La Mauritanie est une exception au Sahel. Le pays n’a pas connu d’attentat islamiste depuis 2011. A un an de l’élection présidentielle, le président Mohamed Ould Ghazouani sort renforcé des élections législatives du dimanche 28 mai. Analyse.
La Mauritanie ne fait pas les gros titres de la presse française. Nous avons pourtant tort de négliger ce pays présentant une géographie qui en fait un État pivot de l’Afrique de l’ouest au sens où l’entend le politologue et ancien conseiller en sécurité national de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski. Les dernières élections législatives, dont le second tour avait lieu le samedi 27 mai, sont l’occasion de nous pencher plus attentivement sur cet Etat divisé entre le groupe des Beidanes ou « Maures blancs » d’origine berbère, celui des « Maures noirs » ou Haratins et des Africains noirs issus de multiples ethnies (Peuls, soninkés, Wolofs, etc).
Ces élections ont renforcé le président Mohamed Ould Ghazouani, dont le parti el-Insaf a remporté 80 sièges de députés sur 176. Une dizaine de formations membres de la mouvance présidentielle en ont obtenu de leur côté 36. Créé en 1975 sous inspiration du mouvement internationaliste islamiste des Frères musulmans, le principal parti d’opposition Tewassoul (Rassemblement National pour la Réforme et le Développement) en a gagné neuf. Cette continuité politique est une nouvelle plutôt rassurante pour la France, tant le rôle de la Mauritanie est important au Sahel pour contenir le djihadisme en Afrique sahélienne.
Luis Martinez, directeur de recherche à Sciences-Po CERI et consultant pour l’Union européenne en Afrique subsaharienne, a récemment sorti L’Afrique, le prochain califat ? LaSpectaculaire expansion du djihadisme aux éditions Taillandier. Dans un entretien[1] accordé au Monde en mars dernier, il affirmait que certains États du Sahel pourraient « suivre le chemin de l’Afghanistan » et se transformer en califats:
« (…) l’hypothèse me semble aujourd’hui tout à fait envisageable. Pas sous la forme d’une prise du pouvoir par la force d’un groupe djihadiste, mais par une usure des forces de défense de ces pays, qui conduirait à des compromis pour un retour à la paix en contrepartie d’une exigence d’application d’un certain nombre de règles, notamment issues de la charia (…) Leur vrai défi aujourd’hui est de trouver des partenaires politiques, religieux et militaires capables d’accepter que l’une des issues à la guerre serait dans ce type de configuration »
Autrefois plus paisible, cette région du monde est sous la menace constante des conflits ethniques et de l’islam de combat depuis le mitan des années 2000 ; moment symbolique où le traditionnel Paris-Dakar de notre enfance fut d’ailleurs déplacé en Amérique du Sud du fait de l’impossibilité de l’organiser de manière sécurisée. Depuis 15 ans, la Mauritanie a pourtant décidé de lutter pied à pied contre le terrorisme, faisant office de frontière difficile à franchir pour les différents groupes terroristes qui opèrent dans la région. Dans ce contexte tendu, la solidité de l’appareil militaire est essentielle pour garantir la résilience des institutions étatiques.
Son armée, forte de ses unités traditionnelles de soldats méharistes, qu’on reconnait notamment à leurs chameaux, ainsi que des unités légères des Groupements spéciaux d’intervention, assure des missions que ni le Mali ni le Niger n’ont pu ou su remplir. En off, les officiers français expriment régulièrement leur soulagement de pouvoir compter sur ce partenaire dans la région. Alors que les actes terroristes endeuillent absolument toute cette zone, du Tchad au Mali et jusqu’à la frontière nord de la Côte d’Ivoire, la Mauritanie n’a plus été le siège d’une action djihadiste depuis… 2011.
Elle doit cela à des institutions stables qui garantissent une continuité politique et une certaine concorde sociale. Il est d’ailleurs notable que le site France Diplomatie n’évoque pour les voyageurs que les risque d’infiltration de groupes terroristes aux frontières mauritaniennes : « La situation au Sahel et en particulier au Mali voisin expose la Mauritanie à des risques d’infiltration de groupes terroristes, susceptibles de mener des actions (enlèvement, attentat) contre les intérêts et les ressortissants français ». Cela signifie donc que le contexte mauritanien n’est pas systémiquement soumis au terrorisme islamiste.
Ancien général et chef d’Etat-major des armées, Mohammed Ould Ghazouani n’estime toutefois pas que le danger soit derrière lui. Fin novembre 2019, il rappelait après son élection que Nouakchott conservait une vigilance de tous les instants : « Nous, Mauritaniens, étions dans la même situation [que nos voisins] il n’y a pas si longtemps. Face à ce genre de menaces, il faut être suffisamment préparé ». Entre 2005 et 2008, l’exécutif civil mené par Sidi Ould Cheickh Abdallahi a ainsi été sous la pression constante du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, montrant son incapacité à pacifier la situation.
Alors que le Mali s’est retiré du Sahel G5 qui devait être la base de notre architecture de sécurité commune sur place, tant pour lutter contre le djihadisme que contre l’immigration clandestine vers l’Europe, la Mauritanie apparait comme un pilier sur lequel la défense française peut encore compter pour quelques années… Il ne sera pas de trop dans un contexte international particulièrement troublé où l’Afrique est devenue malgré elle le terrain de jeu de puissances hostiles et d’intérêts privés étrangers, à l’image du groupe Wagner.
Islam. L’écrivain fait plus qu’un mea culpa, s’étonne Ivan Rioufol
Les intuitions de Michel Houellebecq sur les évolutions de la société sont souvent exactes, parfois prophétiques. Formé à l’esprit scientifique et à la poésie, il a ce don qui permet aux bons écrivains de voir dans l’obscurité. Mais, cette fois, ce qu’il montre dans son dernier livre (Quelques mois dans ma vie, Flammarion) de sa spectaculaire soumission à l’islam relève davantage d’une faiblesse de caractère que d’une tendance collective au renoncement. Du moins, c’est ce que je veux croire, même si je ne néglige pas le somnambulisme qui a gagné les plus indolents. Il est aisé d’observer, à rebours d’un Houellebecq soucieux d’obtenir les bonnes grâces du recteur de la mosquée de Paris et de Bernard-Henri Lévy, le réveil des peuples, des nations, des identités et des cultures.
Le nouveau sultan Erdogan a été réélu (52,14% des voix), en dépit de la crise économique et sociale qui frappe la Turquie, pour avoir su défendre l’âme et la fierté de son pays. Une quête de sens, en rupture avec la société matérialiste et consumériste occidentale, habite ceux qui, en France, rejettent « l’homme déglingué » (Robert Redeker) oublieux de ses propres racines. L’engouement pour le pèlerinage religieux traditionaliste de Paris à Chartres, qui s’est achevé lundi après 97km parcourus à pied depuis samedi par 16 000 jeunes (moyenne d’âge : 20 ans) fait partie de ces signaux faibles qui laissent espérer une renaissance spirituelle. Dans ce contexte, la capitulation de Houellebecq face à l’islam, au prétexte de s’assurer une image bonasse et pantouflarde, s’apparente à une trahison.
L’écrivain avait à cœur de s’excuser, devant les autorités musulmanes, de propos tenus lors d’une conversation avec Michel Onfray, retransmise dans un hors-série de la revue Front Populaire. Houellebecq avait notamment déclaré: « Je crois que le souhait de la population française « de souche », comme on dit, ce n’est pas du tout que les musulmans s’assimilent, mais simplement qu’ils cessent de les voler et de les agresser (…) Ou bien, autre bonne solution, qu’ils repartent ». Cette généralisation était en effet stupide; son repentir était légitime. Mais l’écrivain est allé bien au-delà d’un mea culpa. Il a repris à son compte le poncif islamique sur l’ « islam, religion de paix et de tolérance ».« L’islam est une religion », écrit-il, sans vouloir admettre que l’islam est surtout un ensemble de codes et de lois (charia) qui règlent la vie quotidienne dans les moindres détails. « Le problème n’est pas l’islam, c’est la délinquance », soutient-il également, en occultant la force conquérante du djihad, qui a déjà su imposer un séparatisme dans des cités. La contre-société islamique en est le résultat. Elle est soutenue par une majorité de jeunes musulmans: dans tous les sondages, ceux-ci se disent attachés à la loi islamique plutôt qu’aux lois de la république. Même le salafisme trouve grâce à ses yeux (entretien au Point), alors même que le drapeau de l’Arabie Saoudite a le sabre comme emblème. Mais qui s’offusque de la débandade de Houellebecq ?
Un nouveau rapport de France Stratégie préconise un « accroissement des prélèvements obligatoires » pour financer la décarbonation de l’économie française. Une nouvelle fois, l’écologie sert de prétexte à la taxation des Français.
L’écologie a bon dos. Comme souvent lorsqu’un gouvernement ou une administration veut trouver des ressources supplémentaires – comprenez : augmenter les impôts – il s’appuie sur une noble cause. Les bornes ont été dépassées avec le nouveau rapport de France Stratégie remis à la Première ministre le 22 mai. Selon celui-ci, les investissements indispensables à la décarbonation de l’économie vont ralentir la croissance et alourdir la dette publique. La conséquence ? Un accroissement des prélèvements obligatoires sera « probablement nécessaire », en particulier sur le patrimoine des plus aisés. Ce rapport s’inscrit dans la continuité d’une fiscalité « écologique » en augmentation constante. Les taxes dites environnementales représentent aujourd’hui plus de 60 Mds€, sans compter parfois la TVA payée elle-même sur ces taxes. Ces quarante impôts et taxes diverses servent-elles réellement le bien commun, contribuent-elles vraiment à lutter contre la pollution ? En d’autres termes, quel est l’objectif ultime de cette floraison de nouvelles taxes toutes plus lucratives les unes que les autres ?
En effet, on attend en principe d’un impôt rentabilité, pérennité et neutralité. Il doit remplir dans la durée les caisses de l’Etat, sans entraver l’économie ou décourager le contribuable. Or, la fiscalité environnementale ou écologique se targue d’obéir à un autre critère : la moralité. Ce qui n’a qu’un lointain rapport avec l’impôt.
Malheureusement, cet amoncellement de nouvelles taxes ne disparaîtra pas le jour où le monde sera dépollué…
En l’occurrence, cette moralité consiste à punir le pollueur pour l’inciter à moins polluer.
Mais un impôt moralement acceptable n’est pas forcément le plus honnête.
Etablir un impôt pour des raisons autres que de finances publiques le rend hypocrite. Surtout lorsque l’Etat a cruellement besoin d’argent.
Or, ces impôts ne cessent de croître et même si la crise des gilets jaunes a montré que ce n’était pas sans heurts, ils sont en définitive acceptés au motif qu’ils participent à une grande cause : la défense de l’environnement. D’où finalement une efficacité d’autant plus redoutable que leur disparition pourtant programmée avec la décarbonation n’interviendra en réalité jamais, et ce au grand dam du citoyen qui restera la cible d’impôts qui, pour survivre, n’auront qu’à changer de nom au moment voulu.
Force est de constater d’abord que du fait même de la mécanique générale de la production économique, la victime finale de la taxation est de toute manière le consommateur, c’est-à-dire le citoyen. Non seulement pour la fiscalité carbone qu’il paye à travers son litre d’essence, mais aussi pour toutes les autres taxes censées lutter contre les activités polluantes. Ainsi, que font les entreprises soumises à la taxe générale du même nom (TGAP sur les déchets, les émissions de substances polluantes, les préparations pour lessive ou les matériaux d’extraction) ? Elles font comme pour toutes les autres charges auxquelles elles sont exposées, elles en répercutent le prix sur leurs clients et en bout de chaîne sur le consommateur final.
Nous pouvons aussi prendre l’exemple de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Celle-ci rapporte désormais 7 Mds€ aux collectivités locales (et quelques centaines de millions à l’Etat au titre des frais de recouvrement) et finance non seulement la collecte mais aussi le traitement et l’élimination des déchets. L’explosion de son coût pour les contribuables a une double origine : d’une part, des normes environnementales qui rendent le traitement des déchets de plus en plus coûteux et, d’autre part, les besoins des collectivités locales qui, tout comme l’Etat, sont sans cesse à la recherche de nouvelles recettes. Dès lors, la TEOM est marquée elle aussi du sceau des travers de la fiscalité environnementale : conséquence de normes écologiques toujours plus strictes et prétexte à de nouvelles recettes fiscales à la charge des ménages.
Et malheureusement, cet amoncellement de nouvelles taxes ne disparaîtra pas le jour où le monde sera dépollué.
Car la perversité de la fiscalité environnementale se trouve aussi, comme souvent, dans la sémantique. En effet, un glissement linguistique fait qu’une fois épuisé le motif généreux et presque nécessaire du combat contre la pollution, on en vient à parler non plus de la fiscalité environnementale mais de la fiscalité sur l’énergie, ou indifféremment des deux. D’un côté, cela rejoint l’idéologie écologiste d’une production d’énergie intrinsèquement perverse dès lors qu’elle dépasse le niveau vivrier de l’éolienne au-dessus de sa grange. De l’autre, cela témoigne de ce que l’on évoquait précédemment : en créant une dépendance à l’impôt, la fiscalité contre la pollution conduit inexorablement à taxer l’énergie elle-même, de peur de manquer de taxes le jour où cette énergie ne sera plus polluante (même si quelque chose nous dit qu’un jour ou l’autre une taxe devra bien financer le stockage ou le retraitement des piles au lithium, le démantèlement des éoliennes ou la décomposition des panneaux solaires…). Le changement de nom le plus symptomatique est d’ailleurs celui de la taxe la plus emblématique : la fameuse TIPP, taxe intérieure sur les produits pétroliers, devenue la TICPE, taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Même si c’est toujours l’essence qui reste le combustible de l’impôt, c’est désormais l’énergie qui est taxée.
Si la médecine avait progressé au même rythme que l’impôt, il est probable que la monarchie aurait en son temps expliqué au peuple que la gabelle sur le sel visait avant tout sa santé, en n’étant rien d’autre qu’un moyen de lutte contre l’hypertension.
Discussion de salon dans la cuisine. Des vieux, des jeunes, des entre les deux.
– J’ai lu que, dans un cours de géographie de 4ème, un élève d’origine marocaine avait affirmé que le Maroc n’était pas en Afrique et qu’il n’avait jamais voulu en démordre.
– Parce que dans sa tête, l’Afrique, c’est uniquement l’Afrique sub-saharienne. Il considère, et ça se défend, que « son monde », à savoir le Maghreb, n’en fait pas partie.
– Si un continent, c’est une grande étendue de terre entourée de mers et d’océans, il a tort. Mais, dans cette hypothèse, il faut que nous acceptions de jouer dans la même division que les Tchétchènes et les Chinois.
Et c’était parti !
Cinq, six, sept continents ?
Pour se mettre en jambe, petit débat sur le nombre de continents. Pour ma part, et je n’étais pas la seule, j’en étais (scolairement et comme dans la chanson de Joseph Lafitte) restée à cinq : l’Europe (en tête bien sûr), l’Afrique (avec le Maroc), l’Amérique, l’Asie et l’Océanie.
– Cinq oui, mais pas ceux-là : l’Afrique, l’Amérique, l’Antarctique, l’Océanie et l’Eurasie.
– N’importe quoi. Il y a à sept continents et en ordre de taille : l’Asie dans les quarante-quatre millions de km2, l’Afrique dans les trente, l’Amérique du Nord dans les vingt-cinq, l’Amérique du Sud dans les dix-huit, l’Antarctique dans les douze, l’Europe dans les dix et l’Océanie dans les neuf.
On a fini par se mettre à peu près d’accord… sur la nécessité de s’entendre préalablement sur « comment on compte ».
Des cartes qui mentent et rapetissent l’Afrique
Mais, l’affaire s’est ensuite sérieusement emballée quand on a comparé les tailles réelles des continents avec celles données par les cartes.
– Encore un coup du mâle blanc ! En vrai, l’Afrique est trois plus grande que l’Europe. Sur les cartes, on en est loin ! Et, sur les mêmes cartes, le Groenland a la même taille que l’Afrique alors qu’il est quatorze fois plus petit !
– En dehors de la responsabilité de qui vous savez, il y a quand même des explications historiques. La terre n’étant pas plate (enfin pas encore), la carte du monde que nous avons tous dans la tête est la projection du globe terrestre sur une surface plane via un cylindre. Cette représentation établie en 1569 par le Flamand Gérardus Mercador a été conçue pour la navigation. Elle a pour avantage de préserver les angles (c’est mieux pour les bateaux) et pour défaut d’augmenter les tailles en fonction des distances de l’équateur. Les pays et continents des zones tempérées et surtout polaires apparaissent donc plus grands et les pays les plus proches de l’équateur plus petits. Cette convention a toujours été plus ou moins unanimement admise.
– Sans doute, mais rendre plus petit, c’est rendre moins important, que ce soit volontaire ou non. Et, comme par hasard, dans ce système, c’est l’Afrique qui est réduite à la portion congrue. Maintenant que la navigation n’est plus l’alpha et l’oméga et qu’on s’en fiche un peu de la conservation des angles, on pourrait peut-être se rapprocher de la réalité et adopter la projection de Gall-Peters qui permet de prendre en compte la superficie réelle des continents. Ce serait plus juste.
– Et donc changer toutes les cartes de représentation du monde ?
– Pourquoi pas ? Et, on pourrait en profiter pour définir des continents qui correspondent mieux à la réalité. Comme le Maghreb qui pourrait alors être un continent à part entière.
Et, finalement, le Maroc est en Afrique
– Toutes ces considérations sont bien jolies. Mais, notre prof, il dit quoi à son élève ? Qu’il a bien raison de s’interroger. Qu’il n’est pas vraiment Africain. Que ça dépend. Qu’il aura peut-être raison demain. Il le félicite ?
– Mais, ça ne va pas. Il lui dit que le Maroc est en Afrique ; que ça va comme ça et qu’il n’a qu’à regarder la carte… de Mercator.
– Allons bon ! Pas de discussion, pas de remise en question de la doxa, pas de déconstruction.
– Certainement pas. Avant de désapprendre, il faut apprendre.
Régis Debray nous parle, dans cet abécédaire érudit, des écrivains qui l’ont marqué…
Autrefois, le temps s’étirait en langueurs pour bercer le songe du lecteur, bourlingueur solitaire embarqué dans d’immobiles voyages au long cours. Dans Chemin faisant, un récit de Jacques Lacarrière, celui qui s’adonnait à la lecture et exerçait parfois sa plume, amassait peu à peu les mots, comme autant de gemmes. Ceux-ci l’aidaient à comprendre le monde comme à en restituer nuances et chatoyances. En lisant en écrivant de Julien Gracq, on finissait par entrevoir, à défaut d’y accoster, Le rivage des Syrtes.
Maintenant que les écrans proposent une succession syncopée d’instants labiles et la superposition d’images fugaces, notre rapport à la lecture, et par là même à l’écriture, s’en trouve radicalement changé. L’acte de lire, parce qu’il implique de laisser filer le temps, génère une sourde angoisse. Alors, on lit peu et mal. On se contente d’ouvrir des lucarnes sur le monde pour les refermer aussitôt. Ces meurtrières sont immédiatement remplacées par d’autres qui éclairent d’un feu pâle une autre vue, bientôt occultée à son tour. Certes, on publie à tour de bras, mais surtout des essais à visée informative, vite oubliés. Quant aux Essais dans lesquels un Montaigne auscultait son rapport à l’existence en « peignant non l’êtremais le passage », ils semblent avoir vécu.
Une nouvelle collection chez Gallimard
Dans ce contexte à tonalité crépusculaire, Régis Debray, éternel optimiste, fait paraître son dernier ouvrage : Où de vivants piliers. Ce livre, dont le titre est emprunté au poème « Correspondances » de Baudelaire, est le premier d’une collection nouvelle, chez Gallimard: « La part des autres ». Régis Debray y rend hommage à ceux de ses aînés qui le firent entrer en littérature, « passagers plus ou moins clandestins » de son cœur. Il y célèbre ceux qui jouèrent pour lui le rôle « d’incitateurs ou excitants », « intercesseurs ou éveilleurs », comme les nommait Julien Gracq.
C’est sous la forme d’un abécédaire que notre philosophe féru de littérature, au soir de sa vie, règle, mélancolique et léger, la dette contractée envers ceux qui l’ont construit, non sans se permettre quelques apartés sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Feuilletons maintenant l’ouvrage.
On y croise Sartre, descendu du piédestal où l’avait installé son œuvre philosophique. Il nous fait don des Mots, « un bijou littéraire ». Sartre: « Un homme qui excellait dans ce qu’il disait mépriser, à savoir la littérature. » Devenu, par la grâce des Mots et par-delà l’idéologie « un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut et que vaut n’importe qui. » De même, chez Barthes, autre admiration de Debray, la postérité retient davantage les notations ciselées comme Mythologies ou Fragments d’un discours amoureux que les ouvrages de linguistique compliqués. « Chacun son Proust, explique encore Régis Debray, c’est évident, mais c’est le dernier le meilleur, celui qui nous rejoint en fin de course.» «On n’est pas proustien de naissance, précise-t-il, mais chacun peut le devenir sur le tard, pour peu que sa vieille carne soit moins encline au sens de l’Histoire qu’à l’exploitation de ses cinq sens à elle. » Et il ajoute, réglant leur compte à ceux qui accusent Proust de snobisme:« À cet auteur d’un livre-charge aux furtives tendresses, à cet entomologiste de la haute, il n’échappe pas qu’il n’y a sauf exception, que du réfrigérant et du décevant dans le grand monde. »
Debray évoque encore les salauds, à propos de Morand et Céline, au risque de s’attirer les foudres de ceux qui se refusent à dissocier l’artiste de son œuvre au nom du culte du Bien. Il n’hésite pas à déclarer, parce que le domaine esthétique n’est pas toujours moral: « (…) des imbuvables peuvent distiller de l’élixir (…) » et poursuit : « Hugo seraitaujourd’hui, avec sa main au panier des femmes de chambre, renvoyé dare-dare en correctionnelle. » Il ajoute : « Nos ligues de vertu boycottent déjà Polanski et déprogramment Woody Allen, et le temps n’est pas loin où il nous faudra (…) décrocher des cimaises Caravage et Gauguin, violeurs et pédophiles. »
Et puis, il y a Gracq: «l’homme rangé dérangeant», «le rebelle très boutonné»,«le petitprof, un cartable à la main» qui a pourtant inventé et ciselé le miraculeux « paysage-histoire ». Alors qu’aujourd’hui, nous avons quitté le domaine de l’histoire pour n’être plus que des géographes, Régis Debray souligne que: «l’histoire sans la géographie est une catastrophe ; la géographie sans histoire, un embêtement. » Puisse l’étude des écrits de Gracq être inscrite au programme de nos futurs écologistes. Peut-être profèreront-ils moins de sottises et malmèneront-ils moins notre langue?
Une déclaration d’amour à la littérature
L’hommage rendu à ses devanciers par notre «cadet de l’art d’écrire» est aussi ponctué de réflexions personnelles sur l’âge qui rétrécit fatalement notre univers et notre capacité d’action. Dans ces évocations du soir de la vie, nulle pesanteur. La fatalité y est conjurée par la facétie de l’expression. Ainsi, à «Obsolescence », on peut lire : «Balzac a ditle fait, dans « Le Cousin Pons »: « Les vieillards sont susceptibles… ils ont le tort d’être un siècle en retard mais qu’y faire ?… C’est bien assez d’en représenter un, ils ne peuvent pas être de celui qui les voit mourir.»» Debray glose alors avec humour: « Cette sage invite à ne pas courir deux siècles à la fois devrait tempérer le sentiment entre honte et panique de qui n’arrive plus à extraire, dans une gare ou une station de métro, un simple billet d’un distributeur automatique (…) ». «Mixité »,« Voyages », « Maisons » ou « Vitesse » livrent également le regard aussi désenchanté que vif et amusé d’un homme d’hier sur aujourd’hui.
Ce qu’on retiendra de cette magnifique déclaration d’amour à la littérature, c’est que Régis Debray croit en la pérennité de la langue française. Elle survivra en ses chefs-d’œuvre, par- delà l’indéniable crise cyclique de civilisation que nous traversons actuellement. Alors, espérons avec Debray qu’il y aura toujours des auteurs, disciples de Flaubert qui écriront comme il le fit et l’affirma à George Sand: « (…) non pour le lecteur d’aujourd’hui mais pour tous les lecteurs qui pourront se présenter, tant que la langue vivra.» L’émission Répliques du samedi 20 mai où Alain Finkielkraut reçoit Régis Debray à propos de cet ouvrage est un délicieux préambule à la lecture de Où de vivants piliers.
Né en Allemagne en 1923, Secrétaire d’État des États-Unis sous les présidences de Richard Nixon puis de Gerald Ford, Kissinger est une figure tutélaire que la plupart des Américains saluent comme le Secrétaire d’État le plus marquant de l’après-guerre. Il a obtenu le prix Nobel de la Paix, en 1973, pour les accords de paix de Paris destinés à amener un cessez-le-feu dans la guerre du Viêt Nam.
Spectateur engagé des mutations du monde, l’artisan historique de la détente ne cesse, en grand témoin, de nous rappeler que la stabilité de l’ordre international repose sur l’équilibre des puissances et le respect de la souveraineté étatique. La diplomatie en est l’accoucheuse.
La nouvelle est passée largement inaperçue : le grand artisan de la politique étrangère des présidents Nixon et Ford, Henry Kissinger, a fêté ses 100 ans le 27 mai dernier. En 100 ans d’existence, de son enfance dans l’Allemagne tourmentée de l’entre-deux-guerres jusqu’à nos jours, où tend à s’affirmer le processus d’un remodelage multipolaire de l’ordre du monde, en passant par les heures où sa diplomatie de l’équilibre devait accoucher de la détente, Henry Kissinger aura traversé des époques très différentes. À travers les multiples reconfigurations du concert des nations, qui peuvent paraître quelquefois erratiques, cette dernière grande figure du réalisme continue de nous livrer un message d’une grande clarté : la stabilité de l’ordre du monde, dont dépend la paix, ne peut procéder durablement de coups de force ni de surenchères ; elle s’enracine concrètement dans l’équilibre des puissances, que canalise la commune reconnaissance par les États du cadre de dialogue axiologiquement neutre tracé par le principe de souveraineté. Kissinger nous donne ainsi la formule d’une politique étrangère dont le premier principe régulateur est l’intérêt national, conçu comme une limitation rationnelle apportée par la diplomatie à l’appétit de puissance, au regard des moyens à disposition et de la structuration du champ interétatique.
De l’Allemagne aux États-Unis
Né à Fürth, près de Nuremberg, le 27 mai 1923, le jeune Heinz Kissinger dut quitter l’Allemagne à quinze ans, en 1938, pour échapper aux persécutions nazies et s’établir aux États-Unis avec ses parents et son frère. Son destin rejoignait celui d’autres Allemands, ses aînés, Hannah Arendt, Leo Strauss ou Hans Morgenthau, qui ont contribué au rayonnement intellectuel des États-Unis.
Après des études qui devaient initialement le spécialiser dans la comptabilité, c’est finalement son enrôlement dans les rangs de l’armée américaine, contemporain de sa naturalisation, qui décide de son orientation. À son prénom germanique, il substitue alors celui d’Henry. Les opérations militaires auxquelles il prend part le conduisent de nouveau en Allemagne, où, sous l’uniforme américain, il s’acquitte de missions de contre-espionnage, matière dont il enseigne ensuite les rudiments. L’amitié nouée dans l’armée avec un autre Américain d’origine allemande ayant fui le régime nazi, Fritz Kraemer, lui apprend à ne pas renoncer à ses ambitions.
C’est ainsi qu’il entre à Harvard, mettant à profit un dispositif ouvrant aux vétérans les portes des meilleures universités américaines. Il y côtoie notamment l’historien William Yandel Elliott, sous la direction duquel il rédige un long mémoire d’undergraduate sur le sens de l’histoire. Les références qu’il y fait aux réflexions de Toynbee, de Spengler et de Kant tracent les premiers linéaments d’une pensée, selon laquelle l’homme peut chercher dans l’exercice de sa liberté la faculté de transcender le tragique de l’existence.
L’importance de l’histoire
La longueur de son mémoire n’est pas le seul trait par lequel Henry se distingue. Alors que tant de ses condisciples marquent un vif intérêt pour l’économie et pour les perspectives que la création de l’Organisation des Nations unies semble ouvrir au multilatéralisme, lui préfère aborder la politique internationale par l’histoire. Il consacre, en ce sens, sa thèse de doctorat au règlement diplomatique de la situation européenne après la chute de Napoléon. Les figures du chancelier autrichien Metternich et du secrétaire d’État britannique aux affaires étrangères, Castlereagh, retiennent son attention. Dans cette thèse, Kissinger s’intéresse, non à des crises contemporaines, mais à des faits historiques dont il prétend, par analogie, tirer des enseignements ; il y aborde, non le phénomène guerrier en soi, mais l’activité des diplomates, à qui il revient, par la négociation, de donner un fondement à la paix. Elle donne à voir le point de maturation et la profondeur historique qu’a atteints la pensée de Kissinger et dévoile les bases de sa pensée des relations internationales : sans la force, la paix ne peut reposer durablement que sur l’équilibre établi entre les puissances, qui parviennent à dialoguer pour résoudre les crises, parce qu’elles parlent le même langage diplomatique et se reconnaissent mutuellement comme parties institutionnelles d’un même ordre.
La question de l’ordre du monde, qui émerge dans la réflexion de Kissinger, en devient, dès lors, un thème récurrent et structurant, avec le concept de légitimité, défini, non à partir d’un contenu culturellement déterminé, mais comme un substrat minimal d’usages, partagé par les hommes d’État.
Après avoir publié sa thèse, en 1957, Henry Kissinger se fait remarquer par un autre ouvrage, Nuclear Weapons and Foreign Policy, qui, rompant avec la doctrine des représailles massives, envisage la possibilité d’user, dans certaines conditions, d’armes nucléaires tactiques. Anticipation de la doctrine de la riposte graduée, la réflexion de Kissinger avait surtout pour objet d’extraire les États-Unis des impasses diplomatiques où la doctrine volontiers manichéenne des représailles massives pouvaient l’enfermer, face à l’adversaire soviétique. Entre-temps, Henry Kissinger avait fait la connaissance à Harvard de Raymond Aron et entamé avec lui des échanges d’une grande richesse intellectuelle.
Les années Kennedy furent quelque peu décevantes pour Henry Kissinger : l’ancien doyen de Harvard, McGeorge Bundy, devenu conseiller à la sécurité nationale du président démocrate, ne répond pas à ses attentes. La contribution que Kissinger est invité à apporter aux réflexions en cours en matière de politique étrangère n’est qu’épisodique. Entre Kissinger et l’entourage de Kennedy, l’entente n’est pas au rendez-vous.
Les années Nixon
Il bénéficie manifestement d’un meilleur accueil dans le camp républicain, où il tisse des liens étroits avec le gouverneur de l’État de New York, Nelson Rockefeller. Il soutient sa candidature aux élections primaires républicaines de 1968, mais Richard Nixon obtient l’investiture du Grand Old Party et est finalement élu président des États-Unis. Cette élection marquait-elle la fin des ambitions politiques de Kissinger ? Le contraire advint : alors que l’universitaire de Harvard ne s’était jamais vraiment senti d’affinités avec lui, le président élu, Richard Nixon, lui proposa le poste de conseiller à la sécurité nationale. Kissinger accepta, non sans avoir consulté, au préalable, ses collègues de Harvard.
L’aventure politique commence alors réellement pour Henry Kissinger. Les années Nixon sont pour la politique étrangère des États-Unis des années d’ajustement et de renouveau.
Profondément intellectuels et partageant l’idée que la décision de politique étrangère, qui relève du politique, ne peut être abandonnée à la routine administrative, Nixon et Kissinger ont promu, dans ces années d’intense activité, de nombreuses initiatives retentissantes : désireux de stabiliser le champ international, toujours marqué par la bipolarité, ils veillent à développer des relations directes et dépassionnées avec l’Union soviétique, concrétisées dans un dispositif d’échanges et d’accords qui donnent leur pleine portée, mais à l’échelle mondiale, à l’idée de détente, promue en son temps et pour la France par le général de Gaulle. Kissinger souhaite ainsi rapporter les objectifs de la politique étrangère américaine au critère ultime de l’intérêt national et proportionner, par conséquent, les ambitions affichées aux moyens dont elle dispose.
Simultanément, Kissinger met en œuvre une ouverture progressive à la Chine populaire. En se rapprochant visiblement de la Chine communiste, concurrente asiatique de l’Union soviétique, les États-Unis réussissent à susciter du côté de la Russie, soucieuse de demeurer l’interlocuteur principal de l’Amérique, un sursaut d’intérêt pour la détente. La diplomatie triangulaire ainsi inaugurée a pour effet de constituer, selon la formule alors employée, une « structure de paix », apte à stabiliser les relations internationales face aux incertitudes de l’affrontement est-ouest.
C’est dans ce contexte que Kissinger mène à leur terme les négociations sur la limitation des armes stratégiques dits SALT I, emblématiques de l’esprit de la détente. Le traité est signé le 26 mai 1972.
Héritage des administrations démocrates, la guerre du Vietnam figurait parmi les dossiers les plus brûlants que devait traiter Kissinger. Prenant part, en région parisienne, à des négociations secrètes avec une délégation nord-vietnamienne conduite par Le Duc Tho et maintenant un contact avec le gouvernement sud-vietnamien, Henry Kissinger eut à mettre en œuvre, dans des circonstances particulièrement difficiles, le désengagement progressif des troupes américaines, sanctionné par les accords de Paris du 27 janvier 1973.
La réélection de Richard Nixon en novembre 1972 permet à Kissinger de consolider le rôle central qu’il joue dans la définition de la politique étrangère américaine, puisqu’il devient secrétaire d’État en septembre 1973, cumulant cette fonction avec celle de conseiller à la sécurité nationale. Ses réussites diplomatiques et sa personnalité lui donnent d’acquérir une notoriété médiatique qu’aucun autre secrétaire d’État n’aura connue.
La crise du Watergate, dans laquelle Kissinger n’est pas impliquée, vient toutefois abréger le second mandat de Nixon.
Quand Gerald Ford succède à Richard Nixon, la présence d’Henry Kissinger au gouvernail de la diplomatie est un atout et un gage de continuité.
Celui-ci fait de nouveau la preuve de grands talents de médiateur en mettant en œuvre une active diplomatie de la navette à la suite de la guerre du Kippour. L’Égypte et Israël acceptent de se parler et de chercher un accord.
Mais le monde auquel est confronté le secrétaire d’État est en pleine mutation. Le choc pétrolier de 1973 place l’Occident devant la réalité de sa dépendance énergétique et la contestation de puissances qui lui sont extérieures. Les questions économiques tendent à prendre de plus en plus de place dans des négociations internationales au format multilatéral et les revendications des non-alignés se font entendre, en particulier à…
La menace inflationniste n’est pas seulement monétaire, elle est bien davantage d’ordre lexical. C’est une inflation de mots, d’énoncés aussi suffisants que peu nécessaires qui menace l’entendement.
Les préfixes abondent pour indiquer le changement de sens : illibéral vous précipite au purgatoire, tandis que décolonial vous remet dans le bon chemin. En France, on adore se payer de mots et celui de « décivilisation » est le dernier en date dans la palette des signifiants proposés dans le débat public. Cette fois-ci, la charge est lourde, angoissante tant elle prend appui sur une terrible actualité mais elle inscrit cette actualité dans un processus installé dans la durée. Si c’est la civilisation qui fout le camp, qu’allons-nous devenir?
Est-ce seulement une affaire de mots ? En France, en la matière, les communicants débordent de créations ! Après le « séparatisme », après les « sauvageons » de Chevènement, après les « jeunes-des-banlieues-difficiles » ou des « quartiers-sensibles » issus de la « fracture-sociale » et de la « diversité », voilà qu’une nouvelle formule pourrait aider les décideurs, mais aussi le peuple à y voir plus clair. En effet une question vient immédiatement à l’esprit : quand un réfugié tchétchène a pris soin d’acheter un couteau neuf pour aller couper la tête d’un professeur d’histoire géographie qui aurait mal parlé du prophète, ce réfugié tchétchène était-il un « sauvageon » ou un « décivilisé » ? Quand un fumeur, excessif de cannabis certes, frappe à mort une vieille femme de soixante-quatorze ans et la jette par la fenêtre aux cris de « Allah akbar ! » ce jeune, était-il un « séparatiste », un « sauvageon », un « décivilisé » ? Quand un autre jeune en scooter tue d’une balle dans la tête une petite fille dans une cour d’école, était-il un « décivilisé », un « séparatiste », un « sauvageon » ? À moins qu’il soit un malade mental ne sachant pas ce qu’il faisait ?
Repoussoir magique
La justice a estimé que celui qui a assassiné Sarah Halimi était coupable, mais pas responsable et donc ne lui a fait aucun procès. Un jeune tueur qui tire sur des enfants juifs pour « venger des enfants palestiniens » est-il coupable et responsable alors que sa schizophrénie potentielle devrait corriger sa responsabilité, car c’est au nom d’une noble cause que ce sauvageon aurait agi ? Aujourd’hui, c’est une anthropologue du CNRS qui est menacée de mort pour avoir étudié de près (de trop près sans doute) la stratégie des Frères musulmans pour séduire, convaincre, recruter, s’imposer dans le paysage. Pour ces gens, cette enquête est une menace, car en dévoilant précisément cette entreprise de conquête, elle donne des armes utiles pour une contre-attaque. Dès lors, il faut faire taire Florence Bergeaud-Blackler. Étrangement, ses diverses autorités de tutelle paraissent se méfier de ce travail, craignant sans toutes de se voir qualifiées d’islamophobes, en protégeant la chercheuse. Samuel Paty a déjà payé le prix de cette myopie délibérée.
En élargissant le registre lexical pour nommer et comprendre cette violence qui croît, le président prend des risques évidents. Tous les experts en lexicologie politique ont sorti leur lexicomètre pour situer la charge idéologique de ce nouveau concept. Est-il de droite (voire d’extrême droite) ou de gauche ? En utilisant le concept de « décivilisation » le curseur se rapproche des portes de l’enfer. Au Monde, les experts ne s’y sont pas trompés. Ils ont immédiatement reniflé les relents « d’extrême-droite » dans cet usage. Ce repoussoir magique a une qualité pour celui qui l’emploie. Il permet de faire l’économie du regard critique sur ce qui s’est passé avant.
L’idéal universaliste ébranlé
Déjà en 1989, c’est bien au nom de la soumission aux règles d’une autre civilisation que des lycéennes refusaient d’ôter leur voile pour rentrer dans un lycée à Creil. En 2002, un livre pointait les « territoires perdus de la République » mettant en évidence cette sécession en milieu scolaire de la part des certains élèves issus de l’immigration. Ce livre fut rapidement rangé sur les étagères réservées aux livres incorrects. Il fallut bien légiférer, après qu’un rapport eut confirmé la menace de rupture. La décivilisation était-elle déjà en marche ? Le rapport de l’inspecteur Obin fut rapidement glissé, avec la poussière, sous le tapis du ministère. De rapport en rapport, de projet de loi en projet de loi, la rupture n’a cessé des progressé et la décivilisation de s’étendre.
Avons-nous beaucoup progressé depuis ? Les foudres des lexicomètres n’ont pas tardé. C’est bien à l’extrême-droite qu’il faut positionner le curseur. « Le choc des civilisations » déjà annoncé par Samuel Huntington annonçait la couleur. Accueillie par des cris indignés, cette formule, jugée immédiatement comme étant réactionnaire, fracturait l’idéal universaliste. Elle faisait tache dans l’euphorie postcommuniste annonçant la « fin de l’histoire » de Francis Fukuyama. Mondialisation aidant, personne n’avait voulu prendre en compte ce nouveau monstre né de la révolution islamique, occupant la place laissée libre par la fin du communisme. La mondialisation, le e-commerce, l’internet allaient faire de la planète ce « village global » tant espéré. Hélas pour tous, le retour des tribus, des sectes, des gangs, des mafias, des ligues, des fous de dieu autant que les nouveaux virus vont pulvériser ces illusions. La guerre contre l’axe du Mal va aggraver les choses, transformant les bonnes intentions en catastrophes successives. Les talibans, l’État islamique vont séduire des milliers de jeunes en rupture identitaire.
Sinistre inventaire
La « décivilisation » dénoncée par le président de la République est aussi le produit dérivé de cette histoire dont les raisons sont multiples et entrelacées, mais dont le résultat est justement bien nommé. Si notre culture, nos manières d’être, nos habitudes de vie, notre vocabulaire, notre langue commune, notre patrimoine sont à ce point mal-en-point, il faut bien en dresser l’inventaire.
Avec ses fractures, ses ruptures, ses guerres de religion, ses infractions vichystes, ses révoltes, ses révolutions, la France était restée malgré tout un pays qui retrouvait la douceur d’y vivre. Le choix de l’équilibre paraissait une constante et les trente glorieuses semblaient avoir de l’avenir. Il suffisait de regarder en arrière pour prendre la mesure des progrès accomplis, malgré ces sauts, de crise en crise, depuis le programme du CNR, les conflits de la décolonisation, Mai 68 et tant d’autres moments de troubles furent suivis d’autant d’ajustements. Il suffit aussi de regarder ailleurs pour voir combien, ailleurs qu’en Europe, ça va mal. La perspective européenne dessinait un avenir démocratique en proscrivant la guerre.
Si la formule dit un diagnostic, elle est à la fois trop large, pour nommer avec justesse ce qui la compose. Le concept utilisé, pour pertinent qu’il soit, souffre lui d’une absence de résultante. Celui qui la prononce a un statut particulier. Il incarne le pouvoir, il est celui qui choisit, décide, anticipe, dessine des perspectives. Que déduit-on de ce constat, et ça n’est pas Chat-GPT qui aura la réponse ? Quel modèle de civilisation est en train de s’effriter et dans quelle autre configuration est-elle en train d’entrer ? L’expression « archipel français » met en évidence le statut inégal des zones fracturées quand la géographique répartit inégalement les zones décivilisées.
La multiplication des crimes liés au trafic de drogue à Marseille révèle une libanisation croissante du territoire dont les ramifications s’étendent à Anvers et Rotterdam. Les attentats de 2015 avaient déjà montré les alliances communautaires entre islamistes de Molenbeck et ceux de Clichy. La criminalité européenne met à jour des alliances d’intérêt entre djihadistes et truands progressant plus vite que les dispositifs existants pour les contrer. Ces chemins criminels constituent autant de voies annexes de la décivilisation que le président déplore.
Est-il trop tard pour rattraper le temps perdu ?
Comment lutter contre cet effilochage alors qu’au cœur de l’État, au plus profond de ce qui devrait constituer la matrice intellectuelle de la reconstruction civilisationnelle, le ministre en charge de l’Éducation nationale s’emploie à défaire les lignes de force de son prédécesseur ? Comment comprendre cette incohérence ? Si le président déplore la perte progressive de ce qui faisait sens dans une nation homogène, son ministre ne vante-t-il pas les mérites de ce qui la défait ? Peut-on promouvoir la civilisation ayant construit ce pays avec sa mise en accusation comme fil conducteur ? Peut-on éduquer avec la culpabilisation décoloniale comme filigrane de notre histoire ? Éduquer c’est transmettre des savoirs, éduquer c’est donner à penser autour des multiples contradictions d’une histoire, mais éduquer ne consiste surement pas à substituer à la complexité une autre simplification. Les extrémismes politiques se nourrissent de ce renversement. Si la France est un pays de salauds, comment inciter à l’amour de la patrie ? Ce mot a-t-il encore un sens ? Est-il trop désuet ? Déboulonner les statues de Colbert fait-il progresser la connaissance du Code noir ? L’histoire est un tout, où le pire côtoie le meilleur. Jean Moulin est déjà au Panthéon et Missak Manouchian va bientôt rejoindre ces grands personnages que la nation se doit d’honorer.
Lutter contre la décivilisation, c’est d’abord indiquer un cap et s’y tenir malgré les vents contraires du poujadisme et le brouillage de la confusion dont un Cyril Hanouna est le grand promoteur. Les héros, les belles choses, les beaux gestes, les gens bien ne manquent pas en France, encore faut-il vouloir ne pas se contenter des apparences.
Sauf ultime rebondissement concernant une éventuelle « irrecevabilité financière », l’Assemblée nationale devrait se pencher le 8 juin sur une proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites déposée par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT). Portée par Charles de Courson, elle donne des sueurs froides à la macronie, qui tente évidemment d’empêcher le débat de reprendre.
Qui est Charles de Courson, ce député qui déclarait ce weekend, sur France 3, que « [son] ambition est de mettre fin à ce déni de démocratie » ? Si elle était votée par une majorité de députés, sa proposition de loi pourrait faire tomber le gouvernement impopulaire de la Première ministre Elisabeth Borne ! Cela reste peu probable, disons-le tout de suite.
Jugée par la population, les principaux syndicats et par une majorité de députés présents à l’Assemblée nationale comme étant injuste, inutile et impopulaire, la loi de réforme des retraites, qui prévoit de reculer l’âge de la retraite à 64 ans, a cristallisé le débat politique en France. L’entêtement du gouvernement de la Première ministre Elisabeth Borne, à ignorer une vox populi en colère, a jeté des centaines de milliers de Français dans la rue durant plusieurs semaines. Accompagnées de violences régulières orchestrées par des groupes de l’ultra-gauche, les manifestations ont été réprimées tout aussi durement par un gouvernement qui a préféré déclencher en mars dernier l’article 49.3 de la Constitution privant ainsi le Parlement de tout vote après les débats. Une adoption au forceps qui n’a pas calmé la colère des Français, épuisés par une inflation galopante, dans un pays déjà la proie d’une crise sociale et identitaire.
Petit mais costaud
C’est dans ce contexte que le plus petit groupe politique de l’Assemblée nationale a décidé de se lancer dans un bras de fer avec le gouvernement. En déposant une proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites, dont l’étude est prévue le 8 juin prochain, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT), composé de 21 députés, espère bien faire tomber le gouvernement actuel si la proposition recueille une majorité de votes au sein de l’hémicycle.
Élu dans la Marne sans discontinuer depuis trois décennies, Charles Buisson de Courson est le député qui porte haut l’oriflamme de cette contestation parlementaire. Porté sur un piédestal par ses collègues de l’opposition, il est devenu une épine dans le pied du gouvernement qui tente d’empêcher le débat à venir. Sur les plateaux de télévision, il se démène sans compter afin d’expliquer pourquoi LIOT a décidé de poursuivre le combat. Il résiste aux attaques de Renaissance, le parti du président Emmanuel Macron, avec un flegme qui décontenance même ses adversaires. Une force tranquille qui refuse de céder à la moindre pression (sa permanence a été l’objet de dégradations par deux fois).
Fidèle à ses convictions, le député s’inscrit dans une lignée d’ancêtres dont le destin s’est mêlé aux grandes heures de la politique française. Parmi lesquels on peut citer les marquis Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau (qui vota la mort du roi Louis XVI, pour son plus grand malheur puisqu’il sera assassiné pour ce régicide) et Léonel de Moustier (qui refusera d’accorder les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, et deviendra un célèbre résistant qui sera déporté et qui décédera dans un camp de concentration en 1945).
Borne rappelle à la gauche que ce n’est pas franchement un progressiste
Le 28 mai, interviewé sur le plateau de France 3, Charles de Courson déclare « mon ambition est de mettre fin à ce déni de démocratie ». Il avertit que « le gouvernement finira par être renversé s’il continue de se comporter comme s’il était majoritaire ». « Le gouvernement et la minorité présidentielle font tout pour qu’on ne vote pas le texte, on voit bien qu’ils sont inquiets » renchérit-il. Au sein du parlement, les échanges entre le camp présidentiel (251 élus) et le représentant de LIOT sont tendus, comme en témoigne l’attaque ad hominem de la Première ministre Elisabeth Borne qui n’a pas hésité à rappeler que le député avait été un opposant au mariage pour tous. Comme si c’était interdit ! Ou encore la récente passe d’armes entre Aurore Bergé et Charles de Courson à l’Assemblée nationale. La présidente du groupe Renaissance a appelé ses troupes à faire bloc contre la proposition, remettant même en question la recevabilité de celle-ci. Bien que très relative, la majorité présidentielle a rameuté le ban et l’arrière-ban de ses ministres afin d’arguer, à qui veut l’entendre, que cette proposition d’abrogation est inconstitutionnelle et qu’en cas d’adoption de la loi, elle brandira l’article 40 de la Constitution « qui dispose que les propositions et amendements des parlementaires ne sont pas recevables s’ils entraînent une diminution des recettes ou un alourdissement des charges publiques » comme le rappelle France Inter dans une de ses éditions. Un argument que balaye aisément Charles de Courson qui met en avant les principaux points de sa proposition : appel à l’organisation d’une « conférence de financement pour garantir la pérennité de notre système de retraite » et compensation de « la charge pour les organismes de sécurité sociale par la majoration de l’accise sur les tabacs ».
Une proposition qui a déjà les (239) voix acquises de la Nupes et du Rassemblement National (RN) assure Charles de Courson. Tout à son heure de gloire, très optimiste, il appelle Les Républicains (LR) « à faire preuve de courage afin de sortir de la crise politique et sociale ». Avec seulement 25 députés favorables à la loi sur les 62 que compte LR, les quatre députés non-inscrits, les potentiels abstentionnistes de Renaissance (qui pourraient, qui sait, ne pas voter afin de garantir leurs chances de réélection aux prochaines élections législatives) et un texte qui n’aura besoin ici que d’une majorité simple pour être adopté, les jours du gouvernement pourraient être comptés. Fin mars, une motion transpartisane déposée par le groupe LIOT avait déjà rassemblé 278 voix sur une majorité requise de 287 voix.
L’ancien chanteur et bassiste des Pink Floyd accuse ses détracteurs de mauvaise foi, après son concert berlinois. Entre critique politique légitime et mises en scènes polémiques, Causeur fait le point sur ce qui peut être reproché ou non à l’artiste. La “radicalisation” de Roger Waters ne date pas d’hier; il est hostile à Israël de longue date.
La scène a eu lieu le 17 mai à Berlin, et fait depuis couler beaucoup d’encre. Long manteau en cuir noir, lunettes noires, cravate noire, chemise noire et brassard rouge, Roger Waters, ancien de Pink Floyd, dégaine son fusil en plastique et tire à vue. En lettres rouges sur un écran, le nom d’Anne Frank, mais aussi celui de Shireen Abu Akleh, cette journaliste palestino-américaine de la chaîne Al Jazeera tuée lors d’un raid israélien en mai 2022. La tournée This Is Not A Drill suscite l’émotion outre-Rhin, où malgré les tentatives d’interdiction des principales villes du pays, le chanteur a pu se produire.
Ce n’est pas la première provocation de Roger Waters. Depuis près de 20 ans, il a multiplié les prises de position hostiles à l’égard d’Israël. Alors qu’il doit faire un concert à Tel Aviv, en 2006, sa visite de la Cisjordanie le décide à déplacer l’événement dans un village fondé entre Jérusalem et Tel Aviv par des militants de la paix juifs et arabes. Tout d’abord, il refuse de boycotter totalement ses concerts en Israël, en précisant : « Je n’exclurais pas d’aller en Israël parce que je désapprouve la politique étrangère, pas plus que je ne refuserais de jouer au Royaume-Uni parce que je désapprouve la politique étrangère de Tony Blair ». Et puis, peu à peu, c’est la radicalisation. En 2013, il déclare son soutien au mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions et incite ses collègues chanteurs à ne plus se produire dans l’État hébreu. Comparaison avec l’Allemagne nazie[1] et le régime d’apartheid[2], cochon volant marqué d’une étoile de David déployé lors d’un concert [3], insinuations complotistes sur les « méthodes » israéliennes pour façonner l’opinion publique américaine : l’artiste bascule peu à peu dans le grand n’importe quoi. Heureusement, il ne s’intéresse pas qu’au conflit israélo-palestinien. En 2022, une semaine avant le début de l’offensive russe en Ukraine, il déclarait à Russia Today que la possibilité d’une attaque imminente de la Russie était « une connerie » et ajoutait « que quiconque a un QI supérieur à la température ambiante sait que [l’hypothèse d’une invasion] est absurde ». Depuis un bon moment, ses relations avec les anciens membres du groupe se sont curieusement quelque peu tendues.
Évidemment, Roger Waters conteste le caractère antisémite de sa dernière mise en scène. Sur Twitter, il a précisé : « Mon récent concert à Berlin a généré des attaques de mauvaise foi de la part de ceux qui veulent me réduire au silence car ils sont en désaccord avec mes opinions politiques. Les aspects de mon concert qui ont été mis en cause constituent clairement un message contre le fascisme, l’injustice et le sectarisme sous toutes ses formes et toute tentative d’y voir autre chose est malhonnête ». Sur place, la police allemande a ouvert une enquête. Au sein de la communauté juive d’Allemagne, l’émotion est vive : « Quel est le sens de ces ‘Plus jamais ça’ des politiciens et des déclarations selon lesquelles l’antisémitisme n’a pas sa place en Allemagne, si des artistes égarés et des provocateurs ont tout le loisir de répandre sans restrictions leur haine des Juifs et d’Israël ? », déclarait le 22 mai la Conférence rabbinique orthodoxe d’Allemagne, dirigée par les rabbins Avichai Apel, Zsolt Balla et Yehuda Pushkin. « Il est absolument honteux qu’il ne soit pas possible, en Allemagne, d’interdire les concerts clairement antisémites et anti-israéliens de Roger Waters » poursuivaient les religieux.
Unique démocratie de la région
Les tentatives d’interdiction auprès des tribunaux allemands ont été contreproductives, et le chanteur se réfugie derrière l’équation « Juifs d’hier = Palestiniens d’aujourd’hui ». Rare État au monde apparu à la suite d’un vote des Nations Unies à la majorité qualifiée, Israël est pour autant un pays normal, comme tous les autres, et, à ce titre, peut faire l’objet de reproches. Société complexe, le pays est marqué par des contradictions internes, particulièrement vives ces derniers mois. En mars, l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut revenait, avec Frédéric Encel et Elie Barnavi, sur la réforme judiciaire qui menacerait de faire basculer Israël dans le bloc des démocraties illibérales – et les énormes manifestations qui la contestent depuis plusieurs semaines.
On peut malgré tout rappeler à Roger Waters et à quelques égarés que, depuis 1948, les pays arabes se sont presque tous vidés de leur population juive, laquelle représentait près d’un million de personnes. Dans le même temps, Israël a accepté 1,3 million de musulmans devenus pleinement Israéliens, disposant de droits humains et sociaux que fort peu d’États arabo-musulmans accordent à leur propre population. En un mot, rappeler qu’au sein du Moyen-Orient, Israël est l’unique démocratie critiquable – parce qu’elle est toute seule.
[1] A une question sur son boycott d’Israël, il répond en 2013 dans la revue américaine de gauche radicale Counterpunch: « I would not have played for the Vichy government in occupied France in the Second World War, I would not have played in Berlin either during this time ».
[2] Waters a qualifié Israël de « projet suprémaciste et colonialiste qui exploite un système d’apartheid », dans le magazine de rock Rolling Stones, en octobre 2022.
Vague bleue en Espagne! Le parti socialiste de Pedro Sanchez a connu une très lourde défaite électorale dimanche, perdant de nombreuses régions historiques. Podemos s’écroule, Vox s’implante. Après ce camouflet aux élections régionales et municipales, le Premier ministre Pedro Sanchez a annoncé des élections nationales législatives anticipées pour le 23 juillet. Analyse des résultats.
Le dimanche 28 mai au soir, la fête battait son plein devant le siège national du Parti populaire (droite classique), rue de Gênes, à Madrid. Pour son premier test d’ampleur nationale, le nouveau président de la formation, Alberto Núñez Feijóo, avait de quoi se réjouir. En effet, avec environ 800 000 voix d’avance au niveau national sur le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), son principal concurrent, il venait de gagner les élections municipales outre-Pyrénées.
Euphorie à droite
À l’échelle régionale, le constat était aussi brillant : en tête dans sept communautés autonomes, la formation démocrate-chrétienne était bien placée pour gouverner dans neuf d’entre elles grâce au soutien de la droite « radicale » de Vox.
À Ceuta et Melilla, les deux villes espagnoles enclavées dans le nord du Maroc, la droite l’emportait nettement et le PP se payait même le luxe d’obtenir la majorité absolue dans la seconde. Le scandale d’achats de votes par correspondance qui secoue cette cité sur les rives de la mer Méditerranée a probablement pénalisé la gauche…
Le PSOE limite la casse mais ses alliés dévissent
Paradoxalement, le désastre socialiste semble très mesuré si l’on ne considère que le nombre de bulletins glissés dans les urnes en faveur du parti social-démocrate. Par rapport au scrutin de 2019, les partisans du président du gouvernement Pedro Sánchez ne perdent « que » 430 000 voix environ. Pourtant, il convient de nuancer ce constat car le Parti populaire progresse de plus d’un million huit cent mille bulletins en quatre ans.
Les populares absorbent ainsi l’essentiel de l’électorat qui se portait jadis sur le centre libéral de Citoyens (Cs). La formation orange, qui était considérée en son temps comme l’avenir de la droite, s’effondre complètement. Même la première adjointe au maire de Madrid, Begoña Villacís, qui devait pouvoir maintenir quelques sièges dans la capitale en raison de sa très bonne image, y perd tous ses élus. La porte-parole de Cs, Patricia Guasp, qui briguait la présidence des îles Baléares, ne peut retenir aucun des cinq sièges obtenus il y a quatre ans. Un véritable camouflet.
Par ailleurs, c’est surtout l’affaissement de la gauche « radicale » qui empêche le PSOE de maintenir les fiefs conquis en 2015 ou 2019. Sur les 47 députés régionaux dont disposait Unidas Podemos à l’ouverture des bureaux de vote, il ne lui en reste désormais plus que 15. Son nombre de sièges au Parlement régional aragonais est divisé par cinq tandis qu’il passe de six à un seul dans les Baléares. Dans la Communauté de Madrid, la formation que dirigeait Pablo Iglesias jusqu’en 2021 sombre corps et biens, tout comme au conseil municipal de la capitale. Les régionalistes de Compromís, partenaires traditionnels d’Unidas Podemos, reculent dans la Communauté de Valence et dans sa capitale. À Cadix, autre « mairie du changement » emblématique pour la gauche « radicale », l’alliance des socialistes et de la liste locale Adelante Izquierda Gaditana manque le pouvoir d’un siège.
L’hôtel de ville de Barcelone, pour sa part, devrait voir un changement de locataire. La liste de gauche Barcelone en Commun, emmenée par Ada Colau, passe de la deuxième à la troisième position et perd un conseiller municipal. La droite indépendantiste de Xavier Trias arrive en tête et, même dans l’hypothèse où la gauche conclurait un pacte de gouvernement, c’est normalement le socialiste Jaume Collboni qui deviendrait maire.
Ce recul généralisé constitue également un revers pour la communiste Yolanda Díaz, deuxième vice-présidente du gouvernement central. Elle avait lancé cette année sa nouvelle coalition de gauche « radicale », baptisée Sumar, qui s’appuyait sur plusieurs formations locales à Madrid, Valence ou encore Ceuta. Son objectif était de marginaliser Podemos à la gauche du PSOE et de servir d’appui aux socialistes afin que ces derniers puissent rester au pouvoir. Or, ses résultats sont pour le moins contrastés. Certes, dans la Communauté de Madrid, Mónica García, de Más Madrid, parvient à conserver sa place de premier opposant au Parti populaire en gagnant trois sièges. Toutefois, au conseil municipal de la capitale, Rita Maestre (de la même formation, qui soutient l’initiative Sumar) laisse filer sept sièges pour finir deuxième.
La Catalogne et la Galice sont d’ailleurs les deux seules communautés autonomes où le PSOE enregistre de bons résultats municipaux[1]. Les socialistes ont des chances de gouverner non seulement Barcelone mais aussi les trois autres capitales de province catalanes (Tarragone, Lérida et Gérone). De son côté, la région galicienne devrait leur offrir des communes importantes comme La Corogne, Vigo, Saint-Jacques-de-Compostelle ou encore Lugo. La droite se partage les restes – essentiellement Orense et Ferrol.
Le Parti populaire domine presque partout
Ailleurs, la défaite des listes soutenues par Pedro Sánchez est cuisante. Au niveau régional, la très emblématique Isabel Díaz Ayuso, figure de proue du Parti populaire, obtient la majorité absolue dans la Communauté de Madrid avec 71 sièges sur 135.
Le PP devrait également reprendre l’Aragon (35 élus sur 67 en coalition avec Vox) et la Communauté de Valence (53 sur 99 en alliance avec la droite « radicale »), renvoyant respectivement les socialistes Javier Lambán et Ximo Puig dans l’opposition.
Dans les îles Baléares, Francina Armengol, qui avait pu l’emporter pour le PSOE en 2015 et 2019, est impuissante face à l’avancée du PP et de Vox. Ces derniers cumulent 33 sièges sur 59 au Parlement régional. Margalida Prohens (Parti populaire) devrait donc lui succéder au Consulat de la Mer, siège de la présidence régionale.
Longtemps dirigée par la droite, la modeste communauté autonome de La Rioja était passée à gauche en 2019, à la faveur d’un pacte entre Concha Andreu (PSOE) et Unidas Podemos. Cette fois-ci, les sociaux-démocrates n’ont rien pu faire pour contenir ce que d’aucuns qualifient de « tsunami bleu ». Les conservateurs y emportent en effet la majorité absolue (17 élus sur 33).
En Cantabrie, où les socialistes gouvernaient en coalition avec le Parti régionaliste de Cantabrie (PRC), le bloc de droite obtient 19 sièges sur 35. Par conséquent, María Sáenz de Buruaga (PP) devrait succéder à Miguel Ángel Revilla à la présidence.
Dans les îles Canaries, le social-démocrate Ángel Víctor Torres sauve la première place mais perd des plumes dans l’opération. Toute majorité à gauche devient quasi impossible et les régionalistes de la Coalition canarienne (CC) reviendront probablement au pouvoir, soutenus par le Parti populaire.
La Région de Murcie, traditionnellement ancrée à droite, voit un autre reflux de la gauche. Pour leur part, PP et Vox cumulent 30 sièges sur les 45 du Parlement régional.
Plus surprenant est le résultat en Estrémadure, fief historique du PSOE. À l’issue d’une très longue nuit de dépouillement, le socialiste Guillermo Fernández Vara fait jeu égal avec la conservatrice María Guardiola à 28 sièges. C’est le bon résultat de Vox (5 élus au total) qui doit permettre à la droite d’obtenir la majorité, dans une communauté autonome naguère acquise à la gauche.
Ainsi donc, les socialistes ne maintiennent le pouvoir qu’en Castille-La Manche (où Emiliano García-Page a dû attendre des heures avant d’être assuré de sa continuité), dans la Principauté des Asturies (où il faudra gouverner en coalition avec la gauche « radicale ») et en Navarre (où les pactes seront complexes à sceller).
Dans cette dernière région, la poussée des indépendantistes basques de Bildu va être un casse-tête pour le PSOE. Façade politique plus ou moins assumée de la défunte ETA, la formation a défrayé la chronique ces dernières semaines. Elle a en effet présenté aux élections municipales une quarantaine de candidats condamnés il y a plusieurs années pour des faits de terrorisme. Toute alliance trop nette des socialistes avec Bildu serait donc très gênante.
La vague bleue se confirme aux élections municipales
Au niveau municipal, la poussée de ces mêmes indépendantistes se vérifie un peu partout, notamment à Pampelune (Navarre) et Vitoria (Pays basque). Malgré tout, le Parti nationaliste basque (PNV) devrait rester au pouvoir à Bilbao et Saint-Sébastien.
Dans presque tout le reste de l’Espagne, la droite l’emporte nettement. La majorité absolue du maire sortant de Madrid, José Luis Martínez-Almeida (PP), est d’autant plus éclatante qu’elle était loin d’être certaine. Le Parti populaire s’impose dans plusieurs communes de l’ancienne « ceinture rouge » de la capitale, à l’instar de Móstoles, Arganda del Rey, Torrejón de Ardoz ou encore Leganés. À Alcalá de Henares (troisième ville la plus peuplée de la Communauté de Madrid), le bloc de droite s’assure aussi le gouvernement.
Au-delà de l’aire urbaine madrilène, le Parti populaire dirigera Valence, Cadix, Málaga et Grenade. De nombreuses autres communes importantes sont à porter au crédit du Parti populaire, assez souvent en coalition avec Vox ou des régionalistes : Castellón de la Plana, Séville, Murcie, Palma de Majorque, Badalone, Alicante, Valladolid, Burgos, Ségovie, Cordoue, Huelva, Marbella, Estepona, Almería, Guadalajara, Salamanque, Elche, Jerez de la Frontera, Cáceres, Badajoz, Tolède, Ciudad Real, Albacete, Saragosse, Huesca, Teruel, Oviedo, Gijón, Logroño, Carthagène, Ibiza, etc.
À Santa Cruz de Ténérife, le PSOE est arrivé en tête mais devrait perdre le pouvoir. À Las Palmas de Grande Canarie, en revanche, l’ancienne ministre socialiste Carolina Darias réussit son pari et deviendra très certainement maire.
Les intentions du président de ce parti, Santiago Abascal, sont claires : entrer dans l’exécutif d’un maximum de régions et dans le conseil municipal du plus de villes possibles. S’il veut transformer l’essai, le PP pourra difficilement le lui refuser.
Les leçons nationales : de l’essor de Vox aux élections générales anticipées
Notons que le panorama municipal et régional espagnol marque également une nette avancée de Vox. La formation de droite « radicale » oublie ainsi son demi-échec au scrutin andalou de 2022, multiplie par trois son nombre de conseillers municipaux dans l’ensemble de l’Espagne et sera décisive dans le basculement de six communautés autonomes.
Les intentions du président de ce parti, Santiago Abascal, sont claires : entrer dans l’exécutif d’un maximum de régions et dans le conseil municipal du plus de villes possibles. S’il veut transformer l’essai, le PP pourra difficilement le lui refuser. Le président du Parti populaire, Alberto Núñez Feijóo, peut cependant savourer sa victoire, la première pour sa formation au niveau national depuis 2018. Il s’était investi tout autant que Pedro Sánchez dans un scrutin dont les conséquences nationales sont évidentes.
Frappé de plein fouet par la déroute, le chef de l’exécutif a d’ailleurs annoncé la dissolution anticipée du Parlement national. Les prochaines élections générales espagnoles se tiendront donc le 23 juillet prochain. Seul l’avenir nous dira si le bloc de droite peut rééditer sa victoire du 28 mai mais il semble bien parti.
[1] Ces deux communautés autonomes ont un calendrier électoral propre et ne votaient pas pour renouveler leur Parlement ce dimanche (tout comme le Pays basque, l’Andalousie ainsi que la Castille-et-León).
La Mauritanie est une exception au Sahel. Le pays n’a pas connu d’attentat islamiste depuis 2011. A un an de l’élection présidentielle, le président Mohamed Ould Ghazouani sort renforcé des élections législatives du dimanche 28 mai. Analyse.
La Mauritanie ne fait pas les gros titres de la presse française. Nous avons pourtant tort de négliger ce pays présentant une géographie qui en fait un État pivot de l’Afrique de l’ouest au sens où l’entend le politologue et ancien conseiller en sécurité national de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski. Les dernières élections législatives, dont le second tour avait lieu le samedi 27 mai, sont l’occasion de nous pencher plus attentivement sur cet Etat divisé entre le groupe des Beidanes ou « Maures blancs » d’origine berbère, celui des « Maures noirs » ou Haratins et des Africains noirs issus de multiples ethnies (Peuls, soninkés, Wolofs, etc).
Ces élections ont renforcé le président Mohamed Ould Ghazouani, dont le parti el-Insaf a remporté 80 sièges de députés sur 176. Une dizaine de formations membres de la mouvance présidentielle en ont obtenu de leur côté 36. Créé en 1975 sous inspiration du mouvement internationaliste islamiste des Frères musulmans, le principal parti d’opposition Tewassoul (Rassemblement National pour la Réforme et le Développement) en a gagné neuf. Cette continuité politique est une nouvelle plutôt rassurante pour la France, tant le rôle de la Mauritanie est important au Sahel pour contenir le djihadisme en Afrique sahélienne.
Luis Martinez, directeur de recherche à Sciences-Po CERI et consultant pour l’Union européenne en Afrique subsaharienne, a récemment sorti L’Afrique, le prochain califat ? LaSpectaculaire expansion du djihadisme aux éditions Taillandier. Dans un entretien[1] accordé au Monde en mars dernier, il affirmait que certains États du Sahel pourraient « suivre le chemin de l’Afghanistan » et se transformer en califats:
« (…) l’hypothèse me semble aujourd’hui tout à fait envisageable. Pas sous la forme d’une prise du pouvoir par la force d’un groupe djihadiste, mais par une usure des forces de défense de ces pays, qui conduirait à des compromis pour un retour à la paix en contrepartie d’une exigence d’application d’un certain nombre de règles, notamment issues de la charia (…) Leur vrai défi aujourd’hui est de trouver des partenaires politiques, religieux et militaires capables d’accepter que l’une des issues à la guerre serait dans ce type de configuration »
Autrefois plus paisible, cette région du monde est sous la menace constante des conflits ethniques et de l’islam de combat depuis le mitan des années 2000 ; moment symbolique où le traditionnel Paris-Dakar de notre enfance fut d’ailleurs déplacé en Amérique du Sud du fait de l’impossibilité de l’organiser de manière sécurisée. Depuis 15 ans, la Mauritanie a pourtant décidé de lutter pied à pied contre le terrorisme, faisant office de frontière difficile à franchir pour les différents groupes terroristes qui opèrent dans la région. Dans ce contexte tendu, la solidité de l’appareil militaire est essentielle pour garantir la résilience des institutions étatiques.
Son armée, forte de ses unités traditionnelles de soldats méharistes, qu’on reconnait notamment à leurs chameaux, ainsi que des unités légères des Groupements spéciaux d’intervention, assure des missions que ni le Mali ni le Niger n’ont pu ou su remplir. En off, les officiers français expriment régulièrement leur soulagement de pouvoir compter sur ce partenaire dans la région. Alors que les actes terroristes endeuillent absolument toute cette zone, du Tchad au Mali et jusqu’à la frontière nord de la Côte d’Ivoire, la Mauritanie n’a plus été le siège d’une action djihadiste depuis… 2011.
Elle doit cela à des institutions stables qui garantissent une continuité politique et une certaine concorde sociale. Il est d’ailleurs notable que le site France Diplomatie n’évoque pour les voyageurs que les risque d’infiltration de groupes terroristes aux frontières mauritaniennes : « La situation au Sahel et en particulier au Mali voisin expose la Mauritanie à des risques d’infiltration de groupes terroristes, susceptibles de mener des actions (enlèvement, attentat) contre les intérêts et les ressortissants français ». Cela signifie donc que le contexte mauritanien n’est pas systémiquement soumis au terrorisme islamiste.
Ancien général et chef d’Etat-major des armées, Mohammed Ould Ghazouani n’estime toutefois pas que le danger soit derrière lui. Fin novembre 2019, il rappelait après son élection que Nouakchott conservait une vigilance de tous les instants : « Nous, Mauritaniens, étions dans la même situation [que nos voisins] il n’y a pas si longtemps. Face à ce genre de menaces, il faut être suffisamment préparé ». Entre 2005 et 2008, l’exécutif civil mené par Sidi Ould Cheickh Abdallahi a ainsi été sous la pression constante du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, montrant son incapacité à pacifier la situation.
Alors que le Mali s’est retiré du Sahel G5 qui devait être la base de notre architecture de sécurité commune sur place, tant pour lutter contre le djihadisme que contre l’immigration clandestine vers l’Europe, la Mauritanie apparait comme un pilier sur lequel la défense française peut encore compter pour quelques années… Il ne sera pas de trop dans un contexte international particulièrement troublé où l’Afrique est devenue malgré elle le terrain de jeu de puissances hostiles et d’intérêts privés étrangers, à l’image du groupe Wagner.
Michel Houellebecq invité de TLC, 29 mai 2023 D.R.
Islam. L’écrivain fait plus qu’un mea culpa, s’étonne Ivan Rioufol
Les intuitions de Michel Houellebecq sur les évolutions de la société sont souvent exactes, parfois prophétiques. Formé à l’esprit scientifique et à la poésie, il a ce don qui permet aux bons écrivains de voir dans l’obscurité. Mais, cette fois, ce qu’il montre dans son dernier livre (Quelques mois dans ma vie, Flammarion) de sa spectaculaire soumission à l’islam relève davantage d’une faiblesse de caractère que d’une tendance collective au renoncement. Du moins, c’est ce que je veux croire, même si je ne néglige pas le somnambulisme qui a gagné les plus indolents. Il est aisé d’observer, à rebours d’un Houellebecq soucieux d’obtenir les bonnes grâces du recteur de la mosquée de Paris et de Bernard-Henri Lévy, le réveil des peuples, des nations, des identités et des cultures.
Le nouveau sultan Erdogan a été réélu (52,14% des voix), en dépit de la crise économique et sociale qui frappe la Turquie, pour avoir su défendre l’âme et la fierté de son pays. Une quête de sens, en rupture avec la société matérialiste et consumériste occidentale, habite ceux qui, en France, rejettent « l’homme déglingué » (Robert Redeker) oublieux de ses propres racines. L’engouement pour le pèlerinage religieux traditionaliste de Paris à Chartres, qui s’est achevé lundi après 97km parcourus à pied depuis samedi par 16 000 jeunes (moyenne d’âge : 20 ans) fait partie de ces signaux faibles qui laissent espérer une renaissance spirituelle. Dans ce contexte, la capitulation de Houellebecq face à l’islam, au prétexte de s’assurer une image bonasse et pantouflarde, s’apparente à une trahison.
L’écrivain avait à cœur de s’excuser, devant les autorités musulmanes, de propos tenus lors d’une conversation avec Michel Onfray, retransmise dans un hors-série de la revue Front Populaire. Houellebecq avait notamment déclaré: « Je crois que le souhait de la population française « de souche », comme on dit, ce n’est pas du tout que les musulmans s’assimilent, mais simplement qu’ils cessent de les voler et de les agresser (…) Ou bien, autre bonne solution, qu’ils repartent ». Cette généralisation était en effet stupide; son repentir était légitime. Mais l’écrivain est allé bien au-delà d’un mea culpa. Il a repris à son compte le poncif islamique sur l’ « islam, religion de paix et de tolérance ».« L’islam est une religion », écrit-il, sans vouloir admettre que l’islam est surtout un ensemble de codes et de lois (charia) qui règlent la vie quotidienne dans les moindres détails. « Le problème n’est pas l’islam, c’est la délinquance », soutient-il également, en occultant la force conquérante du djihad, qui a déjà su imposer un séparatisme dans des cités. La contre-société islamique en est le résultat. Elle est soutenue par une majorité de jeunes musulmans: dans tous les sondages, ceux-ci se disent attachés à la loi islamique plutôt qu’aux lois de la république. Même le salafisme trouve grâce à ses yeux (entretien au Point), alors même que le drapeau de l’Arabie Saoudite a le sabre comme emblème. Mais qui s’offusque de la débandade de Houellebecq ?
Un nouveau rapport de France Stratégie préconise un « accroissement des prélèvements obligatoires » pour financer la décarbonation de l’économie française. Une nouvelle fois, l’écologie sert de prétexte à la taxation des Français.
L’écologie a bon dos. Comme souvent lorsqu’un gouvernement ou une administration veut trouver des ressources supplémentaires – comprenez : augmenter les impôts – il s’appuie sur une noble cause. Les bornes ont été dépassées avec le nouveau rapport de France Stratégie remis à la Première ministre le 22 mai. Selon celui-ci, les investissements indispensables à la décarbonation de l’économie vont ralentir la croissance et alourdir la dette publique. La conséquence ? Un accroissement des prélèvements obligatoires sera « probablement nécessaire », en particulier sur le patrimoine des plus aisés. Ce rapport s’inscrit dans la continuité d’une fiscalité « écologique » en augmentation constante. Les taxes dites environnementales représentent aujourd’hui plus de 60 Mds€, sans compter parfois la TVA payée elle-même sur ces taxes. Ces quarante impôts et taxes diverses servent-elles réellement le bien commun, contribuent-elles vraiment à lutter contre la pollution ? En d’autres termes, quel est l’objectif ultime de cette floraison de nouvelles taxes toutes plus lucratives les unes que les autres ?
En effet, on attend en principe d’un impôt rentabilité, pérennité et neutralité. Il doit remplir dans la durée les caisses de l’Etat, sans entraver l’économie ou décourager le contribuable. Or, la fiscalité environnementale ou écologique se targue d’obéir à un autre critère : la moralité. Ce qui n’a qu’un lointain rapport avec l’impôt.
Malheureusement, cet amoncellement de nouvelles taxes ne disparaîtra pas le jour où le monde sera dépollué…
En l’occurrence, cette moralité consiste à punir le pollueur pour l’inciter à moins polluer.
Mais un impôt moralement acceptable n’est pas forcément le plus honnête.
Etablir un impôt pour des raisons autres que de finances publiques le rend hypocrite. Surtout lorsque l’Etat a cruellement besoin d’argent.
Or, ces impôts ne cessent de croître et même si la crise des gilets jaunes a montré que ce n’était pas sans heurts, ils sont en définitive acceptés au motif qu’ils participent à une grande cause : la défense de l’environnement. D’où finalement une efficacité d’autant plus redoutable que leur disparition pourtant programmée avec la décarbonation n’interviendra en réalité jamais, et ce au grand dam du citoyen qui restera la cible d’impôts qui, pour survivre, n’auront qu’à changer de nom au moment voulu.
Force est de constater d’abord que du fait même de la mécanique générale de la production économique, la victime finale de la taxation est de toute manière le consommateur, c’est-à-dire le citoyen. Non seulement pour la fiscalité carbone qu’il paye à travers son litre d’essence, mais aussi pour toutes les autres taxes censées lutter contre les activités polluantes. Ainsi, que font les entreprises soumises à la taxe générale du même nom (TGAP sur les déchets, les émissions de substances polluantes, les préparations pour lessive ou les matériaux d’extraction) ? Elles font comme pour toutes les autres charges auxquelles elles sont exposées, elles en répercutent le prix sur leurs clients et en bout de chaîne sur le consommateur final.
Nous pouvons aussi prendre l’exemple de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Celle-ci rapporte désormais 7 Mds€ aux collectivités locales (et quelques centaines de millions à l’Etat au titre des frais de recouvrement) et finance non seulement la collecte mais aussi le traitement et l’élimination des déchets. L’explosion de son coût pour les contribuables a une double origine : d’une part, des normes environnementales qui rendent le traitement des déchets de plus en plus coûteux et, d’autre part, les besoins des collectivités locales qui, tout comme l’Etat, sont sans cesse à la recherche de nouvelles recettes. Dès lors, la TEOM est marquée elle aussi du sceau des travers de la fiscalité environnementale : conséquence de normes écologiques toujours plus strictes et prétexte à de nouvelles recettes fiscales à la charge des ménages.
Et malheureusement, cet amoncellement de nouvelles taxes ne disparaîtra pas le jour où le monde sera dépollué.
Car la perversité de la fiscalité environnementale se trouve aussi, comme souvent, dans la sémantique. En effet, un glissement linguistique fait qu’une fois épuisé le motif généreux et presque nécessaire du combat contre la pollution, on en vient à parler non plus de la fiscalité environnementale mais de la fiscalité sur l’énergie, ou indifféremment des deux. D’un côté, cela rejoint l’idéologie écologiste d’une production d’énergie intrinsèquement perverse dès lors qu’elle dépasse le niveau vivrier de l’éolienne au-dessus de sa grange. De l’autre, cela témoigne de ce que l’on évoquait précédemment : en créant une dépendance à l’impôt, la fiscalité contre la pollution conduit inexorablement à taxer l’énergie elle-même, de peur de manquer de taxes le jour où cette énergie ne sera plus polluante (même si quelque chose nous dit qu’un jour ou l’autre une taxe devra bien financer le stockage ou le retraitement des piles au lithium, le démantèlement des éoliennes ou la décomposition des panneaux solaires…). Le changement de nom le plus symptomatique est d’ailleurs celui de la taxe la plus emblématique : la fameuse TIPP, taxe intérieure sur les produits pétroliers, devenue la TICPE, taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Même si c’est toujours l’essence qui reste le combustible de l’impôt, c’est désormais l’énergie qui est taxée.
Si la médecine avait progressé au même rythme que l’impôt, il est probable que la monarchie aurait en son temps expliqué au peuple que la gabelle sur le sel visait avant tout sa santé, en n’étant rien d’autre qu’un moyen de lutte contre l’hypertension.
Carte du monde de Gall-Peters, qui prend en compte les superficies réelles des continents. D.R.
Discussion de salon dans la cuisine. Des vieux, des jeunes, des entre les deux.
– J’ai lu que, dans un cours de géographie de 4ème, un élève d’origine marocaine avait affirmé que le Maroc n’était pas en Afrique et qu’il n’avait jamais voulu en démordre.
– Parce que dans sa tête, l’Afrique, c’est uniquement l’Afrique sub-saharienne. Il considère, et ça se défend, que « son monde », à savoir le Maghreb, n’en fait pas partie.
– Si un continent, c’est une grande étendue de terre entourée de mers et d’océans, il a tort. Mais, dans cette hypothèse, il faut que nous acceptions de jouer dans la même division que les Tchétchènes et les Chinois.
Et c’était parti !
Cinq, six, sept continents ?
Pour se mettre en jambe, petit débat sur le nombre de continents. Pour ma part, et je n’étais pas la seule, j’en étais (scolairement et comme dans la chanson de Joseph Lafitte) restée à cinq : l’Europe (en tête bien sûr), l’Afrique (avec le Maroc), l’Amérique, l’Asie et l’Océanie.
– Cinq oui, mais pas ceux-là : l’Afrique, l’Amérique, l’Antarctique, l’Océanie et l’Eurasie.
– N’importe quoi. Il y a à sept continents et en ordre de taille : l’Asie dans les quarante-quatre millions de km2, l’Afrique dans les trente, l’Amérique du Nord dans les vingt-cinq, l’Amérique du Sud dans les dix-huit, l’Antarctique dans les douze, l’Europe dans les dix et l’Océanie dans les neuf.
On a fini par se mettre à peu près d’accord… sur la nécessité de s’entendre préalablement sur « comment on compte ».
Des cartes qui mentent et rapetissent l’Afrique
Mais, l’affaire s’est ensuite sérieusement emballée quand on a comparé les tailles réelles des continents avec celles données par les cartes.
– Encore un coup du mâle blanc ! En vrai, l’Afrique est trois plus grande que l’Europe. Sur les cartes, on en est loin ! Et, sur les mêmes cartes, le Groenland a la même taille que l’Afrique alors qu’il est quatorze fois plus petit !
– En dehors de la responsabilité de qui vous savez, il y a quand même des explications historiques. La terre n’étant pas plate (enfin pas encore), la carte du monde que nous avons tous dans la tête est la projection du globe terrestre sur une surface plane via un cylindre. Cette représentation établie en 1569 par le Flamand Gérardus Mercador a été conçue pour la navigation. Elle a pour avantage de préserver les angles (c’est mieux pour les bateaux) et pour défaut d’augmenter les tailles en fonction des distances de l’équateur. Les pays et continents des zones tempérées et surtout polaires apparaissent donc plus grands et les pays les plus proches de l’équateur plus petits. Cette convention a toujours été plus ou moins unanimement admise.
– Sans doute, mais rendre plus petit, c’est rendre moins important, que ce soit volontaire ou non. Et, comme par hasard, dans ce système, c’est l’Afrique qui est réduite à la portion congrue. Maintenant que la navigation n’est plus l’alpha et l’oméga et qu’on s’en fiche un peu de la conservation des angles, on pourrait peut-être se rapprocher de la réalité et adopter la projection de Gall-Peters qui permet de prendre en compte la superficie réelle des continents. Ce serait plus juste.
– Et donc changer toutes les cartes de représentation du monde ?
– Pourquoi pas ? Et, on pourrait en profiter pour définir des continents qui correspondent mieux à la réalité. Comme le Maghreb qui pourrait alors être un continent à part entière.
Et, finalement, le Maroc est en Afrique
– Toutes ces considérations sont bien jolies. Mais, notre prof, il dit quoi à son élève ? Qu’il a bien raison de s’interroger. Qu’il n’est pas vraiment Africain. Que ça dépend. Qu’il aura peut-être raison demain. Il le félicite ?
– Mais, ça ne va pas. Il lui dit que le Maroc est en Afrique ; que ça va comme ça et qu’il n’a qu’à regarder la carte… de Mercator.
– Allons bon ! Pas de discussion, pas de remise en question de la doxa, pas de déconstruction.
– Certainement pas. Avant de désapprendre, il faut apprendre.
Régis Debray nous parle, dans cet abécédaire érudit, des écrivains qui l’ont marqué…
Autrefois, le temps s’étirait en langueurs pour bercer le songe du lecteur, bourlingueur solitaire embarqué dans d’immobiles voyages au long cours. Dans Chemin faisant, un récit de Jacques Lacarrière, celui qui s’adonnait à la lecture et exerçait parfois sa plume, amassait peu à peu les mots, comme autant de gemmes. Ceux-ci l’aidaient à comprendre le monde comme à en restituer nuances et chatoyances. En lisant en écrivant de Julien Gracq, on finissait par entrevoir, à défaut d’y accoster, Le rivage des Syrtes.
Maintenant que les écrans proposent une succession syncopée d’instants labiles et la superposition d’images fugaces, notre rapport à la lecture, et par là même à l’écriture, s’en trouve radicalement changé. L’acte de lire, parce qu’il implique de laisser filer le temps, génère une sourde angoisse. Alors, on lit peu et mal. On se contente d’ouvrir des lucarnes sur le monde pour les refermer aussitôt. Ces meurtrières sont immédiatement remplacées par d’autres qui éclairent d’un feu pâle une autre vue, bientôt occultée à son tour. Certes, on publie à tour de bras, mais surtout des essais à visée informative, vite oubliés. Quant aux Essais dans lesquels un Montaigne auscultait son rapport à l’existence en « peignant non l’êtremais le passage », ils semblent avoir vécu.
Une nouvelle collection chez Gallimard
Dans ce contexte à tonalité crépusculaire, Régis Debray, éternel optimiste, fait paraître son dernier ouvrage : Où de vivants piliers. Ce livre, dont le titre est emprunté au poème « Correspondances » de Baudelaire, est le premier d’une collection nouvelle, chez Gallimard: « La part des autres ». Régis Debray y rend hommage à ceux de ses aînés qui le firent entrer en littérature, « passagers plus ou moins clandestins » de son cœur. Il y célèbre ceux qui jouèrent pour lui le rôle « d’incitateurs ou excitants », « intercesseurs ou éveilleurs », comme les nommait Julien Gracq.
C’est sous la forme d’un abécédaire que notre philosophe féru de littérature, au soir de sa vie, règle, mélancolique et léger, la dette contractée envers ceux qui l’ont construit, non sans se permettre quelques apartés sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Feuilletons maintenant l’ouvrage.
On y croise Sartre, descendu du piédestal où l’avait installé son œuvre philosophique. Il nous fait don des Mots, « un bijou littéraire ». Sartre: « Un homme qui excellait dans ce qu’il disait mépriser, à savoir la littérature. » Devenu, par la grâce des Mots et par-delà l’idéologie « un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut et que vaut n’importe qui. » De même, chez Barthes, autre admiration de Debray, la postérité retient davantage les notations ciselées comme Mythologies ou Fragments d’un discours amoureux que les ouvrages de linguistique compliqués. « Chacun son Proust, explique encore Régis Debray, c’est évident, mais c’est le dernier le meilleur, celui qui nous rejoint en fin de course.» «On n’est pas proustien de naissance, précise-t-il, mais chacun peut le devenir sur le tard, pour peu que sa vieille carne soit moins encline au sens de l’Histoire qu’à l’exploitation de ses cinq sens à elle. » Et il ajoute, réglant leur compte à ceux qui accusent Proust de snobisme:« À cet auteur d’un livre-charge aux furtives tendresses, à cet entomologiste de la haute, il n’échappe pas qu’il n’y a sauf exception, que du réfrigérant et du décevant dans le grand monde. »
Debray évoque encore les salauds, à propos de Morand et Céline, au risque de s’attirer les foudres de ceux qui se refusent à dissocier l’artiste de son œuvre au nom du culte du Bien. Il n’hésite pas à déclarer, parce que le domaine esthétique n’est pas toujours moral: « (…) des imbuvables peuvent distiller de l’élixir (…) » et poursuit : « Hugo seraitaujourd’hui, avec sa main au panier des femmes de chambre, renvoyé dare-dare en correctionnelle. » Il ajoute : « Nos ligues de vertu boycottent déjà Polanski et déprogramment Woody Allen, et le temps n’est pas loin où il nous faudra (…) décrocher des cimaises Caravage et Gauguin, violeurs et pédophiles. »
Et puis, il y a Gracq: «l’homme rangé dérangeant», «le rebelle très boutonné»,«le petitprof, un cartable à la main» qui a pourtant inventé et ciselé le miraculeux « paysage-histoire ». Alors qu’aujourd’hui, nous avons quitté le domaine de l’histoire pour n’être plus que des géographes, Régis Debray souligne que: «l’histoire sans la géographie est une catastrophe ; la géographie sans histoire, un embêtement. » Puisse l’étude des écrits de Gracq être inscrite au programme de nos futurs écologistes. Peut-être profèreront-ils moins de sottises et malmèneront-ils moins notre langue?
Une déclaration d’amour à la littérature
L’hommage rendu à ses devanciers par notre «cadet de l’art d’écrire» est aussi ponctué de réflexions personnelles sur l’âge qui rétrécit fatalement notre univers et notre capacité d’action. Dans ces évocations du soir de la vie, nulle pesanteur. La fatalité y est conjurée par la facétie de l’expression. Ainsi, à «Obsolescence », on peut lire : «Balzac a ditle fait, dans « Le Cousin Pons »: « Les vieillards sont susceptibles… ils ont le tort d’être un siècle en retard mais qu’y faire ?… C’est bien assez d’en représenter un, ils ne peuvent pas être de celui qui les voit mourir.»» Debray glose alors avec humour: « Cette sage invite à ne pas courir deux siècles à la fois devrait tempérer le sentiment entre honte et panique de qui n’arrive plus à extraire, dans une gare ou une station de métro, un simple billet d’un distributeur automatique (…) ». «Mixité »,« Voyages », « Maisons » ou « Vitesse » livrent également le regard aussi désenchanté que vif et amusé d’un homme d’hier sur aujourd’hui.
Ce qu’on retiendra de cette magnifique déclaration d’amour à la littérature, c’est que Régis Debray croit en la pérennité de la langue française. Elle survivra en ses chefs-d’œuvre, par- delà l’indéniable crise cyclique de civilisation que nous traversons actuellement. Alors, espérons avec Debray qu’il y aura toujours des auteurs, disciples de Flaubert qui écriront comme il le fit et l’affirma à George Sand: « (…) non pour le lecteur d’aujourd’hui mais pour tous les lecteurs qui pourront se présenter, tant que la langue vivra.» L’émission Répliques du samedi 20 mai où Alain Finkielkraut reçoit Régis Debray à propos de cet ouvrage est un délicieux préambule à la lecture de Où de vivants piliers.
Né en Allemagne en 1923, Secrétaire d’État des États-Unis sous les présidences de Richard Nixon puis de Gerald Ford, Kissinger est une figure tutélaire que la plupart des Américains saluent comme le Secrétaire d’État le plus marquant de l’après-guerre. Il a obtenu le prix Nobel de la Paix, en 1973, pour les accords de paix de Paris destinés à amener un cessez-le-feu dans la guerre du Viêt Nam.
Spectateur engagé des mutations du monde, l’artisan historique de la détente ne cesse, en grand témoin, de nous rappeler que la stabilité de l’ordre international repose sur l’équilibre des puissances et le respect de la souveraineté étatique. La diplomatie en est l’accoucheuse.
La nouvelle est passée largement inaperçue : le grand artisan de la politique étrangère des présidents Nixon et Ford, Henry Kissinger, a fêté ses 100 ans le 27 mai dernier. En 100 ans d’existence, de son enfance dans l’Allemagne tourmentée de l’entre-deux-guerres jusqu’à nos jours, où tend à s’affirmer le processus d’un remodelage multipolaire de l’ordre du monde, en passant par les heures où sa diplomatie de l’équilibre devait accoucher de la détente, Henry Kissinger aura traversé des époques très différentes. À travers les multiples reconfigurations du concert des nations, qui peuvent paraître quelquefois erratiques, cette dernière grande figure du réalisme continue de nous livrer un message d’une grande clarté : la stabilité de l’ordre du monde, dont dépend la paix, ne peut procéder durablement de coups de force ni de surenchères ; elle s’enracine concrètement dans l’équilibre des puissances, que canalise la commune reconnaissance par les États du cadre de dialogue axiologiquement neutre tracé par le principe de souveraineté. Kissinger nous donne ainsi la formule d’une politique étrangère dont le premier principe régulateur est l’intérêt national, conçu comme une limitation rationnelle apportée par la diplomatie à l’appétit de puissance, au regard des moyens à disposition et de la structuration du champ interétatique.
De l’Allemagne aux États-Unis
Né à Fürth, près de Nuremberg, le 27 mai 1923, le jeune Heinz Kissinger dut quitter l’Allemagne à quinze ans, en 1938, pour échapper aux persécutions nazies et s’établir aux États-Unis avec ses parents et son frère. Son destin rejoignait celui d’autres Allemands, ses aînés, Hannah Arendt, Leo Strauss ou Hans Morgenthau, qui ont contribué au rayonnement intellectuel des États-Unis.
Après des études qui devaient initialement le spécialiser dans la comptabilité, c’est finalement son enrôlement dans les rangs de l’armée américaine, contemporain de sa naturalisation, qui décide de son orientation. À son prénom germanique, il substitue alors celui d’Henry. Les opérations militaires auxquelles il prend part le conduisent de nouveau en Allemagne, où, sous l’uniforme américain, il s’acquitte de missions de contre-espionnage, matière dont il enseigne ensuite les rudiments. L’amitié nouée dans l’armée avec un autre Américain d’origine allemande ayant fui le régime nazi, Fritz Kraemer, lui apprend à ne pas renoncer à ses ambitions.
C’est ainsi qu’il entre à Harvard, mettant à profit un dispositif ouvrant aux vétérans les portes des meilleures universités américaines. Il y côtoie notamment l’historien William Yandel Elliott, sous la direction duquel il rédige un long mémoire d’undergraduate sur le sens de l’histoire. Les références qu’il y fait aux réflexions de Toynbee, de Spengler et de Kant tracent les premiers linéaments d’une pensée, selon laquelle l’homme peut chercher dans l’exercice de sa liberté la faculté de transcender le tragique de l’existence.
L’importance de l’histoire
La longueur de son mémoire n’est pas le seul trait par lequel Henry se distingue. Alors que tant de ses condisciples marquent un vif intérêt pour l’économie et pour les perspectives que la création de l’Organisation des Nations unies semble ouvrir au multilatéralisme, lui préfère aborder la politique internationale par l’histoire. Il consacre, en ce sens, sa thèse de doctorat au règlement diplomatique de la situation européenne après la chute de Napoléon. Les figures du chancelier autrichien Metternich et du secrétaire d’État britannique aux affaires étrangères, Castlereagh, retiennent son attention. Dans cette thèse, Kissinger s’intéresse, non à des crises contemporaines, mais à des faits historiques dont il prétend, par analogie, tirer des enseignements ; il y aborde, non le phénomène guerrier en soi, mais l’activité des diplomates, à qui il revient, par la négociation, de donner un fondement à la paix. Elle donne à voir le point de maturation et la profondeur historique qu’a atteints la pensée de Kissinger et dévoile les bases de sa pensée des relations internationales : sans la force, la paix ne peut reposer durablement que sur l’équilibre établi entre les puissances, qui parviennent à dialoguer pour résoudre les crises, parce qu’elles parlent le même langage diplomatique et se reconnaissent mutuellement comme parties institutionnelles d’un même ordre.
La question de l’ordre du monde, qui émerge dans la réflexion de Kissinger, en devient, dès lors, un thème récurrent et structurant, avec le concept de légitimité, défini, non à partir d’un contenu culturellement déterminé, mais comme un substrat minimal d’usages, partagé par les hommes d’État.
Après avoir publié sa thèse, en 1957, Henry Kissinger se fait remarquer par un autre ouvrage, Nuclear Weapons and Foreign Policy, qui, rompant avec la doctrine des représailles massives, envisage la possibilité d’user, dans certaines conditions, d’armes nucléaires tactiques. Anticipation de la doctrine de la riposte graduée, la réflexion de Kissinger avait surtout pour objet d’extraire les États-Unis des impasses diplomatiques où la doctrine volontiers manichéenne des représailles massives pouvaient l’enfermer, face à l’adversaire soviétique. Entre-temps, Henry Kissinger avait fait la connaissance à Harvard de Raymond Aron et entamé avec lui des échanges d’une grande richesse intellectuelle.
Les années Kennedy furent quelque peu décevantes pour Henry Kissinger : l’ancien doyen de Harvard, McGeorge Bundy, devenu conseiller à la sécurité nationale du président démocrate, ne répond pas à ses attentes. La contribution que Kissinger est invité à apporter aux réflexions en cours en matière de politique étrangère n’est qu’épisodique. Entre Kissinger et l’entourage de Kennedy, l’entente n’est pas au rendez-vous.
Les années Nixon
Il bénéficie manifestement d’un meilleur accueil dans le camp républicain, où il tisse des liens étroits avec le gouverneur de l’État de New York, Nelson Rockefeller. Il soutient sa candidature aux élections primaires républicaines de 1968, mais Richard Nixon obtient l’investiture du Grand Old Party et est finalement élu président des États-Unis. Cette élection marquait-elle la fin des ambitions politiques de Kissinger ? Le contraire advint : alors que l’universitaire de Harvard ne s’était jamais vraiment senti d’affinités avec lui, le président élu, Richard Nixon, lui proposa le poste de conseiller à la sécurité nationale. Kissinger accepta, non sans avoir consulté, au préalable, ses collègues de Harvard.
L’aventure politique commence alors réellement pour Henry Kissinger. Les années Nixon sont pour la politique étrangère des États-Unis des années d’ajustement et de renouveau.
Profondément intellectuels et partageant l’idée que la décision de politique étrangère, qui relève du politique, ne peut être abandonnée à la routine administrative, Nixon et Kissinger ont promu, dans ces années d’intense activité, de nombreuses initiatives retentissantes : désireux de stabiliser le champ international, toujours marqué par la bipolarité, ils veillent à développer des relations directes et dépassionnées avec l’Union soviétique, concrétisées dans un dispositif d’échanges et d’accords qui donnent leur pleine portée, mais à l’échelle mondiale, à l’idée de détente, promue en son temps et pour la France par le général de Gaulle. Kissinger souhaite ainsi rapporter les objectifs de la politique étrangère américaine au critère ultime de l’intérêt national et proportionner, par conséquent, les ambitions affichées aux moyens dont elle dispose.
Simultanément, Kissinger met en œuvre une ouverture progressive à la Chine populaire. En se rapprochant visiblement de la Chine communiste, concurrente asiatique de l’Union soviétique, les États-Unis réussissent à susciter du côté de la Russie, soucieuse de demeurer l’interlocuteur principal de l’Amérique, un sursaut d’intérêt pour la détente. La diplomatie triangulaire ainsi inaugurée a pour effet de constituer, selon la formule alors employée, une « structure de paix », apte à stabiliser les relations internationales face aux incertitudes de l’affrontement est-ouest.
C’est dans ce contexte que Kissinger mène à leur terme les négociations sur la limitation des armes stratégiques dits SALT I, emblématiques de l’esprit de la détente. Le traité est signé le 26 mai 1972.
Héritage des administrations démocrates, la guerre du Vietnam figurait parmi les dossiers les plus brûlants que devait traiter Kissinger. Prenant part, en région parisienne, à des négociations secrètes avec une délégation nord-vietnamienne conduite par Le Duc Tho et maintenant un contact avec le gouvernement sud-vietnamien, Henry Kissinger eut à mettre en œuvre, dans des circonstances particulièrement difficiles, le désengagement progressif des troupes américaines, sanctionné par les accords de Paris du 27 janvier 1973.
La réélection de Richard Nixon en novembre 1972 permet à Kissinger de consolider le rôle central qu’il joue dans la définition de la politique étrangère américaine, puisqu’il devient secrétaire d’État en septembre 1973, cumulant cette fonction avec celle de conseiller à la sécurité nationale. Ses réussites diplomatiques et sa personnalité lui donnent d’acquérir une notoriété médiatique qu’aucun autre secrétaire d’État n’aura connue.
La crise du Watergate, dans laquelle Kissinger n’est pas impliquée, vient toutefois abréger le second mandat de Nixon.
Quand Gerald Ford succède à Richard Nixon, la présence d’Henry Kissinger au gouvernail de la diplomatie est un atout et un gage de continuité.
Celui-ci fait de nouveau la preuve de grands talents de médiateur en mettant en œuvre une active diplomatie de la navette à la suite de la guerre du Kippour. L’Égypte et Israël acceptent de se parler et de chercher un accord.
Mais le monde auquel est confronté le secrétaire d’État est en pleine mutation. Le choc pétrolier de 1973 place l’Occident devant la réalité de sa dépendance énergétique et la contestation de puissances qui lui sont extérieures. Les questions économiques tendent à prendre de plus en plus de place dans des négociations internationales au format multilatéral et les revendications des non-alignés se font entendre, en particulier à…
La menace inflationniste n’est pas seulement monétaire, elle est bien davantage d’ordre lexical. C’est une inflation de mots, d’énoncés aussi suffisants que peu nécessaires qui menace l’entendement.
Les préfixes abondent pour indiquer le changement de sens : illibéral vous précipite au purgatoire, tandis que décolonial vous remet dans le bon chemin. En France, on adore se payer de mots et celui de « décivilisation » est le dernier en date dans la palette des signifiants proposés dans le débat public. Cette fois-ci, la charge est lourde, angoissante tant elle prend appui sur une terrible actualité mais elle inscrit cette actualité dans un processus installé dans la durée. Si c’est la civilisation qui fout le camp, qu’allons-nous devenir?
Est-ce seulement une affaire de mots ? En France, en la matière, les communicants débordent de créations ! Après le « séparatisme », après les « sauvageons » de Chevènement, après les « jeunes-des-banlieues-difficiles » ou des « quartiers-sensibles » issus de la « fracture-sociale » et de la « diversité », voilà qu’une nouvelle formule pourrait aider les décideurs, mais aussi le peuple à y voir plus clair. En effet une question vient immédiatement à l’esprit : quand un réfugié tchétchène a pris soin d’acheter un couteau neuf pour aller couper la tête d’un professeur d’histoire géographie qui aurait mal parlé du prophète, ce réfugié tchétchène était-il un « sauvageon » ou un « décivilisé » ? Quand un fumeur, excessif de cannabis certes, frappe à mort une vieille femme de soixante-quatorze ans et la jette par la fenêtre aux cris de « Allah akbar ! » ce jeune, était-il un « séparatiste », un « sauvageon », un « décivilisé » ? Quand un autre jeune en scooter tue d’une balle dans la tête une petite fille dans une cour d’école, était-il un « décivilisé », un « séparatiste », un « sauvageon » ? À moins qu’il soit un malade mental ne sachant pas ce qu’il faisait ?
Repoussoir magique
La justice a estimé que celui qui a assassiné Sarah Halimi était coupable, mais pas responsable et donc ne lui a fait aucun procès. Un jeune tueur qui tire sur des enfants juifs pour « venger des enfants palestiniens » est-il coupable et responsable alors que sa schizophrénie potentielle devrait corriger sa responsabilité, car c’est au nom d’une noble cause que ce sauvageon aurait agi ? Aujourd’hui, c’est une anthropologue du CNRS qui est menacée de mort pour avoir étudié de près (de trop près sans doute) la stratégie des Frères musulmans pour séduire, convaincre, recruter, s’imposer dans le paysage. Pour ces gens, cette enquête est une menace, car en dévoilant précisément cette entreprise de conquête, elle donne des armes utiles pour une contre-attaque. Dès lors, il faut faire taire Florence Bergeaud-Blackler. Étrangement, ses diverses autorités de tutelle paraissent se méfier de ce travail, craignant sans toutes de se voir qualifiées d’islamophobes, en protégeant la chercheuse. Samuel Paty a déjà payé le prix de cette myopie délibérée.
En élargissant le registre lexical pour nommer et comprendre cette violence qui croît, le président prend des risques évidents. Tous les experts en lexicologie politique ont sorti leur lexicomètre pour situer la charge idéologique de ce nouveau concept. Est-il de droite (voire d’extrême droite) ou de gauche ? En utilisant le concept de « décivilisation » le curseur se rapproche des portes de l’enfer. Au Monde, les experts ne s’y sont pas trompés. Ils ont immédiatement reniflé les relents « d’extrême-droite » dans cet usage. Ce repoussoir magique a une qualité pour celui qui l’emploie. Il permet de faire l’économie du regard critique sur ce qui s’est passé avant.
L’idéal universaliste ébranlé
Déjà en 1989, c’est bien au nom de la soumission aux règles d’une autre civilisation que des lycéennes refusaient d’ôter leur voile pour rentrer dans un lycée à Creil. En 2002, un livre pointait les « territoires perdus de la République » mettant en évidence cette sécession en milieu scolaire de la part des certains élèves issus de l’immigration. Ce livre fut rapidement rangé sur les étagères réservées aux livres incorrects. Il fallut bien légiférer, après qu’un rapport eut confirmé la menace de rupture. La décivilisation était-elle déjà en marche ? Le rapport de l’inspecteur Obin fut rapidement glissé, avec la poussière, sous le tapis du ministère. De rapport en rapport, de projet de loi en projet de loi, la rupture n’a cessé des progressé et la décivilisation de s’étendre.
Avons-nous beaucoup progressé depuis ? Les foudres des lexicomètres n’ont pas tardé. C’est bien à l’extrême-droite qu’il faut positionner le curseur. « Le choc des civilisations » déjà annoncé par Samuel Huntington annonçait la couleur. Accueillie par des cris indignés, cette formule, jugée immédiatement comme étant réactionnaire, fracturait l’idéal universaliste. Elle faisait tache dans l’euphorie postcommuniste annonçant la « fin de l’histoire » de Francis Fukuyama. Mondialisation aidant, personne n’avait voulu prendre en compte ce nouveau monstre né de la révolution islamique, occupant la place laissée libre par la fin du communisme. La mondialisation, le e-commerce, l’internet allaient faire de la planète ce « village global » tant espéré. Hélas pour tous, le retour des tribus, des sectes, des gangs, des mafias, des ligues, des fous de dieu autant que les nouveaux virus vont pulvériser ces illusions. La guerre contre l’axe du Mal va aggraver les choses, transformant les bonnes intentions en catastrophes successives. Les talibans, l’État islamique vont séduire des milliers de jeunes en rupture identitaire.
Sinistre inventaire
La « décivilisation » dénoncée par le président de la République est aussi le produit dérivé de cette histoire dont les raisons sont multiples et entrelacées, mais dont le résultat est justement bien nommé. Si notre culture, nos manières d’être, nos habitudes de vie, notre vocabulaire, notre langue commune, notre patrimoine sont à ce point mal-en-point, il faut bien en dresser l’inventaire.
Avec ses fractures, ses ruptures, ses guerres de religion, ses infractions vichystes, ses révoltes, ses révolutions, la France était restée malgré tout un pays qui retrouvait la douceur d’y vivre. Le choix de l’équilibre paraissait une constante et les trente glorieuses semblaient avoir de l’avenir. Il suffisait de regarder en arrière pour prendre la mesure des progrès accomplis, malgré ces sauts, de crise en crise, depuis le programme du CNR, les conflits de la décolonisation, Mai 68 et tant d’autres moments de troubles furent suivis d’autant d’ajustements. Il suffit aussi de regarder ailleurs pour voir combien, ailleurs qu’en Europe, ça va mal. La perspective européenne dessinait un avenir démocratique en proscrivant la guerre.
Si la formule dit un diagnostic, elle est à la fois trop large, pour nommer avec justesse ce qui la compose. Le concept utilisé, pour pertinent qu’il soit, souffre lui d’une absence de résultante. Celui qui la prononce a un statut particulier. Il incarne le pouvoir, il est celui qui choisit, décide, anticipe, dessine des perspectives. Que déduit-on de ce constat, et ça n’est pas Chat-GPT qui aura la réponse ? Quel modèle de civilisation est en train de s’effriter et dans quelle autre configuration est-elle en train d’entrer ? L’expression « archipel français » met en évidence le statut inégal des zones fracturées quand la géographique répartit inégalement les zones décivilisées.
La multiplication des crimes liés au trafic de drogue à Marseille révèle une libanisation croissante du territoire dont les ramifications s’étendent à Anvers et Rotterdam. Les attentats de 2015 avaient déjà montré les alliances communautaires entre islamistes de Molenbeck et ceux de Clichy. La criminalité européenne met à jour des alliances d’intérêt entre djihadistes et truands progressant plus vite que les dispositifs existants pour les contrer. Ces chemins criminels constituent autant de voies annexes de la décivilisation que le président déplore.
Est-il trop tard pour rattraper le temps perdu ?
Comment lutter contre cet effilochage alors qu’au cœur de l’État, au plus profond de ce qui devrait constituer la matrice intellectuelle de la reconstruction civilisationnelle, le ministre en charge de l’Éducation nationale s’emploie à défaire les lignes de force de son prédécesseur ? Comment comprendre cette incohérence ? Si le président déplore la perte progressive de ce qui faisait sens dans une nation homogène, son ministre ne vante-t-il pas les mérites de ce qui la défait ? Peut-on promouvoir la civilisation ayant construit ce pays avec sa mise en accusation comme fil conducteur ? Peut-on éduquer avec la culpabilisation décoloniale comme filigrane de notre histoire ? Éduquer c’est transmettre des savoirs, éduquer c’est donner à penser autour des multiples contradictions d’une histoire, mais éduquer ne consiste surement pas à substituer à la complexité une autre simplification. Les extrémismes politiques se nourrissent de ce renversement. Si la France est un pays de salauds, comment inciter à l’amour de la patrie ? Ce mot a-t-il encore un sens ? Est-il trop désuet ? Déboulonner les statues de Colbert fait-il progresser la connaissance du Code noir ? L’histoire est un tout, où le pire côtoie le meilleur. Jean Moulin est déjà au Panthéon et Missak Manouchian va bientôt rejoindre ces grands personnages que la nation se doit d’honorer.
Lutter contre la décivilisation, c’est d’abord indiquer un cap et s’y tenir malgré les vents contraires du poujadisme et le brouillage de la confusion dont un Cyril Hanouna est le grand promoteur. Les héros, les belles choses, les beaux gestes, les gens bien ne manquent pas en France, encore faut-il vouloir ne pas se contenter des apparences.
Sauf ultime rebondissement concernant une éventuelle « irrecevabilité financière », l’Assemblée nationale devrait se pencher le 8 juin sur une proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites déposée par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT). Portée par Charles de Courson, elle donne des sueurs froides à la macronie, qui tente évidemment d’empêcher le débat de reprendre.
Qui est Charles de Courson, ce député qui déclarait ce weekend, sur France 3, que « [son] ambition est de mettre fin à ce déni de démocratie » ? Si elle était votée par une majorité de députés, sa proposition de loi pourrait faire tomber le gouvernement impopulaire de la Première ministre Elisabeth Borne ! Cela reste peu probable, disons-le tout de suite.
Jugée par la population, les principaux syndicats et par une majorité de députés présents à l’Assemblée nationale comme étant injuste, inutile et impopulaire, la loi de réforme des retraites, qui prévoit de reculer l’âge de la retraite à 64 ans, a cristallisé le débat politique en France. L’entêtement du gouvernement de la Première ministre Elisabeth Borne, à ignorer une vox populi en colère, a jeté des centaines de milliers de Français dans la rue durant plusieurs semaines. Accompagnées de violences régulières orchestrées par des groupes de l’ultra-gauche, les manifestations ont été réprimées tout aussi durement par un gouvernement qui a préféré déclencher en mars dernier l’article 49.3 de la Constitution privant ainsi le Parlement de tout vote après les débats. Une adoption au forceps qui n’a pas calmé la colère des Français, épuisés par une inflation galopante, dans un pays déjà la proie d’une crise sociale et identitaire.
Petit mais costaud
C’est dans ce contexte que le plus petit groupe politique de l’Assemblée nationale a décidé de se lancer dans un bras de fer avec le gouvernement. En déposant une proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites, dont l’étude est prévue le 8 juin prochain, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT), composé de 21 députés, espère bien faire tomber le gouvernement actuel si la proposition recueille une majorité de votes au sein de l’hémicycle.
Élu dans la Marne sans discontinuer depuis trois décennies, Charles Buisson de Courson est le député qui porte haut l’oriflamme de cette contestation parlementaire. Porté sur un piédestal par ses collègues de l’opposition, il est devenu une épine dans le pied du gouvernement qui tente d’empêcher le débat à venir. Sur les plateaux de télévision, il se démène sans compter afin d’expliquer pourquoi LIOT a décidé de poursuivre le combat. Il résiste aux attaques de Renaissance, le parti du président Emmanuel Macron, avec un flegme qui décontenance même ses adversaires. Une force tranquille qui refuse de céder à la moindre pression (sa permanence a été l’objet de dégradations par deux fois).
Fidèle à ses convictions, le député s’inscrit dans une lignée d’ancêtres dont le destin s’est mêlé aux grandes heures de la politique française. Parmi lesquels on peut citer les marquis Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau (qui vota la mort du roi Louis XVI, pour son plus grand malheur puisqu’il sera assassiné pour ce régicide) et Léonel de Moustier (qui refusera d’accorder les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, et deviendra un célèbre résistant qui sera déporté et qui décédera dans un camp de concentration en 1945).
Borne rappelle à la gauche que ce n’est pas franchement un progressiste
Le 28 mai, interviewé sur le plateau de France 3, Charles de Courson déclare « mon ambition est de mettre fin à ce déni de démocratie ». Il avertit que « le gouvernement finira par être renversé s’il continue de se comporter comme s’il était majoritaire ». « Le gouvernement et la minorité présidentielle font tout pour qu’on ne vote pas le texte, on voit bien qu’ils sont inquiets » renchérit-il. Au sein du parlement, les échanges entre le camp présidentiel (251 élus) et le représentant de LIOT sont tendus, comme en témoigne l’attaque ad hominem de la Première ministre Elisabeth Borne qui n’a pas hésité à rappeler que le député avait été un opposant au mariage pour tous. Comme si c’était interdit ! Ou encore la récente passe d’armes entre Aurore Bergé et Charles de Courson à l’Assemblée nationale. La présidente du groupe Renaissance a appelé ses troupes à faire bloc contre la proposition, remettant même en question la recevabilité de celle-ci. Bien que très relative, la majorité présidentielle a rameuté le ban et l’arrière-ban de ses ministres afin d’arguer, à qui veut l’entendre, que cette proposition d’abrogation est inconstitutionnelle et qu’en cas d’adoption de la loi, elle brandira l’article 40 de la Constitution « qui dispose que les propositions et amendements des parlementaires ne sont pas recevables s’ils entraînent une diminution des recettes ou un alourdissement des charges publiques » comme le rappelle France Inter dans une de ses éditions. Un argument que balaye aisément Charles de Courson qui met en avant les principaux points de sa proposition : appel à l’organisation d’une « conférence de financement pour garantir la pérennité de notre système de retraite » et compensation de « la charge pour les organismes de sécurité sociale par la majoration de l’accise sur les tabacs ».
Une proposition qui a déjà les (239) voix acquises de la Nupes et du Rassemblement National (RN) assure Charles de Courson. Tout à son heure de gloire, très optimiste, il appelle Les Républicains (LR) « à faire preuve de courage afin de sortir de la crise politique et sociale ». Avec seulement 25 députés favorables à la loi sur les 62 que compte LR, les quatre députés non-inscrits, les potentiels abstentionnistes de Renaissance (qui pourraient, qui sait, ne pas voter afin de garantir leurs chances de réélection aux prochaines élections législatives) et un texte qui n’aura besoin ici que d’une majorité simple pour être adopté, les jours du gouvernement pourraient être comptés. Fin mars, une motion transpartisane déposée par le groupe LIOT avait déjà rassemblé 278 voix sur une majorité requise de 287 voix.
L’ancien chanteur et bassiste des Pink Floyd accuse ses détracteurs de mauvaise foi, après son concert berlinois. Entre critique politique légitime et mises en scènes polémiques, Causeur fait le point sur ce qui peut être reproché ou non à l’artiste. La “radicalisation” de Roger Waters ne date pas d’hier; il est hostile à Israël de longue date.
La scène a eu lieu le 17 mai à Berlin, et fait depuis couler beaucoup d’encre. Long manteau en cuir noir, lunettes noires, cravate noire, chemise noire et brassard rouge, Roger Waters, ancien de Pink Floyd, dégaine son fusil en plastique et tire à vue. En lettres rouges sur un écran, le nom d’Anne Frank, mais aussi celui de Shireen Abu Akleh, cette journaliste palestino-américaine de la chaîne Al Jazeera tuée lors d’un raid israélien en mai 2022. La tournée This Is Not A Drill suscite l’émotion outre-Rhin, où malgré les tentatives d’interdiction des principales villes du pays, le chanteur a pu se produire.
Ce n’est pas la première provocation de Roger Waters. Depuis près de 20 ans, il a multiplié les prises de position hostiles à l’égard d’Israël. Alors qu’il doit faire un concert à Tel Aviv, en 2006, sa visite de la Cisjordanie le décide à déplacer l’événement dans un village fondé entre Jérusalem et Tel Aviv par des militants de la paix juifs et arabes. Tout d’abord, il refuse de boycotter totalement ses concerts en Israël, en précisant : « Je n’exclurais pas d’aller en Israël parce que je désapprouve la politique étrangère, pas plus que je ne refuserais de jouer au Royaume-Uni parce que je désapprouve la politique étrangère de Tony Blair ». Et puis, peu à peu, c’est la radicalisation. En 2013, il déclare son soutien au mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions et incite ses collègues chanteurs à ne plus se produire dans l’État hébreu. Comparaison avec l’Allemagne nazie[1] et le régime d’apartheid[2], cochon volant marqué d’une étoile de David déployé lors d’un concert [3], insinuations complotistes sur les « méthodes » israéliennes pour façonner l’opinion publique américaine : l’artiste bascule peu à peu dans le grand n’importe quoi. Heureusement, il ne s’intéresse pas qu’au conflit israélo-palestinien. En 2022, une semaine avant le début de l’offensive russe en Ukraine, il déclarait à Russia Today que la possibilité d’une attaque imminente de la Russie était « une connerie » et ajoutait « que quiconque a un QI supérieur à la température ambiante sait que [l’hypothèse d’une invasion] est absurde ». Depuis un bon moment, ses relations avec les anciens membres du groupe se sont curieusement quelque peu tendues.
Évidemment, Roger Waters conteste le caractère antisémite de sa dernière mise en scène. Sur Twitter, il a précisé : « Mon récent concert à Berlin a généré des attaques de mauvaise foi de la part de ceux qui veulent me réduire au silence car ils sont en désaccord avec mes opinions politiques. Les aspects de mon concert qui ont été mis en cause constituent clairement un message contre le fascisme, l’injustice et le sectarisme sous toutes ses formes et toute tentative d’y voir autre chose est malhonnête ». Sur place, la police allemande a ouvert une enquête. Au sein de la communauté juive d’Allemagne, l’émotion est vive : « Quel est le sens de ces ‘Plus jamais ça’ des politiciens et des déclarations selon lesquelles l’antisémitisme n’a pas sa place en Allemagne, si des artistes égarés et des provocateurs ont tout le loisir de répandre sans restrictions leur haine des Juifs et d’Israël ? », déclarait le 22 mai la Conférence rabbinique orthodoxe d’Allemagne, dirigée par les rabbins Avichai Apel, Zsolt Balla et Yehuda Pushkin. « Il est absolument honteux qu’il ne soit pas possible, en Allemagne, d’interdire les concerts clairement antisémites et anti-israéliens de Roger Waters » poursuivaient les religieux.
Unique démocratie de la région
Les tentatives d’interdiction auprès des tribunaux allemands ont été contreproductives, et le chanteur se réfugie derrière l’équation « Juifs d’hier = Palestiniens d’aujourd’hui ». Rare État au monde apparu à la suite d’un vote des Nations Unies à la majorité qualifiée, Israël est pour autant un pays normal, comme tous les autres, et, à ce titre, peut faire l’objet de reproches. Société complexe, le pays est marqué par des contradictions internes, particulièrement vives ces derniers mois. En mars, l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut revenait, avec Frédéric Encel et Elie Barnavi, sur la réforme judiciaire qui menacerait de faire basculer Israël dans le bloc des démocraties illibérales – et les énormes manifestations qui la contestent depuis plusieurs semaines.
On peut malgré tout rappeler à Roger Waters et à quelques égarés que, depuis 1948, les pays arabes se sont presque tous vidés de leur population juive, laquelle représentait près d’un million de personnes. Dans le même temps, Israël a accepté 1,3 million de musulmans devenus pleinement Israéliens, disposant de droits humains et sociaux que fort peu d’États arabo-musulmans accordent à leur propre population. En un mot, rappeler qu’au sein du Moyen-Orient, Israël est l’unique démocratie critiquable – parce qu’elle est toute seule.
[1] A une question sur son boycott d’Israël, il répond en 2013 dans la revue américaine de gauche radicale Counterpunch: « I would not have played for the Vichy government in occupied France in the Second World War, I would not have played in Berlin either during this time ».
[2] Waters a qualifié Israël de « projet suprémaciste et colonialiste qui exploite un système d’apartheid », dans le magazine de rock Rolling Stones, en octobre 2022.
Vague bleue en Espagne! Le parti socialiste de Pedro Sanchez a connu une très lourde défaite électorale dimanche, perdant de nombreuses régions historiques. Podemos s’écroule, Vox s’implante. Après ce camouflet aux élections régionales et municipales, le Premier ministre Pedro Sanchez a annoncé des élections nationales législatives anticipées pour le 23 juillet. Analyse des résultats.
Le dimanche 28 mai au soir, la fête battait son plein devant le siège national du Parti populaire (droite classique), rue de Gênes, à Madrid. Pour son premier test d’ampleur nationale, le nouveau président de la formation, Alberto Núñez Feijóo, avait de quoi se réjouir. En effet, avec environ 800 000 voix d’avance au niveau national sur le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), son principal concurrent, il venait de gagner les élections municipales outre-Pyrénées.
Euphorie à droite
À l’échelle régionale, le constat était aussi brillant : en tête dans sept communautés autonomes, la formation démocrate-chrétienne était bien placée pour gouverner dans neuf d’entre elles grâce au soutien de la droite « radicale » de Vox.
À Ceuta et Melilla, les deux villes espagnoles enclavées dans le nord du Maroc, la droite l’emportait nettement et le PP se payait même le luxe d’obtenir la majorité absolue dans la seconde. Le scandale d’achats de votes par correspondance qui secoue cette cité sur les rives de la mer Méditerranée a probablement pénalisé la gauche…
Le PSOE limite la casse mais ses alliés dévissent
Paradoxalement, le désastre socialiste semble très mesuré si l’on ne considère que le nombre de bulletins glissés dans les urnes en faveur du parti social-démocrate. Par rapport au scrutin de 2019, les partisans du président du gouvernement Pedro Sánchez ne perdent « que » 430 000 voix environ. Pourtant, il convient de nuancer ce constat car le Parti populaire progresse de plus d’un million huit cent mille bulletins en quatre ans.
Les populares absorbent ainsi l’essentiel de l’électorat qui se portait jadis sur le centre libéral de Citoyens (Cs). La formation orange, qui était considérée en son temps comme l’avenir de la droite, s’effondre complètement. Même la première adjointe au maire de Madrid, Begoña Villacís, qui devait pouvoir maintenir quelques sièges dans la capitale en raison de sa très bonne image, y perd tous ses élus. La porte-parole de Cs, Patricia Guasp, qui briguait la présidence des îles Baléares, ne peut retenir aucun des cinq sièges obtenus il y a quatre ans. Un véritable camouflet.
Par ailleurs, c’est surtout l’affaissement de la gauche « radicale » qui empêche le PSOE de maintenir les fiefs conquis en 2015 ou 2019. Sur les 47 députés régionaux dont disposait Unidas Podemos à l’ouverture des bureaux de vote, il ne lui en reste désormais plus que 15. Son nombre de sièges au Parlement régional aragonais est divisé par cinq tandis qu’il passe de six à un seul dans les Baléares. Dans la Communauté de Madrid, la formation que dirigeait Pablo Iglesias jusqu’en 2021 sombre corps et biens, tout comme au conseil municipal de la capitale. Les régionalistes de Compromís, partenaires traditionnels d’Unidas Podemos, reculent dans la Communauté de Valence et dans sa capitale. À Cadix, autre « mairie du changement » emblématique pour la gauche « radicale », l’alliance des socialistes et de la liste locale Adelante Izquierda Gaditana manque le pouvoir d’un siège.
L’hôtel de ville de Barcelone, pour sa part, devrait voir un changement de locataire. La liste de gauche Barcelone en Commun, emmenée par Ada Colau, passe de la deuxième à la troisième position et perd un conseiller municipal. La droite indépendantiste de Xavier Trias arrive en tête et, même dans l’hypothèse où la gauche conclurait un pacte de gouvernement, c’est normalement le socialiste Jaume Collboni qui deviendrait maire.
Ce recul généralisé constitue également un revers pour la communiste Yolanda Díaz, deuxième vice-présidente du gouvernement central. Elle avait lancé cette année sa nouvelle coalition de gauche « radicale », baptisée Sumar, qui s’appuyait sur plusieurs formations locales à Madrid, Valence ou encore Ceuta. Son objectif était de marginaliser Podemos à la gauche du PSOE et de servir d’appui aux socialistes afin que ces derniers puissent rester au pouvoir. Or, ses résultats sont pour le moins contrastés. Certes, dans la Communauté de Madrid, Mónica García, de Más Madrid, parvient à conserver sa place de premier opposant au Parti populaire en gagnant trois sièges. Toutefois, au conseil municipal de la capitale, Rita Maestre (de la même formation, qui soutient l’initiative Sumar) laisse filer sept sièges pour finir deuxième.
La Catalogne et la Galice sont d’ailleurs les deux seules communautés autonomes où le PSOE enregistre de bons résultats municipaux[1]. Les socialistes ont des chances de gouverner non seulement Barcelone mais aussi les trois autres capitales de province catalanes (Tarragone, Lérida et Gérone). De son côté, la région galicienne devrait leur offrir des communes importantes comme La Corogne, Vigo, Saint-Jacques-de-Compostelle ou encore Lugo. La droite se partage les restes – essentiellement Orense et Ferrol.
Le Parti populaire domine presque partout
Ailleurs, la défaite des listes soutenues par Pedro Sánchez est cuisante. Au niveau régional, la très emblématique Isabel Díaz Ayuso, figure de proue du Parti populaire, obtient la majorité absolue dans la Communauté de Madrid avec 71 sièges sur 135.
Le PP devrait également reprendre l’Aragon (35 élus sur 67 en coalition avec Vox) et la Communauté de Valence (53 sur 99 en alliance avec la droite « radicale »), renvoyant respectivement les socialistes Javier Lambán et Ximo Puig dans l’opposition.
Dans les îles Baléares, Francina Armengol, qui avait pu l’emporter pour le PSOE en 2015 et 2019, est impuissante face à l’avancée du PP et de Vox. Ces derniers cumulent 33 sièges sur 59 au Parlement régional. Margalida Prohens (Parti populaire) devrait donc lui succéder au Consulat de la Mer, siège de la présidence régionale.
Longtemps dirigée par la droite, la modeste communauté autonome de La Rioja était passée à gauche en 2019, à la faveur d’un pacte entre Concha Andreu (PSOE) et Unidas Podemos. Cette fois-ci, les sociaux-démocrates n’ont rien pu faire pour contenir ce que d’aucuns qualifient de « tsunami bleu ». Les conservateurs y emportent en effet la majorité absolue (17 élus sur 33).
En Cantabrie, où les socialistes gouvernaient en coalition avec le Parti régionaliste de Cantabrie (PRC), le bloc de droite obtient 19 sièges sur 35. Par conséquent, María Sáenz de Buruaga (PP) devrait succéder à Miguel Ángel Revilla à la présidence.
Dans les îles Canaries, le social-démocrate Ángel Víctor Torres sauve la première place mais perd des plumes dans l’opération. Toute majorité à gauche devient quasi impossible et les régionalistes de la Coalition canarienne (CC) reviendront probablement au pouvoir, soutenus par le Parti populaire.
La Région de Murcie, traditionnellement ancrée à droite, voit un autre reflux de la gauche. Pour leur part, PP et Vox cumulent 30 sièges sur les 45 du Parlement régional.
Plus surprenant est le résultat en Estrémadure, fief historique du PSOE. À l’issue d’une très longue nuit de dépouillement, le socialiste Guillermo Fernández Vara fait jeu égal avec la conservatrice María Guardiola à 28 sièges. C’est le bon résultat de Vox (5 élus au total) qui doit permettre à la droite d’obtenir la majorité, dans une communauté autonome naguère acquise à la gauche.
Ainsi donc, les socialistes ne maintiennent le pouvoir qu’en Castille-La Manche (où Emiliano García-Page a dû attendre des heures avant d’être assuré de sa continuité), dans la Principauté des Asturies (où il faudra gouverner en coalition avec la gauche « radicale ») et en Navarre (où les pactes seront complexes à sceller).
Dans cette dernière région, la poussée des indépendantistes basques de Bildu va être un casse-tête pour le PSOE. Façade politique plus ou moins assumée de la défunte ETA, la formation a défrayé la chronique ces dernières semaines. Elle a en effet présenté aux élections municipales une quarantaine de candidats condamnés il y a plusieurs années pour des faits de terrorisme. Toute alliance trop nette des socialistes avec Bildu serait donc très gênante.
La vague bleue se confirme aux élections municipales
Au niveau municipal, la poussée de ces mêmes indépendantistes se vérifie un peu partout, notamment à Pampelune (Navarre) et Vitoria (Pays basque). Malgré tout, le Parti nationaliste basque (PNV) devrait rester au pouvoir à Bilbao et Saint-Sébastien.
Dans presque tout le reste de l’Espagne, la droite l’emporte nettement. La majorité absolue du maire sortant de Madrid, José Luis Martínez-Almeida (PP), est d’autant plus éclatante qu’elle était loin d’être certaine. Le Parti populaire s’impose dans plusieurs communes de l’ancienne « ceinture rouge » de la capitale, à l’instar de Móstoles, Arganda del Rey, Torrejón de Ardoz ou encore Leganés. À Alcalá de Henares (troisième ville la plus peuplée de la Communauté de Madrid), le bloc de droite s’assure aussi le gouvernement.
Au-delà de l’aire urbaine madrilène, le Parti populaire dirigera Valence, Cadix, Málaga et Grenade. De nombreuses autres communes importantes sont à porter au crédit du Parti populaire, assez souvent en coalition avec Vox ou des régionalistes : Castellón de la Plana, Séville, Murcie, Palma de Majorque, Badalone, Alicante, Valladolid, Burgos, Ségovie, Cordoue, Huelva, Marbella, Estepona, Almería, Guadalajara, Salamanque, Elche, Jerez de la Frontera, Cáceres, Badajoz, Tolède, Ciudad Real, Albacete, Saragosse, Huesca, Teruel, Oviedo, Gijón, Logroño, Carthagène, Ibiza, etc.
À Santa Cruz de Ténérife, le PSOE est arrivé en tête mais devrait perdre le pouvoir. À Las Palmas de Grande Canarie, en revanche, l’ancienne ministre socialiste Carolina Darias réussit son pari et deviendra très certainement maire.
Les intentions du président de ce parti, Santiago Abascal, sont claires : entrer dans l’exécutif d’un maximum de régions et dans le conseil municipal du plus de villes possibles. S’il veut transformer l’essai, le PP pourra difficilement le lui refuser.
Les leçons nationales : de l’essor de Vox aux élections générales anticipées
Notons que le panorama municipal et régional espagnol marque également une nette avancée de Vox. La formation de droite « radicale » oublie ainsi son demi-échec au scrutin andalou de 2022, multiplie par trois son nombre de conseillers municipaux dans l’ensemble de l’Espagne et sera décisive dans le basculement de six communautés autonomes.
Les intentions du président de ce parti, Santiago Abascal, sont claires : entrer dans l’exécutif d’un maximum de régions et dans le conseil municipal du plus de villes possibles. S’il veut transformer l’essai, le PP pourra difficilement le lui refuser. Le président du Parti populaire, Alberto Núñez Feijóo, peut cependant savourer sa victoire, la première pour sa formation au niveau national depuis 2018. Il s’était investi tout autant que Pedro Sánchez dans un scrutin dont les conséquences nationales sont évidentes.
Frappé de plein fouet par la déroute, le chef de l’exécutif a d’ailleurs annoncé la dissolution anticipée du Parlement national. Les prochaines élections générales espagnoles se tiendront donc le 23 juillet prochain. Seul l’avenir nous dira si le bloc de droite peut rééditer sa victoire du 28 mai mais il semble bien parti.
[1] Ces deux communautés autonomes ont un calendrier électoral propre et ne votaient pas pour renouveler leur Parlement ce dimanche (tout comme le Pays basque, l’Andalousie ainsi que la Castille-et-León).