contemporaine, relève que « sur les 73 millions [de francs] facturés par Eiffel, 30 millions n’avaient pas de justification selon le tribunal ». Un franc-or correspondant à environ quatre euros, ces 30 millions équivalent à 120 millions d’euros, soit quatre fois le coût de construction de la tour Eiffel !

À la suite du scandale, partout en France, on débaptise les rues Gustave-Eiffel et la municipalité de Paris s’oppose pendant trente ans à ce que l’on érige au pied de la tour un buste de l’ingénieur. Et l’on débat encore aujourd’hui pour savoir si Eiffel a été réellement coupable ou simplement bouc émissaire. Cependant, force est de convenir qu’à ce stade, ce n’est pas le dossier idéal pour une demande d’entrée au Panthéon.

Eiffel n’est pas l’auteur de la tour Eiffel

Eiffel demande d’abord à ses ingénieurs de plancher sur cette idée de tour. Il en résulte un projet de pylône certes très haut, mais famélique et presque ridicule. Un tel édifice ne colle pas avec l’esprit d’une exposition universelle : le terme « universel » suppose que toutes les dimensions de l’esprit de création soient mobilisées. La tour, pour ne pas faire tache, doit être à la fois une prouesse technique et une merveille artistique.

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Eiffel change son fusil d’épaule et s’adresse à l’un des grands architectes son temps, Stephen Sauvestre (1847-1919). Ce dernier est issu de la première promotion de l’École spéciale d’architecture (ESA), créée dans le sillage de Viollet-le-Duc pour échapper au classicisme des Beaux-Arts. Sauvestre redessine complètement la tour dans l’esprit des commencements de l’Art nouveau. Il l’enrichit d’un décor magnifique aujourd’hui en grande partie déposé. Il compose une somptueuse polychromie à base de rouge de Venise[1], recouverte de nos jours d’une teinte marronnasse. En outre, grâce à lui, la tour n’est pas seulement un monument à regarder de l’extérieur, elle devient un édifice vivant ouvert au public. Il imagine des circulations, des balcons, des restaurants, des bars… Il en fait l’un des premiers et des plus beaux monuments Art nouveau de Paris. Eiffel, aussi investi soit-il dans ce projet, n’en est pas l’auteur, du moins pas l’auteur principal. Persévérer à lui attribuer la paternité de la tour, ce serait comme dire que Jules II est l’auteur des fresques de la chapelle Sixtine.

Il y a mieux à faire

Pour contribuer au rayonnement de la tour Eiffel, il y a mieux à faire que de transférer Gustave au Panthéon. Mais on revient de loin, souvenons-nous qu’il y a peu, il était prévu d’abattre au pied de la tour une quarantaine d’arbres anciens pour édifier cinq immeubles de bureaux sur le jardin classé du Champ-de-Mars. Il semble que ce projet saugrenu ait fait long feu, mais on attend toujours le retrait des permis de construire. Ensuite, tout l’environnement de la tour est saturé d’un bazar inextricable qui obstrue la vue et favorise la délinquance. Ne pourrait-on pas dégager tout cela, rouvrir au public les charmants jardins anglo-chinois et restituer la clarté de la perspective ? Autre chose : au lieu de repeindre la tour en un bien triste marron foncé, couleur sans légitimité historique et contrecarrant les éclairages, ne serait-il pas possible de rétablir la belle polychromie authentique ?

Allons plus loin, rêvons un peu : ne pourrait-on pas restaurer ce bâtiment emblématique de Paris, qui n’est même pas classé monument historique, en lui rendant ses décors d’origines ? Vraiment, qu’il serait enthousiasmant de restituer à la tour son élégance Art nouveau et sa saveur Belle Époque !

À voir. Eiffel toujours plus haut ! , parvis de la tour, été 2023, dates non encore précisées.


[1]. Voir Causeur, n° 100.

Annabelle Mouloudji: une femme amoureuse

Le roman d’Annabelle Mouloudji raconte les passions désespérées et lumineuses d’une mère de famille en rupture de ban


La passion amoureuse, c’est la grande affaire de Duras. Quand l’un de ses romans est lu par Fanny Ardant, tout devient une évidence, et l’on serait prêt à reprendre le sentier herbeux de cette passion dévastatrice qui ressemble à la lumière d’août. L’époque est au rétrécissement des amours. La gratuité, celle de l’enfance, encore épargnée par les irradiations de la société, ne peut plus jouer sa partition, ou alors dans des cas très particuliers.

A relire : Nathalie Rheims: la gamine et l’oiseau

La narratrice de L’Amoureuse, roman sensuel d’Annabelle Mouloudji, fille de l’inoubliable interprète d’Un jour tu verras, n’échappe pas au piège de la passion amoureuse. L’ennui du quotidien la pousse à tomber dans les bras d’un certain Marc, stéréotype du mâle dominant, un peu pervers narcissique sur les bords. Elle finit par quitter son mari, David, dont elle a deux garçons. La mère de famille de quarante ans a besoin d’une nouvelle respiration. La reproduction de l’espèce étant accomplie, le corps réclame son dû, celui du plaisir. Les scènes, très érotiques, décrites par la narratrice, le prouvent. Mais il est difficile de tourner la page avec David, d’autant plus que Marc la déçoit, pire l’inquiète. Il n’a pas rompu totalement avec son ex-femme, ses fils sont insupportables, et, cerise sur le gâteau, il semble infidèle. Marc offre à la narratrice l’affiche du film Et Dieu créa la femme, de Roger Vadim, avec la mythique Bardot. La jeune actrice, inimitable, joue le rôle de Juliette, une orpheline, qui revendique haut et fort le droit à la liberté absolue. La narratrice devrait suivre son exemple. Elle finit par rompre avec Marc, mais son absence la plonge dans une durable dépression. Le temps passe, assassin, et elle devient la femme qui « ne saigne plus ». Surgit alors Pierre. Sera-t-il enfin le bon ? La fin du roman a quelque chose de surprenant. Elle laisse penser qu’il n’y a jamais de fin entre deux êtres qui se sont, certes mal aimés, mais sincèrement aimés. Quant au chagrin, il n’est pas certain, comme l’affirme Gigi, la voyante, qu’il finisse par passer. Pour paraphraser Van Gogh, le chagrin durera toujours.

Annabelle Mouloudji, L’Amoureuse, Éditions Léo Scheer. En librairie le 7 juin.

Paul Morand, surréaliste malgré lui

Le poème du dimanche.


André Breton avait estimé, à la lecture de Tendres Stocks que Paul Morand était « surréaliste par la métaphore. » Adoubement étrange si l’on y songe : Morand le réactionnaire apprécié par Breton le révolutionnaire… C’est sans doute que Morand réussit en littérature ce paradoxe qui consiste à être un réactionnaire absolument moderne, qui saisit parfaitement l’esprit de son temps, cette couleur chromée et joyeuse de la France et du monde en 1925 oubliant les horreurs de la guerre dans un enivrement constant par le jazz, la vitesse, le cinéma, la peinture ou la haute couture qui change la silhouette des femmes.

La partie poétique de l’œuvre de Morand enregistre cette modernité, la métabolise, ce qui donne ces joyaux dont les titres Lampes à Arc, Feuilles de Température, Vingt-cinq poèmes sans Oiseaux indiquent déjà un projet de sortie du vieux lyrisme pour mieux dire les métamorphoses de la beauté qui tient non plus aux choses elles-mêmes, mais au regard que l’on apprend à porter sur elles. Oui, une ville peut être belle mais on peut aussi être ému par des statistiques comme dans le poème que nous vous proposons le dimanche.


Un baiser
abrège la vie humaine de 3 minutes,
affirme le Département de Psychologie
de Western State College,
Gunnison (Col).
Le baiser
provoque de telles palpitations
que le cœur travaille en 4 secondes
plus qu’en 3 minutes.
Les statistiques prouvent
que 480 baisers
raccourcissent la vie d’un jour,
que 2 360 baisers
vous privent d’une semaine
et que 148 071 baisers,
c’est tout simplement une année de perdue.

Paul Morand

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Ci-gît le snob éternel!

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Antonius Moonen publie Snob éternel, un guide pratique des usages funéraires aux éditions «Le Chat Rouge».


Vivre est à la portée de n’importe quel quidam. Savoir mourir, en revanche, demande dignité et une forme de détachement qui ne s’acquiert pas si aisément. La mort intimide, rend à la fois perplexe et un peu bête. Elle vous cueille un matin au saut du lit ou à la suite d’une longue maladie, que vous vous y soyez préparé longtemps à l’avance ou pas, elle laisse coi. Croyez-moi, c’est une chose qui arrive bien assez vite et communément admise pour la prendre avec une certaine hauteur de vue et un sourire en coin.

C’est même l’œuvre d’une vie entière que de disparaître sans accabler ses proches, tout en se rappelant à leur bon souvenir par une plaisante singularité. En toute circonstance, du berceau au trépas, le snob se doit de respecter des bonnes manières et un code d’honneur, se plier à un protocole particulier et à une bienséance fortement malmenée aujourd’hui par nos élites barbares, refuser le commun et le trivial, s’extraire des masses et effectuer le grand saut dans l’inconnu avec flambe et morgue, ne surtout pas gêner ses contemporains. Certaines fautes de goût dans le choix du faire-part, de l’épitaphe, du corbillard ou du caveau sont impardonnables pour l’homme qui s’est obligé à vivre supérieurement durant des décennies. La mort ne changera rien à ce programme, elle vient juste clore une existence portée par l’exigence morale et vestimentaire, le souci du détail et une esthétisation du quotidien. Tant de gens meurent dans l’indifférence et la banalité, parfois même dans d’extrêmes souffrances et d’inextricables soucis financiers.

A lire aussi: Pierre Robin, apôtre du contre-cool

Guide cocasse et guindé

Tout ça manque cruellement de courtoisie et d’ampleur. Antonius Moonen, né en 1956 aux Pays-Bas, déjà l’auteur du Petit bréviaire du snobisme en 2010 et du non moins estimable Manuel de savoir-vivre à l’usage des maîtres et maîtresses de chien en 2011 continue son travail d’évangélisation, tout en pratiquant un humour noir et un second degré salvateur dans une époque craintive. Cette fois-ci, il vient d’écrire Snob éternel aux éditions « Le Chat Rouge », maison qui publie depuis une vingtaine d’années des ouvrages précieux et décalés, sorte de cabinet de curiosités pour fins lettrés et dandys compulsifs. Les amateurs de raretés décomplexées et étranges connaissent la richesse de leur catalogue qui a notamment réédité La Comédie de la Mort de Théophile Gautier ou Les Poètes maudits de Paul Verlaine.  Dès sa préface, Antonius Moonen prévient le lecteur: « Le snobisme funéraire est vieux comme le monde comme nous révèlent les fouilles à Stonehenge (cimetière de la jet-set locale de l’âge du bronze), le Taj Mahal, les catacombes parisiennes et la Vallée des Rois en Égypte, les collections d’art funèbre des musées et les nombreux mausolées occupés par des célébrités ». Alors, comment concilier la mort qu’il qualifie de « scandaleusement républicaine » et d’« excessivement répandue » avec le snobisme ? « La démocratie et la popularité sont de loin les plus redoutables et méprisants des assassins de snobisme » avance-t-il. Ce guide cocasse et guindé, persifleur et didactique vous apprendra à éviter les pièges d’une mort standardisée comme la culture des tomates sous serres. Le thuriféraire avertit « être bien né ne suffit plus : il faut également être bien décédé ». Son abécédaire court d’Absoute à Zombie.

A lire aussi: Ma nuit chez Helmut Berger

Bienvenue chez Borniol

J’avais oublié la signification du mot « Borniol » qui s’apparente à une « lourde tenture noire que l’on tend à l’entrée d’une maison en deuil, au portique d’une église ou autour d’un catafalque ». L’amateur de voitures que je suis, a toujours eu un faible pour les corbillards, notamment les transformations des carrossiers sur des bases de Bentley et Rolls-Royce, l’auteur rappelle que « jadis il s’agissait d’un véhicule hippomobile » que l’on pouvait « embellir d’accessoires religieux, de draperies, de fleurs et de lanternes ».


L’auteur s’attarde sur des points techniques comme une mort survenue à l’étranger et la nécessité de rapatrier la dépouille, mais aussi quel « dress-code » adopter ? « L’étiquette conseille de retirer tous les bijoux, sauf l’alliance », écrit-il. Et qu’en est-il des vêtements de deuil pour votre veuve, par exemple ? « Même dans les régions les plus conservatrices, on accepte aujourd’hui l’abandon plus rapide des vêtements de deuil. On considère qu’au bout de six mois, la vie normale peut reprendre son cours ».

Snob éternel de Antonius Moonen – Le Chat Rouge

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Et maintenant, Brighelli drague les trans!

Après avoir assidument courtisé les pédagogistes, les islamistes, les féministes de deuxième dégénération, les intellectuels de Saint-Germain-des-Prés, les gens de gauche et la plupart des gens de droite, les adolescents de degré zéro et les crétins de toutes farines, notre chroniqueur tente de séduire les transgenres. Ne le décourageons pas, quoique l’issue d’une telle drague soit courue d’avance.


Sur le papier, Kathleen Stock coche toutes les bonnes cases. Universitaire, féministe, lesbienne, spécialiste de l’égalité des sexes. Nous ne sommes pas loin de la caricature. Mais voilà : elle a déclaré, en 2021, que le sexe biologique était une réalité inaliénable, comme le rappelle Arnaud De La Grange dans Le Figaro: « Concrètement, elle estimait qu’en ce qui concerne les vestiaires, les toilettes ou encore les prisons, les femmes devaient avoir des espaces réservés et non mixtes, afin notamment d’être protégées d’éventuelles agressions sexuelles. Et qu’elles ne devraient pas participer à des compétitions sportives avec des femmes transgenres. »

Moins ils sont nombreux, plus ils hurlent

Péché mortel pour tous ceux qui affirment, ces derniers temps, que le trans est l’avenir de l’homme et de la femme. Kathleen Stock a dû démissionner de son poste à l’université du Sussex — non, je ne me permettrai aucun jeu de mots débile sur Sussex. Invitée à s’exprimer à Oxford le 30 mai, elle est la cible d’une coalition de militants déchaînés — moins ils sont nombreux, plus ils hurlent, l’occupation de l’espace sonore compense leur faiblesse numérique — épaulés par des universitaires désireux de surenchérir sans cesse par peur d’être à leur tour pris pour cibles.

Un jeune universitaire honorable, John Maier, a rédigé une pétition de soutien à Kathleen Stock, parue dans The Telegraph. Pétition co-signée de certains de ses collègues — mais d’autres, explique Maier, ont retiré leur nom, par peur des réactions. Le courage du corps enseignant m’étonnera toujours.

Plusieurs centaines de ces mêmes enseignants ont signé une lettre pour contester la décision de faire Kathleen Stock chevalier de l’Ordre de l’Empire britannique, affirmant que sa « rhétorique néfaste » sur les personnes transgenres renforçait « le statu quo patriarcal ». Admirable. Quand on touche de l’idéologie à l’état pur, il faut la mettre en conserve pour l’édification de notre époque.

Alors, allons-y pour une bonne louche de patriarcat blanc — forcément oppresseur. Mais comme chantait Polnareff: « Je suis un homme, comme on en voit dans les muséums… »

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Il y a au Louvre une admirable statue en marbre d’un transgenre de l’époque romaine, inspirée d’un original grec en bronze du IIe siècle av. JC. L’une des plus belles paires de fesses de la statuaire mondiale. Un vrai — né comme ça. Les hermaphrodites, ça existe. On en a dénombré à ce jour environ 500 à l’échelle mondiale. Nombre de médecins considèrent cette simultanéité d’organes mâles et femelles comme une aberration chromosomique — d’autant qu’un hermaphrodite ne peut se reproduire, ni en tant qu’homme, ni en tant que femme, contrairement à nombre d’animaux (les escargots par exemple) et de plantes à hermaphrodisme avéré. La nature n’a aucun intérêt à les multiplier.

Mais, me direz-vous, il s’agit là d’un cas très particulier. Les transgenres qui s’agitent aujourd’hui sont bien plus nombreux : ils ont lu Simone de Beauvoir de travers, et estiment donc qu’on ne naît pas femme (ni homme), mais qu’on le devient par un effort de la volonté. Et que né Richard ou Jean-Pierre, j’ai le droit de me faire appeler Héloïse ou Carmen, si je le ressens ainsi, le droit de faire la queue (non, je résisterai au jeu de mots !) dans les toilettes des filles, et de violer sous la douche les membres (non ! Je ne veux rien entendre !) de l’équipe féminine où je me suis fait une place.

Soyons sérieux. Que des adolescents perturbés (pléonasme !), parvenus à cet âge-charnière où les hormones vous incitent à vous poser gravement des questions insolubles, se demandent s’ils aiment les garçons ou les filles, j’y consens: toutes les enquêtes prouvent qu’il y a un noyau incompressible de 4,5% d’homosexuels des deux sexes. Plus quelques-uns que l’on a persuadés qu’ils l’étaient : c’est ainsi que Philippe d’Orléans, né en 1640 deux ans après son frère Louis, fut élevé comme une fille, afin qu’il ne renouvelât pas le complot permanent de Gaston d’Orléans contre Louis XIII. Philippe développa donc pour les palefreniers du Palais-Royal les goûts qu’avait son frère pour les chambrières. De là à se demander s’il était bien un garçon… S’il n’était pas né fille, et si les ustensiles qu’il trimballait par devant n’étaient pas des simulacres… Si…

Une époque troublante

Nous vivons une époque étrange, où les questions les plus sérieuses sont évacuées, et remplacées (habilement, diront certains) par ces problèmes sociétaux qui font jaser les gazettes. Si votre enfant a, pour parler comme Judith Butler, un trouble dans son genre, parlez avec lui, au besoin confiez-le à un psychothérapeute intelligent (oxymore !), mais en aucun cas n’entrez dans son jeu pervers consistant à s’habiller en fille en se faisant appeler Joséphine ou Daphné, comme Tony Curtis et Jack Lemmon dans Certains l’aiment chaud.


Certains jours, je pense très fort que les garçons qui se sentent filles cherchent juste un moyen d’aimer… les garçons sans se faire traiter de gays. Et pareil pour les filles. Les parents consentent à ce que leurs bambins prennent des traitements hormonaux ou recourent précocement à la chirurgie plastique pour se faire greffer des nichons. Les parents qui entrent dans ces fantasmes sont des imbéciles, à qui, neuf fois sur 10, leur progéniture malheureuse, après quelques mois ou années d’errance, reprochera amèrement d’avoir contribué à leur malheur.

Écrire cela, ce n’est pas être réactionnaire : c’est se prémunir contre un totalitarisme nouveau, qui sous l’étiquette woke est aussi pervers que le stalinisme. Les fascistes ne sont pas dans le camp que l’on croit — je me suis exprimé sur le sujet. Et pendant que nous nous perdons notre temps à interdire de parole des universitaires conscientes (ou des romancières intelligentes, voir ce qui est arrivé à J.K. Rowling, boycottée par les « trans » pour avoir émis sur l’identité féminine des opinions de bon sens), les Chinois, silencieusement, augmentent leur production industrielle et s’achètent de larges pans d’Afrique, d’Amérique et d’Europe. Ils doivent rigoler, les Fils du Ciel, quand ils voient dans quels débats byzantins nous perdons notre énergie et le peu qu’il nous reste d’âme. « Décivilisation » ? dit Macron. Décomposition plutôt.

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Suicide assisté, le pire assuré

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Shanti De Corte, victime des attentats de Bruxelles, a été euthanasiée à 23 ans pour "souffrance psychique inaltérable" © Benoît De Freine

Le récent suicide assisté d’une jeune Belge de 23 ans en « état de souffrance psychique » représente plus qu’une dérive de la légalisation de l’euthanasie. C’est un meurtre légal qui permet à notre société d’assumer son incapacité à sauver une génération totalement déconstruite.


« Autant jeter les fils vivants dans les brasiers. » Pierre Legendre

Rendu public en octobre dernier, le « suicide assisté » en Belgique d’une jeune femme de 23 ans, suite à l’aval donné par la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie (laquelle justifia après-coup du bien-fondé de sa décision en expliquant que « la jeune fille était dans un état de souffrance psychique telle que sa demande a été logiquement acceptée »), m’a fait penser à la mort du canari dans le puits de la mine. Une mort qui, pour signaler la modification invisible de l’environnement, prévenait les mineurs de l’explosion prochaine.

L’événement une fois connu suscita un certain émoi, de sévères critiques se firent entendre. Mais suite à un signalement (Le Monde, 7 septembre 2022), le parquet d’Anvers, estimant que la « procédure avait été suivie », classa l’affaire. Il s’était en effet trouvé deux psychiatres démiurges pour porter le diagnostic fatal de « maladie incurable » autorisant dans la loi belge le suicide assisté. Et cela arguant du fait qu’à la suite des traumas subis (un viol quelques années plus tôt, et sa présence lors de l’attentat terroriste de 2016 à Bruxelles), les hospitalisations et les traitements médicamenteux n’avaient pu délivrer cette jeune femme d’une « souffrance psychologique insupportable ». Sans autre considération d’une causalité psychique interne de sa souffrance subjective, plus profonde et antérieure à ces traumas. Notons que la jeune femme avait refusé la proposition d’une psychothérapie.

La décomposition de l’Interdit

Ce cas – à ma connaissance une première européenne pour une personne de cet âge et un tel motif – signe, je le crains, un pas supplémentaire dans la dérive folle de ce juridisme dé-civilisateur qui, légitimant le fantasme meurtrier sous-jacent aux demandes les plus insensées, déconstruit depuis plusieurs décennies la barrière de protection : les digues du droit civil soutenant l’architecture des filiations. Il n’est à tout prendre qu’une conséquence dernière de la décomposition de l’Interdit civilisateur – civilisateur des deux dimensions solidaires du désir qui spécifie l’animal parlant : celles de l’inceste et du meurtre. Un Interdit dont le droit civil, pour procéder de la Loi – la loi langagière de la différence des sexes et des générations –, a sous nos cieux vocation (anthropologique) à garantir la logique[1].

Longtemps témoin du recul des pratiques du soin et de l’assistance éducative et sociale pour faire face au « meurtre » – à tous les équivalents symboliques du meurtre œdipien visant l’une ou l’autre des figures fondatrices Mère et Père –, je soutiens que nous sommes loin d’avoir pris la mesure de la régression dans laquelle nous nous trouvons enferrés. Et ce dernier cas, effrayant, révèle dans quelle fuite en avant, nihiliste, la dévastation de notre environnement symbolique nous entraîne.

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Ayant cru pouvoir jeter par-dessus bord, sans autres conséquences que de « progrès » n’est-ce pas, les invariants existentiels – les contraintes indépassables de la différenciation humaine (Legendre) –, l’idéologie du Sujet-roi a promu le libre-service normatif. La mythologie subjective parentalela plus confusionnelle, celle des « parents combinés » d’avant l’accès à la différence des sexes,a pris, sous les termes de l’« homoparentalité », force de loi. La représentation fondatrice Mère/Père soutenue par le couple femme/homme, support du cours de la construction subjective, en a été juridiquement et culturellement pervertie.

Par-delà l’ébranlement moral qu’il engage, ce cas extrême me paraît exemplaire de la façon dont, pour occulter l’ordinaire de la négativité – cette part sombre irréductible de l’humain, nichée au fond de l’être de chacun –, le positivisme ambiant, sous les flonflons du Bien et de l’Empathie,  nous conduit vers le pire. À quelques exceptions près, les milieux professionnels de l’éducation et du soin eux-mêmes méconnaissent ou mésestiment la puissance négative, liant le meurtre à l’inceste, du désir inconscientqui spécifie l’animal parlant. Et plus encore, ils occultent les conditions de sa reliaison à la Loi, pour civiliser ce désir. Épousant la tendance culturelle du temps, ils s’aveuglent, à l’identique du monde intellectuel et politique, sur les effets délétères, présents et à venir, de la décomposition juridique en cours des fondements langagiers institués du sujet, ceux de la différence des sexes et des générations.

La paresse de sentiment

Dans un tel contexte, faire entendre qu’on ne saurait aider les sujets les plus dépressifs, les plus perturbés, sans d’abord oser ne pas les satisfaire comme ils disent le souhaiter, devient une gageure… Comme si l’on pouvait combler le désir de l’enfant en donnant satisfaction à son impérieuse demande ! Une satisfaction apportée par des parents culpabilisés, des pères papaïsés, maternalisés, dont on voit par exemple fort bien dans le récent film The Son à quelle issue fatale cela peut conduire…

Après avoir cru pouvoir faire de la « religion » – du lien transcendantal au Tiers, à la Souveraineté – une affaire privée, et par-là être politiquement débarrassé du Père et de l’Interdit, du Totem et du Tabou – une fable freudienne fausse et inutile selon un anthropologue accompagnateur de la déconstruction indéfinie –, la déshérence éducative et thérapeutique est au rendez-vous. Nous avons abîmé le fil de la transmission, perdu les ressources symboliques et psychiques pour soutenir la Limite et le Non face à la destructivité subjective des jeunes générations. Les parents d’aujourd’hui, enlacés aux idéaux du temps, sont priés de fermer les yeux. L’enfant est un ange. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil – les monstres exceptés.

Sait-on combien de drames pourraient être évités si, a contrario du mode de satisfaction aujourd’hui promu sous les termes d’un humanisme de bon aloi, ceux d’une écoute empathique, on comprenait en quoi un refus contrariant la demande du sujet peut bien davantage autoriser celui-ci à accéder, pour son propre compte, à sa culpabilité subjective ? À vouloir effacer toute conflictualité structurante, ce sont des multitudes de jeunes qui ne peuvent plus symboliquement tuer le Père, c’est-à-dire se dégager de l’Image narcissique de leurs parents. Ils se trouvent privés du chemin de leur propre émancipation de sujet. Faudrait-il alors s’étonner que, pour un nombre de plus en plus grand de ceux-là, mais aussi de nos concitoyens, une destructivité qui n’a pas trouvé à se métaboliser dans le creuset familial passe au réel ? Soit en s’extériorisant dans des violences multiformes. Soit, pour les sujets les plus fragiles, emprisonnés dans la tyrannie intérieure de leur Surmoi – la tyrannie d’une culpabilité qui n’est pas la leur –, en se retournant contre soi. Un profond déni culturel opère quant à la source la plus profonde de ces violences et de ces souffrances, souffrances d’autant plus intolérables pour les sujets qu’elles leur sont tenues hors sens.

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« Le sentiment est paresseux, de là son inconcevable cruauté… / Qui pêche par pitié présente après-coup la note la plus impitoyable… Gardez-vous du pathétique de l’empathie. » (Hermann Broch, Les Somnambules.)

Un lien en souffrance à la Mère

C’est ainsi qu’à croire devoir donner satisfaction à une telle demande de sujets en détresse existentielle, on verrouille – dans ce cas sous la formule, que je n’ose qualifier, de « maladie incurable » – toute possibilité de remanier leur lien en souffrance à la Mère, lien à cette Image narcissique la plus primitive d’une mère réduite à cette matrice à laquelle ils demeurent inconsciemment scotchés, con-fusionnés. Et si le monde psy a depuis plusieurs décennies reculé, régressé, c’est bien de ne plus comprendre en quoi c’est toujours et encore via l’Œdipe, dans la longue traversée, toujours plus ou moins boiteuse et douloureuse, du drame subjectif, qu’un sujet, institué dans une triangulation adéquate, peut dialectiser sa relation à l’Idole Mère, s’en distancier, en symboliser les Figures. Alors la souffrance, rapportée au drame du vivre et du mourir, peut prendre sens. Et le sacrifice, nouant la perte (l’acceptation du manque, de la limite) au sacré (de la Référence souveraine commune), peut se métaboliser pour la Vie, celle du sujet comme de la cité.

Comment faire résonner cela, que je sais difficile, quand, sous le règne de Big Mother, les fils déguisés en père (H. Michaux) s’avancent si bons, si innocents ? Comment faire reconnaître, alors que la négativité constitutive du désir est circonscrite de tous bords, en quoi la légitimation d’un tel suicide assisté libère dans la société, bien au-delà du cas, la pulsion de mort, la tendance de l’humanité à la mort ? Les nouveaux droits pactisent avec le meurtre.

Laisser accroire à ces sujets de grande sensibilité à la fin de l’angoisse et de la souffrance, à une vie d’innocence et de pur amour comme au Paradis d’avant la chute, c’est les dés-instituer, c’est les placer hors de la condition humaine commune, et au final, comme l’ont engagé tous les totalitarismes, en faire la proie du fantasme de la solution finale. Solution démoniaque et impitoyable de cet autre empathique qui, telle une mère toute bonne et toute-puissante, jamais ne saurait contrarier le fantasme des fils, aussi incestueux et meurtrier soit-il.

Elisabeth Borne ouvre la convention citoyenne sur la fin de vie, Paris, 9 décembre 2022. © Aurelien Morissard/POOL/SIPA

Dans le contexte culturel actuel, est-il encore loisible de soutenir qu’il n’aurait fallu en aucune manière se prêter à la demande de cette jeune femme en souffrance, en proie au tourment du vivre et du mourir ? Nul ne semble s’être demandé en quoi l’enjeu de mort qu’elle mettait sur la table était d’une tout autre nature que réelle. Sous le règne de l’empathie, agir et fantasme se sont confondus.

Alors que la problématique œdipienne nouant le cours de la reproduction subjective est donc considérée comme caduque – une vieillerie normative réactionnaire selon la doxa de pointe –, questionner l’enjeu de meurtre que ces jeunes sujets qui se suicident ou tentent de se suicider n’ont pu transposer dans la parole semble de plus en plus irrecevable. Comme demeure tout aussi incompréhensible que ces sujets, enkystés dans une telle débâcle subjective, identificatoire, soient les plus immédiatement sensibles, tel le canari de la mine, au grisou du nihilisme libéré par la déconstruction indéfinie des montages civilisateurs.

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Un écrivain américain l’a noté : « Si nous n’identifions pas les changements qui, dans notre civilisation, attaquent nos systèmes immunitaires sociaux et éthiques – systèmes auxquels nous nous référons d’habitude en parlant de tabous – il ne faudra pas longtemps avant que nous succombions tous. » (Russell Banks, Lointain souvenir de la peau.)

Un meurtre pour la vie

Le suicide d’un jeune sujet relève le plus souvent de cette dimension meurtrière du désir inconscient qui n’a trouvé son issue – du meurtre de cet autre que je est (hais).Mais d’un meurtre pour la vie : ce dont les dernières paroles rapportées dans la presse de cette jeune femme, résonnant du « manque », témoignent tragiquement. Il signe l’impasse de la séparation première d’avec la Mère, ce qui, de la différenciation subjective d’avec ce premier Autre que fut la mère, n’a pu s’élaborer. Pierre Legendre l’a ainsi posé : « Un suicide est un sacrifice humain, qui s’inscrit comme témoignage d’une différenciation manquée, dans la logique généalogique. » (« Le sujet du suicide », in Filiation, « Leçons IV, suite 2 ».). Tout suicide de ce genre signe un abcès généalogique. Le suicidé paie un impayé. L’impayé d’un sacrifice subjectif, celui de générations antérieures. Mais pour faire résonner ici l’enjeu de mort sur lequel ont pu buter douloureusement cette jeune femme, son entourage familial et institutionnel, qu’il soit entendu que c’est bien d’abord la régression dans laquelle nous nous trouvons enkystés, placés comme nous sommes sous l’imperium des idéaux post-hitlériens de la subjectivité sans loi (Legendre),  que je vise.  Une régression dont je soutiens, après avoir relevé plusieurs décennies durant dans la protection de la jeunesse combien elle pouvait hypothéquer la destinée subjective de tant de jeunes, leur maturation, que cet acte effroyable – tuer en toute légitimité, au nom de son bien, une jeune femme en souffrance psychique aiguë de 23 ans qui le demande – est une ultime manifestation  barbare, légalisée.


[1] Cf. P. Legendre, « L’indestructible question de l’Interdit », in Les Enfants du Texte : étude sur la fonction parentale des États, « Leçon VI », Fayard, pp. 25-31.

« GLAD ! » la revue qui ose tout, c’est à ça qu’on la reconnaît

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La revue numérique propose en accès libre des travaux scientifiques, artistiques et politiques « articulant recherches sur le genre et recherches sur le langage ». Liliane Messika l’a parcourue avec joie


Heureux qui, Féministe, a fait un beau voyage,
Ou comme celle.lui-là qui conquit le langage,
Et puis l’a retourné, points médians et collages,
En rendant inaudible la langue et le message !

Pour voyager dans le wokisme, une boussole a été mise au point. Elle se nomme GLAD ![1], le point d’exclamation permettant qu’on ne prenne pas cette revue bisannuelle de l’association « Genre, sexualités, langage » pour une exclamation de joie anglophone. Pour son numéro à paraître fin 2024, sur le thème « Genre-Animalité-Langage », la revue lance un appel à contributions sous la forme d’un « argumentaire » qui liste la faune et la flore d’une jungle au sabir impénétrable[2]. Le.la contributeur.e est invité.e à investiguer l’imaginaire commun partagé par « la consommation carnée et le viol ». Comme dessert, il y a du « Black veganism ». Il s’agit d’une conjugaison (à l’impératif) de l’antispécisme, battu en neige et incorporé soigneusement aux luttes antiraciste et antisexiste, afin d’ouvrir « une voie prometteuse pour penser la dénonciation et le dépassement des… animalisations péjoratives et essentialisantes ».

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Malgré leur empathie pour nos amies les bêtes, les charabiatologues admettent que le lion dévore la gazelle, mais la loi de la nature n’a rien à y voir: pour eux, viande et viol sont dans le même bateau. Si le lion mange, ce n’est pas parce qu’il est outillé carnivore, mais parce que son nom est un masculin. Et si la gazelle finit dans son estomac, ce n’est pas parce que son anatomie d’herbivore ne lui laisse aucune chance, mais parce que son nom est un féminin.

Vers une langue zoo-inclusive ?

Révélation: « il existe un continuum entre le traitement des corps des femmes, mais aussi des esclavagisé.e.s, des handicapé.e.s, des racisé.e.s et ceux des sols, des animaux, des végétaux. Tous.tes sont naturalisé.e.s, terrains d’expérimentation ou de conquête ». Un lecteur distrait comprendrait que les handicapés ont droit à autant de respect que les animaux et les végétaux, mais ce galimatias n’a pas vocation à faire sens. Il ne s’agit que d’une incontinence verbale consécutive à l’ivresse inclusive d’individu (point E point S) qui confondent leur nombril et leur neurone (au singulier).
Pour preuve, une question métaphysique: dans les verbalisations humaines adressées aux animaux domestiques « quelle place occupe le genre de l’énonciateur.rice, qu’iel soit l’humain.e s’adressant à l’animal ou l’animal dont on imagine le discours ? »
Cette sodomie coléoptérique posera les jalons d’une langue zoo-inclusive à laquelle les jargonneurs aspirent, tout en reconnaissant sa complexité: il faudra écrire systématiquement « cheval.jument » ou « poule.coq » et conjuguer au masculin fourmi, girafe et coccinelle…

Vous êtes folle, dit le Chat à Alice.
Comment savez-vous que je suis folle ? demanda Alice.
Vous devez l’être, répondit le Chat, ou vous n’auriez pas lu cet argumentaire jusqu’au bout.


[1] https://journals.openedition.org/glad/5305

[2] Argumentaire_Genre_animalité_langage.pdf

Un combat qui fait bondir

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La peau de kangourou ne sera plus utilisée par la marque Puma, pour ses chaussures de football. Devinez pourquoi.


Puma, le géant des articles de sport, est récemment tombé dans le viseur des éco-activistes et autres végans. Ces derniers ont dénoncé l’utilisation de cuir de kangourou comme matière principale de la « K-leather », la célèbre chaussure de football portée par de nombreux joueurs comme Diego Maradona ou Pelé. Cédant à la pression de ces lobbys, l’entreprise allemande a annoncé qu’elle mettait fin à la production de ce type de chaussure pour la remplacer par une autre plus conforme aux aspirations de la jeunesse. Baptisée « K-Better » avec 20 % de matériaux recyclés, la nouvelle chaussure se revendique végétalienne, éco-responsable et soucieuse de la protection animale. Une décision qui ne sera pas sans conséquence en Australie où la société s’approvisionne. Elle a mis en émoi les producteurs de cuir de kangourou, qui accusent les dirigeants de Puma d’être tombés dans le piège d’une « campagne internationale de désinformation » et réfutent l’idée que les matières alternatives sont nécessairement supérieures. Chaque année, les exportations de cuir de kangourou rapportent 120 millions d’euros à l’Australie et représentent 3 000 emplois. Malheureusement, Puma rejoint une tendance générale. Déjà, l’État de Californie interdit la commercialisation de produits utilisant des matières dérivées du kangourou. L’État d’Oregon, où Nike a son siège social, débat actuellement d’un projet de loi allant dans le même sens. La Chambre des Représentants délibère d’une loi de protection des kangourous, qui étendrait cette interdiction à tous les États-Unis. S’agit-il, au fond, de sauver des vies d’animaux ou de flatter la sentimentalité des jeunes militants antispécistes ? Même si on prohibe l’exploitation commerciale du cuir de kangourou, il sera toujours nécessaire d’abattre des kangourous en Australie pour empêcher que leur population explose. Ce qui est vraiment menacé ici, ce n’est pas le kangourou, c’est le bon sens humain.

Satan & Co

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Invocation satanique, profanation, provocation, blasphème… Connaissez-vous l’influente secte sataniste, The Satanic Temple?


À l’approche de la convention annuelle du Temple satanique, du 28 au 30 avril 2023 à Boston, Massachusetts, l’Église catholique a tiré la sonnette d’alarme. L’évêque et le cardinal de l’archidiocèse local ont demandé aux prêtres et à leurs ouailles de faire preuve d’une extrême vigilance lors du sacrement de l’Eucharistie afin d’empêcher quiconque de voler les hosties et de les profaner lors de la « SatanCon 23 ». Ils ont également fait pression pour que l’hôtel Marriott Copley Place renonce à accueillir le congrès. Il faut dire que les organisateurs de la convention n’y étaient pas allés de main morte dans la provocation racoleuse en annonçant que l’événement serait placé « sous le signe du blasphème ». Au programme figuraient moult rituels, messes noires et autres « nuits des sorcières ». La maire de Boston, Michelle Wu, s’est attiré les foudres de la secte après le refus du conseil municipal d’autoriser une invocation satanique à l’intérieur de la mairie de Boston lors de la SatanCon 23 et de pavoiser l’édifice municipal aux couleurs de Satan lors de la « Satan Week » qui se tient en juillet. Le Temple satanique (The Satanic Temple, TST), fondé il y a dix ans, revendique actuellement 700 000 sympathisants dans le monde et prône un crédo libertarien et athée. Ses « congrégations » mènent campagne en faveur de l’avortement et de l’éradication des symboles du christianisme dans l’espace public. En 2018, le TST a notamment défrayé la chronique avec l’installation temporaire d’une statue monumentale de Baphomet, une divinité démoniaque à tête de bouc, aux abords du Capitole de l’Arkansas pour protester contre l’érection d’un monument aux Dix Commandements. Cette religion antireligieuse est parvenue à obtenir certains des droits d’une église protégée par la Constitution des États-Unis, comme un statut d’exonération fiscale. Lors de la première « SatanCon », en 2022, des manifestants catholiques et protestants en sont venus aux mains à propos de leurs propres différences théologiques. Satan divise pour mieux régner.

Décivilisation: avec un joli mot, Macron tente de cacher la saleté et de se dédouaner

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Hommage national aux policiers, dans un commissariat central du Nord de la France, 25 mai 2023 © FRANCOIS GREUEZ/SIPA

Pourquoi le président de la République a-t-il choisi ce terme de “décivilisation” dans une déclaration récente ? Tous les éditorialistes s’interrogent. Sur le thème de l’insécurité, M. Macron et ses ministres convient les citoyens à une interminable et pénible valse des mots.


Le président de la République a appelé récemment à « contrer un processus de décivilisation » à la suite de la multitude des violences verbales et physiques qui affectent notre société, notamment les élus qui ne sont plus respectés. Ce dernier point est une évidence, un triste constat. Ce propos présidentiel qui peut avoir été inspiré par le sociologue Norbert Elias a été immédiatement rapporté par la gauche et l’extrême gauche à Renaud Camus et « à une diversion extrêmement droitière » d’Emmanuel Macron (Edwy Plenel dans Mediapart). Je ne crois pas que ce soit le cas. Si l’accusation était juste, je le féliciterais plutôt de n’avoir pas peur d’user d’un langage et de concepts venant d’ailleurs dès lors qu’ils exprimeraient parfaitement sa pensée.

A lire ensuite, Elisabeth Lévy: Désirs d’interdire

Je pourrais être enclin, dissociant sa référence de tout « clin d’oeil » à Renaud Camus, de l’analyser comme l’exercice d’une liberté permettant de puiser à volonté dans le vivier infini des mots. Et de se moquer des conséquences si tel ou tel avait déjà fait l’objet, par une autre famille politique, d’un traitement particulier. Remplacement et civilisation sont en effet à tous !

Cacher la saleté avec un joli mot

En réalité ce « processus de décivilisation » est typique de cette manière – qu’il doit juger noble et qu’on a le droit de juger pompeuse – conduisant trop souvent le président de la République à essayer de recouvrir la saleté du réel par la beauté des mots ; à masquer l’absence d’une politique efficace sous la somptuosité, voire l’enflure du vocabulaire. Je l’ai encore ressenti quand il a rendu hommage aux trois gardiens de la paix décédés à la suite de ce tragique accident causé par un conducteur circulant à contresens, sous l’emprise de l’alcool et de la drogue. Le discours qu’il a prononcé, écrit par une « plume » et qu’il a validé, m’apparaît comme souvent déconnecté de la réalité brute des désastres, pour être artificiellement embelli par le décor d’un lexique trop brillant pour être authentique.

Emmanuel Macron assiste à l’hommage de trois policiers décédés dans un accident de voiture, à l’École nationale de police de Roubaix, dans le nord de la France, le jeudi 25 mai 2023. © Yoan Valat/SIPA

À suivre la variété des définitions de l’insécurité égrenées par le président et les ministres en charge de ce domaine régalien, on est davantage frappé par la valse des mots que par la lucidité de l’observation. À l’origine, pour le garde des Sceaux, l’insécurité n’existait pas mais était un sentiment. Quand le ministre de l’Intérieur, forcément au fait de la France « Orange mécanique », évoquait l’ensauvagement, il était critiqué par son collègue de la place Vendôme et par le président lui-même. Ce terme était choquant, trop dur. Il est aussi arrivé à Emmanuel Macron d’user de cet euphémisme indécent : incivilités. L’essentiel a été longtemps de ne pas décrire, de ne pas nommer, de regarder ailleurs puis, à force, on n’a pas pu échapper au constat mais attention, pas d’amalgame, notre insécurité n’est pas celle du Rassemblement national, le macronisme est un humanisme, son impuissance est un hommage à la démocratie qui vigoureuse ne serait plus elle-même, Emmanuel Macron se situant assez volontiers en surplomb, avec une compassion abstraite pour les angoisses des Français, rien donc qui ressemble même de loin, dans sa bouche, à « un processus de décivilisation »…

Déclin, décadence ? Barbarie ?

Il y aurait eu pourtant quelques mots simples susceptibles de la qualifier, tout au long de cette descente implacable vers encore plus de délits et de crimes, vers des minorités de plus en plus violentes, vers une société éclatée, désarticulée, face à face dans ses antagonismes communautaristes, en basculement vers une France composite, hétérogène, sans qu’elle représente une chance. Déclin, décadence, régression, tiers-mondialisation, chute, sauvagerie, désastre… Pourquoi le président a-t-il alors choisi ce concept de décivilisation ?

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Certes, on pourrait soutenir que tout ce qui se déroule sous nos yeux stupéfaits, indignés ou lassés (violence, agressions gratuites, haines, massacres, atteintes aux êtres généralement les plus protégés comme les enfants ou les personnes âgées, faillite des mots donc recours aux gestes et aux armes, irrespect systématique) n’est pas loin de nos entraîner vers une forme de décivilisation si la civilisation est précisément dialogue, courtoisie, écoute, urbanité, démocratie paisible et refus absolu et sans nuance de toute malfaisance. Mais nous n’en sommes pas encore au pire. Et il est sans doute imprudent de qualifier les brisures de notre société, transgressives ou non, de « décivilisation », un concept bien trop ample et philosophique pour un quotidien que tout simplement le pouvoir ne maîtrise plus.

La politique est aussi faite de malice

Dans cette inadéquation je perçois le subterfuge présidentiel. Décivilisation, une notion trop abstraite, vague, diffuse, pour nommer une réalité trop horriblement prosaïque. Contre un processus de décivilisation, on ne peut rien accomplir, rien tenter. Une politique n’a aucune chance. Derrière la valse des mots, derrière le choix de ce dernier, il n’y a pas Renaud Camus ni l’extrême droite mais l’outrance d’un vocabulaire qui cherche à nous faire croire que le mal est philosophique et qu’au fond, pour nous, il est indolore.

Le président conceptualise quand le peuple endure.

Gustave Eiffel au Panthéon, vraiment?

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L'équipe du projet Tour Eiffel, 1889. Autour de Gustave Eiffel (au centre), Maurice Koechlin, Emile Nouguier, Stephen Sauvestre et Adolphe Salles. © Wikimedia

Les descendants de Gustave Eiffel et la Ville de Paris militent pour que le « père » de la célèbre tour fasse son entrée au Panthéon. Mais en regardant de plus près comment l’ingénieur a bâti le monument et son héritage, on a de bonnes raisons d’émettre quelques réserves.


Ingénieur centralien, Gustave Eiffel (1832-1923) fonde une entreprise de construction métallique. Cette fabrique n’est pas parmi les premières de son secteur, mais affiche une belle propension à innover afin de répondre aux problématiques techniques qui se présentent au courant du xixe siècle. Scientifique brillant et passionné, Eiffel bâtit principalement des ponts et des viaducs. Cependant, pour l’exposition universelle de 1889, il reprend l’idée d’un de ses collaborateurs, Maurice Koechlin, relever le défi d’une tour de 1000 pieds, soit 300 mètres de hauteur. Comment rêver meilleure publicité pour lui que cette tour qu’il baptise du nom de son entreprise !

Brillant ingénieur ou affairiste douteux ?

En parallèle, il est appelé à réaliser les écluses du canal de Panama. Ce chantier s’avère vite beaucoup plus coûteux que prévu et, en pratique, hors de portée pour la compagnie qui en a la charge. Toutefois, ses dirigeants s’engagent dans une fuite en avant reposant sur une corruption à grande échelle. 110 parlementaires acceptent des sommes importantes pour permettre de déroger à la protection des petits épargnants. Des journaux sont également payés (dont celui de Clemenceau, La Justice) pour vanter au public l’intérêt du placement.

En février 1889, peu avant l’inauguration de la tour Eiffel, la société du canal de Panama fait faillite. Des centaines de milliers de petits épargnants sont ruinés. En outre, dans les années suivantes, le vaste système de corruption est révélé au public, notamment à l’instigation du journaliste antisémite Édouard Drumont. C’est un séisme politique qui contribue gravement à la montée de l’antiparlementarisme et de l’antisémitisme.

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Eiffel est envoyé en prison, mais libéré après quelques mois de détention grâce à un pourvoi en cassation invoquant un vice de forme. Sa responsabilité semble surtout tenir à un système de surfacturations. Jean-Yves Mollier, professeur émérite d’histoire contemporaine, relève que « sur les 73 millions [de francs] facturés par Eiffel, 30 millions n’avaient pas de justification selon le tribunal ». Un franc-or correspondant à environ quatre euros, ces 30 millions équivalent à 120 millions d’euros, soit quatre fois le coût de construction de la tour Eiffel !

À la suite du scandale, partout en France, on débaptise les rues Gustave-Eiffel et la municipalité de Paris s’oppose pendant trente ans à ce que l’on érige au pied de la tour un buste de l’ingénieur. Et l’on débat encore aujourd’hui pour savoir si Eiffel a été réellement coupable ou simplement bouc émissaire. Cependant, force est de convenir qu’à ce stade, ce n’est pas le dossier idéal pour une demande d’entrée au Panthéon.

Eiffel n’est pas l’auteur de la tour Eiffel

Eiffel demande d’abord à ses ingénieurs de plancher sur cette idée de tour. Il en résulte un projet de pylône certes très haut, mais famélique et presque ridicule. Un tel édifice ne colle pas avec l’esprit d’une exposition universelle : le terme « universel » suppose que toutes les dimensions de l’esprit de création soient mobilisées. La tour, pour ne pas faire tache, doit être à la fois une prouesse technique et une merveille artistique.

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Eiffel change son fusil d’épaule et s’adresse à l’un des grands architectes son temps, Stephen Sauvestre (1847-1919). Ce dernier est issu de la première promotion de l’École spéciale d’architecture (ESA), créée dans le sillage de Viollet-le-Duc pour échapper au classicisme des Beaux-Arts. Sauvestre redessine complètement la tour dans l’esprit des commencements de l’Art nouveau. Il l’enrichit d’un décor magnifique aujourd’hui en grande partie déposé. Il compose une somptueuse polychromie à base de rouge de Venise[1], recouverte de nos jours d’une teinte marronnasse. En outre, grâce à lui, la tour n’est pas seulement un monument à regarder de l’extérieur, elle devient un édifice vivant ouvert au public. Il imagine des circulations, des balcons, des restaurants, des bars… Il en fait l’un des premiers et des plus beaux monuments Art nouveau de Paris. Eiffel, aussi investi soit-il dans ce projet, n’en est pas l’auteur, du moins pas l’auteur principal. Persévérer à lui attribuer la paternité de la tour, ce serait comme dire que Jules II est l’auteur des fresques de la chapelle Sixtine.

Il y a mieux à faire

Pour contribuer au rayonnement de la tour Eiffel, il y a mieux à faire que de transférer Gustave au Panthéon. Mais on revient de loin, souvenons-nous qu’il y a peu, il était prévu d’abattre au pied de la tour une quarantaine d’arbres anciens pour édifier cinq immeubles de bureaux sur le jardin classé du Champ-de-Mars. Il semble que ce projet saugrenu ait fait long feu, mais on attend toujours le retrait des permis de construire. Ensuite, tout l’environnement de la tour est saturé d’un bazar inextricable qui obstrue la vue et favorise la délinquance. Ne pourrait-on pas dégager tout cela, rouvrir au public les charmants jardins anglo-chinois et restituer la clarté de la perspective ? Autre chose : au lieu de repeindre la tour en un bien triste marron foncé, couleur sans légitimité historique et contrecarrant les éclairages, ne serait-il pas possible de rétablir la belle polychromie authentique ?

Allons plus loin, rêvons un peu : ne pourrait-on pas restaurer ce bâtiment emblématique de Paris, qui n’est même pas classé monument historique, en lui rendant ses décors d’origines ? Vraiment, qu’il serait enthousiasmant de restituer à la tour son élégance Art nouveau et sa saveur Belle Époque !

À voir. Eiffel toujours plus haut ! , parvis de la tour, été 2023, dates non encore précisées.


[1]. Voir Causeur, n° 100.

Annabelle Mouloudji: une femme amoureuse

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La chanteuse Annabelle Mouloudji © Stéphane Planchon

Le roman d’Annabelle Mouloudji raconte les passions désespérées et lumineuses d’une mère de famille en rupture de ban


La passion amoureuse, c’est la grande affaire de Duras. Quand l’un de ses romans est lu par Fanny Ardant, tout devient une évidence, et l’on serait prêt à reprendre le sentier herbeux de cette passion dévastatrice qui ressemble à la lumière d’août. L’époque est au rétrécissement des amours. La gratuité, celle de l’enfance, encore épargnée par les irradiations de la société, ne peut plus jouer sa partition, ou alors dans des cas très particuliers.

A relire : Nathalie Rheims: la gamine et l’oiseau

La narratrice de L’Amoureuse, roman sensuel d’Annabelle Mouloudji, fille de l’inoubliable interprète d’Un jour tu verras, n’échappe pas au piège de la passion amoureuse. L’ennui du quotidien la pousse à tomber dans les bras d’un certain Marc, stéréotype du mâle dominant, un peu pervers narcissique sur les bords. Elle finit par quitter son mari, David, dont elle a deux garçons. La mère de famille de quarante ans a besoin d’une nouvelle respiration. La reproduction de l’espèce étant accomplie, le corps réclame son dû, celui du plaisir. Les scènes, très érotiques, décrites par la narratrice, le prouvent. Mais il est difficile de tourner la page avec David, d’autant plus que Marc la déçoit, pire l’inquiète. Il n’a pas rompu totalement avec son ex-femme, ses fils sont insupportables, et, cerise sur le gâteau, il semble infidèle. Marc offre à la narratrice l’affiche du film Et Dieu créa la femme, de Roger Vadim, avec la mythique Bardot. La jeune actrice, inimitable, joue le rôle de Juliette, une orpheline, qui revendique haut et fort le droit à la liberté absolue. La narratrice devrait suivre son exemple. Elle finit par rompre avec Marc, mais son absence la plonge dans une durable dépression. Le temps passe, assassin, et elle devient la femme qui « ne saigne plus ». Surgit alors Pierre. Sera-t-il enfin le bon ? La fin du roman a quelque chose de surprenant. Elle laisse penser qu’il n’y a jamais de fin entre deux êtres qui se sont, certes mal aimés, mais sincèrement aimés. Quant au chagrin, il n’est pas certain, comme l’affirme Gigi, la voyante, qu’il finisse par passer. Pour paraphraser Van Gogh, le chagrin durera toujours.

Annabelle Mouloudji, L’Amoureuse, Éditions Léo Scheer. En librairie le 7 juin.

L'amoureuse

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Paul Morand, surréaliste malgré lui

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Paul Morand (1888-1976) © LIDO/SIPA

Le poème du dimanche.


André Breton avait estimé, à la lecture de Tendres Stocks que Paul Morand était « surréaliste par la métaphore. » Adoubement étrange si l’on y songe : Morand le réactionnaire apprécié par Breton le révolutionnaire… C’est sans doute que Morand réussit en littérature ce paradoxe qui consiste à être un réactionnaire absolument moderne, qui saisit parfaitement l’esprit de son temps, cette couleur chromée et joyeuse de la France et du monde en 1925 oubliant les horreurs de la guerre dans un enivrement constant par le jazz, la vitesse, le cinéma, la peinture ou la haute couture qui change la silhouette des femmes.

La partie poétique de l’œuvre de Morand enregistre cette modernité, la métabolise, ce qui donne ces joyaux dont les titres Lampes à Arc, Feuilles de Température, Vingt-cinq poèmes sans Oiseaux indiquent déjà un projet de sortie du vieux lyrisme pour mieux dire les métamorphoses de la beauté qui tient non plus aux choses elles-mêmes, mais au regard que l’on apprend à porter sur elles. Oui, une ville peut être belle mais on peut aussi être ému par des statistiques comme dans le poème que nous vous proposons le dimanche.


Un baiser
abrège la vie humaine de 3 minutes,
affirme le Département de Psychologie
de Western State College,
Gunnison (Col).
Le baiser
provoque de telles palpitations
que le cœur travaille en 4 secondes
plus qu’en 3 minutes.
Les statistiques prouvent
que 480 baisers
raccourcissent la vie d’un jour,
que 2 360 baisers
vous privent d’une semaine
et que 148 071 baisers,
c’est tout simplement une année de perdue.

Paul Morand

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Ci-gît le snob éternel!

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L'essayiste hollandais Antonius Moonen est l’auteur de plusieurs livres dédiés au snobisme. Photo: D.R.

Antonius Moonen publie Snob éternel, un guide pratique des usages funéraires aux éditions «Le Chat Rouge».


Vivre est à la portée de n’importe quel quidam. Savoir mourir, en revanche, demande dignité et une forme de détachement qui ne s’acquiert pas si aisément. La mort intimide, rend à la fois perplexe et un peu bête. Elle vous cueille un matin au saut du lit ou à la suite d’une longue maladie, que vous vous y soyez préparé longtemps à l’avance ou pas, elle laisse coi. Croyez-moi, c’est une chose qui arrive bien assez vite et communément admise pour la prendre avec une certaine hauteur de vue et un sourire en coin.

C’est même l’œuvre d’une vie entière que de disparaître sans accabler ses proches, tout en se rappelant à leur bon souvenir par une plaisante singularité. En toute circonstance, du berceau au trépas, le snob se doit de respecter des bonnes manières et un code d’honneur, se plier à un protocole particulier et à une bienséance fortement malmenée aujourd’hui par nos élites barbares, refuser le commun et le trivial, s’extraire des masses et effectuer le grand saut dans l’inconnu avec flambe et morgue, ne surtout pas gêner ses contemporains. Certaines fautes de goût dans le choix du faire-part, de l’épitaphe, du corbillard ou du caveau sont impardonnables pour l’homme qui s’est obligé à vivre supérieurement durant des décennies. La mort ne changera rien à ce programme, elle vient juste clore une existence portée par l’exigence morale et vestimentaire, le souci du détail et une esthétisation du quotidien. Tant de gens meurent dans l’indifférence et la banalité, parfois même dans d’extrêmes souffrances et d’inextricables soucis financiers.

A lire aussi: Pierre Robin, apôtre du contre-cool

Guide cocasse et guindé

Tout ça manque cruellement de courtoisie et d’ampleur. Antonius Moonen, né en 1956 aux Pays-Bas, déjà l’auteur du Petit bréviaire du snobisme en 2010 et du non moins estimable Manuel de savoir-vivre à l’usage des maîtres et maîtresses de chien en 2011 continue son travail d’évangélisation, tout en pratiquant un humour noir et un second degré salvateur dans une époque craintive. Cette fois-ci, il vient d’écrire Snob éternel aux éditions « Le Chat Rouge », maison qui publie depuis une vingtaine d’années des ouvrages précieux et décalés, sorte de cabinet de curiosités pour fins lettrés et dandys compulsifs. Les amateurs de raretés décomplexées et étranges connaissent la richesse de leur catalogue qui a notamment réédité La Comédie de la Mort de Théophile Gautier ou Les Poètes maudits de Paul Verlaine.  Dès sa préface, Antonius Moonen prévient le lecteur: « Le snobisme funéraire est vieux comme le monde comme nous révèlent les fouilles à Stonehenge (cimetière de la jet-set locale de l’âge du bronze), le Taj Mahal, les catacombes parisiennes et la Vallée des Rois en Égypte, les collections d’art funèbre des musées et les nombreux mausolées occupés par des célébrités ». Alors, comment concilier la mort qu’il qualifie de « scandaleusement républicaine » et d’« excessivement répandue » avec le snobisme ? « La démocratie et la popularité sont de loin les plus redoutables et méprisants des assassins de snobisme » avance-t-il. Ce guide cocasse et guindé, persifleur et didactique vous apprendra à éviter les pièges d’une mort standardisée comme la culture des tomates sous serres. Le thuriféraire avertit « être bien né ne suffit plus : il faut également être bien décédé ». Son abécédaire court d’Absoute à Zombie.

A lire aussi: Ma nuit chez Helmut Berger

Bienvenue chez Borniol

J’avais oublié la signification du mot « Borniol » qui s’apparente à une « lourde tenture noire que l’on tend à l’entrée d’une maison en deuil, au portique d’une église ou autour d’un catafalque ». L’amateur de voitures que je suis, a toujours eu un faible pour les corbillards, notamment les transformations des carrossiers sur des bases de Bentley et Rolls-Royce, l’auteur rappelle que « jadis il s’agissait d’un véhicule hippomobile » que l’on pouvait « embellir d’accessoires religieux, de draperies, de fleurs et de lanternes ».


L’auteur s’attarde sur des points techniques comme une mort survenue à l’étranger et la nécessité de rapatrier la dépouille, mais aussi quel « dress-code » adopter ? « L’étiquette conseille de retirer tous les bijoux, sauf l’alliance », écrit-il. Et qu’en est-il des vêtements de deuil pour votre veuve, par exemple ? « Même dans les régions les plus conservatrices, on accepte aujourd’hui l’abandon plus rapide des vêtements de deuil. On considère qu’au bout de six mois, la vie normale peut reprendre son cours ».

Snob éternel de Antonius Moonen – Le Chat Rouge

Snob éternel

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Et maintenant, Brighelli drague les trans!

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© Causeur

Après avoir assidument courtisé les pédagogistes, les islamistes, les féministes de deuxième dégénération, les intellectuels de Saint-Germain-des-Prés, les gens de gauche et la plupart des gens de droite, les adolescents de degré zéro et les crétins de toutes farines, notre chroniqueur tente de séduire les transgenres. Ne le décourageons pas, quoique l’issue d’une telle drague soit courue d’avance.


Sur le papier, Kathleen Stock coche toutes les bonnes cases. Universitaire, féministe, lesbienne, spécialiste de l’égalité des sexes. Nous ne sommes pas loin de la caricature. Mais voilà : elle a déclaré, en 2021, que le sexe biologique était une réalité inaliénable, comme le rappelle Arnaud De La Grange dans Le Figaro: « Concrètement, elle estimait qu’en ce qui concerne les vestiaires, les toilettes ou encore les prisons, les femmes devaient avoir des espaces réservés et non mixtes, afin notamment d’être protégées d’éventuelles agressions sexuelles. Et qu’elles ne devraient pas participer à des compétitions sportives avec des femmes transgenres. »

Moins ils sont nombreux, plus ils hurlent

Péché mortel pour tous ceux qui affirment, ces derniers temps, que le trans est l’avenir de l’homme et de la femme. Kathleen Stock a dû démissionner de son poste à l’université du Sussex — non, je ne me permettrai aucun jeu de mots débile sur Sussex. Invitée à s’exprimer à Oxford le 30 mai, elle est la cible d’une coalition de militants déchaînés — moins ils sont nombreux, plus ils hurlent, l’occupation de l’espace sonore compense leur faiblesse numérique — épaulés par des universitaires désireux de surenchérir sans cesse par peur d’être à leur tour pris pour cibles.

Un jeune universitaire honorable, John Maier, a rédigé une pétition de soutien à Kathleen Stock, parue dans The Telegraph. Pétition co-signée de certains de ses collègues — mais d’autres, explique Maier, ont retiré leur nom, par peur des réactions. Le courage du corps enseignant m’étonnera toujours.

Plusieurs centaines de ces mêmes enseignants ont signé une lettre pour contester la décision de faire Kathleen Stock chevalier de l’Ordre de l’Empire britannique, affirmant que sa « rhétorique néfaste » sur les personnes transgenres renforçait « le statu quo patriarcal ». Admirable. Quand on touche de l’idéologie à l’état pur, il faut la mettre en conserve pour l’édification de notre époque.

Alors, allons-y pour une bonne louche de patriarcat blanc — forcément oppresseur. Mais comme chantait Polnareff: « Je suis un homme, comme on en voit dans les muséums… »

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Il y a au Louvre une admirable statue en marbre d’un transgenre de l’époque romaine, inspirée d’un original grec en bronze du IIe siècle av. JC. L’une des plus belles paires de fesses de la statuaire mondiale. Un vrai — né comme ça. Les hermaphrodites, ça existe. On en a dénombré à ce jour environ 500 à l’échelle mondiale. Nombre de médecins considèrent cette simultanéité d’organes mâles et femelles comme une aberration chromosomique — d’autant qu’un hermaphrodite ne peut se reproduire, ni en tant qu’homme, ni en tant que femme, contrairement à nombre d’animaux (les escargots par exemple) et de plantes à hermaphrodisme avéré. La nature n’a aucun intérêt à les multiplier.

Mais, me direz-vous, il s’agit là d’un cas très particulier. Les transgenres qui s’agitent aujourd’hui sont bien plus nombreux : ils ont lu Simone de Beauvoir de travers, et estiment donc qu’on ne naît pas femme (ni homme), mais qu’on le devient par un effort de la volonté. Et que né Richard ou Jean-Pierre, j’ai le droit de me faire appeler Héloïse ou Carmen, si je le ressens ainsi, le droit de faire la queue (non, je résisterai au jeu de mots !) dans les toilettes des filles, et de violer sous la douche les membres (non ! Je ne veux rien entendre !) de l’équipe féminine où je me suis fait une place.

Soyons sérieux. Que des adolescents perturbés (pléonasme !), parvenus à cet âge-charnière où les hormones vous incitent à vous poser gravement des questions insolubles, se demandent s’ils aiment les garçons ou les filles, j’y consens: toutes les enquêtes prouvent qu’il y a un noyau incompressible de 4,5% d’homosexuels des deux sexes. Plus quelques-uns que l’on a persuadés qu’ils l’étaient : c’est ainsi que Philippe d’Orléans, né en 1640 deux ans après son frère Louis, fut élevé comme une fille, afin qu’il ne renouvelât pas le complot permanent de Gaston d’Orléans contre Louis XIII. Philippe développa donc pour les palefreniers du Palais-Royal les goûts qu’avait son frère pour les chambrières. De là à se demander s’il était bien un garçon… S’il n’était pas né fille, et si les ustensiles qu’il trimballait par devant n’étaient pas des simulacres… Si…

Une époque troublante

Nous vivons une époque étrange, où les questions les plus sérieuses sont évacuées, et remplacées (habilement, diront certains) par ces problèmes sociétaux qui font jaser les gazettes. Si votre enfant a, pour parler comme Judith Butler, un trouble dans son genre, parlez avec lui, au besoin confiez-le à un psychothérapeute intelligent (oxymore !), mais en aucun cas n’entrez dans son jeu pervers consistant à s’habiller en fille en se faisant appeler Joséphine ou Daphné, comme Tony Curtis et Jack Lemmon dans Certains l’aiment chaud.


Certains jours, je pense très fort que les garçons qui se sentent filles cherchent juste un moyen d’aimer… les garçons sans se faire traiter de gays. Et pareil pour les filles. Les parents consentent à ce que leurs bambins prennent des traitements hormonaux ou recourent précocement à la chirurgie plastique pour se faire greffer des nichons. Les parents qui entrent dans ces fantasmes sont des imbéciles, à qui, neuf fois sur 10, leur progéniture malheureuse, après quelques mois ou années d’errance, reprochera amèrement d’avoir contribué à leur malheur.

Écrire cela, ce n’est pas être réactionnaire : c’est se prémunir contre un totalitarisme nouveau, qui sous l’étiquette woke est aussi pervers que le stalinisme. Les fascistes ne sont pas dans le camp que l’on croit — je me suis exprimé sur le sujet. Et pendant que nous nous perdons notre temps à interdire de parole des universitaires conscientes (ou des romancières intelligentes, voir ce qui est arrivé à J.K. Rowling, boycottée par les « trans » pour avoir émis sur l’identité féminine des opinions de bon sens), les Chinois, silencieusement, augmentent leur production industrielle et s’achètent de larges pans d’Afrique, d’Amérique et d’Europe. Ils doivent rigoler, les Fils du Ciel, quand ils voient dans quels débats byzantins nous perdons notre énergie et le peu qu’il nous reste d’âme. « Décivilisation » ? dit Macron. Décomposition plutôt.

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