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Malraux nous manque… avec ses amis peintres. Un chef d’État aussi

Une tribune de Jérôme Serri


Malraux nous manque… avec ses amis peintres. Un chef d’État aussi
La plasticienne suisse Miriam Cahn, image d'archive © Christian Charisius/AP/SIPA

Le débat est clos. L’exposition du Palais de Tokyo vient de fermer ses portes. Elle en aura fait du bruit, la peinture de Miriam Cahn!


« Ce tableau représente un enfant, à genoux, ligoté les mains dans le dos, forcé à une fellation par un adulte » s’indigna une députée du Rassemblement national qui demanda son décrochage. « Ce ne sont pas des enfants. Ce tableau traite de la façon dont la sexualité est utilisée comme arme de guerre, comme crime contre l’humanité », s’est défendue la plasticienne suisse dont c’était, à 73 ans, la première rétrospective en France. « Vu sa taille, c’est un enfant » dirent les uns. « Non, regardez bien, c’est une femme agenouillée », répondirent les autres. La plasticienne « n’ayant pas de dessin » comme on dit dans le métier, le personnage malingre aux mains liées dans le dos demeure fort ambigu. Pourquoi avoir donné comme titre à sa toile : « Fuck abstraction » ? A-t-elle voulu s’en prendre à un art abstrait qui ne saurait par nature dénoncer ce qu’elle entendait dénoncer ?


Ras le bol de l’art disruptif

Mais pourquoi être figuratif si la figuration, incapable de représenter le réel sans ambiguïté, finit par rendre l’engagement illisible ? Avec la grossièreté de ce titre vengeur notre plasticienne pensait-elle nous empêcher de hausser les épaules ? Il fallait au moins être un directeur de centre d’art contemporain ou un pseudo-critique d’art pour participer aujourd’hui encore à pareille comédie. Celle-ci a toujours ses défenseurs et ses subventions. Rien d’étonnant à ce qu’un collectif de 26 responsables de musées et d’institutions ait signé le 8 mai dernier une tribune dans Le Monde pour défendre la liberté de création : « Plutôt que d’avoir peur de choquer, nous devrions avoir peur de ne jamais choquer. Car, oui, l’art choque. Perturbe. Dénonce. Dérange. Questionne. » Assommante énumération de poncifs dont on nous rebat les oreilles depuis des décennies !

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Souvenons-nous de ce qu’écrivait Roland Barthes à propos des grossièretés de Hébert sous la Révolution: « Hébert ne commençait jamais un numéro du Père Duchêne sans y mettre quelques « foutre » et quelques « bougre ». Ces grossièretés ne signifiaient rien, mais elles signalaient. Quoi ? Toute une situation révolutionnaire.» Avec son « Fuck » si peu original, Miriam Cahn ne signale aucune situation; elle ne fait que trahir une attitude qui entend s’adresser à la part la plus médiocre de ses contemporains et rejoindre ainsi plus sûrement le copinage du marché de l’art. Inutile d’aimer Picasso, Braque, Cézanne, le Quattrocento, l’art africain ou l’art grec. Il est même préférable de les avoir oubliés; mieux, de n’en avoir même jamais soupçonné l’existence. Il faut au contraire s’être fait adouber très tôt par la bêtise, la puérilité et la vulgarité. Depuis l’inusable urinoir de Duchamp jusqu’à la scène de sodomie géante devant le Centre Pompidou, en passant par la boîte de Merda d’artista de Manzoni, l’éprouvette d’urine de Ben au Grand-Palais, le Vagin de la reine à Versailles, le Plug anal place Vendôme, l’excrémentiel et le sexe font recette, encouragés par la lâcheté d’une classe politique tétanisée et à court d’arguments.

Une polémique assommante

« Oui, l’art peut choquer, peut questionner, peut parfois susciter du malaise, voire du dégoût. L’art n’est pas consensuel. Et la liberté d’expression et de création est garantie par la loi », a déclaré de son côté la ministre de la Culture dont les termes du plaidoyer ont été complaisamment repris par les signataires de la pétition. Si l’art doit déranger et choquer, le fonctionnaire culturel, lui, ne doit ni déranger ni choquer la rue de Valois.

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À son tour, le Président de la République s’est fait l’écho de la déclaration de son ministre: « En ce 8 mai, où nous célébrons la victoire de la liberté, je condamne l’acte de vandalisme commis hier au Palais de Tokyo. S’en prendre à une œuvre, c’est attenter à nos valeurs. En France, l’art est toujours libre et le respect de la création culturelle, garanti ». Il n’empêche que lorsque l’auteur d’un des tapis de l’Élysée fut visé par une enquête pour viols et agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Culture d‘Emmanuel Macron, déclara: « Je pense que le tapis sera très certainement retiré étant donné l’aspect emblématique de la présidence de la République ». C’était quelque temps après l’installation par ce même plasticien de deux énormes pneus de tracteur dorés à la feuille d’or au bas de l’escalier de l’Opéra Garnier. Il s’agissait de fêter le 350ème anniversaire de la création par Louis XIV de l’académie de musique et de danse.

Si à l’Elysée il fut hier question de retirer le tapis, au Palais de Tokyo il fut hors de question de décrocher la peinture. « La liberté d’expression et de création est garantie par loi », paraît-il. Mais le En même temps veille à l’incohérence des discours et des décisions.

Profitant de la commémoration de la capitulation allemande pour rendre hommage à Jean Moulin, un président de la République bien inspiré aurait dû se souvenir des Otages de Fautrier, de cette « hiéroglyphie de la douleur » dont parla magnifiquement André Malraux, au lieu de participer à une polémique grotesque autour d’une plasticienne insignifiante. En sacrifiant sa vie pour la liberté de notre pays, c’est la noblesse dans la manière d’user de cette liberté que Jean Moulin a défendue. Nullement le degré zéro de son usage. 



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Ancien collaborateur parlementaire, Jérôme Serri est journaliste et essayiste. Il a publié Les Couleurs de la France avec Michel Pastoureau et Pascal Ory (éditions Hoëbeke/Gallimard), Roland Barthes, le texte et l'image (éditions Paris Musées), et participé à la rédaction du Dictionnaire André Malraux (éditions du CNRS).

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