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Décivilisation: avec un joli mot, Macron tente de cacher la saleté et de se dédouaner

La valse des mots...


Décivilisation: avec un joli mot, Macron tente de cacher la saleté et de se dédouaner
Hommage national aux policiers, dans un commissariat central du Nord de la France, 25 mai 2023 © FRANCOIS GREUEZ/SIPA

Pourquoi le président de la République a-t-il choisi ce terme de “décivilisation” dans une déclaration récente ? Tous les éditorialistes s’interrogent. Sur le thème de l’insécurité, M. Macron et ses ministres convient les citoyens à une interminable et pénible valse des mots.


Le président de la République a appelé récemment à « contrer un processus de décivilisation » à la suite de la multitude des violences verbales et physiques qui affectent notre société, notamment les élus qui ne sont plus respectés. Ce dernier point est une évidence, un triste constat. Ce propos présidentiel qui peut avoir été inspiré par le sociologue Norbert Elias a été immédiatement rapporté par la gauche et l’extrême gauche à Renaud Camus et « à une diversion extrêmement droitière » d’Emmanuel Macron (Edwy Plenel dans Mediapart). Je ne crois pas que ce soit le cas. Si l’accusation était juste, je le féliciterais plutôt de n’avoir pas peur d’user d’un langage et de concepts venant d’ailleurs dès lors qu’ils exprimeraient parfaitement sa pensée.

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Je pourrais être enclin, dissociant sa référence de tout « clin d’oeil » à Renaud Camus, de l’analyser comme l’exercice d’une liberté permettant de puiser à volonté dans le vivier infini des mots. Et de se moquer des conséquences si tel ou tel avait déjà fait l’objet, par une autre famille politique, d’un traitement particulier. Remplacement et civilisation sont en effet à tous !

Cacher la saleté avec un joli mot

En réalité ce « processus de décivilisation » est typique de cette manière – qu’il doit juger noble et qu’on a le droit de juger pompeuse – conduisant trop souvent le président de la République à essayer de recouvrir la saleté du réel par la beauté des mots ; à masquer l’absence d’une politique efficace sous la somptuosité, voire l’enflure du vocabulaire. Je l’ai encore ressenti quand il a rendu hommage aux trois gardiens de la paix décédés à la suite de ce tragique accident causé par un conducteur circulant à contresens, sous l’emprise de l’alcool et de la drogue. Le discours qu’il a prononcé, écrit par une « plume » et qu’il a validé, m’apparaît comme souvent déconnecté de la réalité brute des désastres, pour être artificiellement embelli par le décor d’un lexique trop brillant pour être authentique.

Emmanuel Macron assiste à l’hommage de trois policiers décédés dans un accident de voiture, à l’École nationale de police de Roubaix, dans le nord de la France, le jeudi 25 mai 2023. © Yoan Valat/SIPA

À suivre la variété des définitions de l’insécurité égrenées par le président et les ministres en charge de ce domaine régalien, on est davantage frappé par la valse des mots que par la lucidité de l’observation. À l’origine, pour le garde des Sceaux, l’insécurité n’existait pas mais était un sentiment. Quand le ministre de l’Intérieur, forcément au fait de la France « Orange mécanique », évoquait l’ensauvagement, il était critiqué par son collègue de la place Vendôme et par le président lui-même. Ce terme était choquant, trop dur. Il est aussi arrivé à Emmanuel Macron d’user de cet euphémisme indécent : incivilités. L’essentiel a été longtemps de ne pas décrire, de ne pas nommer, de regarder ailleurs puis, à force, on n’a pas pu échapper au constat mais attention, pas d’amalgame, notre insécurité n’est pas celle du Rassemblement national, le macronisme est un humanisme, son impuissance est un hommage à la démocratie qui vigoureuse ne serait plus elle-même, Emmanuel Macron se situant assez volontiers en surplomb, avec une compassion abstraite pour les angoisses des Français, rien donc qui ressemble même de loin, dans sa bouche, à « un processus de décivilisation »…

Déclin, décadence ? Barbarie ?

Il y aurait eu pourtant quelques mots simples susceptibles de la qualifier, tout au long de cette descente implacable vers encore plus de délits et de crimes, vers des minorités de plus en plus violentes, vers une société éclatée, désarticulée, face à face dans ses antagonismes communautaristes, en basculement vers une France composite, hétérogène, sans qu’elle représente une chance. Déclin, décadence, régression, tiers-mondialisation, chute, sauvagerie, désastre… Pourquoi le président a-t-il alors choisi ce concept de décivilisation ?

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Certes, on pourrait soutenir que tout ce qui se déroule sous nos yeux stupéfaits, indignés ou lassés (violence, agressions gratuites, haines, massacres, atteintes aux êtres généralement les plus protégés comme les enfants ou les personnes âgées, faillite des mots donc recours aux gestes et aux armes, irrespect systématique) n’est pas loin de nos entraîner vers une forme de décivilisation si la civilisation est précisément dialogue, courtoisie, écoute, urbanité, démocratie paisible et refus absolu et sans nuance de toute malfaisance. Mais nous n’en sommes pas encore au pire. Et il est sans doute imprudent de qualifier les brisures de notre société, transgressives ou non, de « décivilisation », un concept bien trop ample et philosophique pour un quotidien que tout simplement le pouvoir ne maîtrise plus.

La politique est aussi faite de malice

Dans cette inadéquation je perçois le subterfuge présidentiel. Décivilisation, une notion trop abstraite, vague, diffuse, pour nommer une réalité trop horriblement prosaïque. Contre un processus de décivilisation, on ne peut rien accomplir, rien tenter. Une politique n’a aucune chance. Derrière la valse des mots, derrière le choix de ce dernier, il n’y a pas Renaud Camus ni l’extrême droite mais l’outrance d’un vocabulaire qui cherche à nous faire croire que le mal est philosophique et qu’au fond, pour nous, il est indolore.

Le président conceptualise quand le peuple endure.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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