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La Révolution, une tragédie familiale

« Louis XVI, Marie-Antoinette et la Révolution : la famille royale aux Tuileries (1789-1792)», aux Archives nationales, jusqu'au 6 novembre 2023


La Révolution, une tragédie familiale
Lettre chiffrée envoyée, le 29 juin 1791, par Marie-Antoinette à Bruxelles au comte Mercy et reçue par le comte de Fersen, le 4 juillet 1791 © Archives nationales de France.

D’octobre 1789 à août 1792, Louis XVI, Marie-Antoinette et leurs enfants sont enfermés au palais des Tuileries. La famille royale suit malgré elle cette Révolution qui lui échappe et tente de la combattre. Une exposition aux Archives nationales nous plonge dans cette tragédie humaine et historique.


Entre le château de Versailles et la prison du Temple puis l’échafaud, la famille royale doit vivre aux Tuileries. Contrainte d’habiter ce palais au cœur de Paris dès le 6 octobre 1789, elle y demeure jusqu’au 10 août 1792. Durant près de trois ans, Louis XVI, Marie-Antoinette et leurs enfants vivent au rythme des soubresauts d’une révolution dont on ignore l’issue. Incroyablement documentée – et pourtant peu connue du grand public –, cette période charnière de notre histoire est dévoilée aux Archives nationales. Des objets du quotidien nous plongent dans l’intimité des souverains et de la cohorte qui les entoure – leurs geôliers, les soldats, la cour, les fournisseurs… –, et des documents exceptionnels nous permettent de découvrir l’intense activité diplomatique de Marie-Antoinette – sa correspondance secrète – ainsi que les efforts désespérés de Louis XVI pour tenter de maintenir les fondements de la monarchie millénaire dont il a hérité.

Le décor et les acteurs de cette tragédie ont disparu – la famille a été décimée et le palais, incendié sous la Commune en 1871, a été démoli. Restent des témoins matériels, des tissus brodés, des lettres codées, des cartes à jouer, des journaux intimes… De quoi toucher l’histoire des yeux pour mieux la comprendre.

Emmanuel de Waresquiel © Photo: Hannah Assouline

Entretien avec Emmanuel de Waresquiel, co-commissaire de l’exposition sur la famille royale aux Tuileries avec Isabelle Aristide-Hastir et Jean-Christian Petitfils.


Causeur. D’octobre 1789 à août 1792, la famille royale est contrainte de séjourner au palais des Tuileries. Est-ce une parenthèse avant que la Révolution ne devienne un rouleau compresseur ?

Emmanuel de Waresquiel. Les Tuileries ont en effet été une parenthèse, un pas de deux entre l’absolutisme monarchique et la République ; on a tendance à occulter cette période alors qu’elle est extrêmement bien documentée. Cela correspond à un rêve français de monarchie constitutionnelle qui n’est jamais advenu. Si la Constitution de 1791 a bien été signée – à contrecœur – par Louis XVI, elle a duré à peine plus d’un an. Elle était en réalité inapplicable.

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Dans quel état d’esprit sont le roi et la reine en arrivant au palais ? Pensent-ils pouvoir rentrer un jour à Versailles ?

Ils ne le pensent pas. Le mot qui revient le plus souvent dans la correspondance de Marie-Antoinette est « malheur ». La famille a parfaitement conscience de son emprisonnement aux Tuileries, d’être privée de liberté, et cette conscience-là ne fait que croître lorsqu’on les empêche – avant même la fuite à Varennes (20 juin 1791) – de se rendre à Saint-Cloud pour la fête de Pâques de 1791 ; l’année précédente, elle avait pourtant pu y passer l’été. En 1790, la famille bénéficie encore d’un régime de semi-liberté surveillée, ce qui permet notamment au roi d’aller chasser. Mais tout cela fond comme neige au soleil dès les premiers mois de 1791.

Le quotidien de la famille est-il rythmé par une étiquette aussi stricte qu’à Versailles ?

Elle est moins stricte, mais l’on constate encore la présence d’une cour, à tel point que certains de ses personnages-clefs, comme la princesse de Lamballe, vont la rejoindre aux Tuileries après avoir émigré en 1789. Demeurent aussi un certain temps les maisons civile et militaire du roi, qui ont toujours importé à Louis XVI. Il va, jusqu’au dernier moment, tenter de conserver sa maison militaire, en particulier ses Cent-Suisses, commandés par le duc de Brissac. Mais après la fuite à Varennes, la garde royale est dissoute pour laisser place à une garde constitutionnelle qui, elle-même, est rapidement remplacée, car considérée comme contre-révolutionnaire par les députés. Quant à Brissac, il est arrêté et massacré en 1792.

L’exposition présente une partie de la correspondance que Marie-Antoinette a entretenue avec différentes personnalités européennes. Peut-on dire que la reine se révèle à ce moment-là, qu’elle montre un visage ignoré jusque-là ?

La Révolution l’oblige à faire de la politique, ce qu’elle déteste ! Elle arrive en France en 1770 comme caution de la nouvelle alliance franco-autrichienne et, dès ses débuts à Versailles, elle est stigmatisée comme une étrangère et méprisée des élites. Ce sont elles qui lancent des quolibets repris plus tard par le peuple et qui lui collent à la peau jusqu’à son procès : « l’Autrichienne » ou « la Poule d’autruche » – une caricature la montre ainsi en disant : « Je digère l’or, l’argent avec facilité / Mais la Constitution je ne puis l’avaler. » Elle fait donc de la politique à contrecœur, mais elle en fait. À partir de 1789, elle doit faire face à une double tragédie, la mort de son fils aîné, le 4 juin à Meudon, et le surgissement de la Révolution, au mois de juillet. Il est intéressant de voir que jusqu’à l’été 1789, elle parle du roi comme étant celui qui est « au-dessus de moi », et qu’à partir de cette date, elle parle de son mari comme celui qui est « à côté de moi ». Cela ne veut pas dire qu’elle fait de la politique à la place du roi. Louis XVI est toujours le dernier décisionnaire, pour autant qu’il puisse encore prendre des décisions. En tout cas, aux Tuileries, elle entretient une abondante correspondance de conspiratrice, une correspondance secrète et codée qui parvient à ses destinataires à travers l’Europe par toutes sortes de stratagèmes.

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Pourquoi écrit-elle autant ?

La reine tente de résoudre les deux difficultés majeures auxquelles elle est confrontée. Elle doit d’abord conserver et défendre les droits de son fils contre les frères de son mari qui ont émigré, les comtes de Provence et d’Artois. Tous deux veulent à tout prix prendre la régence à la place de la reine. Marie-Antoinette doit donc, d’un côté, se défendre contre cette adversité au sein même de la famille royale et, de l’autre, œuvrer contre cette révolution qu’elle ne comprend pas – ce soulèvement demeure à ses yeux une coalition de factieux et de brigands. Même si elle n’en comprend ni les raisons ni les enjeux, elle fait de la politique de façon beaucoup plus prudente qu’on ne le pense. Ainsi déconseille-t-elle jusqu’au dernier moment une entrée des troupes de la coalition sur le territoire de France.

On peut lire quelques-unes de ses lettres adressées au comte de Fersen. Depuis peu, celles-ci ont été « décaviardées » numériquement et font apparaître des mots doux. Est-ce une découverte importante pour l’historien que vous êtes ?

Oui et non. C’est touchant, car les quelques phrases qui terminent ces lettres sont d’une très grande tendresse mais, en même temps, cela ne dit pas grand-chose des véritables rapports qui les unissent – « Ont-ils été jusqu’au dernier transport ? » comme dit Chateaubriand au sujet de Mme de Beaumont… Cela ne permet pas d’en savoir davantage sur la nature profonde de leurs liens. Je pense que ce sont des rapports de chevalerie. Fersen est son homme lige. Les phrases qui ont été décaviardées sont d’une extrême retenue. Il ne faut pas oublier que Marie-Antoinette est la fille de Marie-Thérèse d’Autriche, elle a beaucoup de pudeur et une certaine froideur. C’est un trait de la correspondance féminine au xviiie siècle. On ne trouve jamais de mots crus ou d’allusions sexuelles. C’est d’une extrême réserve. On ne sait donc toujours pas ce qui s’est passé entre eux ! Mais c’est touchant. Notamment la lettre qu’elle lui envoie juste après la fuite à Varennes et dans laquelle elle écrit : « J’existe encore. » Il y a des passages d’une très grande émotion. Mais Marie-Antoinette est sûrement restée fidèle à son mari, d’autant que la Révolution les a rapprochés.

Que souhaitez-vous que le public retienne de cette exposition ?

On a voulu mettre en avant la personnalité du roi et celle de la reine. Dans cet entre-deux tragique, ils se sont trouvés. D’un côté le courage de Marie-Antoinette face à l’adversité, un courage aveugle mais un courage quand même, et d’un autre côté ces tentatives désespérées de Louis XVI qui joue un double jeu entre l’absolutisme monarchique – auquel il est resté fidèle – et la Constitution à laquelle il ne croit pas et qui contrevient à toute son éducation de prince chrétien. Cet épisode de la Révolution est extrêmement intéressant : jusqu’où le roi peut-il incarner la nation et à quel moment ne l’incarne-t-il plus ? Cette période des Tuileries, intermédiaire, transitoire, est l’une des étapes les plus importantes de la radicalisation de la Révolution, c’est pourquoi elle mérite d’être mieux connue.


À voir « Louis XVI, Marie-Antoinette et la Révolution : la famille royale aux Tuileries (1789-1792) », aux Archives nationales, Paris, jusqu’au 3 juillet, puis du 30 août au 6 novembre 2023.

Catalogue : Isabelle Aristide-Hastir, Jean-Christian Petitfils et Emmanuel de Waresquiel (dir.), Louis XVI, Marie-Antoinette et la Révolution : la famille royale aux Tuileries (1789-1792), « Beaux Livres », Gallimard/Archives nationales, 2023.

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Mai 2023 – Causeur #112

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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