Le président ne juge plus le Rassemblement national immoral, et le reconnait enfin comme un adversaire politique légitime. En blâmant Elisabeth Borne en Conseil de ministres, c’est lui-même qu’il blâme pour ses propos antérieurs et son inaction sur les questions régaliennes.
On dirait que le président de la République, ces derniers temps, cherche à rattraper le réalisme perdu. La macronie, qui fait feu de tout bois pour empêcher le débat sur la proposition de loi du groupe LIOT et a gagné le 31 mai dans des conditions discutables une bataille, n’est pas insensible à cette nouvelle inspiration présidentielle. Je n’ai jamais été celui qui – même hostile à Emmanuel Macron, notamment à cause de sa faiblesse régalienne, de sa mollesse sur le plan de l’autorité de l’Etat, de quelques-uns de ses mauvais choix ministériels et de son attitude publique parfois discutable quoique souvent courageuse – a dénié à sa personnalité des qualités et des singularités qui interdisent de l’appréhender sans nuance ni mesure. On peut tout dire de lui sauf qu’il est médiocre, critiquable oui, mais ce n’est pas le même discrédit.
Borne encaisse
Comment analyser autrement que comme des séances de rattrapage la volonté obstinée de complaire aux LR sur l’immigration ? la découverte subite mais tardive de l’ampleur de la fraude sociale, longtemps occultée par la fraude fiscale considérée à une certaine époque comme le sport national ? le recadrage brutal de la Première ministre après ses absurdes propos sur le RN « héritier de Pétain » ? Les deux premiers points prennent acte des réalités et d’un rapport de force qui fait des LR un groupe à choyer. L’importance du thème ne leur a jamais échappé. Nul besoin, sur ce plan, de les accuser d’être des copieurs du RN !
Il est plus intéressant de relever comme, durant le Conseil des ministres du 30 mai, le président de la République, prenant prétexte d’une analyse politique sur l’Espagne, a sans équivoque, mais sans la regarder, sermonné Elisabeth Borne. En lui reprochant d’avoir usé « d’arguments moraux » contre le RN comme si tous ceux qui avaient voté pour lui acceptaient « d’être traités de fascistes ». Même courageux, il n’est pas un homme ou une femme politique qui, dans la situation d’Elisabeth Borne, aurait claqué la porte du Conseil ou répliqué vertement au président. La Première ministre a encaissé et probablement a compté sur un changement de perception d’Emmanuel Macron, une fois l’émoi médiatique dépassé.
Un président très en forme
Dans l’instant je n’ai pu m’empêcher d’admirer la lucidité masochiste du président puisque sa prise de position si pertinente était la dénonciation sans équivoque de ses déclarations antérieures et qu’au fond il se blâmait lui-même en blâmant la Première ministre. D’autant plus que la répudiation des « arguments moraux », confortables en eux-mêmes, se devait d’avoir pour conséquence la mise en œuvre d’une politique qui aurait effectivement fait baisser le RN notamment dans l’électorat populaire. On l’a attendue, espérée : elle n’est jamais venue. Il ne suffisait pas d’un Darmanin pour faire illusion ! Ce constat percutant, et tellement évident, du président, qui paraissait subtilement à la fois s’opposer au RN mais lui rendre justice en ne le taxant plus d’immoralité mais d’adversaire politique, était d’autant plus impressionnant qu’on devinait que les rapports entre les deux têtes de l’exécutif n’étaient plus au beau fixe s’ils l’avaient jamais été. Et le président non seulement ne minimisait pas le danger de LFI, comme Elisabeth Borne l’avait fait en le plaçant au second rang, mais semblait l’évaluer à sa juste et très inquiétante valeur.
Lors de ce Conseil des ministres, le président, apparemment très en forme dans sa verve polémique, s’en prenait aux propos de Justine Triet à Cannes et à la proposition de l’un de ses anciens experts, Jean Pisani-Ferry, suggérant la création d’un impôt écologique.
Je suis caméléon !
Avec tout ce que je viens de décrire, on pouvait avoir l’impression que le président, plus du tout limité par le risque d’une prochaine élection, n’hésitait plus à aller franchement sur sa droite, pour peut-être sauver la mise à Nicolas Sarkozy dont le désir d’entente avec la macronie n’avait pas vraiment convaincu son camp ? Mais, une fois de plus, changement de cap. La Première ministre assure que le président lui a exprimé tout son soutien à la suite de ses propos et lui-même, en retour, a manifesté sa confiance à Elisabeth Borne. Il l’a recadrée puis il la choie. Ce qui démontre au moins qu’il ne parvient pas à trouver la bonne distance avec elle. En revanche, sur le RN, à Bratislava le président a développé, sur son registre de la morale inutile et de la politique nécessaire, une excellente analyse. Avec Emmanuel Macron, on ne sait plus sur quel pied, sur quel esprit danser !
Il donnait l’impression de se lâcher comme il n’avait plus rien à gagner mais à peine a-t-il endossé un habit qui plaît ici, qu’il s’en dépouille pour en mettre un autre qui plaira là. Comme si le langage présidentiel avait si peu d’importance qu’il pouvait se contredire sans dommage et sembler un jeu de l’esprit plus qu’une conviction de fond. Ce quinquennat a mal commencé. Comment finira-t-il ?
Jusqu’où va-t-il donc falloir que la France se décivilise à force de s’ensauvager (ou vice versa) pour que l’on consente enfin à reconnaître que ce sont là les deux versants d’un même à-pic culturel et social qui peut tôt ou tard se révéler fatal? L’analyse philosophique de Françoise Bonardel
Parlant récemment de « décivilisation », le chef de l’État prend-il enfin la mesure de l’ensauvagement de la société française auquel il semblait jusqu’alors ne prêter qu’une attention flottante ? Des esprits subtils vont sans doute, il est vrai, nous expliquer que ces deux questions n’ont rien à voir l’une avec l’autre ; l’ensauvagement étant un fantasme d’extrême-droite alors que la décivilisation est une régression certes regrettable, inquiétante même, mais sans rapport avec la récupération politique des « haines », gratuites bien sûr car issues de préjugés qu’il convient d’éradiquer au plus vite. Il y aurait donc, on l’aura compris, deux manières bien différentes de régresser vers la barbarie : l’une relativement honorable dans la mesure où la civilisation, menacée dans ses fondements, constitue encore malgré tout un garde-fou face à des dérives inacceptables ; et l’autre à ce point détestable qu’il est préférable de n’en plus parler. Jusqu’où va-t-il donc falloir que la France se décivilise à force de s’ensauvager (ou vice versa) pour que l’on consente enfin à reconnaître que ce sont là les deux versants d’un même à-pic culturel et social qui peut tôt ou tard se révéler fatal ?
Décivilisation et ensauvagement
Sans doute chacun de ces mots a-t-il sa tonalité propre, et l’ensauvagement évoque le déchaînement furieux d’une horde sanguinaire, l’appel au meurtre des fanatiques, la régression de la culture vers la nature la plus archaïque et indisciplinée : la montée en puissance d’une violence aveugle, et le déchainement des plus bas instincts qu’on pensait domestiqués, voire même éteints. La « décivilisation » s’inscrit quant à elle dans le registre en apparence plus sobre du retrait, de l’effacement et non plus de l’excès : dégradation, destruction, déconstruction, délitement… Ce que la civilisation avait mis en place en matière de repères culturels, de codes sociaux et de modes de vie censés « civiliser » les hommes accédant au rang de citoyens, se retire plus ou moins brutalement sans qu’on sache précisément si c’est l’ensauvagement qui a causé le recul de la civilisation, ou bien l’inverse. Dans la situation actuelle c’est de toute manière la santé, la viabilité de notre civilisation qu’il conviendrait d’interroger, comme le fit Nietzsche à la fin du XIXe siècle et la plupart des hommes de culture européens après le séisme provoqué par la Première Guerre mondiale.
La question était à l’époque d’autant plus poignante que de grands penseurs allemands – Thomas Mann en particulier – s’étaient faits les chantres de la culture contre la civilisation défendue par les Français[1]. Cent ans après on se demande s’ils n’avaient pas en partie au moins raison, fût-ce pour de mauvaises raisons et alors même que la culture allemande échoua vingt ans plus tard à repousser la barbarie nazie. Mais enfin que vaut une civilisation, fût-elle animée des idéaux les plus nobles, sans la culture qui permet de les incarner, de se les approprier, et de les préserver afin de les transmettre ? Que reste-t-il d’une civilisation, normative en matière de justice, de mœurs et de progrès social, si elle ne repose plus sur aucun socle culturel commun, ni ne puise son dynamisme dans un imaginaire collectif ? Or nous en sommes là, et ce n’est pas à coup de bons sentiments, ni d’idéaux humanitaires sans ancrage dans le réel, qu’on renforcera les digues qui un peu partout se fissurent. Il ne suffit plus à notre civilisation de se savoir mortelle pour trouver en elle les réflexes salutaires lui permettant de stopper le processus d’autodestruction qu’elle a elle-même mis en marche, et qu’elle contribue à cautionner en se référant aux « valeurs » qui dissuadent d’en identifier les causes. Or quand elles ne sont plus complémentaires, culture et civilisation ne tardent pas à s’entrechoquer jusqu’à se détruire, comme on le constate aujourd’hui où la décivilisation va de pair avec une déculturation grandissante, qui fait elle-même le lit de l’ensauvagement[2] dont le feu se propage d’autant plus rapidement qu’il ne trouve plus sur son chemin que du bois mort, et non de vertes prairies qui arrêteraient son élan.
Sauvagerie et barbarie
On ne peut donc plus s’en tenir à la certitude rassurante qui fut celle des Lumières, selon lesquelles la civilisation se définit justement par sa capacité à maintenir la barbarie hors de ses frontières, tout en nourrissant l’espoir de les abolir en civilisant l’humanité tout entière. Ce beau rêve a fait naufrage, en même temps que la mondialisation faisait des ravages. Relativisme culturel, cosmopolitisme marchand, impuissance et corruption politiques sont venus à bout de cette utopie, et plus personne ne risque non plus de ce fait d’être qualifié de sauvage ou de barbare. Du moins officiellement, et selon la nouvelle donne consistant à s’autocensurer afin de ne stigmatiser personne. Sur le terrain, par contre, la sauvagerie – ou la barbarie ? – un peu partout se déchaîne, comme on le constate aujourd’hui au cœur même du dispositif républicain qui prétendait la bannir, et non plus à ses lointaines périphéries. Comment d’ailleurs faire la différence entre ces deux formes, pour ainsi dire jumelles, d’inappétence totale à la culture comme à la civilisation ? Peut-être faudrait-il relire, pour y voir plus clair, les Lettres surl’éducation esthétique de l’homme de Friedrich von Schiller (1794). Sauvagerie et barbarie seraient en effet pour l’homme deux manières « d’être en opposition avec lui-même » : le sauvage en laissant ses sentiments prendre le pas sur ses principes, et le barbare en autorisant ses principes à ruiner ses sentiments. Or, si la culture repose sur un « antagonisme desforces », elle permet aussi de le dépasser de manière créatrice, et la conclusion de Schiller devrait à cet égard nous interpeler : « Nos contemporains cheminent véritablement sur deux fausses routes ; ils sont devenus la proie des extrêmes soit de la sauvagerie, soit de l’affaissement moral et de la dépravation[3]. » Ce n’est donc pas à la décivilisation qu’il suffit désormais de s’en prendre quand c’est la culture qu’il faudrait à tout prix sauvegarder si l’on veut que la civilisation, ou ce qui se prend pour telle, ne fabrique pas des sauvages qui soient aussi des barbares.
[1]Considérations d’un apolitique (1918), suivi de Les Exigences du jour (1930), essai dans lequel Mann réhabilite la civilisation sans dévaloriser pour autant la culture.
[2]Cf.« Rééducation nationale », dossier sur l’école dans le n° 110 de Causeur, mars 2023.
[3] Schiller, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, trad. R. Leroux, Paris, Aubier, 1992, p. 161.
Désormais, concernant le défi migratoire, pour LR aussi, les «intérêts fondamentaux» de la nation sont en jeu. Divisés sur la question des retraites, les LR pensent pouvoir s’imposer sur ce débat. Peut-être même devenir l’aiguillon de la majorité présidentielle. Entre MM. Darmanin et Ciotti, une intrigante valse démarre. C’est à qui apparaitra comme le moins laxiste… Plus à droite, que reste-t-il à la droite nationale de Marine Le Pen, ou à celle d’Éric Zemmour, elles qui étaient autrefois les championnes dans la dénonciation des dérives de l’«État de droit» ou des méfaits de l’«État profond»? Analyses.
Depuis la loi Collomb dite « asile et immigration » de 2018, la France n’a pas mis en place de grand texte répondant à l’urgence de la question migratoire contemporaine. À l’époque, la gauche avait lors des débats législatifs dénoncé un texte qu’elle qualifiait de cruel, et même, je cite de mémoire, d’« inhumain ». Daniel Cohn-Bendit et Romain Goupil, soixante-huitards gagnés au macronisme triomphant, y étaient même allés d’une tribune dans Le Monde : « En France, la loi sur l’asile et l’immigration, que le ministre français de l’Intérieur présente au Parlement français, n’apporte pas de réponse à cette urgence, pas plus que ce qu’annonce son homologue allemand. Ce n’est pas de ce tandem qui joue sur les peurs que nous attendons quelque chose de bon, ni pour nos deux pays, ni pour l’Europe ».
Collomb n’a pas pu faire ce qu’il souhaitait
Tout ce que la France compte d’associations et d’ONG de défense des immigrés, et Dieu seul sait qu’elles sont nombreuses, avait rejoint ce mouvement de « résistance » au repli sur soi franchouillard sorti du cerveau détraqué de l’extrémiste maire de Lyon. Las, il ne s’est évidemment rien passé, l’aile gauche des députés macronistes d’alors ayant amendé toutes les mesures les plus intéressantes d’un texte dont le projet était extrêmement prometteur, rappelant même le meilleur de la gauche danoise qui est aujourd’hui citée en modèle par la majorité des ténors de la droite française. Plus terrifiant encore, les amendements qui ont alors été soutenus et votés par les députés marcheurs montraient une profonde divergence avec leur ministre de l’Intérieur ; aussi naïvement sans-frontièristes que la vulgate habituelle de La France Insoumise tendance Boyard-Bilongo.
Le texte finalement adopté a même aggravé les choses, offrant notamment des mesures pour « sécuriser le droit au séjour des étrangers en situation irrégulière » et donc faciliter leur installation sur notre territoire. D’une loi pensée pour lutter contre l’immigration illégale, Gérard Collomb a vu son texte devenir une formidable pompe aspirante migratoire. Depuis son adoption, ne sont plus considérés comme sûrs les pays « persécutant les homosexuels », soit l’ultra majorité des pays d’origine des clandestins. Ce stratagème est aujourd’hui massivement utilisé par les clandestins dont certains s’illustrent dans les pages faits divers de tous nos journaux.
L’extension du regroupement familial devenu « réunification familiale » a aussi constitué un tournant et un grave précédent. Désormais, le dispositif bénéficie aux frères et sœurs de « mineurs »… Tout mineur ayant bénéficié du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire peut ainsi faire venir ses parents et ses frères et sœurs en France ! Face à l’immigration, l’Etat ne fait désormais strictement rien. Il n’est pas absent, il est résigné. Du juge administratif en passant par l’ADATE, le site info-droits-étrangers.org, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, ou encore l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, tout est fait pour favoriser l’entrée et le séjour de centaines de milliers d’individus que les Français ne veulent plus et ne peuvent plus accueillir.
Une opinion lucide sur les enjeux migratoires
Selon un sondage CSA pour CNews rendu le 12 avril 2023, 64% des Français répondent oui à la question de savoir s’il est nécessaire de « stopper l’immigration extra-européenne en France ». Ils répondent dans les mêmes proportions qu’ils soient hommes ou femmes, jeunes ou vieux. Si le clivage droite gauche est prononcé, 94 % des sondés de droite – hors « Renaissance » – se disant favorables à l’arrêt de l’immigration extra-européenne, ils sont tout de même 37% à gauche à répondre oui et 56% pour ce qui concerne les électeurs de la majorité présidentielle.
Quand on entre dans le détail avec des questions moins clivantes que celle posée par le sondage CSA CNews, comme le faisait Le Baromètre de la confiance politique de septembre 2020 par le Cevipof et OpinionWay, il ressort que les Français de tous bords politiques jugent qu’il est désormais inévitable de réduire et de mieux contrôler qui s’installe en France, a minima. Leur vision de l’immigration est aussi corrélée au « sentiment d’insécurité » et à leur confiance dans l’avenir, qu’il s’agisse de sécurité physique et matérielle comme culturelle, ou, pour parler franchement, civilisationnelle. L’étude Le regard des Français sur l’immigration de novembre 2018 pour le JDD et la Fondation Jean Jaurès montrait ainsi que 75% des sondés répondaient non à la question « Diriez-vous que les personnes issues de l’immigration sont aujourd’hui bien intégrées dans la société française ? ».
Au cours des dernières années, la question de la non-exécution des OQTF, illustrée par l’affaire du meurtre de la petite Lola ainsi que d’autres faits, mais aussi l’apparition de camps sauvages de migrants dans des grandes villes et des villages qui étaient jusqu’à présent épargnés, n’a fait que renforcer cette perception du problème par les Français.
Une droite qui se cherche autour de l’immigration
Divisés sur la question des retraites, Les Républicains pensent pouvoir s’imposer sur ce débat et peut-être devenir l’aiguillon de la majorité présidentielle. Dans ce contexte qu’ils jugent porteur, les figures médiatiques du parti ont annoncé déposer deux propositions de loi qui pourraient entrainer une réforme constitutionnelle. Ils ont aussi déclaré que s’ils jugeaient le texte qui sera proposé par le gouvernement et Gérald Darmanin en la matière trop « laxiste », ils se réserveraient la possibilité de déposer une motion de censure – laquelle n’aurait évidemment aucune chance d’aboutir, mais passons.
« Les Français nous le disent dans tous les sondages : il y a trop d’immigrés. Il faut reprendre le contrôle », a notamment déclaré Bruno Retailleau. Son comparse Eric Ciotti a lui affirmé qu’il fallait mettre un terme à « l’immigration de masse » et que cet objectif avait toujours été défendu par son parti : « Les Français doivent pouvoir choisir qui ils accueillent, qui ils ne souhaitent pas accueillir, et qui n’a plus sa place sur notre territoire ». Outre la réforme constitutionnelle proposant que l’immigration puisse être un sujet de vote référendaire, les Républicains rompent ici, au moins en façade, avec une règle tacite ancienne de leur formation politique en se déclarant favorable à ce que soit inscrit dans notre Constitution « la possibilité de déroger à la primauté des traités et du droit européen (…) quand “les intérêts fondamentaux de la nation” sont en jeu ».
Ils veulent aussi, c’est beaucoup plus ambigu, voire impossible, un Etat ne pouvant pas sonder les reins et les cœurs, que le « principe d’assimilation » soit aussi rapporté dans la Constitution. À quelques nuances près, ce projet rappelle beaucoup les fondamentaux d’une certaine Marine Le Pen et du Rassemblement national, en passe de « grand-remplacer » Les Républicains dans le cœur d’une grande partie de l’électorat de droite, surtout depuis l’élection de 90 députés qui notabilisent cette formation politique que même Emmanuel Macron n’ose plus qualifier « d’héritière du pétainisme » !
Le RN et la droite hors les murs se rebiffent
Le Rassemblement national compte aussi tirer son épingle du jeu, croyant dur comme fer que les Français préféreront l’original à la copie. « Ils crédibilisent ce que l’on dit depuis trente ans sur l’immigration et qui nous a valu d’être diabolisés », avançait ainsi Louis Aliot. Directeur général délégué d’IPSOS, Brice Teinturier va même un peu plus loin, jugeant que « si ces idées sont reprises par des responsables politiques tels que Laurent Wauquiez à l’élection présidentielle, cela donnera au RN un surcroît de légitimité. Cela les rend beaucoup plus acceptables aux yeux de l’opinion ». De fait, on se demande bien comment Les Républicains pourront encore « diaboliser » le Rassemblement national sur ce thème, étant acquis qu’ils ont repris la majorité des idées que le parti avance depuis des décennies…
Marion Maréchal a elle aussi saisi la perche tendue par Les Républicains pour revenir dans le jeu en publiant une tribune dans le journal Le Figaro, déplorant des omissions et critiquant le « bouclier constitutionnel » détaillé plus avant, tout en rappelant qu’elle serait probablement candidate aux élections européennes avec « Reconquête ! » : « Soyons en assurés, si demain les dirigeants français avaient le courage de renégocier les traités nous liant et nous incapacitant sur la question migratoire, ils ne seraient pas seuls. De nombreux pays viendraient pousser en mêlée pour obtenir, eux aussi, la maîtrise de leur politique migratoire. Partout en Europe, nos amis conservateurs en Italie, en Espagne, en Hongrie, en Pologne, en Suède, en Finlande gouvernent ou s’apprêtent à le faire: pour la première fois, nous pouvons envisager une majorité pour rompre avec le laxisme migratoire. Et en France, c’est bien davantage avec nous qu’avec des LR liés à Bruxelles aux centristes et socialistes que nos amis européens souhaitent construire un avenir protecteur pour nos enfants. »
« Si l’on peut se féliciter que la question vitale de l’immigration revienne enfin au centre des débats, le projet proposé par @lesRepublicains souffre néanmoins de deux écueils majeurs. »
Il est certain que l’alliance de différents gouvernements européens autour du contrôle de l’immigration, mais aussi la nécessité de travailler à plusieurs Etats, ne fait aucun doute. La France a d’ailleurs manqué une occasion en se brouillant avec Giorgia Meloni par l’intermédiaire du turbulent Gérald Darmanin, trop occupé à faire de la politique politicienne anti-Marine Le Pen pour penser au bien commun. Dans tous les cas, les acteurs politiques ont tous un agenda… politique. Ne m’en veuillez pas pour cette tautologie, car qui a ses intérêts bien en tête ne peut que vouloir régler ce problème majeur, ce problème existentiel qui se pose à l’Europe et singulièrement à la France.
Faut-il pour cela réviser intégralement notre Constitution ? Non. Mais il ne faut reculer devant aucune méthode et surtout rendre notre pays beaucoup moins attractif aux touristes sociaux. Un clandestin ne doit pas pouvoir rester, ni jamais revenir. Quand on veut entrer quelque part, on sonne à la porte. Si nous réglions déjà ce sujet central de la question migratoire, nous aurions fait un immense pas en avant. Il n’est d’ailleurs pas obligatoire d’avoir toute la panoplie « réac » pour constater que nous devons agir et que nous le devons aux générations futures. Les Danois ne vivent pas en dictature, ni même dans une terre qu’on pourrait qualifier de rétive au progressisme. Pourtant, ils font le strict minimum.
Je veux d’ailleurs croire à la bonne fois de la majorité des fonctionnaires, et même à celle d’Eric Dupond-Moretti qui a confessé benoitement que toutes les OQTF ne pouvaient pas être appliquées. C’est bien vrai et c’est tout le problème. Quand il y a de la volonté, il y a un chemin. Le deuxième round aura lieu à l’Assemblée. Emmanuel Macron saura-t-il saisir l’opportunité qu’il avait manquée avec Gérard Collomb lors du premier quinquennat ? Réponse à la rentrée.
D’octobre 1789 à août 1792, Louis XVI, Marie-Antoinette et leurs enfants sont enfermés au palais des Tuileries. La famille royale suit malgré elle cette Révolution qui lui échappe et tente de la combattre. Une exposition aux Archives nationales nous plonge dans cette tragédie humaine et historique.
Entre le château de Versailles et la prison du Temple puis l’échafaud, la famille royale doit vivre aux Tuileries. Contrainte d’habiter ce palais au cœur de Paris dès le 6 octobre 1789, elle y demeure jusqu’au 10 août 1792. Durant près de trois ans, Louis XVI, Marie-Antoinette et leurs enfants vivent au rythme des soubresauts d’une révolution dont on ignore l’issue. Incroyablement documentée – et pourtant peu connue du grand public –, cette période charnière de notre histoire est dévoilée aux Archives nationales. Des objets du quotidien nous plongent dans l’intimité des souverains et de la cohorte qui les entoure – leurs geôliers, les soldats, la cour, les fournisseurs… –, et des documents exceptionnels nous permettent de découvrir l’intense activité diplomatique de Marie-Antoinette – sa correspondance secrète – ainsi que les efforts désespérés de Louis XVI pour tenter de maintenir les fondements de la monarchie millénaire dont il a hérité.
Le décor et les acteurs de cette tragédie ont disparu – la famille a été décimée et le palais, incendié sous la Commune en 1871, a été démoli. Restent des témoins matériels, des tissus brodés, des lettres codées, des cartes à jouer, des journaux intimes… De quoi toucher l’histoire des yeux pour mieux la comprendre.
Entretien avec Emmanuel de Waresquiel, co-commissaire de l’exposition sur la famille royale aux Tuileries avec Isabelle Aristide-Hastir et Jean-Christian Petitfils.
Causeur. D’octobre 1789 à août 1792, la famille royale est contrainte de séjourner au palais des Tuileries. Est-ce une parenthèse avant que la Révolution ne devienne un rouleau compresseur ?
Emmanuel de Waresquiel. Les Tuileries ont en effet été une parenthèse, un pas de deux entre l’absolutisme monarchique et la République ; on a tendance à occulter cette période alors qu’elle est extrêmement bien documentée. Cela correspond à un rêve français de monarchie constitutionnelle qui n’est jamais advenu. Si la Constitution de 1791 a bien été signée – à contrecœur – par Louis XVI, elle a duré à peine plus d’un an. Elle était en réalité inapplicable.
Dans quel état d’esprit sont le roi et la reine en arrivant au palais ? Pensent-ils pouvoir rentrer un jour à Versailles ?
Ils ne le pensent pas. Le mot qui revient le plus souvent dans la correspondance de Marie-Antoinette est « malheur ». La famille a parfaitement conscience de son emprisonnement aux Tuileries, d’être privée de liberté, et cette conscience-là ne fait que croître lorsqu’on les empêche – avant même la fuite à Varennes (20 juin 1791) – de se rendre à Saint-Cloud pour la fête de Pâques de 1791 ; l’année précédente, elle avait pourtant pu y passer l’été. En 1790, la famille bénéficie encore d’un régime de semi-liberté surveillée, ce qui permet notamment au roi d’aller chasser. Mais tout cela fond comme neige au soleil dès les premiers mois de 1791.
Le quotidien de la famille est-il rythmé par une étiquette aussi stricte qu’à Versailles ?
Elle est moins stricte, mais l’on constate encore la présence d’une cour, à tel point que certains de ses personnages-clefs, comme la princesse de Lamballe, vont la rejoindre aux Tuileries après avoir émigré en 1789. Demeurent aussi un certain temps les maisons civile et militaire du roi, qui ont toujours importé à Louis XVI. Il va, jusqu’au dernier moment, tenter de conserver sa maison militaire, en particulier ses Cent-Suisses, commandés par le duc de Brissac. Mais après la fuite à Varennes, la garde royale est dissoute pour laisser place à une garde constitutionnelle qui, elle-même, est rapidement remplacée, car considérée comme contre-révolutionnaire par les députés. Quant à Brissac, il est arrêté et massacré en 1792.
L’exposition présente une partie de la correspondance que Marie-Antoinette a entretenue avec différentes personnalités européennes. Peut-on dire que la reine se révèle à ce moment-là, qu’elle montre un visage ignoré jusque-là ?
La Révolution l’oblige à faire de la politique, ce qu’elle déteste ! Elle arrive en France en 1770 comme caution de la nouvelle alliance franco-autrichienne et, dès ses débuts à Versailles, elle est stigmatisée comme une étrangère et méprisée des élites. Ce sont elles qui lancent des quolibets repris plus tard par le peuple et qui lui collent à la peau jusqu’à son procès : « l’Autrichienne » ou « la Poule d’autruche » – une caricature la montre ainsi en disant : « Je digère l’or, l’argent avec facilité / Mais la Constitution je ne puis l’avaler. » Elle fait donc de la politique à contrecœur, mais elle en fait. À partir de 1789, elle doit faire face à une double tragédie, la mort de son fils aîné, le 4 juin à Meudon, et le surgissement de la Révolution, au mois de juillet. Il est intéressant de voir que jusqu’à l’été 1789, elle parle du roi comme étant celui qui est « au-dessus de moi », et qu’à partir de cette date, elle parle de son mari comme celui qui est « à côté de moi ». Cela ne veut pas dire qu’elle fait de la politique à la place du roi. Louis XVI est toujours le dernier décisionnaire, pour autant qu’il puisse encore prendre des décisions. En tout cas, aux Tuileries, elle entretient une abondante correspondance de conspiratrice, une correspondance secrète et codée qui parvient à ses destinataires à travers l’Europe par toutes sortes de stratagèmes.
La reine tente de résoudre les deux difficultés majeures auxquelles elle est confrontée. Elle doit d’abord conserver et défendre les droits de son fils contre les frères de son mari qui ont émigré, les comtes de Provence et d’Artois. Tous deux veulent à tout prix prendre la régence à la place de la reine. Marie-Antoinette doit donc, d’un côté, se défendre contre cette adversité au sein même de la famille royale et, de l’autre, œuvrer contre cette révolution qu’elle ne comprend pas – ce soulèvement demeure à ses yeux une coalition de factieux et de brigands. Même si elle n’en comprend ni les raisons ni les enjeux, elle fait de la politique de façon beaucoup plus prudente qu’on ne le pense. Ainsi déconseille-t-elle jusqu’au dernier moment une entrée des troupes de la coalition sur le territoire de France.
On peut lire quelques-unes de ses lettres adressées au comte de Fersen. Depuis peu, celles-ci ont été « décaviardées » numériquement et font apparaître des mots doux. Est-ce une découverte importante pour l’historien que vous êtes ?
Oui et non. C’est touchant, car les quelques phrases qui terminent ces lettres sont d’une très grande tendresse mais, en même temps, cela ne dit pas grand-chose des véritables rapports qui les unissent – « Ont-ils été jusqu’au dernier transport ? » comme dit Chateaubriand au sujet de Mme de Beaumont… Cela ne permet pas d’en savoir davantage sur la nature profonde de leurs liens. Je pense que ce sont des rapports de chevalerie. Fersen est son homme lige. Les phrases qui ont été décaviardées sont d’une extrême retenue. Il ne faut pas oublier que Marie-Antoinette est la fille de Marie-Thérèse d’Autriche, elle a beaucoup de pudeur et une certaine froideur. C’est un trait de la correspondance féminine au xviiie siècle. On ne trouve jamais de mots crus ou d’allusions sexuelles. C’est d’une extrême réserve. On ne sait donc toujours pas ce qui s’est passé entre eux ! Mais c’est touchant. Notamment la lettre qu’elle lui envoie juste après la fuite à Varennes et dans laquelle elle écrit : « J’existe encore. » Il y a des passages d’une très grande émotion. Mais Marie-Antoinette est sûrement restée fidèle à son mari, d’autant que la Révolution les a rapprochés.
Que souhaitez-vous que le public retienne de cette exposition ?
On a voulu mettre en avant la personnalité du roi et celle de la reine. Dans cet entre-deux tragique, ils se sont trouvés. D’un côté le courage de Marie-Antoinette face à l’adversité, un courage aveugle mais un courage quand même, et d’un autre côté ces tentatives désespérées de Louis XVI qui joue un double jeu entre l’absolutisme monarchique – auquel il est resté fidèle – et la Constitution à laquelle il ne croit pas et qui contrevient à toute son éducation de prince chrétien. Cet épisode de la Révolution est extrêmement intéressant : jusqu’où le roi peut-il incarner la nation et à quel moment ne l’incarne-t-il plus ? Cette période des Tuileries, intermédiaire, transitoire, est l’une des étapes les plus importantes de la radicalisation de la Révolution, c’est pourquoi elle mérite d’être mieux connue.
À voir « Louis XVI, Marie-Antoinette et la Révolution : la famille royale aux Tuileries (1789-1792) », aux Archives nationales, Paris, jusqu’au 3 juillet, puis du 30 août au 6 novembre 2023.
Catalogue : Isabelle Aristide-Hastir, Jean-Christian Petitfils et Emmanuel de Waresquiel (dir.), Louis XVI, Marie-Antoinette et la Révolution : la famille royale aux Tuileries (1789-1792), « Beaux Livres », Gallimard/Archives nationales, 2023.
Après sa sortie sur le RN « héritier de Pétain », Emmanuel Macron a « recadré » Elisabeth Borne en Conseil des ministres. Selon lui, ce n’est pas la bonne stratégie que doivent employer les progressistes pour contrer le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella. On ne fera pas croire aux 13 millions de Français qui ont voté pour Marine Le Pen qu’ils sont des fascistes. Depuis, les éditorialistes glosent sur la mauvaise entente du couple exécutif…
Voilà qui est amusant ! Emmanuel Macron a employé presque les mêmes mots que Marine Le Pen. En privé, cette dernière estime que la stratégie antifasciste contre son parti (« F comme fasciste et N comme nazi ») est ringarde, très années 80. De son côté, Emmanuel Macron trouve la sortie de son Premier ministre naïve. Sans la citer nommément – mais tout le monde a très bien compris – il y est allé à l’arme lourde, déclarant qu’on ne combattait pas l’extrême droite avec les « mots des années 1990 ».
Alors qu’il y a une règle qui dit que normalement on n’évoque pas les questions de politique intérieure depuis l’étranger, il en a même remis une couche hier depuis Bratislava, assurant de façon peu convaincante qu’Elisabeth Borne conservait toute sa confiance malgré ses récents propos sur le parti de Marine Le Pen…
Précisons tout de même qu’Elisabeth Borne a un peu l’excuse biographique – son père s’est suicidé, quelques années après son retour des camps de la mort. Mais, en même temps, c’est tout de même une vieille routière politique.
Cette sortie est d’abord une ânerie historique. Bien sûr, il y avait des pétainistes au FN de 1972, personne ne le nie. Et d’ailleurs, il y en avait sans doute un peu partout dans la classe politique de l’époque. De plus, beaucoup de gaullistes et de résistants sont passés par Vichy (on peut citer l’ancien Premier ministre, Maurice Couve de Murville, jusqu’en 1943). Il y avait aussi au FN de Jean-Marie Le Pen des débuts des admirateurs d’Hitler. Pour autant, est-ce que son programme, et a fortiori celui du RN de sa fille, est nazi ou pétainiste ? Avec quel occupant ou dominant ce parti prônerait-il la collaboration ? En réalité, la soumission devant une idéologie autoritaire ou totalitaire (comme l’islam radical) se situe aujourd’hui plutôt à gauche. Remarquons par ailleurs qu’il y a aussi d’anciens maos, d’anciens staliniens ou d’anciens trotskystes au PCF, au PS ou à la France Insoumise. Qui le leur reproche ? Enfin, on se rappelle que Marine Le Pen a rompu avec pertes et fracas avec son père, après une interview dans Rivarol où, justement, il en rajoutait dans la provoc’ pétainiste. Ânonner, comme on l’entend tous les matins sur les ondes, que Marine Le Pen est la même que son père, est donc imbécile.
Reductio ad petainum
Macron a-t-il eu raison de faire une telle mise au point ? Oui, mille fois raison ! Intellectuellement et surtout politiquement.
Le philosophe américain Léo Strauss a inventé la reductio ad hitlerum. Pour faire taire l’adversaire, on brandit Hitler. Pour clore tout débat en France, on a adapté ce concept avec la reductio ad petainum. Vous êtes contre l’immigration ? Vous êtes pétainiste ! Vous n’aimez pas l’écriture inclusive ? Vous voilà vous aussi pétainiste ! À l’ombre flatteuse du plus jamais ça, la gauche, qui n’a plus rien à dire aux classes populaires, n’en finit pas de se trouver belle et bonne dans le miroir qu’elle se tend à elle-même. Et elle n’en démord pas aujourd’hui : elle juge évidemment les derniers propos de Macron irresponsables, indignes. Et estime qu’il a eu grand tort de recadrer Elisabeth Borne.
L’ennui, c’est que le bon peuple se fiche comme d’une guigne de ce chantage moral.
Emmanuel Macron l’a compris : « On n’arrivera pas à faire croire aux millions de Français qui ont voté pour [Marine Le Pen] qu’ils sont fascistes ». Autrement dit, contre le RN, foin de moraline, il faut mener un combat politique. Quelle merveilleuse découverte ! Mais il est bien dommage de penser qu’il n’aura pas l’occasion de l’appliquer.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio
Au nom du Bien et du Progrès, le monde universitaire sait faire taire ceux qui, en son sein, ne pensent pas dans le sens de la doxa. Ce qui reste d’esprit libre, pour ne pas dire critique, est muselé, surveillé, dénoncé, traqué, accusé puis condamné.
« Faudrait lui faire un procès, à celui-là ! » C’est ainsi que la vice-présidente d’une université de province considère un collègue dont les positions n’ont pas l’heur de lui plaire. Un procès pour quoi ? Pour divergence d’opinions ?
Dans le monde universitaire, il semble acquis que le désaccord doive se régler dans les prétoires de la mise en conformité et que l’hétérodoxie idéologique doive être punie. L’altérité ne s’envisage plus que comme adversité. Si vous ne plaisez pas, vous méritez d’être interdit, censuré, sanctionné. Remettre en cause l’écriture inclusive suffit pour sentir le soufre, alors toucher aux Frères musulmans, vous n’y pensez pas. Les arguments objectifs n’ont plus cours : certains savants ont même déclaré la fin de la rationalité pour cause d’ethnocentrisme occidental. Seule la morale compte. C’est le retour des chaisières, du pointage du doigt et de la mauvaise réputation.
Supériorité jargonnante
Les sujets sont prévisibles : la laïcité est suspecte d’islamophobie, l’hétérosexualité est une oppression, le pluriel provoque une scandaleuse invisibilisation des femmes, l’objectivité est un outil des dominants… La fameuse Déconstruction est intouchable, au point même d’avoir été décrétée indéfinissable par saint Derrida, si bien qu’elle se confond avec tout ce qu’on peut vouloir lui faire dire.
On pourra ainsi « déconstruire » tout ce qui passe, « démasculiniser les sciences », déconstruire la « race » ou « les privilèges », faire des colloques pour parler de l’« ignorance blanche », et même accuser ses collègues sociologues[1] d’être des « hommes, blancs, hétérosexuels, etc. ». On frémit à l’idée de ce que renferme l’infamant « etc. » !… En rhétorique, on parle d’aposiopèse pour désigner ce sous-entendu, ce non-dit laissant imaginer les pires turpitudes : c’est une technique argumentative où l’allusion se suffit à elle-même. La connivence que suppose ce genre de mise au pilori (« on sait de qui on parle… ») montre l’entre-soi d’une caste qui ne se soucie pas de convaincre, mais de dénoncer. Un tel racisme-sexisme décomplexé prétend même constituer une « épistémologie ». De fait, épistémologique et scientifique sont désormais les mots qu’il faut brandir pour valider son réquisitoire. Car les universitaires, tout à leur supériorité jargonnante, ne peuvent s’insulter sans prétendre que c’est la Science qui les anime.
Il semble que bon nombre d’universitaires soient revenus aux fondamentaux de la tradition ecclésiastique de surveillance doctrinale ou, plus récemment, de l’ordre vichyste : imposer l’orthodoxie et traquer les déviants. Il suffit alors de déchoir de leur scientificité les collègues en promouvant des charlatans. De tels imposteurs peuvent manipuler l’histoire à loisir, ils ne risquent que de devenir la voix du pouvoir : on peut ainsi inventer une fantasmagorique masculinisation de la langue française à partir d’exemples fallacieux et devenir la référence des acteurs politiques. Les démentis des véritables spécialistes[2] n’y font rien – que peuvent les données face à l’orthodoxie idéologique ?
Ce climat de délation s’accompagne d’un retournement victimaire : à la moindre critique, ceux qui traquent le réac et engrangent les financements se roulent par terre comme un footballeur effleuré pour prétendre être victimes du retour des heures sombres. On notera, question heures sombres, que ce camp idéologique a l’habitude de vénérer le nazi Heidegger, d’être antisioniste et de trouver des excuses au djihadisme palestinien. Certains ont même nommé leur chat Yasser, c’est vous dire. C’est là un tropisme islamo-gauchiste que l’on reconnaît facilement à ce qu’il n’existe pas selon les éminentes spécialistes scientifiques qui le défendent.
Et gare à vous si vous faites remarquer ces complaisances idéologiques. Le protocole est simple : on délégitimera les rebelles avec force tribunes en les considérant comme des ennemis idéologiques. C’est là le triomphe de l’apodioxie, figure argumentative consistant à refuser par avance le débat en prenant une position de supériorité et en déconsidérant son contradicteur : la traditionnelle accusation de conservatisme (« réac » dans sa version agressive) en est l’incarnation la plus fréquente[3].
L’humanisme, le progrès et la justice
Tel est désormais le socle rhétorique de la meute. Bien sûr, c’est toujours au nom de l’Humanisme, du Progrès et de la Justice qu’on aménagera l’ostracisme. Les Maîtres-Mots que décrivait Milner[4] sont les armes faciles du débat de mauvaise foi : « Celui qui détient l’un d’entre eux l’emporte dans tous les affrontements. » Parmi les nouveaux Maîtres-Mots : invisibilisation, intersectionnel, patriarcat, minorisé, genre, déconstruction… Leur sanctuarisation est telle que les critiquer vous exclut de l’humanité fréquentable. Les directeurs de recherche et de conscience, sorbonnards de l’excommunication, n’ont qu’à compter sur l’inertie de ceux qui ne veulent pas faire de vague et sur les bonnes affaires que représentent les financements pour délimiter de nouveaux conformismes.
Le continuum entre l’adoption de nouvelles modes et la mise au pas des récalcitrants se réalise au nom du care. Même la censure des textes passe pour de la « réécriture sensible ». La futilité devient épistémologie et sa normalisation exige l’exclusion des têtes qui dépassent. C’est ainsi que chacun se mêle de faire de la haute philosophie politique en étudiant Pif le chien ou les atermoiements des travailleurs de l’anus. C’est ça, la science aujourd’hui. Quiconque y trouve à redire se fera prendre de haut par les nouveaux savants : heureusement, les élites pensent pour vous.
[1]. IsabelleClair, « L’intersectionnalité, une menace pour la sociologie (et les sociologues français) des classes sociales ? », Astérion, 27/2022, journals.openedition.org.
[2]. Le Genre grammatical et l’Écriture inclusive en français, Revue Observables n° 1, juin 2021 ou Sophie Piron, « Le masculin polémique : contre-argumentaire historique sur le e féminin et les noms de métiers», Circula, n° 15, Université de Shebrooke, 2022.
[3]. La Mauvaise foi, un dispositif discursif ?, Revue Observables n° 2, 2022. Textes de Pierre-André Taguieff, Daniel Sibony, Yana Grinshpun…
[4]. « Une conversation sur l’universel », Cahiers d’études lévinassiennes, n° 6, 2007.
Contrairement à ce qu’a raconté Quotidien, le 19 mai, les préservatifs et sex-toys ne représentent pas 223 millions de tonnes de déchets par an en France.
Les maraîchers et autres producteurs qui pensaient se refaire la cerise sur le sexe vert (carottes, concombres, voire butternuts), peuvent remballer leurs outils. Les décomptes à la mords-moi le jonc de Maïa, la madame cul-cul de Quotidien, sont faux. Enfin, pas faux-faux, juste une « erreur de rapidité » avouée bien volontiers aux checknewseurs de Libé. Elle a juste sauté un mot dans sa compréhension de l’article d’origine (cadeau de Noël) de « Glamour Magazine » du 25 décembre 2019.
« Think about it : condoms, sex toys, lube, even the pill, all have a seismic environmental impact ; contributing to an estimated 222.9 million tonnes of waste in the UK a year – it’s enough to make you cross your legs forever ».[1] Contributing Maïa ! Contributing ! Vous avez sauté contributing. Vraiment, où avez-vous la tête ? la partie n’est pas le tout. Et, votre chiffre de 223 millions, là encore, ça ne va pas du tout. Il s’agit des Anglais, pas de nous. Deuxième « approximation » donc. Mais, le plus stupéfiant dans cette histoire, c’est que chez Quotidien, cette info (qui entre nous n’est pas de première fraîcheur) n’a l’air d’étonner personne. Plusieurs hypothèses :
– ce chiffre correspond à leur consommation personnelle, – aucun d’entre eux (chef compris) ne sait « combien pèse » une tonne, – aucun d’eux (chef compris) ne sait faire deux petites divisions vite fait et trouver que plus de 3 000 kilos de « déchets sexuels » par an, par Français, enfants compris, ça fait quand même au moins huit kilos par jour et par personne, – ils ne sont là que pour rigoler sur commande, ils ne peuvent pas penser en même temps, – ils n’ont pas le droit de la ramener, – ils (toujours chef compris) ne font pas attention ce qu’elle raconte, – ils gobent n’importe quoi.
Ou peut-être est-ce tout cela à la fois.
[1] « Pensez-y : les préservatifs, les sex-toys, les lubrifiant, voire la pilule constituent des séismes pour l’environnement ; en contribuant aux 222,9 millions de tonnes estimés de déchets annuels du Royaume-Uni. Assez pour vous faire croiser les jambes à jamais ».
Non, Monsieur le président, nous n’avons pas affaire à la «décivilisation».
De la surenchère verbale
L’idée valait bien que l’on ré-invente un mot, mais encore eut-il fallu qu’il reflétât parfaitement ce que ce terme évoque, or ce n’est pas le cas. Quitte à proposer un mot, il eut mieux valu parler de « dé-civilité », selon moi. Il ne s’agit pas de critiquer un soi-disant emprunt d’Emmanuel Macron à un théoricien d’extrême droite, car si le président était d’extrême droite ou même de droite, cela se saurait… Mais, la civilisation ne disparait pas au gré des caprices et de l’escalade de faits divers aussi violents, sordides et fréquents soient-ils, même s’ils augmentent depuis longtemps déjà.
Mal nommer les choses…
La civilisation est un héritage, un ensemble de choses intégrant la culture, les habitudes d’un pays, une philosophie, le résultat de pratiques religieuses, le socle construit depuis des siècles de ce qui nous nourrit et crée notre identité collective et individuelle. La civilisation, les civilisations, sont notre fierté d’appartenir à l’humanité, notre raison d’être, même inconsciemment ; et un tel abus de langage ne fait qu’empirer le déclin que nous percevons : « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » disait Camus et, franchement, nous n’avons pas besoin de ça.
Ce « malheur », nous le vivons et le ressentons de plus en plus. Un découragement éprouvant et diffus nous gagne.
Mais alors, comment traduire la réalité et le pourquoi de cette forme de désescalade comportementale ? Car ce n’est pas non plus de « décadence » dont il s’agit, comme nous avons tendance à le dire dans les moments d’abattement face à l’actualité. On parle régulièrement d’incivilités, une dénomination adorée des médias et des gens bienveillants (qui préfèrent ne pas nommer les choses et les édulcorent : c’est moins grave de parler d’une simple « incivilité » que d’une agression crapuleuse). Le terme, toutefois, prend tout son sens pour résumer un incivisme général en l’occurrence ; on peut dès lors parler d’une véritable « dé-civilité » pandémique. Pourquoi tant de violences, de comportements irresponsables, de manque de respect permanent, de désobéissance civique, de laxisme verbal et vestimentaire, de refus des codes de la politesse qui polissaient nos rapports humains ? Les bonnes manières bourgeoises avaient quand même du bon. Il est bien regrettable qu’aujourd’hui tant de monde se pique de les mépriser.
L’exemple vient d’en haut
Avant de jeter la pierre aux civilisations qui parfois s’entrechoquent, regardons-nous individuellement et notons les terribles exemples qui nous viennent d’en haut ; en l’occurrence de ceux qui nous gouvernent, ceux que nous avons élus ! Les temples de la République, comme l’Assemblée nationale, sont foulés aux pieds. Les insultes pleuvent, les doigts d’honneur, les symboles en forme d’effigies décapitées dans les manifestations, ou de têtes en forme de ballons de foot représentant un ministre… Il est facile de dire que la politique a toujours eu ses excès verbaux, mais leur diffusion aujourd’hui, entre autres à cause des réseaux sociaux, donne une ampleur inconnue à ce désordre qui lamine le respect minimal qui doit nous gouverner. Sans compter qu’il n’y a aucune sanction à ces insultes : qui est viré ? Qui est démis de ses fonctions ? Qui n’a plus le droit de se représenter ? Y a-t-il encore un règlement dans l’avion ? À l’Assemblée nationale, les seuls qui ont de la tenue, ce sont encore les huissiers !
On peut comprendre la décision, intuitive et de bon sens, qui a fait exiger, de la part de leur présidente de groupe, que les nouveaux élus du RN se tiennent bien, tout simplement. Et on peut s’interroger sur le fait que les intentions de vote croissantes de ce parti ne tiennent peut-être qu’à cela…
Mais nous avons un chef, un président de la République. Et avant que ce dernier n’accuse le déclin de la civilisation, pourrait-il reprendre la barre et adopter un comportement qui suscite le respect et même la crainte ? Sans réelle autorité (laquelle n’a rien à voir avec l’autoritarisme), sans l’exigence de la dignité de la fonction de tous les ministres, élus et membres du gouvernement, sans l’obligation d’une probité absolue, le pays se noie dans la provocation. Quand le chat n’est pas là, les souris dansent dans une ambiance de rave-party qui dégénère. Rien à voir avec la civilisation, même si d’autres pays sont atteints de cette maladie d’incivisme, les mêmes causes produisant les mêmes effets (voir M. Trump, qui n’est pas un exemple pour l’Amérique…)
Dis-moi qui te gouverne, je te dirai comment ton peuple se comporte. Ne parle-t-on pas des « rênes du pouvoir » ? Qui les tient ?
L’entrée sur le 5 juillet 1962 à Oran du Dictionnaire de la guerre d’Algérie (Éditions Bouquins, 2023) est problématique.
Le Dictionnaire de la Guerre D’Algérie que nous offrent Tramor Quemeneur et Sylvie Thénault est un opus très pondéreux qu’une longue étude pourra seule permettre d’évaluer correctement. En attendant, je me penche ici sur l’entrée de ce dictionnaire, traitant du 5 juillet 1962, confiée à un archiviste algérien, Fouad Soufi. Un mot sur ce personnage que je connais peu ; sa réputation, y compris parmi nos compatriotes, est celle d’un homme bienveillant et peu dogmatique. Il n’en demeure pas moins qu’il fut erroné de lui confier cette tâche. Il est fonctionnaire du gouvernement algérien et il est très légitime de s’interroger sur sa liberté de manœuvre. Voici plusieurs années en effet que certains historiens français veulent nous faire croire que le point de vue de nos confrères d’Outre-Méditerranée est important, voire indispensable. Comme si l’Algérie était une démocratie attitrée, patentée et certifiée. Ce n’est évidemment pas le cas et rares sont les intellectuels algériens, vivant en Algérie, qui peuvent s’affranchir, sans de gros risques, de la doxa officielle et de la réécriture d’État de l’Histoire. Car, pour les bureaucrates qui dirigent ce pays, il y a une version officielle du 5 juillet à Oran : il n’y a pas eu de massacre. Militaires algériens, ATO et militants du FLN n’avaient que le souci d’organiser correctement le référendum d’Indépendance et de célébrer ensuite.
On retrouvera tous ces points dans l’entrée concernée, aux pages 253, 254, 255 et 256 du dictionnaire. Tout au plus l’auteur concède-t-il qu’il y eut « des massacres » d’Européens touchant ceux qui habitaient Eckmühl, le Petit-Lac et Victor-Hugo. Ces deux dernières zones comptant peu d’habitants pieds-noirs, surtout à cette époque, ceci revient à minimiser les faits. Selon l’auteur, « rien dans le passé immédiat ne permettait d’envisager un tel drame » (sic). Nous pensons, quant à nous, que beaucoup de choses permettaient au contraire de le redouter[1]. Nous renvoyons pour cela à nos ouvrages dont La Phase Finale de la Guerre d’Algérie. Car, il faut d’ores et déjà signaler la faiblesse fondamentale des pages susmentionnées. Les résultats des travaux effectués depuis 60 ans par des historiens français sont “oubliés”. Sans vergogne. Guy Pervillé, Guillaume Zeller manquent à l’appel. Le film de Georges-Marc Benamou n’est pas évoqué. Jean-Jacques Jordi figure en tête des oubliés de marque. Lui, qui a patiemment travaillé sur les listes de disparus, les a minutieusement vérifiées, contrôlées et complétées, est aujourd’hui en mesure de présenter une liste précise de victimes dont la majorité est constituée de gens toujours portés disparus.
Mais voilà : le gouvernement algérien a récusé les travaux de Jordi. Il l’a même traité de ”révisionniste” ou de quelque chose d’approchant. Exeunt donc Jordi et ses chiffres. On ne s’étonnera guère qu’il soit totalement absent de l’article précité. Ce texte se termine d’ailleurs de façon ahurissante. Selon l’auteur, « l’absence de nombreuses archives contribue à entretenir le silence à ce sujet ». On nous permettra d’ajouter : la censure algérienne aussi. Quelles sont donc ces archives dont le manque empêcherait encore de conclure et d’échapper aux chiffres contradictoires ? Celles de l’Association des Familles de Disparus (de M. Domard devenue plus tard l’ADDFA[2]), celles de l’Association de Sauvegarde de René Soyer[3], celles de la sous-délégation de la Croix-Rouge d’une part ; celles d’autre part, de l’Association du Comité Provisoire de liaison population/ autorités administratives, celles de l’ALN et celles de la Commission Mixte de Réconciliation.
Concernant les trois premiers groupes d’archives, il s’agit de documents français ou suisses, consultables. Les trois derniers ne le sont pas, mais il s’agit d’archives algériennes. Nous attendons par conséquent que la partie algérienne les ouvre. Avec intérêt et sérénité.
[1] Mme Thénault semble d’ailleurs le penser. N’a-telle pas écrit:”… crainte et défiance créant les conditions d’un embrasement à l’heure des engagements radicalisés.” Cette phrase est extraite de son livre Histoire de la guerre d’Indépendance algérienne et figure dans l’article étudié page 256.
[2] L’ADDFA (l’Association de Défense des Droits des Français d’Algérie) fut créée et animée par cette personne, entre autres. Ses listes furent récupérées et sont aujourd’hui détenues par le GRFDA: Groupe de Recherche des Français Disparus en Algérie dont la présidente est Mme Ducos-Ader.
[3] Nous avons recueilli le témoignage d’une collaboratrice directe de René Soyer. Il est au CDHA: Centre de Documentation Historique sur l’Algérie à Aix. D’autres archives de M. Soyer sont au SHD : Service Historique de la Défense à Vincennes.
Avec son désir sérieux et sincère d’un nouveau puritanisme, notre chroniqueur voudrait battre en brèche cette propension à ériger la nudité inutile comme critère décisif et les scènes d’amour hard pour le comble de l’audace et de la création
Personne n’a de leçons à me donner. J’aime autant la beauté que quiconque, la grâce et l’allure des corps, l’allégresse puissante et douce des rapports intimes, la sensualité des gestes, le ravissement face à des êtres dont on est fier qu’ils appartiennent à la même humanité que la nôtre. Mais je refuse que cet univers splendide et émouvant soit de plus en plus dévoyé, instrumentalisé, exhibé dans des œuvres, des films qui jouent sur une curiosité et une vision malsaines plus que sur les authentiques nécessités de l’art. Ce n’est pas au nom de la morale que je dénonce ces dérives, mais à cause de la bassesse et de la dégradation du talent. Ou de son absence. Il est vrai que ce n’est pas le seul procès que, dans le fond, nous pourrions intenter au cinéma français. Par exemple, des réalisateurs qui se croient, à tort, doués pour l’écriture des scénarios, des histoires tellement plates et quotidiennes qu’elles copient mal le réel, en le banalisant encore davantage. Au lieu d’exalter le spectateur, de le rendre enthousiaste, éperdu de reconnaissance à l’égard de quelques rares cinéastes enchantant son existence avec leur fiction. Ce n’est pas privilégier l’eau de rose, c’est considérer que le génie a cet avantage si particulier de rendre tout splendide, même le laid et le triste.
Mais, avec mon désir sérieux et sincère d’un nouveau puritanisme, je voudrais surtout battre en brèche cette propension à ériger la nudité inutile comme critère décisif et les scènes d’amour hard ou flou pour le comble de l’audace et de la création. Ces dernières sont la plupart du temps parfaitement pléonastiques et révèlent seulement, derrière l’argumentation prétendument artistique, une volonté de permettre au spectateur de « se rincer l’œil » en lui donnant bonne conscience puisque le plus simple appareil des actrices serait, parait-il, nécessaire au déroulement du récit. J’évoque en l’occurrence la multiplication de ces scènes et de ces séquences – pas forcément aussi longues que dans La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche – où on cherche à nous mettre les points sur les i et la caméra sur les corps alors que la classe serait dans la litote, l’allusif et un dialogue qui au matin nous révélerait la frénésie de la nuit. Mais ce serait sans doute trop élégant. Quelle perversion intellectuelle et artistique d’encombrer notre regard avec tant de scènes exclusivement racoleuses. Quand on n’éprouve pas le besoin, par vérisme, de nous faire assister à ce moment capital de personnages urinant ou déféquant ! En se complaisant, par le culte d’une fausse provocation, mais d’une vraie vulgarité, dans ces séquences qui réduisent trop souvent le rôle des actrices à des exhibitions corporelles, le cinéma montre ses limites et surtout qu’il est incapable, en usant de toute la gamme des mots, des sentiments, des sensations, de montrer ce dont sa salacité si ordinaire nous abreuve. Avec le progressisme ridicule dont certains se prévalent.
D’ailleurs, pour s’en convaincre, il suffit de lire les interviews d’actrices – par exemple, Virginie Efira ou Lily-Rose Depp – où la question inévitable survient sur leur gêne ou non face à la nudité. Bien sûr, la plupart répondent que cela ne leur pose aucun problème, que montrer leur corps ne les dérange pas et elles ajoutent souvent: quand l’histoire l’impose… Mais comme, à quelques exceptions près, la narration pourrait toujours s’en dispenser, on voit dans quoi on tombe… Heureusement, il y a des résistants et évidemment ce sont les meilleurs, ceux qui honorent notre cinéma. Je songe à Emmanuel Mouret, dont les films où le langage est roi sont emplis d’une pudeur fine et profonde – voir mon billet du 17 septembre 2022 – et à Maïwenn qui a déclaré qu’elle n’aimait pas la nudité dans ses films et qui a réussi, dans le remarquable Jeanne du Barry, le tour de force de nous décrire l’intensité d’une passion amoureuse sans le moindre recours à des appâts ostentatoirement et inutilement découverts. Ce nouveau puritanisme auquel j’aspire n’a rien à voir avec la moraline qui censurait les scènes de sexe au nom de la décence, mais tout avec le talent et l’intelligence qui ont compris que ce qui est deviné est infiniment plus troublant que la nudité surabondamment exposée.
Le président ne juge plus le Rassemblement national immoral, et le reconnait enfin comme un adversaire politique légitime. En blâmant Elisabeth Borne en Conseil de ministres, c’est lui-même qu’il blâme pour ses propos antérieurs et son inaction sur les questions régaliennes.
On dirait que le président de la République, ces derniers temps, cherche à rattraper le réalisme perdu. La macronie, qui fait feu de tout bois pour empêcher le débat sur la proposition de loi du groupe LIOT et a gagné le 31 mai dans des conditions discutables une bataille, n’est pas insensible à cette nouvelle inspiration présidentielle. Je n’ai jamais été celui qui – même hostile à Emmanuel Macron, notamment à cause de sa faiblesse régalienne, de sa mollesse sur le plan de l’autorité de l’Etat, de quelques-uns de ses mauvais choix ministériels et de son attitude publique parfois discutable quoique souvent courageuse – a dénié à sa personnalité des qualités et des singularités qui interdisent de l’appréhender sans nuance ni mesure. On peut tout dire de lui sauf qu’il est médiocre, critiquable oui, mais ce n’est pas le même discrédit.
Borne encaisse
Comment analyser autrement que comme des séances de rattrapage la volonté obstinée de complaire aux LR sur l’immigration ? la découverte subite mais tardive de l’ampleur de la fraude sociale, longtemps occultée par la fraude fiscale considérée à une certaine époque comme le sport national ? le recadrage brutal de la Première ministre après ses absurdes propos sur le RN « héritier de Pétain » ? Les deux premiers points prennent acte des réalités et d’un rapport de force qui fait des LR un groupe à choyer. L’importance du thème ne leur a jamais échappé. Nul besoin, sur ce plan, de les accuser d’être des copieurs du RN !
Il est plus intéressant de relever comme, durant le Conseil des ministres du 30 mai, le président de la République, prenant prétexte d’une analyse politique sur l’Espagne, a sans équivoque, mais sans la regarder, sermonné Elisabeth Borne. En lui reprochant d’avoir usé « d’arguments moraux » contre le RN comme si tous ceux qui avaient voté pour lui acceptaient « d’être traités de fascistes ». Même courageux, il n’est pas un homme ou une femme politique qui, dans la situation d’Elisabeth Borne, aurait claqué la porte du Conseil ou répliqué vertement au président. La Première ministre a encaissé et probablement a compté sur un changement de perception d’Emmanuel Macron, une fois l’émoi médiatique dépassé.
Un président très en forme
Dans l’instant je n’ai pu m’empêcher d’admirer la lucidité masochiste du président puisque sa prise de position si pertinente était la dénonciation sans équivoque de ses déclarations antérieures et qu’au fond il se blâmait lui-même en blâmant la Première ministre. D’autant plus que la répudiation des « arguments moraux », confortables en eux-mêmes, se devait d’avoir pour conséquence la mise en œuvre d’une politique qui aurait effectivement fait baisser le RN notamment dans l’électorat populaire. On l’a attendue, espérée : elle n’est jamais venue. Il ne suffisait pas d’un Darmanin pour faire illusion ! Ce constat percutant, et tellement évident, du président, qui paraissait subtilement à la fois s’opposer au RN mais lui rendre justice en ne le taxant plus d’immoralité mais d’adversaire politique, était d’autant plus impressionnant qu’on devinait que les rapports entre les deux têtes de l’exécutif n’étaient plus au beau fixe s’ils l’avaient jamais été. Et le président non seulement ne minimisait pas le danger de LFI, comme Elisabeth Borne l’avait fait en le plaçant au second rang, mais semblait l’évaluer à sa juste et très inquiétante valeur.
Lors de ce Conseil des ministres, le président, apparemment très en forme dans sa verve polémique, s’en prenait aux propos de Justine Triet à Cannes et à la proposition de l’un de ses anciens experts, Jean Pisani-Ferry, suggérant la création d’un impôt écologique.
Je suis caméléon !
Avec tout ce que je viens de décrire, on pouvait avoir l’impression que le président, plus du tout limité par le risque d’une prochaine élection, n’hésitait plus à aller franchement sur sa droite, pour peut-être sauver la mise à Nicolas Sarkozy dont le désir d’entente avec la macronie n’avait pas vraiment convaincu son camp ? Mais, une fois de plus, changement de cap. La Première ministre assure que le président lui a exprimé tout son soutien à la suite de ses propos et lui-même, en retour, a manifesté sa confiance à Elisabeth Borne. Il l’a recadrée puis il la choie. Ce qui démontre au moins qu’il ne parvient pas à trouver la bonne distance avec elle. En revanche, sur le RN, à Bratislava le président a développé, sur son registre de la morale inutile et de la politique nécessaire, une excellente analyse. Avec Emmanuel Macron, on ne sait plus sur quel pied, sur quel esprit danser !
Il donnait l’impression de se lâcher comme il n’avait plus rien à gagner mais à peine a-t-il endossé un habit qui plaît ici, qu’il s’en dépouille pour en mettre un autre qui plaira là. Comme si le langage présidentiel avait si peu d’importance qu’il pouvait se contredire sans dommage et sembler un jeu de l’esprit plus qu’une conviction de fond. Ce quinquennat a mal commencé. Comment finira-t-il ?
Jusqu’où va-t-il donc falloir que la France se décivilise à force de s’ensauvager (ou vice versa) pour que l’on consente enfin à reconnaître que ce sont là les deux versants d’un même à-pic culturel et social qui peut tôt ou tard se révéler fatal? L’analyse philosophique de Françoise Bonardel
Parlant récemment de « décivilisation », le chef de l’État prend-il enfin la mesure de l’ensauvagement de la société française auquel il semblait jusqu’alors ne prêter qu’une attention flottante ? Des esprits subtils vont sans doute, il est vrai, nous expliquer que ces deux questions n’ont rien à voir l’une avec l’autre ; l’ensauvagement étant un fantasme d’extrême-droite alors que la décivilisation est une régression certes regrettable, inquiétante même, mais sans rapport avec la récupération politique des « haines », gratuites bien sûr car issues de préjugés qu’il convient d’éradiquer au plus vite. Il y aurait donc, on l’aura compris, deux manières bien différentes de régresser vers la barbarie : l’une relativement honorable dans la mesure où la civilisation, menacée dans ses fondements, constitue encore malgré tout un garde-fou face à des dérives inacceptables ; et l’autre à ce point détestable qu’il est préférable de n’en plus parler. Jusqu’où va-t-il donc falloir que la France se décivilise à force de s’ensauvager (ou vice versa) pour que l’on consente enfin à reconnaître que ce sont là les deux versants d’un même à-pic culturel et social qui peut tôt ou tard se révéler fatal ?
Décivilisation et ensauvagement
Sans doute chacun de ces mots a-t-il sa tonalité propre, et l’ensauvagement évoque le déchaînement furieux d’une horde sanguinaire, l’appel au meurtre des fanatiques, la régression de la culture vers la nature la plus archaïque et indisciplinée : la montée en puissance d’une violence aveugle, et le déchainement des plus bas instincts qu’on pensait domestiqués, voire même éteints. La « décivilisation » s’inscrit quant à elle dans le registre en apparence plus sobre du retrait, de l’effacement et non plus de l’excès : dégradation, destruction, déconstruction, délitement… Ce que la civilisation avait mis en place en matière de repères culturels, de codes sociaux et de modes de vie censés « civiliser » les hommes accédant au rang de citoyens, se retire plus ou moins brutalement sans qu’on sache précisément si c’est l’ensauvagement qui a causé le recul de la civilisation, ou bien l’inverse. Dans la situation actuelle c’est de toute manière la santé, la viabilité de notre civilisation qu’il conviendrait d’interroger, comme le fit Nietzsche à la fin du XIXe siècle et la plupart des hommes de culture européens après le séisme provoqué par la Première Guerre mondiale.
La question était à l’époque d’autant plus poignante que de grands penseurs allemands – Thomas Mann en particulier – s’étaient faits les chantres de la culture contre la civilisation défendue par les Français[1]. Cent ans après on se demande s’ils n’avaient pas en partie au moins raison, fût-ce pour de mauvaises raisons et alors même que la culture allemande échoua vingt ans plus tard à repousser la barbarie nazie. Mais enfin que vaut une civilisation, fût-elle animée des idéaux les plus nobles, sans la culture qui permet de les incarner, de se les approprier, et de les préserver afin de les transmettre ? Que reste-t-il d’une civilisation, normative en matière de justice, de mœurs et de progrès social, si elle ne repose plus sur aucun socle culturel commun, ni ne puise son dynamisme dans un imaginaire collectif ? Or nous en sommes là, et ce n’est pas à coup de bons sentiments, ni d’idéaux humanitaires sans ancrage dans le réel, qu’on renforcera les digues qui un peu partout se fissurent. Il ne suffit plus à notre civilisation de se savoir mortelle pour trouver en elle les réflexes salutaires lui permettant de stopper le processus d’autodestruction qu’elle a elle-même mis en marche, et qu’elle contribue à cautionner en se référant aux « valeurs » qui dissuadent d’en identifier les causes. Or quand elles ne sont plus complémentaires, culture et civilisation ne tardent pas à s’entrechoquer jusqu’à se détruire, comme on le constate aujourd’hui où la décivilisation va de pair avec une déculturation grandissante, qui fait elle-même le lit de l’ensauvagement[2] dont le feu se propage d’autant plus rapidement qu’il ne trouve plus sur son chemin que du bois mort, et non de vertes prairies qui arrêteraient son élan.
Sauvagerie et barbarie
On ne peut donc plus s’en tenir à la certitude rassurante qui fut celle des Lumières, selon lesquelles la civilisation se définit justement par sa capacité à maintenir la barbarie hors de ses frontières, tout en nourrissant l’espoir de les abolir en civilisant l’humanité tout entière. Ce beau rêve a fait naufrage, en même temps que la mondialisation faisait des ravages. Relativisme culturel, cosmopolitisme marchand, impuissance et corruption politiques sont venus à bout de cette utopie, et plus personne ne risque non plus de ce fait d’être qualifié de sauvage ou de barbare. Du moins officiellement, et selon la nouvelle donne consistant à s’autocensurer afin de ne stigmatiser personne. Sur le terrain, par contre, la sauvagerie – ou la barbarie ? – un peu partout se déchaîne, comme on le constate aujourd’hui au cœur même du dispositif républicain qui prétendait la bannir, et non plus à ses lointaines périphéries. Comment d’ailleurs faire la différence entre ces deux formes, pour ainsi dire jumelles, d’inappétence totale à la culture comme à la civilisation ? Peut-être faudrait-il relire, pour y voir plus clair, les Lettres surl’éducation esthétique de l’homme de Friedrich von Schiller (1794). Sauvagerie et barbarie seraient en effet pour l’homme deux manières « d’être en opposition avec lui-même » : le sauvage en laissant ses sentiments prendre le pas sur ses principes, et le barbare en autorisant ses principes à ruiner ses sentiments. Or, si la culture repose sur un « antagonisme desforces », elle permet aussi de le dépasser de manière créatrice, et la conclusion de Schiller devrait à cet égard nous interpeler : « Nos contemporains cheminent véritablement sur deux fausses routes ; ils sont devenus la proie des extrêmes soit de la sauvagerie, soit de l’affaissement moral et de la dépravation[3]. » Ce n’est donc pas à la décivilisation qu’il suffit désormais de s’en prendre quand c’est la culture qu’il faudrait à tout prix sauvegarder si l’on veut que la civilisation, ou ce qui se prend pour telle, ne fabrique pas des sauvages qui soient aussi des barbares.
[1]Considérations d’un apolitique (1918), suivi de Les Exigences du jour (1930), essai dans lequel Mann réhabilite la civilisation sans dévaloriser pour autant la culture.
[2]Cf.« Rééducation nationale », dossier sur l’école dans le n° 110 de Causeur, mars 2023.
[3] Schiller, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, trad. R. Leroux, Paris, Aubier, 1992, p. 161.
Désormais, concernant le défi migratoire, pour LR aussi, les «intérêts fondamentaux» de la nation sont en jeu. Divisés sur la question des retraites, les LR pensent pouvoir s’imposer sur ce débat. Peut-être même devenir l’aiguillon de la majorité présidentielle. Entre MM. Darmanin et Ciotti, une intrigante valse démarre. C’est à qui apparaitra comme le moins laxiste… Plus à droite, que reste-t-il à la droite nationale de Marine Le Pen, ou à celle d’Éric Zemmour, elles qui étaient autrefois les championnes dans la dénonciation des dérives de l’«État de droit» ou des méfaits de l’«État profond»? Analyses.
Depuis la loi Collomb dite « asile et immigration » de 2018, la France n’a pas mis en place de grand texte répondant à l’urgence de la question migratoire contemporaine. À l’époque, la gauche avait lors des débats législatifs dénoncé un texte qu’elle qualifiait de cruel, et même, je cite de mémoire, d’« inhumain ». Daniel Cohn-Bendit et Romain Goupil, soixante-huitards gagnés au macronisme triomphant, y étaient même allés d’une tribune dans Le Monde : « En France, la loi sur l’asile et l’immigration, que le ministre français de l’Intérieur présente au Parlement français, n’apporte pas de réponse à cette urgence, pas plus que ce qu’annonce son homologue allemand. Ce n’est pas de ce tandem qui joue sur les peurs que nous attendons quelque chose de bon, ni pour nos deux pays, ni pour l’Europe ».
Collomb n’a pas pu faire ce qu’il souhaitait
Tout ce que la France compte d’associations et d’ONG de défense des immigrés, et Dieu seul sait qu’elles sont nombreuses, avait rejoint ce mouvement de « résistance » au repli sur soi franchouillard sorti du cerveau détraqué de l’extrémiste maire de Lyon. Las, il ne s’est évidemment rien passé, l’aile gauche des députés macronistes d’alors ayant amendé toutes les mesures les plus intéressantes d’un texte dont le projet était extrêmement prometteur, rappelant même le meilleur de la gauche danoise qui est aujourd’hui citée en modèle par la majorité des ténors de la droite française. Plus terrifiant encore, les amendements qui ont alors été soutenus et votés par les députés marcheurs montraient une profonde divergence avec leur ministre de l’Intérieur ; aussi naïvement sans-frontièristes que la vulgate habituelle de La France Insoumise tendance Boyard-Bilongo.
Le texte finalement adopté a même aggravé les choses, offrant notamment des mesures pour « sécuriser le droit au séjour des étrangers en situation irrégulière » et donc faciliter leur installation sur notre territoire. D’une loi pensée pour lutter contre l’immigration illégale, Gérard Collomb a vu son texte devenir une formidable pompe aspirante migratoire. Depuis son adoption, ne sont plus considérés comme sûrs les pays « persécutant les homosexuels », soit l’ultra majorité des pays d’origine des clandestins. Ce stratagème est aujourd’hui massivement utilisé par les clandestins dont certains s’illustrent dans les pages faits divers de tous nos journaux.
L’extension du regroupement familial devenu « réunification familiale » a aussi constitué un tournant et un grave précédent. Désormais, le dispositif bénéficie aux frères et sœurs de « mineurs »… Tout mineur ayant bénéficié du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire peut ainsi faire venir ses parents et ses frères et sœurs en France ! Face à l’immigration, l’Etat ne fait désormais strictement rien. Il n’est pas absent, il est résigné. Du juge administratif en passant par l’ADATE, le site info-droits-étrangers.org, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, ou encore l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, tout est fait pour favoriser l’entrée et le séjour de centaines de milliers d’individus que les Français ne veulent plus et ne peuvent plus accueillir.
Une opinion lucide sur les enjeux migratoires
Selon un sondage CSA pour CNews rendu le 12 avril 2023, 64% des Français répondent oui à la question de savoir s’il est nécessaire de « stopper l’immigration extra-européenne en France ». Ils répondent dans les mêmes proportions qu’ils soient hommes ou femmes, jeunes ou vieux. Si le clivage droite gauche est prononcé, 94 % des sondés de droite – hors « Renaissance » – se disant favorables à l’arrêt de l’immigration extra-européenne, ils sont tout de même 37% à gauche à répondre oui et 56% pour ce qui concerne les électeurs de la majorité présidentielle.
Quand on entre dans le détail avec des questions moins clivantes que celle posée par le sondage CSA CNews, comme le faisait Le Baromètre de la confiance politique de septembre 2020 par le Cevipof et OpinionWay, il ressort que les Français de tous bords politiques jugent qu’il est désormais inévitable de réduire et de mieux contrôler qui s’installe en France, a minima. Leur vision de l’immigration est aussi corrélée au « sentiment d’insécurité » et à leur confiance dans l’avenir, qu’il s’agisse de sécurité physique et matérielle comme culturelle, ou, pour parler franchement, civilisationnelle. L’étude Le regard des Français sur l’immigration de novembre 2018 pour le JDD et la Fondation Jean Jaurès montrait ainsi que 75% des sondés répondaient non à la question « Diriez-vous que les personnes issues de l’immigration sont aujourd’hui bien intégrées dans la société française ? ».
Au cours des dernières années, la question de la non-exécution des OQTF, illustrée par l’affaire du meurtre de la petite Lola ainsi que d’autres faits, mais aussi l’apparition de camps sauvages de migrants dans des grandes villes et des villages qui étaient jusqu’à présent épargnés, n’a fait que renforcer cette perception du problème par les Français.
Une droite qui se cherche autour de l’immigration
Divisés sur la question des retraites, Les Républicains pensent pouvoir s’imposer sur ce débat et peut-être devenir l’aiguillon de la majorité présidentielle. Dans ce contexte qu’ils jugent porteur, les figures médiatiques du parti ont annoncé déposer deux propositions de loi qui pourraient entrainer une réforme constitutionnelle. Ils ont aussi déclaré que s’ils jugeaient le texte qui sera proposé par le gouvernement et Gérald Darmanin en la matière trop « laxiste », ils se réserveraient la possibilité de déposer une motion de censure – laquelle n’aurait évidemment aucune chance d’aboutir, mais passons.
« Les Français nous le disent dans tous les sondages : il y a trop d’immigrés. Il faut reprendre le contrôle », a notamment déclaré Bruno Retailleau. Son comparse Eric Ciotti a lui affirmé qu’il fallait mettre un terme à « l’immigration de masse » et que cet objectif avait toujours été défendu par son parti : « Les Français doivent pouvoir choisir qui ils accueillent, qui ils ne souhaitent pas accueillir, et qui n’a plus sa place sur notre territoire ». Outre la réforme constitutionnelle proposant que l’immigration puisse être un sujet de vote référendaire, les Républicains rompent ici, au moins en façade, avec une règle tacite ancienne de leur formation politique en se déclarant favorable à ce que soit inscrit dans notre Constitution « la possibilité de déroger à la primauté des traités et du droit européen (…) quand “les intérêts fondamentaux de la nation” sont en jeu ».
Ils veulent aussi, c’est beaucoup plus ambigu, voire impossible, un Etat ne pouvant pas sonder les reins et les cœurs, que le « principe d’assimilation » soit aussi rapporté dans la Constitution. À quelques nuances près, ce projet rappelle beaucoup les fondamentaux d’une certaine Marine Le Pen et du Rassemblement national, en passe de « grand-remplacer » Les Républicains dans le cœur d’une grande partie de l’électorat de droite, surtout depuis l’élection de 90 députés qui notabilisent cette formation politique que même Emmanuel Macron n’ose plus qualifier « d’héritière du pétainisme » !
Le RN et la droite hors les murs se rebiffent
Le Rassemblement national compte aussi tirer son épingle du jeu, croyant dur comme fer que les Français préféreront l’original à la copie. « Ils crédibilisent ce que l’on dit depuis trente ans sur l’immigration et qui nous a valu d’être diabolisés », avançait ainsi Louis Aliot. Directeur général délégué d’IPSOS, Brice Teinturier va même un peu plus loin, jugeant que « si ces idées sont reprises par des responsables politiques tels que Laurent Wauquiez à l’élection présidentielle, cela donnera au RN un surcroît de légitimité. Cela les rend beaucoup plus acceptables aux yeux de l’opinion ». De fait, on se demande bien comment Les Républicains pourront encore « diaboliser » le Rassemblement national sur ce thème, étant acquis qu’ils ont repris la majorité des idées que le parti avance depuis des décennies…
Marion Maréchal a elle aussi saisi la perche tendue par Les Républicains pour revenir dans le jeu en publiant une tribune dans le journal Le Figaro, déplorant des omissions et critiquant le « bouclier constitutionnel » détaillé plus avant, tout en rappelant qu’elle serait probablement candidate aux élections européennes avec « Reconquête ! » : « Soyons en assurés, si demain les dirigeants français avaient le courage de renégocier les traités nous liant et nous incapacitant sur la question migratoire, ils ne seraient pas seuls. De nombreux pays viendraient pousser en mêlée pour obtenir, eux aussi, la maîtrise de leur politique migratoire. Partout en Europe, nos amis conservateurs en Italie, en Espagne, en Hongrie, en Pologne, en Suède, en Finlande gouvernent ou s’apprêtent à le faire: pour la première fois, nous pouvons envisager une majorité pour rompre avec le laxisme migratoire. Et en France, c’est bien davantage avec nous qu’avec des LR liés à Bruxelles aux centristes et socialistes que nos amis européens souhaitent construire un avenir protecteur pour nos enfants. »
« Si l’on peut se féliciter que la question vitale de l’immigration revienne enfin au centre des débats, le projet proposé par @lesRepublicains souffre néanmoins de deux écueils majeurs. »
Il est certain que l’alliance de différents gouvernements européens autour du contrôle de l’immigration, mais aussi la nécessité de travailler à plusieurs Etats, ne fait aucun doute. La France a d’ailleurs manqué une occasion en se brouillant avec Giorgia Meloni par l’intermédiaire du turbulent Gérald Darmanin, trop occupé à faire de la politique politicienne anti-Marine Le Pen pour penser au bien commun. Dans tous les cas, les acteurs politiques ont tous un agenda… politique. Ne m’en veuillez pas pour cette tautologie, car qui a ses intérêts bien en tête ne peut que vouloir régler ce problème majeur, ce problème existentiel qui se pose à l’Europe et singulièrement à la France.
Faut-il pour cela réviser intégralement notre Constitution ? Non. Mais il ne faut reculer devant aucune méthode et surtout rendre notre pays beaucoup moins attractif aux touristes sociaux. Un clandestin ne doit pas pouvoir rester, ni jamais revenir. Quand on veut entrer quelque part, on sonne à la porte. Si nous réglions déjà ce sujet central de la question migratoire, nous aurions fait un immense pas en avant. Il n’est d’ailleurs pas obligatoire d’avoir toute la panoplie « réac » pour constater que nous devons agir et que nous le devons aux générations futures. Les Danois ne vivent pas en dictature, ni même dans une terre qu’on pourrait qualifier de rétive au progressisme. Pourtant, ils font le strict minimum.
Je veux d’ailleurs croire à la bonne fois de la majorité des fonctionnaires, et même à celle d’Eric Dupond-Moretti qui a confessé benoitement que toutes les OQTF ne pouvaient pas être appliquées. C’est bien vrai et c’est tout le problème. Quand il y a de la volonté, il y a un chemin. Le deuxième round aura lieu à l’Assemblée. Emmanuel Macron saura-t-il saisir l’opportunité qu’il avait manquée avec Gérard Collomb lors du premier quinquennat ? Réponse à la rentrée.
D’octobre 1789 à août 1792, Louis XVI, Marie-Antoinette et leurs enfants sont enfermés au palais des Tuileries. La famille royale suit malgré elle cette Révolution qui lui échappe et tente de la combattre. Une exposition aux Archives nationales nous plonge dans cette tragédie humaine et historique.
Entre le château de Versailles et la prison du Temple puis l’échafaud, la famille royale doit vivre aux Tuileries. Contrainte d’habiter ce palais au cœur de Paris dès le 6 octobre 1789, elle y demeure jusqu’au 10 août 1792. Durant près de trois ans, Louis XVI, Marie-Antoinette et leurs enfants vivent au rythme des soubresauts d’une révolution dont on ignore l’issue. Incroyablement documentée – et pourtant peu connue du grand public –, cette période charnière de notre histoire est dévoilée aux Archives nationales. Des objets du quotidien nous plongent dans l’intimité des souverains et de la cohorte qui les entoure – leurs geôliers, les soldats, la cour, les fournisseurs… –, et des documents exceptionnels nous permettent de découvrir l’intense activité diplomatique de Marie-Antoinette – sa correspondance secrète – ainsi que les efforts désespérés de Louis XVI pour tenter de maintenir les fondements de la monarchie millénaire dont il a hérité.
Le décor et les acteurs de cette tragédie ont disparu – la famille a été décimée et le palais, incendié sous la Commune en 1871, a été démoli. Restent des témoins matériels, des tissus brodés, des lettres codées, des cartes à jouer, des journaux intimes… De quoi toucher l’histoire des yeux pour mieux la comprendre.
Entretien avec Emmanuel de Waresquiel, co-commissaire de l’exposition sur la famille royale aux Tuileries avec Isabelle Aristide-Hastir et Jean-Christian Petitfils.
Causeur. D’octobre 1789 à août 1792, la famille royale est contrainte de séjourner au palais des Tuileries. Est-ce une parenthèse avant que la Révolution ne devienne un rouleau compresseur ?
Emmanuel de Waresquiel. Les Tuileries ont en effet été une parenthèse, un pas de deux entre l’absolutisme monarchique et la République ; on a tendance à occulter cette période alors qu’elle est extrêmement bien documentée. Cela correspond à un rêve français de monarchie constitutionnelle qui n’est jamais advenu. Si la Constitution de 1791 a bien été signée – à contrecœur – par Louis XVI, elle a duré à peine plus d’un an. Elle était en réalité inapplicable.
Dans quel état d’esprit sont le roi et la reine en arrivant au palais ? Pensent-ils pouvoir rentrer un jour à Versailles ?
Ils ne le pensent pas. Le mot qui revient le plus souvent dans la correspondance de Marie-Antoinette est « malheur ». La famille a parfaitement conscience de son emprisonnement aux Tuileries, d’être privée de liberté, et cette conscience-là ne fait que croître lorsqu’on les empêche – avant même la fuite à Varennes (20 juin 1791) – de se rendre à Saint-Cloud pour la fête de Pâques de 1791 ; l’année précédente, elle avait pourtant pu y passer l’été. En 1790, la famille bénéficie encore d’un régime de semi-liberté surveillée, ce qui permet notamment au roi d’aller chasser. Mais tout cela fond comme neige au soleil dès les premiers mois de 1791.
Le quotidien de la famille est-il rythmé par une étiquette aussi stricte qu’à Versailles ?
Elle est moins stricte, mais l’on constate encore la présence d’une cour, à tel point que certains de ses personnages-clefs, comme la princesse de Lamballe, vont la rejoindre aux Tuileries après avoir émigré en 1789. Demeurent aussi un certain temps les maisons civile et militaire du roi, qui ont toujours importé à Louis XVI. Il va, jusqu’au dernier moment, tenter de conserver sa maison militaire, en particulier ses Cent-Suisses, commandés par le duc de Brissac. Mais après la fuite à Varennes, la garde royale est dissoute pour laisser place à une garde constitutionnelle qui, elle-même, est rapidement remplacée, car considérée comme contre-révolutionnaire par les députés. Quant à Brissac, il est arrêté et massacré en 1792.
L’exposition présente une partie de la correspondance que Marie-Antoinette a entretenue avec différentes personnalités européennes. Peut-on dire que la reine se révèle à ce moment-là, qu’elle montre un visage ignoré jusque-là ?
La Révolution l’oblige à faire de la politique, ce qu’elle déteste ! Elle arrive en France en 1770 comme caution de la nouvelle alliance franco-autrichienne et, dès ses débuts à Versailles, elle est stigmatisée comme une étrangère et méprisée des élites. Ce sont elles qui lancent des quolibets repris plus tard par le peuple et qui lui collent à la peau jusqu’à son procès : « l’Autrichienne » ou « la Poule d’autruche » – une caricature la montre ainsi en disant : « Je digère l’or, l’argent avec facilité / Mais la Constitution je ne puis l’avaler. » Elle fait donc de la politique à contrecœur, mais elle en fait. À partir de 1789, elle doit faire face à une double tragédie, la mort de son fils aîné, le 4 juin à Meudon, et le surgissement de la Révolution, au mois de juillet. Il est intéressant de voir que jusqu’à l’été 1789, elle parle du roi comme étant celui qui est « au-dessus de moi », et qu’à partir de cette date, elle parle de son mari comme celui qui est « à côté de moi ». Cela ne veut pas dire qu’elle fait de la politique à la place du roi. Louis XVI est toujours le dernier décisionnaire, pour autant qu’il puisse encore prendre des décisions. En tout cas, aux Tuileries, elle entretient une abondante correspondance de conspiratrice, une correspondance secrète et codée qui parvient à ses destinataires à travers l’Europe par toutes sortes de stratagèmes.
La reine tente de résoudre les deux difficultés majeures auxquelles elle est confrontée. Elle doit d’abord conserver et défendre les droits de son fils contre les frères de son mari qui ont émigré, les comtes de Provence et d’Artois. Tous deux veulent à tout prix prendre la régence à la place de la reine. Marie-Antoinette doit donc, d’un côté, se défendre contre cette adversité au sein même de la famille royale et, de l’autre, œuvrer contre cette révolution qu’elle ne comprend pas – ce soulèvement demeure à ses yeux une coalition de factieux et de brigands. Même si elle n’en comprend ni les raisons ni les enjeux, elle fait de la politique de façon beaucoup plus prudente qu’on ne le pense. Ainsi déconseille-t-elle jusqu’au dernier moment une entrée des troupes de la coalition sur le territoire de France.
On peut lire quelques-unes de ses lettres adressées au comte de Fersen. Depuis peu, celles-ci ont été « décaviardées » numériquement et font apparaître des mots doux. Est-ce une découverte importante pour l’historien que vous êtes ?
Oui et non. C’est touchant, car les quelques phrases qui terminent ces lettres sont d’une très grande tendresse mais, en même temps, cela ne dit pas grand-chose des véritables rapports qui les unissent – « Ont-ils été jusqu’au dernier transport ? » comme dit Chateaubriand au sujet de Mme de Beaumont… Cela ne permet pas d’en savoir davantage sur la nature profonde de leurs liens. Je pense que ce sont des rapports de chevalerie. Fersen est son homme lige. Les phrases qui ont été décaviardées sont d’une extrême retenue. Il ne faut pas oublier que Marie-Antoinette est la fille de Marie-Thérèse d’Autriche, elle a beaucoup de pudeur et une certaine froideur. C’est un trait de la correspondance féminine au xviiie siècle. On ne trouve jamais de mots crus ou d’allusions sexuelles. C’est d’une extrême réserve. On ne sait donc toujours pas ce qui s’est passé entre eux ! Mais c’est touchant. Notamment la lettre qu’elle lui envoie juste après la fuite à Varennes et dans laquelle elle écrit : « J’existe encore. » Il y a des passages d’une très grande émotion. Mais Marie-Antoinette est sûrement restée fidèle à son mari, d’autant que la Révolution les a rapprochés.
Que souhaitez-vous que le public retienne de cette exposition ?
On a voulu mettre en avant la personnalité du roi et celle de la reine. Dans cet entre-deux tragique, ils se sont trouvés. D’un côté le courage de Marie-Antoinette face à l’adversité, un courage aveugle mais un courage quand même, et d’un autre côté ces tentatives désespérées de Louis XVI qui joue un double jeu entre l’absolutisme monarchique – auquel il est resté fidèle – et la Constitution à laquelle il ne croit pas et qui contrevient à toute son éducation de prince chrétien. Cet épisode de la Révolution est extrêmement intéressant : jusqu’où le roi peut-il incarner la nation et à quel moment ne l’incarne-t-il plus ? Cette période des Tuileries, intermédiaire, transitoire, est l’une des étapes les plus importantes de la radicalisation de la Révolution, c’est pourquoi elle mérite d’être mieux connue.
À voir « Louis XVI, Marie-Antoinette et la Révolution : la famille royale aux Tuileries (1789-1792) », aux Archives nationales, Paris, jusqu’au 3 juillet, puis du 30 août au 6 novembre 2023.
Catalogue : Isabelle Aristide-Hastir, Jean-Christian Petitfils et Emmanuel de Waresquiel (dir.), Louis XVI, Marie-Antoinette et la Révolution : la famille royale aux Tuileries (1789-1792), « Beaux Livres », Gallimard/Archives nationales, 2023.
Après sa sortie sur le RN « héritier de Pétain », Emmanuel Macron a « recadré » Elisabeth Borne en Conseil des ministres. Selon lui, ce n’est pas la bonne stratégie que doivent employer les progressistes pour contrer le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella. On ne fera pas croire aux 13 millions de Français qui ont voté pour Marine Le Pen qu’ils sont des fascistes. Depuis, les éditorialistes glosent sur la mauvaise entente du couple exécutif…
Voilà qui est amusant ! Emmanuel Macron a employé presque les mêmes mots que Marine Le Pen. En privé, cette dernière estime que la stratégie antifasciste contre son parti (« F comme fasciste et N comme nazi ») est ringarde, très années 80. De son côté, Emmanuel Macron trouve la sortie de son Premier ministre naïve. Sans la citer nommément – mais tout le monde a très bien compris – il y est allé à l’arme lourde, déclarant qu’on ne combattait pas l’extrême droite avec les « mots des années 1990 ».
Alors qu’il y a une règle qui dit que normalement on n’évoque pas les questions de politique intérieure depuis l’étranger, il en a même remis une couche hier depuis Bratislava, assurant de façon peu convaincante qu’Elisabeth Borne conservait toute sa confiance malgré ses récents propos sur le parti de Marine Le Pen…
Précisons tout de même qu’Elisabeth Borne a un peu l’excuse biographique – son père s’est suicidé, quelques années après son retour des camps de la mort. Mais, en même temps, c’est tout de même une vieille routière politique.
Cette sortie est d’abord une ânerie historique. Bien sûr, il y avait des pétainistes au FN de 1972, personne ne le nie. Et d’ailleurs, il y en avait sans doute un peu partout dans la classe politique de l’époque. De plus, beaucoup de gaullistes et de résistants sont passés par Vichy (on peut citer l’ancien Premier ministre, Maurice Couve de Murville, jusqu’en 1943). Il y avait aussi au FN de Jean-Marie Le Pen des débuts des admirateurs d’Hitler. Pour autant, est-ce que son programme, et a fortiori celui du RN de sa fille, est nazi ou pétainiste ? Avec quel occupant ou dominant ce parti prônerait-il la collaboration ? En réalité, la soumission devant une idéologie autoritaire ou totalitaire (comme l’islam radical) se situe aujourd’hui plutôt à gauche. Remarquons par ailleurs qu’il y a aussi d’anciens maos, d’anciens staliniens ou d’anciens trotskystes au PCF, au PS ou à la France Insoumise. Qui le leur reproche ? Enfin, on se rappelle que Marine Le Pen a rompu avec pertes et fracas avec son père, après une interview dans Rivarol où, justement, il en rajoutait dans la provoc’ pétainiste. Ânonner, comme on l’entend tous les matins sur les ondes, que Marine Le Pen est la même que son père, est donc imbécile.
Reductio ad petainum
Macron a-t-il eu raison de faire une telle mise au point ? Oui, mille fois raison ! Intellectuellement et surtout politiquement.
Le philosophe américain Léo Strauss a inventé la reductio ad hitlerum. Pour faire taire l’adversaire, on brandit Hitler. Pour clore tout débat en France, on a adapté ce concept avec la reductio ad petainum. Vous êtes contre l’immigration ? Vous êtes pétainiste ! Vous n’aimez pas l’écriture inclusive ? Vous voilà vous aussi pétainiste ! À l’ombre flatteuse du plus jamais ça, la gauche, qui n’a plus rien à dire aux classes populaires, n’en finit pas de se trouver belle et bonne dans le miroir qu’elle se tend à elle-même. Et elle n’en démord pas aujourd’hui : elle juge évidemment les derniers propos de Macron irresponsables, indignes. Et estime qu’il a eu grand tort de recadrer Elisabeth Borne.
L’ennui, c’est que le bon peuple se fiche comme d’une guigne de ce chantage moral.
Emmanuel Macron l’a compris : « On n’arrivera pas à faire croire aux millions de Français qui ont voté pour [Marine Le Pen] qu’ils sont fascistes ». Autrement dit, contre le RN, foin de moraline, il faut mener un combat politique. Quelle merveilleuse découverte ! Mais il est bien dommage de penser qu’il n’aura pas l’occasion de l’appliquer.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio
Au nom du Bien et du Progrès, le monde universitaire sait faire taire ceux qui, en son sein, ne pensent pas dans le sens de la doxa. Ce qui reste d’esprit libre, pour ne pas dire critique, est muselé, surveillé, dénoncé, traqué, accusé puis condamné.
« Faudrait lui faire un procès, à celui-là ! » C’est ainsi que la vice-présidente d’une université de province considère un collègue dont les positions n’ont pas l’heur de lui plaire. Un procès pour quoi ? Pour divergence d’opinions ?
Dans le monde universitaire, il semble acquis que le désaccord doive se régler dans les prétoires de la mise en conformité et que l’hétérodoxie idéologique doive être punie. L’altérité ne s’envisage plus que comme adversité. Si vous ne plaisez pas, vous méritez d’être interdit, censuré, sanctionné. Remettre en cause l’écriture inclusive suffit pour sentir le soufre, alors toucher aux Frères musulmans, vous n’y pensez pas. Les arguments objectifs n’ont plus cours : certains savants ont même déclaré la fin de la rationalité pour cause d’ethnocentrisme occidental. Seule la morale compte. C’est le retour des chaisières, du pointage du doigt et de la mauvaise réputation.
Supériorité jargonnante
Les sujets sont prévisibles : la laïcité est suspecte d’islamophobie, l’hétérosexualité est une oppression, le pluriel provoque une scandaleuse invisibilisation des femmes, l’objectivité est un outil des dominants… La fameuse Déconstruction est intouchable, au point même d’avoir été décrétée indéfinissable par saint Derrida, si bien qu’elle se confond avec tout ce qu’on peut vouloir lui faire dire.
On pourra ainsi « déconstruire » tout ce qui passe, « démasculiniser les sciences », déconstruire la « race » ou « les privilèges », faire des colloques pour parler de l’« ignorance blanche », et même accuser ses collègues sociologues[1] d’être des « hommes, blancs, hétérosexuels, etc. ». On frémit à l’idée de ce que renferme l’infamant « etc. » !… En rhétorique, on parle d’aposiopèse pour désigner ce sous-entendu, ce non-dit laissant imaginer les pires turpitudes : c’est une technique argumentative où l’allusion se suffit à elle-même. La connivence que suppose ce genre de mise au pilori (« on sait de qui on parle… ») montre l’entre-soi d’une caste qui ne se soucie pas de convaincre, mais de dénoncer. Un tel racisme-sexisme décomplexé prétend même constituer une « épistémologie ». De fait, épistémologique et scientifique sont désormais les mots qu’il faut brandir pour valider son réquisitoire. Car les universitaires, tout à leur supériorité jargonnante, ne peuvent s’insulter sans prétendre que c’est la Science qui les anime.
Il semble que bon nombre d’universitaires soient revenus aux fondamentaux de la tradition ecclésiastique de surveillance doctrinale ou, plus récemment, de l’ordre vichyste : imposer l’orthodoxie et traquer les déviants. Il suffit alors de déchoir de leur scientificité les collègues en promouvant des charlatans. De tels imposteurs peuvent manipuler l’histoire à loisir, ils ne risquent que de devenir la voix du pouvoir : on peut ainsi inventer une fantasmagorique masculinisation de la langue française à partir d’exemples fallacieux et devenir la référence des acteurs politiques. Les démentis des véritables spécialistes[2] n’y font rien – que peuvent les données face à l’orthodoxie idéologique ?
Ce climat de délation s’accompagne d’un retournement victimaire : à la moindre critique, ceux qui traquent le réac et engrangent les financements se roulent par terre comme un footballeur effleuré pour prétendre être victimes du retour des heures sombres. On notera, question heures sombres, que ce camp idéologique a l’habitude de vénérer le nazi Heidegger, d’être antisioniste et de trouver des excuses au djihadisme palestinien. Certains ont même nommé leur chat Yasser, c’est vous dire. C’est là un tropisme islamo-gauchiste que l’on reconnaît facilement à ce qu’il n’existe pas selon les éminentes spécialistes scientifiques qui le défendent.
Et gare à vous si vous faites remarquer ces complaisances idéologiques. Le protocole est simple : on délégitimera les rebelles avec force tribunes en les considérant comme des ennemis idéologiques. C’est là le triomphe de l’apodioxie, figure argumentative consistant à refuser par avance le débat en prenant une position de supériorité et en déconsidérant son contradicteur : la traditionnelle accusation de conservatisme (« réac » dans sa version agressive) en est l’incarnation la plus fréquente[3].
L’humanisme, le progrès et la justice
Tel est désormais le socle rhétorique de la meute. Bien sûr, c’est toujours au nom de l’Humanisme, du Progrès et de la Justice qu’on aménagera l’ostracisme. Les Maîtres-Mots que décrivait Milner[4] sont les armes faciles du débat de mauvaise foi : « Celui qui détient l’un d’entre eux l’emporte dans tous les affrontements. » Parmi les nouveaux Maîtres-Mots : invisibilisation, intersectionnel, patriarcat, minorisé, genre, déconstruction… Leur sanctuarisation est telle que les critiquer vous exclut de l’humanité fréquentable. Les directeurs de recherche et de conscience, sorbonnards de l’excommunication, n’ont qu’à compter sur l’inertie de ceux qui ne veulent pas faire de vague et sur les bonnes affaires que représentent les financements pour délimiter de nouveaux conformismes.
Le continuum entre l’adoption de nouvelles modes et la mise au pas des récalcitrants se réalise au nom du care. Même la censure des textes passe pour de la « réécriture sensible ». La futilité devient épistémologie et sa normalisation exige l’exclusion des têtes qui dépassent. C’est ainsi que chacun se mêle de faire de la haute philosophie politique en étudiant Pif le chien ou les atermoiements des travailleurs de l’anus. C’est ça, la science aujourd’hui. Quiconque y trouve à redire se fera prendre de haut par les nouveaux savants : heureusement, les élites pensent pour vous.
[1]. IsabelleClair, « L’intersectionnalité, une menace pour la sociologie (et les sociologues français) des classes sociales ? », Astérion, 27/2022, journals.openedition.org.
[2]. Le Genre grammatical et l’Écriture inclusive en français, Revue Observables n° 1, juin 2021 ou Sophie Piron, « Le masculin polémique : contre-argumentaire historique sur le e féminin et les noms de métiers», Circula, n° 15, Université de Shebrooke, 2022.
[3]. La Mauvaise foi, un dispositif discursif ?, Revue Observables n° 2, 2022. Textes de Pierre-André Taguieff, Daniel Sibony, Yana Grinshpun…
[4]. « Une conversation sur l’universel », Cahiers d’études lévinassiennes, n° 6, 2007.
La chroniqueuse Maïa Mazaurette dans l'émission "Quotidien" du 19 mai 2023. Image: capture d'écran MyTf1
Contrairement à ce qu’a raconté Quotidien, le 19 mai, les préservatifs et sex-toys ne représentent pas 223 millions de tonnes de déchets par an en France.
Les maraîchers et autres producteurs qui pensaient se refaire la cerise sur le sexe vert (carottes, concombres, voire butternuts), peuvent remballer leurs outils. Les décomptes à la mords-moi le jonc de Maïa, la madame cul-cul de Quotidien, sont faux. Enfin, pas faux-faux, juste une « erreur de rapidité » avouée bien volontiers aux checknewseurs de Libé. Elle a juste sauté un mot dans sa compréhension de l’article d’origine (cadeau de Noël) de « Glamour Magazine » du 25 décembre 2019.
« Think about it : condoms, sex toys, lube, even the pill, all have a seismic environmental impact ; contributing to an estimated 222.9 million tonnes of waste in the UK a year – it’s enough to make you cross your legs forever ».[1] Contributing Maïa ! Contributing ! Vous avez sauté contributing. Vraiment, où avez-vous la tête ? la partie n’est pas le tout. Et, votre chiffre de 223 millions, là encore, ça ne va pas du tout. Il s’agit des Anglais, pas de nous. Deuxième « approximation » donc. Mais, le plus stupéfiant dans cette histoire, c’est que chez Quotidien, cette info (qui entre nous n’est pas de première fraîcheur) n’a l’air d’étonner personne. Plusieurs hypothèses :
– ce chiffre correspond à leur consommation personnelle, – aucun d’entre eux (chef compris) ne sait « combien pèse » une tonne, – aucun d’eux (chef compris) ne sait faire deux petites divisions vite fait et trouver que plus de 3 000 kilos de « déchets sexuels » par an, par Français, enfants compris, ça fait quand même au moins huit kilos par jour et par personne, – ils ne sont là que pour rigoler sur commande, ils ne peuvent pas penser en même temps, – ils n’ont pas le droit de la ramener, – ils (toujours chef compris) ne font pas attention ce qu’elle raconte, – ils gobent n’importe quoi.
[1] « Pensez-y : les préservatifs, les sex-toys, les lubrifiant, voire la pilule constituent des séismes pour l’environnement ; en contribuant aux 222,9 millions de tonnes estimés de déchets annuels du Royaume-Uni. Assez pour vous faire croiser les jambes à jamais ».
Non, Monsieur le président, nous n’avons pas affaire à la «décivilisation».
De la surenchère verbale
L’idée valait bien que l’on ré-invente un mot, mais encore eut-il fallu qu’il reflétât parfaitement ce que ce terme évoque, or ce n’est pas le cas. Quitte à proposer un mot, il eut mieux valu parler de « dé-civilité », selon moi. Il ne s’agit pas de critiquer un soi-disant emprunt d’Emmanuel Macron à un théoricien d’extrême droite, car si le président était d’extrême droite ou même de droite, cela se saurait… Mais, la civilisation ne disparait pas au gré des caprices et de l’escalade de faits divers aussi violents, sordides et fréquents soient-ils, même s’ils augmentent depuis longtemps déjà.
Mal nommer les choses…
La civilisation est un héritage, un ensemble de choses intégrant la culture, les habitudes d’un pays, une philosophie, le résultat de pratiques religieuses, le socle construit depuis des siècles de ce qui nous nourrit et crée notre identité collective et individuelle. La civilisation, les civilisations, sont notre fierté d’appartenir à l’humanité, notre raison d’être, même inconsciemment ; et un tel abus de langage ne fait qu’empirer le déclin que nous percevons : « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » disait Camus et, franchement, nous n’avons pas besoin de ça.
Ce « malheur », nous le vivons et le ressentons de plus en plus. Un découragement éprouvant et diffus nous gagne.
Mais alors, comment traduire la réalité et le pourquoi de cette forme de désescalade comportementale ? Car ce n’est pas non plus de « décadence » dont il s’agit, comme nous avons tendance à le dire dans les moments d’abattement face à l’actualité. On parle régulièrement d’incivilités, une dénomination adorée des médias et des gens bienveillants (qui préfèrent ne pas nommer les choses et les édulcorent : c’est moins grave de parler d’une simple « incivilité » que d’une agression crapuleuse). Le terme, toutefois, prend tout son sens pour résumer un incivisme général en l’occurrence ; on peut dès lors parler d’une véritable « dé-civilité » pandémique. Pourquoi tant de violences, de comportements irresponsables, de manque de respect permanent, de désobéissance civique, de laxisme verbal et vestimentaire, de refus des codes de la politesse qui polissaient nos rapports humains ? Les bonnes manières bourgeoises avaient quand même du bon. Il est bien regrettable qu’aujourd’hui tant de monde se pique de les mépriser.
L’exemple vient d’en haut
Avant de jeter la pierre aux civilisations qui parfois s’entrechoquent, regardons-nous individuellement et notons les terribles exemples qui nous viennent d’en haut ; en l’occurrence de ceux qui nous gouvernent, ceux que nous avons élus ! Les temples de la République, comme l’Assemblée nationale, sont foulés aux pieds. Les insultes pleuvent, les doigts d’honneur, les symboles en forme d’effigies décapitées dans les manifestations, ou de têtes en forme de ballons de foot représentant un ministre… Il est facile de dire que la politique a toujours eu ses excès verbaux, mais leur diffusion aujourd’hui, entre autres à cause des réseaux sociaux, donne une ampleur inconnue à ce désordre qui lamine le respect minimal qui doit nous gouverner. Sans compter qu’il n’y a aucune sanction à ces insultes : qui est viré ? Qui est démis de ses fonctions ? Qui n’a plus le droit de se représenter ? Y a-t-il encore un règlement dans l’avion ? À l’Assemblée nationale, les seuls qui ont de la tenue, ce sont encore les huissiers !
On peut comprendre la décision, intuitive et de bon sens, qui a fait exiger, de la part de leur présidente de groupe, que les nouveaux élus du RN se tiennent bien, tout simplement. Et on peut s’interroger sur le fait que les intentions de vote croissantes de ce parti ne tiennent peut-être qu’à cela…
Mais nous avons un chef, un président de la République. Et avant que ce dernier n’accuse le déclin de la civilisation, pourrait-il reprendre la barre et adopter un comportement qui suscite le respect et même la crainte ? Sans réelle autorité (laquelle n’a rien à voir avec l’autoritarisme), sans l’exigence de la dignité de la fonction de tous les ministres, élus et membres du gouvernement, sans l’obligation d’une probité absolue, le pays se noie dans la provocation. Quand le chat n’est pas là, les souris dansent dans une ambiance de rave-party qui dégénère. Rien à voir avec la civilisation, même si d’autres pays sont atteints de cette maladie d’incivisme, les mêmes causes produisant les mêmes effets (voir M. Trump, qui n’est pas un exemple pour l’Amérique…)
Dis-moi qui te gouverne, je te dirai comment ton peuple se comporte. Ne parle-t-on pas des « rênes du pouvoir » ? Qui les tient ?
L’entrée sur le 5 juillet 1962 à Oran du Dictionnaire de la guerre d’Algérie (Éditions Bouquins, 2023) est problématique.
Le Dictionnaire de la Guerre D’Algérie que nous offrent Tramor Quemeneur et Sylvie Thénault est un opus très pondéreux qu’une longue étude pourra seule permettre d’évaluer correctement. En attendant, je me penche ici sur l’entrée de ce dictionnaire, traitant du 5 juillet 1962, confiée à un archiviste algérien, Fouad Soufi. Un mot sur ce personnage que je connais peu ; sa réputation, y compris parmi nos compatriotes, est celle d’un homme bienveillant et peu dogmatique. Il n’en demeure pas moins qu’il fut erroné de lui confier cette tâche. Il est fonctionnaire du gouvernement algérien et il est très légitime de s’interroger sur sa liberté de manœuvre. Voici plusieurs années en effet que certains historiens français veulent nous faire croire que le point de vue de nos confrères d’Outre-Méditerranée est important, voire indispensable. Comme si l’Algérie était une démocratie attitrée, patentée et certifiée. Ce n’est évidemment pas le cas et rares sont les intellectuels algériens, vivant en Algérie, qui peuvent s’affranchir, sans de gros risques, de la doxa officielle et de la réécriture d’État de l’Histoire. Car, pour les bureaucrates qui dirigent ce pays, il y a une version officielle du 5 juillet à Oran : il n’y a pas eu de massacre. Militaires algériens, ATO et militants du FLN n’avaient que le souci d’organiser correctement le référendum d’Indépendance et de célébrer ensuite.
On retrouvera tous ces points dans l’entrée concernée, aux pages 253, 254, 255 et 256 du dictionnaire. Tout au plus l’auteur concède-t-il qu’il y eut « des massacres » d’Européens touchant ceux qui habitaient Eckmühl, le Petit-Lac et Victor-Hugo. Ces deux dernières zones comptant peu d’habitants pieds-noirs, surtout à cette époque, ceci revient à minimiser les faits. Selon l’auteur, « rien dans le passé immédiat ne permettait d’envisager un tel drame » (sic). Nous pensons, quant à nous, que beaucoup de choses permettaient au contraire de le redouter[1]. Nous renvoyons pour cela à nos ouvrages dont La Phase Finale de la Guerre d’Algérie. Car, il faut d’ores et déjà signaler la faiblesse fondamentale des pages susmentionnées. Les résultats des travaux effectués depuis 60 ans par des historiens français sont “oubliés”. Sans vergogne. Guy Pervillé, Guillaume Zeller manquent à l’appel. Le film de Georges-Marc Benamou n’est pas évoqué. Jean-Jacques Jordi figure en tête des oubliés de marque. Lui, qui a patiemment travaillé sur les listes de disparus, les a minutieusement vérifiées, contrôlées et complétées, est aujourd’hui en mesure de présenter une liste précise de victimes dont la majorité est constituée de gens toujours portés disparus.
Mais voilà : le gouvernement algérien a récusé les travaux de Jordi. Il l’a même traité de ”révisionniste” ou de quelque chose d’approchant. Exeunt donc Jordi et ses chiffres. On ne s’étonnera guère qu’il soit totalement absent de l’article précité. Ce texte se termine d’ailleurs de façon ahurissante. Selon l’auteur, « l’absence de nombreuses archives contribue à entretenir le silence à ce sujet ». On nous permettra d’ajouter : la censure algérienne aussi. Quelles sont donc ces archives dont le manque empêcherait encore de conclure et d’échapper aux chiffres contradictoires ? Celles de l’Association des Familles de Disparus (de M. Domard devenue plus tard l’ADDFA[2]), celles de l’Association de Sauvegarde de René Soyer[3], celles de la sous-délégation de la Croix-Rouge d’une part ; celles d’autre part, de l’Association du Comité Provisoire de liaison population/ autorités administratives, celles de l’ALN et celles de la Commission Mixte de Réconciliation.
Concernant les trois premiers groupes d’archives, il s’agit de documents français ou suisses, consultables. Les trois derniers ne le sont pas, mais il s’agit d’archives algériennes. Nous attendons par conséquent que la partie algérienne les ouvre. Avec intérêt et sérénité.
[1] Mme Thénault semble d’ailleurs le penser. N’a-telle pas écrit:”… crainte et défiance créant les conditions d’un embrasement à l’heure des engagements radicalisés.” Cette phrase est extraite de son livre Histoire de la guerre d’Indépendance algérienne et figure dans l’article étudié page 256.
[2] L’ADDFA (l’Association de Défense des Droits des Français d’Algérie) fut créée et animée par cette personne, entre autres. Ses listes furent récupérées et sont aujourd’hui détenues par le GRFDA: Groupe de Recherche des Français Disparus en Algérie dont la présidente est Mme Ducos-Ader.
[3] Nous avons recueilli le témoignage d’une collaboratrice directe de René Soyer. Il est au CDHA: Centre de Documentation Historique sur l’Algérie à Aix. D’autres archives de M. Soyer sont au SHD : Service Historique de la Défense à Vincennes.
Avec son désir sérieux et sincère d’un nouveau puritanisme, notre chroniqueur voudrait battre en brèche cette propension à ériger la nudité inutile comme critère décisif et les scènes d’amour hard pour le comble de l’audace et de la création
Personne n’a de leçons à me donner. J’aime autant la beauté que quiconque, la grâce et l’allure des corps, l’allégresse puissante et douce des rapports intimes, la sensualité des gestes, le ravissement face à des êtres dont on est fier qu’ils appartiennent à la même humanité que la nôtre. Mais je refuse que cet univers splendide et émouvant soit de plus en plus dévoyé, instrumentalisé, exhibé dans des œuvres, des films qui jouent sur une curiosité et une vision malsaines plus que sur les authentiques nécessités de l’art. Ce n’est pas au nom de la morale que je dénonce ces dérives, mais à cause de la bassesse et de la dégradation du talent. Ou de son absence. Il est vrai que ce n’est pas le seul procès que, dans le fond, nous pourrions intenter au cinéma français. Par exemple, des réalisateurs qui se croient, à tort, doués pour l’écriture des scénarios, des histoires tellement plates et quotidiennes qu’elles copient mal le réel, en le banalisant encore davantage. Au lieu d’exalter le spectateur, de le rendre enthousiaste, éperdu de reconnaissance à l’égard de quelques rares cinéastes enchantant son existence avec leur fiction. Ce n’est pas privilégier l’eau de rose, c’est considérer que le génie a cet avantage si particulier de rendre tout splendide, même le laid et le triste.
Mais, avec mon désir sérieux et sincère d’un nouveau puritanisme, je voudrais surtout battre en brèche cette propension à ériger la nudité inutile comme critère décisif et les scènes d’amour hard ou flou pour le comble de l’audace et de la création. Ces dernières sont la plupart du temps parfaitement pléonastiques et révèlent seulement, derrière l’argumentation prétendument artistique, une volonté de permettre au spectateur de « se rincer l’œil » en lui donnant bonne conscience puisque le plus simple appareil des actrices serait, parait-il, nécessaire au déroulement du récit. J’évoque en l’occurrence la multiplication de ces scènes et de ces séquences – pas forcément aussi longues que dans La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche – où on cherche à nous mettre les points sur les i et la caméra sur les corps alors que la classe serait dans la litote, l’allusif et un dialogue qui au matin nous révélerait la frénésie de la nuit. Mais ce serait sans doute trop élégant. Quelle perversion intellectuelle et artistique d’encombrer notre regard avec tant de scènes exclusivement racoleuses. Quand on n’éprouve pas le besoin, par vérisme, de nous faire assister à ce moment capital de personnages urinant ou déféquant ! En se complaisant, par le culte d’une fausse provocation, mais d’une vraie vulgarité, dans ces séquences qui réduisent trop souvent le rôle des actrices à des exhibitions corporelles, le cinéma montre ses limites et surtout qu’il est incapable, en usant de toute la gamme des mots, des sentiments, des sensations, de montrer ce dont sa salacité si ordinaire nous abreuve. Avec le progressisme ridicule dont certains se prévalent.
D’ailleurs, pour s’en convaincre, il suffit de lire les interviews d’actrices – par exemple, Virginie Efira ou Lily-Rose Depp – où la question inévitable survient sur leur gêne ou non face à la nudité. Bien sûr, la plupart répondent que cela ne leur pose aucun problème, que montrer leur corps ne les dérange pas et elles ajoutent souvent: quand l’histoire l’impose… Mais comme, à quelques exceptions près, la narration pourrait toujours s’en dispenser, on voit dans quoi on tombe… Heureusement, il y a des résistants et évidemment ce sont les meilleurs, ceux qui honorent notre cinéma. Je songe à Emmanuel Mouret, dont les films où le langage est roi sont emplis d’une pudeur fine et profonde – voir mon billet du 17 septembre 2022 – et à Maïwenn qui a déclaré qu’elle n’aimait pas la nudité dans ses films et qui a réussi, dans le remarquable Jeanne du Barry, le tour de force de nous décrire l’intensité d’une passion amoureuse sans le moindre recours à des appâts ostentatoirement et inutilement découverts. Ce nouveau puritanisme auquel j’aspire n’a rien à voir avec la moraline qui censurait les scènes de sexe au nom de la décence, mais tout avec le talent et l’intelligence qui ont compris que ce qui est deviné est infiniment plus troublant que la nudité surabondamment exposée.