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Crise de l’école: «Des solutions existent mais elles butent sur l’idéologie!»

Entretien avec Eve Vaguerlant, auteur de "Un prof ne devrait pas dire ça ; choses vues et choses tues" (L’Artilleur, 2023)


Crise de l’école: «Des solutions existent mais elles butent sur l’idéologie!»
Eve Vaguerlant. D.R.

Eve Vaguerlant, professeur en collège, nous présente sa vie professionnelle au quotidien, dans un livre intitulé Un prof ne devrait pas dire ça ; choses vues et choses tues (L’Artilleur, 2023) Elle y présente toutes les difficultés que l’enseignement connaît aujourd’hui, les paradoxes ahurissants qui les nourrissent, les idéologies à l’œuvre qui empêchent des solutions simples d’émerger. Causeur a eu envie de la rencontrer.


Attention, Eve Vaguerlant est professeur agrégée de lettres ! Pourtant, à nos lecteurs, j’ai envie de dire ce que Jean-Paul II disait à ses ouailles: «  N’ayez pas peur ! » Son livre est d’une extraordinaire lisibilité. Si, bien sûr, elle y analyse avec précision le désastre de l’école, elle le fait en l’illustrant continuellement de scènes en classe, dans les couloirs, avec les élèves bien sûr, mais aussi ses collègues – dont elle relate les aventures qu’ils vécurent – et la direction. On y est ! On voit enfin ce qui se passe réellement dans les cours, dans la salle des professeurs, dans l’Éducation nationale ! C’est ce qui fait de ce livre qui pose le bon diagnostic, qui dénonce les fausses solutions et qui apporte des remèdes simples et bienvenus, un récit vivant, voire une épopée.

Raisons pour lesquelles nous en conseillons vivement la lecture ; à tous bien sûr, mais aux parents en particulier, lesquels n’ont pas souvent l’occasion d’approcher de si près la réalité de ce que leurs enfants vivent. Ainsi, seront-ils peut-être amenés à intervenir autrement qu’ils ne le font d’ordinaire, pour soutenir les professeurs courageux comme l’est Eve Vagherlan afin que leur descendance connaisse un enseignement digne de ce nom.

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Causeur. Le constat est aujourd’hui unanime : l’Ecole va mal ! Quelles sont, à vos yeux, les raisons les plus criantes de la maladie ?

Eve Vaguerlant. Effectivement, enfin, le constat est partagé ! Pendant des années voire des décennies, il y a eu un déni complet alimenté par des experts. Cela dit, dès qu’on aborde le diagnostic, il y a toujours des divergences, mais ce sont surtout les solutions qui divisent le plus. On connaît maintenant les ravages du pédagogisme : l’élève à la recherche de son propre savoir, le refus de la transmission, l’abandon de l’autorité, de la discipline, de toute forme de sanction. C’est ce qui fait que dans certaines classes, on ne peut pratiquement plus enseigner ! D’ailleurs, le professeur, qui ne doit plus transmettre de manière verticale, est devenu le « gentil animateur » qui encadre des élèves « mis en activité ». Par ailleurs, en français comme en langues vivantes, vous n’avez plus le droit de faire de la grammaire séparée des textes ; l’élève doit apprendre par imprégnation, sans plus avoir à apprendre de vocabulaire ou à faire des exercices de grammaire.

C’est donc la fin des contraintes et le règne du festif? Nos profs se sont transformés en GO du Club Med?

Absolument. Tout ce qui est jugé rébarbatif (le par cœur ou la dictée, par exemple) a été supprimé. Et l’enseignant n’est plus celui qui maîtrise sa discipline mais celui qui saura « accrocher » ses élèves avec une pédagogie inventée et ludique et qui, soit dit en passant, ne sera jamais aussi ludique que les jeux vidéo…

On parle toujours d’une question de « moyens » et jamais de la « manière ». Que pensez-vous des dernières annonces du ministre de l’Education nationale ?

Les syndicats sont littéralement obsédés par la question des moyens. Ils n’ont pas tort pour ce qui concerne les salaires, mais il faut savoir que le budget général de l’Education nationale est un des plus élevés de l’OCDE et qu’un élève coûte annuellement 10 000 euros ! La question est donc celle de l’emploi de cet argent.

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Quelles sont ces solutions – toujours merveilleusement innovantes – proposées par le ministère ?

Le discours récurrent est que les professeurs ne sont pas assez formés ! Les « boîtes à pédagogisme » que sont les INSPE, anciennement IUFM, qui n’ont jamais servi à rien, partent du principe qu’on n’est pas encore allé assez loin dans le pédagogisme, au lieu de mettre les professeurs sur le terrain. Nous nous voyons proposer des « formations à la laïcité » ou des « formations à la gestion des tensions », au lieu de s’occuper des enfants qui posent problème ! C’est, de plus, extrêmement culpabilisant car si un professeur ne réussit pas à « gérer » sa classe, c’est forcément de sa faute. Le système mis en place n’y est jamais pour rien…

Vous avez face à vous des élèves qui ne sont pas au niveau, d’autres qui ont divers handicaps – et le professeur n’est du reste pas prévenu – mais c’est le professeur qu’on doit « soigner » ?

C’est cela ! On est censé se diviser en deux, en quatre, en cinq, en dix, et faire cours à « chaque élève », cela s’appelle «  la pédagogie différenciée ». Les professeurs n’osent jamais dire en conseil de classe qu’ils n’y arrivent pas car cela les humilierait, mais la salle des professeurs est par ailleurs un véritable mur des lamentations. Les fausses solutions ne font qu’empirer la situation.

Outre ce déni infligé aux professeurs, il y a la question des idéologies régnant au sein de l’institution, dénoncée notamment dans un récent numéro de notre magazine.

Parmi les idéologies qui empoisonnent la transmission de la culture, il y a la conception extrêmement négative de la laïcité par les professeurs eux-mêmes, qui a fait qu’on a balayé tout ce qui relève de la culture chrétienne et qu’un élève qu’on emmène au musée ne comprendra jamais rien à un tableau mettant en scène «  l’Annonciation ». Les professeurs, qui sont souvent ignorants des textes religieux, croient faire du catéchisme s’ils parlent de la Bible ! Et leur méconnaissance peut aller encore plus loin : lorsque j’étais au lycée, un professeur nous a fait étudier « le discours du libertin » de Pascal en prêtant à Pascal le discours en question ; ce qui était un contre-sens total ! L’école a une histoire anti-chrétienne en général et anticatholique en particulier qui lui fait confondre christianisme et chrétienté. Dans les programmes en histoire, par exemple, tout l’Ancien Régime est balayé. Les élèves ne rencontreront jamais vraiment un seul roi de France à part Louis XIV, les élèves ne verront jamais la guerre de cent ans ni les Croisades ! En revanche, on va choisir comme thème « la rencontre du christianisme et de l’islam en Méditerranée au Moyen-Age … »


Cette école a donc un accueil de l’islam proprement effarant, à vous entendre?

Par lâcheté. Et s’il y a encore quelques vieux laïcards, la nouvelle génération et l’Institution sont adeptes de la « laïcité ouverte » parce qu’on a peur du conflit avec une religion plus belliqueuse que le catholicisme qui, lui, a accepté la laïcité depuis longtemps.

La nature a horreur du vide, l’école aussi. L’islam le remplit ?

D’autant plus qu’il y a effacement de notre culture au profit d’un islamisme extrêmement vindicatif. Et cela vient, entre autres, de l’obsession d’équilibrer alors que pour étudier nos chefs-d’œuvre on n’a pas besoin de la culture islamique mais chrétienne !

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Et que pensez-vous des polémiques sur le wokisme ?

Eh bien, nous avons dans les couloirs des établissements des affiches LGBT+++, mais surtout, nous avons des intervenants issus d’associations très militantes, agréées par le ministère, et qui viennent faire des cours d’éducation sexuelle faisant la promotion du genre et niant la différence biologique homme/femme, où ce sont par exemple des « personnes qui ont leurs règles » qui sont évoquées mais surtout pas les filles… Je ne parle même pas de l’écriture inclusive ! Les professeurs de SVT pourraient pourtant parfaitement faire ce cours d’éducation sexuelle, mais c’est vrai qu’ils parleraient physiologie et biologie… Je rebondis sur la question précédente en affirmant que cette déconstruction fait le lit de l’islamisation car l’islam, de son côté, offre un cadre, des repères et des prescriptions très strictes qui rassurent les élèves soumis à la confusion généralisée.

Quelle est la marge de manœuvre d’un chef d’établissement ou d’un professeur pour refuser ces intervenants ?

Elle n’existe pas ou alors à ses dépens, car c’est le ministère lui-même qui les envoie !

Quels sont les remèdes que vous préconisez ?

Il me paraît essentiel de permettre de nouveau des redoublements, de la sélection, mais ce genre de propositions mettrait immédiatement les professeurs en grève. Et ce, au nom de l’intérêt de l’élève ! Rendez-vous bien compte: si vous avez une bonne partie de la classe qui n’a pas le niveau, cette partie-là ne pouvant pas suivre doit bien s’occuper ; elle met le bazar et tout le monde est pénalisé. Dès la primaire, il ne faut plus permettre que des élèves sortant du CP ou du CE1 ne sachant ni lire ni écrire, puissent passer indéfiniment d’une classe à une autre. Mais les classes de niveau sont le grand tabou, alors que des élèves en difficulté, dès lors qu’on a résolu le problème de la discipline, en profiteraient largement. Et les élèves qui suivent cesseraient de perdre leur temps. Jusqu’en 1991, à partir de la 5ème, on pouvait intégrer des filières technologiques et professionnelles, et il n’y a rien de honteux à ne pas être intéressé par des études abstraites ou théoriques, rien de désobligeant à ne pas être intéressé à chercher des métaphores et à préférer faire quelque chose de ses mains. À force d’idéologie, nous avons mis des élèves dans une logique d’échec permanente qui les fait préférer être un « rebelle » et rejoindre les caïds plutôt qu’être le nul de la classe… Quant à ceux qui ne suivent pas ce chemin, la chute viendra à l’entrée à la fac ; on retarde juste l’effondrement.

Des solutions existent à la crise de l’école, et pas forcément chères, et de bon sens, mais elles butent sur l’idéologie qui a fait que l’individu prime sur le bien commun. Nous raisonnons à partir de l’enfant qui échoue et pas à partir du plus grand nombre que l’on sacrifie. La tyrannie des minorités s’exerce là aussi…



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Professeur de lettres modernes à la retraite, ayant enseigné dans le 93.

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