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Désirs d’interdire


Désirs d’interdire
D.R.

Nous nous habituions à peine à une censure venant du bas, venant de la société et de la gauche woke, que la censure de l’État revient. Ceux qui sont attachés à la liberté d’expression doivent donc se battre sur deux fronts. Les idées se combattent mais ne s’interdisent pas, rappelle notre directrice de la rédaction.


Youpi, les heures-les-plus-sombres sont de retour. La saison antifasciste a été lancée par le funeste – et grotesque – défilé de zozos masqués et accoutrés façon chevaliers teutoniques, qui s’est déroulé le 6 mai à Paris. Dans la foulée, la mode no pasaran s’offre un tour de piste, avec les falbalas sémantiques et les accents lyriques de rigueur. On ne sait pas très bien si c’est l’ultra-droite, l’extrême droite ou le fascisme (ça dépend des jours), mais cette hydre regroupe au total quelques centaines d’individus, allant du nazillon au royco tendance tradi en passant par les adorateurs de la civilisation celte et autres groupuscules bizarres. Certains sont ouvertement racistes, antisémites, d’autres sont simplement des nostalgiques ardents de l’Ancien régime et de la France chrétienne. La plupart sont pacifiques dans leurs méthodes à défaut de l’être dans les idées. Mais s’ils n’existaient pas, la gauche les inventerait tant elle semble revivre à chaque fois qu’un substitut de la bête immonde apparaît à l’horizon. C’est tellement rigolo de jouer à la Résistance. 

Touche pas à mon facho !

Il parait donc que ce sont ces hordes barbares qui menacent la République. Sous la pression des grandes orgues jouées aussi bien par son gouvernement que dans les rangs nupistes, Gérald Darmanin montre ses muscles. De méchants esprits comme Jonathan Siksou remarquent que le ministre est intraitable avec quelques régionalistes cagoulés mais d’une bienveillance coupable avec les 40 000 teknivaliers qui, durant quatre jours, ont occupé illégalement un terrain agricole – et qu’on nous a montrés ramassant gentiment leurs canettes. Fort avec les faibles… Le ministre de l’Intérieur a donc dégainé une circulaire enjoignant les Préfets d’interdire toute manifestation organisée par des militants, associations ou collectifs d’ultradroite ou d’extrême droite. L’ennui, c’est que ça ne veut rien dire. Qui décide ce qui est d’extrême droite? Pour Libé ou France Inter ça commence aux chasseurs (et je ne vous parle pas de Causeur). 

Il est assez probable que cette circulaire soit entachée d’illégalité : on peut dissoudre un groupe et interdire un événement, on n’interdit pas des idées. Le ministre de l’Intérieur a donc obligé le Préfet à brandir l’interdiction contre l’Action française puis contre un colloque sur Dominique Venner. Il a été débouté pour le premier et le sera certainement pour le second. Presqu’aucune voix ne s’est élevée pour dénoncer cet attentat à la liberté. C’est pourtant grave. On s’était habitué à ce que la demande de censure émane de la société, et bien sûr de cette nouvelle gauche qui voue une passion à l’interdit. Et on voit ressurgir les pulsions de censure du pouvoir qui, après s’être payé le ridicule d’interdire les casseroles, s’attaque donc à la peste brune. C’est donc sur deux fronts qu’il faut désormais défendre la liberté d’expression. 

La démocratie doit tolérer la contraction radicale

Quoiqu’on pense de gens qui se réunissent pour chanter les louanges du roi ou de Dominique Venner, ils ont le droit de le faire tant qu’ils n’agressent personne et n’appellent pas à la violence. La démocratie est par nature le régime qui admet sa propre contradiction, même radicale. Certes, on a parfaitement le droit de combattre les idées qu’on réprouve. Mais d’une part, l’étouffement n’est pas une arme loyale, de l’autre tous ces défenseurs de la République affolés par quelques croix celtiques sont bien muets devant les burqas, les crimes d’honneur ou la terreur que font régner des groupuscules extrême gauchistes dans des facs. On comprend qu’il soit bien plus gratifiant de pourfendre un ennemi à terre. 

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Les fachos de gauche et d’islamo-gauche ont donc, eux, table ouverte. Il ne viendrait à l’idée de personne (et certainement pas de votre servante) de demander l’interdiction des réunions réservées aux non-blancs, aux femmes, aux non binaires et aux abstinents sexuels du signe de la Vierge. À quelques exceptions près (Éric Naulleau, Olivier Dartigolles), on ne s’émeut pas beaucoup, dans les rangs « progressistes », des agissements totalitaires de groupuscules armés de leur bonne conscience. 

Et les fachos de gauche alors ?

La réunion tout à fait chatoyante organisée par le collectif Palestine Vaincra sur le plateau des Glières n’a donc guère suscité d’émoi. Les sourcilleux gardiens de la mémoire de la Résistance, qui ont leurs vapeurs dès qu’un lepéniste s’approche de Colombey ou du Mont-Valérien, n’ont rien trouvé d’inconvenant dans ce hold-up perpétré par des gauchisto-islamo-zadistes communiant dans la haine d’Israël. Au moment où on interdit à des « ethno-différentialistes » (terme employé par Jean-Yves Camus) parfaitement pacifiques de rendre hommage à un écrivain, un message de George Ibrahim Abdallah, incarcéré en France pour sa complicité dans des assassinats de diplomates, était lu sous les vivats à la tribune sur ce haut lieu de la résistance au nazisme. Invoquant, toute honte bue, les maquisards qui ont sauvé l’honneur du pays, le soi-disant plus vieux prisonnier politique de France parle de la « soldatesque sioniste et ses hordes de colons sous les ordres des suprémacistes au pouvoir se livrent tous les jours aux pires atrocités partout en Palestine ». Et cette politique « ne s’arrêtera qu’avec la dissolution de cette entité ». La Palestine de la mer au Jourdain, c’est presque aussi vintage que l’Action française. 

Pour le coup, il existe probablement un fondement légal pour dissoudre ce ramassis prétendument pro-palestinien (mais qui depuis quarante ans, a consciencieusement empêché toute solution à deux États). On peut en effet considérer que l’appel à détruire Israël relève de la provocation à la haine. 

Ce serait une solution désastreuse. Elle ne ferait pas changer d’avis une seule personne, au contraire. De surcroît l’interdiction est l’arme des faibles. Si on croit vraiment à la grandeur intrinsèque de la liberté, elle doit d’abord bénéficier aux idées qui nous semblent le plus intolérables : à ma connaissance, nul ne songe à interdire l’eau tiède et les bons sentiments. Donc, oui, il faut laisser s’exprimer George Ibrahim Abdallah (et ses truchements), comme les admirateurs de Dominique Venner. En attendant, j’ai envie de demander à mes amis de gauche qui ne lèvent pas le petit doigt pour défendre la liberté de leurs adversaires, ce qu’ils feront quand on viendra les chercher. Le pire, c’est qu’on sera là. C’est la seule bonne nouvelle de ces temps moroses. Il se trouve encore beaucoup de monde, en France, et particulièrement parmi vous, chers lecteurs, pour refuser la disparition de la pensée libre. Après notre appel contre la censure publicitaire dont Causeur est victime, vous avez été très nombreux à manifester votre soutien par des abonnements, des dons, de précieux conseils, des mots d’encouragement et de réconfort. Plus important encore que l’aide financière, précieuse, vous nous avez montré que nous n’étions pas seuls. Et ça donne de l’énergie pour les prochains combats.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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